Bibliothèque de lécole moderne n°4 Moderniser lEcole
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C.E.L. CANNES - Dépôt légal IX-1960 |
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TABLE DES MATIÈRES QU'EST-CE
QUE L'ÉCOLE MODERNE ? La
démocratisation de l'enseignement Comment
aborder les Techniques Freinet de l'École Moderne |
Quest-ce
que lEcole Moderne ?
La
pédagogie Freinet est placée désormais sous le signe de lEcole Moderne.
Pourquoi
Ecole Moderne, et pas Ecole Nouvelle ou méthodes actives, pour employer les expressions
qui sont devenues courantes lorsqu'on veut désigner un enseignement qui se dit
progressiste, et essaie en tout cas de dépasser un certain nombre d'erreurs et
d'insuffisances de l'école que nous appelons traditionnelle ? S'agit-il seulement
pour nous de nous distinguer d'autres initiatives en mettant une enseigne particulière au
fronton de nos productions ?
Nous disons bien Ecole Moderne et non Ecole
Nouvelle parce que nous insistons beaucoup moins sur l'aspect nouveauté que
sur celui d'adaptation aux nécessités de notre siècle. Une technique de
l'école traditionnelle peut fort bien s'intégrer à nos conceptions si elle permet et
facilite les formes de travail que nous préconisons. De fait l'École Nouvelle dont nous
ne négligeons cependant pas l'apport au cours de la première moitié de notre siècle,
est restée surtout théorique. Elle a visé à reconsidérer les principes. Nous sommes,
nous, des éducateurs qui, à même nos classes essayons de faire passer dans la pratique
les idées et les rêves des théoriciens, qui devons assurer la permanence de nos
fonctions tout en nous appliquant à les rendre plus efficientes. Nous avons à faire
naître l'avenir au sein du présent et du passé, ce qui nécessite non point un
spectaculaire appel de nouveauté, mais de la prudence, de la méthode, de l'efficience et
une grande humanité.
Nous disons
Ecole Moderne et non Méthodes Actives, expression qui est
née il y a vingt ou trente ans et qui pourrait laisser croire que l'effort de rénovation
nous viendra de l'introduction dans nos classes d'une activité manuelle, de travaux ou de
jeux qui seront comme une réaction contre l'intellectualisme excessif de l'école
traditionnelle.
Nous ne
pensons pas que l'activité soit l'élément majeur d'une pédagogie valable. Nous lui
préférons la concentration, parfois silencieuse, du travailleur à sa tâche
intelligente, une permanente activité de l'esprit qui est comme l'antidote de la
passivité traditionnelle.
Je sais
bien que certains pédagogues donnent à ce mot d'activité le même sens profond que nous
lui voulons. Mais pour éviter les malentendus, employons un mot qui dit bien ce qu'il
veut dire : Ecole Moderne.
La grande tare de notre école c'est qu'elle était prévue par
ses techniques et son esprit, pour une société du début du siècle, où les grelots des
attelages sonnaient encore sur les pavés des rues, et, où les enfants regardaient
longuement le soir mourir les braises de leur feu de bois.
Cette
école était assez bien adaptée à la vie du début du siècle. Elle préparait des
hommes qui auraient à manier la pelle ou à conduire les chevaux, des hommes qui, dans un
monde qui s'éveillait à l'instruction, avaient besoin de savoir lire, écrire et
compter.
Le monde a
marché autour de nous ; les grelots ont fait place aux pétarades des motos et des
autos ; l'école continue à enseigner à ses élèves comment on harnache et on
attelle les chevaux, mais il n'y a plus de chevaux, ni de harnais, ni de chars à bancs...
L'école continue à former des conducteurs d'attelage, et ce sont des vélos, des autos
et des avions que ces hommes auront à manoeuvrer.
L'école a
pratiqué comme ces entreprises qui tournaient et cuisaient autrefois des marmites en
terre et qui n'ont pas voulu changer ni leur mode de fabrication, ni leur rythme de
travail, ni leur production. Et les marmites en terre ne se vendent plus depuis que
l'aluminium a conquis le marché.
Seulement
ces entreprises de poteries sont bien obligées de se rendre à l'évidence : les
marmites ne se vendent plus ; on cesse donc de fabriquer des marmites. On va tâcher
de se moderniser.
L'école, elle, continue ses anciennes fabrications sans se rendre compte que nul n'en a plus l'usage, qu'elles encombrent seulement les ateliers où il ne sera bientôt plus possible de faire un travail intelligent.
L'ecole
doit se moderniser !
*
Ce
décalage de l'école est-il vraiment effectif, se demandent de nombreux éducateurs, et
est-il bien nécessaire d'entreprendre à grand éclat une campagne de
modernisation ? L'école n'est tout de même plus ce qu'elle était il y a cinquante
ans : les méthodes de travail ont évolué et les manuels eux-mêmes se sont
modernisés avec leurs pages en couleurs qui en font comme autant de permanents livres de
prix.
Il se peut
que quelques améliorations soient effectivement sensibles, Mais l'outillage, les
techniques de travail, la méthode n'ont absolument pas changé. C'est comme si la poterie
avait voulu se moderniser en plaçant sur sa devanture une belle enseigne en couleur mais
en conservant tels qu'ils étaient ses fours et ses tours, et ses ouvriers. Elle ne
pourrait produire que des marmites de terre.
L'école a
conservé exactement ses mêmes outils et techniques les leçons, les devoirs, l'étude
sur les manuels, les notes, les classements, les punitions, l'appel primordial à la
mémoire.
Et elle
s'aperçoit brusquement que ça ne rend plus : que les enfants écrivent mal, ne
savent pas lire, ont une orthographe déplorable, ne connaissent pas la grammaire, ne
savent pas leur table de multiplication, qu'ils ne parviennent plus à acquérir ce que
les secondaires appellent les éléments de base qui étaient la fierté de l'école
laïque du début du siècle.
Tout le
monde se rend compte qu'il y a quelque chose de faussé. Les pédagogues se
déchargeraient bien volontiers de leurs responsabilités sur les enfants qui ne sont plus
ce qu'ils étaient autrefois, qui sont distraits et paresseux, qui ne font que ce qui leur
plait. Et sur les parents qui ne savent plus imposer leur autorité.
Nous ne
disons pas que ces éléments ne jouent pas, que la surcharge des classes, la mauvaise
conception des locaux, la mécanisation et le bruit ne soient pour rien dans la
dévaluation des enfants et dans la crise de la jeunesse. Mais l'école y est aussi pour
quelque chose :
- Elle
continue à imposer ses leçons à des enfants qui n'entendent que trop parler autour
d'eux et qui se moquent du « baratin ».
- Elle veut
commander autoritairement à des élèves qui se refusent à obéir passivement dans un
monde en voie de démocratisation où, qu'on le veuille ou non, l'autorité doit au moins
changer de forme.
- Elle
dispense les leçons de choses scolaires, l'observation du couteau ou du porte-plume à
des individus qui rêvent d'auto à 140 à l'heure et de fusée lunaire.
- Elle
prétend s'en tenir au b-a-ba des acquisitions avec des enfants qui savent
tout qui ont tout vu, qui discutent comme des adultes, de sujets adultes qui n'ont pas
cours à l'école.
L'attelage
du char à bancs ne les intéresse pas du tout. Ils en sentent l'inutilité foncière. Ils
n'écoutent plus.
Et ce qui
est grave : ils prennent ainsi l'habitude de ne pas écouter, de ne pas travailler.
Deux zones se créent en eux : la zone scolaire qui n'est qu'un halo de surface sans
portée, et la riche vie personnelle.
L'enfant
échoue à l'école. Malheureusement ces échecs se répercutent sur la zone vivante et
l'enfant en est à ce point troublé que les parents inquiets vont parfois interroger un
psychiatre pour savoir pourquoi leur enfant, pourtant intelligent, ne veut pas travailler
en classe et devient même, dans la vie, un passif et un inadapté.
L'école doit retrouver la vie, la mobiliser et la servir, lui donner un but, et pour cela abandonner les vieilles pratiques même si elles eurent leur majesté et s'adapter au monde qui est et au monde qui vient.
DE L'ENSEIGNEMENT
Il faut
surtout que parents et éducateurs prennent conscience de ce fait patent que la vie a
changé, que les besoins des enfants et du milieu ne sont plus les mêmes, ni les
possibilités des élèves, et que, de ce fait, les solutions d'hier ne sont plus
forcément valables, qu'il faut en tout cas reconsidérer les problèmes.
Alors, ils
chercheront à leur tour. Et ensemble, nous parviendrons à des formules éducatives plus
efficientes et plus humaines.
Mais il est
un élément de cette évolution qui devrait retenir tout particulièrement
l'attention : il y a vingt ans, trente ans, cinquante ans, l'école devait tant bien
que mal donner aux enfants avant 13-14 ans, non seulement la maîtrise des techniques
indispensables (lire, écrire, compter) mais aussi les connaissances élémentaires sans
lesquelles ils risquaient d'être comme des infirmes intellectuels dans un monde où nul
ne se préoccuperait plus de leur culture.
Or, les enfants d'aujourd'hui vont obligatoirement en classe jusqu'à 16 ans, et même après, ils bénéficieront sinon du second degré du moins du centre d'apprentissage et de l'éducation permanente. A défaut, ils auront, adolescents ou adultes, la radio et la télévision, le cinéma et les voyages. Si même l'acquis qu'ils en tirent n'est pas sans reproches, il n'en est pas moins une forme de culture qui est en train de se généraliser et qu'il nous appartient d'utiliser, de canaliser et d'orienter.
Le
problème scolaire change, de ce fait, de nature et de rythme. Nous n'aurons plus la même
hâte dans l'acquisition des techniques de base. Nous aurons plutôt à mettre l'accent,
dans l'éducation de demain, sur la formation en profondeur de l'individu, sur la
nécessité de lui procurer des repères, des techniques de travail, des principes qui lui
permettront de s'approprier dans les meilleures conditions la culture qu'il aura à
affronter. Il faudra surtout lui donner le désir et le goût du travail dans une école
plus accueillante qui saura cultiver et magnifier les potentialités que nous aurons fait
naître ou que nous aurons su ménager.
Et si la
fonction de l'école du 1er degré est ainsi transformée, les examens devront
nécessairement être modifiés eux aussi puisqu'ils sont destinés à mesurer tout à la
fois cet acquis et ces possibilités, et qu'un enfant peut fort bien, dans le contexte
actuel de l'école, être appelé à un avenir au moins très honorable tout en faisant
huit à dix fautes dans une dictée du certificat à la sortie du premier degré.
Nous
rendrons compte dans un prochain fascicule de cette collection d'une expérience hautement
démonstrative menée depuis huit ans à l'école Freinet, et qui montre les avantages et
la possibilité de cette formation en profondeur des élèves du premier degré.
Nous avons
actuellement dans cette école une vingtaine d'enfants de dix à quatorze ans qu'on nous a
confiés parce qu'ils étaient dégoûtés de tout travail scolaire et même hélas !
par répercussion, de tout travail social.
Ces enfants
sont pourtant très normalement intelligents, d'une intelligence, il est vrai pas
spécifiquement scolaire. En face de la vie ils sont même très débrouillards. Ils sont
des retardés scolaires mais non des retardés véritables. Ils ont été gravement
marqués par le dédoublement que nous condamnons : ils se sont développés par
leurs propres moyens, à même la vie, sur le plan extra-scolaire où ils brillent parfois
par leur intuition, la vivacité de leur esprit et leur bon sens ; mais ils sont
devenus comme imperméables à tout ce qui a un aspect scolaire dont ils ont une
véritable et parfois définitive indigestion. Qui sait même si n'ont pas joué, du fait
des erreurs de méthodes, des influences nerveuses et psychiques qui font que, en face des
problèmes scolaires, ces enfants éprouvent comme un malaise physiologique pouvant aller
jusqu'à la nausée ou à la diarrhée et déclenchant une véritable allergie dont la
médecine devrait bien étudier la nature, les conséquences et le traitement. Ne
ressentons-nous pas, nous mêmes, douloureusement, l'influence insupportable de certaines
présences, de tons de voix, de formes de comportement qui obscurcissent brusquement notre
entendement, contrarient tout jugement sain, interdisant tout travail efficace ?
