Bibliothèque de lécole moderne n°26 Les maladies scolaires par C.Freinet Editions de lécole moderne française 1964 |
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TABLE DES MATIÈRES
-La situation de l'Ecole dans le contexte scientifique,
philosophique et social du monde contemporain
-Une maladie scolaire aux très graves conséquences les
complexes et les phobies
-Les phobies suscitées par les punitions
-Les maladies scolaires des maîtres
Le
procès de l'Ecole Traditionnelle n'est plus à faire. L'argumentation la plus probante a
été réunie et répétée, pour en montrer les insuffisances en ce qui concerne les
divers aspects de la formation : intellectuelle, morale, civique, sociale, etc...
Déjà les grands théoriciens de l'Education Nouvelle - notamment Kerchensteiner ont
dénoncé ces déficiences en des termes auxquels il n'y a, en définitive, rien à
retrancher ; et bien d'autres, après eux, ont repris cette critique.
Aussi le problème qui se pose aujourd'hui semble-t-il être moins celui des insuffisances de cette pédagogie que celui de sa persistance, de sa résistance, de sa vitalité, en dépit de la multiplication des critiques justifiées et convergentes dont elle est l'objet. Tout se passe comme si, malgré la valeur évidente des reproches qui lui sont adressés, et qui visent aussi bien le didactisme empirique de ses méthodes que l'autoritarisme de sa discipline, elle n'était pas vraiment atteinte et devait à son ancienneté une sorte d'invulnérabilité.
On
pourrait noter également que, malgré la diffusion des acquisitions essentielles de la
psychologie de l'enfant, la pédagogie n'arrive guère à les incorporer et que, malgré
les études déjà nombreuses et convergentes relatives à l'inadéquation des programmes,
ceux-ci demeurent identiques à eux-mêmes. C'est là une situation paradoxale qui mérite
l'examen.
Encore
faudrait-il préciser que, d'une façon générale, la résistance à l'évolution se
manifeste davantage à la base qu'au sommet. Divers textes - en particulier ceux, qui
concernent la classe de transition - recommandent clairement la modernisation des
techniques et les publications du mouvement de l'Ecole Moderne l'ont heureusement,
souligné. Mais aux échelons inférieurs, l'installation dans les habitudes acquises
demeure la règle la plus générale. Il y a lieu de se demander pourquoi.
*
Il n'est
pas douteux que les conditions actuelles sot peu favorables à une attitude rénovatrice.
L'afflux des enfants dans les classes, les difficultés de fonctionnement éprouvées dans
beaucoup d'écoles, la nervosité d'une forte proportion d'enfants encouragent beaucoup de
maître à penser qu'il convient d'en rester à des méthodes
« éprouvées ».
On a
beaucoup insisté sur l'importance de ces facteurs et ils ne sont certainement pas
négligeables; mais il faut se garder d'en exagérer la portée, car, si elle était
déterminante, il devrait inversement en résulter dans les classes à petit effectif -
notamment des classes rurales - beaucoup plus de souplesse et des initiatives de
modernisation. Or, sauf exception, cela ne saurait être soutenu.
Il y a
donc d'autres causes à chercher. Le caractère impératif des programmes, la sanction
constituée par les examens - cf. Le Mythe du CEP - sont très importants. Ils
exercent sur les maîtres une sorte de pression administrative et morale et entretiennent
un climat d'insécurité. Il faudrait donc, pour permettre une large évolution des
méthodes pédagogiques, que soit enfin promulguée la réforme des programmes et, que
soient adoptés des plans d'études ajustés à la réceptivité intellectuelle des
élèves.
Il
faudrait aussi que les maîtres ne soient pas jugés abusivement par référence à des
pourcentages de réussite aux examens, interprétés sans tenir suffisamment compte du
niveau des élèves et des conditions antérieures de leur scolarisation,
Il
faudrait enfin assouplir et libéraliser les méthodes d'inspection afin qu'elles se
présentent davantage comme une collaboration que comme un contrôle et qu'elles
n'aboutissent pas à freiner ou à décourager l'esprit d'initiative. Trop de maîtres ont
ce sentiment qu'une rénovation des méthodes ne peut se faire qu'à leurs risques et
périls et cela les fait hésiter.
*
Mais ces
motifs ne suffisent pas à expliquer la persistance du didactisme. En effet, si le
sentiment d'insécurité était déterminant, il serait plus fort chez les débutants,
plus faible chez les autres dont la position est stabilisée. Or il n'en est rien. Et la
pédagogie traditionnelle demeure celle des « maîtres expérimentés ».
C'est dire que beaucoup ont la conviction qu'elle est bonne, et
c'est bien cela qui est le plus grave, car cette conviction montre l'importance et le
poids des habitudes, contractées, la solidité d'une attitude psychologique adoptée,
depuis longtemps et considérée par beaucoup comme liée nécessairement et de
l'intérieur à la fonction enseignante. Il faudrait ici montrer comment le personnage du
maître transforme sa personne même et l'amène à jouer un rôle qui entrave
l'établissement de bonnes relations interpersonnelles et suscite la confusion de
l'autorité et de l'autoritarisme et l'adoption du second au nom du premier. Autoritarisme
intellectuel et autoritarisme disciplinaire, tels sont les deux travers qui gênent le
plus la modernisation pédagogique.
*
Aussi
bien le premier entraîne-t-il presque inévitablement le second. Lorsque la méthode
d'enseignement ne coïncide pas avec les intérêts de l'enfant, celui-ci oppose au
travail scolaire une sorte de passivité, voire de résistance, qui amène logiquement le
maître à l'autoritarisme disciplinaire. Kerchensteiner avait déjà sur ce point dit
l'essentiel, en distinguant l'intérêt extrinsèque et l'intérêt
intrinsèque.
Le
premier est celui qu'on s'efforce de susciter par des procédés divers lorsque le contenu
du travail ne soulève ou ne soutient pas l'attention. Dans ce cas, on est obligé - et
c'est ce que montre l'histoire de la pédagogie de recourir à des moyens divers pour
créer un intérêt extérieur au travail lui-même. Ce seront tantôt les sanctions de
diverses formes, y compris celles que le règlement proscrit, tantôt l'usage de
l'émulation visant à motiver le travail par la vanité ou la crainte de la honte,
tantôt les méthodes dites attrayantes réduisant le travail en jeu.
Le
second au contraire est celui qui est trouvé au cur même du travail, compte tenu
de son contenu et de sa méthode de présentation. A cette situation peut être appliquée
la parole de Freinet : « Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'homme
mais le travail. L'enfant ne joue que lorsqu'il ne peut pas travailler ». Alors,
il n'est pas besoin de recourir sans cesse à des menaces ou à des sanctions.
Aussi
bien importe-t-il de noter qu'une discipline non tyrannique mais coopérative est la
meilleure forme d'éducation civique. Il est curieux que des membres de l'enseignement,
qui sont si profondément convaincus des valeurs démocratiques, prompts à protester
contre tout abus de pouvoir et toute atteinte à la liberté utilisent sans difficulté
des procédés dictatoriaux et croient qu'on peut ainsi préparer à la liberté. On
entend dire souvent que cela prépare à supporter les contraintes ultérieures de la vie
sociale, et ceux qui militent le plus vigoureusement contre ces contraintes acceptent cet
argument singulier.
*
Il faut
en définitive abandonner tous ces mythes qui entravent le fonctionnement de
l'école : mythe du « bon élève » installé dans une vanité naïve ou
vanté à cause d'une tranquillité qui confine à la passivité, mythe du « mauvais
élève », du « cancre », installé dans le rôle d'imbécile de service
et convaincu de sa sottise à force de se l'entendre reprocher, etc...
Parmi
ces mythes il faut souligner tout spécialement celui du « cahier » : il
fait apparaître un des aspects les plus désuets de l'école traditionnelle; il semble à
certains le but du travail au lieu d'en être le moyen et l'importance parfois ridicule
qu'on attache à sa beauté manifeste un véritable égarement du jugement.
Il
faudrait signaler aussi tout le temps passé à de trop fréquentes compositions et à de
vains classements. En tout, beaucoup de temps est perdu.
Il en est de même en ce qui concerne les examens. A cet égard
la meilleure façon de procéder serait sans doute de consacrer une large place, dans les
publications, aux résultats des travaux docimologiques qui, à l'aide d'études
statistiques précises, font apparaître le caractère contestable et hasardeux de cette
forme de contrôle du travail scolaire.
*
Ainsi,
lorsqu'on se demande pourquoi persiste la pédagogie traditionnelle en dépit des
contestations énergiques qu'elle s'est attirées depuis si longtemps, voit-on qu'elle
doit cette longue survie d'abord aux conditions défectueuses dans lesquelles
l'enseignement est aujourd'hui donné, puis, davantage encore, à des structures
administratives qui gênent en fait la liberté pédagogique du maître, plus
profondément à une attitude psychologique de supériorité qui implique le didactisme.
Et, vu que celui-ci est incapable de mobiliser l'intérêt de l'enfant faute d'y
correspondre, il en résulte inévitablement une discipline coercitive.
L'efficacité
pédagogique de l'école est donc très inférieure à celle que le dévouement des
maîtres devrait obtenir. Le travail et la conscience des membres de l'enseignement ne
sauraient être contestés, quels que soient d'ailleurs leur âge et leur génération.
Mais les méthodes qu'ils ont été formés à employer et que tout un climat les
entraîne à conserver les empêcheront d'obtenir le rendement qu'ils souhaitent. De cela,
les enfants sont les « victimes », mais les maîtres le sont aussi :
combien en effet sont découragés et parfois déprimés - par les piètres résultats ou
l'inattention des élèves ? On accuse alors la psychologie de ces derniers, la
négligence des parents, la nocivité de la télévision, les effets de la culture de
masse, etc...
Tout
cela n'est certes pas négligeable mais omet la cause essentielle : l'inadéquation
des méthodes. Aussi pourrait-on dire que le pire méfait de l'école traditionnelle, c
est de décourager le personnel enseignant, de provoquer chez lui de l'amertume, et du
fait de cette rancur, de le détourner des initiatives de rénovation qui lui
permettraient d'obtenir à nouveau des résultats réconfortants. N'est-ce pas au
contraire un des singuliers mérites de l'Ecole Moderne de redonner ceux qui en utilisent les techniques courage et
ardeur ? Et c'est ce tonus rénové qui se manifeste dans les réunions
départementales, les congrès, les stages et tous les travaux des membres de l'ICEM.
Ainsi
apparaît-il clairement que, contrairement à des accusations hâtives, la critique de
lEcole Traditionnelle n'est point celle des maîtres ; comment les considérer
comme les responsables de ses insuffisances puisqu'ils en sont au contraire les premières
victimes ?
Le but
du congrès 1964 est de leur permettre de chercher ensemble les moyens d'améliorer leur
propre pédagogie dans la ligne des techniques préconisées par Freinet, et de chercher
aussi les moyens susceptibles d'aider leurs collègues des écoles élémentaires et des
CEG à découvrir en nombre croissant les ressources si remarquables que leur offre
l'Ecole Moderne pour la rénovation et la modernisation de leur enseignement.
G. AVANZINI
Directeur du laboratoire de pédagogie expérimentale
de l'Université de Lyon
Professeur à l'École Normale
DANS LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE
PHILOSOPHIQUE ET SOCIAL
DU MONDE CONTEMPORAIN
Pourquoi ce
problème se présente-t-il aujourd'hui avec une acuité qui émeut tous ceux qui
réfléchissent au proche destin de notre civilisation du XXe siècle ? Et
pourquoi les éducateurs sont-ils bien souvent les derniers à réagir de sorte que vont
se détériorant à un rythme dangereux la situation même, le sens et l'efficacité de
l'Ecole en général, de notre Ecole laïque en particulier ?
Au début
du siècle, cette situation n'était pas du tout dramatique. La grande révolution
industrielle était à peine commencée. Les conditions de vie et de travail n'évoluaient
encore qu'au rythme des générations, ce qui fait que, dans tous les domaines, les
pratiques de 1880 pouvaient fort bien être valables encore en 1910. Il en résultait que
les fils pouvaient raisonnablement envisager de vivre et duvrer comme
l'avaient fait leurs parents, et que l'Ecole ne commettait pas une erreur foncière en
préparant les individus à vivre la vie du présent, longuement inscrite dans les
traditions du milieu et qui serait encore la vie de demain.
Il faut
ajouter que le milieu et la famille, baignés dans cette stabilité corrigeaient
automatiquement les erreurs de culture, ou de fausse culture d'une école qui se trouvait,
de ce fait, adaptée au milieu, ce qui est incontestablement un élément d'équilibre et
de progrès.
*
A certains
points de vue, cette école du début du siècle constituait donc comme un élément
d'avant-garde par ses buts et ses méthodes, exaltés par la littérature et par les
convictions généreuses de tous ceux qui avaient pour mission d'assurer l'épanouissement
des enfants, dont on rêvait alors de faire des hommes.
Mais depuis
1914, une évolution irréversible a été déclenchée, qui est allée s'accélérant.
Il en est
résulté deux faits, aussi graves et déterminants l'un que l'autre.
D'une part,
le milieu progressant à la vitesse 10 et lEcole à la vitesse 1, il s'est produit
un décalage croissant qui est à l'origine de tous nos maux. L'éducateur qui reste à la
vitesse 1 s'accommode plus ou moins de ce décalage. Mais les enfants, eux, réagissent,
vivent et pensent à la vitesse 10, avec des longueurs d'onde que nous ne parvenons plus
à capter. L'enfant ne saisit plus ni ce que dit, ni ce qu'explique le maître, et
celui-ci se plaint : « je ne les comprends plus ! » Ce que
l'instituteur et le professeur enseignent, et auquel les enfants du début du siècle
restaient attachés, ne touche plus les enfants d'aujourd'hui qui ne parlent plus le même
langage.
Il ne peut
pas y avoir dans ces conditions d'instruction profonde ni de formation vraie. L'Ecole s'en
va peu à peu au rencart, au fond des hangars où meurent les luxueuses calèches d'antan.
