Bibliothèque de l'école moderne n°29-32 - 1964
C.Freinet
Bandes enseignantes
seconde édition sept.1966 |
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Avertissement
au lecteur
MACHINES A ENSEIGNER ET PROGRAMMATION sont désormais
à l'ordre du jour
Qu'est-ce que la programmation ?
Critique du behaviorisme base de la programmation de type américain
Les erreurs du behaviorisme
Renforcement ou motivation
Des processus d'apprentissages erronés
MACHINES A
ENSEIGNER ET PROGRAMMATION
LA BOITE ENSEIGNANTE FREINET
LES BANDES ENSEIGNANTES
La programmation que nous réalisons nécessite une
reconsidération progressive de notre propre attitude éducative
Conception, réalisation et utilisation des Bandes Enseignantes
Méthode Freinet
I°. Bandes pour l'acquisition des mécanismes simples
2°. Bandes programmées pour techniques complexes
3°. Bandes programmées pour l'exploitation des complexes
d'intérêt.
4°. Bandes
de travail
Bandes programmées de travail
·
pour l'Enseignement
de l'Histoire
·
pour l'enseignement de la Géographie
·
pour l'enseignement
des Sciences
·
pour l'atelier
de Calcul
·
autres
utilisations possibles des Bandes Enseignantes
Une nouvelle forme de classe susceptible de revaloriser
tous les enseignements
1°. Le travail en commun
2°. Le travail libre sur Bandes
3°. Synthèse quotidienne
Une technique de travail efficiente au service d'une bonne
pédagogie
*
Avertissement
au lecteur
Ce livre n'est pas un livre de théorie
mais un livre d'action. Il contient seulement la part de théorie nécessaire et
indispensable pour comprendre le bien fondé de la nouvelle technique que nous
recommandons : les
Boîtes et les Bandes
enseignantes.
Nous partons, il faut le dire, avec un
handicap, celui de la mauvaise réputation, auprès des éducateurs, de la technique
américaine de programmation. Nous pensons cependant en avoir évité les erreurs et les
dangers par une nouvelle conception de l'apprentissage, tout entière basée sur nos
méthodes naturelles et notre conception psychologique du tâtonnement expérimental. Nous dépassons ainsi le conditionnement
systématique qui, sous couvert d'un pavlovisme rendu abusivement automatique, entache les
formes majeures de l'éducation contemporaine.
Sans nier l'importance et la valeur de
certaines recherches expérimentales, dont on n'a pas semble-t-il tiré des enseignements
conséquents, nous nous sommes appliqués à porter tous nos efforts sur la pratique en
créant un matériel approprié, en mettant au point une technique, en mobilisant de
nombreuses équipes d'éducateurs pour adapter les machines à enseigner et la
programmation à la masse des écoles ; pour préparer, pratiquement, une éducation
d'aujourd'hui et de demain.
Nous n'avons donc pas voulu écrire un livre qui prématurément approfondirait toutes les données de la question, mais, présenter seulement un aspect nouveau, original et efficace, des Techniques Freinet de l'Ecole Moderne.
Vous lirez donc ces lignes avec indulgence et sans parti pris en pensant que ce n'est là qu'un premier stade d'une initiative pleine de promesses. Surtout, que les réserves et objections qui vous viendraient à l'esprit à cette lecture ne vous arrêtent pas : c'est à la pratique qu'il faut aller si vous voulez comprendre le bien fondé des bandes enseignantes. Vous constaterez bien vite, en effet, que cette technique est bien à la portée des enfants, qu'elle plaît énormément, qu'elle crée un champ d'attention et de curiosité inattendu, une vision synthétique de la question traitée, une curiosité sans cesse en éveil.
C'est parce que l'expérience
poursuivie à ce jour dans diverses écoles, et aux divers niveaux scolaires, nous assure
du succès présent et à venir des Boîtes et des Bandes enseignantes que nous vous engageons àtenter vous-mêmes
l'expérience loyalement menée dans vos classes.
Nous continuons, dans notre revue
pédagogique L'Educateur,
l'étude théorique et pratique de cette nouvelle
technique et notre Centre International de Programmation (Ecole Moderne, Place Bergia à Cannes.) récemment créé reste à la disposition des usagers
de l'Ecole Moderne pour recevoir leurs suggestions, pour les conseiller et les aider.
Que les bonnes volontés ne se
découragent pas car souvent « tout est vrai, alors que tout semble
faux ».
C.F.
« Depuis la Révolution
industrielle, on entend sans cesse déplorer la dégradation et le matérialisme dans
lesquels notre civilisation serait tombée par suite de l'emploi des machines. Le mot
« machine » s'est ainsi chargé d'un lourd contenu affectif, et le même
phénomène est en train de se produire en ce qui concerne des termes comme
« automation » ou « automatisation ». C'est ainsi que l'expression
« automatisation de l'enseignement par la machine à enseigner » suscite chez
certaines personnes un sentiment de répulsion si intense qu'il les empêche absolument de
chercher à apprécier avec intelligence la valeur de ces machines » écrit John W. Blyth dans le numéro
50 de la collection : « Etudes et
documents d'éducation de l'Unesco ».
Que nous le voulions ou non, la
machine et la mécanique pénètrent chaque jour davantage le monde où vivent nos
enfants, Il est normal que l'Ecole s'habitue à vivre au rythme de ce monde et qu'elle
envisage donc l'entrée progressive des machines dans le milieu scolaire.
Si nous voulons moderniser notre enseignement et c'est une inéluctable nécessité - nous ne devons pas avoir sans cesse le réflexe de la vieille grand-mère qui jurait naguère, en maudissant les autos qui envahissent la chaussée, qu'elle ne monterait jamais dans ces mécaniques-là. Et puis, un jour, elle y est montée comme tout le monde, elle a trouvé que c'était rapide et pratique et que ma foi, on s'y trouve vraiment à l'aise.
Nous ne devons pas non plus prendre automatiquement, avant
expérience loyale, une attitude de réserve et d'opposition systématique en face des
innovations dans le domaine des techniques audio-visuelles et des machines à enseigner.
Passe encore pour l'audio-visuel dont nous éprouvons déjà quelques-uns des méfaits qui
nous rendent à bon droit méfiants. Mais pour ce qui est des machines à enseigner notre
commune réaction est exclusivement affective. Nous avons tous peur de devenir un jour
prochain des robots pédagogiquement conditionnés, ce qui devrait nous engager au moins
à tout faire pour éviter cette éventuelle servitude.
Mais pour l'instant, les machines à
enseigner sont un peu comme les loups dont on effraie les enfants. Nous n'en avons encore
jamais vu, sauf en photos, pour la bonne raison qu'il n'en existe encore que fort peu,
sauf expérimentalement dans certaines écoles américaines, ou leurs succursales en
Europe, dans les ateliers plus ou moins secrets des éditeurs européens. Le numéro de
juin 1963 de la Chronique de l'UNESCO, certainement bien informée, rappelle que : « La
machine à enseigner, en admettant qu'elle soit un
jour inventée, est encore du domaine de l'avenir ».
« On
ne peut affirmer, écrit de même John Blyth (op. cité), que l'efficacité des machines à enseigner soit d'ores
et déjà pleinement démontrée... Il ne faut pas oublier d'ailleurs que la machine à
enseigner est simplement un instrument utilisé pour transmettre les connaissances, ce qui
délimite déjà, d'une façon plus rassurante sa prochaine utilisation ».
*
Autrement dit, si nous considérons
objectivement, au départ, le problème actuel des machines à enseigner, nous
constatons :
- que rien d'effectif n'a
encore été fait pour la masse des écoles ;
- que les machines à enseigner ne sont prévues pour l'instant que pour l'acquisition des
connaissances.
Dans ce domaine, pourtant à l'ordre du jour, des machines à enseigner on part pratiquement, semble-t-il, à zéro. A nous de nous mettre techniquement en piste avant de nous laisser imposer des mécaniques d'abêtissement et de robotisation.
C'est ce que nous avons tenté de
faire avec notre Boîte enseignante Freinet qui
est à notre connaissance la première machine à enseigner vraiment populaire et
susceptible à ce titre de pénétrer sans retard dans la masse des classes.
C'est un peu arbitrairement, et sans
doute par nécessité commerciale qu'on tend à dissocier le problème des machines à
enseigner de celui des bandes qu'elles sont destinées à recevoir. Les machines à
enseigner n'ont de valeur que par les supports qu'elles utilisent, et sans lesquels elles
seraient tout simplement semblables à un piano automatique qu'on aurait privé de sa
bande perforée, ou à un appareil de projection pour lequel on aurait négligé de
préparer les films valables.
Les bandes restent l'essentiel de la
technique. Mais leur préparation en est délicate ; leur production risquerait de
contrarier la vente des manuels scolaires. Et c'est pourquoi les efforts des chercheurs et
des éditeurs s'orientent moins vers la réalisation de machines à enseigner, disons
populaires, que vers la création d'ersatz de bandes qui ne seront souvent que des manuels
truqués à utiliser sans machines et qu'on pourra introduire dans les classes sans qu'en
soient modifiées l'état d'esprit et les techniques.
Et c'est pourquoi le problème des
machines à enseigner et des bandes qu'elles utilisent reste entier. Nous nous employons
à le résoudre dans le cadre de l'Ecole Moderne, avec comme but la possibilité de leur
diffusion et de leur emploi dans la masse des écoles dont elles seront appelées
àreconsidérer la pédagogie.
*
Avant d'étudier en détail cette
nouveauté, il ne serait peut-être pas inutile de la situer dans l'évolution plus ou
moins récente de la pédagogie.
Nous sommes en effet à ce point
subjugués par la mécanique américaine que nous avons tendance à ne considérer les
machines à enseigner que comme le résultat des récents progrès de l'électronique. On
en oublie la réalité toute simple : les machines à enseigner sont vieilles comme le
monde.
Lorsque le maître ne s'est plus contenté « d'expliquer » à ses élèves
par la parole, le geste ou l'exemple, et qu'il a fixé l'essentiel de son
enseignement dans des tablettes, sur la pierre ou sur les parchemins, il avait déjà
recours à une machine à enseigner. Lorsque, plus tard, les progrès techniques ont
permis l'édition des livres, les manuels scolaires ont été de vraies machines à
enseigner, auxquelles le maître confiait certaines fonctions, dont il se débarrassait et
se libérait. La preuve en est qu'on peut porter contre l'emploi des manuels scolaires
exactement les mêmes critiques qui nous semblent originales et définitives appliquées
aux machines à enseigner contemporaines : l'enseignement devient impersonnel, hors
de l'influence directe de l'éducateur et risque, de ce fait, de se fourvoyer dans des
voies dangereusement dogmatiques et autoritaires. Tout dépend en définitive des
éléments pédagogiques qu'on place dans la machine et de la façon dont on les emploie.
Les manuels scolaires, créés eux
aussi pour aider le maître prétendaient parfois le remplacer. Grâce à eux, grâce au
tableau noir et au tableau mural aussi, le maître libéré en partie, pouvait s'occuper
d'un nombre croissant d'élèves, avec tout ce que cela comporte comme progrès général
d'une part, mais d'autre part aussi comme dangers éducatifs.
Pour essayer de corriger cette tare
des manuels scolaires qui obligeait les enfants à faire tous la même chose au même
moment et au même rythme, nous avions imaginé et réalisé, il y a quelque vingt-cinq
ans, une autre machine à enseigner : les Fichiers auto-correctifs (Fichiers auto-correctifs de calcul, de géométrie,
d'orthographe, de conjugaison, aux Editions de l'Ecole Moderne, Cannes.). Désormais,
par un travail plus individualisé et plus autonome, les enfants pouvaient aller à leur
pas, ce qui était un incontestable progrès. Nous avions même prévu, comme dans les
machines à enseigner américaines, des recours en cas d'échecs et des tests qui
facilitaient l'auto-contrôle.
Avec ces fichiers, en usage dans plusieurs dizaines de milliers d'écoles françaises et étrangères, les enfants sont partiellement libérés des adultes ; ils se corrigent eux-mêmes ; ils ne sont plus obligés de piétiner ou de perdre pied selon les aléas du travail de leurs congénères.
Poursuivant nos recherches vers une
acquisition de plus en plus automatisée et individualisée, nous avons en même temps
réalisé aussi pour nos classes la première collection de brochures programmées : Bibliothèque de Travail ( Collection BT (600
brochures) Editions de l'Ecole Moderne, Cannes.). Chacune des vingt-quatre pages de la
brochure comporte un dessin ou une photo, avec un texte simple qui constitue un tout et
pourtant élément d'un ensemble. Le succès de ces brochures vient certes de leur
adaptation à la compréhension et aux besoins des enfants mais aussi à la forme
programmée que nous leur avons voulue systématiquement.
Il nous a suffi de faire un pas de
plus pour accéder à la machine à enseigner et à la programmation aujourd'hui à la
mode.
*
QU'EST-CE QUE LA PROGRAMMATION ?
Le véritable intérêt des machines
à enseigner n'est point dans les astuces mécaniques que n'importe quel esprit inventif
peut imaginer et compliquer à loisir - et qui ont cependant, il faut le reconnaître, un
attrait croissant pour les enfants. Le véritable intérêt c'est l'innovation pédagogique qu'elles supposent et
comportent et qui, servie par des mécaniques adéquates, est en passe de modifier
profondément les processus et le rendement scolaires.
Ce processus nouveau, c'est la programmation.
La programmation est fille de
l'automation.
Tant que c'est l'homme qui décide et
commande tous les actes d'une machine, il peut en modifier à sa guise le déroulement,
avec plus ou moins d'efficience d'ailleurs, selon la compétence du technicien
responsable. Il en est de même pour l'Ecole. Selon la méthode traditionnelle, c'est le
maître qui règle souverainement la marche des travaux, ce qui ne va pas toujours sans
accrocs regrettables et sans pannes plus ou moins accidentelles.
Le jour où l'on a voulu régler certaines machines pour un fonctionnement autonome, il a fallu décomposer le processus de travail en une succession d'opérations dépendantes les unes des autres, à tel point que la machine ne puisse accéder à l'opération n°2 si l'opération n°1 n'a pas été normalement terminée.
Dans un système non programmé, si l'ouvrier ne comprend pas, on
lui explique ; si la pièce n'est pas suffisamment fignolée, on la fait reprendre.
Si, à l'Ecole traditionnelle, l'enfant ne comprend pas, on lui explique. Que de
démonstrations et de théories ne prodigue-t-on pas à l'enfant qui n'a pu franchir un
palier prévu ! Que d'invectives et de gronderies, de récompenses et de
punitions !
La machine, elle, ne comprend pas.
Elle est comme un sourd inaccessible à nos paroles les plus éloquentes. C'est par
d'autres voies que nous lui permettrons de remplir son programme sans accroc, ce qui nous
oblige à étudier de très près chaque opération, à la régler avec minutie afin que
le but souhaité soit atteint sans risque d'erreur. Alors, après une vérification
automatique, la machine passe sans encombre à l'opération suivante.
On dit qu'on a établi le
« programme » pour le travail prévu par cette machine.
Peut-on établir des programmes
semblables pour les acquisitions scolaires et techniques ? Il ne peut y avoir à cela
que des avantages puisque cette programmation va nous inciter à étudier de très près
chaque opération et à prévoir un déroulement éducatif des opérations.
L'entreprise est cependant plus
délicate qu'on ne croit, du fait surtout que nous sommes conditionnés aux explications
et au verbiage dont nous voyons alors l'inutilité. Elle sera relativement facile quand il
s'agira de questions nettement définies de calcul, d'algèbre ou de sciences. Elle le
sera relativement moins quand nous aborderons les disciplines à contenu intellectuel et
affectif d'évaluation délicate sinon impossible.
Les Américains ont apporté à ce
problème de la programmation un certain nombre de solutions que nous allons maintenant
étudier pour fixer nous-mêmes la méthode et la technique que nous allons adopter.
*
Il y a entre les pratiques habituelles et la programmation plus qu'une question de
mots. Il s'agit en fait d'une nouvelle conception des processus d'apprentissage, et donc
de comportement, ce qui
sous-entend une reconsidération de toute la psychologie classique.
« La cybernétique en tant que
l'art de rendre efficace l'action, écrit L. Couffignal. (La cybernétique, Col. « Que
sais-je ? » PUF) a besoin de raisonnements plus souples que ceux qui
ressortissent à la catégorie des raisons qui prouvent. Un mouvement de pensée qui
aboutit à un programme d'action efficace est pleinement satisfaisant, quelle que soit la
voie qu'il ait suivi, même s'il n'en a suivi aucune d'encore cataloguée. La
« preuve » de sa valeur est la constatation de son efficacité ».
Telle n'est certainement pas
l'opinion de tous les scientistes scolastiques pour lesquels il n'y a pas d'autre voie à
l'acquisition que l'explication intellectuelle dogmatique et la démonstration objective.
Et c'est pourquoi la pédagogie traditionnelle ne saurait s'accommoder de la
programmation. Il est caractéristique que Couffignal lui-même préconise, pour remplacer
la théorie classique défaillante une méthodologie du raisonnement analogique qui
s'apparente au behaviorisme ou théorie du
comportement, lequel est à l'origine de la programmation et donc des machines à
enseigner américaines.
Nous n'entreprendrons pas ici ni la
critique du raisonnement analogique (voir le livre
de Couffignal précédemment cité), ni l'étude en détail du behaviorisme. Les lecteurs que la question
intéresse pourront se reporter à l'exposé très documenté qui en a été fait par
André Tilquin, dans son livre : Le
behaviorisme (origine et développement de la théorie de réaction en Amérique) (Editions Vrin, Paris 1942). Nous aurons l'occasion
de dire au cours de ce travail comment notre livre : Essai de Psychologie sensible appliquée à l'Education
(Editions de l'Ecole Moderne, Cannes) complète le behaviorisme en lui apportant un
élément nouveau et décisif : la
perméabilité à l'expérience.
Nous avons donc, d'une part, la
théorie traditionnelle qui ne saurait s'accommoder des bandes enseignantes ; d'autre
part la théorie américaine dont nous aurons à dire les faiblesses. Entre les deux, une
théorie fumeuse de l'analogie, sur laquelle il sera difficile de baser une méthode de
travail.
Nos
Boîtes et Bandes enseignantes marquent, à notre avis, un progrès théorique et
pratique qui devrait en assurer le succès.
*
Ce behaviorisme, ou théorie du comportement, constitue
incontestablement une rupture spectaculaire avec toutes les théories intellectualistes
qui essaient d'expliquer la nature humaine dans son dynamisme présent et dans son devenir
vital.
Son parti pris de s'attaquer aux
réalités de la vie nous est d'emblée sympathique et vaudrait d'être confronté, pour
une synthèse constructive avec le pavlovisme dont
on n'a pas encore su utiliser, pour l'enseignement, toutes les enthousiasmantes
virtualités.