Le mal est
aujourd'hui profond. C'est comme des voies qui se sont obstruées faute de circulation,
des circuits qui se sont coupés. Une barrière s'est dressée entre l'école et la vie.
Les enfants
atteints de cette maladie née de la scolastique lisent très mal, et n'y éprouvent
d'ailleurs aucun intérêt ; et surtout ils ont une orthographe déplorable, même
s'ils connaissent toutes les règles de grammaire. Ils éprouvent comme une impuissance
radicale à écrire, comme si une sorte de paralysie engourdissait leur main. Et qui sait
si cet engourdissement n'est pas effectif, nerveusement et physiologiquement.
Répercussion
naturelle mais hélas ! catastrophique cette impuissance gagne peu à peu tout le
comportement de ces enfants, comme une paralysie qui, d'abord localisée, s'étend
lentement à tout l'organisme. Le mal est fait. L'attention scolaire en est, parfois à
jamais, annihilée. Il en résulte, dans tous les domaines, un laisser-aller qui est
justement le résultat de la non-intégration des processus scolaires dans les techniques
de vie.
Il nous
reste seulement cinq enfants qui ont été formés chez nous, par nos techniques, depuis
5, 6 et 7 ans. Ils ont maintenant 8, 10, 12, 14 ans. Ils sont vraiment le fruit de notre
éducation, les prototypes qui mériteraient d'être étudiés plus méthodiquement.
L'expérience
est d'autant plus probante que ces enfants avaient été handicapés, au départ, par des
difficultés physiologiques et psychiques graves, et que nous n'avons pas toujours
bénéficié des éducateurs compréhensifs et libérés qu'appelle notre
pédagogie.
Ces enfants n'en ont pas moins bénéficié, du fait de nos techniques, d'une éducation qui a su éviter le hiatus école-milieu dont nous avons dit les méfaits, d'une formule d'école qui s'est toujours appuyée sur leur propre vie, dans leur milieu, qui a excité en eux le travail créateur motivé, qui a centré leur personnalité, qui les a entraînés à prendre leurs responsabilités et à se conduire en hommes.
Notre
dessinateur Alain Gérard est du nombre. Il était si déficient, physiologiquement et
moralement, il portait en lui tant de tares originelles qu'il n'aurait pu s'accommoder de
l'école et l'école, qui ne se serait pas davantage accommodée de lui, l'aurait rejeté
vers la déficience définitive.
Alain
Gérard a pu s'exprimer magistralement par le dessin d'abord, bien avant de s'exprimer par
l'écriture. Sa personnalité en a acquis sens et noblesse. Il n'a appris à lire que
très tard, à dix ans, mais en quelques mois Il a rattrapé alors les camarades de son
âge, les a dépassés ensuite parce qu'il avait un ordre intérieur, une volonté de bien
faire, comme une dignité d'artisan qui le poussaient vers la perfection de son oeuvre
quelle qu'elle fût.
Là où les
enfants venus d'autres écoles peinent sur une page dont ils ne copient que quelques
lignes, chargées de fautes, Alain Gérard travaille avec une application émouvante et
naturelle, sans commune mesure avec le comportement désaxé des nouveaux venus.
Quant à
nos trois enfants plus âgés, les conquêtes sont spectaculaires. Il n'y a rien à dire
avec eux, qu'à les aider et les encourager. Ils savent choisir, prévoir, attaquer leur
travail qu'ils font à un rythme de vie intense et dynamique.
L'attention
est chez eux naturelle. Ils travaillent comme des hommes, mieux que des hommes, comme de
vrais hommes conscients.
Ils ont une
culture : ils savent réfléchir, lire, choisir, juger. Ils sont formés pour la vie.
Comme tous
nos élèves qui vont au second degré, ils réussiront parce qu'ils ont ces qualités de
formation, d'ordre et de travail que, réclame justement le second degré.
Des
méthodes qui permettent ostensiblement de tels résultats sont forcément supérieures à
celles dont notre jeunesse est aujourd'hui la victime.
*
Des
collègues et des inspecteurs nous disent que nous exagérons quand nous prétendons
généraliser ces observations ; que le mal n'est point, dans l'ensemble des classes,
aussi grave que nous voudrions le dire, et que la proportion des enfants désadaptés
n'est point, en définitive, celle que nous dénonçons.
Une mise au
point s'impose.
Il y a,
dans tout effectif scolaire normal, une certaine proportion d'élèves particulièrement
doués, avec lesquels l'école traditionnelle se vante de réussir à 100 %. Ils sont
intelligents, ont bonne mémoire, ce qui n'est pas négligeable ; ils tiennent sans
peine la tête de la classe, ce qui leur donne assurance et équilibre ; ils rédigent
avec talent et répondent brillamment aux interrogations. Ce sont les « bons
élèves ». Il faut reconnaître, à la vérité, que de tels enfants réussiraient
aussi bien avec toute autre méthode. Ce n'est pas l'école qui les forme. Ils se forment
eux-mêmes, bien souvent malgré l'école, et y réussiraient certainement mieux encore
s'ils y étaient aidés avec une optique et des procédés qu'on commence seulement à
considérer quand on parle accidentellement d'une éducation spéciale des sur-doués.
Nos
techniques ne leur apporteraient peut-être pas tellement plus. Elles contribueraient par
contre à corriger le caractère toujours trop exclusivement intellectuel de leur
formation ; elles les prépareraient non seulement aux examens supérieurs mais à la
vie dont ils ne pourront pas négliger sans danger les impératifs.
Admettons
cependant que l'école traditionnelle puisse se féliciter de la réussite de ces bons
élèves, bien qu'elle n'y ait pas un très grand mérite, mais combien sont-ils ?
deux, trois, quatre par classe, nous disons 5 à 10 %. Mais les autres 90 ou 95 % qui
n'ont ni cette tendance intellectuelle ni ces aptitudes à une réussite scolaire, que
deviennent-ils ?
C'est à ce
niveau, pour ces 90 ou 95 % que se place plus spécialement le problème que nous
examinons.
Le temps
n'est pas loin, nous le savons, où le rôle de l'école était surtout de faire sortir de
la masse les quelques personnalités qui auraient les capacités voulues pour pousser
leurs études jusqu'au second degré et au-delà, pour s'intégrer peu à peu à l'élite
dirigeante, même s'ils ne pouvaient pas d'emblée montrer patte blanche. Les 90 ou 95
autres étaient destinés aux besognes non intellectuelles dont l'école se
désintéressait. Il suffisait d'enseigner aux enfants le lire écrire, compter.
Les choses
changent aujourd'hui, non seulement parce que la prolongation scolaire devient une
réalité, mais parce qu'elle est d'abord une nécessité : la technique actuelle,
l'organisation syndicale et politique, le marché du travail, demandent aux adolescents un
certain nombre de qualités qui dépassent et débordent l'acquis scolaire traditionnel ;
et dont notre pédagogie du premier degré doit se préoccuper au même titre que de la
réussite des bien doués.
Et là,
tout reste à faire.
Le
problème n'est d'ailleurs pas d'aujourd'hui. Je me souviens du Cours Complémentaire que
j'ai fréquenté entre 1908 et 1912. Il y avait déjà là la tête de la classe - 4 à 5
sur 85 élèves, le 10 % habituel - qui travaillait et réussissait sans difficultés. Et
puis il y avait les autres 90 % qui suivaient péniblement et surtout faisaient comme
aujourd'hui encore, force lignes et verbes.
Ce
déséquilibre est seulement devenu plus grave parce que ces enfants des 90 % souffrent
davantage de la désadaptation de l'école. L'intellectualisme n'est pas leur fait. C'est
par d'autres voies qu'il nous faudrait mobiliser leur intérêt et asseoir leur culture.
C'est ce
problème que nous nous appliquons à résoudre avec des résultats qui, sans être à 100
% apportent du moins la preuve de la supériorité de nos techniques.
Ceci dit
sans que soient mis en cause la bonne volonté ni le dévouement des instituteurs.
L'ouvrier qui, dans une entreprise mal conditionnée s'essouffle à parer aux
imperfections techniques qui handicapent son travail a proportionnellement plus de mérite
encore que celui qui, dans un milieu évolué peut oeuvrer avec efficience. Raison de plus
pour que l'ouvrier en difficulté cherche obstinément un remède aux maux dont il
souffre.
L'instituteur
d'école traditionnelle se donne lui aussi beaucoup de mal à cause de l'inadaptation
intellectuelle, morale, psychique et technique de son école. Il est découragé parfois
du mauvais rendement de ses efforts. Qu'il cherche avec nous les conditions à préparer
et à réaliser pour parvenir à des méthodes de travail plus efficientes.
une modification profaonde
des conceptions-mêmes
de lEducation
et de la culture
MODERNISER l'enseignement, ce n'est pas seulement acquérir un nouveau matériel ou essayer de faire participer davantage les élèves au déroulement des leçons et des exercices, ni même organiser des coopératives, éditer un journal ou pratiquer la correspondance. Ce faisant nous n'aurions progressé qu'en surface parce que rien ne sera changé dans les conceptions mêmes d'une école où le maître reste le Deus ex machina sans lequel rien ne serait.
On a parlé
à ce propos de révolution copernicienne. Sans employer une formule aussi définitive,
nous dirons cependant que l'Ecole Moderne suppose un changement profond dans les processus
psychologiques et pédagogiques prônés et imposés par la scolastique.
Il nous
faut là, résumer quelques-unes des critiques que nous avons faites à cette scolastique
et notre propre conception exposée dans notre livre Essai de Psychologie sensible
appliquée à l'Education (1) et dont nous discutons actuellement dans
notre nouvelle revue Techniques de Vie (2).
(1) Edition
de l'Ecole Moderne Française - Cannes
(2) Revue
trimestrielle de l'Ecole Moderne Française
Toute la pédagogie traditionnelle est fille du « scientisme », c'est-à-dire de cette conception qui nous fait croire que les méthodes scientifiques qui ont apparemment réussi dans l'industrie sont applicables telles que et avec la même efficience, à tous les processus vitaux. On prend une roue dentée qu'on accole à une autre roue dentée ; on branche sur un moteur et le branle est donné, le mouvement se transmet et se transforme, capable de produire des merveilles que nous admirons. Les dessinateurs préparent sur leurs cartons les profils de toutes les pièces d'un avion ; les ouvriers les réalisent conformément aux cotes et aux gabarits ; on ajuste le tout, on obtient une « Caravelle ».
Selon cette conception scientiste de la vie telle qu'on nous l'a
enseignée depuis plus de cent ans, l'enfant n'est rien. Sa vie intérieure, son
comportement particulier, sa personnalité n'entrent point en ligne de compte. Voyez ce
qu'en dit Alain, le classique de cette conception scientiste encore souveraine. L'enfant
s'assoit, croise les bras, et fait le vide dans son esprit. A l'instituteur alors de
monter en lui les pièces bien réglées du mécanisme scolastique : deux et deux
font quatre, B et A font BA, résumés, définitions et théorèmes.
*
L'école
parvient effectivement à monter des mécanismes, qui, comme il se doit, fonctionnent
méthodiquement, mais d'une façon autonome, en dehors de la vie. L'enfant acquiert des
notions, mais qui sont scolastiques, c'est-à-dire qu'elles peuvent être exactes et
rationnelles en milieu scolaire, mais ne le sont pas forcément dans le milieu de la
vie ; il raisonne comme on lui a enseigné, en ne négligeant ni données, ni
incidentes, mais se trouve dérouté dès qu'interviennent les complexes de la vie, pas
toujours rationnels ni scientifiques. Il résoud les problèmes qu'on lui pose mais ne
s'étonne point des résultats, si anormaux soient-ils.