Il ne faut
pas s'étonner si ce décalage perturbe les données et la fonction de l'Ecole. Les
constatations courantes des parents et des maîtres sont, hélas ! naturelles et
exactes : les problèmes de naguère n'intéressent plus les enfants, et l'Ecole, en
retour, ne s'intéresse pas à leurs vrais problèmes. Il est exact qu'ils s'appliquent
moins à leurs devoirs et qu'ils font davantage de fautes d'orthographe ; que ce
manque d'intérêt pour les choses de l'Ecole suscite un climat nouveau et endémique de
distraction, de superficialité, et bien souvent d'opposition. L'obstination des maîtres
à maintenir l'autorité d'un passé révolu complique encore la situation scolaire qui se
détériore dans des impasses dont on ne sortira que si on parvient à éliminer le
décalage et à rétablir les circuits de confiance et de vie.
Il y a un
autre fait, plus déterminant encore pour la finalité de l'Ecole.
L'enfant
qui a maintenant 10 ans sera contraint, quand il aura seize ans, c'est-à-dire dans six
ans à peine, de vivre et d'agir dans un milieu nouveau, tout à fait différent de la
caricature qu'en donne une école retardataire. Autrement dit, il est aujourd'hui
évident que l'Ecole ne peut plus, avec ses techniques de 1900, préparer l'enfant à sa
vie en 1970.
Cet état
de fait a, en effet, de graves conséquences. L'Ecole ne joue plus dans la société de
nos jours son rôle formatif et équilibrant. Elle démissionne, elle a déjà
démissionné au profit de ces techniques neuves que sont l'image, le cinéma, la
télévision et le sport ; et pour lesquelles nul ne lésine. Pendant ce temps,
l'Ecole est comme un mécanisme désuet pour lequel on regrette de faire des frais
inutiles, en attendant de l'abandonner. Les enfants en ont intuitivement conscience, et
c'est pourquoi ils ne vous accordent qu'une part si mesurée de leur intelligence et de
leurs incontestables possibilités d'attention... Ils vivent à même leur vie, malgré
l'Ecole, contre elle si nécessaire, au lieu de s'y intégrer comme à un élément
essentiel de leur allant et de leurs conquêtes.
Les
éducateurs ont eux aussi une conscience diffuse de cette inutilité relative de l'Ecole,
et, comme les élèves, ils ne s'y donnent qu'en fonction du salaire qu'ils en attendent.
Le temps n'est plus où, comme au début du siècle, les éducateurs vivaient un
véritable, sacerdoce. Seuls retrouvent cette haute dignité de leur fonction les
éducateurs qui, par nos techniques de vie, s'appliquent à moderniser leur enseignement
pour la formation efficace en l'enfant, de l'homme de demain.
Les parents
eux-mêmes s'inquiètent parce qu'ils comprennent bien que cette école ne prépare pas à
la vie mais seulement à des examens dont ils sentent toute la vanité, et qu'il faudrait
en reconsidérer d'urgence la pratique et les buts.
Dans aucun
domaine l'Ecole d'aujourd'hui n'est rentable et c'est sans doute là une des raisons de la
situation exceptionnellement démunie où on la laisse s'étioler, alors qu'on ne mesure
aucun crédit ni pour le sport, ni pour l'industrie, ni pour la force de frappe.
*
Nous sommes
un certain nombre d'éducateurs qui ne nous accommodons pas de cette stagnation et de
cette déchéance. Nous aimons trop notre métier pour ne pas tout faire afin de lui
redonner l'efficience et la dignité qui sont sa raison d'être. Nous ne nous contentons
pas de critiquer ce qui est. Depuis trente ans, nous nous sommes appliqués à moderniser
nos conditions de travail, à réduire la désadaptation de l'Ecole, à retrouver les
longueurs d'ondes harmoniques qui nous vaudront des contacts culturels et humains avec nos
élèves, à redonner enfin à la fonction enseignante la place éminente - avant la force
de frappe qui devrait être la sienne dans la nation.
Seulement,
nous sommes étonnés du manque de résonance de nos efforts, même lorsqu'ils nous valent
de flagrantes réussites. Nous pensions ingénument qu'il allait suffire de mettre au
point des outils et des techniques modernes et d'y entraîner les éducateurs pour que se
déclenche et se généralise un processus de rénovation qui atteint la société tout
entière.
Nous nous
disions qu'aucun secteur de la vie du pays ne résiste à l'attrait du progrès :
l'industriel ne craint pas de mettre à la ferraille une machine qui est loin d'être
usée mais qui n'en est pas moins dépassée par la technique. Il la remplacera à grands
frais par une machine moderne dont le rendement lui permettra de soutenir la concurrence
nationale et mondiale.
L'artisan
qui gagne péniblement sa vie, accepte un effort maximum pour s'équiper lui aussi de
quelque machine nouvelle qui décuplera son rendement. Le paysan lui-même, pourtant
renommé pour son ancestral traditionalisme, remplace ses bufs par un tracteur qui
donne, avec moins de peine, de meilleurs résultats. Et l'armée, naguère encore si
formaliste, se modernise à grands frais pour s'adapter à l'ère atomique qui la
conditionne.
L'Ecole,
semble-t-il, devrait non pas suivre, mais précéder et orienter ce formidable mouvement
en avant. Les éducateurs ne sont-ils pas rationalistes, donc attentifs aux impératifs du
progrès ? Ne sont-ils pas démocrates, et donc soucieux de la libération des
individus ? Peut-être ne leur a-t-on pas suffisamment montré que, pratiquement, des
techniques modernes peuvent désormais remplacer la vieille routine des devoirs et des
leçons, et que des outils plus efficaces allaient détrôner la chaire et le
manuel ? Eux qui distribuent l'information et cultivent l'intelligence ne pourraient
pas rester insensibles à des perspectives nouvelles susceptibles de produire dans nos
classes comme un éclatement et une éclosion.
Tout cela
ne suffit pas encore. Les maîtres de tous degrés ont été si longuement conditionnés
par la vieille pédagogie qu'ils en restent comme envoûtés, impuissants à se dégager
de pratiques dont ils savent par expérience les dangers. Et les parents inquiets n'osent
pas contrarier une institution dont ils attendent la promotion administrative et sociale
de leurs enfants.
Nous sommes
en un siècle où la radio et la télévision voient tout et nous en saoulent. Qu'un
enfant s'égare dans un fourré ou fasse une fugue sans conséquence et tout le pays est
alerté. Mais ce qui se passe dans les écoles reste secret. Par une sorte de complicité
tacite éducateurs, parents, administrateurs se taisent sur les erreurs, pour ne pas dire
plus, de l'Ecole. Si un jour un enfant désespéré par un échec à un examen, se
suicide, on camoufle l'événement. Il y a partout des scandales de locaux, d'effectifs,
de grands ensembles, de livres et de méthodes. La grande presse attentive au moindre
événement reste muette à tout ce qui touche l'éducation des enfants comme si nul n'en
était concerné. Tout se passe comme si le rayon éducation était tabou.
Nous
voudrions rompre ce mur du silence pour examiner enfin les problèmes dans leur réalité
objective. C'est à un véritable travail scientifique que nous voudrions nous livrer en
étudiant expérimentalement les tares dont souffre l'Ecole, les impasses où elle est
acculée, les causes profondes des troubles que nous constatons, leurs symptômes et leurs
possibilités de cure, dans l'espoir qu'une vaste campagne de recherche et d'action,
débordant l'Ecole, déclenche dans le pays un courant d'opinion qui exigera enfin la
modernisation et l'humanisation de notre enseignement.
A l'annonce
de la campagne que nous voulions mener, la presque unanimité des camarades s'est
récriée : nous allions soulever contre nous la masse des collègues déjà peu
sympathiques à des initiatives qui dérangent leur train-train journalier. Et les
laïques qui essaient de sunir contre la montée de l'enseignement confessionnel
regretteraient que nous choisissions ce moment-là pour partir en guerre contre l'Ecole,
ses pratiques et ses maîtres.
Si nous
craignons à ce point qu'on fasse la lumière sur ce qui se passe dans nos classes, c'est
que nous avons bien mauvaise conscience. Car enfin, c'est bien nous, éducateurs, pères
et mères de famille affectueux et sensibles, syndicalistes, républicains, démocrates et
laïques qui nous livrons, pas toujours sans remords à des pratiques que nous
désapprouvons en privé, et que nous regrettons, mais auxquelles nous sommes parfois
contraints.
Contraints
par qui ?
Il y a
certes cette longue habitude d'Ecole traditionnelle qu'on nous a imposée de 4 à 25 ans,
qui nous a marqués et conditionnés à ces pratiques jusqu'à nous les faire croire
naturelles et justes. Un sursaut de dignité pourrait peut-être nous arracher à ce
conditionnement.
Nous ne le
pouvons pas toujours car nous sommes pris dans une mécanique dont nous désespérons de
nous dégager un jour. C'est l'inhumanité implacable de cette mécanique et son mauvais
fonctionnement que nous devons dénoncer.
Un père de
famille se plaint que son fils a 200 lignes à faire. S'il ne les copie pas, il en aura
400 demain. C'est une arithmétique dont le simplisme est garant de l'efficacité de la
punition.
Qui calera,
et que ferait ce père de famille à la place de l'institutrice débutante qui se débat
avec 45 enfants du CE ? Et qui lui apportera un conseil pratique pour garder son
indispensable discipline dans une classe où n'a été prévue aucune possibilité de
travail, sauf lire, écrire... et croiser les bras !
Ces enfants
sont nerveux et désobéissants. je comprends, reconnaît l'instituteur, qu'il est anormal
et antiphysiologique de vouloir les tenir assis pendant trois heures et de prétendre les
faire travailler par surcroît.
Que faire
quand mes élèves sont distraits, qu'ils s'impatientent et font du bruit ?...
Apportez-moi une recette autre que la pratique des punitions !
Ils doivent
faire leurs devoirs et étudier leurs leçons, le tout prévu par les programmes et
ordonnancé par des manuels scolaires signés d'Inspecteurs Primaires, d'Inspecteurs
d'Académie et d'agrégés.
On ne nous
explique nulle part comment nous pourrions par des moyens humains non coercitifs, exiger
cet apprentissage.
Nous
n'avons pas même, disent les instituteurs, l'avantage de nous reposer un quart d'heure
aux récréations. Il y a tant de bruit, tant d'allées et venues hallucinantes que nos
nerfs sont à bout quand nous reprenons nos classes.
Alors que
nous conseillez-vous pour ne pas en venir à ces extrémités ?
Ce sont là
les réalités de tous les jours, pour lesquelles nul ne nous présente de solution
licite. Alors, nous faisons comme nous pouvons : nous nous souvenons des pratiques et des
punitions qu'on nous a infligées dans notre enfance et dont on nous a dit la malfaisance
à l'Ecole Normale. Nous voyons faire autour de nous. Nous n'avons pas le choix !
Il est
exact que quelques-uns de nos collègues sont suffisamment habiles et intuitifs pour faire
face à ces difficultés. Nous sommes nous, la grande masse des éducateurs qui n'avons
pas ce talent, mais dont la bonne volonté peut aller jusqu'au sacrifice et nous crions au
secours, persuadés qu'on comprendra le drame dont nous sommes victimes et qu'on répondra
à notre appel.
Notre tort
à nous tous, nous de lEcole Moderne compris, c'est de ne pas oser nous délivrer de
ce carcan traditionnel, de faire corps avec lui, comme le bourreau qui en serre les vis,
de nous identifier à l'Ecole traditionnelle et à ses pratiques jusqu'à prendre à notre
compte les critiques justifiées qu'on pourrait lui porter.
Notre tort, c'est de ne pas rendre effectifs dans nos classes les
principes de vie auxquels nous sommes attachés en tant quhommes.
Notre tort,
c'est de nous taire !
Nous de
l'Ecole Moderne ne sommes ni d'une autre race, ni d'une autre qualité que vous tous,
maîtres encore traditionnels. Nous avons connu vos difficultés et vos drames. Nous
aussi, nous nous sommes colletés avec les enfants difficiles que nous ne parvenions pas
à maîtriser ; nous aussi nous avons mis des élèves au piquet et parfois même
distribué de la copie sinon des lignes et des verbes. Nous aussi, nous avons eu maille à
partir avec des parents d'autant plus exigeants que leurs enfants étaient insupportables.
Seulement,
nous avions rompu le cercle fatidique. Par un long et difficile tâtonnement expérimental
nous avons découvert une conception nouvelle du travail scolaire, qui fait fond sur les
forces créatrices et libératrices de l'enfant, et qui nous délivre, de ce fait de
toutes les pratiques désuètes d'autorité et de sanctions, en suscitant un nouveau
climat de coopération, d'entraide amicale, de travail vivant et d'humanité. Et nous en
sommes nous-mêmes régénérés.
Nous
faisons ainsi la preuve que notre sort n'est pas irrémédiable ; que nous ne sommes pas
forcément condamnés à être, durant toute notre carrière, des hommes en proie aux
enfants, mais que nous pouvons nous aussi, au bout du morne couloir, entrevoir un peu de
soleil. Et nous crierons notre espérance.
Si vous
tous pouvez vous libérer comme nous l'avons fait, même si les voies en sont
différentes, c'est alors que vous n'êtes pas foncièrement responsables d'une situation
dont vous êtes les victimes, ce n'est pas vous qui l'entretenez mais bien la conjonction
d'éléments divers contre lesquels nous aurons à lutter ensemble :
- la surcharge des classes. Le mot d'ordre de 25 enfants
par classe que nous avons lancé à Aix-en-Provence il y a huit ans, résonne
désormais à tous les échelons de l'Université. Les parents s'en saisissent. Il
triomphera.
- les
locaux scolaires presque toujours inadaptés à notre travail et notamment les grands
ensembles dont nous devons redire les méfaits
- la
détresse technique des classes, où aucun travail, autre que scolastique,
n'est possible
-
l'aménagement des méthodes et une préparation adéquate des éducateurs aux
nouvelles techniques de travail
- la
reconsidération des programmes et des examens
- la
modernisation des conditions de travail des éducateurs.
