BEM 27-28 Les techniques Freinet A L'ECOLE MATERNELLE Par M.PORQUET,
Bibliothèque de lécole moderne 1964 |
Table des matières
-Techniques Freinet et école maternelle -Quelques
expériences |
TECHNIQUES FREINET
ET ÉCOLE MATERNELLE
On m'a souvent posé la question suivante : Les techniques Freinet, conçues au départ pour l'école primaire, sont-elles applicables à l'école maternelle ? Si oui, qu'apportent-elles aux enfants d'âge préscolaire et à leurs éducatrices ? -recherche permanente des buts et des
moyens, -attention profonde portée à l'enfant et
aux enfants, à leurs besoins, à leurs intérêts, aux lois de leur développement, à
leurs démarches investigatrices et créatrices ; -présence vigilante, clairvoyante et
lucide de l'éducateur qui doit savoir créer le climat affectif de confiance réciproque
dans lequel s'engagera tout naturellement le dialogue entre le milieu et les enfants,
l'éducateur et les enfants, les enfants eux-mêmes. Où trouver meilleur terrain d'élection
pour la pédagogie Freinet que ces écoles sans programme rigide, ouvertes sur la vie des
petits, qui répondent d'abord à leur essentiel besoin de sécurité, dont les méthodes,
qui se veulent « naturelles», sont toutes axées sur le développement des jeunes
enfants de 2 à 6 ans et sur les «périodes sensibles» de ce développement ? Je n'évoquerai ici que pour mémoire la
coopération entre les maîtres d'écoles maternelles et les mères de famille en vue
d'une prise de conscience plus aiguë et plus lucide des besoins affectifs,
physiologiques, mentaux des jeunes enfants. Je voudrais surtout témoigner de l'aide
apportée par l'école maternelle à l'intégration de l'enfant dans un milieu social, le
milieu scolaire, si différent du milieu familial jusqu'alors seul connu de lui. La correspondance interscolaire, entre
deux grandes sections maternelles, qui motive les débuts de l'apprentissage de la
lecture-écriture, répond en même temps au désir encore tout affectif de communication
des enfants, mais aussi à leurs besoins d'expression et de découverte. Elle facilite les
échanges entre l'éducatrice et ses petits par la recherche commune des éléments
à apporter aux correspondants ; elle stimule l'attention prêtée à l'environnement par
l'enfant soucieux de «se raconte» à son ami lointain ; enfin elle amorce entre les
enfants ce dialogue qui va peu à peu, tout au long de l'enfance et de
l'adolescence, épanouir leur affectivité, leur permettre de s'ouvrir au monde des hommes
et des choses, mais aussi de mesurer plus justement leurs pouvoirs, de se découvrir
eux-mêmes et de, peu à peu, se connaître. |
LE
MILIEU ÉDUCATIF A L'ÉCOLE MATERNELLE
Comme à l'école primaire, l'application
des techniques Freinet à l'école maternelle repose tout d'abord sur la création d'un
milieu éducatif le plus riche et le plus varié possible, susceptible de permettre à
chacun des petits le maximum d'expériences dans le climat de sécurité, de confiance et
de liberté qu'exigent, pour s'épanouir, les fragiles personnalités naissantes. Avec
toutefois cette différence que l'enfant entrant à l'école maternelle quitte pour la
première fois un milieu familial plus ou moins sécurisant, pour entrer dans un milieu
inconnu, d'autant plus redoutable et insécurisant pour lui que les locaux en sont plus
vastes, les enfants plus nombreux, le personnel plus accablé par la lourdeur de la
tâche. Quelques précisions sont ici nécessaires
: sur les 1 500 000 enfants d'âge préscolaire accueillis dans les écoles maternelles et
les classes enfantines publiques, les 2/3 le sont dans les écoles maternelles de villes,
le 1/3 seulement dans les classes enfantines rurales. Le milieu naturel, facteur
d'équilibre et d'enrichissement à travers les multiples expériences qu'il suscite,
est de plus en plus remplacé, par suite de la désertion des campagnes, par le milieu
artificiel urbain où l'enrichissement précoce du langage masque l'indigence de
l'expérience concrète. De plus, dans les grands centres urbains, les
petites écoles maternelles à 2 ou 3 classes tendent à disparaître au profit de
« grosses écoles » de 5, 7, 8 ou même 10 classes. Cette évolution très
rapide et consécutive à l'accroissement constant du nombre d'enfants fréquentant les
écoles maternelles (dans certains départements industriels, la moyenne par classe
maternelle dépasse les 50 maximum prévus par la loi) oblige les institutrices
maternelles à repenser leur milieu éducatif en fonction de cette situation nouvelle et
des besoins constants des enfants. En effet, de plus en plus, l'école
maternelle couvre cette période de la vie des enfants qui s'étend de 2 à 6 ans entre la
première prise de conscience du moi en tant que personne physique, séparée pour la
première fois, lors de l'entrée à l'école maternelle, du cadre familier dans lequel il
vivait en symbiose avec sa mère, ses parents, les objets usuels, et la découverte à la
fois de ses égaux, du monde extérieur proche et de ses pouvoirs d'expression et de
création. Période extrêmement riche où se font jour,
dans leurs diversités, les personnalités enfantines, où se décèlent les aptitudes et
les caractères, où le conditionnement, étant donné la malléabilité enfantine, est
le plus facile et peut-être le plus pernicieux, mais, en contrepartie, où l'ouverture
sur la vie est la plus aisée. Ici, mieux que nulle part ailleurs, il est possible
d'observer les démarches investigatrices de l'esprit enfantin, d'en suivre pas à pas
le tâtonnement expérimental, de comprendre les relations du milieu à l'individu, de
préserver et de soutenir cet élan vital qui pousse l'être humain à se dépasser,
l'enfant à grandir, à s'intégrer dans une communauté, à y prendre conscience de ce
dont il est capable. Sans forçage ni dressage, par la seule
vertu d'une vie communautaire aidante, où chaque enfant peut faire, à son rythme, le
maximum d'expériences que la mise en partage valorise et multiplie, l'école maternelle a
l'ambition de mener chacun de ses petits vers la prise de conscience de ses pouvoirs
sensori-moteurs et créateurs, de ses possibilités d'expression et de communication et
de ses premières démarches intellectuelles. Ce milieu éducatif par excellence doit tout
d'abord répondre au premier besoin de l'enfant de cet âge : le besoin de sécurité. Il
faut avoir assisté à une rentrée massive (septembre ou Pâques) des petits à la
maternelle, avoir essuyé les larmes et apaisé les cris pour mesurer justement ce besoin
et comprendre le heurt subi par le bébé brusquement séparé pour la première fois de
sa mère et de sa maison. Privé tout à coup du cadre familier, du soutien maternel
limité dans ses démarches spontanées par les règles de ce milieu nouveau, par le
contact inévitable de tous " les autres " bébés qu'il doit apprendre à
connaître sans cesser de se reconnaître, le petit enfant est perdu au milieu du bruit,
du nombre, des locaux trop vastes pour lui. Je n'évoquerai pas ici l'attitude
maternelle qui doit être innée chez toute éducatrice des petits. Mais j'insisterai sur
la nécessité dans les écoles à plusieurs classes d'une organisation convenable
des entrées et des sorties ainsi que des récréations : entrée directe dans les
classes, récréations séparées pour les petits, passage successif des classes dans la
cour et la salle de jeux afin que chaque classe puisse bénéficier au maximum du jardin
ou du terrain de jeux. Eviter à tout prix ces moments si pénibles de courses et de
bousculades d'une centaine d'enfants (et souvent plus), rouges et suants, tassés dans une
salle de jeux sans autre but que de courir, de pousser le voisin et de crier à qui mieux
mieux, me semble être le premier devoir des éducatrices soucieuses de satisfaire ce
premier besoin enfantin. D'autre part, établir le contact, le plus fréquemment possible, entre la maman et l'institutrice, n'est-ce pas également favoriser son adaptation à ce milieu nouveau ? Or, c'est là l'une des caractéristiques de la pédagogie Freinet que de rechercher le dialogue, la coopération entre l'école et la famille. Cette coopération permet de part
et d'autre une meilleure connaissance des enfants et partant une efficacité plus grande
des moyens mis en euvre pour les éduquer. Elle aide parents et éducatrices à
mieux comprendre les états affectifs des petits, parfois même les drames qui les
agitent. En voici un exemple : La crise de jalousie provoquée chez Nadine
(3 ans l/2) par la naissance d'un petit frère a pu être résolue et dominée par
l'enfant qui a trouvé à l'école aide et compréhension. L'institutrice, à travers les récits de
Nadine, les commentaires de ses dessins libres, a décelé les raisons de l'attitude
agressive de l'enfant et des régressions de tous ordres constatées par les parents et
elle-même. Elle s'en est expliquée avec les parents, puis par l'intérêt qu'elle a
manifesté pour le petit frère, intérêt qu'elle a su faire partager à la classe, elle
a suscité chez Nadine un sentiment de fierté et de tendresse envers ce petit frère si
faible, qui accapare un peu trop sa maman. En dessinant, en peignant le petit frère dans
son berceau, en le racontant, Nadine s'est libérée de sa jalousie. En permettant aux mamans d'entrer dans
l'école, de connaître le nouveau milieu de vie de leurs enfants, d'assister parfois à
un moment de vie, non seulement nous les aiderons à élever leurs petits, mais aussi
sécurisons ces derniers. D'autre part chaque classe, avec sa
trentaine d'enfants et son éducatrice peut vite devenir, même pour les bébés, un
milieu sécurisant à condition de garder son indépendance et de répondre à un second
besoin aussi essentiel que le premier : le besoin d'activité. Parce qu'elle se
place résolument sur le terrain de l'éducation, l'école maternelle peut, en répondant
à ce besoin, aider l'enfant à prendre possession de son corps, à maîtriser ses
coordinations motrices, à perfectionner et à socialiser son langage, à affirmer sa
personne à travers une affectivité véhémente qui tend peu à peu vers 5 ans 1/2- 6
ans à la compréhension des autres, à l'échange, au dialogue. Mener l'enfant de la démarche hésitante
et impulsive du bébé de 2 ans à la grâce, à l'aisance de l'enfant de 6 ans déjà
capable d'inhibition, d'activité volontaire et réglée, donc de mémoire, de capacité
d'analyse et de synthèse, n'est-ce pas, selon la belle expression de Mme Kergomard, «
apprendre à vivre ». Qu'il s'agisse du bébé de 3 ans ou de
l'enfant de 6 ans à la découverte de lui-même et du monde qui l'entoure, nous pensons,
avec Freinet, qu'il nous faudra toujours rechercher d'abord l'expérience individuelle,
l'activité personnelle, le tâtonnement expérimental par lesquels s'exercent les
pouvoirs de l'enfant, se forme et s'exprime sa personnalité. La découverte des qualités
des objets s'opère par la pratique, par l'action, par l'usage et l'enfant qui construit
ses perceptions se construit en même temps lui-même. Mais comme nous désirons faire de l'enfant
un être social, nous accueillons volontiers les occupations par groupes ainsi que l'activité
collective. « Par la vie que nous organisons
autour de nos petits, nous assurons en même temps que leur développement physique,
mental et émotif, une adaptation sociale qui se fait dans la liberté et la
joie ». Chez nos 5 à 6 ans en particulier, ces
moments de travail collectif permettent à chacun de bénéficier des découvertes des
autres, ils deviennent alors motivation et coopération, ils donnent l'élan
aux esprits lents, ils sont le tremplin des intelligences et des curs. Mais n'oublions pas que les formes que
revêt l'activité enfantine dans nos classes sont conditionnées par le milieu éducatif
que nous créons. Nous portons la responsabilité du choix de ces activités grâce
auxquelles nos enfants vont se former. Pour ces enfants qui seront les hommes de demain,
il nous faut savoir, comme le recommandait Gaston Berger « prendre cette attitude
prospective qui consiste à essayer de voir loin, de voir large, de prendre des risques,
mais surtout de penser à lhomme ». Non pas un homme enfermé dans un monde
figé dans l'ordre culturel comme dans l'ordre technique, cherchant avant tout le
rendement, mais un homme capable de mettre sa foi dans sa spontanéité et sa
créativité, un homme responsable de lui-même et du monde dans lequel il vivra. Comme le poète H. Michaux devant la statue
à laquelle il voudrait apprendre à marcher, nous nous disons : « Ce n'est pas
facile, ni pour elle, ni pour moi grande distance nous sépare. Ce qui
importe, c'est que son premier pas soit bon. Tout pour elle est dans ce premier
pas, je le sais, je ne le sais que trop -de là mon angoisse ». Saurons-nous soutenir ce premier pas ?
Saurons-nous aider l'enfant à le franchir en créant pour lui ce milieu riche et
valorisant, largement ouvert sur la vie, où toutes les expériences seront possibles
dans un climat d'accueil et de sécurité ? Saurons-nous tenir compte de ce que, spontanément , nos enfants ont appris et apprennent journellement dans le milieu où ils vivent ?Saurons-nous partir de cet apport que
constituent si largement leurs conversations, leurs joies, leurs dessins ? Saurons-nous
ouvrir largement le dialogue, ce subtil va-et-vient entre leur pensée et la nôtre
qui est la seule forme possible d'éducation et d'enseignement ? Saurons-nous être
présentes en même temps qu'eux au monde actuel, afin de préserver et d'entretenir leur
curiosité et leur élan, leur besoin d'agir et de grandir, leur naturelle sympathie pour
le monde des êtres et des choses, sauvegarder leur joie de vivre et ordonner la masse
chaotique de leurs acquisitions spontanées ? Saurons-nous les aider à se faire,
en provoquant leur désir de quête, en regardant le monde, en l'interrogeant et en le
recréant par leurs propres moyens ? H.SOURGEN
« Devenir adulte, écrit Mme Bandet, inspectrice
générale, commence à l'école maternelle. Cette co-présence de lhomme et de
l'enfant, de la réalité et du rêve, de
l'actuel et du passé, du spontané et du voulu, c'est là toute une méthode qui admet
que le petit tienne le grand en laisse, mais peut être, à son tour, guidé et soutenu
par lui ». |
Les facteurs du développement de l'enfant
Or, cette action va s'exercer dans le cadre
de la période de la seconde enfance étudiée de très près par de nombreux
psychologues, pédagogues, psychiatres, médecins, qui tous en ont montré à la fois
l'importance et l'unité. Par eux nous avons appris la correspondance
entre la croissance physique et le développement mental de l'enfant. Nous savons
maintenant que les transformations du système nerveux déterminent ce développement,
que les pouvoirs de l'intelligence apparaissent successivement à mesure que le système
nerveux devient plus complexe et que les cellules se différencient (et cette croissance
est longue, la myélinisation des fibres nerveuses n'est achevée qu'à l'âge adulte).
Nous savons aussi que nous ne disposons d'aucune force qui puisse, d'un seul instant, d'un
seul jour, hâter la maturation du système nerveux et partant des forces spirituelles. Et nous sommes devenues plus patientes,
plus soumises à l'acceptation des lois naturelles, plus attentives à reconnaître ces
« périodes sensibles » où le comportement des enfants, leurs goûts, leurs
intérêts, révèlent qu'ils ont passagèrement à leur disposition des énergies
disponibles pour un mode particulier d'activité : ils ont tour à tour un accès facile
à l'expression d'eux-mêmes par des gestes, des mots, par le dessin, la peinture, le
modelage, la danse, ils sont portés vers le langage, puis l'écriture, puis l'analyse et
le calcul Observez la démarche d'un bébé de 2 ans
: elle est encore toute tâtonnante : ses gestes sont imprécis hésitants, maladroits.