Toute la
pratique scolaire a été montée ainsi et c'est ce qui explique en français la grande
place faite à la grammaire, que nous estimons totalement inutile, donc nuisible, au
premier degré du moins. Le scientisme a enseigné aux éducateurs que la langue se
construit elle aussi scientifiquement et les cautions à cette pratique sont si éminentes
qu'il ne leur viendrait pas à l'idée qu'il puisse y avoir une autre voie pour cet
indispensable apprentissage. Il faut évidemment connaître R et A pour savoir lire
RA ; il faut distinguer noms et fonctions des mots si l'on veut écrire correctement,
car l'essentiel - du moins l'école le croit - c'est d'écrire selon les règles, même si
ce qu'on écrit ne signifie rien de valable et n'a aucune résonance dans notre propre
vie.
Tels sont
les fondements de l'éducation traditionnelle ; quiconque n'est pas parvenu à s'en
dégager n'accèdera jamais à la véritable École Moderne que nous tâchons de
réaliser, non plus expérimentalement, mais à l'échelle de dizaines de milliers de
classes publiques qui portent désormais témoignage.
Nous avons
pris le mal en sa racine en mettant en honneur à l'école le seul processus général et
permanent, le tâtonnement expérimental, base de toutes nos méthodes
naturelles.
Ce
tâtonnement expérimental n'est nullement d'ailleurs une invention nouvelle de notre
esprit rebelle à la scolastique. Il est la voie souveraine de toutes les acquisitions, au
centre donc de nos techniques de vie. Il est la méthode naturelle des mamans qui permet
à tous les enfants du monde d'apprendre avec une incroyable fidélité, à parler en un
temps record, la langue de leurs parents, et à se mouvoir sur deux jambes avec la même
totale sûreté et en parfait équilibre.
Les
premiers gestes réussis, souvent par hasard, et dans quelque domaine que ce soit, tendent
à se reproduire. La réussite crée comme un embryon de chemin dans lequel l'individu
s'engage presque automatiquement, plutôt que de continuer à prospecter la lande en
friche. L'individu répètera alors les gestes ou les processus réussis, jusqu'à ce
qu'ils soient passés dans l'automatisme avec la sûreté de l'instinct.
A ce
moment-là, un pilier sera jeté, inébranlable, sur lequel s'appuieront les tâtonnements
à venir.
C'est selon
ce processus que l'enfant ajuste peu à peu, expérimentalement, ses premières
réussites : les premiers mots dont il a acquis la maîtrise et qu'il répète
inlassablement pour les faire passer dans l'automatisme, les mouvements des jambes, les
premiers sauts victorieux qu'il rééditera vingt fois, cent fois pour les faire passer
eux aussi dans son automatisme
A la base
de toute conquête, il y a ce tâtonnement expérimental. Un geste qui n'a pas été
acquis expérimentalement, et que la répétition n'a pas fait passer dans l'automatisme
n'est qu'une conquête formelle et fictive, qui s'évanouit comme elle est venue, sans
laisser de trace dans le comportement, donc non intégrée à la croissance et à la vie.
Cela ne
signifie certes point que nous devrons rééditer inlassablement toute l'expérience de
l'humanité, ce qui serait la négation du progrès. Il nous faut établir de solides
piliers, qui ne sauraient être le résultat que du tâtonnement expérimental. Par-dessus
ces piliers nous pourrons alors jeter des travées audacieuses et monter des édifices
auxquels nous aurons donné d'abord équilibre et solidité.
L'énergie
atomique elle-même, qui est l'expression la plus évoluée de la science actuelle, ne
saurait renier ses pures origines de tâtonnement expérimental. Quand les Curie, dans
leur laboratoire artisanal cherchaient et combinaient, rien n'était découvert encore de
ce qui est aujourd'hui la plus importante invention du siècle ; aucun chemin
n'était encore tracé, et c'est partiellement par hasard que des lueurs sont apparues un
soir, que les savants ont reproduites comme l'enfant saute le caniveau qu'il est parvenu
une fois à dominer.
Il nous
serait facile de démontrer de même que, dans la pratique, le médecin, le mécanicien ou
l'homme politique procèdent eux aussi à la base, par le tâtonnement expérimental,
procédé universel de la croissance, du progrès et de la vie.
Nous savons
que nos explications, même les plus probantes ne parviendront pas à convaincre d'emblée
la masse des éducateurs tout imprégnés de fausse science. Nous leur demandons de
réfléchir loyalement à la portée de cette redécouverte et donc, à la
reconsidération des processus éducatifs.
Lorsqu'on
voit le jeune homme faire jouer à la perfection les muscles de ses jambes et le mystère
de son équilibre, on imagine mal qu'il ait pu être, à l'origine, le bébé tâtonnant
qui, tel un malade, s'essayait aux premiers gestes de la station debout. Et quand
l'orateur nous tient sous le charme chaud de sa parole, nous admettons mal qu'il soit parvenu
à cette maîtrise par simple tâtonnement expérimental. Et pourtant il est en ainsi. La
science ne fait que s'approprier abusivement les sûres conquêtes qui sont la forme
originelle et exclusive de la vraie science.
C'est à ce
niveau donc que s'établit la différence essentielle entre pédagogie moderne et
pédagogie traditionnelle Celle-ci est persuadée que l'enfant ne saura pas écrire si or
ne lui indique comment on tient le porte-plume, qu'il ne saura pas rédiger si on ne lui
en donne les idées et classées dans un ordre à intervenir ; qu'il ne saura pas
dessiner si l'adulte ne lui en a enseigné au préalable les lois essentielles, qu'il ne
saura pas s'exprimer en bon français si on ne lui a révélé d'abord la structure des
phrases, la nature et la fonction de mots ; qu'il ne saura jamais orthographier
correctement sans les indispensables règles de grammaire, qu'il ne sera jamais qu'un
ignorant en sciences si on ne lui a inculqué d'autorité les grandes lois qui en sont la
base.
Or, notre
expérience, aujourd'hui déterminante, montre surabondamment que cette croyance est
erronée. Nos enfants écrivent correctement et sans faute comme ils parlent correctement
sans connaître aucune règle de grammaire ; ils produisent des chef-d'oeuvre de
dessin sans jamais avoir reçu aucune leçon ; ils acquièrent l'esprit scientifique
dans la mesure justement où, dégagés des principes autoritaires d'une fausse science,
ils reprennent leur naturel tâtonnement expérimental comme Pasteur et Curie.
S'il en est ainsi, et notre expérience le prouve aujour d'hui
définitivement, nous ne parlerons jamais, dans nos techniques, de la règle ou de la loi
préalable, quelle que soi sa sûreté à nos yeux. Nous laissons l'enfant chercher et
expérimenter, à même la vie, la règle et les lois n'intervenant qu'après, quand ont
été posés les jalons qui les soutiennent.
C'est
pourquoi :
- nous ne
partons pas du texte d'adulte supposé parfait, mais des textes d'enfants qui sont, comme
la langue, résultat naturel du tâtonnement expérimental ;
- nous
n'enseignons les règles de grammaire que lorsque la rédaction elle-même est passée
dans nos techniques de vie.
- nous ne
donnons de conseils techniques aux enfants que lorsqu'ils ont assuré leur expression
artistique ;
- Nous ne
faisons apprendre à nos élèves aucune loi tant qu'ils n'ont pas acquis un sens
scientifique éprouvé.
Et c'est
pourquoi nous condamnons de ce fait :
- les
manuels scolaires qui sont le produit de la fausse science ;
- les
leçons magistrales qui substituent les mots et les formules au tâtonnement expérimental
seul souverain.
Et que nous
leur avons substitué d'autres outils et d'autres techniques.
Nous savons
que le passage d'une technique de vie et de travail scientiste à une technique de vie par
tâtonnement expérimental sera délicat et laborieux. C'est toute une longue tradition
qui défend ses prérogatives et qui crie préventivement casse-cou à ceux qui essayent
de s'en dégager. Et cette tradition est soutenue par toute une production industrielle
d'outils et de manuels qui useront jusqu'au bout une dialectique abusive pour décourager
les chercheurs.
Réfléchissons
pourtant à la simplicité de nos arguments, regardez autour de vous sans parti-pris,
auscultez votre propre comportement, expérimentez prudemment en vous dégageant le plus
possible de l'envoûtement scolastique, revenez partout, et dans toutes les disciplines
aux méthodes de vie qui seules vous permettront les succès profonds dont nous nous
recommandons.
Comment aborder
les techniques Freinet
de lEcole Moderne ?
Nous n'avons pas l'illusion de vous convaincre ainsi, de but en blanc, par le seul exposé de nos arguments. Nous souhaitons seulement de jeter en vous un doute sur la valeur et le destin des méthodes traditionnelles et de vous faire jeter un coup d'oeil à la fais d'inquiétude et d'envie vers nos techniques.
Tout le
reste viendra par surcroît.
Si,
après avoir lu ces pages, après avoir visité peut-être une de nos écoles, participé
à une réunion ou à un stage de nos groupes, vous pensez qu'il est de votre devoir de
vous joindre à nous, voilà nos conseils essentiels.
LES
TECHNIQUES FREINET
DE
LÉCOLE MODERNE
Que sont
donc les solutions que nous vous présentons et dont une longue expérience a prouvé
aujourd'hui l'efficience ?
Remarquez
d'ailleurs que nul aujourd'hui ne nie cette efficience. On vous dira seulement :
- que ces
techniques sont difficiles à manier - ce qui n'est pas exact et qu'il faut y être
entraîné - ce qui est par contre vrai ;
- que seuls
les éducateurs de race peuvent y réussir. Ce qui est faux puisque la présente étude
est justement destinée à décider tous les éducateurs à s'engager prudemment mais
sérieusement dans la voie de la modernisation ;
- que ces
techniques donnent beaucoup de travail à l'éducateur. Peut-être. Mais comme ce travail
est intéressant voire passionnant, les heures passent et vous en oubliez la récréation,
comme elles passent quand vous avez le privilège de vous livrer à un travail
enthousiasmant quel qu'il soit. Tandis que le travail imposé, qu'on accomplit pour gagner
la journée, est comme une malédiction ;
- qu'il
faut avoir la foi.
Là nous
protestons.
La foi nous
l'avons tous, en puissance. Les méthodes traditionnelles l'effacent et la détruisent
parfois à jamais. Nous la faisons revivre, nous lui donnons une raison d'être, un
aliment. Si demain la grande majorité des instituteurs pouvaient travailler dans les
conditions humaines dont nous disons l'urgence et appliquer des techniques qui permettent
les éclosions prometteuses, tous les instituteurs auraient la foi, et une foi qui
soulève les montagnes.
Aucun des
instituteurs de notre mouvement n'avait une foi préalable, qui serait comme une
disposition spéciale d'esprit et de coeur propre à faciliter l'entrée dans les
nouvelles voies.
C'est le
travail Ecole Moderne qui nous a redonné la foi.
*
On vous
dira aussi que nous ne sommes pas les seuls à réussir en éducation et que d'autres y
parviennent sans nos techniques, par le seul effet de leur intelligence, de leur coeur et
de leur parole.
Et on vous
invitera à les imiter, à faire des leçons de morale sensibles et méthodiques ; à
expliquer avec talent le français, l'histoire et la géographie. Vous n'avez pour cela
besoin d'aucun matériel : la salive habilement dépensée y suffit.