*
Ce n'est
pas nous qui ferons le procès de l'Ecole traditionnelle. C'est vous tous qui allez
l'entreprendre pour votre tranquillité et votre dignité. Nous vous y aiderons en faisant
connaître aux administrateurs et aux parents les maladies scolaires qui menacent
les enfants, et dont il faut d'urgence étudier l'origine, l'évolution et les effets.
Nous
apporterons la preuve, par nos techniquement, que le changement est tout de suite possible
si nous le voulons, si nous sommes capables de promouvoir pour l'école du peuple, une
pédagogie de culture et de libération.
« Quand
une idée simple prend corps, disait Péguy, il y a une révolution ».
Cette
rénovation scolaire est une de ces idées simples qui va maintenant secouer les maîtres,
ranimer les parents, et offrir à l'Ecole un rendement nouveau qui assurera sa victoire.
*
A ceux qui
vont répétant qu'il n'y a rien à faire contre la forteresse scolastique et qu'il faut
se contenter d'agir de l'extérieur pour l'ébranler, nous répéterons ici quelques-unes
des véhémentes déclarations de M. François Walter, Conseiller à la Cour des Comptes,
fondateur de Défense de la jeunesse scolaire.
« Certes,
il faut travailler immédiatement à une solution d'ensemble, comprenant aussi bien les
objectifs à long terme que les objectifs à court terme ; seulement, dans l'ordre
des réalisations à réclamer, il y en a qu'il faut réclamer pour demain, et il y en a
qui exigent de plus longs délais. Il est arrivé que des hommes de grande valeur, à qui
nous demandions leur coopération, nous disent « Non », et qu'ils nous
reprochent de compromettre, pour des objectifs à court terme, les réalisations à plus
lointaine échéance. Eh bien, cette objection, je la tiens pour erronée et même
incompréhensible quand elle vient d'hommes qui ont travaillé dans le sens que nous
préconisons. Ce que nous voulons, c'est aller plus loin dans cette voie ; c'est
déranger davantage l'immobilisme ; c'est élargir cette brèche faite dans le mur du
fatalisme, de la routine, parce que nous sommes persuadés que, par cette brèche,
beaucoup de choses ensuite passeront. Il y a une dynamique de l'action. Il y a des
premiers pas nécessaires pour que les seconds suivent. Certains refusent et disent par
exemple : « Rien à faire tant que les classes seront trop
nombreuses ». C'est une réponse dure pour les enfants de ces classes qui sont
les premiers à souffrir de l'encombrement et de toutes les déplorables conditions
actuelles... L'allègement pour une part, c'est une question de volonté, de volonté du
corps enseignant, ou d'une élite du corps enseignant, dont tout dépend... Il n'y a pas
de préalable à l'élimination du démentiel; il n'y a pas de préalable à un retour au
bon sens ».
*
La Défense
Laïque ne saurait se concevoir dans un contexte de défaillance psychologique et
pédagogique, sans perspective ni horizon, avec des fausses manuvres et des pannes
techniques qui compromettent le progrès et la vie.
C'est en
rendant notre Ecole efficiente et humaine, par la dénonciation courageuse des maladies
dont nous souffrons ; c'est en apportant à nos enfants la richesse et la joie ; en
redonnant aux maîtres un goût nouveau pour leur sacerdoce que nous défendrons
efficacement notre Ecole Laïque, notre Ecole du Peuple.
Et vous en
serez les premiers bénéficiaires.
*
Il en est
des maladies scolaires comme de toutes les maladies : les unes sont bénignes. Elles
affectent bien sûr la vitalité et le comportement des individus, mais d'une façon plus
ou moins grave et définitive.
« Prises
à temps », comme toutes les maladies, elles peuvent se guérir assez vite sans
laisser de trace irréparable, de « séquelles » comme dit la médecine. Mal
soignées à l'origine, elles ne font qu'empirer et deviennent vite chroniques,
c'est-à-dire que les affections qu'elles entraînent s'incrustent dans l'organisme et
qu'il est alors excessivement difficile de les guérir. Le rhumatisant a la colonne
vertébrale raide et la jambe douloureuse. Si on le soigne à temps, il pourra retrouver
sa souplesse et marcher et remuer comme tout le monde. Rien n'y paraîtra. Mais si la
maladie s'installe définitivement dans l'organisme, l'individu devra s'en accommoder tant
bien que mal et il aura bientôt le tempérament arthritique : démarche raide et
douloureuse, difficulté de se déplacer, avec toutes les altérations psychologiques,
psychiques et sociales qu'entraîne cette tare.
Le mal fera
parfois si totalement corps avec l'individu qu'on pourra se demander souvent s'il s'agit
même là d'une maladie, ou si ce n'est pas seulement une tare héréditaire, dont on ne
connaît ni les causes ni l'origine et que donc on ne saurait soigner efficacement.
La plupart
des maladies scolaires sont de cette nature chronique. Elles ne sont pas, apparemment,
très graves ; elles n'empêchent pas l'individu de vivre en société, mais elles le
marquent d'une tare qui n'en influe pas moins sur tout son développement et son destin.
L'étude n'en sera que plus délicate mais aussi que plus urgente.
Il est des
maladies qui sont suscitées par un accident ou un choc plus ou moins grave : des
muscles sont froissés et meurtris, des articulations démises. Des hématomes
compromettent la circulation. D'ordinaire, ces blessures, si elles sont soignées
immédiatement, ne laissent que des cicatrices insignifiantes. Mais si l'ordre des choses
n'est pas rétabli, il en résulte des troubles qui affectent profondément le malade,
deviennent chroniques et incurables et entraînent d'ordinaire, de ce fait, une
invalidité temporaire ou permanente.
Nous
verrons, à l'article des phobies, des cas fréquents de ces atteintes difficiles à
soigner et dont on porte des traces qui ne s'effacent jamais.
Il est
même des maladies scolaires contagieuses, qui agissent d'une façon perturbante sur les
individus voisins et même parfois sur les éducateurs eux-mêmes.
*
Il y a,
pour les maladies scolaires cette circonstance aggravante que les symptômes sont rarement
faciles à déterminer ; que le diagnostic en est beaucoup plus difficile à établir
que lorsqu'il s'agit de maladies physiologiques; qu'on n'a encore pu inventer aucun
appareil qui permette des analyses sûres et qu'on en reste dans ce domaine hélas !
au niveau des maladies mentales où la détection et la cure restent désespérément
aléatoires, d'autant plus que nous sommes là dans un milieu fuyant où l'individu se
défend subtilement en camouflant ses réactions, au point de rendre parfois tout
diagnostic impossible. Il n'y a qu'à voir le cheminement clinique, et l'incertitude des
théories psychanalitiques auxquelles on a recours, quand toutes autres thérapeutiques
ont échoué.
C'est dans
ce contexte délicat, et d'ailleurs encore presque inexploré, que nous allons nous
engager avec cette première étude sur les maladies scolaires, dont la prétention est
seulement d'alerter parents et éducateurs sur la réalité des faits, d'y conformer leur
propre comportement et duvrer avec nous pour que s'amorcent la prévention et
les cures qui sont seules susceptibles de donner efficience et noblesse à notre fonction
d'éducateurs.
Nous allons
donc considérer celles de ces maladies que nous croyons les plus fréquentes et les plus
déterminantes pour le fonctionnement et le rendement de l'Ecole. Nous allons, pour
chacune d'elles étudier les symptômes et le diagnostic, et nous apporterons les
solutions que nous avons longuement expérimentées sous le signe de la Pédagogie
Freinet.
Commençons
par la seule maladie actuellement déclarée, dont on s'applique à découvrir les causes
et pour laquelle on a déjà écrit plus de livres qu'on n'en produit pour les autres
problèmes psychologiques ou scolaires, pourtant tout aussi flagrants.
Les
symptômes : L'enfant a beaucoup de difficulté à lire et à écrire. Et
surtout, signe particulier de la maladie : il écrit et lit certaines syllabes à
l'envers : cra pour car, an pour na, etc... Il se révèle de
plus, à l'examen de ces cas, que les enfants atteints de cette maladie sont gauchers, et,
comme ils écrivent malgré tout de la main droite, on les dit gauchers contrariés.
C'est tout
ce qu'on sait.
Le
diagnostic : On a, du coup, fort à faire pour établir un diagnostic
scientifiquement valable.
Que le fait
de contrarier un gaucher le trouble au point de vue scolaire, c'est possible. Cela
suffit-il pour déclencher une telle maladie, qui s'accompagne d'ordinaire de retards
scolaires assez importants ? Nous ne le croyons pas.
On a conclu
du fait que l'enfant lit ou écrit ses syllabes à l'envers que sa conception du milieu
n'est pas normale et que l'enfant n'a pas pris une conscience suffisante de sa propre
position spatiale, que, au fond de lui, il distingue mal la droite et la gauche, un peu
comme les enfants qu'on fait tourner un instant les yeux bandés et qui sont totalement
perdus lorsqu'on les libère. Ce sont là des théories qui ne seront valables que le jour
où, comme dans les maladies physiologiques, la cure qui en résulte amène une bonne
proportion de guérisons définitives - ce qui ne semble pas être le cas pour la
dyslexie.
Notre
propre expérience et l'expérience des participants à nos techniques, nous permet de
considérer :
1°. -
Qu'il existe en effet une maladie dite Dyslexie, qui s'est manifestée de tous
temps, et qui rendait certains enfants presque radicalement inaptes à la lecture.
Mais la
proportion de ces vrais dyslexiques n'est que de 1/1000. On n'a pas encore établi le
diagnostic de cette maladie et aucune cure n'en est à ce jour radicale. Elle peut venir
effectivement de certains troubles cérébraux ou nerveux, mal déterminés, et donc
difficiles à traiter, avec peut-être un certain déséquilibre lié à des insuffisances
visuelles et auditives.
Le nombre
de ces vrais dyslexiques ne semble point s'être accru au cours de ces dernières années,
ce qui nous porte à dire qu'il n'y a rien de nouveau dans la genèse et l'évolution de
cette maladie qui ne trouble que très accidentellement la marche et le rendement de nos
classes.
Et comme
par contre, le nombre des soi-disant dyslexiques est incontestablement en dangereuse
progression, on en est à se demander si des influences nouvelles péjoratives ne sont pas
en cause et s'il n'y aurait pas lieu en conséquence d'en reconsidérer le diagnostic.
2°. -
Cette maladie est-elle dans une certaine mesure, spéciale aux gauchers contrariés ?
Il est
exact que le fait d'obliger un gaucher à écrire de la main droite peut en perturber le
comportement. Mais ceci parce que cette obligation se pratique elle-même dans un climat
autoritaire où l'enfant ne retrouve plus aucun de ses gestes naturels. Si l'enfant, en
dehors de ses minutes d'écriture peut largement réaliser son destin, s'il a l'occasion,
de sa main gauche, de sa main droite ou des deux mains, de réaliser en expression
littéraire ou artistique, des chefs-duvre dont il est fier, sa gaucherie
n'entraînera aucune crise grave. Et c'est peut-être ce qui explique une recrudescence
des symptômes de gaucherie. Naguère, le temps consacré à l'Ecole restait insignifiant
dans la longue expérience enfantine qui se poursuivait dans les bois, dans les champs,
dans la boutique du menuisier et du forgeron dont quelques-uns, quoique gauchers, n'en
étaient que plus adroits. Car c'est la constatation qu'on peut faire dans le
peuple : la proportion des gauchers est toujours assez importante parmi les meilleurs
joueurs de boules ou les bons ouvriers. La gaucherie ne saurait donc à l'origine, être
assimilée à maladresse.
De tout
cela, l'enfant en avait conscience et, si même il recevait quelques coups de règle s'il
se servait de sa main gauche à l'école, il n'en prenait pas pour autant un complexe
susceptible de troubler son comportement.
Mais la
proportion du travail scolaire et des devoirs divers va croissant au fur et à mesure que
se réduit le tâtonnement expérimental hors de l'Ecole. Il se peut que, de ce fait
l'opposition scolaire aux gauchers soit plus perturbante que naguère et qu'il y ait
effectivement des troubles spécifiques aux gauchers contrariés. Que ce trouble aggrave
encore certaines difficultés scolaires est aussi fort possible.
Mais tout
cela ne nous donne pas un diagnostic sûr de la fausse dyslexie, pas plus que
l'affirmation qu'on formule parfois contre la conjonction effective dyslexie, gaucher
contrarié, retard scolaire. Une maladie bénigne atteignant un individu sera sans
conséquence. Si une deuxième maladie bénigne met l'organisme en difficulté ; si
une troisième atteinte intervient, elle-même sans gravité, la conjonction des trois
peut nous amener à des conclusions pessimistes inattendues.
3°. - Et
nous constatons enfin que les traitements suscités par cette fausse dyslexie sont
d'ordinaire sans efficacité s'ils ne constituent pas parfois, une aggravation du mal.
*
Nous
croyons par contre que cette fausse dyslexie est tout simplement la conséquence d'erreurs
pédagogiques dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ; le comportement
général hors de l'école n'étant jamais atteint par la maladie ; les enfants
gauchers et dyslexiques étant normalement aussi intelligents et habiles que les autres,
dans la mesure du moins où l'erreur de l'Ecole n'en a pas contrarié l'évolution.
Notre
expérience, tant avec les enfants gauchers qui évitent la dyslexie qu'avec les
dyslexiques que nous sommes amenés à traiter, nous persuade de cette réalité : ce
sont les mauvaises méthodes d'enseignement qui sont à l'origine des dyslexies.
Nous
apportons, à l'appui de cette affirmation, les constatations suivantes :
- Les
enfants qui intervertissent les mots d'une syllabe et qui écrivent ou lisent cra pour
car, no pour on, ne commettent jamais la même erreur en parlant. Vous n'entendrez
jamais un enfant dire : « Je monte sur l'arbre cra j'ai envie
de manger des cerises » Si, par hasard, sous l'effet d'on ne sait quelle
inattention il prononçait cra, vous le verriez aussitôt se mordre les
lèvres parce qu'il sent bien, immédiatement, qu'il commet une erreur, et il la
corrigera.