Regardez marcher un bambin de la maternelle : il a des arrêts inattendus,
incompréhensibles pour nous : il s'immobilise et se retourne sans que nous comprenions
pourquoi : un rayon de soleil, une flaque d'eau, un caillou l'attirent. J'observe souvent les enfants venant à
l'école, qui s'ingénient parfois à marcher, avec quel sérieux, sur les bordures des
trottoirs, quand leurs mamans ne le tirent pas à bout de bras. Il m'arrive de les
regarder longuement jouer dans certaines cours sablées. J'en observais un l'autre jour
qui s'était saisi d'une planche Il a d'abord essayé d'enfoncer la planche dans le sable
pour la faire tenir debout, puis n'y ayant pas réussi, il s'est mis à gratter le sable
avec la planche. Il a ainsi dégagé un espace rectangulaire ; un autre petit est passé
et a suggéré : « C'est un garage ». Alors, Bernard s'est mis à
creuser le garage, puis l'entrée du garage, puis le chemin avec ses méandres et ses
détours. Alors la planche est devenue auto, le garage aplati par d'autres petites mains
est devenu fosse à cailloux, enfin la fosse a été comblée et le sable humide, pressé
entre les doigts est devenu boudin et prétexte au jeu du marchand. Pendant ce temps, une fillette allait le
long de la bordure plantée de corbeilles d'argent et en caressait les fleurs et je
pensais à Rousseau : « Nos mains, nos pieds, nos yeux,
sont nos premiers maîtres de philosophie ». Je constatais une fois de plus comment les
facteurs sensori-moteurs dominant dans la petite enfance ont des implications sociales et
émotives qui leur confèrent une valeur intellectuelle et comment selon le mot de Wallon
« l'action crée la pensée ». Cependant, nous savons aussi que la
croissance mentale est intimement liée au développement de l' affectivité et
que l'école se doit de créer pour tous ses petits ce chaleureux climat de confiance,
d'amitié, de liberté qui permet l'épanouissement de l'élan vital et de la puissance
créatrice. A l'école maternelle nous avons la charge d'une période unique
de la vie enfantine, une période qui s'étend entre la crise d'opposition de 3 ans où
l'enfant prend conscience de sa personnalité naissante et celle de 7 ans où il entre
dans le monde de la 3e enfance, une période merveilleuse pendant laquelle l'enfant va
passer insensiblement d'un mode de pensée confuse et globale à un monde de pensée
élaborée et analytique d'une perception syncrétique à une perception synthétique,
d'une affectivité diffuse et égocentrique à une affectivité
vivante, toute colorée d'animisme, qui lui donne à la fois son accent et sa richesse. L'enfant
de 4 à 6 ans qui est déjà capable dobservation et de réflexion n'est cependant
pas pour autant dégagé de l'emprise d'une affectivité toute puissante : « Il
regarde, il explore, il observe, mais son observation est toute gorgée d'émotion,
d'images ; des associations se font en lui mais qui vont sautillant d'une
émotion à une image, d'un mot à une émotion, d'un mot à un souvenir, à un autre mot
; son action change de cours au croisement d'une peur, d'un espoir, d'une représentation
fugace. La richesse est dans cette fusion et
confusion de tous les éléments de son être, dans cette indétermination des forces
animatrices de sa vie intérieure. C'est de cet élan vital qu'il nous faut partir : la spontanéité de l'enfant jeune, se
développant librement fournira à lécolier et à lhomme, la matière de sa pensée et de son
caractère ». H.SOURGEN Cette dominance affective dans la
psychologie de nos petits va leur ouvrir largement les chemins de la connaissance à la
fois sensible et pratique d'eux-mêmes et de leur milieu familier ; c'est elle qui va
nous donner les clés d'une connaissance aussi individualisée que possible des
lois du développement de nos petits, et ce faisant nous dicter notre ligne de conduite
qui peut se définir ainsi : -exploiter ce qui est présent dans chaque enfant et pour cela apprendre à le connaître individuellement, mesurer l'étendue de son développement ; -épanouir toutes ses possibilités par
la vie qu'on aura su organiser pour lui, par les expériences nombreuses aménagées dans
tous les domaines, par les découvertes que nous aurons suscitées et pour cela savoir
comment nous pouvons organiser le milieu scolaire pour favoriser au maximum
ces expériences individuelles, mais aussi la socialisation de tous ; -enfin donner à tous, progressivement et
sans heurts, des habitudes de travail, d'activité organisée, de précision, d'ordre qui
faciliteront l'intégration à l'école primaire et pour cela régler la vie de classe,
provoquer selon la belle expression de Freinet l'EDUCATION DU TRAVAIL Afin d'éviter à chacun la fatigue et de
l'inciter à aller jusqu'au bout de son effort dans chacune de ses expériences. Nous
favoriserons ainsi la maturation personnelle et ladaptation sociale tout
en essayant de ne jamais tomber dans l'une ou l'autre des tentations extrêmes qu'offre
trop souvent l'école maternelle, tentation de puérilité qui maintient les
enfants en dessous de leurs possibilités réelles et tentation de forçage vers
laquelle nous portent notre désir d'enseigner et l'exigence des parents de nos petits.
Nous nous efforçons d'instaurer la véritable discipline du travail « en
développant, selon le vu de Madame Montessori, l'action du travail
spontané, travail capable d'ordonner la personnalité enfantine et de lui ouvrir une
voie d'expansion sans limites ». |
L
'ÉDUCATRICE
Cette ligne de conduite que nous venons de
définir nous incite à nous retourner vers nous-mêmes et à nous considérer comme l'objet
privilégié de ce milieu éducatif que nous sommes conviées à créer. Certes, l'amour des enfants, l'amour du
métier ne nous est pas donné une fois pour toutes le jour de notre entrée à l'école
maternelle ou primaire. C'est une uvre de longue patience. Peu à peu, nous apprendrons que chacun
d'eux porte en lui son rêve familier, que Jean Marc, le timide, qui regarde si
tendrement les filles, souffre d'être un enfant unique et qu'il voudrait tant
« avoir une petite sur ». Que Jean-Luc le m'as-tu-vu, le fanfaron, le
terrible, élevé par une mère trop faible a besoin d'une amitié virile et « rêve
son copain Jojo » quand celui-ci est malade. Nous apprendrons que Martine qui reste
depuis quelques jours songeuse dans son coin, qui tourne un peu trop autour de nous, vient
d'avoir un petit frère et se sent frustrée de la tendresse maternelle qu'elle
accaparait seule autrefois. Nous verrons Bernard que la mécanique passionne, tracer avec un
bâton sur le sol de la cour d'école pendant la
récréation de magnifiques 3 chevaux qu'il répétera inlassablement en les
perfectionnant, en y ajoutant détails ou personnages sur les feuillets de son carnet
personnel. Nous saurons, en feuilletant le carnet de
dessins libres d'André qu'il est déjà hélas ! un passionné de télévision et
éprouve une admiration particulière pour Thierry la Fronde qui s'étale à chaque page
avec un luxe et une précision incroyables de détails dans le costume et les attitudes. Nous assisterons à d'émouvantes
naissances : je me souviens d'un petit Claude, longtemps emprisonné dans une coquille de
pauvreté et de silence dont le jour libérateur fut un après-midi d'hiver où il
m'apporta sa peinture, des arbres dépouillés inscrits dans une palette violente et
triste mais cependant éclairés d'une tache de lumière sombre, comme d'une échappée
vers la clarté et la joie. Cette peinture, nous l'avons tous ensemble regardée,
admirée. Et tous ont dit : « Les arbres de Claude, ce sont les plus
beaux ». Et Claude a souri. Puis, de jour en jour, il a pris plus d'assurance,
un jour il a écrit tout seul à son correspondant. Un jour aussi, je l'ai surpris qui,
pétrissant son argile, sifflait Mozart. Des petits Claude, chacune de nous en connaîtra le long de sa carrière et des petites Elisabeth aussi. Celle-ci était la fille d'ouvriers agricoles polonais, toujours ivres, ne se souciant des enfants que pour leur préparer une soupe de pommes de terre, de choux et d'os... et toucher les allocations familiales. Elisabeth et ses surs arrivaient en classe sales, mal peignées, sachant à peine parler. Toute la journée Elisabeth se trémoussait sur sa chaise, faisait tomber sa table, perçait le papier sur lequel elle griffonnait, tachait les peintures de ses camarades. Les autres la bousculaient ou la tenaient à l'écart. Il nous a fallu beaucoup de patience, beaucoup de tendresse, beaucoup de doigté pour l'intégrer à la vie commune. Nous avons assisté à bien des tentatives presque aussitôt avortées. Et puis la confiance est venue. Et dans cette maison où elle se sentait enfin chez elle, au milieu d'êtres qui lui donnaient la main, Elisabeth s'est mise à dessiner ses rêves : des mamans aux robes fleuries, aux chapeaux extravagants, des arbres d'un seul jet se balançant en plein ciel, des oiseaux riches d'un fastueux déploiement d'ailes. Et ses gestes sont devenus plus souples et son langage plus clair. L'intérêt pour les acquisitions scolaires est venu lui aussi à son heure : Elisabeth s'est mise à imprimer, à écrire, à compter. Elle a cessé de se trémousser, d'être la Polonaise isolée sur un banc, dans un coin du préau. Elle est devenue une petite fille comme les autres, heureuse de créer, de jouer, de danser, de rire. Nous apprendrons aussi que si le sentiment de la réussite est indispensable à l'enfant pour progresser, l'existence d'une véritable motivation ne l'est pas moins et que cette motivation, lorsqu'elle joue lors des périodes sensibles, c'est-à-dire des moments où l'enfant devient accessible à une certaine activité (dessin, écriture, lecture, calcul), peut l'entraîner bien au-delà de nos prévisions souvent timorées. |
INITIATION
à la lecture- écriture
Un instituteur allemand raconte comment il
a compris que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture pouvait être motivé par le
besoin de correspondre avec un être cher et éloigné de vous : « Le papa de petit Pierre est parti en
voyage et petit Pierre, seul avec sa maman, joue dans la salle à manger. Et tout à coup, il se saisit
d'un crayon et se met à griffonner sur un coin de la nappe. La maman accourt et
gronde. Mais maman, dit petit Pierre, j'écrivais à papa. Il sera si content d'avoir des
nouvelles ". D'autre part, l'intérêt pour la « chose
écrite » vient très vite à nos petits dans un monde où ils vivent entourés de
signes : affiches, réclames, journaux, enseignes, etc. Dans nos classes de 5 à 6 ans,
nous exploitons ce besoin naturel de communication et cette curiosité, et nos petits
s'initient pour le texte libre imprimé et la correspondance interscolaire à la lecture
et à l'écriture. Le désir d'écrire précède d'ailleurs
l'intérêt pour la lecture et est motivé par l'exemple familier de la correspondance et
le désir de grandir. Le passage du langage parlé au langage écrit s'accomplit aisément
tant qu'il ne s'agit que de copie. Plus longue et plus difficile est la
découverte du mécanisme de la lecture-écriture, découverte qui n'est le fait, à
l'école maternelle, que d'une partie de nos grandes sections, mais que l'emploi de notre méthode
naturelle de lecture provoque avec le plus de bonheur. Les enfants lisent les petits textes qu'ils ont « racontés » eux-mêmes et qui relatent les événements de leur vie, leurs observations, leurs émotions. Ils les copient, les impriment et ils découvrent, d'eux-mêmes, tôt ou tard, les éléments semblables de forme et de son, lettres et syllabes, contenues dans des mots différents.Cette découverte d'éléments fixes réalisée, ils s'aident de cette connaissance pour déchiffrer et construire immédiatement des mots nouveaux. Si le point de départ, le texte très
court (parfois quelques mots) est toujours global, l'analyse et la synthèse sont
toujours menées de front : analyse et synthèse globales de la phrase dont on lit
et écrit les différents mots, qu'on découpe en mots et reconstitue, mais aussi et dès
le premier jour, analyse et synthèse complètes de la phrase et des mots décomposés
et reconstruits, pour être imprimés, en leurs éléments les plus simples, les lettres,
qu'il faut prendre une à une dans la casse et ranger en bon ordre dans le composteur. Ici encore, il nous faut être patients et
ne pas anticiper sur la maturation intellectuelle de chacun de nos petits : quelques-uns,
plus doués de mémoire auditive et visuelle que les autres, découvrent très vite les
ressemblances entre les mots : « Tiens, marie commence comme maman ».
Accueillons ces remarques mais attendons pour les exploiter qu'un groupe d'enfants,
d'importance variable selon les années, les aient, chacun à son heure, faites pour son
propre compte. Alors nous aiderons et nous encouragerons
ceux qui gambadent en avant du troupeau (ils seront capables de pratiquer les chasses aux
mots contenant les sons découverts, d'écrire seuls à leurs correspondants quelques
mots d'abord puis de véritables « histoires »). Mais nous n'imposerons pas au reste de la
classe un rythme qui n'est pas le sien, des découvertes et des expériences dont il ne
peut faire son profit. L'originalité et la valeur de la méthode naturelle de lecture
inventée par Freinet réside justement dans le fait que partant de la vie même de
l'enfant, elle permet à chacun de marcher à son pas, l'éducatrice s'efforçant de
stimuler l'activité des uns et des autres en suscitant l'apport de tous pour
l'élaboration des textes, en encourageant chaque découverte, en répartissant les
tâches selon les possibilités individuelles. Nous partons non pas d'une méthode de
lecture mise au point par des adultes en vue de l'apprentissage des lettres et des sons
suivant une progression plus ou moins rigoureuse, mais de la vie même des enfants, des
conversations du matin, des réflexions spontanées, d'un commentaire de dessin, etc... « L 'histoire » racontée est écrite au tableau par l'institutrice : passage naturel du langage parlé au langage écrit. Elle est lue par les enfants, copiée,
illustrée et composée à l'imprimerie par une équipe d'autant d'enfants qu'il y
a de lignes dans le texte (chaque ligne ne contenant que quelques mots étant donnée la
grosseur des caractères d'imprimerie corps 36 ou 24. Ex. :
MICHELE Cette composition, faite par des équipes
essentiellement mouvantes, mais qu'il est facile de retrouver pour la décomposition du
texte, peut se faire soit après l'écriture du texte sur le carnet ou le cahier, soit à
un autre moment de la journée. Elle peut donner lieu à des occasions de
calcul vivant : nombre de lignes, nombre de mots pour chaque ligne, nombre de blancs, etc.
Chaque ligne est vérifiée par la maîtresse puis placée par l'enfant sur la presse dans
l'ordre du texte avec sa bande écrite en regard sur la table. On place les interlignes,
le lino d'illustration, s'il existe gravé par un enfant, et on tire. Le tirage se fait le plus souvent
l'après-midi pendant l'heure réservée aux ateliers : un enfant encre, un autre place
les feuilles sur la presse : un troisième appuie et un quatrième place les feuilles à
sécher dans un recueil de papier journal. Le lendemain on retirera les feuilles de ce
livre de séchage ; chacun recevra la sienne (qu'il rangera dans son livre de vie après
lecture) et on enverra les autres aux correspondants. Un troisième paquet pourra
également être imprimé et utilisé pour le découpage du texte en mots et sa
reconstitution par collage (le texte reconstitué peut alors être emporté à la maison :
cela permet de relire et de montrer aux parents ce qu'on a fait en classe). Les enfants pourront (gaiement avec les
mots des textes reconstituer d'autres histoires : Mme Belperron nous raconte à ce sujet
que ses petits appellent ces histoires recréées après coup des « histoires pas
vraies », et nous donne cette savoureuse anecdote : Dernièrement j'ai eu la surprise dentendre
une petite lire ceci : « Fernand a cassé son petit vélo rouge » et d'ajouter : « mais c'est pas vrai
et pis dabord il est vert ». Le découpage et la reconstitution du texte
ne sont qu'une des étapes possibles de la méthode naturelle de lecture (voir les BEM
: Méthode naturelle de lecture n° 8-9 et La lecture par l'imprimerie à lécole
n°7). Les feuillets imprimés peuvent également
être assemblés chaque mois pour former le journal de classe qui sera envoyé à
quelques écoles en échange du leur. Ce journal est un message d'amitié entre
enfants d'écoles éloignées. Il peut apporter des suggestions, donner un élan à des
écoles qui hésitent à se lancer, être le point de départ, la petite étincelle pour
des débutantes. Il comprendra tous les textes imprimés
soigneusement, illustrés par des linos ou au limographe et réunis sous couverture de
couleur de préférence et illustrée elle aussi. On y trouvera la date, le numéro du
journal, le nom de l'école, du village, l'indication : techniques Freinet autorisation
n°... la gérante : X. Les journaux reçus des correspondants
seront placés dans un casier à la portée des enfants qui pourront les regarder et les
lire. L'échange d'imprimés avec une
école correspondante peut se faire à raison d'un ou de deux textes environ par semaine.