« La
science du comportement, telle que l'entend Watson, est une science concrète, pratique,
et au moins de première intention, populaire. Elle ne suppose aucune connaissance
technique, elle ne cherche pas à expliquer mais à prévoir ; elle ne s'occupe donc
pas des événements organiques, quelque intéressants qu'ils soient qui opèrent la
médiation du stimulus et de la réponse ; elle se place aux deux extrémités de la
chaîne organique et se propose de relier directement, par des lois de comportement, le
stimulus et la réponse » (A. Tilquin, op. cité.).
« La conscience et l'esprit ne sont que des concepts
périmés, forgés et utilisés par l'animisme pour rendre compte des activités
psychologiques, des suppositions qu'une psychologie scientifique doit écarter
définitivement au profit des notions de stimulus et de réponse qui, elles, correspondent
à des réalités observables... Le behaviorisme se rattache à la tradition mécaniste.
On peut remonter jusqu'à Aristote, pour qui l'âme n'était que l'ensemble des fonctions
du corps, ou se borner à la conception cartésienne de l'automatisme animal que le
behaviorisme ne fait qu'appliquer à l'homme, comme l'avaient déjà fait les
encyclopédistes Diderot, d'Holbach et surtout La Mettrie...
La
psychologie expérimentale, de Wundt et Titchener, est une science abstraite, portant sur
l'homme en général, adulte et civilisé, dont elle analyse la conscience, et à ce titre
elle peut intéresser le philosophe mais elle est dépourvue de toute valeur pratique,
elle n'a pas d'applications, elle n'est d'aucune utilité pour la conduite de la vie. La
psychologie behavioriste par contre, étant la science du comportement, c'est-à-dire des
interactions de l'homme concret vivant, réel, et de son milieu physique et social, traite
des situations empruntées à la vie... Elle est une science pratique, concrète,
d'intérêt humain, alors que la psychologie traditionnelle est abstraite, spéculative,
d'intérêt purement philosophique...
Le behaviorisme ne fut pas porté sur
le trône psychologique par une conspiration de philosophes. Il a pris le pouvoir sans
charte, sans constitution, grâce à une révolte populaire de l'esprit pratique
américain contre la psychologie allemande spéculative et académique »(A. Tilquin,
op. cité.).
L'accusation portée par le
behaviorisme contre la psychologie et la pédagogie traditionnelles, nous semble
parfaitement motivée.
Les éducateurs de l'ancienne école sont persuadés en effet qu'ils ont à résoudre exclusivement des problèmes d'intelligence et de compréhension, et non des problèmes de comportement et de vie. Si l'enfant n'a pas compris, il faudra, vous dira-t-on, lui expliquer, et on ne peut expliquer qu'intellectuellement, comme si les mécanismes sensibles des individus fonctionnaient en circuit fermé, dans le cerveau
souverain. L'idée ne viendrait jamais à ces éducateurs
intellectualistes que l'enfant, placé dans certaines conditions favorables, après avoir
fait observations et expériences, puisse, de lui-même, dominer des difficultés dont le
maître croit seul détenir le secret. La science, selon eux, ne descend que d'en
haut ; elle ne saurait monter d'en bas, puisqu'elle est la « science ».
La mécanique peut aider les élèves à répondre aux questions posées, tout comme les
explications du manuel permettent de faire les exercices préparés par les leçons.
C'est contre une telle conception de
la culture que réagit à l'origine le behaviorisme. Et il réagit vraiment selon l'esprit
américain.
« C'est parce qu'il est vraiment
un produit américain, parce qu'il sort de l'esprit américain, que le behaviorisme était
apte à en satisfaire les besoins. C'est un lieu commun de dire que le peuple américain
est un peuple d'ingénieurs, de mécaniciens, d'inventeurs, d'hommes d'action, d'hommes
pratiques, avant tout, qui jugent d'un système d'idées comme d'une machine, par ses
applications à la vie et aux affaires, par son utilité, par son rendement ; qui ont en
conséquence le goût du concret et la passion du fait.
Le
behaviorisme, psychologie d'objet, de faits observables, enregistrables, mesurables,
contrôlables ; de prévision ; qui identifie l'esprit avec le comportement, qui
étudie l'homme vivant dans ses ajustements au monde des objets familiers et des affaires,
et le conçoit comme une mécanique, correspond parfaitement à ce qu'exigeait le
tempérament américain » (A. Tilquin, op. cité.).
C'est parce que nous nous accommodons mal d'une telle théorie du comportement ; c'est parce que nous croyons avoir assis notre psychologie et notre pédagogie sur des données plus justes et plus humaines que, en réaction contre les machines et la programmation américaines, nous avons préconisé une technique et un matériel nouveaux qui, sans négliger l'apport des initiateurs, prétendent aller plus avant et avec une plus grande sûreté.
Les behavioristes, et, entre tous,
celui qui est considéré comme le père de l'instruction programmée, Skinner, professeur
à l'Université d'Harvard, s'en vont trop volontiers à l'extrême opposé des
intellectualistes théoriciens lorsqu'ils croient avoir découvert des processus nouveaux
et valables de comportement.
Il y a, selon Watson, le maître du
behaviorisme, plusieurs manières d'apprendre : par tâtonnement, par imitation, par
éducation. Mais toutes ces méthodes se ramènent en définitive à la première : la
méthode des essais et des erreurs (Revue
« Hommes et Techniques » n° de janvier 1964).
Nous touchons là au noeud du
problème.
Qu'est-ce que cette méthode des essais
et des erreurs ?
« En présence d'une situation nouvelle pour laquelle, dans son répertoire réactionnel, il ne possède pas toute faite la réponse appropriée, l'organisme animal ou humain exécute une succession de mouvements variés. A force de varier les réponses, l'organisme accomplit par hasard la réponse exacte. Lors des répétitions ultérieures de la situation, les mouvements incorrects qui précédent la réponse correcte sont de moins en moins nombreux; la réponse correcte se produit de plus en plus tôt, et finalement elle est la seule exécutée, et cela dès la présentation de la situation » (ibid)
En vertu de quelle loi, ou de quelle
tendance la réponse correcte émerge-t-elle de l'ensemble des tâtonnements ? Les
behavioristes ne semblent pas s'en être souciés. Ils n'ont pas vu ce que la « loi
de l'effet » de Thorndike pouvait comporter pour l'explication profonde du processus
de tâtonnement. « Un acte qui aboutit à un résultat satisfaisant tend à se
répéter ». C'est le principe même de notre Tâtonnement Expérimental (Voir . C. Freinet : Essai de psychologie sensible appliquée
àl'éducation, Ed. de l'Ecole Moderne, Cannes.), loi générale et universelle de la vie. Les
psychologues en ont conclu simplement que la réussite produisait un
« renforcement ». Et on a cultivé ce renforcement d'une façon mécanique
qui, avec la théorie du vrai et du faux reste à la base des conceptions américaines en
fait de machines àenseigner et de programmation. N'a-t-on pas créé des machines où ce
« renforcement » est obtenu par un bonbon ou une friandise comme lorsqu'il
s'agit du dressage de pigeons ou de rats ?
Cette fausse conception des processus
de comportement handicape, à la base, la conception et la production des machines à
enseigner et de la programmation américaines, que la production européenne aurait
tendance à imiter servilement.
La psychologie behavioriste est
restée à mi-chemin de ses découvertes. Nous la complétons par la notion autrement
féconde du Tâtonnement expérimental.
Ce n'est qu'au tout début de son
aventure, alors que l'individu n'a encore à son actif aucune expérience qu'il procède
par essais et erreurs. Mais dès qu'une expérience si minime soit-elle a été réussie,
elle laisse une trace dans le comportement. Et c'est par cette trace qu'ont tendance
àpasser les actes ultérieurs.
A nous de préparer le terrain favorable à cette perméabilité qui rendra possible la trace, et d'inciter à l'acte fonctionnel qui creusera cette trace. Le « renforcement » n'y suffit pas. Il y faut une motivation profonde, non seulement mécanique et extérieure, mais personnelle et affective qui conditionne expérimentalement le comportement.
C'est conformément à cette
pédagogie du Tâtonnement expérimental :
- que nous susciterons les premières
réussites à base de vie ;
- que nous inciterons nos enfants à
répéter les actes réussis jusqu'à ce qu'ils soient passés dans l'automatisme. A ce
moment nous entreprendrons une nouvelle expérience, suivie à nouveau de répétitions
permettant de faire passer dans l'automatisme l'acte réussi.
Nos bandes ne seront donc pas de simples questions qui appellent une réponse, avec récompense en cas de réussite. Notre pédagogie nous dicte la formule de nos bandes : travaux vivants, à la mesure de l'enfant pour qu'ils soient une réussite, puis exercices faisant passer cette réussite dans l'automatisme.
*
Mais qui
poussera l'enfant à agir et à expérimenter ? Ne faudra-t-il pas avoir recours aux
punitions ou à la
récompense pour « renforcer » l'attrait de la réussite ?
Oui, si on ne change pas la
pédagogie.
C'est ce que n'ont pas essayé de
faire les Américains machines à enseigner et bandes programmées sont typiques de cet
esprit mécaniste qui se préoccupe moins de reconsidérer les processus de pensée et
d'action que d'inventer et de fabriquer des machines qui permettront aux enfants et aux
étudiants de réduire plus vite les problèmes qui leur sont posés par l'Ecole
traditionnelle. Ils ne prétendent pas réformer un tant soit peu la pédagogie en cours.
Ils la feront fonctionner avec des machines.
C'est une caractéristique en effet de toute la littérature produite sur cette question que subsistent intégralement les erreurs et les tares de la pédagogie traditionnelle : il y aura toujours des leçons dogmatiques, mais elles seront faites sous une autre forme par des machines; on posera les mêmes questions scolastiques mais l'enfant y répondra par le truchement des machines qui opéreront le contrôle. Selon les traditions scolastiques, l'élève aurait tendance à tricher en copiant les réponses : on inventera des mécaniques complexes pour éviter le copiage. Le contenu des livres programmés sera le même que celui des manuels scolaires, mais on se « l'assimilera » selon une autre technique.
C'est parce qu'elle manque de motivation profonde que cette
pédagogie traditionnelle - même mécanisée a besoin pour se maintenir des sanctions
habituelles et d'un conditionnement dont nous redoutons toujours les effets, même s'ils
semblent, comme toutes les bonnes disciplines, apparemment favorables aux acquisitions.
On argumentera que les « expériences
de laboratoire ont montré comment les techniques
de « renforcement » immédiat contribuent très efficacement à créer chez
les animaux des réactions discriminatives à des stimuli déterminés. On peut apprendre
à des rats et à des pigeons à donner successivement une série complète de réponses
qui forment alors une chaîne complexe de manifestations.
« Dans certaines formes de
l'enseignement humain, on emploie traditionnellement la méthode des exercices
d'entraînement. La présentation mécanique des questions trouve une application
évidente chaque fois que cette méthode est considérée comme approuvée, mais il n'est
pas aussi évident que son application puisse s'étendre à d'autres domaines...
« Les
élèves apprennent parfois la logique ou les mathématiques en procédant de la même
manière (par le renforcement). Ils s'habituent à répondre à telles ou telles questions
par certains mots ou par certains chiffres, parce que ce sont les réponses qui produisent
le « renforcement », sous forme de succès aux examens. Ils sont souvent
incapables d'imaginer pourquoi ces réponses sont préférées à d'autres, tout aussi
valables à leurs yeux ; mais, ayant appris ce que le professeur désire, ils s'efforcent
simplement de lui donner satisfaction »(J. Blyth : Où en est l'enseignement
audio-visuel (UNESCO).).
Nous pouvons discuter en connaissance
de cause de ce conditionnement par répétition puisque nous y avons sacrifié nous-mêmes
en éditant nos fichiers auto-correctifs qui, à
l'origine, étaient imités des travaux de Washburne, et donc imprégnés de ce même
behaviorisme qui a conduit les Américains aux machines à enseigner.
Nous aussi, nous avons établi, pour les diverses notions à acquérir, pour les
marches à surmonter, des séries d'exercices méthodiques que l'enfant devait répéter
pour maîtriser la technique
envisagée. Et cette pratique s'est révélée comme un net progrès sur l'emploi des
manuels.
Mais nous n'avons pas toujours pris
garde que ce succès mécanique ne met en action que les zones mineures de l'individu et
que les acquisitions constatées ne sont pas faites en profondeur. Il y a eu
conditionnement mais non éducation. Le chien est dressé par ce processus, à
« répondre »aux ordres de son maître, aux dépens de ses propres processus
de vie. Par un tel conditionnement l'enfant ne mobilise lui aussi qu'une partie de son
esprit, celle qui permet les succès scolaires. Les acquisitions ainsi obtenues seront
effectivement valables pour l'école et les examens, mais pas toujours pour les exigences
de la vie.
Qu'est-ce qui joue, dans cette
théorie du conditionnement contre l'acquisition véritable ?
- D'abord le fait que les exercices
prévus n'ont pas, par eux-mêmes, d'intérêt pour l'enfant, et que donc leur
répétition ne laissera qu'une trace infime dans le comportement de l'individu.
- Et le fait aussi que les mots sont,
désormais désincarnés et que, si même le conditionnement produit son effet, il jouera
seulement dans le complexe scolaire. L'enfant ne fera plus de faute dans les exercices
scolaires ; il en fera tout autant lorsqu'il aura à écrire un texte ou une lettre.
Il nous serait hélas ! facile
d'apporter ici des témoignages condamnant cette déficience d'une mécanique qu'on n'a
pas su lier à la vie.
L'erreur que commettent les
Américains lorsqu'ils justifient un tel conditionnement est d'ailleurs la conséquence
d'une erreur psychologique pour ce qui regarde la théorie de l'apprentissage.
Pour parer aux insuffisances du
conditionnement, les psychologues invoquent un « répertoire d'échos ».
« Il ne s'agit pas simplement
d'attendre l'occasion propice pour mettre en forme tous les types de comportement, mais
bien d'établir un répertoire de réponses à des stimuli de manière àsusciter
n'importe quelle forme de réponse » (Revue : « Hommes et
Techniques », janvier 1964).
Les auteurs justifient cette opinion
en donnant une explication à notre avis erronée des processus d'apprentissage.
Et Skinner continue : (F.
Skinner : La théorie de l'apprentissage et la recherche future.)
« C'est d'ailleurs ce qu'on fait quand on apprend à parler à un enfant. Bien sûr, on pourrait attendre qu'il émette une approximation de tel ou tel mot, et renforcer ce comportement verbal spontané, puis attendre une approximation meilleure, et ainsi de suite. Mais ce processus d'apprentissage, théoriquement possible, serait extrêmement lent. En principe, on enseigne à l'enfant un répertoire d'échos : on dit « dada », « chat », et il répète ces syllabes. On obtient rapidement toutes les formes de réponses en écho aux formes de stimuli.
« Pour apprendre à l'enfant à
nommer les objets, on lui montre un livre d'images qui donne un stimulus formel, très
proche d'un stimulus d'écho. Ceci, dit le texte, est une fleur ; cela induit
l'enfant à dire fleur,
en regardant l'image qui la représente. Il pourra ensuite donner la réponse
entièrement sous le contrôle de l'image. Il aura appris le mot fleur ».
Que voilà des mots bien savants et
une théorie bien compliquée pour retrouver la méthode traditionnelle d'apprentissage
des mots, que nous avons toujours dénoncée et qui n'est pas, hélas ! une
nouveauté.
D'abord, ce n'est pas ainsi que
l'enfant apprend à parler dans sa famille et dans la rue. Dans la réalité de
l'apprentissage enfantin, on ne part que très accidentellement du mot, mais toujours de
l'idée, de la chose sensible, qui se traduit par des gestes d'abord, puis par des sons
qui prennent lentement forme, selon le processus de tâtonnement expérimental que nous
avons décrit dans notre livre : Méthode naturelle de Lecture (C. Freinet :
Collection BEM, Cannes.).
L'étude préalable des mots, leur
conditionnement par la répétition ne sont pas conformes aux véritables processus
d'apprentissage. Ils sont, de ce fait, sinon à condamner radicalement, du moins à
n'employer qu'avec la plus extrême prudence.
Et comme, évidemment, les processus
d'apprentissage déterminent la technique des machines à enseigner, on voit la portée de
notre condamnation.
Y a-t-il même une théorie de
l'apprentissage vraiment valable ?
« Il nous faudrait, écrit
Goodman, Directeur de la section Calcul et Cybernétique au Collège de Brighton (Revue : « Hommes et
Techniques », op. cité.2), une théorie de l'apprentissage qui
fasse autorité, au même degré que la théorie quantique par exemple. Or, c'est
précisement ce qui fait défaut. D'après Mérédith, il y aurait 29 théories différentes de processus
d'apprentissage, mais en fait, on peut en dénombrer 57. C'est une erreur flagrante de
prétendre, comme l'affirme Enrich, que « les principes psychologiques de
l'apprentissage sont connus depuis longtemps. » Tout ce qu'on peut dire, c'est que
nous avons là-dessus un vague agrégat de notions acquises empiriquement,
pragmatiquement, ce qui ne constitue pas une base bien satisfaisante pour construire des
machines à enseigner !
Entre autres conséquences importantes
de cette carence, nous manquons du langage psychologique adéquat pour parler de ce que
nous tentons de réaliser : en fait, nous reprenons un assortiment disparate de
jargons empruntés à diverses théories de l'apprentissage, du comportement, des
psychismes de l'homme et de l'animal, voire à des philosophes comme Locke, en les
utilisant dans des acceptions spécieuses et en procédant sur cette base à ce que nous
décorons du nom d'expériences et d'évaluations ».
Face à ce désarroi, nous avons la
prétention d'apporter, par notre tâtonnement expérimental, une théorie sûre et
scientifique, qui est certes fondée sur un aspect du conditionnement, mais corrigé et
complété par cette « perméabilité à l'expérience » qui est, en somme, la
définition de l'intelligence.
Nous renvoyons les lecteurs qui
désirent se familiariser avec cette théorie à notre livre Essai de psychologie
sensible (op. cité). Ils y verront combien nous nous éloignons de cette caricature
de Pavlov que nous donnent les behavioristes.
« Les réflexes conditionnés,
dit Watson (Le behaviorisme, op. cité.), sont les unités en lesquelles est
décomposable toute habitude, aussi compliquée et intégrée soit-elle, et quelle que
soit la complexité des relations spatiales et temporelles entre les mouvements qui la
constituent. Quand une habitude compliquée est entièrement analysée, chaque élément
de cette habitude est un réflexe conditionné. Un organisme est conditionné à un cercle
auquel il répond en tournant à droite, ce qui le met en présence d'un carré, auquel il
est conditionné à répondre en accomplissant deux pas à droite ».
Une telle théorie, beaucoup trop sommaire, est valable peut-être pour une opération mécanique simple, mais elle néglige la réalité que les psychologues sont bien loin, encore de savoir analyser, dans le cadre d'un comportement vital de l'homme et de l'enfant.
« L'organisme humain, réagissant
à son milieu, est ce que Stafford Beer a appelé un système probabilistique infiniment
complexe » (R. Goodman, in « Hommes et Techniques »). Et l'auteur pense que seules les
calculatrices électroniques pourront s'attaquer à cette analyse le jour où elles seront
intelligentes, ce qui n'est pas encore pour demain.