Si donc
l'enseignement de la langue se faisait, comme dans la pédagogie Freinet, selon ce même
processus naturel, il ne devrait jamais y avoir de dyslexiques. C'est ce que constate
l'unanimité de nos adhérents, dans une expérience qui porte sur au moins un million
d'enfants. Et ce même processus guérit les dyslexiques à condition que le mal ne soit
pas pris trop tard.
Comment
expliquer cela ?
Les
méthodes traditionnelles partent de la syllabe et des mots, dont on acquiert,
mécaniquement l'orthographe et l'usage. Mais ces mots, sont à l'origine, dépourvus de
sens et donc de but. Qu'aurait d'ailleurs. à comprendre l'enfant à un de ces textes
montés de toutes pièces par les adultes et qui n'ont que le tort de ne rien signifier.
« Annie
va à Ninove. A Ninove, Annie a vu une avenue ».
Et si
d'aucuns disent que c'est là du passé et qu'on fait tout de même moins inintelligent,
nous répondrons qu'il ne suffit pas que des mots signifient quelque chose pour être
considérés comme tests par ceux, qui devraient s'en servir. Encore faut-il qu'ils
accrochent par quelque point sensible à la vie de ceux à qui ils sont destinés, et
qu'ils participent à cette vie, ce qui n'est que très rarement le cas.
Alors, l'enfant enregistre ces mots et ces phrases comme des
pièces gratuites de mécaniques, et peu lui importe alors qu'il prononce cra ou
car, ni qu'il écrive on ou no. Et l'erreur s'inscrira dans les
techniques de vie de l'individu, au hasard des rencontres et des tendances, suscitant une
maladie qui risque fort d'être inguérissable.
D'autres
ont prétendu que c'est la méthode globale qui est coupable de la recrudescence de
dyslexie, l'attention presque exclusive qu'on porte à la phrase ne permettant pas une
photographie suffisamment correcte du mot.
La méthode
naturelle n'a que faire de cette compartimentation des procédés. Elle est tout à la
fois analytique et globale. L'enfant ne cherche pas seulement le sens des mots, avec
l'espoir que ces sens mis bout à bout, parviennent à constituer une phrase intelligible.
Non, comme dans le langage, le mot, le plus correct possible, se meut dans le sens de la
phrase qui, elle, reste déterminante. L'enfant ajuste ses mots à la mesure du sens de
ses phrases. Il ne peut pas y avoir de dyslexie.
Ce n'est
pas par l'étude spéciale de mots et de sons, ni par leur répétition mécanique qu'on
guérira la maladie, mais en donnant vie aux phrases et aux mots. Nous sommes de ce fait
très sceptiques sur la portée des traitements actuels, à base d'exercices divers qui ne
replacent jamais le mot dans son contexte de vie.
Parmi
divers cas que nous avons eu à traiter, nous en avons un qui nous sera un probant
enseignement.
X est un grand garçon de 13 ans qui nous a été confié l'an dernier, à 12 ans, comme dyslexique incurable. C'est à peine s'il distinguait quelques mots. Il était en tous cas incapable de lire. Sa copie était totalement illisible. Les n ou m comportaient un nombre de jambes absolument fantaisiste et les autres lettres étaient informes. A cause des erreurs de méthode accumulées, tant à 1 école de son enfance que dans l'établissement pour dyslexiques qu'il avait fréquenté, X.. n'imaginait pas que ce qu'il copiait et ce qu'on lui faisait lire puisse avoir un sens. C'était pour lire quelque chose de spécifiquement scolaire, qui ne pouvait avoir de valeur qu'à l'école. D'où un désintérêt total pour tout ce qu'il lisait ou écrivait.
Il nous a
fallu plus d'un an pour lui faire acquérir ce sens d'une fonction vivante de la lecture
et de l'écriture. L'enfant aujourd'hui rédige ses textes, sans aucune apparence de
dyslexie, il lit de même, avec une prédominance globale qui l'amène peu à peu à
l'expression correcte par le texte.
Et pourtant
X.. est très normalement doué, pour ne pas dire peut-être légèrement supérieur à la
normale pour tout ce qui, hors de lEcole, intéresse sa vie. Il a un bon sens à
toute épreuve. Si vous l'entendiez parler avec éloquence et sentiment de sa Corse
natale, vous n'imagineriez jamais que c'était, pour les spécialistes en dyslexie, un cas
désespéré.
Seulement,
et c'est grave : les fausses manuvres scolaires avaient abêti l'enfant,
paralysant ses tendances naturelles à l'expression en le persuadant qu'il était un
déficient et un incapable, ce qui était totalement faux.
Cet enfant
est aujourd'hui sauvé, mais il aura fallu près de deux ans pour parvenir à ce résultat
qui, pour se consolider, demandera maintenant une longue convalescence.
Ceci dit
pour rassurer quelque peu les parents qui ont des enfants dyslexiques. Non pas qu'ils
doivent considérer la maladie comme bénigne et laisser s'aggraver les méfaits des
méthodes qui sont à l'origine de la maladie.
Vos enfants
peuvent tous être guéris. Mais ce sont d'abord les méthodes scolaires qu'il faut
changer. Que les éducateurs y pensent aussi. Ils y gagneront tout à la fois, doute et
espoir.
Contrairement
aux diverses maladies à évolution violente et rapide, le scolastisme serait plutôt une
maladie de dégénérescence. La plante déracinée et transplantée, à laquelle on ne
donne pas, en temps voulu la nourriture et l'eau qui lui sont nécessaires, va
s'affaiblissant, surtout si, de plus, elle se trouve dans un climat qui ne lui convient
pas. Elle n'est pas vraiment malade, mais elle perd de sa vigueur, ses feuilles n'ont plus
d'éclat, les fleurs n'arrivent pas à éclore, se fanent et tombent avant d'avoir rempli
leur fonction. Dans cet état de faiblesse croissante, la plante est évidemment sujette
à diverses maladies qui l'atteindront de préférence, peut-être même jusqu'à
l'emporter.
On sait comment a été découverte cette autre maladie qu'on a
appelée l'hospitalisme.
Selon les
données d'une science médicale non intégrée à la vie, les nouveaux-nés dans les
cliniques étaient séparés de leurs mamans dès leur naissance et plus tard, dès qu'ils
avaient satisfait à la fonction physiologique de la tétée.
Tout était
propre et ordonné selon la plus rigoureuse des sciences médicales, et pourtant les
enfants dépérissaient. Or, un jour, par erreur, ou par désobéissance aux ordres
reçus, une infirmière laissait plus longtemps que prévu le bébé au sein maternel. O
miracle ! Alors que les enfants élevés scientifiquement devenaient malades et
mourraient, ceux pour qui on avait enfreint la règle prenaient force et vie. Il y eut
heureusement alors des médecins sensibles à l'expérience qui se dirent qu'entre une
pratique régulière qui compromettait la santé des petits enfants et une autre non
conformiste qui les sauvait, il fallait expérimenter pour choisir. On s'aperçut alors
que les enfants abusivement séparés de leur mère étaient atteints d'une maladie qu'on
appela l'hospitalisme parce qu'elle se développait seulement en milieu hospitalier. On en
conclut que le jeune enfant n'a pas seulement besoin d'une nourriture pure, d'une douce
chaleur et d'un long sommeil, mais aussi et surtout d'affection, de chaleur humaine et
d'une présence qui donne sécurité et paix.
L'expression
ancestrale du sein maternel reprenait toute sa signification formative et thérapeutique.
Il en est
de même du scolastisme.
Arrachez
des enfants à leur milieu naturel et à leur famille, même s'ils ne sont pas toujours
aidants à souhait; transplantez-les dans une cour cimentée où les racines ne pourront
pas même pénétrer, dans une classe anonyme et stérile, où rien n'est prévu pour
réchauffer l'âme d'enfants qui ont un besoin inné d'intelligence et de participation,
à défaut d'amitié et de tendresse.
Il y avait
autrefois, en compensation, les parcours réguliers pour se rendre à l'Ecole et en
revenir, les jeux familiers en attendant que la cloche sonne, et les belles parties durant
les récréations. C'est presque pour nous tous, ce qui nous reste de plus clair et de
plus vivifiant comme souvenir d'école. C'était du moins la bouffée d'air, l'ondée
bienfaisante qui nous empêchaient de dépérir et qui nous préservaient alors d'un
scolastisme qui ne se définit pas seulement par la pratique de méthodes traditionnelles,
mais par une déficience autrement déterminante.
Il n'y a
plus aujourd'hui d'antidote.
L'enfant au
village, ou en banlieue, est cueilli à la porte de sa maison par le car anonyme qui le
dépose devant le portail d'une école plus anonyme encore. Ou bien il parcourt à pied
des rues envahies par les machines, où il n'a plus le loisir de rien regarder, ni de
cueillir une fleur ou d'écouter gazouiller un oiseau.
Dès son
entrée dans la cour il se trouve comme mécaniquement aspiré par une masse tournoyante
et bruyante à laquelle aucune personnalité ne saurait résister. Plus d'amis, plus de
maîtres, plus d'animaux, plus un brin d'herbe ni une fleur. C'est la mort.
La classe
elle-même ne pourra que très difficilement se dégager de ce contexte inhumain dont la
malfaisance s'aggrave dans la mesure où la surcharge des classes enlève toute
individualité à ceux - maîtres et élèves qui y sont condamnés.
Plus de
village accueillant, plus de jardins, plus d'artisans, plus de rivière, plus de place
avec ses recoins si propices aux ancestraux jeux de cache-cache. Il n'y a plus pour
meubler les soirées que la froideur des grands ensembles.
Et tout
naturellement, dans ce milieu dévitalisé, l'enfant, comme le bébé arbitrairement
éloigné de la source de vie, dépérit et meurt. Meurt au moins à la pensée, au
sentiment, au cur et à l'idéal sans lesquels aucun être humain ne saurait se
survivre dignement.
Voilà le
diagnostic qui met en cause non seulement l'école elle-même, mais plus encore le milieu
dans lequel cette école va dépérissant. Et la maladie ne sera pas vaincue si
n'interviennent des mesures générales qu'il nous faut réclamer avec insistance.
La
création d'un climat favorable à la vie intime de l'enfant est absolument indispensable.
*
On nous dit
volontiers que de grands progrès ont été faits dans la construction et l'aménagement
des écoles et des classes. Et les parents sont hélas ! sensibles à ces changements
matériels qu'ils ne voient, eux, que de l'extérieur.
C'est à
l'intérieur qu'il faudrait les faire pénétrer, ne serait-ce que quelques instants. Ils
seraient bien vite d'ailleurs édifiés.
Jaurais
voulu en emmener quelques-uns dans cette visite que je fis un jour, il y a quelque sept à
huit ans, dans cette école de la rue Montparnasse à Paris, qui existe certainement
encore, mais sans doute repeinte, car elle en avait besoin.
Par un
porche et un palier sombre et sale, on accédait aux classes qui se trouvaient aux
étages, le rez-de-chaussée était occupé par des salles de gymnastique ou de cantine.
Les classes étaient ce que sont toutes les classes, celles-là sombres et sans horizon.
Je me penchai à la fenêtre et je vis en bas, entre quatre murs hauts comme des
barrières de prison une foule grouillante d'enfants, au milieu desquels circulaient comme
indifférents à leur rôle possible, deux genres de gardes-chiourme en blouse, les
instituteurs de service.
Qu'avaient-ils
fait vraiment pour se trouver ainsi dans cette galère et qui pourrait imaginer que des
hommes puissent garder enthousiasme et gaîté dans un milieu que je comparais malgré moi
au camp de concentration de St-Maximin, (Var), où j'avais été conduit en 1940. La
comparaison n'était d'ailleurs pas à l'avantage de cette école qui me donna le thème
d'une enquête qui se continue - la fosse aux ours.
Ce qu'elle nous a apporté, cette enquête ? je n'en ferai
pas le détail car on m'accuserait de noircir à dessein une situation qui est loin
d'être générale. Ne suffirait-il pas d'ailleurs qu'une telle fosse aux ours existe en
quelque point du territoire pour que tous les hommes de cur et tous les pédagogues
s'émeuvent pour en demander la disparition ?
Hélas !
chaque fosse aux ours a certes ses particularités, mais il existe encore de ces fosses
aux ours dans tant de centres et plus spécialement dans les grands ensembles. Et nul ne
semble s'en émouvoir.
Une de nos
premières adhérentes et de nos plus obstinée militante dans les écoles de villes,
Marie Cassy, nous décrit la situation dans un milieu qu'elle connaît bien :
« Auditorium-scriptorium,
classes trop petites, tables en pente...
Quelle
secrétaire, quel ouvrier, accepterait de rester assis 4 à 5 heures par jour sur trois
lattes de bois ? Quelle secrétaire, quel industriel, quel employé accepterait pour
siège une vague chaise de bois, quand ce n'est pas une chaise de jardin ? C'est
pourtant le sort réservé à bien des instituteurs.
Après
avoir examiné du dehors les beaux groupes scolaires écoles-casernes à cages multiples
toutes pareilles, on commence à en sentir toute l'horreur, tout le caractère
anti-humain, déprimant et désespérant.
L'autre
soir on donnait à la télé la Chartreuse de Parme. Les fenêtres des cellules étaient
fermées d'une planche pour que les prisonniers - supplice supplémentaire - ne voient
qu'un petit morceau de ciel. Les fenêtres des classes sont-elles autrement
conçues ? Pour observer la cour depuis le premier étage, mes enfants du CM2 doivent
se faire la courte échelle.
Meubles
de rangement, classeurs : néant ou trop mal adaptés.
Matériel
d'enseignement : nul ou presque.
Aucun
matériel scientifique dans notre école ouverte il y a 7 ans.
Nous
avons droit à Versailles à :
- 1
stylo-bille par an !
- 1
chaise en planche, 2 tableaux et un bâton de craie par classe plus 6 à 7 F par élève
pour les livres
- 140 F par an de matériel collectif par
classe ! »
Avec cela
on va faire fonctionner l'école gratuite et obligatoire !