Ces imprimés sont déchiffrés individuellement puis collectivement et soit donnés aux
enfants pour la maison, soit placés dans une chemise pour constituer le livre de vie
des correspondants. Il est bien évident que certains textes
suscitent plus de résonances que d'autres dans la classe qui les reçoit : celui, cité
plus haut, envoyé par une classe de Brest à une classe de Paris a provoqué l'intérêt
des petits parisiens qui ne connaissent pas les goélands ni leur façon de se nourrir. Il
a donc suscité des questions qui à leur tour ont provoqué des réponses et un intérêt
certain pour le milieu de vie différent des uns et des autres. D'autre part, des lettres manuscrites
individuelles sont également échangées qui alimentent l'intérêt porté à
l'écriture. Pour les enfants encore maladroits, la
maîtresse écrit sous la dictée de l'enfant qui s'efforce à recopier le modèle :
« J'ai un petit frère et une poupée » ; « Mon pépé va à
la pêche », etc. Voici une excellente motivation à lécriture ; il y
a là un véritable effort affectif vers le but à atteindre : se faire comprendre. Certains enfants, en cours ou en fin
d'année, sont capables d'écrire seuls à l'aide de mots retenus par cur, d'autres
trouvés dans les textes et enfin de mots construits avec les syllabes et lettres connues. Je n'aurai garde d'oublier l'échange de
dessins, d'albums, de lettres collectives qui répondent aux questions posées sur la
vie de chacune des classes, et enfin de colis (produits de la région, friandises,
photos des enfants, trésors de toutes sortes apportés de la maison, cadeaux, objets
fabriqués par les enfants, découpages faits en classe, modelages, marionnettes, masques,
etc...) Qu'apporte cette correspondance en dehors
de la motivation à la
lecture-écriture ? Voici ce qu'en dit l'une de nos camarades, Clémentine Berteloot : « Elle est le souffle de vie du
monde extérieur, qui rayonne en ondes concentriques, au-delà de l'enfant, au-delà de
la famille, au-delà de l'école, au-delà du quartier, au-delà de la ville... |
Dès que les
partenaires (les institutrices) sont d'accord pour commencer la correspondance, il
est nécessaire qu'elles se présentent leurs classes : présentation des élèves : chaque
maîtresse envoie à l'autre une liste portant : le nom des enfants ; leur âge ; des renseignements sur le milieu familial ;
leur santé ; leurs intérêts dominants et leurs possibilités ; ceci dans le but
de ne pas réaliser entre les enfants de « mariages disparates » risquant d'amener des déceptions. L'une ou l'autre propose un rythme d'envoi : - 2 ou 3 textes imprimés par
semaine ( certaines camarades préfèrent un seul texte) ; « Lorsque Didier entend sortir de
la « boîte » la voix du petit ami qui l'appelle : « Bonjour
Didier, je suis Daniel », quel ravissement ! mais quelle confusion le jour
où de la même boîte, la voix sévère du copain s'élève : « Tu sais, si
tu ne m'écris pas plus souvent, je ne t'enverrai plus rien » ou bien : «
tâche d'écrire mieux, sinon je prendrai un autre correspondant ». ...Après les présentations viendront
les questions, soit individuelles, soit dans une lettre collective : En répondant, par lettres et albums,
les enfants prennent conscience de leur milieu, de leur quartier, du travail de leur
père, du travail des autres pères... d'un autre univers que celui du monde coutumier. Pour les correspondants se constitue
alors le livre de la mine, le livre de la mer... Les parents y participent souvent
avec plaisir : l'enfant devient un lien vivant entre deux mondes de travail. Quelle
fraternelle émotion a présidé à l'échange du « caillou fleuri »
de la mine, remonté « au jour » dans la musette d'un papa
mineur, et d'un coquillage rare ramené du large dans le chalut d'un papa pêcheur ! Et
que de choses à compter, à peser pour préparer le colis, l'affranchir, l'enrichir les
jours de fête d'objets pour le sapin, de chapeaux, masques, pâtisseries du pays, gaufres
du Nord, crêpes bretonnes, oreillettes provençales... » Parfois, cette correspondance interscolaire
est couronnée en fin d'année par un échange à enfants : lorsque Ies 2 classes
sont proches et les milieux différents (école de ville et école de campagne) le courant
affectif créé chez les enfants par la correspondance rend cet échange fructueux. Autre exemple de correspondance entre deux
grandes sections : l'une
à Brest O. Rosmorduc), l'autre à Paris (F. Pouliquen). De leur côté les parisiens posent des
questions, donnent des conseils pour la nourriture, le volume de la cage, etc... Un jour, une petite fille apporte un compagnon à Perlette :
joie des parisiens de la savoir en compagnie ! Paris envoie un colis de fortifiants pour
faire pondre la tourterelle (qui hélas ! ne se décide pas). Enfin, après les vacances, elle devient le lien entre les nouveaux-venus et ceux qui, partis à l'école primaire, reviennent la voir après la classe. La correspondance interscolaire apporte également dans nos classes de multiples occasions de calcul vivant : la croissance du bébé tourterelle par exemple a été suivie de très près par les petits parisiens et leurs correspondants brestois : Ma petite sur, dit
Marie-Noëlle, commence à marcher quand on lui donne la main. Elle a un
an ». Et Hélène : « Didier a 15 mois, il marche tout seul ». 7 mois, 1 an, 15 mois : à chacun de ces âges correspond une étape du développement dont nos petits prennent conscience en mettant en commun leurs observations. Que nous voici loin du comptage mécanique, des litanies suite des nombres récitées par cur pour le plus grand plaisir des parents tout fiers de leur progéniture. C'est cependant à travers cette optique de vie que nous aborderons cet autre problème éducatif : l'INITIATION AU CALCUL. |
INITIATION AU CALCUL
Nos observations quotidiennes nous
apprennent que d'une part la maturation biologique de l'enfant, d'autre part le milieu
naturel, familial et social dans lequel il vit, ses préoccupations et ses jeux, ses
observations spontanées et dirigées, ses travaux et ses créations l'amènent à une
certaine expérience pratique des nombres. Si confuses que soient ces notions chez le
petit enfant, elles n'en baignent pas moins sa vie toute entière. D'autre part, certains
de ses instincts le poussent tout naturellement vers l'appariement et le recensement :
instinct de la propriété, goût des collections, amour de la répétition, désir
d'observer, besoin d'ordre. Il y a chez l'enfant, comme chez le primitif, un véritable
besoin de compter. Cependant, contrairement aux peuples
primitifs, l'enfant moderne vit, dès son plus jeune âge, dans un monde chargé de
symboles et de signes. Les signes du langage mathématique sont écrits sur les murs, le
cadran des compteurs d'autos, celui des horloges et des montres, sur les calendriers, les
maisons, les boutiques. L'enfant moderne participe aux courses de la mère de famille, aux
promenades en voiture qui lui donnent le goût de la vitesse, aux séances de cinéma, de
radio, de télévision. Même s'il s'agit d'une information de mauvaise qualité,
précoce, plaquée sur sa vie et son développement mental sans leur être intégrée
véritablement, nous devons en tenir compte. Nous ne pouvons que partir de l'enfant tel
qu'il est et force nous est de constater que les noms des nombres ont été essayés par
l'enfant, hors de la vie scolaire, dans de multiples occasions sans recouvrir d'ailleurs
la notion exacte du nombre. Nous savons aussi que l'enfant de l'école
maternelle n'est pas sensible au raisonnement déductif, logique, qu'il faut qu'il
éprouve les notions mathématiques sur le plan de l'action avant de les intérioriser, de
les penser. Plus tard, il sera capable d'agir avec
des objets et la notion de nombre apparaîtra avec la phase opératoire de la
découverte. Mais constamment l'expérience vivante, la compréhension des actions
entreprises formeront la base de l'acquisition des connaissances. Car tant en logique
qu'en mathématique, les données de base sont expérimentales et les découvertes sont le
résultat de l'analyse de notions acquises par l'expérience. L'enfant développe ses structures mentales
par toute son expérience de la vie et la dialectique entre structures mentales,
structures du réel et structures mathématiques ne devrait jamais être interrompue.
Ainsi de même qu'à l'origine des pensées calculatrices nous trouvons le problème
lié aux obligations de l'existence réelle, devons-nous toujours trouver nos points
de départ dans l'expérience la plus familière. Ces points de départ doivent
permettre l'enchaînement des idées et le raisonnement mathématique : il s'agit de
prendre conscience de situations, des éléments qui interviennent et de leurs relations ;
de décrire ces situations, de les analyser, enfin d'exprimer ce que l'on fait pour
résoudre le problème, ces situations vivantes étant d'autant plus intéressantes
qu'elles ont été créées par les enfants eux-mêmes. Ainsi des enfants d'une grande
section ayant imaginé, à la suite d'apports de boîtes de réglisse pour les
correspondants, d'aménager dans une armoire de la classe une épicerie, ont classé les
emballages les plus variés, apportés par eux-mêmes et l'institutrice, non pas d'après
la nature des objets inventoriés, mais d'après la valeur marchande de ces objets (la
manipulation de la monnaie présentant pour eux un intérêt majeur). Et leur exigence
va jusqu'à ce point qu'ils ne classent que les objets dont ils sont capables de réaliser
exactement, au moyen de pièces de monnaie réelles, la valeur marchande. Il y a donc une manière de saisir le
réel, naturelle à tout enfant normal qui peut devenir une méthode d'apprentissage. C'est ce qu'exprime Freinet en disant : « Il est faux de croire que le
calcul soit pour l'enfant une spécialité scolaire dont il n'aura aucune notion si on ne
le lui enseigne pas méthodiquement. Dès le plus jeune âge l'enfant calcule ; il calcule
lorsqu'il compare intuitivement ou méthodiquement des objets, des poids, des grandeurs,
lorsqu'il jette une pierre plus ou moins loin, lorsquil cueille des fruits ou
remplit un seau d'eau. Seulement il faut se persuader que nul n'apprendra pour l'enfant à
compter, à peser et à mesurer. C'est lui-même qui doit se rendre maître de ces
acquisitions et il ne peut le faire que par l'expérience et l'exercice ». Outre la motivation naturelle, nous
trouvons ici l'idée fondamentale de toute l'éducation nouvelle : l'enfant possède en lui-même les
ressources suffisantes pour construire et assimiler ses matériaux et ses instruments à
mesure qu'il se développe, à condition que le milieu lui permette de multiples
expériences et que le maître sache provoquer et soutenir l'analyse de ces expériences sans
jamais l'imposer. Ces expériences sont bien plus nombreuses
que nous ne le pensons : il suffit de savoir regarder et écouter nos petits pour nous en
rendre compte. A nouveau, j'emprunterai quelques exemples à Clémentine Berteloot : « Didier, 3 ans, vient
d'avoir un petit frère. Ce matin il raconte : « Dominique il est petit,
tout petit. Sa tête, elle est petite, toute petite, comme ça (il rapproche ses
poings fermés). Il semble prendre possession de ce volume, lintroduire dans
sa mesure spatiale. Puis il dessine sur une feuille, sa mère, son père, son frère, et
ajoute : - Regarde maintenant on est tout ça (il ne dit pas 4). Il
continue : - Je vais avoir un deuxième lit. La
maîtresse : Pourquoi un deuxième lit ? Didier:
Le mien c'est pour mon frère, moi je vais en avoir un autre... Ça fait deux. Et il remarque : Dans la classe il y a 2 Didier, 2 Eric, 2 Brigitte. Ainsi le nombre 2 a pris corps,
comme prennent corps à travers les données de la vie de chaque jour les éléments de
l'expérience vécue. Hélène (3 ans) raconte : Ma
grand-mère a des petits poussins. Béatrice, sa sur plus âgée (4 ans) :
on les a vus avant de venir. Hélène: Oui, yen a beaucoup ! Tout plein ! Maîtresse: Oui tant que ça !
Combien ? Béatrice:
Comme ça. Elle montre ses doigts, essaie d'évaluer, elle regarde sa main, serre ses 5
doigts et dit : Comme ça ! Maîtresse: C'est 5. Thérèse raconte aussi : A ma maison j'ai 5 petits chats et un gros chat.