*
Il résulte de ces diverses
considérations que les machines à enseigner genre américain :
- ne sont nullement fondées sur une
théorie sûre de l'apprentissage ;
-qu'elles s'appuient sur une
conception beaucoup trop primaire du conditionnement, tout juste valable pour les
opérations mécaniques ;
-que ce serait une erreur grave de
vouloir les utiliser telles quelles pour des études intelligentes ;
-et qu'il y aurait danger à en
généraliser l'emploi dans les écoles, du moins sous cette forme.
Ces critiques sur les réalisations
américaines en fait de machines à enseigner et de bandes programmées ne sauraient
cependant être une condamnation radicale de ces techniques nouvelles, mais une incitation
à faire mieux, dans une voie qui est susceptible de bouleverser et de rénover tout
l'enseignement.
Nous allons résumer ci-dessous les
avantages certains de ces techniques, tels qu'ils ont été constatés en Amérique et que
corroborent nos propres expériences. Nous verrons ensuite ce que nous pouvons faire de
mieux encore.
1°. - Sans préjuger de la valeur pédagogique des bandes
programmées, les machines à enseigner sont un incontestable progrès technique.
Toutes autres conditions restant
égales, nous pouvons affirmer :
- que les manuels scolaires ont constitué un progrès technique sur les leçons verbales
des maîtres
-
que les fichiers auto-correctifs et les fiches-guides pour le travail des enfants ont
été de même un progrès technique sur les manuels ;
- que les machines à enseigner et la
programmation sont elles aussi un progrès notable sur les fichiers.
Ce qui revient à dire que le même
instituteur, placé dans les mêmes conditions aura, avec moins de peine, un meilleur
rendement et un climat de la classe plus humain au fur et à mesure qu'il perfectionnera
ses techniques.
2°. - Les usagers sont unanimes à constater que
l'emploi du matériel programmé n'offre aucun inconvénient et qu'il a de multiples
avantages incontestables.
3°. - L'utilisation d'une machine a une très grande
importance à notre époque de mécanique.
Quelques-uns de nos adhérents ont
cru bon de réaliser et de mettre en service dans leurs classes des bandes à utiliser
sans appareil de présentation, en croyant faire ainsi l'économie de la boîte
enseignante.
Les enfants réagissent alors comme
devant un fichier.
Placez la bande dans une boîte dont
l'enfant tourne librement les manettes et vous verrez le regain d'intérêt.
Techniquement parlant : un
système programmé servi par une machine sera toujours mieux accueilli que toute autre
forme de présentation.
4°. - Un des grands attraits de la machine à enseigner
c'est qu'elle donne à l'enfant une sorte d'autonomie qui le délivre du carcan scolaire.
Nous avions déjà constaté un tel
attrait avec nos fichiers auto-correctifs. L'enfant qui, naguère, devait exécuter
servilement les exercices inscrits au tableau ou prescrits par le manuel et qui devait
attendre ensuite la correction par le maître, travaille aujourd'hui comme il l'entend, au
rythme et aux heures qui lui conviennent. Il se corrige lui-même.
Cette autonomie dans le travail, cette libération ont une portée considérable sur le comportement et le travail des enfants, sur l'atmosphère générale de la classe.
5°. - L'accord est à peu près unanime pour reconnaitre
que le rendement du travail est à peu près d'un tiers plus élevé qu'avec les méthodes
traditionnelles.
6°. - Les résultats aux examens sont supérieurs à
ceux obtenus par les anciennes méthodes.
7°. - L'éducateur n'a plus besoin de consacrer du temps en
classe aux interrogations courantes et aux examens.
Notre pédagogie préconise même la
disparition totale des leçons magistrales, telles qu'elles se pratiquent à l'Ecole
traditionnelle, suivies d'exercices et d'interrogations. Nous préciserons cette forme
nouvelle d'école au cours de la partie pratique de cet ouvrage.
8°. - Les éducateurs qui, à la mode américaine, n'ont
rien changé à la conception pédagogique et psychologique de la classe sont
néanmoins satisfaits des leçons programmées qui leur permettent de mieux suivre leurs
élèves et de ne plus perdre du temps en classe à s'occuper des enfants insuffisamment
préparés.
Les bandes programmées permettent
aux élèves d'une classe de marcher chacun à son pas, les élèves en avance n'ayant
plus à piétiner pour attendre ceux qui sont en difficulté et qui se rattraperont par
des bandes spéciales dont nous montrerons l'usage.
9°. - L'examen des réponses fournies par les élèves aux
questions posées dans les programmes permet aux professeurs de savoir à l'avance, en
préparant leurs cours, sur quels points ils auront à donner des explications
complémentaires.
Nous ne faisons plus de cours, mais nous avons plus besoin encore de savoir, par nos
tests, nos brevets, nos plannings, quels sont les points faibles de chacun de nos
élèves. Nous les habituons nous-mêmes à dire les trous qu'ils constatent dans leurs
acquisitions. Nous avons la possibilité alors de chercher ou de rédiger les
bandes qui leur permettront de rattraper leur retard.
C'est plus efficace que les
gronderies ou les punitions, plus efficace même que tous les
« renforcements » artificiels.
10°. - Les professeurs ont constaté que la préparation
préalable par les leçons programmées facilitait leur tâche.
Les bandes enseignantes nous
permettent de supprimer les leçons telles qu'elles se pratiquent ordinairement, suivies
de devoirs et de leçons.
Nous retrouvons l'ordre normal
scientifique : sur des thèmes donnés et prévus au plan de travail les enfants font
des recherches et des travaux pour lesquels nos bandes programmées seront désormais
précieuses. La leçon magistrale ne vient qu'après, a posteriori, disons-nous. Nous
perdons même l'habitude de l'appeler leçon : elle sera davantage synthèse des
travaux des élèves, et réponses à leurs questions, et, de ce fait, totalement
profitable.
11°. - On se rend compte avec les bandes que l'explication ne
paie pas.
Lorsqu'on commence à faire des
bandes programmées, on a tendance à expliquer, à essayer de faire comprendre. On
interroge les élèves, et en général fort maladroitement.
On voit vite à l'usage que l'enfant
ne comprend rien à notre verbiage. C'est par l'exercice, l'expérience et le travail que
nous corrigeons les déficiences. Cela suppose une reconsidération totale du rôle du
professeur qui aide l'expérimentation et l'action, mais qui se garde désormais
d'expliciter ce qui rie saurait être que le résultat de l'action intervenue.
Les bandes programmées nous
conduiront peu à peu vers une nouvelle pédagogie.
12°. - Réduire les heures de cours. Les usagers de l'enseignement programmé américain ont constaté que, par les bandes, les élèves avaient déjà assimilé les concepts et les principes fondamentaux et qu'ils pouvaient, de ce fait, réduire les heures de cours, ce qui permettra aux professeurs de mieux approfondir et élargir leur enseignement.
Nous allons, dans les années à venir, développer l'expérience
déjà faite avec grand succès à lEcole Freinet en donnant une large place au
travail libre sur bande. On verra en fin d'étude comment nous procédons.
13° - Tous les utilisateurs
ont constaté que les enfants s'intéressaient beaucoup plus au travail sur bandes.
Le climat de la classe a été totalement transformé à l'Ecole
Freinet.
Voici le résultat d'une enquête menée à lEcole Freinet,
après trois mois de pratique intensive des bandes programmées. Il s'agit de 22 enfants
de 8 à14 ans, de niveaux scolaires très différents et dont les aptitudes sont
également très variées.
Certains d'entre eux étaient des « anciens », déjà
entraînés au travail libre, ayant pratiqué au moins un an les fichiers auto-correctifs
et les fiches-guides.
Les autres, les « nouveaux » arrivaient directement de
classes traditionnelles et de façon générale, n'aimaient pas le travail scolaire.
« De façon unanime, tous les enfants aiment travailler avec
les bandes enseignantes. Les nouveaux sont enthousiastes, voici leurs arguments invoqués
en faveur des bandes :
- Enfin, on peut travailler seul.
- C'est bien : on peut travailler en équipe, ou tout seul, comme on veut.
- On comprend mieux, et on n'est pas dérangé par les autres. (Là, explication) :
quand on faisait ensemble, toute la classe le même travail, il y avait toujours quelqu'un
qui n'avait pas compris et qui nous demandait sans cesse des explications. C'était
gênant, on se mettait en retard et on ne comprenait plus rien.
- C'est bien parce qu'on les fait avec les BT et
j'aime bien les BT (BT (Brochures de la
Bibliothèque de Travail) Ecole Moderne, Cannes.).
- Elles sont intéressantes surtout quand elles nous demandent de faire des expériences.
- C'est bien, parce qu'avec les
bandes on peut sortir travailler dans le bois ou à la cuisine, ou à la piscine.
Ce qui a grisé les nouveaux c'est
cette grande liberté dans le travail. Mais, évidemment ils l'auraient peut-être été
tout autant grâce aux fichiers direz-vous. Non, jamais les nouveaux ne se sont mis aussi
vite au travail que cette année et avec autant d'efficience. Jamais ils n'ont fait autant
de maquettes, de recherches au FSC (Fichier
Scolaire Coopératif, Cannes.) ou dans les BT, qu'en ce début d'année.
Mais voici ce que pensent les anciens
déjà rompus aux Techniques Freinet. Ils comparent d'emblée aux fichiers :
- Les bandes, c'est mieux parce qu'on n'a pas besoin de se déplacer après chaque fiche
pour la ranger, chercher la réponse, prendre la suivante, etc... Là, il n'y a qu'à
tourner.
- Dans le fichier, c'était difficile de classer les fiches que les autres mettaient en
désordre.
- Les fiches étaient moins intéressantes, à la fin on en avait assez.
- Les bandes, c'est mieux parce qu'elles sont dans la boîte et qu'il faut tourner les
boutons.
- Les bandes sont plus intéressantes. Elles ne sont pas monotones comme les fiches.
- Sur les fiches, les problèmes étaient trop longs, avec les bandes, c'est plus facile,
on comprend mieux.
Pour les recherches en Histoire,
Géographie, Sciences :
- Avec les bandes, on sait toujours ce que l'on a à faire. On ne perd pas de temps à
chercher inutilement.
- Quand on devait faire un compte rendu on ne savait pas trop comment faire. On copiait à
moitié la BT.
- Avant, quand j'en avais écrit une page ou deux pour l'Histoire ou la Géographie, Je
trouvais que c'était long. Maintenant, avec les bandes on travaille sans s'en apercevoir.
Et quand on a fini on voit qu'on en a écrit 5 ou 6 pages pleines.
- Les bandes c'est bien, parce qu'elles nous intéressent et qu'on les comprend bien.
Alors, je posai la question des
fiches-guides, et ici ce sont les meilleurs élèves qui ont répondu.
- Oh ! les fiches-guides on n'y comprenait rien !
-
Avec les fiches-guides, je me fiais uniquement aux dessins, s'il n'y en avait pas je me
débrouillais pour faire autre chose.
- Sur cette feuille il y
en avait trop, on ne savait pas bien comment faire. Avec les bandes on sait où l'on va.
- Par exemple, la fiche sur les Ailes volantes, je n'y avais jamais rien compris. Mais
depuis que j'ai fait la bande, tout le monde s'est mis àconstruire des avions et des
planeurs.
De nouveau j'interviens et leur
demande s'ils n'ont pas l'impression que la bande les empêche de faire des expériences
librement, de chercher d'autres voies.
- Non, les bandes nous donnent souvent envie de faire d'autres expériences, c'est comme
ça que nous avons fabriqué nos machines infernales.
- Les maquettes sont plus faciles à faire. On perd moins de temps, et on les réussit
mieux.
Et Richard, dont la tête déborde
d'inventions déclare
- Moi j'aimerais des bandes qui m'aident pour mes constructions et qui parfois me donnent
des idées.
- Mais il y a bien des choses à reprocher, il y a sûrement des bandes que vous n'aimez
pas !
- Quand les fiches sont trop longues à lire.
- L'année dernière on n'aimait pas les bandes parce qu'il y avait au moins 8 divisions
ou opérations difficiles par fiche.
- On n'aime pas quand c'est toujours pareil et monotone comme les conversions.
Ces quelques restrictions faites pour
les bandes mal conçues, les enfants travaillent avec un réel plaisir et très souvent on
entend dire :
- Oh ! comme elle est bien cette bande ! Comme elle est intéressante !
Alors que rarement avec les fichiers ou les fichesguides on entendait pareille
déclaration. »
M. BONSIGNORE, Institutrice
*
Nous avons tenu à mentionner ici, le
plus objectivement possible, les avantages généraux communs à toutes les formes de
machines à enseigner et d'enseignement programmé. Ils expliquent le courant, à notre
avis irréversible, déclenché par la naissance et la rapide évolution de cette
importante nouveauté.
Bien ou mal, que nous le voulions ou
non, dans un nombre réduit d'années, tout notre enseignement en sera directement
influencé. L'Ecole Moderne se devait de participer à cet élan nouveau, en ne se
contentant pas d'imiter les réalisations américaines, mais en les adaptant à nos
besoins et à nos buts éducatifs
En techniciens pédagogiques, nous
menons obligatoirement de front théorie et pratique. Nous venons d'exposer un peu
brièvement cette théorie. Voici maintenant la pratique telle que nous l'avons mise au
point pour nos classes.
*
C'est parce que nous avons mesuré
l'erreur à la base des principes sur lesquels ont été conçues les machines à
enseigner américaines ; c'est parce que nous ne pensons pas que les machines à
enseigner doivent être utilisées exclusivement pour transmettre les connaissances, que
nous avons cherché dans une autre voie.
Nous n'avons pas voulu réaliser une
machine à enseigner qui, comme la définit Blyth (Perrin, Revue « Hommes et
Techniques » op. c.) ne serait pas autre chose qu'un dispositif mécanique
permettant à un élève de poser une série de questions qui appellent une réponse
précise, et de lui donner la possibilité de vérifier immédiatement l'exactitude de sa
réponse.
Il y a peu de questions, sauf dans le
milieu artificiellement limité de l'Ecole, qui appellent automatiquement une seule
réponse.
Skinner fondait « le
principe des petites étapes sur la nécessité, pour bien enseigner, de ne jamais donner
à l'élève l'occasion de faire des fautes », ce qui lui valait l'avantage
d'être récompensé, « renforcé » par l'annonce du comportement correct,
comme le chien l'est par le sucre.
Nous enseignons au contraire
qu'aucune vérité ne tombe ainsi toute faite, et que notre rôle est justement d'aider
l'enfant à trouver cette vérité par tâtonnement
expérimental.
Notre machine, bandes comprises, doit
donc non seulement se prêter à ce tâtonnement, mais l'aider et le faciliter. Nous
allons voir comment.
Notre machine sera donc essentiellement
polyvalente.
Deuxième caractéristique de cette
machine : elle
n'est pas conçue comme la presque totalité des machines américaines, pour éliminer la
tricherie. Les machines américaines en effet sont réalisées pour l'école
traditionnelle où la tricherie apparaît comme normale et inévitable.
Perrin (revue citée) reconnaît
lui-même : « Il nous semble que seul l'intérêt de l'élève peut, dans le
cas du livre, empêcher la tricherie ; c'est un problème de motivation personnelle.
Si je veux connaître une matière, je me dois à moi-même de ne pas tricher. Si mon
intérêt personnel pour connaître cette matière est peu affirmé, la discipline que je
dois m'imposer pourra faiblir et je me laisserai glisser sur la pente de la tricherie.
Si, à plus forte raison, la
connaissance d'une matière m'est imposée de l'extérieur, mon seul but pourra, à la
limite, être de laisser penser au maître que j'ai effectivement appris. D'où la
tricherie ».
Avec nos techniques, la tricherie est
exclue de nos classes. Nous n'avons donc pas ni à la prévenir ni à la réprimer.
Troisième
caractéristique : les questions ne sont plus un élément majeur de notre
pédagogie. Il est donc impossible pour nous d'utiliser des machines ou des bandes
prévues exclusivement pour les questions et réponses.
Cette détermination complique certes notre travail de préparation des bandes, mais élargit presque à l'infini le champ d'utilisation de ces machines.
Quatrième caractéristique : alors que les machines à enseigner ordinaires sont prévues pour des programmes qui nécessitent plusieurs heures de travail, nous utilisons exclusivement des bandes de moyenne longueur : 3 m pour le primaire ; 3,50 m et 4 m pour le Second degré et le Technique.
Nous voulons que ces bandes
constituent en quelque sorte des Unités de Travail,
que l'élève peut achever en une heure ou une heure et demie, ainsi il n'a pas le
temps de se décourager devant une besogne sans fin.
La multiplicité des bandes qui en
résulte nous donne de plus grandes possibilités d'agencement pour l'auto-correction et
la planification.
Cinquième caractéristique
enfin : si nous voulons que Boites et Bandes enseignantes deviennent d'un usage
courant dans nos classes, il nous faut les produire dans des conditions de prix adaptées
aux possibilités financières des classes. La simplicité de la technique adoptée nous a
permis de réaliser une Boîte à très bas prix qui en permet l'acquisition par tous les
enfants.
Boites et Bandes enseignantes font ainsi vraiment leur entrée effective dans la pédagogie contemporaine.
Comment se présente la Boîte
La Boite enseignante Freinet (photo ci-dessus) se
présente un peu comme le corps d'un appareil photo dans lequel une bande se dévidant
défile devant une fenêtre avant de s'enrouler à nouveau sur une autre bobine.
L'appareil est prévu pour
fonctionner avec des bandes de 13 cm de large et 3,25 m de long.
Le voyant est de 13 cm x 7 cm, Un
modèle plastique a été réalisé pour ce format. Un autre modèle de Boîte tôle et
contreplaqué, fonctionnant avec la même largeur de bande, comporte une lunette de 13 cm
x 10 cm et convient plus spécialement pour le Second degré et l'enseignement Technique
(voir le plan de cette Boîte p. 46).
Des boutons molletés placés à une
extrémité des axes permettent à l'opérateur de faire avancer à volonté, ou reculer
la bande.
Le changement de bande est
excessivement simple et à la portée d'enfants de cinq à six ans, qui opèrent parfois
mieux que leurs maîtres.
LA BOITE ENSEIGNANTE
(Brevet FREINET)
*
Ouvrez
la boîte. Posez le couvercle à côté de vous et prenez en main le support. Vous
avez deux axes : l'un, comme ceci, avec une fente, est destiné à recevoir l'amorce de la
bande. L'autre est nu, mais il comporte sur son extrémité deux ergots. Vous les placez comme ceci : |
Les bandes à utiliser sont fixées
sur un tube support qui s'encastre
parfaitement dans l'axe ergot. Vous poussez à fond, en tournant
légèrement l'axe si nécessaire, pour que la fente du tube reçoive l'ergot. Vous déroulez la bande qui vient
passer sur la plaque a et que vous accrochez sur l'axe fendu : vous passez l'amorce
dans la fente, vous faites faire un tour à l'axe pour que la bande soit fixée (fig. I). Vous remettez les deux axes ainsi
préparés dans leur siège. |
|
A ce moment-là vous prenez le
couvercle que vous placez sur la boîte en veillant à ce que les axes soient bien
placés. L'appareil est prêt à fonctionner. Les textes défilent sous le voyant quand vous manoeuvrez les boutons. |
I. - Les axes doivent tourner doux.
S'il y a une résistance anormale, ne forcez jamais, mais vérifiez :
a) si
les axes sont bien dans leur siège ;
b) si
l'axe ergot est bien poussé à fond ;
c) si
les axes entrent juste dans leurs encoches.
d) si
vous n'appuyez pas trop fort sur le couvercle, en manoeuvrant les boutons.