C'est tout
un livre qu'il nous faudrait pour citer ici les plaintes dramatiques de tant de maîtres
condamnés à vivre dans ces écoles-casernes, avec ou sans fosse aux ours. Masse
hallucinante de plusieurs milliers d'enfants s'engouffrant et se surexcitant dans des
cours trop étroites, déambulant plusieurs fois par jour dans des escaliers trop sonores,
condamnés à rester assis faute de place pour circuler et d'emplacement pour des travaux
trop scolaires, et, par-dessus le marché, surcharge des classes.
Or, il faut
que nous informions les parents que, au-delà de 25 enfants par classe aucun
travail efficient n'est humainement possible. Notre mot d'ordre : 25 enfants par
classe, lancé par l'Ecole Moderne à notre Congrès d'Aix-en-Provence en 1955 reste
plus que jamais d'actualité.
Au cours de notre Congrès de Nantes en 1957, le Dr de
Mondragon nous avait apporté son témoignage de médecin sur les Conséquences
psychologiques du surpeuplement des classes.
« La
surcharge des classes entraîne des désordres immédiats et collectifs par contagion,
comme dans les phénomènes de foule »
« L'aggravation
de l'instabilité psycho-motrice, dans le cadre des classes surpeuplées, et sous l'effet
de la discipline corrective, a des effets spectaculaires bien connus. Ces enfants
deviennent les « bêtes noires » des maîtres surchargés, non seulement parce
qu'ils dérangent toute la classe, mais encore parce qu'ils les épuisent.
« J'ai
remarqué, chaque fois qu'un enfant consulté en raison de son instabilité, que, dans 75%
des cas, il appartient à une classe surpeuplée.
En
conclusion, je voudrais préciser qu'il serait erroné de dire que l'Ecole surpeuplée
crée l'instabilité de toutes pièces, mais dans la mesure où elle est dépassée
par le nombre elle est incapable d'éduquer la stabilité de l'enfant. Elle accentue les
perturbations motrices latentes, et parfois les provoque.
Si
l'école parvient parfois à produire des enfants sages, elle risque fort, dans les
conditions de surpeuplement où cette production s'est réalisée d'avoir seulement
fabriqué des inhibés, c'est-à-dire des sujets serviles, effacés, sans confiance en
'eux, et donc sans réelle morale civique »
Thérapeutique
envisagée pour lutter contre le scolastisme :
1°. -
Prendre toutes mesures pour que puissent se survivre les dernières écoles de village qui
sont le milieu favori pour une école efficiente et humaine ;
2°. -
Eviter à tout prix dans les constructions nouvelles les grands ensembles
écoles-casernes, dont les maîtres eux-mêmes ne se connaissent pas toujours entre eux
-
considérer comme normale l'école qui ne dépasse pas cinq à six classes ;
- aménager à l'intérieur des grands ensembles des unités
pédagogiques de 5 à 6 classes ;
- diffuser
et populariser le mot d'ordre 25 enfants par classe ;
- aménager
des classes pour une activité moderne ;
- demander
aux éducateurs et aux médecins l'étude méthodique et scientifique de la maladie qu'est
le scolastisme dans toutes ses manifestations et ses conséquences ;
- faire connaître aux parents les conclusions des Médecins pour
la lutte contre ce fléau le scolastisme.
*
AUX
TRÈS GRAVES CONSÉQUENCES :
LES
COMPLEXES ET LES PHOBIES
Les phobies
qui prennent naissance ou se développent à l'Ecole sont la conséquence de troubles
et traumatismes nés d'une mauvaise conception de la discipline du travail.
Elles sont
encore fort mal connues. On les a considérées longtemps comme des lubies de nerveux et
de déséquilibrés. C'est la psychanalyse qui a eu le mérite de montrer qu'elles ont des
causes qu'il est possible ce déceler et d'analyser.
Dans la
pratique, nous sommes rarement en mesure de les déceler nous-mêmes. Elles sont comme ces
cicatrices qui, durant toute notre vie, gêneront nos mouvements et dont nous nous
accommodons tant bien que mal, mais qui nous apparaissent de ce fait comme congénitales,
et donc incurables.
Qui dira
l'importance au point de vue du comportement , d'un bruit, d'un geste ou d'une figure dont
on aura été effrayé dans notre prime enfance ; l'influence des premiers contacts
plus ou moins heureux avec l'école, les peurs et les drames intimes qu'ils
suscitent ; le traumatisme affectif de la première brimade, de la première punition
ou simplement ce sentiment de détresse du jeune enfant qui, à peine sorti de la paisible
cellule familiale, se trouve happé par la masse hallucinante de l'école-caserne ?
Vous allez
avec confiance vers la vie, et, brusquement un choc, une brutale barrière en bloquent le
déroulement. L'échec créera chez vous un sentiment insurmontable de crainte et de
répulsion. Vous vous replierez alors sur vous-mêmes, ou vous contournerez l'obstacle,
selon les processus de tâtonnement expérimental dont nous avons décrit le
fonctionnement dans notre Essai. de Psychologie sensible (Editions de l'Ecole Moderne,
Cannes.).
Vous avez
été effrayé par un chien et la vue d' un chien produira pendant longtemps chez vous -
et peut-être toujours - un sentiment de crainte et de frayeur qui vous enlève toute
audace et contrarie toutes vos initiatives. On vous a forcé un jour à manger un plat qui
vous déplaisait, ou bien on vous l'a présenté dans des circonstances pour vous,
douloureuses. Vous ne pourrez peut-être jamais plus manger de ce plat. Et la répulsion
n'est pas seulement nerveuse ; elle devient même physiologique.
Ces
phobies, et les complexes divers qui en sont la première étape constituent sans doute
l'élément de trouble dominant chez les individus qui ont perdu plus ou moins leur
équilibre vital. Elles suscitent la peur qui paralyse, le doute qui fait hésiter et une
infinité de troubles presque viscéraux qui perturbent gravement le comportement.
La gamme de
ces complexes et phobies est longue et variée. Nous en citerons
quelques-uns !
La
phobie du nombre ou de la foule
Rien n'est
plus obsédant que de se sentir dissoudre dans une foule non structurée où s'anéantit
votre personnalité. L'individu qui réussit dans ses études peut, dans une certaine
mesure dominer le monstre et s'en accommoder. Celui qui vacille déjà sous le coup des
échecs répétés en prend une saturation qui peut aller jusqu'à la phobie et la
névrose. Si encore la classe apparaissait dans cette masse comme un havre de familiarité
et de paix, le mal en serait atténué. Nous n'insisterons jamais assez sur l'influence
déséquilibrante des classes trop chargées, où l'enfant n'a même plus possibilité de
prendre un contact humain avec ses camarades.
THÉRAPEUTIQUE
Nous
n'avons, hélas ! aucune solution scolaire à proposer pour diminuer cette obsession
de la foule. Nous pourrions conseiller aux parents de chercher autant que possible un
logement dans un lieu calme loin du bruit de la rue, avec au moins un restant d'arbres et
de verdure.
Pour l'installation
des écoles elles-mêmes, il nous faut mener campagne contre les écoles-casernes,
proposer comme mot d'ordre aux organisations de parents qu'on ne construise plus de groupe
de plus de 5 - 6 classes, et que, en attendant, on fasse éclater les groupes importants
en unités pédagogiques de 5 à 6 classes.
La
phobie des manuels scolaires
J'ai
personnellement la phobie des accolades dans les livres de classe.
Je garde un
très mauvais souvenir de ces tableaux qui, en fin de chapitres, présentaient en
synthèse apparente la généalogie des rois, les rapports entre les éléments cliniques
étudiés ou les époques géologiques. Pour moi, ces accolades, loin de regrouper des
éléments épars, fermaient totalement les velléités de compréhension synthétique et
produisaient en moi un trouble profond et insurmontable qui n'est pas totalement dissipé
encore. Je ne regarde jamais un écrit qui comporte des accolades.
Et j'ai la
même indigestion, répercutée parfois en phobie, des manuels quels qu'ils soient,
bourrés de textes, d'explications et d'exercices. Toutes mes possibilités de
compréhension se ferment au simple aspect de tels livres. Et la phobie en est encore
accrue aujourd'hui par les traits de couleurs et les gravures techniques dont on les a
surchargés dans le seul souci d'en moderniser l'apparence.
Qu'on mette
ces mêmes documents dans des pages humaines, avec de l'air et du large, et je les lis
avec intérêt.
Nombreux
sont les camarades qui m'ont dit ressentir une phobie identique. Si elle était ainsi
presque générale, nous aurions affaire à une phobie extrêmement grave puisqu'elle
affecte l'outil n°1 de l'Ecole actuelle et , qu'elle influerait alors de ce fait d'une
façon parfois décisive sur le comportement scolaire d'une masse ,scolaire rebelle à
l'Ecole.
Il faut
dire que les éducateurs font bien, inconsciemment sans doute, tout ce qu'il faut pour
nourrir une telle phobie.
Le manuel
est, de par sa conception même, un concentré et tout concentré est, par nature
indigeste. Vous pourrez manger pendant des mois, à chaque repas pommes, raisin ou orange,
la vue du beau fruit mûr excitera toujours votre envie d'y goûter. Mais vous seriez vite
dégoûtés si on vous servait à chaque repas des crêmes ou des sucreries qui engorgent
votre foie et vous donnent la nausée.
Ce sont ces
concentrés qu'on nous sert dans les manuels, et tellement concentrés que nous n'y voyons
qu'une accumulation d'idées et de règles sans lien avec notre besoin de connaître et
d'agir.
Cette tare
du manuel est générale. Nous n'y sommes plus sensibles parce que nous avons été
conditionnés, nous-mêmes à cette forme de littérature. On nous a fait croire que ces
notions à apprendre sont l'essentiel et qu'elles préparent et permettent la
compréhension qui viendra plus tard. Mais, en attendant nous en, avons une irréductible
indigestion.
Les parents
eux, respectent les manuels parce qu'on les a persuadés qu'ils sont le seul moyen de
connaissances rapides en vue des examens ; ils n'essaient pas de comprendre. Ils croient
que ce qui est savant est incompréhensible et ils veulent leurs enfants savants.
Tous les
manuels, à tous les degrés, sont à reconsidérer à ce point de vue, et ils le seront
si, citations en mains, nous savons, psychologiquement, psychiquement et mentalement,
montrer leur malfaisance. La technique de la programmation dans laquelle nous nous
engageons nous y aidera car elle nous oblige à préparer pour les enfants du travail à
leur mesure.
Pour cette
critique, débarrassons-nous un instant - si cela nous est possible - de cette optique de
pédagogues traditionnels. Essayons de nous faire une âme, et des yeux d'enfants. Ou
plutôt il ne faudrait pas que cette opération soit menée par nous qui, pour diverses
raisons, avons été conditionnés très tôt à la scolastique et y avons réussi, du
moins pour les acquisitions exigées par les programmes et les examens. Mettons nous à la
place de cette masse d'enfants non conditionnés ou mal conditionnés à la scolastique et
qui y échouent régulièrement.
Et
n'oublions pas que cette épreuve serait sans grande gravité si elle se déroulait dans
un climat de confiance et d'intelligence. Quand je faisais lire à mon Joseph de
Bar-sur-Loup, le tableau mural Boscher avec une suite de mots sans sens :
Ri-ri-a-vu-la-virole
il m'interrogeait :
- Que ça veut dire : vu-la.
Il essayait encore de comprendre. Tout nétait pas
perdu. Mais, hélas ! le livre de lecture n'est pas fait pour être compris mais
seulement pour être lu, copié et pour imposer des exercices. Si nous-mêmes essayions de
comprendre, aucun manuel ne trouverait grâce devant notre souci essentiel d'être clair
et, vivant.
Pénétrés
de ce souci de servir avant tout la compréhension et la vie, prenez un manuel, n'importe
lequel, et vous aurez des exemples à citer qui vous donneront à réfléchir et à
mesurer l'erreur dont nous sommes malgré nous complices. Imposer aux enfants la lecture
de textes qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils ne comprennent qu'à moitié parce que
dépourvus de sens pour eux, est peut-être la tare capitale de l'Ecole, celle dont
découlent toutes les autres.
Ouvrez un
manuel d'histoire (et pas ancien)
p.
43 : « Au temps des rois, les pauvres gens sont souvent méprisés par les
nobles ».
Ceci pour
des enfants qui ne connaissent aucun des attributs des rois et des nobles, et qui ne
savent pas ce que c'est que mépriser.
p. 47 : « Le 14 juillet 1789, le peuple de Paris se
révolte et s'empare de la Bastille », pour des enfants qui ne situent pas
encore bien consciemment 1789 et qui voient mal le peuple prenant la
Bastille.
Et d'un
manuel d'histoire CE1 et 2
p 3 : « Les Gaulois furent soumis aux
Romains pendant plus de 400 ans. Ils se révoltèrent plusieurs fois ».
p.
29 :: « En 1789, les Français veulent régler les affaires de l'État,
et supprimer les privilèges de la noblesse et du clergé ».
p. 30 : « En 1789, le roi cherche à
conserver l'Ancien Régime... »
p.
49 : « La 3e République dont la Constitution est votée
en 1875 par une assemblée royaliste, se renforce peu à peu et résiste à
tous les assauts ».
D'un autre
livre encore :
p.
11 : « Les rois francs sont souvent cruels et, bientôt incapables. Ils
sont pourtant de bons ministres, tel le célèbre orfèvre saint
Eloi ».
... « Après
avoir triomphé des Girondins, les montagnards dirigent la Convention ».
Les manuels
de grammaire sont tout aussi formels et hermétiques (pour les enfants et pour ceux qui,
comme moi ont la tare de ne rien comprendre à la grammaire).
p. 67 d'un
manuel de grammaire pourtant d'avant-garde :
« Cherchez
cinq verbes commençant par entre et indiquant des actions réciproques (vous pouvez vous
servir du dictionnaire). Faites une phrase avec chacun d'eux ».
Et voici un
résumé à apprendre :
« Deux
sortes de pronoms personnels peuvent s'accrocher étroitement au verbe : les pronoms
sujets et certains autres pronoms lorsqu'ils désignent le même être ou la même chose
que le sujet (ex. : il se rattrape). Ils servent à conjuguer le verbe, c'est
pourquoi on les appelle pronoms de conjugaison. Selon la valeur du pronom qui est
accroché à eux, on distingue les verbes essentiellement pronominaux, les pronominaux
réfléchis, et les pronominaux réciproques ».