Maîtresse: 5 petits chats ! Thérèse : Oui. Elle compte sur ses doigts,
s'arrête, contemple sa main et dit : Tout ça, la main, et encore un gros. Lors de la première chute de neige,
grand événement. On s'extasie : il yen a beaucoup, hein, madame ! - Dans ma cour, j'en avais jusque là (
jusqu'à sa cheville). - Moi dans le coin du jardin, jusque là
( jusqu'à mi-mollet). La hauteur de la neige ils l'évaluent
par rapport à leur cheville, à leur mollet, à leur jambe ; dans le jeu de billes, c'est
le doigt, la main, qui sert de mesure. Nos mineurs ne disent-ils pas au travail : un
bois d'un doigt, de 2 doigts, l'ouvrier qui estime une longueur : un pas, 2 pas,
3 pas. Il me faudra attendre la visite
médicale et ce passage à la toise pour qu'éclate une vraie folie de la mesure au moyen
du mètre. Toujours lors de la dernière neige, Sylvie
et Dany ont rapporté dans la classe chacun leur boule de neige. - C'est celle de Dany là plus grosse ! Je leur demande : Quelle est la plus lourde
? - Celle de Dany. - Comment savoir si elle est la
plus lourde ? - On la pèse. Sylvie et Dany déposent leur boule dans
chacun des plateaux des balances. Le plateau de Dany descend, c'est le plus lourd. Sylvie est moins lourde. La notion de plus lourd, moins lourd semble
acquise. Maîtresse:
Pèse-la maintenant, Dany. Sylvie ôte sa boule. Autre expérience de calcul citée
également par Clémentine : Michel a 23 autos et sait vous
énumérer le nombre de Panhard, d'autos de course, de 2 CV, etc... Il les a
apportées en classe. -Comptons-les. Jacky : On va compter les
grandes et les petites : 6 petites et 1 gros paquet de grandes qu'il faut
évaluer. -Par 10 dit Michel. Et voilà 10,
7, ça fait 17. -Et tout ensemble dit Maryvonne. Moment de perplexité. - Des paquets de 10, dit
Michel. En tout 2 paquets de 10 et 3 (les enfants ont pris l'habitude
de compter les feuilles à imprimer par paquets de 5, puis de 10). Puis,
Michel énonce : il y a des voitures de course, des 4 CV, des Panhard. Allez,
mettons ensemble les voitures de même marque : 5 autos de course, 2 Panhard,
14 CV,1203, 1404, 1 Berliet, etc... Chaque fois ils disposent sur l'ensemble
réalisé le carton portant le chiffre correspondant à la quantité. Puis nous voici
entraînés par une réflexion de Jacky à les ranger par couleur : 6 bleues, 4
vertes, 4 rouges, 3 jaunes, 3 orange, 1 grise, 1 rouge,
1 grenat. Voilà que Sylvie signale : dans les vertes
et les rouges c'est pareil, il y en a autant. Dans les jaunes et les oranges c'est pareil
aussi. Ce qui m'entraîne à leur demander : - Quelles sont les couleurs dans
lesquelles il y a le même nombre d'autos ? Celles où il y a le plus, celles où
il y a le moins... Après l'exercice, chacun a représenté
comme il l'entendait (
découpage, encre de chine, stylo à bille, craies d'art) ce qui l'avait frappé. Les uns ont dessiné par ensemble de
marques (les autos de course) les autres par couleur. Certains les petites, d'autres
encore les grandes en indiquant chaque fois le chiffre correspondant au nombre
représenté ». En calcul comme dans les autres domaines,
nous pouvons promouvoir une éducation fonctionnelle qui utilise les besoins et les
intérêts de l'enfant comme leviers de son activité. Si nous savons vivre avec nos petits en les
regardant avec des yeux neufs, si nous sommes toujours disponibles et curieux, nous nous
apercevrons très vite que tout est motif à une activité mathématique : les jeux : jeux de construction,
jeux chantés, jeux dansés, jeux de sable et d'eau ; les danses : où l'on se met
par 2, par 3, en ronde, en file ; les comptines : qui contiennent tant
de formules arithmétiques ; la rythmique : où le corps se plie
à des rythmes réguliers ; toutes les activités créatrices : dessin, peinture, découpage, modelage,
où nous retrouvons les rythmes d'alternance, la notion d'équilibre des formes et des
couleurs, de tâtonnement expérimental qu'exige la réalisation d'un projet en travail
manuel (vitrail, tapisserie, confection d'objets tels que bateaux, poupées,
marionnettes, oiseaux, etc) est lui-même une initiation à l'activité mathématique. Il
faut faire tenir le vitrail, disposer sur le fond les morceaux de tissu pour réaliser la
tapisserie, planter le mât du bateau, assurer l'équilibre des poupées, proportionner
les ailes au corps de l'oiseau, conditionner la marionnette à la main qui la porte, etc le travail ménager : rangement où
apparaît la notion d'ordre ; les travaux au jardin et les plantations
dans la classe :
plantations, semis, observation de la pousse des plantes, comparaisons entre les hauteurs
des plants ; les observations journalières des
différents ensembles rencontrés : le propre corps des enfants d'abord, la comparaison
entre leurs tailles respectives, leur famille et sa composition, leur appartement et ses
différentes pièces, leur maison et ses étages, leur classe et ses différents
groupements : filles et garçons par exemple, présents et absents. La cour et ses arbres,
les différentes pièces de l'école. Ainsi les enfants de Jane Rosmorduc ont été
amenés un jour à dresser un plan de l'école pour les mamans toujours perdues dans les
couloirs et à la recherche de la classe de leur petit. Toutes les mesures (des couloirs, des
classes) ont été faites au moyen d'une unité de mesure découverte et choisie par les
enfants eux-mêmes : le pas de l'un d'eux. En comparant le nombre de pas de Michel
nécessaires pour couvrir la longueur des différentes classes, les enfants constatèrent
d'abord qu'elles étaient semblables. Puis qu'elles étaient disposées les 3 premières
à la suite les unes des autres et les 2 autres séparées des 3 premières par un
couloir. Ils les représentèrent au moyen de feuilles de papier semblables disposées sur
le tableau et portant chacune sa marque : classe des grands, classe des moyens, classe des
petits. Mais n'ayant plus de place pour disposer la salle de jeux à l'extrémité du
plan, ils eurent l'idée de recommencer le tout en usant de plus petites feuilles
et finalement menèrent à bien leur entreprise en usant simplement du raisonnement, sans
faire appel à aucune mesure extérieure à leur propre expérience. De même une classe-promenade en ville les
amena à observer le jet d'eau nouvellement installé sur la place et objet de
l'admiration générale : ils interrogèrent l'ouvrier municipal chargé de faire monter
l'eau « jusqu'au ciel » : quelle hauteur d'eau y a-t-il dans le bassin ?
Pourrait-on s'y noyer ? La hauteur exprimée en centimètres (50) par l'ouvrier fut
« retrouvée » en classe sur le corps de chacun d'eux au moyen des mètres en
ruban individuels : Jacques en a jusqu'au haut des cuisses, Michèle jusqu'à la taille et
maîtresse jusqu'au genou. Les envois aux correspondants, la mise
en ordre du calendrier, le comptage des présents et des absents par groupes puis pour
toute la classe, l'impression du texte de lecture, autant d'occasions journalières
de calcul. Il n'est pas jusqu'à la célébration des anniversaires
qui ne puisse susciter des appariements : mettre le couvert, disposer les bougies,
voire les souffler, avant même de provoquer de véritables problèmes : achat des
bougies, confection du gâteau avec les pesées qu'elle occasionne. Toutefois il importe surtout de laisser les
enfants résoudre eux-mêmes, par leurs propres moyens, les problèmes qui se posent à
eux afin de développer en eux le raisonnement par l'analyse de la situation et la
compréhension des mécanismes opératoires employés : exemple : 3 enfants de la classe
ont 6 ans aujourd'hui. Nous ferons des gâteaux et achèterons des
bougies pour fêter ces anniversaires. Combien devons-nous faire de gâteaux et acheter de
bougies ? Le 1er ensemble de 3 gâteaux a été facilement recensé par appariement avec les 3 enfants. Le recensement des bougies s'avère plus
difficile mais aussi plus riche de possibilités de compréhension des mécanismes
opérationnels. C'est par l'activité manuelle et
sensorielle que les enfants vont résoudre ce problème : Pour trouver le total des bougies, certains dessineront, d'autres découperont les 6 bougies du gâteau de Paul, puis les 6 bougies du gâteau de Marie, puis les 6 bougies du gâteau de Françoise. Le recensement peut alors être effectué : - par comptage : appariement avec la suite
des nombres naturels ou comptage par 2 ou par 3 ; -par appariement avec les doigts : 6 et 6
et 6 c'est la même chose que 5 et 5 et 5 et 3 ou que 10 et 5 et 3 ; - par formation de 3 tas de 6 et nous
dégageons un nouveau mécanisme, celui de la multiplication. Chaque enfant réalisera le
problème pour son propre compte et la mise en commun des recherches et des résultats
amènera la découverte et la compréhension des mécanismes que les enfants seront
capables d'utiliser ensuite dans d'autres situations. |
LANGAGE ET OBSERVATION
D'autres activités essentielles de
l'école maternelle liées à la vie même des petits sont la conversation familière et
l'observation. Par le langage, le bébé entre dans le
monde social des hommes. Entrer en possession de cet essentiel moyen d'expression et de
communication constitue la marque même de l'humanité. Pendant son passage à l'école
maternelle, l'enfant va perfectionner cet outil essentiel sans exercices spéciaux, par
le simple fait de la vie en commun, avec l'éducatrice et les enfants de même âge, par
des motivations Constantes que crée pour l'enfant le milieu riche d'expériences dans
lequel nous le faisons vivre. Amener les enfants à s'exprimer oralement,
au cours de leurs jeux et travaux de toutes sortes, mais aussi à évoquer leurs
observations, leurs souvenirs, leurs émotions présentes et lointaines, à relater un
moment de leur vie, à commenter leurs travaux (dessins, peinture, modelage) noter des
réflexions, diriger habilement de dialogue pour que chaque enfant y ait son tour, ou
pour en retenir ce qui peut entrer dans le domaine commun, susciter l'intérêt du groupe,
provoquer des rebondissements et des départs, ne pas craindre surtout les expressions
verbales qui sont le nécessaire exutoire des émotions vives et désordonnées de nos
petits, encourager toujours et manifester constamment un vif intérêt pour toutes les
expressions enfantines, ne jamais faire par impatience et manque de confiance, à la fois
les demandes et les réponses, voilà notre règle et notre part. Nous obtiendrons alors de véritables conversations
auxquelles tous les enfants participent si l'éducatrice a su capter dans les apports
enfantins l'histoire, la remarque, l'observation susceptible de canaliser les intérêts,
de faire naître la discussion, de provoquer la recherche. Voici à titre d'exemple une conversation
entendue dans une section de grands et dont l'origine fut le départ du papa
d'Anne-Françoise en mer. Le chagrin provoqué par ce départ (le papa d'Anne-Françoise
est officier de marine marchande) a suscité chez les
enfants de cette classe, poussés par une sympathie naturelle et agissante pour les
êtres et les choses de leur milieu, une prise de conscience de l'éloignement et de
l'existence de moyens de communication inhabituels : - Comment les lettres du papa
d'Anne-Françoise lui parviendront-elles ? - Les goélands les apporteront-ils sur
leurs ailes ? - Alors elles tomberont à l'eau et seront
toutes mouillées, on ne pourra pas les lire. - Peut-être, elles iront par-dessous
l'eau ? - Oui, mais les crabes et les poissons vont
les manger ! - Moi je sais, le papa d'Anne-Françoise va
venir jusqu'aux « escaliers de la mer » et il donnera sa lettre au facteur. - Mais son bateau n'est pas au port, il
est au milieu de la mer ! - Alors il faut qu'un autre bateau aille
rejoindre celui du papa d'Anne-Françoise, chercher ses lettres et les ramener à Brest. - Oui, le porte-avions Clemenceau ! En
avion les lettres arriveront plus vite ! Et voici un véritable « thème
de vie » lancé par les enfants et qui rebondira périodiquement lors de la
réception des lettres et des cartes envoyées par le papa d'Anne-Françoise. O. Salvat nous donne plus loin la relation
de l'exploitation d'un thème de vie apporté par la correspondance interscolaire. Les jeux dramatiques nés de cette
expression orale peuvent très heureusement compléter, enrichir et préciser cet
apprentissage de la langue puisqu'ils exigent une mise en ordre de l'expression
spontanée, une mise en place des moments du jeu qui favorisent grandement la prise de
conscience de la structuration temporelle si importante dans les apprentissages de la
lecture et du calcul. Cette structuration temporelle traduite par
le langage, cette « conscience des moments du temps, de la succession de la
durée, écrit Monsieur Malrieu, varie avec les civilisations, et elle est
susceptible d'un enrichissement insoupçonnable. Elle est une création, non une durée,
elle est un résultat en même temps qu'une cause ». Notre vie moderne si rapide, si changeante, où les dépaysements sont journaliers, facilite certainement cette prise de conscience temporelle des enfants. Nous pouvons l'aider, non seulement par nos exercices
journaliers relatifs au calendrier et à l'observation du temps mais encore par
l'observation du monde familier de l'enfant et par la conscience qu'il prend ainsi de la
vie qui s'écoule à côté de lui et qui change d'aspect d'un moment à l'autre. Comme
toujours, nous partons de l'enfant et nous constatons d'abord qu'il prend par ses propres
moyens connaissance du milieu dans lequel il vit par des voies affectives, sensibles,
plutôt que logiques et raisonnables. Par 1a sympathie, par l'amitié qui s'établit
entre lui et les choses, il en prend possession. C'est de cette observation spontanée accueillie
avec sympathie que nous partirons toujours qu'elle soit limitée et immédiate : vol d'un
insecte dans la classe, rayon de soleil dansant au-dessus des têtes, animaux apportés
par les enfants ou l'institutrice, escargots trouvés dans les plates-bandes du jardin,
fleurs dont on fait des bouquets, observation des phénomènes naturels : vent, nuages,
orage, neige, etc... ou qu'elle soit différente et prolongée : observation des objets ou
des ensembles qui se présentent à nous : le jardin et ses plantes, le port, la rue, les
animaux familiers, les oiseaux qui vivent dehors et dans la classe, la vie des papas au
travail, des mamans à la maison, les travaux et la vie des correspondants et de leur
milieu (voir la relation d'O. Salvat), conversations familières et observation
alimentent de véritables thèmes de vie, nés de la vie des enfants et apportés par eux,
chaque matin, à l'arrivée, d'où naîtront les activités de la journée dans le milieu
riche et aidant que nous aurons su préparer. « Nos thèmes de vie, écrit
C. Berteloot, vont au rythme de la vie... Avec mes petits de la mine, je me suis
enchantée des fleurs blanches, au bord du fossé sale. J'ai respiré le printemps à
travers l'âcre odeur de la pelouse. Je me suis réjouie des maigres tussilages étoilant
le terril, des violettes se frayant un passage à travers les ordures. Avec eux, par eux,
j'ai senti l'emprise du monde de la mine dont les montées et descentes rythment la vie
des corons. - Madame, ma mère a eu peur hier soir,
mon papa était en retard, « y a fait du rabiot ». - Mon père a été blessé par un
caillou, il est à l'hôpital. - Ca m'agace les cailloux qui descendent du
terril. - Madame,
mon père est silicosé. - C'était la ducasse hier ! On a mangé
de la tarte ». Voilà l'enfant avec ses joies et ses
peines, déjà modelé par ce milieu dont il subit fortement l'empreinte et qu'on ne peut
rejeter, sans créer chez lui un déséquilibre. C'est ainsi que nos thèmes suivront le
rythme du travail, le rythme de la vie de chaque jour. L'automne
est entré chez nous plusieurs fois avec trois superbes boutons de roses rouges, dont les
enfants ont admiré la précieuse beauté... Tout naturellement, ils
« absorberont » les poèmes de la
Rose de Lorca, et tout entiers accrochés au texte qui exalte la beauté de la rose, ils
ne demanderont le sens de certaines expressions que bien plus tard Marie-Paule
racontera l'histoire de « sa rose » née le matin, morte le soir après une
folle journée. On va danser l'histoire de la rose. On choisit les musiques, on danse
librement. Cette histoire devient celle de tout le monde,
on en fait un album. Et puis il y a l'offrande journalière des
feuilles mortes... les bourrasques de novembre : Mois de gris, mois de boue, mois de
froid, Mois de brouillard, mois triste, triste, Mois d'ennui. La Sainte-barbe, fête des mineurs, chez
nous ouvre le thème de la mine (les métiers des hommes). Et puis déjà, illuminant la
fin de l'année Noël et ses espérances, janvier, les étrennes, les rois, février, les
crêpes, les masques et mars avec tous ses messages secrets de printemps... Alors viennent
toutes les études de la nature, observation de l'éclosion de la vie chez les
plantes et les animaux pour arriver enfin au feu d'artifice de l'été. QU'Y-A-T-IL D'ORIGINAL DANS CETTE
ENUMERATION ? - Apparemment rien ! - Rien qui ne se fasse dans toutes les
classes dites traditionnelles, diront d'aucuns. - Apparemment oui ! Il n'y a là rien qu'un
banal déroulement de la vie. Mais, justement à l'Ecole Moderne, nous
nous évertuons à la garder intacte cette vie, à l'aider à s'épanouir, à éclater,
à en panser les blessures toujours possibles. Chez nous, le père de Louison et celui de
Thomas ont été tués, un peu avant Pâques, alors que déjà perçait partout la verdeur
du printemps. Un moment tout s'est arrêté. Dans le
clair regard des enfants a surgi l'ombre de l'angoisse. Il a fallu l'en chasser, et aider les
petits à s'en libérer, à en parler. Et chacun d'interroger... sur la mine, le travail
du mineur, ses dangers... le printemps avait fui et le thème de vie aussi. Mais la vie avec sa ténacité veillait...
Louison revint... Thomas revint... et le printemps de nouveau nous enveloppa, et le thème
de vie reprit. Le thème de l'automne se déroule
actuellement dans sa forme classique : feuilles mortes, travaux des champs, de notre
fenêtre nous voyons les terres labourées et les charrois de betteraves passent sans
arrêt : impossible de les négliger. En même temps, le facteur apporte le
premier colis-correspondance, on y parle du Rhône, des bateaux, de la pêche. Voyez l'éventail de travaux ! Que faire ?
Les enfants s'intéressent à tout, et j'ai oublié aussi leur passion actuelle des
chenilles, araignées, chrysalides, mille-pattes. Dans la vie pouvons-nous rester
insensibles à certains événements extérieurs pour ne nous attacher qu'à un seul !