Dans ce cas la bande se coince et ne
circule plus librement.
2°. - Quand vous ouvrez la boîte,
maintenez les rouleaux pour qu'ils ne tombent pas, car la bande se déroulerait et les
axes pourraient se casser.
3°. - Nous n'avons pas voulu mettre
un système de fermeture quelconque, ce qui aurait compliqué le mécanisme et en aurait
augmenté le prix. Pour la fermeture, le couvercle force
un tout petit peu en a. |
Si vous trouvez qu'il ne force pas
assez; si, lorsqu'il aura beaucoup servi le couvercle s'enlève trop facilement au risque
de tomber, il suffit de coller une ou plusieurs épaisseurs de scotch sur la partie qui
frotte en a.
4°. - Attention : nous avons fait une boîte solide, mais
tout ce qui est en matière plastique risque de se briser sous les chocs secs. Ne laissez
pas tomber la boîte ni les axes.
5°. - Vous pourrez coller une jolie
étiquette avec votre nom sur une des faces de la boîte ou sous le socle.
La boîte est pratiquement inusable.
Nous l'avons réalisée à un prix
très bas pour que chaque élève puisse avoir sa boîte.
6°. - Vous pourrez, si vous le désirez, diminuer les dimensions de la lunette en collant un cache à la mesure sous la partie transparente du couvercle.
Machines à
enseigner et bandes enseignantes sont, nous l'avons vu, intimement liées. Mais « la
qualité du programme, écrit D. Perrin, a beaucoup plus d'importance que la nature du
dispositif. Un programme ennuyeux, pédagogiquement illogique, et ne reposant pas sur une
connaissance suffisante de la matière à enseigner, ne « passera » pas plus
sur une machine que dans un livre » (op. cité).
La
programmation est, assurément, un problème beaucoup plus délicat et plus complexe qu'on
ne le croit à première vue. Elle nous contraint à reconsidérer toute notre pédagogie.
Voyons
d'abord ce qu'en ce domaine ont fait les Américains et ceux qui les copient, trop
servilement à notre avis.
Les
Américains ont deux théories de programmation :
- La théorie
linéaire, découlant
directement du behaviorisme, « qui suppose un
schéma de conditionnement. Ses procédés sont destinés àobtenir de l'élève le
comportement défini comme le programme à lui apprendre en petites étapes, en le
récompensant chaque fois qu'il réagit correctement... Dans la programmation linéaire la
réponse de l'élève est considérée comme une partie intégrante du processus
d'apprentissage : on la provoque de telle sorte qu'elle se trouve récompensée et,
par là, apprise...
Le programme linéaire a pour mission d'amener l'élève à réagir à des stimuli bien choisis en émettant des réponses définies comme constituant le comportement à lui apprendre. Dans cette perspective, une réponse incorrecte de la part de l'élève est tenue pour un défaut de la part du programme...
De
ces considérations théoriques se déduisent les caractéristiques des programmes
linéaires : découpage en très petites étapes, emploi poussé de la répétition,
stimulation conçue de manière à poser des questions très faciles » (Norman
Crowder, revue « Hommes et Techniques » op. cité).
-
La programmation intrinsèque sera bien plus près de ce que nous voulons réaliser. « Elle ne fait pas d'hypothèse sur la nature des
processus d'apprentissage qui n'ont pas été dûment mis à l'épreuve par une pratique
pédagogique suffisamment longue. Ce n'est pas une théorie sur la manière dont on doit
enseigner mais une technique pour préparer des textes destinés à servir toutes sortes
de buts éducatifs...
Cette technique se fonde sur un simple
fait : le choix que fait l'élève de sa réponse à une question à choix multiples
peut être utilisé automatiquement pour aiguiller l'élève sur une nouvelle voie. L'un
des usages que l'on peut faire de la technique est de préparer un formulaire avec des
questions qui seront posées et notées automatiquement, et de l'assortir de moyens tels
que, automatiquement, il soit remédié aux erreurs commise ».
Dans la méthode dite « Tutor
Test » on présente à l'élève un bref exposé de la leçon, suivi d'une question
à plusieurs options portant sur le sujet traité au-dessus.
Chaque réponse optionnelle renvoie
à un numéro de page ; l'élève choisit ce qu'il croit être la bonne réponse à
la question et cherche à la page indiquée : s'il a bien répondu, il y trouvera un
autre élément de texte à apprendre suivi d'une autre question, et ainsi de suite. S'il
a choisi une réponse incorrecte, il trouvera à la page où il est renvoyé une
explication lui montrant pourquoi la réponse qu'il a faite est fausse, et, à la suite
l'indication d'avoir à se reporter à la page initiale pour effectuer un autre choix. Il
n'arrivera au nouvel élément de texte à apprendre que lorsqu'il aura trouvé la bonne
réponse.
Cette méthode, supérieure sans nul
doute à la méthode linéaire, n'en reste pas moins spécifiquement scolaire, prévue
pour apprendre des notions qui ne peuvent bien souvent n'être que scolaires.
Comme nous voulons nous dégager de
cette scolastique, nous avons essayé d'aller plus avant dans des voies, à notre
connaissance, encore totalement inexplorées.
« D'ailleurs,
dit le Pr. Crowder, dans le présent état des techniques, on n'a pas
encore trouvé (excepté dans certaines applications très spéciales) de dispositif
pratique qui réponde différentiellement aux questions appelant des réponses
construites ».
Nous ne
voulons pas dire que ces divers systèmes de programmation soient totalement sans valeur;
nous prétendons faire mieux, plus conforme à notre pédagogie, plus constructif et plus
humain.
Nous
n'entrerons pas ici dans le détail des diverses formules de machines à enseigner et de
programmes. Il se peut d'ailleurs que devant le coût élevé de ces mécaniques, les
éditeurs européens s'orientent vers diverses formules de livres programmés :
textes avec corrections séparées comme dans nos Livrets
de Calcul de lEcole Moderne (Éditions de l'Ecole Moderne à Cannes), manuels
brouillés avec références aux diverses pages, etc... Ce qui, actuellement, fait sans
doute hésiter auteurs et éditeurs c'est que de tels livres seront beaucoup trop copieux,
et donc trop chers. Par principe, les manuels ordinaires offrent du concentré et des
résumés que la programmation sera obligée de détailler en séquences nombreuses. On
juge en effet qu'une programmation normale demande couramment cinq à dix fois plus
d'espace que les manuels traditionnels.
A moins, et
cela se fait déjà, frauduleusement pourrionsnous dire, qu'on prenne les manuels tels
qu'ils sont et qu'on se contente d'en changer les couvertures qui porteront la mention « programme ».
Nous avons
opté pour une autre solution : la bande sur laquelle on n'écrit pas, qui est
protégée par le mécanisme de la boîte et qui peut donc servir indéfiniment comme
matériel collectif économique.
Dans ce
domaine, tout reste à faire, mais nous avons maintenant le matériel et la technique pour
nous attaquer à cette tâche. Nous pouvons réaliser les rêves de Skinner lui-même, qui
écrivait dans un article extrait de Programmed
learning : Evolving principes and industrial applications, et reproduit dans la
revue Hommes et Techniques déjà cité :
« Dans les perspectives d'avenir, il paraît intéressant d'aller au-delà de l'enseignement de matières scolaires. La programmation verbale est en bonne voie de réalisation, et nous sommes appelés sous peu à apprendre beaucoup plus qu'on ne le fait aujourd'hui.
Mais d'autres possibilités s'offrent. On pourra fort
bien en venir à penser que l'enseignement a fait un abus de la communication verbale en
faisant tant parler le professeur aux élèves, et les élèves au professeur, En effet,
il existe d'autres processus que les processus verbaux : un mathématicien, par
exemple, part d'un énoncé pour formuler une solution, mais, dans l'entre-deux, nul ne
sait ce qu'il fait, même pas lui. Un dispositif actuellement en construction est destiné
à enseigner, à penser la musique, non pas à en faire ni à la goûter, mais réellement
à la penser en termes de hauteur des sons, intervalles, etc... Une grande partie de la
physique pourrait être enseignée sous forme de graphiques, les réponses à ces
graphiques pouvant impliquer certaines réactions kinesthésiques. L'enrichissement de la
pédagogie purement verbale par un enseignement non verbal devrait représenter un terrain
d'investigations idéal pour les machines à enseigner capables de se passer du langage
parlé comme mode de communication »
Une forme nouvelle d'enseignement est née, que nous avons promue depuis longtemps en détrônant, par nos techniques la pédagogie de la salive et les leçons magistrales ex cathedra.
La programmation que nous réalisons nécessite
une reconsidération progressive de notre propre attitude
éducative
Ce sera là un des principaux
avantages de la programmation, sous quelque forme qu'elle se présente.
A. DEPASSER LE VERBALISME
Le verbalisme est la caractéristique
essentielle, la technique centenaire du travail de l'Ecole et de la Faculté.
L'exemple nous est venu d'en haut.
Si l'Ecole, dès le premier âge,
s'était imprégnée des techniques d'apprentissage ambiantes, elle se serait souvenue que
ce n'est pas en parlant, mais en agissant, en travaillant, qu'on s'initie aux diverses
activités techniques et sociales. L'adjectif « babillard » n'a jamais
indiqué une qualité.
Mais les professeurs de toutes
disciplines ont persuadé le peuple que ce qui importe ce n'est pas de chercher et de
créer, mais d'expliquer, de démontrer théoriquement, comme si l'intellectualisme
souverain était le vrai moyen de la culture.
On l'a cru longtemps, et on le croit
trop souvent encore, hélas !
Il en résulte que les instituteurs eux-mêmes, tout au bas de l'échelle, formés à cette technique du verbiage, l'ont utilisée à leur tour à peu près exclusivement dans leurs classes où ne fonctionnaient pas d'autres outils de travail que le livre, le cahier... et la salive.
Le tourment de l'éducateur est de
répéter sans cesse à son petit monde : « Mais comprends donc !
Raisonne ! Explique !... » Et comme les enfants ne parviennent pas
mieux à comprendre, on re-explique soi-même, on fait répéter, on fait refaire ;
on use en vain un maximum de salive, cet outil n°1 de l'école.
Désabusé, on accuse l'écolier de
ne pas comprendre, donc de n'être pas intelligent, « bouché à l'émeri » se
plaignaient les vieux maîtres, de ne pas faire effort et d'être paresseux. Et lorsqu'on
a exhorté, menacé, récompensé ou puni, invectivé... on n'a pas avancé d'un pas.
L'élève n'a pas compris davantage. On se contente alors, parce qu'on ne peut faire plus,
d'une réponse toute verbale, qui ne signifie rien, qui n'est qu'un trompe-l'oeil
impuissant à servir de base aux progrès présents et à venir.
Toutes les difficultés de l'Ecole,
le climat autoritaire qui y règne, l'obligation où l'on est sans cesse de pousser des
enfants qui ne peuvent pas avancer, le découragement et la colère que nous vaut cette
impasse, constituent sans nul doute Lin des plus gros handicaps de la pédagogie actuelle.
Et pourtant, diront les maîtres
inquiets, aiguillonner nos élèves déficients, essayer de leur faire comprendre ce
qu'ils ne saisissent pas spontanément, les obliger à faire fonctionner leur mémoire et
leur intelligence, les entraîner à chercher et à réfléchir sont des nécessités
primordiales de notre métier d'enseignants et d'hommes.
Certes, mais reste à voir si on
prend pour cela la bonne voie et si, pour aller vite on ne se condamne pas tout simplement
à l'échec, dont nous sommes les premières victimes.
On procède toujours en classe comme
ce père - les mamans plus intuitives ne commettent jamais de telles erreurs monstrueuses
- qui regarde son jeune enfant s'essayer à grimper un escalier.
Un élément primordial dans cette
attaque : l'enfant veut monter l'escalier, et pour y parvenir, il est capable de
faire avec audace le maximum d'efforts. Seulement, il opère sans méthode apparente,
exclusivement par tâtonnement expérimental. Il se concentre, mesure ses gestes, répète
les actes réussis pour les faire passer dans l'automatisme. Il s'accroche à la rampe. Il
avance lentement mais ses conquêtes sont définitives.
Le père survient, inquiet de cette lenteur qui lui semble déficience musculaire et
intellectuelle. Il prend l'enfant et le porte d'autorité au sommet de l'escalier.
Et, contrairement à son attente, l'enfant n'est pas satisfait de cette performance de
l'adulte. Il redescend àquatre pattes et reprend lentement, méthodiquement, son
tâtonnement expérimental qui le conduira avec sûreté au sommet de l'escalier.
C'est cette erreur courante d'excès
d'autorité de l'adulte dans les processus d'apprentissage que commettent tous les
maîtres. Ils sont étonnés ensuite de constater la fragilité des acquisitions faites à
force d'exhortation et de verbiage.
Or, la valeur du verbe peut n'être
qu'une dangereuse illusion. Le maître est parfois satisfait de voir que son élève
comprend ses explications et il s'en attribue le mérite. Mais si l'enfant comprend c'est
que, peut-être à l'insu du maître, à l'Ecole ou hors de l'Ecole, dans la famille ou
dans la rue, il a poursuivi naturellement le tâtonnement expérimental qui le sensibilise
aux explications du maître. Si l'enfant était arbitrairement privé de ce tâtonnement,
les explications tomberaient souvent comme dans des oreilles de sourds.
Si l'éducateur prenait conscience de
l'inutilité, et donc du danger du verbiage, il serait plus facilement amené à chercher
d'autres solutions. Il comprendrait alors cette conclusion d'un psychologue programmeur
qui confessait : « Avant, quand
l'élève ne comprenait pas je le traitais d'imbécile et d'âne. Maintenant, je me rends
compte que l'âne c'est moi qui n'ai pas su préparer le véritable matériel
d'apprentissage ».
Le système des bandes enseignantes
contribuera à corriger cette erreur intellectualiste des éducateurs.
Quand vous soumettez une bande à vos
élèves, soyez attentifs aux réactions spontanées des exécutants. Si l'enfant n'a pas
compris, ne vous fatiguez pas à lui expliquer. Cherchez à améliorer la bande, à la
compléter par une bande bis pour y introduire les expériences, les observations et les
exercices qui permettront à l'usager, en travaillant seul, de comprendre en profondeur,
et d'une façon définitive.
Est-ce à dire que nous dénions toute vertu à la parole du maître, aux explications et aux conseils qu'on lui demandera ? Certainement pas, mais revalorisons cette parole en la situant à sa vraie place, après l'expérience et la vie dont elle tirera sa valeur formative et humaine.
Si vous employez les bandes genre
américain, destinées à faire mieux passer leçons et devoirs, vous aurez peut-être
tout de suite un certain renouveau d'intérêt, mais vous n'atteindrez pas au goût et au
besoin de travail, à l'enthousiasme, à cette soif de curiosité et d'activité, qui
sous-tendent le vrai destin de l'Ecole.
C'est parce que nous avons fait
l'expérience, avec nos bandes, d'un enseignement de création et de vie que nous vous
disons : dans la préparation des bandes programmées, évitez à tout prix la
scolastique qui signifie travail dogmatique obligatoire, leçons et devoirs sans
motivation, pensums et punitions. La plupart des enfants d'aujourd'hui sont sursaturés de
cet inhumain bourrage ; ils en ont comme une irrémissible indigestion. Ils sont
prêts aux efforts maximum pour une activité loyale et utile. Ils se ferment aussitôt et
se bloquent dès qu'ils devinent l'intention scolastique.
Il nous faudra, pour nos bandes,
trouver des formes nouvelles de travail, non scolastiques, éviter à tout prix le langage
scolaire qui nous guette comme une seconde nature, nous méfier des questions dont les
Américains font tant de cas, incorporer le plus possible nos bandes à la Vie.
C. OUI, MAIS, AVEC LES BANDES
PROGRAMMEES LES ENFANTS NE FERONT PLUS EFFORT
Quand vous aurez bien préparé les
séquences d'enseignement programmé, nous dit-on, les enfants n'auront plus qu'à
franchir marche à marche les difficultés atténuées qui ne leur demanderont nulle
peine. Ce sera la culture de la facilité.
Nous touchons là à une grave
question dont la solution que lui apporteront psychologues et pédagogues va promouvoir
ou, au contraire, condamner la nouvelle pédagogie sans manuels, sans leçons magistrales,
sans grincements de dents et sans sanctions scolaires.
Il est admis dans toute la pédagogie
traditionnelle que le rendement scolaire est fonction des efforts faits par les élèves.
Or, c'est là une idée fausse qu'il nous faudra reconsidérer radicalement.
Cette sorte d'effort est une création de la scolastique. Nous voulons dire l'effort qui consiste à faire ce qu'on n'a pas envie de faire et dont on ne voit pas le but, qui est comme une tension anormale pour parvenir à un résultat hors nature.
Nous supportons là encore les
reliquats de la pédagogie stoïcienne que défendaient les grands maîtres de
l'enseignement du début du siècle. Pour eux, cette tension avait le mérite hors ligne
de bander la volonté et constituait de ce fait un des meilleurs exercices de formation
morale.
Cette théorie n'a plus que fort peu
de défenseurs, mais l'Ecole en reste encore imprégnée.
Nous voyons, nous, les choses plus
naturellement.
Nous sommes exactement comme la
machine qui chauffe quand quelque chose ne va pas dans son fonctionnement. On est
contraint alors de la pousser, puis de la laisser refroidir de temps en temps avant de la
remettre en marche, pour des usages qui, tous les mécaniciens vous le diront, usent cent
fois plus que le service régulier le plus prolongé.
Si l'enfant se fatigue, s'il doit
serrer les dents pour poursuivre son travail, c'est que celui-ci est mal compris, qu'il
comporte des épreuves au-dessus des possibilités de l'élève ; qu'il crée des
à-coups et des grippages qui susciteront des craintes, des échecs, des allergies, des
troubles nerveux, et jusqu'à des névroses dont la psychanalyse révèle peu à peu
l'origine cachée.
Organisons notre travail plus
rationnellement ; donnonslui un but, préparons outils et techniques. Nous n'aurons plus
alors dans nos classes de fatigue nerveuse ou intellectuelle. Ce qui explique que les
élèves de nos classes modernes sont particulièrement détendus, qu'ils peuvent
travailler trois heures d'affilée et préfèrent rester en classe pendant les
récréations car le travail qui les accapare à plus d'attrait que le simple jeu
physique.