Et c'est
parce que telle a été de tous temps la conception intellectualiste qu'on n'a jamais
prévu pour l'école aucune installation matérielle ; qu'avec ses pupitres
systématiques la salle de classe n'est pas faite pour recevoir autre chose que les
cahiers et les livres. Tout converge vers la chaire où évolue et fonctionne
l'instituteur.
Mais nous
la grande masse des instituteurs, qui ne savons pas suffisamment bien parler pour
accrocher notre auditoire ; qui n'avons pas la subtilité d'esprit pour saisir au
passage les fils ténus qui s'entrecroisent et s'embrouillent ; nous qui ne savons ni
expliquer l'histoire ou les sciences, ni mettre en valeur un texte littéraire, comment
allons-nous nous tirer d'affaire pour l'exercice de nos fonctions ? Comment
allons-nous dominer cette classe à laquelle nous n'avons pas su donner une âme ?
Punissez,
nous conseillera-t-on ! Et l'école nous offrira la liste inhumaine des sanctions
prévues par une université qui depuis des siècles n'a pas su réviser ses
formules ? Et vous serez engagé, malgré vous dans une opposition, dans une lutte
qui vous épuisera et dont vous ne sortirez d'ailleurs pas vainqueur.
Je sais
bien, on vous conseillera : même avec les anciennes méthodes autoritaires, on peut
rester humain et ne punir qu'exceptionnellement... je n'ai jamais frappé un enfant...
Pure
question de caractère. Il n'en reste pas moins que les méthodes traditionnelles sont à
base d'autorité formelle du maître ; qu'elles suscitent naturellement l'opposition
maîtres-élèves, opposition qui peut dans certains cas, comme entre maîtres et
ouvriers, se passer sans drame mais qui n'en est pas moins opposition, qui n'est pas
compréhension et confiance.
Dans la
grande majorité des cas d'ailleurs le maître n'a pas la subtilité suffisante pour
maintenir par son seul prestige l'indispensable autorité, et c'est pourquoi les sanctions
sous toutes les formes, y compris les sanctions corporelles sont si fréquentes encore
dans l'École française.
C'est la
technique, c'est la formule de travail qui supposent et suscitent cette opposition :
si vous faites réciter une leçon il vous faut bien sanctionner les élèves qui ne la
savent pas suffisamment ; quand vous donnez un devoir il faut bien une récompense
pour ceux qui s'en sont bien tirés et une punition pour les paresseux qui ne peuvent pas
s'astreindre à un travail qui n'a pour eux ni sens ni but.
Dans les
circonstances actuelles, cette opposition maîtres-élèves est sans cesse aggravée par
la désadaptation de l'école, par l'excitation et l'énervement des enfants, par les
causes multiples de distraction et de déséquilibre que leur vaut le milieu, par la
surcharge des classes aussi. Ce qui fait que dans bien des cas, les instituteurs ont un
métier impossible.
Il en est
qui réagissent, mais encore faudrait-il pour cela qu'ils entrevoient une porte de sortie,
ou du moins une éclaircie. La grande masse des éducateurs s'engage dans la routine qui
est bien souvent la seule formule possible pour durer et attendre la retraite.
Nous vous
faisons entrevoir cette éclaircie.
*
Si
l'opposition maîtres-élèves si nuisible à la conduite de nos classes est comme
distillée par la méthode de travail traditionnelle, il nous faut changer cette méthode.
Si la
salive est un outil trop délicat à manier et qui trahit trop souvent nos lèvres
malhabiles, il nous faut chercher d'autres outils, mieux à la mesure de nos mutuelles
possibilités et qui nous permettent d'affronter normalement le travail que l'école
attend de nous - et nous nous sommes appliqués à en définir les caractéristiques.
C'est cette
nouvelle méthode de travail que nous avons mis coopérativement au point durant quarante
ans de tâtonnements, d'efforts et de sacrifices. Comme toute méthode de travail elle est
basée sur des outils que nous avons créés, améliorés dans nos classes, longuement
expérimentés, et que fabrique maintenant notre Coopérative de l'Enseignement Laïc. Ces
outils, ces techniques de travail sont à la portée de tous les instituteurs et
institutrices. Ce que nous avons fait, ce que font personnellement des milliers de
camarades, vous tous pouvez le faire aussi. Leur satisfaction sera votre satisfaction.
Leur joie sera votre joie.
C'est le
problème logiquement posé. Mais...
*
Si nous
avions à faire à une entreprise qui travaille du matériau mort (terre, acier ou
matière plastique) nous pourrions procéder comme le font aujourd'hui les grandes firmes,
à condition encore que notre patron, l'État, se rende compte de la rentabilité de la
modernisation et ne lésine pas sur les dépenses qu'elle nécessite.
Alors, on
construirait, au large, les bâtiments nouveaux, on mettrait en fabrication les machines
et les outils dont on serait assuré de la bonne marche. On enverrait contremaîtres et
ouvriers, par équipes, s'initier dans les entreprises modèles, à l'emploi de ces outils
et au fonctionnement des techniques de travail correspondantes.
Et au jour
dit les élèves abandonneraient les anciens locaux laissant derrière eux outils et
méthode scolastiques et ils entreraient dans le monde nouveau de l'efficience.
Tel serait
le processus idéal.
Il nous
faut malheureusement compter avec la réalité bien souvent maléfique.
- Ou bien
les locaux ne permettent absolument pas la pratique des nouvelles techniques, par manque
de place et surcharge de l'effectif.
Et pourtant
l'instituteur conscient des déficiences de la méthode scolastique et des avantages
certains des Techniques Modernes veut tenter quelque chose. Le peut-il ?
Comment ?
- Ou bien
la place ne lui manquerait pas, mais il n'a pas les outils que nous jugeons
indispensables. Peut-il cependant faire quelque chose ? Et quoi ?
- Ou bien
il dispose d'un local valable ; il peut acheter le matériel mais il ne sait pas s'en
servir. Que faire ?
Quelle
progression adopter dans cette approche de nos techniques ? Quel matériel
acheter ? Comment procéder ?
C'est cette
partie essentiellement pratique que nous allons maintenant aborder.
En
principe, on ne peut pas pratiquer nos techniques sans les outils indispensables. Pas plus
qu'on ne saurait fabriquer des casseroles si on n'a pas l'outillage voulu. C'est logique
et simple.
J'entends
dire parfois :
- Le
matériel n'est pas tout ; l'essentiel c'est l'esprit ; et vous pouvez
introduire dans votre classe l'esprit École Moderne sans outils ni techniques.
Méfiez-vous.
C'est comme si on disait qu'on peut fabriquer une casserole sans outillage.
Exceptionnellement oui, si l'ouvrier est très habile. Dans la pratique, non.
Toute notre
pédagogie est à base d'outils et de techniques. Ce sont eux qui modifient l'atmosphère
de votre classe, donc votre propre comportement et rendent possible cet esprit de
libération et de formation qui est la raison d'être de nos innovations.
Car il va
sans dire que ce matériel et ces techniques doivent être employés dans un certain but
qui est celui que nous avons défini : former l'individu cultivé et riche de
possibilités, donc dans un certain esprit.
Tout comme
l'énergie nucléaire qui peut être employée à la fabrication de bombes meurtrières et
pour la production d'une bienfaisante force pacifique.
De toutes
façons, étant donné le caractère spécial du matériau que nous avons à travailler,
pour éviter toutes fausses manoeuvres dans les changements à intervenir nous vous
conseillons d'être prudents, Selon notre formule : vous ne vous abandonnerez pas des
mains avant de toucher des pieds. Vous opérerez comme le paysan qui a fait l'acquisition
d'un moteur dont il ne connaît pas encore à la perfection le maniement et qui, de temps
en temps tombe, en panne. Le paysan ne jette pas imprudemment la vieille charrue dont il
peut avoir encore besoin quand le motoculteur ne voudra pas lui obéir. Alors il labourera
avec la vieille araire qu'il n'abandonnera définitivement que le jour où le moteur lui
sera définitivement fidèle.
Nous allons
vous indiquer les étapes possibles, étant bien entendu qu'il n'y a aucun inconvénient
à aller beaucoup plus vite et à accélérer le rythme si vous avez l'installation
convenable et si vous êtes en mesure de vous en servir. Mais surtout, ne considérez pas
comme définitives les étapes auxquelles vous êtes contraint de vous arrêter. Ne mettez
pas les insuccès partiels ou totaux sur le compte de la technique mais sur le mauvais
fonctionnement des outils que vous améliorerez.
*
Dans la
suite de nos conseils, nous tiendrons donc compte des obstacles qui d'ordinaire, gênent
la modernisation :
- L'école
de village et de bourg est la plus favorable à cette modernisation : l'école à
deux classes, tenue par un ménage, est l'école idéale.
- L'école
à classe unique est aussi favorable malgré les difficultés de son fonctionnement. Nous
dirons même que seules nos techniques permettent de faire travailler simultanément, dans
un même local, des enfants de tous âges, avec un maximum d'efficience. Un numéro de
cette collection sera consacré à l'école à classe unique.
- Plus va
croissant le nombre de classes, plus se complique la situation pour deux raisons
essentielles :
a) Dans
cette période transitoire du moins la coexistance dans un groupe de maîtres École
traditionnelle et de maîtres École Moderne est toujours délicate.
b) Elle est
délicate surtout parce que, dans un but de rationalisation les enfants changent de classe
toutes les années ou tous les deux ans, changent donc de maître et de méthode. Le
maître n'a pas le temps d'habituer ses élèves au travail nouveau et l'élève risque
même d'être désaxé par ces mutations.
Nous nous
sommes beaucoup préoccupés de cet état de fait. En attendant qu'une majorité de
maîtres dans chaque école pratique nos techniques, nous demandons qu'il ne soit pas
construit désormais d'écoles de plus de six classes, ou que les grandes écoles soient
réorganisées sur la base du travail d'équipes avec cinq à six maîtres suivant leurs
élèves.
Cette
réorganisation technique de l'école primaire et secondaire est essentielle à la
modernisation souhaitable.
- Nos
techniques rendent à plein tout de suite dans les classes où la notion de bourrage a
été abandonnée au profit de la formation des individus et de la culture :
classes maternelles et enfantines, rendement
à 100%
classes de perfectionnement,
internat, déficients etc ... .. -
à 100 %
C.P. et C.E.
80 à 100 %
Avec ces
classes vous pouvez vous engager carrément, vous n'aurez aucun ennui.
Il y a
évidemment un peu plus de précautions à prendre dans les C.M. et F.E. où les
programmes, les horaires et les examens compliquent les choses, tant surtout que parents
et maîtres seront persuadés qu'à ces degrés les connaissances priment tout, aux
dépens même de la formation.
Les
résultats y sont excellents aussi, mais plus longs à généraliser, surtout si on ne
garde ces enfants que un ou deux ans.
- La
surcharge des classes. La surcharge des classes c'est le sabotage de l'éducation.
Avec 40 ou 50 élèves, aucune méthode n'est valable. L'instituteur se défend avec des
pis-aller.
Nos
techniques ne sauraient qu'y être sabotées aussi : sauf dans des écoles à deux
classes où des résultats pourraient cependant être atteints.
Si votre
classe est surchargée, soyez prudents. Si vous n'avez que 30 ou 25 élèves, chiffre
considéré comme normal pour l'administration elle-même, il ne faut pas tarder davantage
dans la vole de la modernisation.
- Les
locaux trop petits. Dans lesquels il y a juste la place pour loger les enfants
assis, avec impossibilité d'installer le moindre outil et de permettre le déplacement
éventuel ou le regroupement des élèves pour certains travaux.
Ils peuvent
être acceptables dans les écoles à classe unique ou à deux classes de village, là
où, pour certaines activités (composition et tirage à l'imprimerie, peinture, travaux
de groupes), les enfants peuvent s'installer dans un couloir ou dans une salle contiguë
désaffectée (ce qui arrive assez souvent).