Nous aurons donc en chantier : - les bateaux : questions aux
correspondants dont nous attendons la réponse en réunissant des documents. -le Rhône : j'ai commencé à leur
expliquer la BT. -la pêche : des fils de pêcheurs
sont chargés de glaner des précisions auprès de leur père. -chenilles-araignées, etc : nous
les avons installées dans un terrarium, les regardons, les observons, et chaque jour un
petit événement nous ramène le thème de vie de l'automne. Ainsi se déroulent les
thèmes des saisons, résultats d'observations journalières, de découvertes qui durent
le temps de la saison elle-même, entrecoupées d'événements quotidiens, de ces petites
aventures qui constituent la trame profonde de notre vie, banales entre toutes mais dont
l'absence déséquilibre telle soudain silence de la pendule réveille un dormeur. Y A-T-IL DANS NOS CLASSES DES TRAVAUX COLLECTIFS LIES AU THEME ? Très certainement, les jeux dramatiques,
les albums, le journal scolaire, recherche collective, documentation pour la
correspondance, etc... Autant de réalisations dans lesquelles
chacun a sa part, donnant à l'uvre finale une grande valeur collective. Et en dehors de toute cette uvre
vivifiante née de la collaboration des élèves et de la maîtresse, demeurent les
travaux individuels, s'inscrivant sur les registres préférés de chacun, qui ne
s'accommodent d'aucune intrusion de l'adulte, d'aucune intervention des camarades,
fleurs souvent rares de la création spontanée, nées du domaine secret de l'enfant,
qu'il exploite largement, dont il cueille les fruits dorés. Ne l'en frustrons point, même avec la
meilleure intention du monde de ne pas s'éloigner de la ligne d'un thème de vie qu'on
s'est fixé et à l'élaboration duquel il n'a pas participé. |
LA PART DU MAITRE
Pour promouvoir cette éducation
fonctionnelle qui seule peut répondre au besoin de grandir de l'enfant, il faut que
l'aide de l'institutrice soit toujours discrète et cependant vigilante. Etre la présence
qui accueille, l'arbitre qui choisit, la main qui aide à monter, l'esprit qui guide et
souvent l'enfant dans cet incessant effort qui va du perçu à l'imaginé, de l'imaginé
au réel, qui le mène en respectant son rythme d'acquisition à la connaissance des
choses par le va-et-vient incessant de l'analyse à la synthèse, de la synthèse à
l'analyse. Etre aussi celle qui sait créer ce milieu riche et valorisant où chaque
enfant pourra mesurer ses pouvoirs : et d'abord ses pouvoirs physiques : par
l'installation de terrains d'ébats et de jeux, par l'organisation de moments de
rythmique, de gymnastique naturelle, de rondes, de danses, de mimes, de jeux dramatiques ;
ses pouvoirs de création : toute l'activité manuelle de nos petits (expression
graphique, picturale, plastique, création d'objets, de tapisseries, de vitraux, etc) est
un très puissant facteur de formation. Cette activité est tout autre chose qu'un
exercice des doigts développant l'habileté du geste. Elle est exercice de pensée dans
la mesure où elle permet la connaissance du monde et l'affirmation de soi. Elle
donne libre cours à toutes les facultés créatrices de l'enfant, à ses possibilités
d'expression, elle lui fait prendre conscience de ses pouvoirs au même titre que toutes
ses autres expériences tâtonnées. Ainsi les bébés qui nous arrivent à 2 ans
vont faire à peu près seuls, le premier inventaire du monde familier, la découverte
d'eux-mêmes et l'expérience de leurs possibilités si nous savons favoriser un
inventaire par la création d'un milieu riche. Il nous faudra prévoir et installer en
permanence des coins d'activités variées : en utilisant d'abord les matériaux
naturels : terre, eau, sable, facteurs de découverte et d'affirmation de soi, matières
résistantes qui « nous donnent l'être de notre maîtrise, de notre
énergie » (Bachelard). la terre : d'abord matière de
résistance puis moyen de se traduire, de créer (modelage) ; le sable : qui coule entre les
doigts, mais aussi conduit vers la mesure et la comparaison dès qu'on l'assortit de
récipients variés à remplir, à vider, etc ; l'eau : qui outre les vives joies de
sensations fraîches qu'elle donne, permet elle aussi les expériences de mesure et qui
coloriée et transformée en peinture devient instrument de plaisir sensoriel, puis
matériel d'expression. A ces matériaux bruts nous ajouterons : les pièces de bois pour construction : gros éléments de préférence pour
construction de maisons, garages, tours, bateaux, pièces de bois groupées sur une natte
que l'enfant manipule assis, debout, à genoux. La chambre des poupées où il pourra
faire et défaire les lits, ranger les vêtements, trouver des jouets maniables qui
recréent un milieu proche de la maison et permettent les jeux symboliques
d'imitation du père et de la mère et même de leurs travaux : râper les
carottes, mettre la table pour le goûter ou les anniversaires, faire la vaisselle, laver
et repasser les serviettes de table (chez les grands ce coin deviendra celui du bricolage,
où, à partir d'éléments les plus divers : morceaux de bois, ficelles, clous,
laines, tissus, fils de fer etc, les enfants fabriqueront ces objets étonnants :
bateaux, mamans-poupées, oiseaux, trains, avions, etc, si expressifs et témoignant
d'un esprit créateur extraordinaire) ; les tableaux bas et les craies pour
le gribouillage puis le dessin à grande échelle ; les craies d'art, les Crayolor, la peinture
; les premiers
gribouillages et barbouillages deviendront peu à peu dessins et peintures ; les papiers de couleurs qu'on
déchire et colle. Nous laissons les enfants jouer librement
avec les couleurs (faire une gamme étendue et leur laisser la libre jouissance) sans
rechercher dès l'abord l'élaboration des formes. Le choix des couleurs marque déjà la
personnalité de chacun. Il est inutile d'apprendre aux enfants à tenir les pinceaux ou
les craies, ils l'apprendront seuls par expérience. Au hasard des taches et des traits, des
formes vont s'élaborer que nous amenons à la conscience enfantine en faisant raconter à
chacun son uvre. Notre rôle est alors d'observer nos
petits, de prévoir, de suggérer, d'initier, d'encourager, de ramener l'ordre au besoin.
Dans cette section de bébés, les enfants les plus grands ou les plus évolués
entraînent les autres, c'est pourquoi les petites sections groupant les enfants de 2 à 4
ans sont en général meilleures que celles groupant des enfants de 2 à 3 ans. L'essentiel
réside dans la pleine participation des enfants à l'activité dans laquelle ils se sont
engagés et de l'institutrice à la vie de chacun de ses petits. b) les crayons de couleurs qui sont
SOUvent à l'origine des sujets de linogravures, et dont les fonds travaillés préparent
l'enrichissement des fonds des dessins à la peinture ; e) les craies d'art sur papier
Canson et Ingres, nécessitent un fixatif. Les fixatifs en bombe sont très chers. Tu
peux acheter un vaporisateur à laque pour cheveux qui se recharge et acheter du fixatif
au litre, demi-litre, quart de litre, et c'est beaucoup plus économique et efficace. Pour tous ces procédés tu disposes dans
un coin, les papiers où les enfants peuvent puiser sans te déranger. Prends soin
d'indiquer aux enfants comment on travaille la craie d'art et le fusain, sans passer sa
manche sur le trait, et quand on dispose de place, il est préférable de travailler à la
verticale ; Je te signale que ces mèches utilisées
sur nylon permettent la décoration de foulards, de lampes, lavables, dont la vente
alimentera la caisse de ton exposition, et la réalisation d'objets
« utilisables ». g) l'encre de chine. -
plumes
« Tréraid » de différentes épaisseurs, -
pinceaux -
bâtons taillés en biseaux,
-
Bristol ou Canson, -
encre de Chine dans de
petites bouteilles qui ne se renversent pas facilement, -
la plume permet le graphisme
avec différentes épaisseurs de traits (les dessins servent de modèles pour la gravure
sur zinc), les bâtons taillés également, -
tu peux aussi faire utiliser
la mèche pour le trait, et l'enfant colore largement son
dessin à l'encre de chine. Si tu travailles sur papier couché (glacé) tu
obtiens un effet de vernis.
Sur papier ordinaire, qui absorbe l'encre
de Chine, c'est d'un bel effet de lavis... -
des papiers de toutes
sortes : affiche,
papiers peints, journaux, tissus de préférence au départ genre feutrine (intermédiaire
entre tissu mou et papier), -
de la colle : tu
prépares de la colle Mohican dans une grande boîte, le responsable remplit chaque jour
les petits récipients (au moins 1 pour 2, 3 par ateliers de 6), -
des pinceaux à colle, environ 0,15 F la pièce
dans les librairies, -
des morceaux de laine, de raphia, de paille : cela
servira à faire les chevelures, les crinières, les moustaches, etc... Pour coller ces
matières il te faudra employer la colle Limpidol (1,75 F le tube) ou Texticroche. Tu veilles à ranger tout cela dans une grande boîte qu'il
suffit de transporter chaque jour, pour que l'atelier puisse « rouler » sans toi. J'ai oublié de te parler des supports de
tes collages ou découpages (papiers de couleur, papiers peints, papiers-affiches,
cartons, pour les débuts des papiers radiographiques ratés, que tu peux te procurer dans
des laboratoires radio photographiques des hôpitaux... cherche, tu trouveras). Pour toutes ces activités, il ne te faut
pas déployer grand matériel, ni grande place. Voyons celles qui nécessitent un peu
plus de surface, un peu plus de matériel. |
LES TECHNIQUES D'ILLUSTRATION
Celles qui servent à l'illustration des
albums je te rappelle l'emploi des mèches, de l'encre de Chine à l'illustration
des journaux scolaires : - la linogravure, - la gravure à l'aide de découpage dans
le bois, - la gravure sur zinc, - les monotypes. LA LINOGRAVURE Pour les petits - 5 à 6 - la difficulté
est de creuser le lino sans se blesser. Il faut que la main qui tient le travail soit à
l'abri des « côtés » de la gouge, qui insuffisamment pénétrée dans le lino
pour évider, peut glisser et blesser. Pour cela tu fabriques une sorte de grosse bobine
en bois, fixée à la table, le lino est cloué sur la partie supérieure, l'enfant tient
la gouge d'une main et la bobine de l'autre, sa main est ainsi à l'abri. Le travail est
fixe, au cours préparatoire les enfants y arrivent très bien. Le plus simple est : le tracé
linéaire à la gouge du dessin que l'enfant a auparavant tracé au crayon. Tu obtiens un
tracé blanc sur fond de couleur (cf. Florilège du journal Scolaire, p. 16-18). Si tu veux obtenir le sujet, par exemple un
oiseau, en silhouette, dégagé de son fond, ne passe pas ton temps à évider la surface
extérieure, découpe les contours aux ciseaux, tu peux travailler à la gouge les
détails intérieurs de l'oiseau. Cette manière de faire convient à ceux qui n'ont pas
de presse (système timbre-tampon). Cet oiseau, tu le colles sur un bois, et tu
l'utilises en timbre-tampon, cela te permettra facilement plusieurs couleurs. Ainsi sur un arbre mauve, découpé au
ciseau, que tu auras « tamponné » d'abord seul, il sera facile de
rapporter, de la même manière, des oiseaux d'autres couleurs, jaune ou rouge, par
exemple. Si le lino est plus grand, tu le
colles (Limpidol ou autre glutafix dans le commerce) sur un bois 13,5 x 21, de 2 à 3 cm
d'épaisseur, fixé à la table, comme tu le peux. Je te recommande les serre-joints qui
te serviront également à fixer ton limographe n'importe où et permettent de ne pas
clouer dans les tables. Donc, ton lino est sur ton bois maintenu à
la table. Tu encres, tu poses ta feuille 13,5 x 21, bien droite, c'est facile, ta feuille
épouse les dimensions du support et tu frottes avec un chiffon propre - c'est fait. Le tirage en deux couleurs par le système
des tampons rapportés est le plus simple pour les petits. Toutefois, si le sujet ne
permet pas d'en extraire facilement les différentes parties, pour alléger ton dessin, il
te faudra évider. LA GRAVURE PAR LE BOIS DÉCOUPÉ Une autre technique très artistique et qui
repose sur les mêmes principes que la linogravure, c'est la gravure du dessin par le bois
découpé. Matériel: contreplaqué, scie à
découper, filicoupeur CEL, colle Limpidol ou colle à bois. Seulement, le dessin ne se creuse pas comme
dans le lino : ses masses, ses lignes, en sont découpées ce qui exclut les dessins aux
graphismes fouillés, mais exalte la pureté des belles lignes tracées d'une seule venue,
renforce l'équilibre des masses harmonieusement disposées. Les petits ne peuvent
utiliser cette technique, mais elle peut servir à magnifier une uvre d'enfant, sur
une couverture de journal, un programme, une invitation, que sais-je ? LE LIMOGRAPHE Il te reste pour le
journal scolaire l'utilisation du limographe : tu en trouves tous les détails dans la
brochure qui accompagne la livraison de l'appareil par la CEL. LA GRAVURE SUR ZINC Il te faut du zinc (chutes chez les
couvreurs, les zingueurs) de l'acide muriatique (à la droguerie) du vernis noir
(j'ai employé un noir à vernir les tuyaux de poêle qui convenait parfaitement), à
condition de ne pas vernir les plaques trop longtemps à l'avance ( 1 à 2 jours) : - tu nettoies parfaitement, pour le rendre
lisse et brillant, ton zinc au papier de verre ; - tu l'enduis, tranches y compris, de
vernis noir ; - après un minimum de 4 heures de séchage, tu le donnes à l'enfant qui,
à l'aide d'une pointe sèche y inscrit son tracé (vérifie s'il a bien creusé et
repasse à la pointe s'il y a lieu) ; - tu plonges la plaque dans le mélange
d'acide et d'eau que tu as préparé dans le fond d'une assiette ; - l'effervescence se produit. Tu laisses
plus ou moins de temps suivant la concentration de l'acide (il te faut expérimenter et
noter tes résultats). - Une fois la gravure atteinte, tu sors ta
plaque, la passe sous le robinet, la nettoie à l'essence ou au pétrole pour ôter le
vernis. - Tu colles ton zinc directement sur le
bois, s'il en épouse exactement la forme. Si la forme n'en est pas géométrique, tu
colles ton zinc auparavant sur un morceau de lino, de forme exactement semblable, et tu
colles l'ensemble sur un des bois que tu possèdes (ceci pour des facilités d'ajustage
dans la presse) et pour rendre plus aisé l'encrage du zinc ainsi surélevé ; - ensuite tu encres et procèdes comme pour
le lino. LA PEINTURE SUR TISSU Peintures du commerce à employer avec
diluant pinceau souple, sur tissus (genre cretonne, popeline où nylon), foulards, lampes,
pochettes, réellement lavables et durables, surtout le nylon. Pour les grandes surfaces à couvrir,
tentures, rideaux, la peinture CEL additionnée de super-médium couvre davantage
que les peintures du commerce. L'enfant part avec son projet ( dessin ou peinture sur
papier), situe, en gros, les lignes de son travail, mais ne suit jamais son dessin de
très près. Il sait très vite, s'élancer à la conquête de son grand tissu et y faire
épanouir d'un seul jet des créations étonnantes. A l'aide d'une autre technique : tampon ou lino, on peut reproduire un motif donnant ainsi au travail l'allure des tissus imprimés. LES MONOTYPES Cette technique plaît beaucoup à cause,
sans doute, de ses effets faciles. Matériel : - Plaques de verre ; - Encre d'imprimerie - ou peinture à l'huile ; - Siccatif ; - Huile de lin ou essence ; - Bâtons taillés de différentes
manières. Première utilisation simple : - l'encre qui reste sur la plaque à encrer