Nous sommes pourtant partisans de
l'effort, mais d'une autre qualité, de l'effort qui est comme une conjonction harmonieuse
- et, de ce fait, apaisante - de toutes les puissances de l'être, pour atteindre des buts
dont on sent l'humaine nécessité, de l'effort qui est concentration et exaltation de la
Vie.
Ne fait-il pas effort l'alpiniste qui part à l'assaut des cimes et qui, un pied après l'autre, remporte des victoires étonnantes, fatigué physiologiquement jusqu'à ses dernières résistances parfois, mais toujours prêt à recommencer, dans un équilibre nullement perturbé ? Ne peut-on imaginer une école où, dans la même atmosphère d'activité et d'incessantes conquêtes, chacun se donnerait à plein, héroïquement ?
Travailler en chantant et en
sifflant, heureux et confiant, est considéré comme une sorte de crime par l'Ecole
traditionnelle. L'Ecole Moderne est celle de la paix, de la joie au travail et du bonheur.
L'effort est naturel à l'homme, et
à l'enfant tout particulièrement. C'est la société du travail forcé qui a
monstrueusement suscité en l'individu l'apathie et la crainte de l'effort.
Aucun enfant en bonne santé n'est
paresseux. Proposez à votre troupe de partir en montagne, sac au dos, de gravir un pic se
détachant sur le bleu du ciel, d'atteindre les sommets aux plantes rares, de monter vers
la lumière et le soleil : nul ne voudra rester en arrière. L'idéal, pour l'enfance et
la jeunesse est toujours en avant, toujours plus haut, vers l'appel de l'inconnu. C'est
cet élan vers la vie que notre pédagogie doit sauvegarder.
Contrairement aux apparences, la
programmation s'inscrit parfaitement dans les processus d'instruction, de formation et
d'éducation. Elle est la piste qu'a, au long des jours, laborieusement tracée le guide,
comblant les anfractuosités, jetant des ponts provisoires par-dessus les séracs,
découpant patiemment à coups de piolets les escaliers de glace où pourront s'accrocher
les alpinistes débutants, dans leur ascension vers les cimes.
On ne cultive pas chez l'individu le
besoin de monter par l'accumulation des difficultés, par les semonces et les échecs on
prépare la piste où il doit s'engager.
Si l'Ecole était bien comprise, si
nous savions ménager scientifiquement mais généreusement les étapes de l'accession à
la culture, nous n'aurions pas à pousser, mais à retenir les jeunes, à asseoir leurs
arrières, assurer leur route, mettre de l'ordre dans les entreprises pour ne pas risquer
les échecs inhibiteurs.
Avec eux, alors, nous irions au bout
du monde.
*
Cependant, pour qu'on ne nous reproche pas un optimisme exagéré, nous reconnaissons
volontiers que la programmation risque fort de devenir une technique de facilité, si elle
ne mobilise pas en l'enfant cet élan de vie et cet enthousiasme. Vous aurez des
déconvenues si, même avec nos Boîtes, vous vous contentez - ce qui serait
possible - de programmer devoirs et leçons traditionnels.
Le succès de la programmation telle
que nous l'entendons nécessite et suppose l'Ecole Moderne.
D. TOUT CE SYSTEME DE PROGRAMMATION,
NOUS DIT-ON, OUBLIE UNE COMPOSANTE MAJEURE DE L'EDUCATION : LA PART DE LA SOCIETE.
« Dans
cette méthode en effet, écrit un contradicteur, l'enfant ne s'entretient qu'avec lui-même au moyen
d'une machin :: pas ou peu de contacts avec l'adulte, et aucun avec les camarades.
N'est-ce pas une situation artificielle, sans climat affectif, sans la participation
active de l'ouïe et de la parole ? L'enfant travaille en dehors des rapports de
personne à personne, de groupe à
personne : il se retrouve seul en face d'une machine dont l'adaptation, si
perfectionnée soit-elle, ne peut être que très relative ».
Nous citons tout au long cette
objection parce qu'elle s'applique fort justement à la programmation et aux machines à
enseigner de type américain. On verra, dans les pages qui suivent comment la pédagogie
née de l'emploi de la boîte et des bandes enseignantes, dans le cadre de l'Ecole
Moderne, évite ces faiblesses et ces insuffisances.
E. ET SI UN JOUR PROCHAIN, NOUS DIT-ON ENCORE, LES
MAITRES SE CONTENTAIENT DANS LEURS CLASSES DE FAIRE TRAVAILLER LEURS ELEVES EXCLUSIVEMENT
AUX BANDES SANS AUCUN APPORT INTELLECTUEL, AFFECTIF OU SOCIAL ?
Cela est possible. Mais ces maîtres
sont ceux-là même qui, actuellement, usent passivement des manuels, sans les vivifier
par le moindre effort d'adaptation à la classe et au milieu.
Même sous cette forme mécanique, que nous excluons évidemment, les bandes risquent encore d'être moins abêtissantes que les manuels. Nous espérons cependant que la plupart des maîtres se laisseront prendre à l'intérêt nouveau des bandes programmées et que, par elles, ils reprendront goût à leur difficile métier, ce qui ne sera pas la moins spectaculaire de nos conquêtes.
Les promoteurs des machines à enseigner sont unanimes à affirmer
qu'elles sont seulement des instruments utilisés pour transmettre des connaissances. Et
ils ne pensent pas non plus que toute matière soit programmable.
« Il est évident que si une
matière comprend plus d'exceptions que de règles obéissant à des principes logiques
déterminés, elle ne sera plus programmable ; cela signifie que la matière est trop
« nuancée » pour être enseignée en dehors des situations concrètes
d'utilisation des connaissances,
Une matière est
« nuancée » quand il n'est pas possible - ou au prix de trop grands efforts -
de déterminer le comportement à tenir dans des situations concrètes dont les
paramètres sont trop nombreux (ex : les relations humaines).
Cela
revient à dire qu'on n'enseigne que ce que l'on sait exprimer en termes rationnels :
des procédures, des codes, des lois et leur application, des systèmes (D. Perrin :
revue « Hommes et Techniques » op. cité)
».
Nous sommes, dans nos conceptions et nos réalisations, beaucoup
moins restrictifs que les Américains, et, comme on le verra, nous élargissons
considérablement le champ de notre machine à enseigner et de notre programmation. Nous
partons d'ailleurs sans a priorismes. La pratique seule nous dira jusqu'où peut nous
mener la technique nouvelle.
Nous distinguerons, dans notre
production programmée :
1. Les Bandes programmées pour
l'acquisition des mécanismes simples ; out
particulièrement en
calcul et en français.
2. Les Bandes programmées pour
techniques complexes, où, selon notre pédagogie,
l'acquisition des mécanismes se fait à même la vie, et c'est le cas notamment de nos
bandes programmées de problèmes.
Du fait justement de cette conception
pédagogique, la distinction entre ces deux sortes de bandes n'est ni formelle ni totale.
Nous avons tendance àréduire le plus possible l'acquisition technique des mécanismes au
profit du travail vivant. Il arrive même que les deux formules soient combinées sur une
même bande. L'essentiel n'est pas pour nous de distinguer des catégories mais de mettre
au point un matériel répondant à nos besoins.
3. Les Bandes programmées pour
exploitation des complexes d'intérêt.
La plupart de ces Bandes seront à
établir par les maîtres au moment de la préparation du travail. Nous ne savons pas
encore dans quelle mesure une édition standard de ces Bandes sera possible.
4.
Les Bandes programmées de travail qui, débouchent, au choix, et selon les classes,
sur des interrogations, des examens, des exposés, des conférences, des Brevets, des
réalisations techniques.
Ce sera la partie vraiment originale et intéressante de notre entreprise
avec :
-
- " " de Géographie
- " " de Sciences ;
- " " d'observations ;
- " " d'expériences de Physique et Chimie;
- " " pour ateliers de calcul, etc
TEXTE ET QUESTIONS
|
RÉPONSES
|
A Pour élever un nombre au carré, il faut le multiplier
par lui-même. |
36
|
B. Quand vous comptez, le nombre qui suit un autre nombre
est appelé le nombre suivant.
Le suivant de 4 est 5. Question : le suivant de 6 est………………… |
7
|
C. Un nombre et son suivant peuvent être multipliés l'un
par l'autre. Multiplier 7 par son suivant c'est multiplier 7 par 8 ( =
56). Multiplier 5 par son suivant donne 5 fois 6, ou ……
|
30
|
D. Vous allez apprendre un moyen simple d'élever au carré
des nombres de 2 chiffres qui finissent par 5. Le 2e chiffre du nombre
35 est…
|
5
|
E. Pour élever au carré un nombre de 2 chiffres finissant
par 5, il faut d'abord trouver le chiffrede gauche.
Dans 45, le chiffre de gauche est 4. Dans 75, le chiffre de gauche est ………. |
7
|
F. Maintenant multipliez le chiffre de gauche par sonsuivant. Exemple
: pour 64 multipliez le chiffre de gauche 6, par son suivant, 7 : vous obtenez
42. Question : pour 25, multipliez 2 par ................ et vous obtenez ......................................... |
3 et 6
|
G. Pour 35, multipliez ……… par…………. vous obtenez …………………………….. |
3, 4 et 12
|
H . Après avoir multiplié le chiffre de gauche par son suivant, vous écrivez
le résultat : pour 65, écrivez 42 ; pour 45, écrivez 20.Pour 25, écrivez ……………….. |
6
|
I. Après avoir écrit le résultat de la multiplication du nombre de gauche par son suivant, écrivez 25, à la suite. Exemple: pour 35, écrivez 12 puis 25 à la suite, vous obtiendrez 1225. Autre exemple: Pour 45 écrivez 20, puis .... à la suite,pour obtenir 2025 ............ |
25
|
J. Quand vous écrivez le résultat de la multiplication du chiffre de gauche par son suivant, puis 25 à la suite vous avez élevé au carré le nombre finissant par 5. Exemple: le carré de 85 est. 7225. Question : le carré de 25 est :……….. |
625
|
CES et SES 1 « Paul a écorché ses
genoux sur ces cailloux ». tourner la page |
|
Démonstratif |
4 L'expression « ces cailloux
» est le pluriel de ……..caillou tourner la page |
Ce Son |
7 L'expression « ses chaussures
» est le pluriel de ...... chaussure tourner la page |
Ses |
10 Révision Ces est un adjectif …… |
Réponse à question 1 Ses Ces |
11 Ses est
un adjectif possessif, tourner la page |
Ce Cette |
5 L'expression « ses genoux
» est le pluriel de ...... genou tourner la page |
Sa Cette |
8 Remplacez les blancs par
ces ou ses tourner la page |
De telles formules de programmes s'adapteraient parfaitement à nos Boîtes enseignantes, et cela aurait été un jeu pour nous d'en réaliser une série parfaitement conforme aux exigences officielles.
Nous expliquerons plus loin pourquoi nous avons préféré a ces solutions pédagogiquement retardataires, une formule nouvelle, non prévue à ce jour par les programmeurs.
Pour compléter l'information de nos lecteurs qui pourront d'ailleurs, s'ils le désirent, expérimenter hors des normes que nous recommandons, nous donnons ci‑dessous un exemple de Programme ramifié, tiré de L'Arithmétique des Calculateurs, par Normann Crowder (1).
LEÇON 6 p. 178
LE SYSTÈME OCTAL
On dit que le système décimal est basé sur les puissances de 10 puisque, comme nous l'avons vu, nous pouvons considérer les chiffres qui composent un nombre décimal ordinaire comme les coefficients des puissances de 10 dans la forme développée du nombre. Ces coefficients nous indiquent combien de fois chaque puissance du nombre de base 10 doit être additionnée dans la somme.
Maintenant, y a-t-il quelque chose qui nous empêche de baser un système numérique sur des puissances de nombres autres que 10
Réponse :
OUI
page 185
NON
page 191
p. 179 (de la page 187)
Votre réponse : 2 (8²) + 1 (81) + 3 (80) = 75
N'avez-vous
pas oublié de coefficient 2 dans le terme 2 (82)
Revenez à la page 187 et essayez de nouveau.
(1) Publié avec l'aimable autorisation de CEGOS
P. 180 (de la page 191)
Votre réponse: 1 (8²) + 3 (81) + 2 (80) = 89
Vous devez avoir compté 2 (8°) pour 1, en oubliant probablement le coefficient 2 du terme (80)
Vérifiez l'opération suivante
1 (8²) + 3 (81) + 2 (80) = 1 (64) + 3 (8) + 2 (1) = ?
Retournez à la page 191 et essayez encore.
P. 181 (de la page 200)
Votre réponse : 13,48 = 1 (8²) + 3 (81) + 4 (80).
Vous avez développé 1348, non 13,48. Vous ne pouvez réussir à développer 13,48 si vous ne tenez pas compte de la virgule.
Retournez à la page 200 et, cette fois, traitez le problème.
0
Nous avons mené, depuis vingt ans, une expérience parallèle à celle de la programmation américaine. Mais orientés par notre pédagogie de vie, nous avons continué dans ce domaine aussi notre Tâtonnement Expérimental.
Nos Fichiers auto-correctifs avaient, à l'origine, il y a vingt ans, été adaptés des manuels programmés - avant la lettre - établis par Washburne à Winetka. Ils répondaient pour ainsi dire parfaitement aux soucis des programmeurs qui ont pris la suite.
Nous avions étudié expérimentalement les difficultés principales auxquelles se heurtaient nos élèves et nous avions préparé, pour chacune de ces difficultés, une fiche d'exercices qui devait, par conditionnement, amener les enfants à surmonter automatiquement ces difficultés.
Ces fiches, et les cahiers auto-correctifs édités par la suite, pourraient, au même titre que les bandes de Skinner, soutenir la comparaison avec les productions en cours.
Voici, pour ceux de nos lecteurs qui ne connaîtraient pas nos fichiers auto-correctifs, réalisés sous la direction de Roger Lallemand, quelques exemples qui vont faire comprendre la portée des aménagements que nous préconisons :
CE DEMANDE 6
La fermière a ramassé aujourd'hui 35 oeufs
Hier elle avait ramassé 23 œufs
___________
Elle a maintenant .. oeufs
CE REPONSE 6
35
+ 23
____
58
Elle a maintenant 58 oeufs
65
un chat noir des chats noirs 78 D
A |
B |
C |
||
un petit chien |
des yeux brillant |
des grands arbres |
||
un jeune chat |
un béret bleu |
Des raissins sec |
||
des cochons rose |
un tricot brun |
un pommier fleuri |
||
un chat gourmand |
des pantalons long |
un fruit sauvage |
||
des mulets têtu |
des cheveux frisé |
des sapins droit |
||
des renards rusé |
un tablier propre |
des bon ouvriers |
||
un cygne blanc |
des souliers neuf |
un buisson touffu |
||
des coqs fier |
un grand magasin |
des gentil garçons |
||
un poussin jaune |
des cahiers propre |
un clou pointu |
||
des chiens méchant |
un mur blanchi |
des couteaux tranchant |
||
un chat noir des chats noirs 78 R
A |
B |
C |
un petit chien |
des yeux brillants |
des grands arbres |
un jeune chat |
un béret bleu |
des raisins secs |
des cochons roses |
un tricot brun |
un pommier fleuri |
un chat gourmand |
des pantalons longs |
un fruit sauvage |
des mulets têtus |
des cheveux frisés |
des sapins droits |
des renards rusés |
un tablier propre |
des bons ouvriers |
un cygne blanc |
des souliers neufs |
un buisson touffu |
des coqs fiers |
un grand magasin |
des gentils garçons |
un poussin jaune |
des cahiers propres |
un clou pointu |
des chiens méchants |
un mur blanchi |
des couteaux tranchants |
A cette bifurcation, nous nous heurtons à un point délicat de psychologie pédagogique : notre expérience nous montre que l'élève peut être en mesure de répondre sans se tromper à toutes les questions techniques que lui pose une bande ; il peut connaître les règles de calcul et de grammaire, faire sans faute les quatre opérations et n'avoir pourtant nullement progressé en calcul ou en grammaire si lui manque le sens mathématique ou grammatical que seule donne la vie par les problèmes infinis qu'elle pose.
Nous aurions cru que la répétition d'exercices dans lesquels l'enfant s'entraîne par exemple à mettre automatiquement la marque du pluriel ou les terminaisons des verbes l'auraient conditionné pour une écriture correcte.
Et nous nous apercevons avec surprise que cet élève est effectivement conditionné pour le travail scolaire, mais que le conditionnement ne joue plus automatiquement quand les données des exercices changent et ne se présentent plus comme on les a enseignées. Le fait est spécialement flagrant pour la grammaire. Les exercices mécaniques tels qu'ils sont établis sur nos fiches n'ont qu'une valeur toute relative. Lorsque l'élève ne fait plus d'exercices mais qu'il est obligé d'écrire, les fautes reviennent comme si l'exercice avait été oublié.
Que, par contre, à l'usage, dans un texte vivant, ou au cours d'une lettre, l'enfant constate lui-même comment s'indique le pluriel dans les diverses sortes de mots ; qu'on l'aide à distinguer ces accords, l'acquisition sera alors facilitée et parfois définitive, et cela en un clin d'oeil, avec un nombre de répétitions très réduit. Que ce même enfant, qui a appris mécaniquement la technique de la multiplication ou le calcul d'une surface - et qui l'oublie aussi vite ou l'applique de travers - soit contraint par la vie, scolaire, familiale et sociale, à calculer une surface ou à faire une multiplication, il y mettra tout son coeur, toute sa science ; il demandera à ses camarades et au maître. Il n'oubliera plus jamais la leçon que lui aura donné la vie.
Il résulte de ces observations que nous avons reconsidéré nos techniques d'apprentissage sur des bases nouvelles :
- Le pur mécanisme n'a qu'un rendement toujours très aléatoire. Il fait illusion parce qu'il peut se mesurer et se trouve de ce fait, très pratique pour tous les travaux scolaires. C'est d'ailleurs cette acquisition qui est sanctionnée aussi par les examens, les autres acquisitions plus subtiles étant plus difficilement mesurables.
Nous apportons la preuve, par notre pédagogie, que les notions indispensables de calcul ou de grammaire s'acquièrent tout aussi bien, et d'une façon plus indélébile, par d'autres techniques. On peut apprendre par des exercices avec un vélo sur cales à faire correctement tous les mouvements et manoeuvres pour aller à bicyclette. On ne sera pas, pour autant, en mesure de rouler, la pratique de la bicyclette s'apprenant exclusivement par la marche à vélo.
- Nous ne partirons pas de l'étude mécanique mais de la vie. C'est dans le cadre du calcul vivant ou du texte libre et de la correspondance que nous apprendrons d'abord à calculer et à écrire. Ce n'est qu'après, quand nous en aurons senti et compris le sens et la portée que nous étudierons les mécanismes par des répétitions qui les inscrivent en techniques de vie.
- Contrairement à ce qu'on croit, les règles ne sauraient être à la base des apprentissages.