L'espace
est une condition essentielle. Il y a des classes, hélas ! encore trop nombreuses
où on ne peut faire aucun autre travail que la scolastique. Il nous faut mener campagne
pour leur modernisation.
-
L'absence de crédits. Elle est regrettable certes, mais la modernisation peut
cependant être commencée par une sorte d'auto-financement, dans les villages surtout.
Quand les parents apprécieront le travail (journal, expositions, fêtes, etc... ) les
crédits viendront.
- Les
programmes et les horaires. Ils ne sont pas un obstacle, nos techniques
fonctionnant parfaitement dans le cadre légal. Il suffit éventuellement de rebaptiser
nos travaux et de prévoir leur place dans l'horaire.
- L'opposition
des parents. Ne bousculez pas les parents si vous sentez que le milieu est
difficile. Opérez graduellement. S'ils sentent que leurs enfants se passionnent pour leur
travail, s'ils en sont enthousiasmés, alors ils vous aideront à vous moderniser.
Quelques-unes
de nos réalisations sont plus spécialement recommandées pour accrocher les
parents :
-
l'édition d'un journal scolaire ;
- la bande
magnétique. Que la maman entende son enfant parler ou chanter au magnétophone et elle
sera conquise.
Cultivez
soigneusement les parents, surtout dans les villages. Réunissez-les. Organisez à leur
intention des expositions de vos travaux au cours desquelles ils voient leurs enfants
composer, peindre, dessiner, tenir une réunion de coopérative, faire une conférence.
Préparez des tombolas avec des objets
à vendre dessins, imprimés, journal, vannerie, poteries.
C'est
toujours le travail qui vous sauvera.
Mais ne
brusquez pas les parents, car l'école ne pourra jamais se moderniser si elle ne
bénéficie pas de leur compréhension.
- L'opposition
des inspecteurs.
Tout dépend évidemment des
inspecteurs.
Si le
vôtre connaît nos techniques, s'il les a pratiquées peut-être même (nombreux sont nos
camarades devenus inspecteurs), s'il s'intéresse à la pédagogie, s'il est artiste, il
vous encouragera et vous soutiendra. Vous pourrez alors vous engager carrément. Il saura
dépasser l'inspection de forme pour être sensible à la vraie valeur de nos techniques.
Le danger
est évidemment qu'une classe moderne ou en cours de modernisation soit visitée par un
Inspecteur École traditionnelle (cette appellation n'a d'ailleurs ici rien de
malveillant. C'est un simple fait), Ce sera un peu alors comme si on faisait inspecter une
usine modernisée par un contrôleur qui n'aurait été initié qu'aux artisanats. Vous
risquez de graves incompréhensions et nous vous conseillons la prudence.
Dans ce
cas, au lieu de mettre en valeur les différences spécifiques entre notre école
modernisée et les autres, montrez au contraire leur identité :
- veillez
à l'ordre (nos techniques ne s'accommodent point de pagaye. Il faut arriver à une
discipline de travail, mais pour cela il faut que le travail nouveau imprègne votre
classe) ;
- respectez
un horaire, qui peut être même affiché. Le texte libre, la mise au point du texte, la
composition, la chasse aux mots, la grammaire seront baptisés : français, rédaction,
vocabulaire et grammaire.
- surtout
veillez à votre cahier de préparation qui peul n'être fait, comme nous le
recommandons qu'a posteriori. Vous notez au jour le jour les grandes lignes pour
lesquelles vous préparez les documents et le matériel. Vous entrerez dans le détail à
même le travail.
Il faut
tenir compte de cette réalité capitale : les Inspescteurs primaires sont
surchargés par la besogne administrative et par le nombre de classes à visiter. Même
avec leur meilleure volonté ils ne pourront passer que quelques minutes ou à peine
quelques heures dans votre classe. Ils seront de ce fait dans l'impossibilité matérielle
d'entrer dans le détail, de voir en profondeur, de sentir ce travail de culture que vous
avez mené. Et il leur faut pourtant rédiger un rapport où ils risquent de noter
certains aspects insolites de votre classe, aspects qu'ils auraient compris et appréciés
s'ils avaient pu rester plus longtemps.
Alors :
- cahier de
préparation ;
- horaires
affichés ;
- plans de
travail affichés ;
- cahiers
bien présentés, si possible sur feuilles mobiles ;
- fichier
dûment classé ;
- belles peintures ornant la classe ;
- poteries
ou travaux spectaculaires ;
- tableaux
des enquêtes menées ;
- table
musée avec l'apport des enfants.
Alors
l'inspecteur sentira tout de même que la classe est au travail ; il pourra en noter
les résultats. Vous serez satisfaits.
Les I.P.
qui sont butés et sanctionnent durement les instituteurs jusqu'à leur interdire parfois
l'exercice de nos techniques sont actuellement très rares. Nous avons d'ailleurs la
possibilité de nous défendre et de vous défendre.
Mais
évidemment, il ne suffit pas d'avoir commencé la modernisation de la classe avec plus ou
moins de succès pour mériter des éloges.
-
Vous n'etes pas préparés à la pratique de ces techniques.
C'est
évidemment grave.
C'est comme
si, pour conduire un avion moderne on se contentait d'amener à l'aérodrome un bachelier
consciencieux qui sait conduire une bicyclette.
Il
faudrait, normalement, au moins lui faire suivre un stage pour lui donner une initiation
minimum.
Nous disons
toujours que notre pédagogie est à base d'outils et de techniques qu'il faut connaître
pour les utiliser à bon escient. C'est évidemment élémentaire.
Mais :
- Notre
pédagogie a la prétention d'être plus simple que la pédagogie traditionnelle parce
qu'elle est naturelle, c'est-à-dire qu'elle est basée sur des processus et
des comportements de bon sens que comprend et admet quiconque possède ce bon sens.
Ce qui
complique en effet l'usage de nos techniques par les éducateurs, c'est qu'ils les
abordent avec les conceptions et l'esprit École traditionnelle, c'est-à-dire qu'ils les
prennent souvent à rebours pour se plaindre ensuite qu'elles ne rendent pas. Le seul fait
de faire confiance à l'enfant, de l'aider au lieu de le commander, de le soupçonner et
de le punir suppose une révolution dans le comportement des éducateurs, révolution à
laquelle certains maîtres trop enfoncés dans la méthode traditionnelle ne parviennent
plus à se réadapter. Les jeunes eux-mêmes peinent parfois à se rééduquer, surtout
s'ils sont passés par l'École normale où on leur a insufflé magistralement l'esprit
École traditionnelle auquel ils font personnellement confiance, et cela se conçoit.
Alors ils ne se donnent que traditionnellement à l'École Moderne.
Nous avons
par contre beaucoup plus de succès avec les suppléants qui abordent nos techniques avec
une sorte d'esprit vierge, pédagogiquement parlant, et qui raisonnent, non d'après la
pédagogie qu'on leur aurait enseignée mais avec leur propre expérience et leur bon
sens.
Et nous
avons dans notre école de Vence, l'exemple de plusieurs monitrices, n'ayant que le
certificat d'études et qui, après plusieurs années passées avec nous sont tellement
bien imprégnées de notre esprit, qu'elles ont vraiment dépouillé la vieille
pédagogie, et travaillent comme les mamans, avec un succès que peu
d'institutrices obtiendraient dans les classes maternelles et enfantines et au C.P.
Les enfants
eux-mêmes comprennent très vite cette sorte de mutation dans l'esprit de l'école. Non
seulement parce que ce nouveau climat leur est plus favorable mais aussi parce qu'ils
jugent fort bien, sans parti-pris scolastique des inconvénients de l'un des avantages
essentiels de l'autre.
Dans la
pratique donc c'est cette mutation dans l'esprit de la pédagogie qui sera souvent le plus
gros obstacle au changement de méthode. Et malheureusement cet esprit se démontre
difficilement. Il se sent. Il ne suffit pas d'offrir des livres. Il faut que les
éducateurs puissent assister, ne serait-ce que quelques heures, à une classe moderne,
prendre conscience des nouveaux rapports établis entre élèves, entre élèves et
maîtres, qu'ils apprécient le nouveau rôle de l'éducateur avec ce qu'il a d'apaisant
et d'humain.
Alors ils
partiront, bouleversés, avec la conscience qu'ils font, eux, fausse route et qu'il leur
faut retrouver le chemin. Il suffirait parfois qu'ils y soient seulement aidés et
guidés, qu'on ne juge pas leurs essais sur les gabarits de l'ancien esprit qu'ils
puissent lire nos publications, discuter avec nos camarades.
Ce sont,
nous le savons, des conjonctures difficiles. Bien souvent l'instituteur qui a entrevu une
lumière, qui l'a un instant ébloui, retombe immédiatement dans le noir de la
scolastique, sans horizon, avec l'opposition des collègues et des Inspecteurs, le doute
et la crainte. On lui oppose tant de Mais... qu'il abandonne.
Il vous
faut pourtant réagir.
On dit
souvent des maladies qu'elles sont des crises de désadaptation. L'École traverse une de
ces crises. Il ne vous servira à rien de vous installer dans la maladie : vous en
deviendrez vous-mêmes malades ou impotents. Il vous faut chercher des solutions valables
pour retrouver santé et efficience.
Il ne vous
suffira plus de suivre la tradition qui nous a menés où nous sommes ; il ne faut
pas adopter les yeux fermés une méthode quelle qu'elle soit ; il vous faut
expérimenter vous-mêmes, prudemment, vous inspirer des expériences réussies par des
camarades qui sont dans la même situation que vous, aller visiter leurs classes,
travailler avec eux, en équipes...
Le mouvement de l'École Moderne vous y aidera. Il ne vous
apporte aucune solution générale et définitive ; il vous offre des outils et des
techniques qui ont été longuement préparés et expérimentés par des instituteurs
comme vous et que vous avez avantage à connaître et à essayer. Et vous vous joindrez
alors à ces équipes d'acharnés chercheurs qui, sans parti pris, humblement, en
ouvriers, en artisans travaillent à améliorer les conditions mêmes de notre
enseignement et les techniques qui lui redonneront efficience et pérennité.
Nous
n'entrerons pas davantage ici dans le détail de nos buts pédagogiques. Nous avons voulu
surtout vous faire sentir la nécessité de cette modernisation et vous en indiquer les
éléments de base. Si nous y avons réussi, au moins partiellement, ma foi, vous ferez à
votre tour votre tâtonnement expérimental qui vous permettra de dominer nos techniques
bien mieux que nos meilleurs écrits.
Mais ce tâtonnement expérimental ne jouera que si vous avez la possibilité de confronter vos essais avec les réussites de ceux qui sont engagés dans les mêmes voies, L'enfant apprend à parler à la maison, parce qu'il confronte sans arrêt, intuitivement, ses propres essais avec le langage modèle de ses parents, qu'il éprouve le besoin vital et naturel d'imiter. Il ne ferait aucun progrès s'il était seul dans une île déserte.
Ne restez
donc pas dans votre île. Adhérez à nos groupes départementaux, participez à leur
activité, assistez à leurs séances de travail et à leurs stages. Nationalement, lisez
nos livres et nos périodiques, pratiquez la correspondance interscolaire, intégrez-vous
dans une équipe de cahiers de roulement, inscrivez-vous dans des Commissions de travail
de l'I.C.E.M.. Alors vous deviendrez à votre tour es maître École Moderne.
*
Voici
cependant un aperçu synthétique du travail d'une classe École Modeme, avec ses
techniques aujourd'hui fixées et définies, que vous pouvez adopter sans crainte ni
danger.
La classe
commence chez nous avant l'entrée. Les enfants arrivent avec leur « glane ».
Pour les uns c'est un texte rédigé et qu'ils sont impatients de lire à leurs camarades
pour les autres c'est un insecte ou un fossile trouvés en route pour d'autres des
observations qui vont servir de base pour le travail de sciences ou d'histoire. Nous
prenons déjà contact avec toutes ces promesses. C'est notre façon à nous, souvent, de
nous saluer.