après un tirage à l'imprimerie. Tu passes le rouleau sur une plaque de
verre. Tu peux : a)
y appuyer une feuille vierge, marquer la pression avec un chiffon ou un rouleau
propre, tracer un dessin au crayon sur cette feuille. Tu retires, tu obtiens sur un fond
encré légèrement, un tracé linéaire plus sombre de la couleur de l'ensemble (voir une
étude spéciale aux pages 24 et 25 du no 13 de Art Enfantin) ; b) Autre utilisation de la plaque de verre
encrée. Avec un
bâton, l'enfant trace sur la plaque son dessin ; il doit bien appuyer afin de chasser
l'encre. Tu appuies ensuite une feuille vierge sur la plaque, tu obtiens un tracé blanc
ourlé d'une ligne plus foncée que l'ensemble, dont l'effet artistique n'est pas
négligeable. A partir de là, tout t'est permis et les enfants s'en chargent. Tu peux : ajouter des taches de couleur,
soit en ôtant à l'aide d'un chiffon la couleur initiale (ex. dans un ciel uniformément
vert, où tu as tracé un soleil, une petite fille, tu peux nettoyer à l'intérieur des
tracés, le soleil, la jupe de la petite et y introduire au pinceau une autre couleur,
avant l'application de la feuille ; soit en superposant au pinceau d'autres
teintes cela suppose une petite installation. Dans de petits récipients (gros
coquillages, petits godets), tu disposes une noisette d'encre d'imprimerie de
couleurs différentes que tu délayes dans un peu d'essence, ou une noisette de peinture
à l'huile que tu délayes dans un peu d'huile de lin et de siccatif pour activer le
séchage. Avec cette installation, les enfants
procèdent autrement (encre ou peinture à l'huile) ils peignent leur plaque,
travaillent leur fond, dessinent leur tracé, appliquent leur feuille et tirent. Pourquoi encre, pourquoi peinture à
l'huile (peinture à l'huile en tube) ? Le prix de revient de la peinture à
l'huile est peut-être plus élevé, mais les effets m'en paraissent plus riches, plus
nuancés. De plus on arrive presque toujours à tirer
trois feuilles, la dernière à peine colorée, relevée par un trait à la mèche
(coloriés ou autres) souvent jolie dans ses tons pastels, permettant ainsi une
utilisation maximum des produits. En outre, si tu dessines cette technique à
l'illustration d'un album par exemple, elle est très rapide et te fournit en même
temps trois exemplaires, un pour la classe, un pour les correspondants et l'autre que tu
utiliseras à ton gré. N'oublie pas de protéger les enfants, tabliers enveloppants,
chiffons, ta table de travail et de faire tremper après chaque emploi, tes pinceaux dans
l'eau additionnée d'un détergent du commerce. |
Cependant il faut choisir, si l'on veut
cuire ensuite, une terre fine et bien préparée. Il vaut mieux donner un gros morceau de
terre à l'enfant d'où il dégagera lui-même des formes originales plutôt que de lui
enseigner la technique du colombin qui le paralyse et l'emprisonne. On peut aussi lui
donner une plaque de terre sur laquelle il gravera son dessin ou posera sur la plaque des
colombins plus ou moins fins pour en faire un bas-relief. Inutile d'enseigner ces
techniques : les enfants les trouvent seuls. Il faut seulement aider à consolider, à
creuser une statuette à l'occasion, laisser sécher lentement, envelopper la terre
restante d'un chiffon mouillé. Sans four, on peut donner l'illusion de la
céramique avec le vernis céramique à froid qu'on peut aussi utiliser sur des poteries
achetées cuites. Ce n'est
alors que de la
décoration. Si tu possèdes un four à poteries, tu pourras cuire et émailler les réalisations (la CEL met à la disposition des maîtres 3 modèles de fours à céramique. Ecrire : CEL, BP 282, Cannes (A.-M.).)Une technique d'émaillage simple
consiste à étendre au pinceau sur la poterie cuite : soit simplement des émaux colorés
(A) achetés chez Harshaw-Poulenc Coiffe, BP 203, Limoges, ou Lhospied à Golfe- Juan
(A.-M.) soit a) un oxyde de cuivre (vert), de cobalt (bleu), de manganèse (noir),
de fer (rouge), b) sur cet oxyde un émail blanc ou gris ou bleuté. L'émail
posé, l'enfant trace sur la surface à décorer, à l'aide d'un bois taillé ou d'une
allumette, un dessin linéaire qui après cuisson apparaîtra en noir, rouge, vert ou bleu
sur le fond émaillé. * * |
LES TAPISSERIES
Il y a plusieurs procédés. a) Celui qui consiste à reproduire
sur tissu, pour le magnifier, un dessin d'enfant agrandi ou non. Les dessins cernés s'y
prêtent plus que d'autres, parce que l'assemblage des différents puzzles du dessin
étant réalisé par la maîtresse, l'enfant participe à la pose des galons
correspondants aux tracés noirs ou marrons ou de tout autre couleur de son dessin. Il est
très capable de coudre ce galon surtout que l'emploi du fil de même couleur que le galon
cache l'imperfection des points. Le coq de la Maison de l'Enfant à Caen, que l'on peut
voir dans le n° 11 - 12 page 2 de l'Art Enfantin en est une illustration. b) Le procédé découpage
d'éléments de tissu par la maîtresse suivant un dessin, et assemblés à grands points
par l'enfant, risque de le décevoir et de le fatiguer, et tu seras bien sûr, obligée de
l'aider à terminer Son travail. c) Le troisième
procédé, c'est celui qui prend naissance dans le petit atelier découpage collage du
début. Tu mets à la disposition de l'enfant des
tissus de toutes sortes, des ciseaux, et tu le laisses se débattre avec les matériaux -
et ici Hortense Robic pourrait vous raconter de bien émouvantes choses. Qui a vu au
Congrès de St-Etienne la grande tapisserie de Didier, n'a pu l'oublier. Souvenez-vous :
une rude toile de jute de 2 m au moins sur 1 m Au centre, un bonhomme au visage violet et
gris, vêtu d'un pauvre tissu de satinette imprimée (le même que celui qui vêt
l'enfant d'ordinaire), semblait porter le poids de la misère du monde, et tout autour,
symbole du miracle de l'enfance, un oiseau et des fleurs... une multitude de petites
fleurs patiemment découpées, perles d'un printemps merveilleux que l'enfant s'était
recréé. J'ai compris à ce moment, que là, la
véritable technique d'expression était qu'il fallait faire confiance à l'enfant. Cette constatation s'est renforcée quand
Thérèse dans ma classe, a réalisé sa belle tapisserie bleue de la lune. « Je veux faire une tapisserie, disait-elle,
une grande comme la table à tréteaux (2 m sur 1) ». Toute une matinée elle m'a poursuivie. De
guerre lasse je lui préparai son matériel, ses tissus pour l'après midi. Avec
angoisse je la vis choisir son fond, poser ses popelines. Je frissonnais en la voyant
accoler certains bleus, certains verts jaunes. Peut-être n'aurais-je pas eu le courage de
la laisser faire son expérience, si des ouvriers réparant le chauffage de l'école ne
m'avaient appelée. Quand je revins, une demi-heure plus tard,
c'était fait, la tapisserie était créée, il n'y avait plus qu'à coller. Je me
souviens, d'un certain morceau de tissu gris qui me chiffonnait. Trois fois,
subrepticement je le déplaçais, trois fois Thérèse le remit et pour bien signifier
son vouloir, le colla définitivement en place. Si j'ai insisté à travers l'exposé froid
des différentes techniques, sur ces moments de vie de la naissance d'une tapisserie,
c'est un peu pour te mettre en garde. Toutes ces recettes ne t'apporteront pas ce que
tu en attends, si tu les appliques dans ta classe au même titre que l'enfilage
des perles ou le jeu des encastrements. Elles doivent représenter pour chaque
enfant, une véritable porte de sortie de son individualité vers l'extérieur, te permettre d'ouvrir les vannes, de
libérer ce flot de vie trop longtemps contenu. « GARDONS-NOUS DE CE CRIME CONTRE LA
VIE, dit Freinet, ET RÉVOLUTIONNONS NOTRE PROPRE COMPORTEMENT DE MONTREURS DE
MARIONNETTES, DEVENONS JARDINIERS DES INTRÉPIDES PETITS D'HOMMES. » (Essai de psychologie sensible) Une autre forme possible de tapisserie, très
rapidement réalisée, est celle qui consiste à donner à l'enfant un tissu de fond
coupé aux dimensions voulues pour l'usage auquel on le destine (rideaux pour cacher les
casiers par exemple) et soit des cordelières de laine, raphia, etc, soit de la corde,
soit des galons avec lesquels il « dessinera » un motif sur le tissu. Il n'est pas nécessaire de faire faire à
l'enfant un tracé préalable sur le tissu : il pose sa cordelière au gré de son
inspiration pour « créer » le dessin, l'attache avec des épingles, puis la
colle ou mieux la coud. Création d'objets : Avec des bouts
de bois, des ficelles, des chiffons, de la laine, du papier crépon, du raphia, des
punaises, des clous et bien entendu des marteaux et des pointes, nos grands de 5 à 6 ans
ont fabriqué librement et avec quelle ingéniosité et quel sens esthétique des bateaux,
des oiseaux, des poupées. Ceux de Cl. Berteloot « avec des boutons, fils,
laines, engrenages réveil, chaînes de bicyclette, billes, coquillages, lièges,
branchettes, fruits secs, feuilles mortes, de la colle forte et un support de bois ont
construit des tableaux en relief dont l'audace confondrait certains peintres
contemporains et dont l'originalité, même si elle nous reste obscure ne peut nous
laisser indifférent ». |
L'ART ENFANTIN
Dans tous ces « ateliers »,
l'expression et la représentation, soutenues et motivées par l'approfondissement du
thème de vie qui fortifie l'imagination de l'enfant, jailliront spontanément de ses
émotions, de la sympathie qu'il éprouve naturellement pour tout ce qui vit et de cet
étonnant pouvoir d'animer toutes choses à l'image de sa propre vie. Elaborant ses représentations l'enfant se
découvre, structure l'espace, découvre le monde, se l'explique et se le donne. C'est
pourquoi nous attribuons une telle importance à toutes les créations enfantines, à cet
art enfantin salué par quelques-uns de nos meilleurs artistes comme un art authentique. Picasso lui-même, avec sa célèbre
boutade : « A 5 ans on a du génie, ensuite on se prolonge »
ne justifie-t-il pas notre tendresse émerveillée devant les uvres de nos petits,
ou apporte-t-il de l'eau au moulin sarcastique de nos détracteurs ? Ne pouvons-nous
cependant admettre que l'artiste cherchera toute sa vie, par un effort volontaire et
tenace « grâce à un enrichissement intérieur de toutes les formes dont il se rend
maître et qu'il ordonnera quelque jour selon un rythme nouveau » à maintenir en
lui ce pouvoir d'expression et de création qui jaillit si naturellement de la
spontanéité enfantine ? Ne devons-nous point reconnaître qu'au
fond de chaque humain et antérieurement à l'artiste, il existe un homme esthétique
plongé dans le monde, l'espace, le temps, se mesurant à eux et prenant conscience à
travers ses uvres de son destin, un homme esthétique que nous révèlent déjà les
premières représentations si balbutiantes soient-elles de nos petits.
« La
création, nous dit Matisse, commence à la
vision. Voir,
c'est déjà une opération créatrice et qui exige un effort de l'artiste qui doit
voir toutes choses comme s'il les voyait pour la première fois, sans la déformation
qu'engendrent les habitudes acquises, en se dégageant du flot d'images toutes faites que
nous imposent quotidiennement publicité et magazine. » Et Matisse, reconnaissant la supériorité
enfantine dans cette appréhension première du réel ajoute : « Il faut voir
toute la vie comme lorsqu'on était enfant, et la perte de cette possibilité nous enlève
celle de nous exprimer d'une façon originale, c'est-à-dire personnelle ». Par le moyen du geste, du verbe, du crayon,
du pinceau, de la couleur, l'enfant projette cette vision tout à la fois intérieure et
nourrie de réalité vivante qu'il prend quotidiennement du monde. Un monde qu'il ne
regarde pas avec les seuls yeux du corps, mais tout à la fois avec ceux du corps, du cur,
de l'esprit. Tout entiers engagés dans leur contemplation, nos petits ne séparent point
leur propre vie de celle des êtres et des choses qui les entourent. Cette présence au monde essentiellement
dynamique rebrasse toute réalité et l'imprègne de vie, de chaleur, de mouvement, de
tendresse. Et par là l'activité créatrice de nos petits est proche de celle de
l'artiste. « Car créer, nous dit encore Matisse, c'est exprimer ce
que l'on a en soi. Tout effort authentique de création est intérieur. Encore
faut-il nourrir son sentiment, ce qui se fait à l'aide des éléments que l'on tire du
monde extérieur. Pour que l'uvre d'art apparaisse féconde et douée de ce
même frémissement intérieur, de cette même beauté resplendissante des uvres de
la nature, il faut un grand amour, capable d'inspirer et de soutenir cet effort continu
vers la vérité, cette générosité tout ensemble et ce dépouillement profond
qu'implique la naissance de toute uvre d'art ». Ce grand amour, cet élan vital qui porte
l'être au-delà de lui-même, chacun de nos petits en possède encore la source fraîche,
joyeuse, intarissable, exubérante, insouciante des rives et des obstacles qui plus tard
la canaliseront, l'obstrueront, l'amenuiseront. EXPÉRIENCES ARTISTIQUES DE L'ENFANT ET CONQUÊTE DU RÉEL Tout à leur joie de vivre et de créer,
nos enfants découvrent peu à peu leurs pouvoirs d'expression et de création. Ils s'en
enchantent et s'en saisissent, sans effort apparent par le libre jeu d'une spontanéité
créatrice qui semble porter en elle-même sa propre fin. Ce bébé de 3 ans, tout au plaisir de la
couleur, a rempli sa page de taches et de traits. Tout vient d'abord semble-t-il, au
bonheur du geste qui éprouve la page comme au hasard, sans tracé préalable, sans
calcul. Le rythme naturel du corps commande la forme que l'esprit invente avant même
d'avoir pris conscience de sa propre exigence. Cependant à l'institutrice attentive qui
lui demande ce qu'il a peint, l'enfant après quelques secondes de réflexion répond
« Ma maman. Regarde ses yeux, son nez... tiens, je fais sa bouche ». De jour en jour, de tâtonnements en
réussites et d'expériences en commentaires, le portrait de la maman se dégage du chaos
primitif en même temps que s'affirme une prise de conscience qui diffuse, à travers la
forme devenue capable de la porter, une affectivité ouverte et enrichie de se
communiquer. Dialectiquement, le regard que nos 5 à 6
ans posent sur le monde, leurs observations spontanées nourries d'émotions premières,
suscitent bien souvent d'heureuses trouvailles poétiques, des créations gestuelles,
plastiques ou verbales qui sont la projection de sensibilités vibrantes, guidées par une
pensée organisatrice déjà capable de représentation. « Maîtresse, ce matin le
brouillard était tout en voiles, il allait se marier . » « Regarde maîtresse, les feuilles
font les oiseaux dans le vent »". De ce constant dialogue de l'enfant engagé
dans la découverte avec la réalité dans laquelle il s'insère naît une continuelle
invention de formes qui lui permet de prospecter ses pouvoirs et de les essayer en toute
sécurité. Cette démarche constructive de l'enfant
qui s'exprime par le dessin, par le chant, par le geste, par le verbe est créatrice de
cette joie profonde, de cet « évident bonheur de respirer » dans lequel
Bachelard reconnaît « la forme simple, naturelle, primitive, loin de toute
ambition esthétique et de toute métaphysique de la poésie. » * |
L'ENFANT POÈTE
L'activité
poétique de nos petits, pour spontanée et naïvement balbutiante qu'elle soit n'en
présente pas moins les mêmes caractères et le même pouvoir que la poésie adulte.