Il est totalement inutile de faire apprendre par coeur les définitions arithmétiques ou les principes grammaticaux. L'Ecole y tient - et les justifie - parce que ces acquisitions sont, elles aussi, mesurables, donc commodes et pratiques. Mais en réalité, nul ne s'y réfère. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe pour l'orthographe. Aucun élève n'a recours à la règle pour vérifier l'écriture d'un mot ou d'un groupe de mots : on les écrit sur le buvard pour les comparer aux prototypes qui nous viennent de l'usage. Si on a recours à la règle on se trompe souvent parce qu'on l'applique de travers, car la mémoire artificielle reste défaillante.
- Nous nous méfions beaucoup de tous les exercices trop automatiques, que l'enfant exécute sans aucun effort intelligent. Les exercices de conjugaison sont tout à fait typiques à cet égard. L'enfant commence à écrire : je, tu, il, nous, vous, ils. Puis il ajoute : parle, parles, parle, parlons, parlez, parlent... Inutile de dire que de tels exercices sont totalement inutiles, comme le sont la grande majorité des exercices de manuels, ces bouche-trous officiels d'une pédagogie sans âme.
Il nous faut trouver d'autres formes d'exercices.
- Nous éviterons une forme de répétition scolastique qui consiste à accumuler sur une même séquence les difficultés du même ordre. Comme si, pour entraîner l'enfant à sauter, on le faisait sauter pendant tout un jour, jusqu'à la courbature, pour attaquer le lendemain la course de fonds, puis le lancement du disque ; comme si on pouvait considérer une acquisition comme définitive après X exercices.
L'instructeur avisé varie les exercices de façon à faire travailler simultanément tous les muscles, toute acquisition étant synthèse si elle n'est pas dangereux forçage. Il met l'accent sur le saut, mais aussitôt après, pour délasser l'exécutant, il fera du lancement de poids. La répétition est prévue mais sur plusieurs séquences, consécutives ou non.
Le mécanisme inciterait à adopter le rythme Al, A2, A3, A4, A5, A6, A7, A8, A9, A10 suivi de Bl, B2, B3, B4, B5, B6, B7, B8, B9, B10 puis Cl, C2, C3, C4, C5, C6, C7, C8, C9, C10.
Nous adopterons un rythme plus naturel : Al, A2, A3, Bl, B2, A4, A5, Cl, C2, B3, B4, B5, A6, A7, A8, B6, B7, B8, C3, C4, A9, A10, B9, B10.
Nous mènerons ainsi de front les exercices se rapportant aux diverses techniques à dominer. Le conditionnement sera peut-être moins rapide ; il en sera d'autant moins abêtissant, et la valeur de formation en sera plus profonde.
- Et nous redoutons surtout l'ennui.
Il n'y a rien de plus ennuyeux que des exercices mécaniques qui n'ont aucun sens dans le complexe de notre vie, et qu'il faut cependant répéter pour satisfaire aux exigences des manuels et des examens.
Et l'ennui est l'ennemi n°1 de la pédagogie.
Nous avons tous pris une indigestion de ces exercices de calcul qui s'ajoutent par milliers sur les livres d'arithmétique, et dont le seul intérêt était la note qu'ils nous vaudraient. Et nous avons plus encore une indigestion qui va jusqu'à l'obsession de ces centaines d'exercices à trous ou sans trous, de ces constructions de phrases, de ces mots qu'on souligne, toutes tâches dont nous sentons instinctivement qu'elles ne nous servent à rien.
Bon gré mal gré, il nous faut trouver le moyen de rendre nos bandes plus digestibles - ce qui sera en définitive leur qualité n°1, le test majeur d'une bonne programmation.
- Il nous faut enfin au point de vue technique proscrire les pages bourrées de nos manuels, des caractères trop petits, les chevauchements de teintes et de couleurs, les chapitres aussi qui n'en finissent plus, comme ces tonneaux sans fonds qu'on se désespère à essayer de remplir,
Il faut que nos enfants, ayant terminé leur bande puissent nous dire, satisfaits : elle est bien et intéressante.
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C'est en nous inspirant de ces diverses remarques que nous avons rédigé les bandes pour l'apprentissage des techniques en calcul et en français.
- A l'origine, autant que possible, travail vivant (calcul vivant, texte libre et correspondance) pour l'acquisition du sens du travail envisagé.
- La bande commence par un problème le plus vivant possible, ou par un texte parfaitement compris et senti par les enfants - un texte d'enfant de préférence.
- 2 ou 3 séquences se rapportant à la difficulté à surmonter,
- 1 ou 2 séquences de rappel de difficultés précédentes.
- Nouveau problème ou nouveau texte, suivi d'exercices comme ci‑dessus.
- Test final.
Nous donnons ci-dessous pour information quelques spécimens de bandes :
- de notre cours de Calcul aux divers degrés.
- de notre cours de Français.
(Tenir compte du fait que ce ne sont là que des réductions non utilisables telles quelles, et qu'il y a lieu éventuellement de copier où de taper à la machine sur des bandes vierges sur lesquelles les séquences réponses ont préalablement été coloriées en orangé).
Pour économiser la place nous n'avons pas toujours reproduit les réponses.
Travail libre de mesures et d'expériences programmés (Photo J. Painchaud)
Les Bandes bis constituent la grande supériorité de notre système sur tous ceux qui existent actuellement.
Nos bandes sont courtes et ne demandent qu'un temps réduit de travail. Mais celles que nous éditons ne constituent qu'une base de travail, le squelette pourrions-nous dire de notre programmation. Les éducateurs eux-mêmes, et leurs élèves, pourront alors adapter à leur classe et au milieu cette série de base en réalisant des Bandes bis.
Divers cas peuvent se présenter
- Quelques élèves ont fait les bandes se rapportant à la multiplication avec chiffres décimaux au multiplicande et au multiplicateur. Mais au cours du travail ultérieur, vous vous apercevez - et ils s'aperçoivent eux aussi - que cette technique a été insuffisamment acquise. Refaire la bande serait inopérant. Nous rédigerons une ou plusieurs bandes bis qui permettront de dominer définitivement cette difficulté.
- D'autres élèves, bien qu'ayant fait les bandes correspondantes de français, confondent encore on et ont, non seulement en dictée, mais dans les textes et dans les lettres aux correspondants. Nous rédigerons de même une ou plusieurs bandes bis qui constituent la meilleure des préparations de classe - d'ailleurs utilisable les années suivantes.
Le procédé peut être répété à l'infini, avec la participation des élèves qui aiment bien rédiger des bandes sur les thèmes qui les intéressent, pour leurs camarades, pour les élèves plus jeunes, pour les correspondants. Dans les écoles à plusieurs classes on pourrait même organiser des échanges réguliers de bandes entre les classes.
Cette possibilité a non seulement pour nous l'avantage de nous munir de tous les documents et bandes de travaux dont nous avons besoin, mais elle donne aussi un but à nos initiatives. La bande n'est plus un devoir. C'est un lien avec d'autres enfants et un moyen d'échange supérieur de la pensée. C'est un travail.
Ceci est très important.
Notre Cours de Calcul ou notre Cours de Français pourraient à la longue, présenter les tares de certains cours de manuels parce qu'ils deviendraient impersonnels, insuffisamment accrochés à notre vie ou à la vie de notre classe. Avec nos bandes bis nous les personnalisons à volonté jusqu'à en faire des outils presque idéaux, dont nous tirerons le maximum.
C'est d'ailleurs en pensant à la nécessité pour le maître de compléter ces cours par des Bandes bis que nous avons limité très sérieusement le nombre de bandes par cours - une vingtaine environ.
L'emploi de ces bandes s'étend d'ailleurs à toutes les disciplines, comme nous allons le voir. Nous pourrons par la suite, en éditer certaines séries complémentaires de façon à offrir aux maîtres une véritable programmation ramifiée dont voici la schéma :
Nous comparerons nos séries de base à l'autoroute qui, pour se rendre de A en B représente la solution la plus rapide, valable pour tous les voyageurs qui veulent aller de A en B.
Mais, tout le monde le sait, l'autoroute risque d'être ennuyeuse car elle ne nous permet pas de voir le monde autour de nous. L'autoroute est, elle aussi, impersonnelle, indifférente au milieu, mais nous pouvons, en la doublant de circuits annexes, la personnaliser.
(Voir croquis ci-après)
Je commence en A et parcours Al, A2, A3. Mais à ce moment-là j'éprouve le besoin de connaître ou de voir autre chose. Je regarde la carte et je vois en A3 l'amorce d'une voie secondaire qui me mène à un petit village signalé par le guide comme digne d'être vu. A ce moment-là, je quitte donc la ligne de base et m'en vais voir le document bis AB3. Si cette visite me suffit je peux retourner aussitôt sur l'autoroute soit en A3 où je l'ai quittée, soit en A4. Il se peut même que je préfère visiter une ligne d'agglomérations parallèles : AB4, AB5, après quoi je peux revenir en A4 reprendre la ligne centrale.
En indiquant bien, sur les bandes centrales, les références pour Bandes bis, nous avons le schéma parfait d'une programmation ramifiée, que nous pouvons compléter et compliquer à notre convenance, pour nos différents cours et nos diverses disciplines.
Dès que nos cours seront établis, nous éditerons des schémas semblables que chaque classe complétera à son gré.
Ces possibilités seront particulièrement précieuses dans nos cours complexes : Fin d'Etudes, CES, Technique, Second degré, etc...
Nous aurions pu prévoir, dans nos Boîtes enseignantes, et cela aurait été facile, une fenêtre latérale sur laquelle les enfants auraient inscrit les réponses en face des questions. Cela aurait pu être techniquement supérieur, mais alors la bande n'aurait pu servir qu'à un élève, et une seule fois, ce qui en aurait accru considérablement le prix de revient.
Nos bandes ont l'avantage d'être pratiquement inusables. Elles coulissent librement dans le couloir de la boîte et ne peuvent ni se déformer ni se déchirer.
Les élèves écrivent la réponse sur un cahier spécial.
La technique était déjà la même avec le travail sur fiches du Fichier autocorrectif. Et pourtant, sans pouvoir pour l'instant en analyser toutes les raisons, nous avons constaté dans tous les cas, une amélioration très sensible du soin apporté dans ce travail, de l'ordre, de la méthode dans l'exposé des réponses. C'est sans doute là l'influence de la machine - notre Boite enseignante en l'occurence - qui nous vaut cette amélioration qualitative, mais aussi une vision intellectuelle plus synthétique des problèmes proposés, l'éveil d'un sens de généralisation que l'enfant n'avait pas avec le Fichier morcelé en fiches en apparence indépendantes.
Et entre certainement en compte le fait que le travail sur bande, pour les diverses raisons que nous en avons donné, n'est plus, pour les enfants, un travail scolaire inhibiteur, mais bien une activité intéressante que chacun exécute au mieux, avec goût et conscience, qualités qu'il est précieux, pour une méthode pédagogique, de pouvoir susciter et encourager.
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Notre machine ne supprime pas, par elle-même, le mal. Aucune machine ne le supprime. Elle pourrait, tout comme les machines américaines rendre la copie techniquement impossible. Ce souci est peut-être valable à l'Ecole traditionnelle où il s'agit de contraindre l'enfant à faire les travaux prévus, qu'il ait ou non envie de les faire, qu'il en éprouve ou non le besoin.
Mais empêcher l'enfant de copier n'est qu'une solution de détresse. Une bonne pédagogie doit supprimer à l'Ecole la tentation de copier. Tous les problèmes de tricherie seront alors résolus.
Nous y parvenons dans une large mesure avec nos techniques :
- Nous tâchons d'intéresser l'enfant à son travail. Si nous y parvenons, il n'essaiera pas de copier puisque ce qui lui importe alors, ce n'est pas la solution formelle du problème, mais l'intérêt du travail lui-même. Il ne viendra jamais à l'idée d'un enfant partant pour la pêche, de « faire semblant », dans une sorte de pêche buissonnière. Ce qui est l'essentiel pour lui c'est de pêcher pour prendre du poisson.
- Ce qui incite d'ordinaire à la tricherie et à la copie, ce sont les notes, le classement, la fausse compétition scolaire et la crainte de la punition. Ce sont ces éléments, hélas, traditionnels, qui faussent gravement les pratiques ordinaires de l'enseignement. Si le jeune pêcheur était noté selon l'importance de sa pêche, ou s'il risquait une punition pour le cas où il rentrerait bredouille, alors oui, il essaierait de tricher.
En supprimant dans nos classes les conditions anormales de travail, nous supprimons du même coup toutes tendances à la tricherie. Mais cela suppose aussi que nous rétablissons des normes naturelles d'activité et de vie.
Pour l'Ecole traditionnelle, l'enfant est toujours considéré comme un coupable en puissance, qu'on accuse volontiers de mauvaise volonté et de paresse. Mais cette mauvaise volonté et cette paresse ne sont que la résultante d'autres causes : santé déficiente, troubles affectifs familiaux ou sociaux, et aussi, mauvaise qualité du travail proposé. Or, si nous sommes souvent impuissants pour tout ce qui touche à la santé et aux troubles affectifs, il est par contre davantage en notre pouvoir d'offrir à nos enfants une activité qui mobilise toutes leurs forces créatrices et constructives. La programmation que nous avons entreprise nous y aidera.
Dans la pratique, nos enfants prennent conscience de la valeur et de la portée de leur travail. Ils se rendent compte que copier une réponse est tout à fait inconséquent, puisque c'est tourner à vide et se fatiguer pour ne rien faire, et qu'il est plus intelligent de se reposer purement et simplement que de copier, le résultat étant le même.
L'adjonction à nos Boîtes enseignantes d'un système de non copiage serait ressenti par nos enfants les plus doués, comme une sorte d'offense, de manque de confiance, auxquels ils seraient très sensibles.
Le rangement des bandes en classe (Photo J.Painchaud) |
Et pourtant, même dans l'atmosphère de confiance que nous nous efforçons d'instaurer dans nos classes, nous nous trouvons parfois en face de pratiques voisines du copiage et que, par un reliquat indéracinable de vieille pédagogie, nous aurions tendance à sanctionner.
L'enfant a à résoudre une question difficile et complexe. Le problème comporte deux données dépendantes l'une de l'autre. L'enfant qui a résolu la première éprouve le besoin de confronter son résultat avec la réponse de la bande. Et il n'a pas tellement tort puisque s'il s'est trompé, le travail qui suivra sera inutile.
Il fait par exemple une division compliquée. Il n'est pas sûr de la retenue qu'il a indiquée. Doit-il continuer sur cette crainte d'erreur ou, au contraire, assurer dès maintenant son acquis ?
Il est facile de tourner le bouton pour vérifier si la portion de réponse faite est exacte, s'il doit corriger ou, au contraire, continuer, rassuré. Nous avons observé nos enfants opérer : ils regardent sur la réponse ce qui seulement les intéresse, sans anticiper sur le travail à venir.
Si nous étions à leur place, dans les mêmes conditions et dans une semblable atmosphère de loyauté et de conscience, opérerions-nous différemment ?
D'ailleurs, dans tout notre travail de préparation et de pratique des bandes nous nous poserons toujours la question : « Et si nous étions à la place de nos élèves, que ferions-nous ? » Nous rectifierons alors notre attitude qui, à notre insu, risque à tout instant de verser à nouveau dans la scolastique. « Chassez-la par la porte, elle revient par la fenêtre », pourrions-nous dire.
*
Je sais bien que, dans la pratique, nous ne parviendrons que progressivement à créer cette atmosphère de confiance et de travail. Nous aurons bien souvent encore à faire à des enfants totalement déformés et pervertis par la scolastique et pour qui la tricherie est devenue une Technique de Vie scolaire. On ne modifie que très lentement et très difficilement une technique de vie ; et les rechutes, même lorsqu'il y a amélioration sont toujours possibles. Mais un coup d'oeil sur les cahiers permet de déceler bien vite la tricherie auquel cas l'enfant aura à faire effectivement le travail qu'il avait esquivé. Il se rendra compte lui-même qu'il a fait du travail inutile et que, chez nous, la tricherie ne paie pas.
Le manque de dispositif de contrôle dans nos Boites n'est donc pas une tare à porter au passif de nos techniques. Il montre du moins que nos machines sont conçues, non pour la pédagogie scolastique d'hier, mais pour les activités constructives que nous nous honorons de préparer et de servir.
2° Bandes programmées pour techniques complexes
Nous avons placé, dans la série précédente des bandes plus spécifiquement auto-correctives, pour lesquelles la demande entraîne une réponse pour ainsi dire automatique : opérations diverses, décimales, mesures, conversions, etc... Pour la réalisation de ces bandes nous avons eu à nous préoccuper plus spécialement de la progression des difficultés et du choix des exercices qui permettent de les dominer - ce qui est relativement simple.
Les choses changent quand nous avons à résoudre des problèmes complexes où entrent en ligne de compte non seulement les opérations, mais aussi la compréhension générale, le déroulement des opérations, le sens mathématique, toutes choses que la programmation du type américain considère comme trop abstraites.
Or, tous les problèmes vivants sont toujours plus ou moins complexes. C'est l'Ecole qui les simplifie arbitrairement en les isolant de leurs contextes, en vue d'établir une soi-disant gradation dans les difficultés.
Vous allez prendre de l'essence. Vous payez la somme portée au compteur, opération automatique qui est certes du domaine de la mécanique. Mais si vous voulez étudier le problème de l'alimentation en essence tel qu'il se pose dans la réalité
de la vie, alors surgiront une diversité de considérations annexes que vous ne pourrez pas négliger : consommation aux 100 km, sur autoroute, en montagne ou en ville, vitesse normale ou allure trop poussée, etc...
C'est cette complexité qu'il nous faut apprendre à aborder, comme pourrait le faire une machine électronique, et c'est elle qui nécessite une programmation spéciale.
Prenons le problème suivant, donné à un récent examen du Certificat d'Etudes Primaires. La caractéristique de ce problème, c'est sa complexité, aggravée encore intentionnellement par les administrateurs qui ont préparé les épreuves, dominés qu'ils sont par la manie du contrôle.
Problème
Une cuisine mesure 4,5 m de long sur 3,6 m de large et 3,20 m de haut. On veut la restaurer. Les murs et le plafond sont peints et le plancher recouvert en partie d'un linoléum qui se trouve à 0,50 m des murs de tous côtés. La peinture des murs coûte 1,40 F le mètre carré et celle du plafond 0,82 F le mètre carré. Le linoléum coûte 9,10 F le mètre carré.
Quelle est la dépense ?
Les élèves se perdent couramment dans de tels problèmes parce qu'ils ont été habitués à ne considérer en l'occurrence que les opérations à faire et non les données qui les nécessitent.
Le problème ci-dessus, il nous faut le reprendre sans tenir compte d'abord des difficultés mécaniques et « l'ordonner », « l'ordiner », comme le font les ordinateurs électroniques.
La chose n'est d'ailleurs pas pour nous tellement nouvelle, Nos plans de travail sont, avant le mot, une ordination et une programmation : nous examinons le lundi les travaux à faire pour la semaine, dans le double cadre de la vie de l'Ecole et des programmes. Nous étudions ensuite de plus près la répartition du travail, l'ordre dans lequel les diverses tâches doivent être exécutées, la fonction de chacun des participants.