Puis chant,
suivi peut-être, selon l'occasion, d'observations morales ou d'indications civiques
(articles de journal, événements locaux etc... dix minutes.
Ensuite
lecture : Deux élèves ont soigneusement préparé leur texte qu'ils viennent lire
à leurs camarades. Pendant ce temps ceux-ci dessinent librement sur les feuilles qui leur
ont été distribuées par les responsables. Les enfants peuvent fort bien écouter et
dessiner. Ils arrêteront leur dessin si la lecture les passionne, mais le principal
profit est pour le lecteur.
On choisit
rapidement les deux meilleurs dessins qui seront collés sur le livre devie de la classe
(au total 10 minutes.)
Nous
passons alors à l'exercice quotidien ou presque : le texte libre, dont nous avons
expliqué le processus dans la précédente brochure. Vous pouvez si nécessaire inscrire
sur votre horaire : français, suivi de grammaire et de chasse aux mots
(vocabulaire). Composition et tirage.
Ensuite
calcul vivant et calcul mécanique.
La matinée
sera terminée. S'il reste un,peu de temps libre, travail au plan.
L'après-midi :
Une heure de travail libre selon le plan de travail :
maquettes d'histoire, expériences scientifiques, préparation des conférences, calcul
sur fiches.
Une heure
de comptes-rendus : les enfants viennent exposer le travail qu'ils ont fait selon
leur plan, en histoire, géographie et sciences. L'instituteur complète. C'est la leçon
a postériori, qui vient après la recherche et l'expérimentation des enfants.
Dernière
heure : Conférences.
Il vous
suffira d'organiser votre horaire sur ce schéma général qui permet tout à la fois un
bon travail collectif et l'indispensable travail Individuel, l'activité sous la direction
du maître, et l'activité spécifique des enfants, au cours de laquelle le maître se
contente d'aider techniquement et de conseiller.
Dans ce
cadre vous pouvez très facilement :
- éditer
un journal imprimé ou limographié
- pratiquer
la correspondance ;
- organiser
la classe-atelier avec le minimum d'outils indispensables : imprimerie, limographe,
couleurs pour dessins, gravure, filicoupeur, boites de travail, balances, boites
d'insectes, bocaux d'observation etc...
-
travailler avec des plans de travail
- afficher
le lundi le journal mural sur lequel les enfants écrivent librement tout ce qu'ils ont à
dire et qu'on lit le samedi soir en réunion de la coopérative (quatre rubriques) :
-
Nous critiquons
-
Nous félicitons
-
Nous voudrions
-
Nous avons réalisé.
Cette formule nouvelle d'école sera, nous en sommes certains, la
solution de demain.
*
LÉCOLE
Moderne, telle que nous la préconisons est aujourd'hui possible dans toutes les classes.
Elle est suffisamment rôdée. Elle a des techniques sûres et éprouvées et déjà une
tradition. Ses avantages sont officiellement reconnus.
Les
obstacles qu'elle rencontre pour se généraliser, ne sont pas tous d'ordre pédagogique
mais surtout d'ordre général, financier et technique. Nous sommes au stade d'une
entreprise qui est toute prête à s'étendre et à s'affirmer : elle a ses plans,
ses ateliers, ses prototypes et sa clientèle seulement elle ne peut absolument pas
s'épanouir dans les conditions artisanales où elle a pris naissance. Il faut qu'elle
puisse s'installer ailleurs, au large, avec les machines indispensables et le personnel
formé à la nouvelle technique. L'entreprise est évidemment rentable, mais encore
faut-il trouver les fonds pour cette réorganisation et les ouvriers qualifiés pour en
assurer le fonctionnement.
C'est pour
faire comprendre aux usagers (parents, éducateurs, entreprises diverses, syndicats) et
aux pouvoirs publics l'urgente nécessité de cette modernisation technique que nous avons
constitué une association pour la modernisation de l'enseignement, dont voici le
manifeste :
L'entreprise
Educatlon Nationale est-elle vraiment, dans le complexe productif de notre pays, une
oeuvre à part, ayant ses règles particulières, ses processus d'organisation et de
fonctionnement ; ou bien est-elle soumise au contraire aux mêmes normes, établies
expérimentalement et scientifiquement, et dont le rendement reste le critère
décisif ?
On nous a
fait croire longtemps que la fonction d'éducation était de nature exclusivement
intellectuelle, et donc indépendante des conditions matérielles et de milieu, et que
seule compterait en définitive la personnalité et l'action du maître ;
sous-entendu : un bon maître est capable d'enseigner à n'importe qui, dans
n'importe quelles conditions, par la seule vertu de son verbe souverain, avec comme seul
et unique outil, la salive.
Il se peut
que cette conception soit particulièrement valable aux degrés supérieurs, et encore la
preuve mériterait-elle d'en être faite. Elle répondait, cela ne fait pas de doute, au
stade aristocratique de l'école d'il y a cent ans, qui préparait les privilégiés dont
la fonction serait de penser pour ceux qui, au-dessous d'eux, agiraient seulement.
Les
conditions actuelles de notre enseignement en voie de démocratisation ne s'accommodent
plus d'une telle pratique. L'école à son tour doit se moderniser.
Les raisons
en sont simples :
- Si vous
avez mal dormi ou mal digéré, si vous avez mal au ventre ou à la tête, Il vous sera
impossible de concentrer un tant soit peu votre attention pour un travail de choix. Vous
vous soignerez et vous vous rattraperez quand vous serez guéris.
- Si vous
êtes immobile dans une pièce mal chauffée ou surchauffée, mal éclairée et trop
bruyante, votre esprit s'engourdit. Vous allez respirer un instant l'air pur pour vous
mettre en forme.
- Si vous
avez la possibilité de faire un travail qui soit à votre portée et qui vous
enthousiasme - que ce soit de planter des salades, de chercher un problème ou de faire
une peinture - vous ne mesurez point votre peine et vous vous trouvez en paix, heureux. Le
travail auquel on vous contraint vous désaxe au contraire et vous décourage et le
rendement en est minime. Vous risquez même d'en être obsédé, énervé et malade.
L'enfant
n'est pas différent de vous. Il est sans doute même plus sensible que vous à ces
incidences décisives. Une pédagogie qui se veut efficiente ne saurait négliger ces
considérants primordiaux, pas plus que la surcharge des classes, l'inhumanité de la
scolastique et la pénurie catastrophique d'outils de travail.
L'école
actuelle fonctionne dans le monde différencié et mécanisé de 1960 dans des conditions
matérielles, selon des techniques de travail et des normes de vie qui étaient peut-être
valables il y a 80 ans, mais qui constituent aujourd'hui le plus dangereux des
anachronismes.
La
modernisation s'impose.
Elle
suppose la prise de conscience des usagers d'abord, des bons ouvriers ensuite. Il y faudra
pour sa réussite la coordination permanente de toutes les bonnes volontés, cette sorte
de cartel comparable aux unions prévues dans les grandes entreprises pour l'étude
collective des moyens d'action et la réalisation des outils nouveaux et nécessaires.
L'école
traditionnelle a consacré sa faillite. Les parents inquiets sont à la recherche de
solutions valables pour l'éducation de leurs enfants. Les éducateurs découragés
attendent qu'une lueur nouvelle renouvelle leurs conditions de vie.
Nous
appelons à l'oeuvre tous les amis de la grande entreprise d'éducation libératrice et
nous leur demandons de signer nombreux la requête ci-jointe qui sera comme point de
départ de notre action.
En même
temps, pour élargir et coordonner cette activité nous constituons dès ce jour une
ASSOCIATION
POUR LA MODERNISATION DE L'ECOLE (A.M.E.)
pour
laquelle nous solliciterons l'adhésion, non seulement d'éducateurs, mais aussi de
médecins, de psychologue d'architectes, d'éditeurs, de parents d'élèves.
Cette
Association aura comme fonction, outre la propgande en vue de cette modernisation :
- l'étude,
avec les architectes, les constructeurs, médecins et les éducateurs, des conditions de
construction et d'aménagement des locaux scolaires qui ne doivent plus être construits
pour une école passive 1900 mais en vue de l'école modernisée de 1960.
Le nouveau
label A.M.E. pourra être accordé aux entreprises qui auront satisfait à cette
étude préalable ;
- l'étude, l'expérimentation et la fabrication des meubles et
des outils de l'Ecole Moderne qui ne sauraient être ceux de l'Ecole Traditionnelle. Comme
l'écrit un de nos adhérent ils créeront une nouvelle fonction ;
- l'étude
du milieu (logements, alimentation, bruits, espaces verts, terrains de jeux et salles de
travail) et de la santé des enfants ;
- l'action
à mener pour la normalisation à 25 de l'effectif des classes ;
-
l'organisation de conférences, l'édition de livres et revues susceptibles de promouvoir
l'idée même de cette modernisation. Toute action locale et nationale susceptible
d'aider, à la réalisation de ces buts.
L'Association
pourra avoir des filiales locales et départementales.
L'Association
sollicitera l'adhésion, l'aide et les conseils techniques des syndicats d'éducateurs,
des syndicats ouvriers, des diverses associations culturelles et de tous organismes qui
voudront bien s'associer à cette action.
Pour le
démarrage de l'organisation, écrire à Freinet, Cannes (A.-M.).
*
Notre
premier devoir d'éducateurs était évidemment de chercher, ensemble, les conditions d'un
meilleur fonctionnement technique de notre école.
Nous en
avons apporté les éléments.
Il nous
faut maintenant élargir notre action pour que la modernisation de l'enseignement devienne
une réalité dans la grande masse des écoles françaises.
Nous
donnons ci-dessous la requête que nous adressons pour signature à tous ceux qui voudront
bien joindre leurs efforts aux nôtres.
POUR LA MODERNISATION
DE L'ECOLE A TOUS LES DEGRÉS
L'entreprise
ÉDUCATION NATIONALE est sans conteste la plus importante dans l'activité d'un pays. Nos
générations à venir, le rayonnement de notre économie et de notre culture, le bonheur
de nos enfants seront ce que les fera l'Ecole.
Les
soussignés demandent que l'entreprise ÉDUCATION NATIONALE soit organisée comme
lE.D.F., la S.N.C.F., ou la R.T.F., sur des bases d'équipement et de rentabilité
modernes et efficientes.
Les usagers
de l'ÉDUCATION NATIONALE :
1°. -
Réclament pour les éducateurs aux divers degrés, des salaires susceptibles d'attirer et
de maintenir dans la profession l'élite de notre pays.
2°. - Ils
savent que la surcharge des classes, c'est le sabotage de la fonction éducative. Ils
réclament l'organisation rapide de classes supplémentaires pour parvenir à la norme de
25 ENFANTS PAR CLASSE.
3°. - Ils ont conscience que nul ne peut faire du bon travail si
les locaux ne sont pas satisfaisants comme construction, espace et exposition.
Ils demandent :
- la
disparition des classes préfabriquées provisoires ;
- la
construction de classes plus spacieuses permettant le déplacement et le travail des
enfants ;
-
l'organisation de cours suffisantes aux ébats des écoliers.
4°. - Ils
savent que l'école-caserne à classes trop nombreuses rend impossible les contacts
personnels indispensables aux enfants et aux maîtres.
Ils
demandent :
- qu'il ne
soit plus construit de groupe scolaire de plus de six classes ;
- que les
écoles-casernes soient réorganisées sur la base de groupes et d'équipes de six à dix
classes.
5°. - Ils
se rendent compte que nul ne peut faire du travail sans outil, que l'école de 1960 ne
peut plus travailler avec l'outillage de 1900, et que les manuels scolaires doivent être
complétés par des outils de création, d'expérimentation et d'échanges :
matériel scientifique, imprimerie et journal scolaire, fichiers, appareils audio-visuels,
etc...