Même pouvoir d'éveiller : « Ce feu fertile des grains, des mains et des paroles, un
feu de joie s'allume et chaque cur a chaud ». Même racine
profonde se confondant avec « la structure primitive de la vie affective ». Même manière
chaude, vivante, sensible, fraternelle, d'appréhender l'univers et les êtres,
d'inventorier et d'exalter la condition humaine. « Avec mes mains dorées comme une feuille j'irai et je dis
bonjour à quelqu'un le matin avec
mes mains A midi elles se
reposent et jouent au
soleil avec leur ombre
noire qui danse sur la terre et le soir, je
les perds mes mains pour les
retrouver demain ».
DOMINIQUE, 6 ans Même dynamisme
verbal, même jaillissement des mots et des images, même besoin d'inventer des mots de
faire des expériences avec les mots, de créer des images neuves, de s'enchanter de
sonorités nouvelles, de se plonger dans le merveilleux. « J'ai remis ma petite rainette dans son
ruisseau et j'entends
une grenouille chanter dans la
mer Oh ! dans
la mer ». ERIC, 5 ans 7
mois « Le petit cheval galope dans la nuit du
printemps galope tout
content Tout vert avec
un il blanc ». CLAUDE, 5 ans 3
mois Commentaire
individuel de dessin Même expression de fraîcheur, d'humour, de fantaisie, dans
le jaillissement spontané des mots et des images qui ne sont parfois suggérés à
l'enfant que par de simples faits divers : « Maria a un coq sauvage parti dans le
champ de Jeanne. Maria le
cherche par le grand
chemin, par le petit
chemin. Pieds nus sur
la lande il se promenait
dans le champ. Il courait, il
courait Cot,
Cot, Cot. Le voilà
revenu dans son poulailler. Il caresse ses
plumes. Il attend le
dimanche.» JOEL, 5 ans Classe de H.
Robic, St-Cado Comme celle du
poète, la réalité poétique enfantine s'insère cependant dans une réalité plus
large, celle du monde des vivants, celle même de la vie quotidienne. « C'est le petit train du Cambrésis qui emmène les
ouvriers à la mine, à
l'usine, Tchouc...
Tchouc... pressons... pressons, allez, roulez. A la maison y a
plus d'argent. Pointage,
semaine, quinzaine, automne, printemps, hiver, été, allez, roulez. A la maison y a
plus d'argent. Tous les jours,
tous les jours, tous les jours y en a qui s'en vont à midi, y en a qui s'en vont dans la nuit tous les jours même quand il
pleut même quand il
neige même quand il
grêle tous les jours,
même le jeudi tous les jours
et quelquefois le dimanche aussi sifflez les
sirènes, tournez les
volants, roulez les
berlines, craquez les
grues, sonne la
ferraille, toi, la fumée,
tourbillonne, traîne sur les
toits noirs et vous les
poussières, chatouillez les
yeux fatigués, sifflez les
sirènes, allez, roulez. A la maison y a plus d'argent ». Ecole Maternelle
d'Escaudain Classe de J.
Martinoli, 4 à 6 ans Le poète éclaire cette
réalité d'un jour particulier qui est celui même de sa vie intérieure. Son uvre
qui se veut langage, message, signe, jalon, véhicule de notre culture est l'expression la
plus sincère d'une intelligence et d'une sensibilité à chaque seconde
impressionnées, recréées par la vie, par l'action autant que par la méditation ou le
rêve, par l'inconscient autant que par la conscience. Chez l'enfant au
contraire nulle recherche. La forme même de sa sensibilité le place d'emblée au cur
de la réalité poétique : « Ma mère m'a dit oui, je ferai un
marin. C'est mieux un
marin, ça pêche du
poisson. J'irai tout seul en mer sur un bateau
qui ne coule pas la Danseuse de
l'Océan peut-être. Je veux être
un marin. Je sais la
route des bateaux. J'aurai une bouée, un chapeau de
mer, des longues
bottes, un ciré jaune, une moto. Je ferai un
marin c'est mieux un marin. Qui t'a dit ? Je sais tout
seul ». BERNARD, 5 ans Classe de H.
Robic, Ecole Maternelle St-Cado
(
Morbihan ) L'animisme
enfantin, ce pouvoir de recréer le monde à son image, au rythme de sa joie de vivre,
colorie toutes choses des nuances même de sa vie affective. Parce qu'il abolit les
frontières entre l'imaginaire et le réel, il décuple ses possibilités créatrices,
multiplie ses pouvoirs, accroît son impression de puissance. Ouvrant le monde à
l'enfant, il le révèle à lui-même et nous le révèle à nous-mêmes. « Ma biche, Mon ange, Ma montagne, Mon sapin de
Noël, Mon soleil, Ma fée, Mon arbre, Mon petit
oiseau, Ma tulipe, Mon pigeon, Ma feuille
dorée, Mon hirondelle, Mon sourire
tout blanc, Mon collier
d'or, Ma jonquille, Mon alouette, Mes yeux
brillants, Mon
illet, Maman, je
t'aime ». Poème
collectif Classe d'enfants
de 4 à 6 ans,
Walincourt (Nord) Le point de
départ du poème fut un simple mot affectueux d'un petit garçon qui embrassant
l'institutrice, lui dit un matin : « Bonjour
mon ange ». Aussi
accepterons-nous de croire avec F.G. Lorca que « l'enfant comprend beaucoup plus que nous ne le pensons.
Il est dans un monde poétique inaccessible où la rhétorique, l'imagination
entremetteuse n'ont point d'entrée. Très loin de nous, l'enfant possède entière la foi
créatrice et n'a pas encore la semence de la raison destructrice. Il est innocent et pour
autant il est sage. Il connaît
mieux que nous la substance ineffable de la substance poétique ». Nous acceptant
dès lors comme compagnes de l'enfance, nous oublions notre pauvre logique d'adultes pour
entrer de plain-pied dans le jeu de la création enfantine, pour soutenir et encourager ce
don d'émerveillement sans lequel il n'est point de climat poétique. Saisissant la vie
dans ce qu'elle a de plus spontané, l'enfant dans ses rapports les plus directs avec
l'univers, nous nous efforçons à notre tour de regarder le monde avec des yeux neufs. Confiantes dans
le message de liberté que nous délivre la poésie, nous essayons de répondre à la
quête de nos petits par une faculté illimitée d'accueil. Nous nous efforçons
d'encourager cette naturelle exubérance qui délivre les rythmes poétiques, de révéler
à nos enfants par une mise en partage des découvertes, des expériences, des émotions, leur propre certitude d'êtres existants et pensants
et donc créant. Nous comprenons
que pour l'enfant, comme pour le poète ou l'artiste, les uvres poétiques ne sont
pas, selon le mot de Rilke « des sentiments,
ce sont des expériences. » Expériences, aventures de la main qui se mesure avec la matière qu'elle métamorphose, avec la forme qu'elle transfigure, expériences avec le corps qui s'infléchit à la recherche des rythmes de vie, expériences avec le verbe et la magie des mots qui sont en même temps expériences et aventures mentales et prises de possession magique et magnifique du pouvoir ordonnateur de l'esprit. Car cette activité poétique n'est point simple jeu gratuit et désinvolte, mais bien uvre véritable dans laquelle toutes les facultés enfantines se trouvent engagées et non seulement ses pouvoirs sensoriels, moteurs, imaginatifs, mais encore ses possibilités mentales et sensibles, son esprit et son cur. Pour s'en
convaincre, il suffit de contempler la délicatesse et la fermeté des gestes de l'enfant
qui dessine, peint, danse, modèle, l'éclairement du visage, la qualité d'attention et
de concentration dont il fait preuve jusqu'à l'achèvement de l'uvre, la subtilité
avec laquelle il organise son espace, ripostant à ses maladresses par l'ajout de
savoureux détails, alliant l'invention à l'humour, projetant sur le papier dans l'espace
et la glaise la tonalité même de sa vie affective. Que cet
engagement dans une uvre qu'on a délibérément choisie et voulue soit le
merveilleux témoignage d'une prise en charge d'un jeune être par lui-même qui pourrait
en douter ? Non seulement il maîtrise alors ses émotions en les
exprimant et chemin faisant se conquiert lui-même dans le sentiment de plénitude joyeuse
que font naître ses nécessités, non seulement devient-il homme et responsable
d'uvres à sa mesure, non seulement descend-il au plus profond de ses
perceptions, de son émerveillement, de sa tendresse, de ses peines, de ses rêves, de ses
découvertes, mais encore devient-il capable les mains pleines et l'esprit libre de se retourner vers les autres, d'entrer dans leur
univers, de s'en enrichir par la communication et l'échange. Ainsi l'enfant
se constitue à travers ses uvres. Y inventant, il s'invente, y choisissant, il se
choisit. Par le dialogue, il dépasse sa propre expérience pour tendre vers un équilibre, une harmonie, une communication humaine,
une transposition du monde qui sont déjà de l'art (1). (1) Se référer au
livre - album d'Elise Freinet.. « L'ENFANT
ARTISTE » aux Editions de l'Ecole Moderne à Cannes et à la revue de l'ICEM « L'Art
Enfantin ». |
De
quelques formes collectives d'Art Enfantin
Nous étudierons
rapidement maintenant quelques unes des formes collectives que peut prendre cet art
enfantin : les albums, les jeux dramatiques, la danse libre. LES ALBUMS M. Belperron nous
en raconte la naissance dans sa classe d'enfants de 5 à 6 ans : « Faire des
albums avec les enfants c'est vivre intensément avec eux. Je suis ainsi faite qu'il faut
que je participe à l'action pour prendre plaisir à ce que je fais et j'ai plus de
plaisir à faire un album que d'assister à un spectacle, un match ou un film. Il faut
avoir, sinon ce tempérament, du moins cet état d'esprit au moment de la création
d'albums pour savoir saisir les occasions et partager le plaisir des enfants. Il faut
aussi savoir noter très vite. Dans
une classe entraînée aux techniques d'expression libre, les occasions d'albums ne
manquent pas et s'il vous arrivait de les laisser passer par inattention ou par paresse
les enfants sauraient bien vous y faire penser. Et l'on arrive à
faire de nombreux albums, des albums qui reflètent la vie de la classe, la vie des
enfants, vie collective ou individuelle. L'an dernier nous avons fait des quantités
d'albums dont voici les titres principaux : Ma petite sur ; Le vent ; Les feuilles
mortes ; Les poissons de Bébert ; Les poissons rouges de Michel ; La danse ; Le voyage de
Jean-Pierre aux Baléares ; Bonne année, bonne santé ; Le petit âne de Philippe ; La
neige ; Promenade au parc ; Histoire du chat de Jocelyne. |
Certains albums
sont longs ou de longue haleine, comme par exemple, Ma
petite sur, où l'on note les transformations de ce bébé tout rouge sans bras
ni jambe, pas bien joli, qui devient une jolie petite fille. D'autre comme Bonne Année, Bonne Santé, sont terminés la
même journée. Je parlerai
donc de deux albums faits l'an dernier : -
le premier
collectif : Bonne Année ; -
l'autre
individuel : Histoire du chat de Jocelyne. * BONNE ANNÉE A la rentrée du
Nouvel An, tous les enfants arrivaient en me disant : Bonne Année, bonne santé maîtresse ! - Bonne Année, Bonne Année ! Qu'est-ce que ça veut
dire ça, qu'est-ce que cest que l'année,
dis-je en riant ? Personne ne sait
au juste. - On dit ça parce que o'est la bonne Année et qu'on a
eu des étrennes ! - Cherchez un peu, qu'est-ce que c'est que l'année ? Alors les doigts
se sont levés et j'ai noté au fur et à mesure tout ce que les enfants ont dit. Quand
personne n'a eu plus rien à dire, j'ai relu et j'ai entendu plusieurs voix. - Oh ! ça va faire un bel album. - Vous voulez ? - Oh ! oui. J'ai distribué
les « Coloric » et les feuilles de papier blanc. Les enfants savent qu'il faut me laisser une place pour écrire l'histoire,
ils ont une petite feuille de papier qu'ils
mettent dans le sens qu'ils veulent sur le
papier blanc. Et l'album a été très vite décoré. Je ne dis pas « Toi tu feras le dessin de ceci, toi de cela ». Ils font la
page de l'album qui leur plaît. Comme j'avais une quarantaine d'enfants j'ai eu 4 albums
(certaines feuilles ne se rapportant pas à l'histoire, d'autres étant trop touffues
servant de première ou de dernière page). Nous agrafons, et
voilà un nouvel album dans notre collection que nous avons du plaisir à feuilleter et à
entendre relire. HISTOIRE DU
CHAT DE JOCELYNE Voici comment
celui-ci est né. Le matin, lorsque les enfants racontent leur histoire pour le texte de
lecture, Jocelyne nous a dit : « Cette nuit
mon chat a mangé mon petit oiseau en cage ». Tout le monde veut des
explications et Jocelyne se met à nous parler de ce chat Titi qui a bel et bien mangé un
oiseau en cage. D'un commun accord nous décidons d'en faire un album. Près de Jocelyne
je note tous les détails et si possible la tournure des phrases. A midi j'écris tout
cela au net et l'après-midi je lis l'histoire en classe. Je distribue papier et
« Coloric ». J'ai des albums peints, d'autres illustrés de plusieurs façons. M. Belperron. Mme Andrès
(Grenoble) nous conte, elle aussi, la naissance d'un album dans sa classe des 5 à 6 ans. LE CHAT DE
DOMINIQUE (collectif) « Nous étions
partis un samedi après-midi en classe-promenade à travers Mon Logis : cité Progil
composée de maisonnettes avec jardinets. J'avais une idée en tête : les jardins à
l'automne avec leurs dernières fleurs, leurs arbustes jaunissants, etc... Derrière la
grille du jardin de Dominique son petit chat miaulait - un drôle de chat un peu rayé
comme les tigres mais surtout machuré de noir, de gris, de fauve. Le lundi matin
on raconte aux camarades absents cette promenade. Je pensais à un album compte rendu. On n'a parlé
que du chat de Dominique. J'ai noté et recopié uniquement les détails descriptifs du
chat. Marie-Claire : Le chat de Dominique a une tête comme un petit singe. Vincent: Il était noir comme le charbon. A ce moment
j'entrevois la forme de chaque page de l'album. Brigitte: Il
avait de l'orangé. La maîtresse :
Comme quoi ? Un enfant : Comme une orange... Un autre : Comme le soleil. - Il avait aussi du gris. - Comme quoi ? - Comme mon manteau. - Non pas si noir. - Comme le ciel aujourd'hui. - Pourquoi le ciel est-il gris aujourd'hui ? - Parce qu'il y a de la pluie. - Et ses yeux ? - Verts comme lherbe. - Comme les crayons verts. - Comme l'eau verte. - Où as-tu vu l'eau verte ? - A la mer. - Ils avaient du bleu. - Moi, par côté je les voyais bleus. J'ajoute : Ils avaient donc des reflets ? - Oui, des reflets bleus comme le ciel (je vois là
un cliché)... Je crois que ce n'était pas le bleu
du ciel. - Bleus comme la fleur bleue. -Quelle fleur
bleue ? On nomme la
violette, la pervenche, la véronique (après avoir tourné les pages de l'album de l'an
dernier sur le printemps en marche). - Vous l'avez trouvé joli mon petit chat dit
Dominique ? - Oh, oui, mignon comme tout. A Dominique
nous avions demandé le nom de son chat : Minet. Nous l'avons
appelé par son nom puis nous l'avons caressé doucement. » Mme Andrès. * Et H. Robic donne
quelques directives simples et dynamiques, mises en pratique dans une classe enfantine
groupant 15 enfants de 2 à 5 ans (St-Cado). « Le plus simple, pour les albums, c'est de suivre la
respiration de la classe. C'est vrai, on en
fait comme on respire, simplement, sans prétention quant au contenu, lidée, la
forme. Du travail ensemble, c'est notre première forme d'album . . . ALBUMS
COLLECTIONS : On parle des
arbres. Chacun fait son arbre : au crayon, à l'encre de Chine, à la peinture. Chacun
raconte : 1 dessin, 1 commentaire en regard, 10 dessins, 10 commentaires. C'est toute une
longue idée d'arbres. On pense à la forêt... On parle de bêtes, des bateaux, des
pépés, des poissons, de tout ce qu'on sait... A la suite d'un
événement, la Toussaint par exemple. Le texte premier jet est repris par le graphisme
sur le tableau noir, ce qui suscite de nouveaux commentaires. L'idée enrichie est
illustrée ensuite par quelques enfants : Au cimetière des
chrysanthèmes des pots de fleurs debout pas
penchés des petites
fleurs des grandes fleurs des noms de
pépés des noms de
mémés de parrains de
petites surs Au cimetière la terre est
bleue la lune blanche à côté d'eux le soir. Tous ALBUMS
INDIVIDUELS Une pensée
d'enfant, un rêve, obtenus par le commentaire de son dessin. « Je veux être marin », Bernard. Idée qu'il
illustre seul sous plusieurs jours à l'atelier qu'il se choisit. « Blanchette », Marie- José. L 'histoire de
son chat malade amené par le pépé en plate dans une île... Une autre l'aide pour
l'illustration. Les histoires
de chacun, développées, illustrées par un ou plusieurs enfants. Et puis il y a
eu la vogue des Petits albums individuels. Mise en page
enfantine. - travail de
collage ; - mise en page
; - en regard le
commentaire, simples graphismes, semblables aux affiches ; - ils agrafent
; - achèvent par
la couverture. H. Robic Quelquefois,
une histoire d'enfants, privilégiée et porteuse de véritables qualités dramatiques
telles que : - comporter un
drame, donc une action qui va se nouer et se dénouer - susciter
l'émotion ; - présenter
des personnages que les enfants puissent imaginer a le don d'émouvoir et de retenir
d'autres petits que ceux de la classe créatrice. Nous en avons
fait l'expérience à Brest avec un album né en décembre 58 dans la classe de J.