C'est ce que fait le père d'une famille paysanne qui « ordonne » et « programme » le travail du lendemain. S'il s'agit d'une monoculture avec spécialisation très poussée des travailleurs, il n'y a pas de problème : le mécanicien tiendra les machines en ordre ; le faucheur ira au pré et le vendeur à la ville.
Mais le problème est complexe quand il faut tout à la fois soigner les bêtes, ramasser le foin, commencer la moisson des blés qui mûrissent, aller vendre les produits au marché.
Si le chef de famille « n'ordonne » pas le travail, en précisant dans quel ordre doivent se faire les diverses opérations, l'ensemble ne fonctionne pas et de graves erreurs seront commises dont souffrira toute la communauté.
C'est cette programmation que nous voulons enseigner par nos bandes de calcul complexe.
Voici donc comment un instituteur soucieux de prendre les choses par le bon bout pourrait programmer le problème ci-dessus :
Exemple de programmation
1°. - Une cuisine mesure 4,5 m de long sur 3,6 m de large.
Quelle est la surface du plancher ? (dessine la figure).
2°. - Le plancher est recouvert en partie d'un linoléum qui se trouve à 0,50 m des murs de tous les côtés (dessine le linoléum sur la figure).
Calcule la longueur du linoléum.
Calcule la largeur du linoléum.
3°. - Quelle est la surface du linoléum ?
4°. - Le linoléum coûte 9,10 F le ml. Quelle est la dépense ?
5°. - On veut peindre les murs. Il faut en calculer la surface.
Tu peux calculer la surface du mur sur la longueur et multiplier par 2.
Puis la surface du mur sur la largeur et multiplier par 2.
Tu ajoutes le tout et tu as la surface totale des murs.
6°. - Mais tu peux aussi développer les murs comme ceci :
I
|
L
|
I
|
L
|
Quelle est la longueur de ce rectangle ? Sa hauteur ? Sa surface ?
7°. - La peinture des murs coûte 1,40 F le mètre carré. La dépense sera :………. F
8°. - On veut peindre aussi le plafond qui a une surface de ……m²
La peinture coûte 0,82 F le mètre carré.
La dépense sera de : …….F.
9°. - Si nous ajoutons la dépense pour : le parquet, les murs, le plafond, le linoléum, nous avons la dépense totale qui est de…… F.
Cette programmation nous amène à faire ici quelques observations :
a) Par cette programmation nous rétablissons l'ordre des difficultés. Le délicat, en l'occurrence, n'est pas de résoudre les opérations, ce dont s'acquitterait fort bien une vulgaire machine à calculer, mais de savoir quelles opérations il faut faire et à quel moment.
b) La preuve en est qu'un problème convenablement programmé est un problème résolu. Chaque élément de la programmation ne présente plus qu'une difficulté technique facilement surmontable.
On s'en rend compte dans les examens. La plupart des élèves, axés plus sur la technique que sur la compréhension font les opérations au hasard, multipliant là où il fallait diviser, soustrayant au lieu d'ajouter. Le moins qu'on puisse dire c'est que c'est là une préparation peu valable pour l'enseignement des mathématiques.
Dans une première phase, nous présenterons donc aux enfants des problèmes complexes programmés. Dans une deuxième phase nous les entraîneront à programmer eux-mêmes les problèmes qui leur sont soumis, les bandes ainsi produites pouvant constituer des bandes-bis pour le cours de calcul.
c) Un obstacle majeur inquiète tout particulièrement auteurs et éditeurs de manuels scolaires : la programmation prend beaucoup plus de place que les solutions habituelles qui ne sont d'ordinaire que des condensés et va les obliger à utiliser une quantité effrayante de papier. Cet inconvénient est moins déterminant avec nos bandes dont nous avons dit la souplesse de conception et d'emploi.
Apprendre à programmer les problèmes devient donc une technique nouvelle à laquelle nous devons entraîner maîtres et élèves.
3° Bandes programmées pour l'exploitation des complexes d’intérêt
De telles bandes ne se conçoivent guère que dans le cadre de notre pédagogie qui a révélé l'intérêt majeur des complexes d'intérêt.
De quoi s'agit-il ?
a) EXPLOITATION PEDAGOGIQUE D’UN COMPLEXE D’INTERET SUSCITE PAR LES TEXTES LIBRES OU LA VIE DE LA CLASSE
On sait tout l'intérêt pédagogique des Centres d'intérêt dont Decroly a été l'initiateur. Ils contribuent à suivre au maximum les lignes de vie des enfants et donc à les inciter à l'activité et au travail.
Nous avons renouvelé ces centres d'intérêt par la pratique des Textes libres qui nous révèle les vrais centres d'intérêt que nous préférons appeler complexes pour bien indiquer que nous ne les abordons non point scolairement, mais dans toutes leurs incidences techniques, sociales ou affectives.
L'exploitation de ces complexes nécessitait une abondante documentation que ne nous donnaient pas les manuels scolaires, seuls outils de la classe. Nous avons alors :
- créé dans nos classes le Fichier Documentaire pour lequel nous avons mis au point une classification décimale spéciale (1)
- réalisé une grande Encyclopédie scolaire Bibliothèque de Travail, riche aujourd'hui de 600 brochures(1)
- Organisé la correspondance interscolaire qui nous apporte les échos du monde.
(1) Editions de l'Ecole Moderne, Cannes
Seulement, ces complexes d'intérêt n'avaient pas encore pu gagner la masse des classes parce qu'ils se présentaient pour l'instant comme de riches virtualités, mais que nous n'étions pas en mesure d'exploiter.
Nous le pouvons désormais avec les bandes enseignantes.
Que les textes libres, traduction de la vie du milieu, éveillent l'intérêt de la classe pour le bulldozer qui est en train de tracer une route dans le quartier. Nous savons que cette donnée est riche et qu'elle peut être féconde. Encore faut-il en « ordonner » l'étude :
a) Nous préparerons le soir une bande avec laquelle une équipe ira le lendemain enquêter sur le chantier.
b) Nous préparerons d'autres bandes avec références aux BT sur :
- les diverses machines de terrassement ;
- l'origine de l'essence et du gaz-oil ;
- les prix de revient du chantier entrepris ;
- l'Histoire de la construction des routes, etc...
Munis de ces bandes, les enfants pourront alors entreprendre avec méthode l'étude de ce complexe d'intérêt.
Les documents réunis ensuite en album seront adressés aux correspondants.
Voici un exemple de bande pour complexe d'intérêt :
b) PREPARA TION DUN EXPOSE OU D'UNE CONFERENCE
Cette pratique dont nous avons été les initiateurs, va se répandant notamment dans les grandes classes et les CES. Elle peut et doit devenir une des pratiques de fond de la nouvelle pédagogie.
Ces bandes seront à la portée de toutes les classes
- qui disposent de la documentation indispensable ;
- pour lesquelles on aura préparé des bandes programmées.
Il ne faut pas penser en effet que l'enfant va faire une conférence valable, s'il n'a pas la documentation nécessaire, et s'il n'est pas en mesure de l'ordonner pour la mettre en valeur.
L'enfant choisit le thème qui l'intéresse :
Mon voyage au Laos
Les Eskimos
L'aigle et les rapaces
La fabrication du beurre et du fromage
Les coquillages marins et les fossiles
Les travaux du barrage d'Assouan
Les pyramides d'Egypte
Les sauvetages en mer
Vallauris : 100 potiers
Les religions de l'Inde
Mes plongées sous-marines
Les soucoupes volantes
Le Sud-Ouest de la France
L'aménagement du Pôle Nord
La vie à Brasilia
L'enfant recherche, avec notre aide, les documents. A ce moment-là nous programmons la Conférence en indiquant, avec renvois à la documentation, les diverses, séquences que le conférencier traitera les unes après les autres.
Nous donnons ci-après un exemple de programmation pour Conférence.
C) PROGRAMMATION DES BROCHURES BT (BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL)
Nos BT constituent des thèmes d'étude et de conférences relativement faciles à exploiter.
Nous avons entrepris la programmation de ces BT de façon que, sur les bases de ces brochures nos élèves puissent préparer des Conférences intéressantes, préalablement rédigées sur cahier.
Nous donnons ci-dessous un exemple de programmation de BT.
Nous ne savons pas dans quelle mesure il nous sera possible d'éditer ces bandes programmées documentaires. Sur les exemples que nous donnons, maîtres et élèves seront, en attendant, en mesure de les rédiger eux-mêmes selon les besoins de leur classe.
C'est avec ces bandes de travail surtout que nous apportons du nouveau.
On peut trouver dans des fichiers, des cahiers ou des manuels des séries de calcul et de français qui présentent des exercices approchants de ce que nous avons réalisé.
Mais rien n'existe encore pour préparer au libre travail des enfants. Pour cela l'outillage bien que nécessaire, n'est pas encore suffisant. Encore faut‑il savoir l'utiliser dans le cadre d'une pédagogie du travail.
1°. - BANDES DE TRAVAIL POUR CALCUL VIVANT
Les problèmes complexes qui se posent à nous ne manquent pas. Nous pourrions dire que tout est problème autour de nous, pourvu que nous sachions nous dépouiller de la déformation scolastique qui les masque à notre vue.
Mais si même nous les détectons, sommes-nous en mesure d'en faire l'exploitation pédagogique, c'est-à-dire de les intégrer à nos techniques scolaires pour leur donner un but et une motivation sociale ? Là réside en effet la principale difficulté d'utilisation scolaire du Calcul vivant qui supposait jusqu'à ce jour une capacité hors ligne d'improvisation dont peu d'éducateurs sont capables.
Près de l'Ecole, les maçons montent les murs d'une maison. Puis viendront les charpentiers, les plâtriers, les carreleurs, les plombiers, les menuisiers, les peintres. Nous sentons bien qu'il y aurait, à étudier leur métier, une infinité de questions que nous aurions le naturel désir de mieux connaitre. Nous allons sur place faire des enquêtes mais nous sommes mal fixés sur les questions à poser, sur le déroulement des travaux, sur les études à amorcer. Nous n'avons pas de directives suffisantes, et les manuels existants nous sont en cela d'un maigre secours.
Nous restons alors à mi-chemin de notre entreprise et nous sommes obligés de retourner aux manuels parce que nous n'avons pas su nourrir ces possibilités.
Avec les bandes enseignantes au contraire, nous avons une solution presque idéale du Calcul vivant aux divers Cours.
Nous avons alors la possibilité de faire sur le thème La construction de la maison un travail ordonné et sérieux.
Si nous avons dans les éditions CEL une série de bandes de travail se rapportant à ce thème, notre mise en train en sera facilitée. Sinon nous préparerons les Bandes-bis correspondantes.
- Une bande pour l'élève, ou l'équipe, qui étudiera le travail des maçons, avec indication de toutes les recherches à faire et des questions à poser : prix des matériaux, nombre de briques au m², surfaces et volumes, prix des journées, transports, etc...
Tout cela sera prévu et ordonné dans la Bande programmée que les enfants prendront en mains pour faire leur enquête. Ils en transcriront ensuite les résultats sur leur cahier ou sur les pages d'un album.
- Une autre bande programmée permettra l'étude méthodique des charpentiers et des carreleurs.
- D'autres équipes enquêteront de même auprès du menuisier, sur les conditions de construction, des agents immobiliers...
Ainsi, nous ne partons plus à l'aventure, aveuglément, pour buter à chaque pas devant les difficultés inattendues. Nous faisons ensemble, grâce aux bandes programmées, un travail précis et formateur.
Voir ci-après quelques exemples de ces bandes de travail pour le Calcul vivant :
BANDES PROGRAMMÉES
de travail pour l’enseignement
Aucun enseignement n'est plus délicat que celui de l'Histoire.
Il est exact d'une part que l'enfant est inaccessible à une certaine forme d'histoire parce qu'il manque du recul du temps que seule peut donner l'expérience de la vie. Nous ne saurions négliger d'autre part que l'enseignement historique a toujours été utilisé par les forces au pouvoir pour conditionner les hommes à une conception du patriotisme, à un respect aveugle de l'autorité qui sont les piliers de tous les régimes d'exploitation.
Inutile de dire que nous ne sommes nullement partisans de cette forme d'enseignement et que nous nous évertuons à réaliser un enseignement éducatif et culturel de l'Histoire sur la base d'une étude expérimentale de la civilisation.
Nous estimons superflue et dangereuse la mémorisation des faits, des événements et des dates tels qu'on pourrait les enseigner avec des bandes programmées genre américain. Nous partons, pour cet enseignement, de l'étude du milieu, des enquêtes auprès des personnes âgées, de l'examen de tous documents authentiques, qu'ils soient fossiles, vieilles pierres, monuments, architecture, folklore, etc... Ce sont les éléments dont le souvenir jalonne le passé et nous aide à mieux comprendre le présent.
Pour faciliter ce travail de prospection, et pour mieux le situer dans le temps, nous avons partagé la période historique en " moments " autour desquels nous regroupons les éléments étudiés. Voici quelques-uns de ces " monuments ".
EPOQUES
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MOMENTS
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PREHISTOIRE | - Paléolithique - Néolithique - Age des métaux |
L'ORIENT - LA GRECE | - Egypte - Orient - Grèce |
ROME | - Avant l'Empire (Gaule indépendante) - L'Empire romain (Gaule romaine) |
Pour l'étude de ces moments historiques, nous avons mis au point des fiches-guides, publiées en brochures (Supplément BT, Editions de l'Ecole Moderne, Cannes ).
Ces fiches-guides ont les avantages, mais aussi les inconvénients que nous signalons pour d'autres disciplines : la programmation n'y est pas assez poussée. L'enfant ne pourra pas mener à bien son travail si le maître n'intervient pour lui donner les conseils technologiques indispensables. Jusqu'à présent, nous laissions en somme aux éducateurs le soin de pourvoir à ce travail d'adaptation et de personnalisation. Mais ces éducateurs n'étaient que rarement eux-mêmes en mesure d'y pourvoir, de sorte que nos fiches-guides étaient loin de nous donner tout ce qu'elles promettaient.
Les Bandes programmées de travail vont nous apporter une solution qui, si elle n'est pas idéale, nous permettra du moins de travailler avec beaucoup plus d'efficience.
Nous aurons, sur les moments considérés :
- des Bandes de connaissances, basées plus spécialement sur les BT qui comportent de très nombreux documents à la portée des enfants ;
- des Bandes de travail, par l'utilisation notamment de nos brochures Supplément BT pour découpages et constructions de maquettes, dioramas, ombres chinoises avec adaptation au théâtre et aux marionnettes.
- des Bandes de synthèse, qui feront le point de chaque moment pour le replacer dans le déroulement et dans la compréhension historiques.
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Notre Cours d'Histoire ainsi prévu se terminera par une série Instruction Civique correspondant à l'Histoire contemporaine.
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Voici un spécimen de bande d'histoire :
BANDES PROGRAMMES
de travail pour l'enseignement
L'enseignement de la géographie est, par la force des choses, sensiblement moins dogmatique que celui de l'Histoire. Si l'enfant est pour ainsi dire absent de l'Histoire, il baigne au contraire, par tous ses sens, et par sa vie même, dans le complexe géographique et les données locales du milieu : les voyages, les images de toutes sortes, le cinéma et la télévision donnent de bonne heure aux enfants une masse de connaissances que l'Ecole ne peut plus aujourd'hui négliger et qui modifient quelque peu les données courantes de cet enseignement.
Le problème est ici quelque peu différent de ce qu'il est pour les autres disciplines. Nous risquons en effet d'être débordés par une accumulation de documents de toutes sortes qui se présentent devant les yeux et à l'esprit des enfants comme une succession kaléidoscopique qui frise l'hallucination.
Notre rôle sera donc moins de rechercher ces connaissances que de les ordonner et de les programmer pour les rattacher à nos éléments de vie et les rendre ainsi plus éducatifs.
Voici un spécimen de bande de géographie.
BANDES PROGRAMMES
de travail pour l'enseignement
L'enseignement des sciences, qui devrait être celui de l'expérience, en est resté à l'ère du verbiage.
On a cru pendant longtemps - et on le croit hélas, encore - que cet enseignement peut se poursuivre par explications théoriques et démonstrations, qui font faire aux maîtres et aux élèves l'économie de l'expérience.
Les manuels scolaires sont l'expression de cette pédagogie. On n'y donne pas dans le détail les indications techniques pour l'observation véritable et l'expérimentation, ce qui serait trop long et ne permettrait pas de « voir » tout le programme. On se contente d'expliquer les phénomènes à examiner et les expériences faites par d'autres, avec les conclusions qu'ils en ont tiré, tout cela en vue d'une mémorisation et d'un conditionnement qui permettront d'affronter avec succès les examens. On pourrait d'ailleurs prévoir des bandes pour cette mémorisation comme le font les machines à enseigner américaines.
Seulement, nous n'atteindrons ainsi qu'à un verbiage qui a l'inconvénient non seulement de ne préparer en rien la formation scientifique, mais aussi de décourager les élèves chez qui on ne mobilise ni l'intelligence, ni le besoin de création, ni l'initiative constructive.
Or, l'évolution scientiflque contemporaine qui fait de plus en plus appel aux vrais chercheurs, aux expérimentateurs et aux techniciens, persuade peu à peu les éducateurs que, comme pour le calcul, il y a toujours à la base de l'initiation l'expérience, l'observation et la création. Nous n'aurons rien fait si nous ne permettons pas leur pratique à l'école.
Cette idée pourtant simple et naturelle se heurte malheureusement à la difficulté qu'éprouvent les éducateurs pour passer de la théorie et de l'explication scolastique à l'expérience pratique, au travail et à la vie.
Il faut dire à leur décharge que, dans la technique scolaire actuelle, rien n'a été prévu pour faciliter ce passage.
- Les maîtres ont tous été formés à l'enseignement verbal et théorique et sont très inhabiles pour pratiquer une autre technique de travail ;
- Aucun matériel de travail et d'expérimentation scientifique n'a été prévu pour les classes, le matériel existant dans certaines écoles n'étant qu'un matériel de démonstration dont seul le maître a l'usage ;
- Les manuels scolaires sont faits pour l'Ecole d'explication et non pour une école de recherche et d'expériences ;
- La place manque d'ailleurs dans les classes pour cette pratique des véritables sciences.
Nous devons reconnaître à la vérité que si ces observations restent exactes dans leurs principes, nombreuses sont aujourd'hui les écoles qui, par les moyens du bord, s'essaient à un enseignement plus actif. Quelques manuels ont également amélioré dans ce sens leçons et devoirs. Mais tout reste à faire encore.
Il ne suffit d'ailleurs pas d'exhorter maîtres et élèves à observer, à inventer, à créer. Nous ne pouvons pas, en la matière, tout attendre de l'imagination des enfants et de l'improvisation des adultes. Le travail scientifique se prépare sur la base des outils et des techniques.
Nous nous sommes efforcés de créer et de mettre au point ces outils et ces techniques.