Ils
demandent que soit prévu sans retard l'équipement des écoles avec ces outils de base et
que les éducateurs soient entraînés méthodiquement à l'usage des techniques modernes.
6°. - La
santé physiologique et mentale étant une condition essentielle du bon fonctionnement de
l'école, les usagers demandent :
- une
surveillance attentive des locaux et des conditions de travail ;
- une réorganisation du travail qui ne doit en aucun cas
dépasser les normes admises Pour les adultes : 40 heures par semaine, avec un
maximum de 8 heures supplémentaires pour les grandes classes.
Pour
coordonner l'action des personnalités, et des organisations intéressées :
médecins, psychologues, éducateurs de tous degrés, architectes, éditeurs, les
soussignés déclarent adhérer à :
L'ASSOCIATION
POUR LA MODERNISATION DE L'ÉCOLE (A.M.E.) qui
sera chargée d'étudier, localement et nationalement l'action à mener pour
l'aboutissement des revendications essentielles ci-dessus.
La démocratisation de l'enseignement
Rapport au Congrès international
de la Fédération Internationale des Mouvements d'Ecole Moderne.
(Juillet 1958, Bruxelles).
VOUS vous demandez certainement pourquoi les organisateurs du Congrès ont choisi ce sujet.Voici : cette question est, chez nous en Belgique, très actuelle. Il en est de même ou il en sera bientôt de même dans vos pays respectifs parce que l'enseignement devient de plus en plus un fait social. Mon but, aujourd'hui, sera de montrer que rien de solide ne se réalisera dans ce domaine aussi longtemps que les principes de l'École Nouvelle - ceux que l'École Moderne, entre autres, défend --n'auront pas pénétré réellement la pratique de la classe.
D'abord,
une histoire vraie.
J'avais quinze ans. Mon père, ouvrier mineur, m'avait envoyé à l'école moyenne de la ville voisine après mon école primaire (qui prend normalement fin à douze ans en Belgique). Je ne m'y plaisais pas. Je me sentais dépaysé dans ce milieu bourgeois. Mes vêtements trop étroits et mes chaussures trop longues - je les avais reçues d'un cousin - avaient tout naturellement attiré l'attention du directeur sur moi. C'était un homme du type bedonnant, rutilant et tonitruant Un jour, peu après mon arrivée à l'école, il m'avait traité de « paysan » devant le groupe des élèves. Bien sûr que j'étais un paysan. Je ne le savais hélas ! que trop. Mais, dans mon âme d'enfant, je n'avais pas admis qu'on me l'eût ainsi clamé au visage. Une sourde irritation vivait en moi et me poussait à ne rien faire ou, pour tout dire, à calculer mon effort pour changer de classe chaque année puisque là s'arrêtaient les exigences de mon père. Mais en pareil cas, ce qui doit arriver arrive : à l'examen de février en troisième moderne, me voilà « recalé » en langues modernes.
La nouvelle
me cloua de stupeur. Puis, je me mis à penser que, somme toute, la situation n'était pas
si mauvaise... D'une part j'allais être délivré de cette école que je n'aimais
pas ; de l'autre, j'allais être mis au travail pour me trouver enfin l'égal de
certains camarades du village qui, eux, recevaient déjà un salaire et jouaient à
« faire l'homme ».
Mon père ne prit pas l'affaire ainsi. Il me conduisit avec toute
l'énergie dont il était capable - et cela ne lui manquait pas ! - chez le
professeur de langues modernes qui me prit en mains de telle sorte que j'obtins mon
diplôme en juillet. J'entrai alors par hasard à l'école normale en septembre suivant.
L'atmosphère me plut. Je travaillai et me révélai, à l'étonnement de mon ancienne
école, un très bon élève. Je me sentais pris d'une véritable faim d'étudier. A l9
ans, lorsque je pris mon diplôme d'instituteur, j'étais vraiment passionné pour les
mathématiques et j'aurais voulu me spécialiser dans cette branche. Malheureusement,
c'était la crise et mon frère cadet était aux études ; le père me fit comprendre
qu'il avait atteint la limite de ses possibilités et qu'il me fallait gagner ma vie.
Ainsi débuta ma carrière de maître d'école.
Si je vous
ai raconté cette histoire un peu longue, c'est qu'elle contient en germe deux aspects -
je dirais volontiers les deux pôles du problème de la démocratisation des études.
Chaque fois que je vois un jeune manoeuvre ou un apprenti à la tâche, je me prends à
penser qu'il n'a tenu qu'à un fil que ce sort fût le mien et que l'école a laissé en
eux des richesses inexplorées. Chaque fois aussi que je me trouve en rapport avec un
professeur de mathématiques, je regrette de n'avoir pas essayé mes forces à
l'Université et je me demande : « pourquoi lui, pourquoi pas
moi ? ».
Disons
d'emblée que la démocratisation des études ne veut pas donner à chacun un diplôme de
fin d'humanités ni envoyer tout le monde à l'Université. Il n'est absolument pas
question non plus d'abaisser le niveau général des études. Ce que l'on veut, c'est
essentiellement ceci : créer une structure et une organisation scolaires telles que
chacun puisse aller aussi loin que ses facultés le lui permettent sans se voir arrêté
par des contingences matérielles.
Il ne faut
pas une grande expérience pour constater que les enfants issus de ce que l'on appelle les
« bons » milieux, font généralement des études jusqu'au bout, alors que,
les enfants des travailleurs trébuchent souvent en chemin, et cela dès l'école
primaire. Il fallait la confirmation des chiffres. Et elle est venue. En Belgique,
l'ensemble de la classe ouvrière et paysanne représente 47 % de la population ; or,
à l'Université, on ne trouve que 5 % d'élèves issus de cette classe. 5 % contre 47 %
voilà le fait brutal qui a attiré l'attention du ministre Collard et qui pose maintenant
un des plus graves problèmes sociaux du siècle.
Non que les
travailleurs en aient pris conscience, loin de là ! Bien sûr, ils savent qu'un bon
diplôme est la meilleure, sinon la seule chance de promotion pour leurs enfants puisque
les capitaux leur manquent pour s'imposer dans l'industrie et le commerce. Faut-il y voir
de la pusillanimité ou les effets d'une soumission passive aux traditions
intellectuelles ? Toujours est-il que ces travailleurs qui ont lutté pour le
suffrage universel et la loi des huit heures et qui comprennent fort bien le problème de
la cogestion, semblent ne pas prendre facilement conscience de l'inégalité en matière
d'enseignement ou, plutôt, semblent l'admettre comme une fatalité. Ce sont des
intellectuels d'origine modeste, pour autant qu'ils n'aient pas renié ou oublié leur
origine, qui attirent l'attention de toute la nation sur la question.
En fait, il n'y a pas de grandes oppositions à une
démocratisation des études. Les classes possédantes vont même jusqu'à encourager le
mouvement. Personnellement, je ne puis croire à un souci d'humanisme ou de justice et
cela me fait supposer que le principe ne sera pas poussé jusqu'à sa limite. Mais, de
même que la scolarité obligatoire fut décrétée parce que le machinisme ne pouvait
plus se contenter d'illettrés, de même l'automation ne peut plus se passer d'ingénieurs
et de techniciens. En présence de la lutte contre la montre que se livrent les Etats-Unis
et l'U.R.S.S. dans le domaine de la formation d'élites intellectuelles, on commence enfin
à comprendre partout que la moindre parcelle du potentiel spirituel d'une nation ne peut
plus être négligée et qu'il est indispensable de puiser ces élites dans la masse aussi
bien que dans les milieux qui, traditionnellement, les fournissaient.
Voilà donc l'accord quasi général sur la nécessité de repenser structures, programmes et même méthodes et de trouver les fonds nécessaires pour construire des écoles, former des maîtres et améliorer l'équipement scolaire. Il y aurait déjà beaucoup à dire sur l'école primaire où les locaux ne répondent pas toujours aux nécessités d'un enseignement actif, où les maîtres ne sont pas formés en fonction de leur vraie mission et où l'équipement désuet des classes est un facteur d'insuccès dans l'application de méthodes rénovées.
Accord
quasi général également sur les principes de la gratuité scolaire et de la
prolongation de la scolarité. On parle même de pré-salaires pour certaines catégories
d'étudiants.
Dès
maintenant aussi, un grand effort en faveur de la bonne orientation des élèves et de la
réorientation en cours d'études. Et chacun sait combien ce travail est délicat puisque
l'enfant n'a vraiment conscience de ses goûts et surtout de ses forces que pendant
l'adolescence, c'est-à-dire vers 16 ans.
Et
pourtant !
Et
pourtant, en dépit de ces heureux auspices, je crains qu'un élément essentiel ne reste
dans l'ombre. Pour qu'il y ait effIcience dans l'oeuvre de démocratisation des études,
il faut qu'il y ait efficience dans l'oeuvre d'éducation elle-même. C'est
particulièrement vrai pour l'éducation de base, la formation première qui s'appelle
école primaire. Elle doit donner à chacun l'occasion de découvrir et de dégager sa
personnaIité, ses goûts, ses aptitudes même les plus concrètes, elle ne doit pas se
réaliser en vase clos mais sortir de la vie pour retourner à la vie comme le voulait
Decroly ; elle doit viser le contenu de la pensée et non son enveloppe ou son
étiquette. En un mot, elle doit être fonctionnelle.
Ce sens
profond de l'éducation est cet élément essentiel dont je parlais. Il vaut bien
l'intérêt qu'on porte aux structures et aux programmes.
Or, voici
un fait absolument surprenant : dans toutes les discussions relatives à la
démocratisation des études, il n'est presque jamais question de l'école primaire. Bien
plus, on a tendance à considérer que, dans cet enseignement de base, tout est pour le
mieux puisque, en principe, il est le même pour tous...
Et
pourtant, si j'étais magicien et capable de réaliser un enseignement secondaire parfait
tout en trouvant les milliards nécessaires pour mettre les étudiants à l'abri des
soucis matériels, je crains fort que l'écart entre les 5 et 47 % de tantôt ne diminue
pas sensiblement !
Ce serait
vrai si l'école primaire avait au préalable fait acquérir à l'enfant, d'une manière
consciente, les techniques et les automatismes de base ainsi qu'un lot important de
connaissances de première main résultant d'un travail personnel de pensée. Mais nous
sommes assez loin de compte : l'appel à la mémoire et à l'habitude, la parole du
maître et les manuels scolaires ont encore très souvent tous les honneurs. Voyez ce
qu'il en reste quelques années après la fin de la scolarité.
Ce serait vrai si l'école primaire amenait l'enfant à exprimer ses idées et ses émotions d'une manière souple, correcte, artistique même. Au lieu de cela, que de leçons d'élocution banales, étriquées et voire même délaissées faute de rendement ! Sans compter la rédaction traditionnelle imposée qui perd tout son caractère de spontanéité et de vérité pour devenir régulièrement de la pauvre phraséologie d'imitation.
Ce serait
vrai si l'enfant avait maîtrisé la lecture parallèlement à un enrichissement de la
pensée et à un affinement de son affectivité - ce qui ne peut se réaliser que par une
lecture globale intimement liée à la vie - et s'il avait continué à s'intéresser, par
le texte, aux pensées et aux émotions d'autrui.
Ce serait
vrai si l'école primaire avait fourni à l'enfant une méthode de travail lui permettant
de rassembler les données d'un problème (chiffré ou non !) et de le résoudre en
tâtonnant plutôt que de lui donner des modèles tout faits.
Ce serait
vrai si l'école donnait à l'enfant les moyens de dégager sa personnalité tout en lui
apprenant à coopérer avec ses condisciples, à se dévouer aux autres, à respecter tout
le monde... Mais tant de classes se trouvent encore au stade de l'individualisme stérile
où les élèves ne sont rien d'autre que des auditeurs ou des copistes...