Avez-vous
compris ? Moi pas. Et c'est pourquoi j'estime que c'est une mauvaise action d'en
imposer l'étude à des enfants qui n'y comprennent certainement pas plus que moi.
Je
feuilletais ces temps-ci un manuel de grammaire reçu en spécimen. Parmi les innombrables
pages bourrées dexercices que j'ai parfois de la peine à faire moi-même, ou de
ces exercices à trou dont j'ai la phobie, je découvre un exercice pas méchant :
« Mettez
les verbes suivants à la forme interrogative :
Il parle
parle-t-il ?
Il chante
chante-t-il ?
Et il
scie...
Ce qui
donne : scie-t-il ?
Un
véritable barbarisme que nul ne prononcera sans rire.
Dans un
livre de leçons de choses, récent lui-aussi, nous trouvons, pour des enfants du CM Ire
année, une leçon sur La lampe à pétrole, instrument aujourd'hui préhistorique
puisqu'on ne le trouve plus que chez les antiquaires. Mais peut-être bien que le auteurs
de ces manuels nouvelle édition ont fait comme certains instituteurs désabusés. Ils ont
passé tout simplement une page de préparation de classe de 1920 !
Le mal est
autrement grave au-delà du 1er degré, dans les CEG et le 2e degré.
Des
camarades CEG m'envoient copie de quelque pages des manuels en usage, en m'avertissant n'y
comprennent rien, que personne n'y comprend rien et que donc on en est réduit à faire
copier et à fait réciter par cur.
Voici quelques spécimens, qui ne sont pas, hélas !
l'exception.
D'un
livre de Maths (5e du Lycée).
Règle :
Le produit d'une somme par une différence est égal à un polynôme arithmétique dont
les termes additifs sont les produits des termes de la somme par le premier terme de la
différence, et les termes soustractifs les produits des termes de la somme par le 2e
terme de la différence.
Et l'on
parle parfois de catéchisme...
Des
définitions pour la 5e :
Les
nombres égaux caractérisent des ensembles entre lesquels on peut établir une relation
biunivoque.
Dénombrer
un ensemble ou compter les éléments d'un ensemble, c'est établir une correspondance
entre le début de la suite des nombres. et des éléments de l'ensemble donné.
Pour
extraire la racine carrée d'un nombre
1° On
partage le nombre donné en tranches de deux chiffres à partir de la virgule et de chaque
côté de celle-ci.
La première tranche à gauche peut n'avoir qu'un chiffre.
Lorsque
le nombre donné est un nombre décimal, si la dernière tranche à droite n'a qu'un
chiffre on la complète avec un zéro.
2°. On
extrait la racine carrée de la première tranche à gauche. On obtient le premier chiffre
de la racine et l'on soustrait de la première tranche le carré de ce chiffre. C'est le
premier reste partiel.
A droite
de ce reste on abaisse la seconde tranche, on sépare par un point le dernier chiffre à
droite.
Et ainsi de
suite.
Le mal est
international, comme est international l'usage des manuels scolaires.
Un correspondant suisse (Canton de Vaud) nous écrit :
« Je ne puis vous envoyer de textes de livres
incompréhensibles aux enfants, car il faudrait vous envoyer tout ce qui a paru ces vingt
dernières années ».
La
Belgique, elle, semble avoir résolu, théoriquement du moins, quelques-uns des principaux
problèmes scolaires. Pratiquement rien n'a été fait ou si peu.
Une maison d'édition belge peut présenter, sous une couverture
plastifiée moderne une Méthode inédite de lecture élémentaire (1963) dont les
illustrations datent incontestablement de 1910 - ce qui veut dire sans doute que le texte
est de la même époque (seule la couverture est modernisée).
« Malgré la mise à jour des textes de manuels de lecture
en 1re année (donc CP) nous
écrit un correspondant belge, on rencontre encore dans les plus récents ouvrages des
perles de ce genre :
Révision des sons : ec - el - es
L'escargot
n'a pas de bec
Le ver
n'a pas de fer
Verse du
sel
Mes
vestons sont secs
»
Et voici
extrait d'un autre livret de lecture analytique cette fois - édition 1948 - quelques phrases
dont nous croyions, nous Français, avoir le privilège
p. 22 :
N° 3 : Le pantalon est un vêtement; il entoure les
jambes ; le paletot est un vêtement ; il couvre la poitrine et le dos.
N° 4 :
Sois économe ; ne dépense pas tout ton revenu tu te feras des rentes et tu vivras
content et à l'aise.
p. 38
n°1 :
La scrofule est une maladie; le scrofuleux a des scrofules. L'huile de foie de morue est
un remède contre les scrofules.
n°
4 : N'étouffons pas cette voix qu'on nomme le scrupule ; elle nous montre le
danger de certains actes, de pensées malsaines, de désirs coupables ».
*
Quelles
sont les conséquences possibles et inévitables de telles erreurs ?
Comment
voulez-vous que les enfants ne prennent pas une indigestion, qui dégénère en phobie, de
livres qui ne signifient rien pour leur propre vie, si tant est qu'ils en comprennent
vaguement le sens. Que deviendriez-vous vous-mêmes si on vous imposait ce régime ?
Vous l'accepteriez peut-être parce que vous y avez été conditionnés, mais vous
comprendriez bien que le procédé n'est ni humain ni intelligent,
M.
François Walter, fondateur de Défense de la jeunesse scolaire, adresse aux
parents et aux éducateurs cet appel pathétique :
« Je
vous en adjure : n'opposez pas de préalable à l'élimination de ce qui dans
l'enseignement actuel, est fou, proprement fou. Il est fou de faire apprendre à des
enfants de 7e des leçons qui dépassent les connaissances des adultes non
spécialisés; il est fou et il est inhumain, lorsque les médecins ont parfaitement
établi que l'enfant normal de six et sept ans est capable de deux heures de travail
intellectuel par jour, de doubler et plus que doubler la ration, alors que nous adultes,
nous ne sommes guère capables d'écouter en général plus de 20 minutes... je
pense qu'il n'y a pas de préalable à l'élimination du démentiel, il n'y a pas de
préalable à un retour au bon sens ».
*
Que
proposer comme thérapeutique ?
- Rendre le
livre aimable et intelligent, et nous y pourvoyons par nos méthodes naturelles où le
livre reprend sa vraie fonction et cesse d'être manuel.
- Faire
obligatoirement expérimenter et contrôler les manuels par des enfants afin d'en
éliminer radicalement, comme nous le faisons pour nos Brochures Bibliothèque de
Travail les mots, les phrases, les explications qui ne sont pas parfaitement compris
par les enfants et qui, de ce fait, sont inutiles et nuisibles.
--Demander
l'aménagement urgent des programmes scolaires.
Interdire la copie passive de pages de manuels qui ne signifie
rien dans les processus normaux d'apprentissage.
*
LES PHOBIES
SUSCITEES PAR LES PUNITIONS
Comme le
« scolastisme », la phobie des manuels est une maladie à imprégnation lente,
qui ne résulte que rarement d'un traumatisme plus ou moins violent, et dont les
conséquences, souvent inconscientes, sont difficilement mesurables.
Il n'en est
pas de même des phobies suscitées les punitions qui sont les conséquences de chocs
affectifs et parfois même physiques dont il est de notre devoir de délivrer l'école.
Le mot
lui-même de punition devrait être exclu du langage scolaire, comme on a tendance
à l'exclure du langage judiciaire pour l'enfance et la jeunesse délinquante.
La punition est fille du péché originel de la tradition catholique, qui charge l'individu de tares dont il n'est pas responsable et pour lesquelles on lui demande cependant réparation. On n'essaie pas d'agir sur les enfants par le biais positif en exaltant ce qu'ils portent en eux de dynamique et de constructif. Le but profond est de les mortifier pour les délivrer du mal.
Mais les
laïques de 1964 récuseront cette justification. Ils ne croient peut-être plus au
péché originel, mais ils n'en sont pas moins persuadés que les enfants ont un penchant
au mal et à l'erreur et qu'on ne les en délivrera que par la règle stricte et surtout
les sanctions permanentes et sévères. Loin de leur esprit l'idée que ces enfants
puissent être en mesure de vivre avec intelligence et décider eux-mêmes de leurs actes.
Parents et maîtres ne se posent même pas la question. Toutes les méthodes qu'on leur a
enseignées sont des méthodes oppressives, garantissant l'autorité de l'adulte et qui
nécessitent les punitions. Trop souvent, ils puisent au hasard dans l'arsenal plus ou
moins licite que les générations leur ont légué.
Les
punitions sont donc monnaie courante à la maison et à l'école où rares sont les
éducateurs qui ne les infligent pas ou ont quelques remords à les imposer s'ils y sont
contraints par les conditions anormales de fonctionnement. Tout l'appareil administratif
de l'Ecole fonctionne sur les données : devoirs, leçons, obligation, contrôles,
sanctions, récompensés et punitions. Il semble que les adultes soient persuadés
qu'aucun progrès scolaire ni aucune culture ne sauraient se conquérir sans ces
obligations affligeantes.
On dit
certes : on a toujours pratiqué ainsi et les enfants n'en étaient pas pour autant
plus complexés et déprimés qu'aujourd'hui. En apparence, peut-être, mais il faut là
tenir compte des conjonctures actuelles différentes de celles du passé. jusqu'au début
du siècle les punitions et même les coups étaient courants avec les enfants. Nul ne se
formalisait d'une gifle bien administrée et les jeunes apprentis ouvriers apprenaient
leur métier à coups de taloches ou de bâton. Les parents, eux-mêmes étaient bien
contraints de supporter les humiliations et les sévices des employeurs et des patrons.
Tout était dans la norme des choses pour le peuple, éternel opprimé.
Depuis, le
travailleur a conquis une relative indépendance et une élémentaire dignité. Il y a
donc là, progrès évident qui se répercute dans la famille dont chaque membre est
solidaire de la même liberté conquise et chèrement gagnée.
Ce progrès, malheureusement, ne s'est pas encore répercuté à l'école où les enfants et les maîtres s'affrontent sous le signe de l'inégalité, du savoir et de l'autorité. D'où les heurts inévitables si ne change l'esprit de rapports de l'adulte et de l'enfant. Si les châtiments corporels systématiques ont disparu, les punitions corporelles restent de pratique courante. L'enfant habitué à plus d'égards est beaucoup plus traumatisé quautrefois par les disciplines coercitives. On peut dire que sur le plan de la discipline le retard scolaire est plus catastrophique encore que dans le domaine purement pédagogique. Ces pratiques seraient définitivement condamnées si on en dénonçait ouvertement la permanence, l'inutilité et la malfaisance et surtout si on savait qu'il est à la portée des maîtres excédés, des solutions de remplacement telles que celles qui sont pratiquées par notre pédagogie d'Ecole Moderne libératrice des pouvoirs des personnalités de l'enfant et de l'adulte.
Dans les
conflits entre élèves et maîtres qui appellent la sanction brutale, les instituteurs et
les professeurs sont-ils responsables ? Il semble que l'on doive souvent invoquer à
leur endroit les circonstances atténuantes : Ils sont responsables à la manière de
l'ouvrier qui fabrique en usine des armes meurtrières. Ils sont pris dans une mécanique
opprimante dont ils ne tiennent pas lès commandes et dont ils ne peuvent se dégager.
Instituteurs et professeurs sont intégrés à une pédagogie qui suppose autorité
formelle, obéissance et sanctions. Ils en sont victimes autant que les élèves. Ils en
prennent lentement conscience mais tout le monde n'a pas la vocation éducatrice pour
faire le redressement nécessaire et chacun sait que le problème est avant tout un
problème de masse. C'est à l'ensemble des tares de la fonction enseignante qu'il faut
s'attaquer.
Il nous
faut dénoncer tout l'appareil pédagogique et social qui prépare, nourrit et justifie
des pratiques anormales au service d'un milieu autoritaire et oppressif.
Nous ne
devons pas oublier - et il faudrait en informer le public et tout spécialement les
syndicats que si l'on entasse dans une classe démunie d'outils de travail, 30, 40 ou 50
enfants auxquels l'instituteur, souvent débutant, doit enseigner ce qu'exigent les
programmes, alors qu'il n'a d'autres recours pour remplir sa fonction que l'autorité et
la contrainte on court à un désastre.
Certes,
l'on peut alléguer que la contrainte s'humanise. Non, on n'innove pas en fait de
contrainte et notre XXe siècle avec ses procédés d'extermination rivalise
avec les pratiques employées dans les périodes les plus reculées et les plus barbares.
L'Ecole non
plus n'innove pas. La liste des punitions qui restent encore de pratique courante rappelle
celle des sévices employés par les jésuites il y a quelques siècles. Le contexte, en
apparence, s'est allégé de rigueurs excessives, mais les enfants aujourd'hui plus
fragiles en sont beaucoup plus traumatisés.
Les
punitions les plus courantes parce que les plus facilement administrées et contrôlables
sont les copies, les verbes à conjuguer, les lignes, le par cur.
On connaît les critiques sévères que l'on peut faire à la
pratique des copies répétées «( Vous me le copierez 20 fois, 50 fois,
100 fois... ) détérioration de l'attention, de l'écriture, de l'effort sous tous
ses aspects physiques et moraux, dégradation de la personnalité, vouée à la rancune et
à la haine, temps perdu à jamais dégoût définitif des pratiques scolaires humiliantes
et perturbantes. Les mêmes reproches sont à adresser aux verbes « conjugués dans
les formes les plus malencontreusement suggestives (« Je me comporte comme un
dégoûtant je bavarde en classe pendant la leçon... ») et aux lignes, prises
au hasard d'un manuel scolaire et qui sont prétexte à commerce à l'intérieur de la
communauté scolaire soumise aux mêmes malheurs du rabachage (« Vends-moi pour
100 F de lignes... » car bien sûr, il y a un tarif instauré par les plus
malins...