- Depuis trente ans, nous avons travaillé à la réalisation, pièce à pièce de notre encyclopédie programmée Bibliothèque de travail qui compte de nombreuses brochures de sciences ;
- Notre publication Supplément BT comporte de nombreuses brochures de travail ;
- Nous avions préparé aussi des Fiches-guides qui étaient destinées à aider les enfants dans leurs recherches et leurs travaux. Mais, tout comme nos fiches-guides d'histoire dont nous avons parlé, ces fiches-guides n'étaient, nous l'avons dit déjà, qu'un embryon de programmation que le maître devait lui-même reprendre et compléter ;
- Nous faisons un pas de plus, qui pourrait être décisif avec nos bandes de travail scientifique.
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Bandes programmées de travail
L'idée dont nous avons été les promoteurs commence à porter ses fruits, en cette période cruciale où l'évolution scientifique incite les éducateurs et les chercheurs à reconsidérer l'initiation scientifique.
Apprendre à compter mécaniquement, faire de même les quatre opérations n'est pas forcément, comme on pourrait le croire, à la base de cette initiation. Nous prétendons même que « la technique tue l'esprit », et que, apprendre aux enfants à compter mécaniquement avant qu'ils aient la notion des opérations arithmétiques bloque en eux tout esprit mathématique.
On apprend à compter en comptant ; on apprend à calculer en calculant, en dénombrant, en comparant, en pesant, en mesurant, en achetant et en réglant des dépenses. Ce sont là les vraies opérations de base à instaurer dans nos écoles.
Le bon sens populaire le comprend, et les maîtres n'en sont pas forcément démunis. Mais quelle est la classe où l'on peut, je ne dis pas une fois en passant, pour démonstrations, mais en permanence, par tâtonnement expérimental, compter, mesurer, peser ? A défaut, les éducateurs en sont réduits à se contenter d'une mécanique abstraite qui n'est qu'un ersatz fragile du véritable enseignement mathématique.
Nous avons dit alors à nos adhérents : installez dans votre classe un atelier de calcul, qui soit le pendant de l'atelier d'imprimerie, de gravure, de dessin, de céramique que nous avons peu à peu introduits dans nos écoles.
Sur une table placée au fond de la classe, vous placerez une balance et des poids, un décimètre et un mètre, des mesures et des flacons de diverses contenances, des pièces de monnaie et des billets, etc, et vous laisserez les enfants expérimenter et agir.
Mais vous constaterez bien vite à l'usage que laisser faire ne suffit pas en l'occurrence : lorsqu'ils auront mesuré la table ou la porte, pesé un livre ou même un lapin, ils seront à court d'idées et le maître ne saura pas davantage, la plupart du temps, comment les aider. Il ne peut pas, dans ce domaine non plus improviser sans danger.
Avec nos bandes enseignantes, nous avons, là aussi, fait un pas décisif.
Nous donnons ci-dessous quelques spécimens de bandes de travail de calcul. Nous en sortirons incessamment une série complète qui permettra à nos élèves de CP et de classes de perfectionnement de mesurer, de compter, d'expérimenter longuement et effectivement pour acquérir la véritable initiation de base.
On imagine mal ce que de telles bandes apportent dans les classes comme possibilités de travail. Il faut avoir vu les enfants prendre la boîte garnie de sa bande, d'un carnet pour les notations, se munir des outils indiqués - décimètre et mètre par exemple - et mesurer consciencieusement tout ce qui y est indiqué. Application, goût du travail, méthode, souci de la recherche et de la précision, telles sont quelques-unes des qualités qui sont automatiquement obtenues par l'emploi de ces bandes de travail, et dont l'intérêt qu'elles suscitent a dépassé tous nos espoirs les plus optimistes.
des Bandes Enseignantes
Nous ne donnons là que l'usage plus spécifiquement primaire des Bandes programmées.
Nous en expérimentons l'usage, que préciseront d'autres publications :
- Dans les CES et au Second degré :
Nous envisageons là, tout de suite la programmation, auto-corrective ou non, des acquisitions plus spécialement techniques en Arithmétique, en Algèbre, en Géographie, en Grammaire.
Des bandes de travail seront préparées et éditées ensuite pour l'Histoire, les Sciences et le Français.
-Dans l'enseignement technique où l'on pourrait généraliser avec profit l'emploi de ces bandes ;
- Pour l'enseignement des langues, avec emploi combiné du magnétophone, des disques et des projections fixes ou animées ;
- Pour l'enseignement de la lecture et de l'écriture dans les pays en voie de développement pour lequel nous préparons des bandes spéciales.
Le Centre International de Programmation de l'Ecole Moderne à Cannes s'est attaqué à ce problème complexe de la production des Bandes enseignantes pour lequel sont recrutés exclusivement des éducateurs en exercice qui expérimentent dans leur classe.
La mise au point des Bandes enseignantes est, comme toutes les productions de l’ICEM ( Institut Coopératif de l'Ecole Moderne) oeuvre coopérative.
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Une nouvelle forme de classe
susceptible de revaloriser
tous les enseignements
Nous avons ainsi passé en revue, trop brièvement certes,
- la conception psychologique et pédagogique des machines à enseigner et du matériel programmé du type américain ;
-‑ l'originalité de notre réalisation des Boites et Bandes enseignantes pour les divers enseignements ;
- les perspectives d'avenir qui nous laissent entrevoir une reconsidération de la psychologie et de la pédagogie sur les données mêmes de la vie, en même temps que seront rendues plus efficientes les techniques scolaires que nous avons promues au sein de notre Ecole Moderne.
On jugera peut-être que notre enthousiasme est au moins prématuré et que ce n'est pas l'introduction dans nos classes d'une simple boîte qui va ainsi bouleverser tout notre enseignement.
A la vérité nous avons été surpris nous-mêmes par l'intérêt toujours renouvelé que les enfants ont porté à cette nouveauté. Après plus d'une année de travail conséquent et loyal à l'Ecole Freinet, nous ne sentons toujours ni désaffection, ni lassitude.
La constatation a été identique dans les nombreuses classes qui ont mené, plus ou moins totalement, la même expérience.
Munis maintenant du matériel de base, forts déjà d'une technique méthodique dont nous avons expliqué les fondements, nous pouvons désormais préciser le schéma de ce que seront les classes françaises en cours de modernisation.
L'Ecole Freinet fonctionnera exclusivement selon ce schéma au cours de l'année scolaire 1964-1965.
La classe moderne programmée comporte trois sortes d'activités :
1°. - Le travail en commun, sous la direction de l'éducateur pour l'établissement des plans hebdomadaires de travail ; pour le texte libre et son exploitation pédagogique ; pour la correspondance interscolaire.
2°. - Le travail libre sur bandes, conformément aux plans de travail.
3°. - La synthèse.
Il est impossible à notre sens que la classe fonctionne exclusivement avec des bandes, comme elle fonctionnerait ailleurs avec des machines à enseigner américaines. Ce serait l'Ecole en miettes, qui pourrait être instructive et préparerait techniquement pour les examens mais qui n'en faillirait pas moins à sa mission éducative.
Remarquez que l'Ecole manque aussi bien à sa mission quand le travail débute par une leçon de manuel, que suivent d'autres leçons et exercices, si le maître ne corrige pas leur anonyme sécheresse par des explications et des causeries qui les rattachent au milieu et au devenir culturel de la classe.
Nous avons, pour ce qui nous concerne, mis au point une technique pratique et facile pour accrocher ainsi le travail de la journée à la vie même de nos enfants, par le Texte libre qui devient maintenant d'usage courant et officiel dans les écoles. Nous recommandons de commencer tous les jours la classe par ce Texte libre, même si on ne doit en faire aucune exploitation pédagogique. Il nous permet du moins de prendre avec les élèves, dans leur milieu, un contact affectif qui peut être décisif (C. Freinet : Le Texte libre, BEM n° 3, Ed. de l'Ecole Moderne, Cannes).
Ce contact sera plus déterminant encore si, selon notre pédagogie, le texte voté est imprimé ou limographié, intégré au journal scolaire, élément vital de la correspondance interscolaire, exploité pédagogiquement en vocabulaire (chasse aux mots) et grammaire, et, sur le plan culturel, par les exigences de la langue et le souci de l'adapter toujours mieux à l'expression de la pensée et des sentiments.
Une telle pratique est à la portée de toutes les classes elle ne suppose qu'un léger aménagement de la pratique habituelle.
Tout aussi importante est la préparation préalable que nous opérons sur la base du Plan de Travail.
Tant que le manuel régente votre classe, vous n'avez pas besoin de Plan de Travail spécial. Vous n'avez qu'à tourner les pages : vous savez chaque jour, à chaque instant où vous en êtes de votre emploi du temps. C'est évidemment une commode sécurité.
Mais :
- Par cette technique du manuel scolaire vous vous adressez à l'unité classe, supposée homogène, avec des éléments tous au même niveau, et progressant au même rythme - ce qui est une arbitraire vue de l'esprit. Vous savez bien que chaque enfant, même dans les classes soi-disant homogènes des villes, a sa personnalité, ses intérêts spéciaux, ses possibilités, son rythme de vie. Si vous négligez ces particularités, vous vous privez du coup d'une part plus ou moins importante des adjuvants majeurs de votre éducation. Il devient aujourd'hui banal de dire que, dans de telles classes, 5 % seulement des élèves peuvent profiter à plein de votre enseignement. Ceux qui voudraient aller plus vite sont obligés de piétiner, Les queues de classe peinent à suivre et le rendement de votre travail ne répond jamais à vos efforts.
- Avec les bandes, nous nous orientons vers un enseignement plus individualisé, dont toute la pédagogie contemporaine reconnaît aujourd'hui la primauté. Vous ne pouvez absolument pas faire faire à tous les élèves les mêmes bandes, ce qui vous obligerait à avoir autant de jeux de bandes que d'élèves et vous ferait perdre l'avantage technique de l'échelonnement des élèves selon leur force, pour les diverses disciplines.
Mais alors, il vous faut obligatoirement, en plus du Plan de Travail hebdomadaire, qui vous permet un contrôle régulier du travail, des plannings, dont nous fournirons les prototypes, et dont voici un exemple :
Nous sommes alors à pied d'oeuvre.
Dès que notre travail en commun est terminé, vers 10 h, 10 h 30, le travail libre commence. Nous en prévoyons encore 1 h 30 à 2 h le soir de façon à réserver aussi chaque jour 2 à 3 heures de travail libre.
La classe change alors totalement d'aspect. Vous n'avez plus une salle de classe, mais une salle de travail comme le sont les Bibliothèques publiques, où chacun s'affaire, silencieux, à sa table, où l'on se déplace quand on en a besoin, et sans bruit, où règnent l'ordre et la discipline du travail.
Si vous avez soigneusement préparé votre plan, de sorte que chacun sache ce qu'il a à faire et ce qu'il peut faire ; si des bandes bien rédigées sont à la disposition des élèves, vous parviendrez à cette même atmosphère d'ordre et de paix.
La réalisation d'une telle ambiance est, d'abord, profondément décontractante et déconditionnante. Nous vous recommandons même de rompre si possible, pour ces heures de travail, la disposition matérielle des tables, les élèves pouvant se placer librement dans les recoins qui leur conviennent.
L'idéal serait même que les enfants puissent disposer, pour ce travail individualisé, d'un réduit ou d'un bureau où à 3 ou 4, ils travailleraient en paix. S'ils sont intéressés par leur travail, ils n'ont pas besoin du maître ; ils ont besoin de liberté et de calme, biens pour eux les plus précieux.
Que fait le maître pendant ce temps-là ?
Si les bandes étaient parfaitement préparées ; si les élèves étaient débarrassés totalement des mauvaises habitudes scolastiques ; si le plan de travail était suffisamment précis, vous n'auriez rien à faire : vous pourriez dans un coin, comme vos élèves, préparer d'autres bandes selon les besoins ou continuer les réalisations en cours.
Dans la pratique, tant que cette perfection ne sera pas réalisée, votre présence sera nécessaire et précieuse :
- un élève a terminé son travail et il est indécis pour savoir quelle bande il va attaquer .
- arrivé à un certain point de la bande, un autre hésite et a besoin d'un renseignement, ou veut faire vérifier un test ;
- un petit poète veut vous soumettre sa production...
L'initiative des enfants prend ainsi des chemins divers qui sollicitent votre attention. La nouvelle technique vous permet, à ces moments-là, d'être vraiment près de vos élèves. Vous n'êtes plus le maître ; vous devenez le camarade et l'ami.
Mais attention ! Ne vous conduisez plus en maître. Gardez-vous de hausser inutilement le ton, de gronder ou seulement de parler fort au risque de déranger la classe au travail. Parlez bas, conseillez confidentiellement. Si l'explication est trop longue à donner, sortez dans le couloir ou dans la cour pour parler plus librement et dépanner celui qui a recours à vous.
Jour après jour, vous serez étonné vous-mêmes de l'atmosphère nouvelle de votre classe, durant ces heures de travail sur bande. Les enfants sortent d'ailleurs librement quand ils en éprouvent le besoin. Vous dominez alors le chantier sans effort ; vous reposez votre gorge et votre système nerveux. Quelle salutaire révolution !
Il y a, à l'institution de cette forme nouvelle de travail, rendue possible par les bandes, un autre avantage considérable dont nous aurions tendance parfois à sous-estimer l'importance: pour la première fois, vos enfants sont libres de leur travail et de l'organisation de leur vie. Jusque-là, ils étaient sous votre autorité, sinon sous votre domination. lis ne pouvaient pas agir selon leurs tendances. Ils étaient conditionnés par l'Ecole, et ce conditionnement, peut-être tolérable par les élèves qui ont de grandes possibilités et qui réussissent, devient bien vite insupportable pour la masse croissante des enfants en difficulté. Vous les dégagez automatiquement de ce carcan et vous serez étonnés des conséquences de cette révolution qui est aujourd'hui à votre portée.
Nous avions constaté déjà ce besoin de libération avec nos Fichiers auto-correctifs. A notre grande surprise, les enfants qui, à l'Ecole Freinet, nous venaient de classes traditionnelles, n'étaient pas attirés d'abord par le texte libre, l'imprimerie ou la correspondance, mais bien par le fichier auto-correctif, et nous avons alors compris pourquoi : dans les classes traditionnelles, l'enfant avait des devoirs à faire, trop de devoirs, qu'il devait montrer au maître qui sanctionnait. Avec le Fichier il était, partiellement au moins, dégagé du maître ; il travaillait librement ; il prenait ses responsabilités et devenait, de ce fait, un être plus conscient. C'était pour lui la plus exaltante des conquêtes.
L'enfant est encore plus sensible à ce sentiment de libération avec le travail sur bandes qui supprime plus radicalement l'opposition maîtres-élèves qu'entretiennent les méthodes autoritaires traditionnelles.
Nous pouvons apporter là un témoignage que nous considérons comme définitif.
Les pédagogues ont toujours donné comme un exemple de totale réussite le fait que, dans certaines circonstances favorables, les enfants pouvaient rester seuls dans leurs classes, pendant une matinée ou même un jour tout entier, en l'absence du maître.
Nous n'étions jamais parvenus, à l'Ecole Freinet, à laisser ainsi les enfants seuls, dans leurs classes au travail plus de quelques heures. L'organisation de la Coopérative Scolaire elle-même s'était avérée impuissante à obtenir ce résultat (il faut nous méfier de certaines organisations de Coopérative Scolaire où le Bureau et le Président tirent de leur titre une grande autorité parfois abusive qui leur permet éventuellement de remplacer le maître pour le maintien de la discipline, ce qui ne résoud qu'apparemment le problème).
Il est vrai que nous avons en général à l'Ecole Freinet, une trop forte proportion d'enfants difficiles, rejetés pour la plupart de l'Ecole traditionnelle, et pour lesquels l'autorité du maître est devenue insupportable. Les conclusions de notre expérience n'en sont que plus probantes.
Nous n'avions donc jamais pu réaliser vraiment l'Ecole sans maîtres, ce qui était une preuve pour nous que notre pédagogie restait insuffisante et que nous n'étions pas encore, parvenus à notre Education du Travail.
Elle nous est apparue, inattendue, un jour d'octobre 1963.
Les deux institutrices devaient s'absenter la matinée pour assister à une conférence pédagogique. Devions-nous fermer nos classes et laisser les enfants aux mains des moniteurs ?
Ce sont les enfants qui ont décidé, bureau en tête que les classes travailleraient normalement à leur plan, sans éducateurs.
Naturellement, les institutrices avaient méticuleusement préparé les plans de travail, bandes comprises. Chacun savait ce qu'il avait à faire au cours de la journée.
Vers neuf heures je me rendis à l'Ecole : silence complet aux abords. J'ouvris la grande classe : tous les enfants silencieux étaient au travail et s'aperçurent à peine de mon entrée. Dans la 2e classe, un grand était allé aider les moyens à faire le texte libre. L'application et le silence étaient les mêmes.
L'expérience fut recommencée à deux reprises, et pour la journée entière, avec le même succès, un succès que nous n'avions jamais espéré ni obtenu, parce que nous manquait l'outil de travail adéquat : les Boîtes et les Bandes enseignantes adaptées à l'enfant et suscitant le déconditionnement de la pratique scolaire habituelle.
Nous avons parlé ici, plus spécialement du travail scolaire qui se pratique dans la salle de classe, sans outillage et sans bruit. La révolution est la même quand nous considérons les activités dirigées, pratiquées avec les bandes de travail dont nous avons expliqué le but et le contenu.
Jusqu'alors, même avec les brochures BT
ou Supplément BT dont nous disposions, il y avait toujours un certain
flottement parce que les enfants manquaient de documents et de conseils
précis pour observer, découper, scier, coller. Avec les bandes, l'enfant
est guidé pas à pas et il est sûr de la réussite, dans une atmosphère de
collaboration et d'ordre réconfortante.
Nous sommes partis d'un travail en commun, de préférence sur la base de la libre activité.
Pendant deux ou trois heures les enfants ont travaillé aux bandes dans le cadre du plan de travail.
Au cours de la dernière heure journalière, nous sommes à nouveau réunis pour la synthèse quotidienne - inscriptions aux plannings et sur les plans ; comptes rendus du travail et examen des albums réalisés, puis conférences (Voir BEM n° 15 par C, Freinet - Editions de l Ecole Moderne CANNES), où chacun profite du travail de tous.
Ainsi se clôt le cycle de travail de la journée dans un climat de tranquillité et de paix qui est le signe d'une bonne pédagogie.
Une technique de travail efficiente
au service d'une bonne pédagogie
La nouveauté vous effraie. En un domaine aussi délicat que l'enseignement, vous ne voudriez pas courir de risques préjudiciables à vos enfants. Et vous avez raison.
Avec les Boîtes et les Bandes enseignantes, sans bouleversement brusque, vous parviendrez à modifier profondément les conditions de travail de vos élèves et le rendement de votre pédagogie,
Il vous suffit d'essayer. Nous savons que cet essai, même timide, sera une réussite et que vous ne vous arrêterez pas en chemin. Nous vous attendrons alors à notre Centre International de Programmation de l'Ecole Moderne pour la mise au point des bandes qui pourraient bien devenir les bases d'une des techniques clés de la rénovation de notre enseignement.
Mettre ainsi au service de la formation de l'Homme l'apport bénéfique de la science contemporaine est une des tâches urgentes de l'Ecole Moderne Française.