Ce serait
vrai si l'école primaire donnait au petit d'homme la foi en soi et le goût exaltant de
la création, si elle lui apprenait que, par son travail et sa persévérance, il pourra
plus demain qu'aujourd'hui. Voyez au contraire les regards ternes et les attitudes
désintéressées si fréquents dans les classes traditionnelles.
En un mot,
ce serait vrai si l'application de notre plan d'études s'était généralisée.
Or, qu'on
le veuille ou non, c'est une tête bien pleine qu'on vise plutôt qu'une tête bien faite
et c'est ce qui fait dire à Freinet que, « en éducation, nous nous trouvons
toujours à l'époque de la préhistoire ».
C'est
encore trop souvent du dehors que se réalise l'acquisition du programme, acquisition
visant essentiellement la réussite par un certain nombre d'élèves de l'examen d'entrée
dans l'enseignement secondaire général. Chacun sait pourtant que la vraie possession
d'un programme découle tout naturellement et très facilement des expériences de vie et
que les connaissances ne sont définitives qu'après plusieurs années de mises au point
successives. Et en procédant de la sorte, ne dilapide-t-on pas chez l'enfant son besoin
de travailler, de produire, de connaître, de s'élever... Ne laisse-t-on pas tomber la
proie pour l'ombre ? L'attitude de désintérêt n'est-elle pas tout simplement la
grande production de retardés scolaires ? Sait-on que des enfants normalement ou
supérieurement intelligents n'obtiennent que de pauvres résultats scolaires ? Et
n'est-ce pas un peu à la légère qu'on des traite de caractériels ?
Vraiment je
pense que tout doit être tenté pour que d'éducation fonctionnelle dont vous, membres de
l'École Moderne, avez une si juste idée et qui est si bien mise en évidence par notre
plan d'études belge, se généralise. Ce n'est pas une utopie, votre présence ici le
prouve ; et chacun de nous connait d'autres réussites permanentes et définitives...
C'est à cette condition - et à cette condition seulement - que l'école primaire sera
les fondations qu'elle doit être, fondations sur lesquelles l'enseignement secondaire
pourra réellement s'appuyer.
Examinons maintenant un aspect social caractéristique de la
formation primaire.
Une
question se pose d'abord :
- Si l'on
admet que l'école primaire est insuffisamment adaptée aux conditions actuelles, ne
faut-il pas reconnaître que cette inadaptation est valable pour tous les enfants et que
cela constitue, en fait, une forme d'égalité ?
La réponse
est malheureusement négative.
Parmi les
modes de répartition des enfants, il en est un, fort négligé, à savoir, celui qui
tient compte des milieux d'origine. Je propose trois groupes :
1° - Les
enfants de la classe dite aisée. Ils savent que grâce aux moyens financiers et
aux relations de leurs parents, ils aboutiront à une bonne situation, soit dans le
commerce, soit dans l'industrie. S'ils sont faiblement doués, ils savent que, dans une
certaine mesure et avec un peu de patience, les mêmes facteurs les conduiront au
diplôme. Cette certitude leur donne une parfaite confiance en eux.
2°. - Les
enfants de travailleurs intellectuels. Ici, les parents ne sont pas riches
en argent mais ils le sont en expérience : ils connaissent l'importance de tel ou
tel diplôme et savent aider leurs enfants à le conquérir.
3° - Les
enfants issus de milieux modestes et intellectuellement pauvres. Ils ne
bénéficient ni d'une langue correcte, ni d'un contact avec des livres, des revues, ou
d'autres sources d'information. Ils ont peu l'occasion de fréquenter des personnes
cultivées. Ils quittent rarement leur quartier, sauf pour fréquenter une colonie
scolaire dont l'apport intellectuel est souvent réduit. Ils ne vont pas au théâtre.
S'ils vont au cinéma ou s'ils écoutent une émission radiophonique Ils subissent les
goûts peu relevés de leurs parents. Ils vivent dans de mauvaises conditions de
développement spirituel et je pense notamment à ces petits malheureux qui, en dehors des
heures de classe, doivent rester dans une « garderie » du matin au soir et
pendant les vacances. Tout cela fait que ces enfants ressentent confusément mais
sûrement leur infériorité. Même s'ils ont une belle intelligence, ils éprouveront des
difficultés à se maintenir au niveau du groupe de tête, celui qu'on appelle « le
noyau de bons élèves » et qui, dès le 3e degré, est constitué
presque exclusivement par des enfants des deux premières catégories. Ceux qui
résisteront victorieusement jusqu'à 12 ans et qui réussiront brillamment leur examen
d'entrée à l'Athénée finiront souvent par échouer, victimes de leur milieu.
C'est ici
surtout qu'il faut trouver l'origine des 5 % dont il a été question au début de
l'article. Je crois sincèrement que l'augmentation des bourses d'études ne modifiera pas
sensiblement cette situation.
Concluons. En dépit du fait que, théoriquement, l'école
primaire est la même pour tous, il y a pratiquement une prédestination sociale qui
marque l'enfant au départ. L'école primaire doit donc, dans la plus grande mesure
possible, oeuvrer à corriger les différences fondamentales résultant de l'inégalité
des milieux. L'enfant qui vit dans un milieu familial défavorable au point de vue
spirituel, doit trouver à l'école une riche ambiance éducative telle qu'il puisse
révéler ses vraies possibilités. Ceci n'est possible que dans le cadre d'un
enseignement moderne, rénové ! A l'École Traditionnelle, l'enfant d'origine
modeste part battu d'avance dans la majorité des cas !
Je voudrais
terminer en examinant les rapports école primaire - enseignement secondaire général. Ne
croyez pas que j'oublie l'enseignement secondaire technique, mais il faudrait un exposé
à part pour montrer que, par tradition, l'enseignement général jouit d'un prestige que
le technique n'est pas prêt d'égaler et qu'il n'y aura pas de vraie démocratisation des
études aussi longtemps que l'on admettra ce fait. Mais, puisque le secondaire général
prétend sélectionner les meilleurs, voyons comment nous, maîtres d'écoles, devons
préparer nos enfants.
Nous avons
déjà dit que l'école primaire devient, de plus en plus, une vaste section préparatoire
de l'enseignement secondaire général. Or, sur 1000 élèves qui terminent leur école
primaire, on peut estimer approximativement à 380 le nombre de ceux qui entreront dans ce
secondaire général et à 78 le nombre de ceux qui obtiendront un diplôme homologué
d'humanités, ce diplôme correspondant au baccalauréat français, je pense.
Le moins
qu'on puisse dire est donc que l'école primaire donne une orientation à son enseignement
au profit d'une minorité et cela au détriment d'une majorité où se retrouvent tout
naturellement les enfants de condition modeste. Et on pourrait en toute logique se
demander ici pourquoi l'école primaire ne donne pas parallèlement à son enseignement
une orientation plus artistique, plus technique, plus manuelle ? On éprouve du reste
quelque amertume à penser qu'on discute pour savoir si l'enfant doit savoir lire à 6 ou
à 7 ans et pour déterminer à quel âge il doit connaître tel point de la grammaire,
mais qu'on trouve tout naturel de ne pas donner - ou si peu - à nos futurs ouvriers,
techniciens et artistes, l'occasion de se servir de leurs mains jusqu'à 12 ans. Du point
de vue économique, c'est une négligence coupable puisque la richesse de la Belgique
résulte presque entièrement de l'interaction pensée-main.
Beaucoup de
parents, d'instituteurs et de professeurs, tout en reconnaissant les avantages éducatifs
de la formule « plan d'études », croient encore fermement que l'école
primaire classique prépare mieux l'enfant à l'enseignement moyen en ce sens qu'elle fixe
mieux dans son esprit le programme des connaissances. Si tel devait être le cas, la
position de l'école rénovée serait bien compromise. Mais c'est l'inverse qui est
vrai : l'enseignement livresque ne fournit à l'enfant que des connaissances de
seconde main, des formules, des exemples-types... tant et si bien que la mémoire reste
l'outil principal de la formation. L'école traditionnelle, si elle met l'élève de 6e
en état de réussir son examen d'entrée à l'Athénée, ne le prépare pas aux réelles
difficultés qui l'attendent tout au long des humanités.
- Pour y
réussir en mathématiques, il faut bien entendu, posséder un certain nombre de
techniques et d'automatismes. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut beaucoup plus. Il faut
avoir été initié à la pratique de la pensée calculatrice, ce qui est tout différent.
- Pour y
réussir en langues, il faut bien posséder la grammaire. Je veux parler de cette
grammaire pensée grâce à laquelle l'élève est capable de saisir et d'analyser les
subtilités de la langue écrite et parlée et non celle qui consiste surtout à étudier
des règles et à réaliser des accords. Faut-il redire que cette grammaire vivante et
active n'est pas le propre de l'école traditionnelle ?
Pour y
réussir en français, il faut avoir beaucoup lu et être capable d'exprimer des idées
personnelles. La dissertation en est le couronnement. Celle-ci suppose une langue correcte
et souple ainsi que la capacité de ramasser des idées personnelles en un tout homogène.
Or l'école classique se préoccupe peu de l'expression, orale et écrite et, lorsqu'elle
le fait c'est en pratiquant une espèce de dirigisme des idées qui, dès lors, ne
dépassent pas le niveau de la banalité.
Pour y
réussir dans les branches d'information, il n'est absolument pas nécessaire de
connaître des résumés, des nomenclatures, des dates. Il faut un esprit ouvert, affiné
par l'observation et la réflexion ; il faut encore avoir lu, avoir cherché, être
capable d'utiliser des sources d'information et de rassembler les éléments d'une modeste
conférence... Ceci non plus ne se trouve que très peu à l'école traditionnelle.
Si tant de
prétendus « bons élèves » d'école primaire, après avoir pris un départ
foudroyant à l'Athénée, se sont révélés incapables d'aller jusqu'au bout, la faute
en incombe largement à l'école traditionnelle qui n'a pas su les préparer
convenablement.
Il est
temps de conclure.
Au siècle
de l'atomium, on considère à juste titre comme un anachronisme la chaumière où l'on
s'éclaire à l'aide d'une lampe à pétrole, mais on ne s'émeut pas devant une
conception éducative usée jusqu'à la corde. L'école est, de plus en plus, la grande et
presque unique possibilité d'élévation pour l'enfance du peuple. Les chiffres prouvent
que cette élévation ne se réalise que dans une faible mesure. L'inadaptation de
l'école est le premier obstacle à renverser dans le processus de démocratisation des
études.
Ce n'est
pas seulement dans une refonte des structures que se trouve le remède, mais aussi dans
une action sur le plan méthodologique, c'est-à-dire dans une mise en pratique
généralisée des principes de l'Ecole Moderne. C'est particulièrement vrai pour
l'école primaire et le cycle inférieur du secondaire qui, par l'obligation scolaire,
sont vraiment les écoles de tous.
L'école
doit libérer l'enfant alors que, trop souvent, c'est l'enfant qui aspire à être
libéré de l'école !
Notre
devoir est clair.
Il nous
faut rester les ouvriers de la première heure et, par un effort incessant, mettre
toujours mieux au point notre action éducative.
Partout où
nous nous trouvons, que ce soit dans les milieux pédagogiques, syndicaux ou
politiques ; que ce soit devant des autorités, des parents ou des collègues, nous
devons dire et montrer inlassablement que le choix n'est plus possible : seul un
enseignement moderne répondant aux exigences modernes est capable de préparer l'enfant
à « aller aussi loin que ses facultés le lui permettent ».
Il faut
enfin nous préparer à accueillir les ouvriers - même ceux de la onzième heure - qui
viendront se joindre à nous et à mettre intégralement à leur service notre
expérience.
Je souhaite
que nous ayons tous le courage de remplir ce devoir.
R. SALENGROS.