Ne parlons
pas du par-cur dont la pratique illustre à l'infini, cette foire aux cancres qui
est la condamnation même de la scolastique.
Evidemment,
le maître en proie aux enfants se défend comme il peut et cet état de fait explique en
partie la persistance de certaines pratiques qui frisent le sadisme : piquet, anodin
en apparence, bonnet d'âne, pancarte dans le dos, bouche fermée au scotch, etc... Ces
punitions dégradantes sont de plus imposées dans une atmosphère coercitive et
perturbante qui en aggrave les dangers et qui s'instaure dans les classes surchargées et
fatalement déshumanisées - notes et classements toujours défavorables à ceux des
élèves qui, ayant le plus de difficultés scolaires devraient être les plus
aidés ; mise en rang à l'entrée et à la sortie, bras croisés, mains sur la
tête, station debout, etc... conditionnement permanent qui est la négation même de la
tâche éducative.
Il sera
trop facile à nos collègues et même aux parents de compléter cette information que
nous voulons à dessein sobre et démonstrative. Quant aux lecteurs qui seraient surpris
de nos informations, nous pouvons les assurer que nous restons ici bien au-dessous de la
triste réalité.
L'enfant à
l'Ecole vit dans un monde d'interdit qui le façonne et le déshumanise. Et tout cela
parai si normal que nous pouvons lire dans un Carnet de correspondance, édité
pourtant par une maison laïque cette liste qui se passe de commentaires :
Il est
interdit aux élèves :
-de
pénétrer dans les salles de classe pendant les récréations ;
-d'ouvrir
ou fermer les fenêtres ;
-de
toucher sans permission au matériel d'Enseignement, aux ustensiles ou appareils
installés dans l'Ecole ;
-d'apporter
à l'Ecole :: couteaux, ciseaux, épingles, bouteilles, pistolets, amorces et, d'une
façon générale, tous objets dangereux ou susceptibles d'occasionner des
blessures ;
-de gesticuler avec des canifs ou des compas dont l'emploi n'est
autorisé que pendant les leçons de dessin ;
-de jouer avec des règles, plumes et crayons, de les porter à
la bouche ou à l'oreille ;
-de
boire à la fontaine ;
-de
rester immobiles en plein soleil ou quand il fait froid ;
-de
tirer, pousser, bousculer, frapper ou pincer des camarade ;s
-de se
livrer à des jeux violents et de nature à causer des accidents, de courir à grande
vitesse, glisser en hiver, jeter des pierres ou autres projectiles, grimper sur les
arbres, se suspendre aux branches, aux portiques aux saillies des fenêtres, des portes,
des murs.
Ne
serait-il pas intéressant d'avoir en contrepartie la liste de ce que l'enfant est
autorisé à faire pour suivre régulièrement son tâtonnement expérimenta1 en vue de
devenir un homme capable d'affronter la vie.
Les
conséquences : On les devine perturbatrice d'équilibre physiologique et moral.
Il appartiendra aux parents et aux médecins d'étudier dans le détail, expérimentalement et scientifiquement les conséquences psychiques, intellectuelles, sociales et physiologiques de ces pratiques dont la gravité n'échappe à personne.
Pour donner
un aperçu du tragique de la situation de certaines classes, donnons quelques
exemples :
« Ma
fille, écrit une correspondante institutrice, est dans un CE2. L'an dernier, elle
était au CE1 dirigé par la même institutrice. J'ai dû la faire soigner par un
excellent médecin-homéopathe (qui a compris son problème), car elle souffrait
d'insomnies que j'attribue à la crainte maladive qu'elle avait de sa maîtresse.
-
Passivité de l'élève - cela va de soi. On ne doit pas bouger les pieds.
- Ni
aller au cabinet (punition).
-
Récitation par cur (oh ! supplices des tables).
- Cahier
de punitions - Tours de Cours
et je me
suis fâchée, car j'ai vu une gosse de 8 ans se promener avec son cahier agrafé dans le
dos ».
Autres résultats des punitions, selon une autre collègue :
Gosses
craintifs, n'osant pas parler à la maîtresse, manquant totalement de confiance en eux,
ou, au contraire, gosses butés, se moquant de tout.
« Mon
orthographe est toujours minable, écrit un élève, comme la maîtresse crie très
fort, je prends peur et chaque dictée est un calvaire pour moi... »
Voici
d'ailleurs ce qu'en dit le Dr de Mondragon :
« Ces
sentiments de faute, ces sentiments d'échec, aboutissent à l'extinction de tous les
élans, à un repliement affectif, à une mauvaise conscience, à une « mise en
prison » intérieure. L'enfant à la maison sera triste, il devra être relancé
pour ses devoirs, il ne cherchera pas à les exécuter rapidement afin d'avoir droit aux
jeux vis-à-vis desquels il aura mauvaise conscience : il se les interdira donc...
Il aura
la même mauvaise conscience vis-à-vis de l'affection manifestée chez ses parents ;
ne la méritant plus, il la fuira et sera même opposant pour s'attirer des punitions qui
le soulageront ».
Le mal, ici
aussi est international.
Une de nos
bonnes camarades belges nous entretient de son petit-fils :
« Pierre
était très content. Chaque matin, il était impatient de partir pour l'école. Il aimait
bien son maître et admirait sa façon de remplir le tableau de sa belle écriture. Nous
étions assez satisfaits, de temps en temps on faisait en classe un texte collectif (un
sur 15 jours) sur une bête ou une plante, Pierre s'en tirait sauf pour l'écriture
avec une fine plume ballon sur des lignes. Fin septembre, le bulletin arriva 87%, très
bien, tout le monde était content.
Malheureusement,
cela ne devait pas durer. Il fallut copier des pages du livre de lecture, faire des
exercices de grammaire et fin octobre les compositions rapportent du 72%, en novembre du
65% et en décembre du 55%, sans compter
les coliques que Pierre endurait chaque fois. A la fin, il ne voulait plus se lever le
matin ; chaque soir nous perdions patience pour lui faire faire son devoir, tous ses
travaux de la classe étaient incomplets. Il disait, je suis le plus bête de la classe,
personne ne m'aime. A la maison, il était turbulent et insupportable ; il lançait
tout en l'air, ne s'amusait plus à jouer à rien. Quand unbeau jour, sa maman découvrit
dans son cartable, des pages couvertes d'écriture, une punition ! Et quelle
punition ! 150 fois : « Je suis un grand fainéant ».
Nous
voilà outrées, désespérées...
Nous
décidons de le remettre en première année en lui expliquant que de cette façon, il
pourrait plus facilement terminer ses travaux. Le directeur était plutôt content, il
avait l'accepté en deuxième avec beaucoup de rétiscence, quant à son instituteur, il
déclara que pour le travail oral Pierre faisait facilement du 85%, mais que pour toutes
les applications écrites, il était nul.
Après
un mois de travail relativement heureux dans cette première année, Pierre reçoit son
bulletin : 92%. Mais déjà, l'entrain se tasse. Il arrive en retard le matin
et il doit faire une punition parce qu'il n'a pas fini et qu'il nest pas soigneux.
Il avait à écrire une page de VE et de NE, les trois premières lignes
étaient calligraphiées et le reste très mal écrit, il doit recommencer mais pour cela,
il lambine et n'arrive pas à terminer, d'où la punition. Et maintenant Pierre a souvent
mal à la tête, il est réellement souffrant, sa maman le met au lit et il dort une
demi-journée. Il dit d'ailleurs tout naturellement « j'ai mal à la tête,
mais ce n'est rien c'est parce que je n'aime pas aller à l'école ».
A une époque où va sans cesse croissant le pouvoir des syndicats et des partis politiques, alors que l'on parle partout dans le monde de démocratie et de liberté ; alors qu'on se bat aux USA pour supprimer la ségrégation raciale, nos enfants, avec une sorte de complicité tacite de l'adulte, sont souvent conduits avec une inhumanité qui relève du Moyen Age. Certes, ils ne sont pas, comme le serf, à la merci du tyran, mais que de colères, de gestes de haine, d'insultes, de menaces proférés à l'encontre d'un maître indifférent à leur malheur
La thérapeutique :
Elle va de
soi : humaniser l'école. Notre pédagogie, soucieuse de la personnalité de l'enfant
nous permet sans risque d'échecs, de dénouer les drames les plus poignants de la
communauté scolaire. Il suffit de redonner à l'enfant confiance, sécurité, intérêt
vital. Il suffit d'instaurer des rapports nouveaux entre maître et élèves, rapports qui
sous-entendent une reconsidération de toute la tâche enseignante. Il faut donc, de plus
en plus, diffuser les mots d'ordre qui orientent ce changement de pédagogie des
masses :
-Rendre les
punitions inutiles par une pédagogie moderne, s'appuyant sur de nouvelles formes de
travail et de vie coopérative et humaine ;
-25 élèves par classe ;
-aménagement
des classes pour le travail de libre activité scolaire ;
-interdiction
de punitions dégradantes pour la personnalité des enfants et celle du maître ;
-prise en considération des intérêts profonds de l'enfant pour
instaurer une pédagogie vraiment à la mesure de l'enfant (cf L'Education du Travail
(L'Education du Travail par C. Freinet, Ed. Delachaux-Niestlé, Paris.)
L'atmosphère
coercitive de l'école traditionnelle, la pratique, hélas ! encore généralisée
des punitions, les plus retardataires et les plus inhumaines, déclenchent des réflexes
d'opposition et de phobie, d'inhibition, dont seule la psychanalyse peut dans certains cas
révéler les tristes conséquences. Mais il est, de cet ensemble péjoratif une
résultante déjà caractérisée et que nous appellerons l'anorexie scolaire.
Vous avez
sans doute connu - si ce n'est même dans votre famille - des enfants qui, pour des causes
diverses, ne peuvent plus manger. On dit parfois que c'est mental, nerveux ou psychique,
mais la maladie n'en affecte pas moins le physiologique. L'enfant ne peut avaler aucune
nourriture, et si, par des efforts surhumains il y parvient, il est pris d'envie de vomir
aussitôt ou ressentira les symptômes d'une indigestion.
C'est
évidemment une des maladies les plus graves et les plus déconcertantes qui puissent
affecter un individu qui se coupe ainsi radicalement de ses sources de vie.
Le même
réflexe se produit exactement dans certains cas pour tout ce qui concerne l'étude, la
compréhension, la nourriture intellectuelle. L'enfant en est arrivé au dernier stade de
l'effort imposé; il ne peut plus rien ingurgiter de tout ce qu'on lui offre et moins
encore de ce qu'on lui impose - un blocage définitif s'est installé. Toute sollicitation
pour le tirer de cet état inexorable est vaine. C'est là une des maladies les plus
dangereuses parmi celles qui menacent aujourd'hui nos écoliers.
Ecoutez
parler maîtres et parents :
- Les
enfants d'aujourd'hui ne s'intéressent à rien ils ne veulent plus travailler ni faire
aucun effort intellectuel et si on les y oblige, c'est peine perdue car rien ne leur reste
de ce qu'ils ont ingurgité ainsi malgré eux, et dont ils ne gardent qu'une irréductible
indigestion.
Ce sont là
les véritables signes cliniques de l'anorexie.
La maladie
ne date pas d'aujourd'hui. Elle s'est seulement aggravée du fait des exigences anormales
de l'Ecole, des méthodes dévitalisées qui y sont employées. Mais on se refuse
obstinément à prendre conscience de cet état de fait. On préfère affirmer doctement
que l'enfant est inintelligent, qu'il n'a aucune curiosité, que son esprit est paresseux
et bouché, que, dans ces conditions il ne saurait faire le plus infime progrès.
Il nous
faut dévoiler la gravité de l'anorexie scolaire dont psychologues, médecins et
psychiatres devront mesurer les méfaits.
Des remèdes ? Nous en présentons, nous, de majeurs en
donnant un but à l'activité des enfants, en leur permettant de s'affirmer pour prendre
conscience de leur dignité et de leurs pouvoirs, par la création duvres
personnelles qui donnent d'emblée sentiment de confiance et de puissance. Si large est
l'éventail des techniques libératrices que nous proposons, que tous les espoirs sont
permis en faveur de la libération de l'enfant par l'enfant lui-même, sous l'autorité
fraternelle du maître qui sait enfin que le meilleur art d'enseigner est celui qui
délivre un art de vivre.
La
domestication est un processus très lent de détérioration de la personnalité par le
dressage et l'abêtissement.
Il est
exact que l'animal bien domestiqué ne pose que fort peu de problèmes et remplit les
obligations pour lesquelles il a été asservi. Il semble d'ailleurs que les bêtes
élevées au service de l'homme soient satisfaites de leur sort pour peu que les
conditions de nourriture régulière et suffisante soient remplies. Elles se font même,
visiblement, un devoir de satisfaire leur maître. Elles ont été dressées à un
comportement dépendant de son bon vouloir. Dans ce but, on leur a fait perdre,
systématiquement, quelques uns des caractères de leur race pour ne leur laisser que
l'usage des tendances utiles à la domestication. Chose plus grave, cette domestication
marque héréditairement les individus de génération en génération si bien que
l'animal dressé perd progressivement les purs instincts de sa race.
Dans le
milieu humain, la domestication bien que moins ostensiblement affirmée, n'en existe pas
moins sous des formes souvent en apparence bénéfiques. C'est ainsi que le dressage et
l'embrigadement des individus apparaît comme acceptation nécessaire de la règle ou
indispensable souci de socialisation. Dans la communauté des hommes, le plus démuni des
participants, l'enfant, risque de faire les frais de l'aventure.
Essayons
d'entrer dans le processus véritable de ce que l'on peut très souvent appeler sans
exagération, le dressage de l'enfant.
Première
étape : L'enfant, comme l'animal sauvage à apprivoiser, est, par surprise, par
violence ou par trahison, enfermé dans un local approprié pour qu'il s'habitue peu à
peu à renoncer à sa liberté.
Il est des
animaux qui n'acceptent jamais cette privation de liberté et qu'on devra toujours garder
prisonniers derrière des barreaux de fer. Il est des enfants aussi qui sont pris d'une
sorte de désespoir lorsque, à l'aube des premiers jours de classe, la porte se referme
brutalement sur ce qui faisait à leurs yeux la valeur de leur vie. Ils ne guériront
peut-être jamais totalement de ce choc, de cette peur, de cette détresse devant
l'inhumanité d'un acte qui les affecte profondément et qui détermineront chez eux des
réactions conscientes et subconscientes qui se traduiront en complexes, en phobies, en
névroses comme celles que nous avons décrites.
Par notre pédagogie nous évitons ces chocs. Nous ne substituons
pas d'autorité à la vie libre de l'enfant, une cage privative, même si elle est
confortable et fleurie mais une forme de vie et de travail à sa mesure qui sera la
naturelle continuation de la vie dans la famille et dans la rue.
L'enfant conserve ainsi, de sa vie spécifique, tout ce qu'elle a
de bon et de compatible avec le milieu l'entoure. Il s'éduque au lieu de se domestiquer.
Deuxième étape : Avec ou sans brutalité, l'animal
à domestiquer est dressé à agir, non d'après sa propre nature, ses tendances et ses
besoins, mais selon les désirs du maître. Il faut que, peu à peu, s'estompe sa propre
personnalité qui ne se survivra qu'en fonction de la personnalité qui commande. L'animal
sera peu à peu téléguidé. Il ne prendra plus d'initiative. Il servira son maître.
En est-il
autrement pour l'enfant ? Dès l'entrée en classe, le dressage commence pour
lui : alignement dans la cour, marche en rangs, au pas ou sur la pointe des pieds,
silence et bras croisés. Ce sont là les gestes de la domestication qui créent les
réflexes physiques, signes extérieurs de l'asservissement qui est toujours
abêtissement. Il n'y a pas de spectacle plus inhumain que celui d'enfants qui, dans les
petites classes, fonctionnent strictement, tels des marionnettes à la voix et aux gestes
du maître, en refoulant au très fond d'eux mêmes leurs désirs d'audace et
d'espérance, les velléités impératives de leur devenir.
Les adultes
certainement ne mesurent pas à leur valeur les conséquences psychiques de cet
asservissement qu'ils croient indispensable et normal. Ne faut-il pas habituer les enfants
à se taire et à obéir pour vivre en communauté ? Et n'en a-t-il pas toujours
été ainsi au long des siècles ? L'enfant du reste, n'en semble pas tellement
affecté.
Cependant,
là commence le divorce entre l'école et la vie. L'individu qui ne peut imposer ses
désirs, se tait, fait à contrecur ce qu'on lui commande, ruse avec les obligations
trop pénibles, mais s'arrange pour que les apparences soient sauves.. C'est ainsi qu'une
coupure s'établit entre la vie profonde de l'enfant riche de circuits souterrains et son
comportement dans la communauté. C'est toujours la vie qui triomphe. Le courant un
instant refoulé trouvera bien une faille pour s'écouler et ressurgir plus loin, libre
malgré l'autoritarisme des censeurs. Il y aura alors deux vies chez l'enfant, deux vies
contradictoires, deux conceptions de vie, deux techniques de vie, deux modes aussi de
sentir et de penser. Il lui sera désormais difficile de faire ce qu'il aime et d'aimer ce
qu'il fait et ce sera la faillite des méthodes éducatives.
Troisième
étape : C'est la fonction de la scolastique de généraliser la domestication de
l'élève passif par le maître autoritaire et peu enclin à l'indulgence.
Le seul
fait d'imposer à tous les enfants les mêmes gestes, au même rythme, au même moment,
dans la même classe est fatalement domestiquant et destructeur des personnalités. C'est
pourquoi ces procédés de télécommande uniformisés sont employés dans les
casernes et avec aggravation imposés dans les camps de concentration.
En ce qui concerne la pratique de l'enseignement collectif et
autoritaire, on allègue, non sans raison, que c'est là, la seule solution possible pour
une classe effectif surchargé. Il ne faudrait se résoudre à de telles situations qu'en
sachant bien qu'elles sont péjoratives, perturbatrices d'équilibre physiologique et
mental pour les élèves et pour le maître et qu'elles appellent toujours une
reconsidération du problème scolaire.
On ne peut
qu'être scandalisé de la situation des écoles maternelles fonctionnant avec des
effectifs de 40, 50 et même 80 élèves ! Personne n'ignore pourtant la grande
importance des chocs émotionnels au cours de la toute première enfance. Il faut, dès la
maternelle dénoncer le dressage destructeur de sensibilité, d'intelligence individuelle
au profit du robot mécanisé à outrance au commandement du maître.
Les choses ne font d'ailleurs que s'aggraver dans les classes
enfantines où l'obligation de la lecture collective uniformise les réflexes d'attention,
d'élocution, de mémorisation. Au fur et à mesure que s'imposent les obligations
d'acquisition s'accusent les fâcheuses conséquences du dressage collectif à tel point
que c'est toujours de la huitième à la neuvième année que l'enfant désemparé nage à
la dérive sans pouvoir s'accrocher à un intérêt quelconque, sans pouvoir prendre des
habitudes de travail individuel garantes de rendement.
Nous avons
dans notre Ecole Freinet un très grand nombre d'inscriptions d'enfants de 8 à 10 ans
devenus enfants retardés scolaires dans des écoles traditionnelles vouées au dressage
général. C'est à cet âge que les parents prennent enfin conscience de la gravité d'un
problème scolaire dont on ne voit pas la solution.
Un père
d'élève soucieux nous adresse le cahier du jour, de son fils de 7 ans (enfant
intelligent et débrouillard) inscrit au CE Ire année d'une école de Cannes,
avec raison ce père s'inquiète du peu de rendement de son fils pendant les six heures de
classe, alors que cet enfant est à la maison si curieux, si actif, si expéditif dans
toutes ses activités. Sans nul doute, le minime rendement scolaire attente au dynamisme
et à l'ouverture d'une personnalité enfantine et en ruine l'équilibre.
En consultant des cahiers similaires d'enfants venus de tous les
coins de France, j'ai constaté qu'ils témoignaient tous de la même technique
scolastique de portion congrue, donnée miette à miette avec le seul souci d'une
présentation impeccable. Rien qui fasse appel à la curiosité étonnante de la
personnalité enfantine, rien qui l'enrichisse, rien qui lui donne ce sentiment
de dépassement digne d'une éducation véritable.
Je pense à
Jacky, un de nos petits élèves à l'esprit intrépide qui à 8 ans et demi se classe de
lui-même avec les élèves qui préparent la 6e. Il se grise de savoir
nouveau, fonce dans la difficulté, agrandit sans cesse les pouvoirs de sa personnalité,
sans surmenage et redit dans toutes ses lettres à ses parents « je vous
redis qu'ici, c'est l'école du paradis ».
Des
exemples semblables d'enfants doués, comblés par une pédagogie de liberté mettant à
leur portée une gamme très riche de techniques d'expression, tous nos camarades
pourraient en citer. Ce sont ces exemples font comprendre les méfaits de la scolastique
du dressage limitatif de rendement et de savoir et mettent en évidence des tares graves
qui méritent d'être dénoncées.
1°. La
manie des cahiers bien tenus.
On peut
dire que c'est là une maladie générale et qui affecte toutes les écoles du
monde.. Le cahier n'est pas un outil de travail mais seulement un document de faux
contrôle par son tape-à-lil, et son contenu chaque page en est
irréprochable, écriture soignée, titres soulignés, marges respectées, exercices
réussis, note favorable.
L'un de nos
camarades en résume la technique :
« La
dictée est mise au tableau; les enfants en lisent le texte pendant dix minutes, font les
questions, puis on tourne le tableau, et dictée et questions sont mises sur le cahier de
devoir mensuel. L'élève le plus médiocre a 8 ou 9 sur 10.
A
d'autres degrés on prépare paragraphe par paragraphe, parfois même phrase à phrase une
rédaction ; ou bien l'on copie des chapitres entiers de manuels car la scolastique
veut que les cahiers soient impeccables, même s'il faut pour y parvenir torturer encore
davantage les enfants ».
Il faudrait
compter chaque jour le temps si bêtement gaspillé à écrire des titres soulignés, à
compter des carreaux, à effacer des taches, à recommencer un travail peu soigné, à
faire les punitions administrées pour « manque de soin », un gaspillage
honteux de la personnalité de l'enfant.
2°. La désolation d'un enseignement sans perspectives
La manie du
cahier bien tenu oblige l'enfant à se soucier plus de la forme que du contenu.
L'enseignement prodigué par bribes, petites phrases, petits résumés, petits exercices
ne laisse à l'enfant aucune vision d'ensemble des matières enseignées. Ce n'est jamais
qu'un tout petit aspect de la question qu'on lui propose alors que sa curiosité sonde
tous les aspects de l'univers et qu'une documentation abondante lui est prodiguée sous la
forme regrettable des journaux illustrés. Si l'on ajoute à ce parcimonieux travail
scolaire les dangers du par cur on peut vraiment conclure que l'enfant fait effort
en pure perte, en tout cas pour un gain insignifiant.
3°. -
Le bachottage pour examens
Les choses
changent assez vite dès le cours moyen et la 6e, car dès lors les examens
devenus encyclopédiques, exigent un permanent bourrage. Dans certains lycées, l'élève
de 6e prend des notes comme l'étudiant, s'arrange avec ses gribouillages et
son orthographe, apprend par cur des inepties, subit le classement, les punitions,
toutes ces tristes conséquences de la domestication scolaire.
Nous
hésitons à dénoncer ces tares, de crainte que le prestige de notre Ecole laïque en
soit affecté. Hélas ! elle n'en a pas le privilège. Et si nous menions, cette
même enquête dans les écoles confessionnelles, que faudrait-il en dire ?
Partout
dans le monde la situation est la même, car les maladies scolaires déferlent en
permanence sur tous les pays où règne la scolastique.
D'un long
rapport de nos camarades belges sur le surmenage, nous extrayons ces quelques observations
qui résument mal tout l'ensemble :
« Et
toujours la perspective des points. C'est une véritable hantise. Chaque chose est cotée,
et cotée sèchement. Des points ! Des points à tout casser ! L'enfant finit
par sopposer aux professeurs, à l'Ecole. Des conflits naissent. Ajoutons à cela la
fatigue des examens.
...
C'est une véritable hantise : il faut réussir aux examens...
...Du
point de vue de la mémorisation de la matière, cest épouvantable... »
*
On nous dit
parfois : « Mais une large portion au moins des enfants vont volontiers à
l'Ecole, ce qui est malgré tout le signe que la technique n'en est pas obsédante et
débilitante comme vous voudriez le dire ».
Certes,
redisons-le encore, si tous les enfants sont atteints par les maladies scolaires, ils ne
le sont pas tous au même degré. Mais à l'opposé de l'élève qui s'est trop vite
domestiqué et qui n'en souffre pas plus que le chien qui supporte sa chaîne, il y a la
masse des mal domestiqués qui souffrent de la scolastique jusqu'à en être abrutis et
démoralisés.
- Et nest-il pas troublant qu'un camarade puisse terminer
son rapport en disant :
« Que
d'enfants traqués, affolés, vivant constamment dans la peur de ne pas réussir et
accumulant les sottises les plus énormes, incapables de bien écrire, de lire sans
trébucher ».
Il résulte
vraiment de l'examen de l'origine, du diagnostic et des conséquences de ces maladies
scolaires une hallucinante impression de démentiel qui ne peut pas durer.
Pour ce qui
nous concerne, nous n'aurions pas ouvert ce grave procès, nous n'aurions pas essayé de
mettre un nom à ces maladies de l'enfant devenu élève si nous n'avions pas la
prétention d'y apporter des remèdes efficaces. Et notre apport essentiel dans cette
oeuvre indispensable de rénovation scolaire aura été sans doute de donner la preuve par
notre pédagogie que d'autres techniques de travail et de vie scolaire sont aujourd'hui à
la disposition des éducateurs et qui peut donc s'instituer l'école de travail et
d'humanité qui formera en nos enfants les hommes de demain.
*
LES MALADIES SCOLAIRES
On ne vit
pas impunément dans un, milieu contaminé sans en subir les conséquences.
Le
scolastisme atteint très vite les maîtres qui s'engagent dans la filière
scolastique. Eux aussi s'habituent à des modes de pensée et d'action, à un comportement
auxquels ils ne s'abaisseraient pas s'ils avaient su garder, même en classe, leur
éminente qualité d'hommes. Ils comprendraient alors que leur premier devoir
d'éducateurs, de républicains et de démocrates serait d'agir et de vivre en
éducateurs, en républicains et en démocrates dans leurs classes.
Ils
accepteraient alors de reconsidérer leur vie et leur travail scolaire.
Ils
éviteraient du même coup les maladies physiologiques professionnelles des éducateurs -
le surmenage, le pessimisme, et leurs aggravations possibles : la tuberculose et les
maladies mentales.
Par nos
techniques naturelles, appréciées et aimées des enfants, un climat nouveau s'instaure
dans les classes, générateur de calme, de confiance et de paix, d'où la nervosité des
maîtres sera progressivement exclue.
Nous
réduisons les impasses qui désespèrent les éducateurs condamnés à une besogne sans
but. Nous leur donnons à eux aussi une raison de vivre.
Puissent
ces observations, fruit d'une longue expérience faire prendre conscience aux éducateurs
et aux parents des graves réalités auxquelles, bon gré mal gré ils auront à trouver
d'urgence une solution. Mais cette solution ne vous viendra pas d'en haut. C'est par votre
libre action à vous tous que vous en ferez une bienfaisante et définitive conquête.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
. Une revendication de l'École Moderne :
« Aménagement
des classes pour le travail de libre activité scolaire » (Photo Pellissier)
. « Humaniser l'école
Dans
une classe de l'École Moderne les enfants travaillent.
Didier
à la terre (Perpignan) (Photo Salvat)
. Savoir par cur n'est pas savoir
Photo « L'École Buissonnière »
. « Mise en rang à l'entrée et à la sortie, bras
croisés, mains sur la tête, station debout etc
Conditionnement permanent qui est la négation même de la tâche éducative
Photo « L'École Buissonnière »