Rosmorduc : « Le Petit Prince »
était né d'un commentaire collectif de peintures des enfants de la classe. L'époque, la
Noël, était privilégiée. Les enfants en
avaient été si fiers et heureux que j'avais suggéré à leur institutrice de monter le
conte aux marionnettes (ils ajoutèrent alors un chat et des chevaux). Les enfants
créateurs de l'album et des marionnettes jouèrent donc leur conte à une journée
maternelle organisée en avril 59 pour les institutrices du Finistère. Les enfants d'une
autre école maternelle, incités, furent vivement touchés par l'histoire enfantine dont
voici le texte primitif : « Il
était une fois un château dans un bois avec de l'herbe autour et des murs gris tout de
travers. Tout est de travers dans ce château, les murs, les portes, les fenêtres, les
toits pointus et les cheminées. Ah ! on n'est pas bien dans un vieux château, on risque
de tomber. Tout est de travers. Il faut monter
les escaliers éclairés (c'est la lumière du couloir). La porte est ouverte dans la
grosse tour. Entrons sans clef. Il y a une
grande chambre et tout au fond le petit Prince. Il est mignon, il ne parle pas, ses yeux
sont tristes. Il n'a pas de reine, sa maman, il n'a pas de roi, son papa. Il voudrait
bien qu'on vienne le voir. Il a un beau
costume avec des fleurs dessus et des grandes dentelles qui cachent ses mains. Il a peur
de les déchirer. Il a mis sa couronne à l'envers pour rire et il a mis des plumes
dessus. Et quand même il ne rit pas. Un jour un
clown est venu en vélo dans le bois. Il a cherché le château avec ses jumelles, il a
tourné autour des arbres. Il y a des
arbres qui sont penchés, des arbres où les feuilles font de la dentelle tout autour, des
arbres bleus, et des arbres noirs avec des feuilles jaunes et des feuilles roses ; un
arbre a l'air d'un monsieur avec beaucoup de bras et des boutons sur son costume. Le clown est
entré par la porte ouverte de la grosse tour. Avec sa petite voix, le Petit Prince a dit
: « Tu peux entrer », et le clown
lui a dit un grand bonjour en enlevant son chapeau pointu. Alors ils ont
joué à courir après la petite souris (c'est le clown qui avait pris une glace dans sa
poche). Et puis ils sont partis dans la rue de Siam voir
les étoiles et les sapins, le blanc brillant, la lumière rouge et les branches qui font
comme les ailes des oiseaux. Là, le Petit
Prince a rencontré le Père Noël qui lui a dit : «Relève ta manche et touche un peu ma barbe ». Et le Petit
Prince a ri parce qu'elle était douce. Le Père Noël lui a demandé ce qu'il voulait.
« Un train qui fume quand on tourne la
clé ». Et le Petit Prince a demandé au Père Noël : « Je peux partir avec toi dans le ciel ? »
Alors, le Père Noël l'a emmené avec lui et maintenant il est content. Il a emporté une
petite lumière brillante de la rue de Siam et avec elle il a fait une étoile ». L'année
suivante nous avons, de cette histoire, tourné un film en choisissant comme acteurs des
enfants qui n'étaient pas les créateurs de l'histoire (ceux-ci étant à l'école
primaire). Or, le même plaisir fut pris par ces enfants à la lecture de l'album puis au
jeu avec les marionnettes. En 61, pour
terminer la sonorisation du film, nous faisons appel à une nouvelle équipe d'acteurs :
même constatation. Au cours de ces
2 années, l'histoire a subi des transformations qui vont toutes dans le sens d'un
renforcement de l'action (suppression des passages descriptifs tels : les arbres du bois,
la rue de Siam) et rajout d'épisodes animés (les chevaux, le chat). Nous touchons là au
problème de la communication entre enfants très jeunes, inconnus les uns des autres,
dont la sensibilité vibre de même à l'évocation de sentiments simples et forts. La CEL met à
la disposition des institutrices un grand nombre d'albums d'enfants créés dans des
classes de l'école moderne, illustrés par les enfants de ces classes et qui constituent
une bibliothèque enfantine originale,
répondant dans nos classes maternelles à l'éveil de l'intérêt pour la chose écrite
et surtout à la forme de l'imagination enfantine. Nos petits
s'enchantent de la plupart de ces albums qu'ils feuillètent, regardent, commentent et
parfois lisent seuls. Citons-en quelques-uns particulièrement goûtés : « Gri-Gri et Simonet » ; « Le petit cheval sorcier » ; « La colère de la lune » ; « A la recherche du Père Noël » ; « Le Petit Prince »" ; « Le petit nègre qui voulait voir la mer » ;
« Le petit âne qui ne voulait pas de
barrière. » ( I ) (1) Collection
Albums d'Enfants - liste sur demande à CEL BP 282
CANNES (A-M). |
LES
JEUX DRAMATIQUES
DE L'EXPRESSION
LIBRE CORPORELLE AU JEU DRAMATIQUE
ET A LA FÊTE ENFANTINE De même que la
première forme d'expression des primitifs fut le rythme et la danse, la première
expression enfantine, celle par laquelle le bébé, qui ne sait pas encore parler,
communique avec son entourage est l'expression gestuelle. Gestes des
mains tendues vers l'objet désiré, gestes du corps qui se meut maladroitement dans
l'espace, gestes de la tête qui se penche ou se lève vers l'être ou le bruit, gestes
éloquents dans leur simplicité et déjà porteurs de langage, de désirs de
communication. Les rites et
les danses à caractère magique des peuples primitifs ne témoignaient-ils pas du même
désir de s'approprier le monde, de communiquer avec les êtres vivants et morts par le
moyen d'un rythme envoûtant auquel corps et esprits étaient soumis jusqu'à s'y perdre ? Cependant
chacun de nos petits possède son rythme de vie propre, son rythme naturel, sa respiration
particulière avec laquelle il va vers le monde. Ce rythme nous
le retrouvons dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses uvres, dans sa façon
de parler comme dans ses jeux. C'est à
travers lui que l'enfant va prendre conscience de ses pouvoirs de création et
d'imitation, qu'il va traduire ses émotions, éprouver la vie des êtres et des choses
qui l'entourent. A plusieurs :
au train, à la course, à la bagarre, au papa et à la maman, au coiffeur, au docteur,
etc... En classe, si
l'éducatrice est accueillante, si elle sait valoriser les apports enfantins, les jeux
spontanés s'amplifient et se diversifient. Chacun mime en
les racontant des histoires : « Ce matin le vent me poussait et je reculais et je tournais comme les
feuilles mortes ». « Mon
cochon s'est sauvé dans la lande. Il a poussé la porte de la crèche avec son
museau ». Par le geste,
la mimique, l'enfant s'identifie au personnage invoqué tout en projetant sur l'objet sa
propre personnalité. Ce curieux phénomène de dédoublement, si naturel à l'enfant,
est une véritable expé rience tâtonnée, tout à la fois physique et mentale, d'autant
plus enrichissante qu'elle aide l'enfant à la fois à sortir de lui-même et à se
trouver en tant que créateur de situations nouvelles. Dans le climat
communautaire d'une classe d'école moderne, la première mimique assez fruste s'enrichit
des trouvailles des camarades et de leurs critiques. Lorsque l « histoire »
ou 1'« événement » jaillissent d'intérêts collectifs puissants, lorsqu'ils
sont l'expression de moments de vie profondément éprouvés par la classe entière, de
véritables jeux dramatiques peuvent naître, s'organiser, s'épanouir jusqu'à
l'aboutissement spectaculaire de la fête enfantine. * Nous réservons
à un prochain numéro de la BIBLIOTHÈQUE
DE L'ECOLE MODERNE de nombreuses relations de jeux
dramatiques et fêtes enfantines à base d'expression libre. Ce numéro est en préparation. On pourra lire
également dans ce numéro tout ce qui concerne la méthode naturelle d'éducation
musicale et aussi de nombreuses relations d'expériences. * |
GYMNASTIQUE
NATURELLE
Nos écoles de
ville sont le seul endroit où les petits citadins ont le droit de s'ébattre librement et
nous nous ingénions à leur donner le plus largement la possibilité de prendre des
ébats qui leur sont comme un indispensable souffle. Il y a bien l'escalier à grimper et
à descendre dans les grands immeubles, il y a le trottoir où les petites jambes veulent
courir. Mais la rue est dangereuse, l'appartement doit être silencieux. L'école
maternelle est là, heureusement, où les corps peuvent « vivre », où les
expériences doivent être permises : en dehors de la seule course possible sur le sol
goudronné, le petit enfant a besoin de sauter, de grimper, de se suspendre, de se
glisser... L'aménagement
du terrain de jeux. doit le lui permettre. Alors que le petit campagnard trouve à sa
porte un milieu riche en obstacles de toutes sortes qu'il a la joie de vaincre, nous
devons essayer de recréer pour le petit citadin et le plus près possible de la nature,
ces conditions où son être physique peut s'exercer et se développer. Le matériel le
moins coûteux et accessible pour toutes nous l'avons trouvé avec les pneus usagés que les papas veulent bien apporter
à l'école : ils sont lourds mais tous les enfants veulent les soulever, les transporter
chacun selon ses forces : les bébés les poussent à plat sur le sol, les moyens les
roulent, quant aux grands, leur ingéniosité est inépuisable : le pneu est un bateau
dans lequel bien assis, on rame avec énergie, c'est une porte qu'un camarade tient à la
verticale ; s'il y en a plusieurs, cela fait un tunnel, on saute de l'un à l'autre, les
pieds joints, sur un pied, on passe de l'un à l'autre à grandes enjambées ou sur le
caoutchouc on rebondit, jambes écartées... Quelques
simples installations construites de bois brut équipent le terrain sans gros frais. La balançoire la plus simple est faite d'une longue
planche fixée par un bracelet de fer sur une portion de tronc d'arbre. La pyramide à
grimper est faite de
branches écorcées simplement assemblées : en forme de pyramide à base carrée (1 m2 de
base, 2 m de hauteur) elle comporte sur chaque face 5 échelons régulièrement espacés. Les pas de
géant sont faits de
billots de bois solidement plantés en terre : un tronc d'arbre débité en morceaux de
hauteurs inégales sur lesquels s'exerce l'équilibre. La poutre abandonnée dans
l'herbe offre le même intérêt : on la parcourt d'un bout à l'autre, d'abord avec
précaution puis très vite, hardiment. La poutre
surélevée à 5 cm de
hauteur, soutenue par 2 ou 3 chevrons de grosses branches offre une nouvelle difficulté :
les moins intrépides la parcourent à califourchon tout comme Le cheval
d'arçon conçu
pareillement mais plus court et plus haut. 6o cm de haut pour une longueur de 1.20 m Lui
aussi est fait d'une portion de tronc écorcé. Le toboggan est le plus
important avec sa large planche posée sur 2 échelles doubles (faites aussi de branches)
on y grimpe d'un côté par l'échelle, on parcourt le pont à 1,3 m de hauteur d'un pas
assuré et la récompense est de l'autre côté où un plan incliné permet la
passionnante glissade. Et si un vieux bateau peut prendre retraite sur le terrain
alors que de possibilités offertes aux enfants d'y grimper, de prendre le départ en
tenant le gouvernail ! RYTHMIQUE
NATURELLE Suivant
l'exemple de Fauvette Goldenbaum, nous donnons un meilleur départ à l'éducation
rythmique, un départ très naturel qui permet aux enfants de découvrir très
simplement les rythmes élémentaires que nous leur demandons de reconnaître et de
suivre. Les enfants
rassemblés, la maîtresse invite l'un d'eux à parcourir la salle sous le regard de tous
et elle prend au tambourin son rythme de marche ou de course ; les camarades commentent :
« Il marche vite, il est pressé, il est en
retard ». C'est vrai, allons avec lui, comme lui, et soutenus par le tambourin
qui a suivi le premier enfant, tous marchent et prennent le rythme. Un second propose
autre chose : le voilà déjà parti en sautant et le tambourin le suit. On commente
encore : « Il saute légèrement, d'un pied sur
l'autre... » Et le départ est donné. Ainsi, les
simples rythmes de marche, de course, de saut sont découverts par les enfants sans apport
artificiel de la maîtresse. Le jeu est si rapidement adopté que dès le second jour,
Christian propose : « Je vais marcher comme un
grand-père » et le tambourin martèle la lourde et pénible démarche. Suit
Olivier qui va « comme le chat ». Le tambourin s'adoucit pour suivre la marche
féline. Les jeux d'imitation se succèdent, s'enrichissent chaque jour de nouvelles
découvertes et ainsi se multiplient les possibilités de chacun. Les thèmes de vie les inspirent : on marche comme maman qui
revient du marché lourdement chargée, le jeu entraîne le mouvement, on saute les
flaques d'eau à pieds joints, on marche en flexion pour chercher des coquillages, on vole
comme l'oiseau ailes ouvertes et battantes. La source est inépuisable depuis le lapin qui
saute jusqu'au cheval qui galope, c'est tout un monde en mouvement qui nous fait déjà
danser et oblige les corps à se discipliner. Le moment est
alors venu pour la maîtresse de donner d'autres rythmes : à partir des simples chansons
populaires dont les enfants suivent la mélodie en formations variées : rondes,
farandoles, lignes... Quelques
exercices de ce genre et le disque peut faire son entrée choisi pour sa mélodie bien
rythmée : il est écouté dans le plus grand silence et quand arrive Noël, Mozart et
Vivaldi sont déjà offerts aux enfants décontractés, assouplis par un entraînement
quotidien. |
QUELQUES
EXPÉRIENCES
Il me reste
maintenant à donner la parole à un certain nombre d'institutrices maternelles qui vont
faire ici la relation de journées ou de moments de vie de leur classe. Classes
enfantines et écoles maternelles de ville avec leurs sections de bébés ou de grands,
autant de visages divers offerts avec la plus totale sincérité. ECOLE
MATERNELLE ET ECOLE MODERNE par Hélène Bernard Comme je disais
un jour, à l'issue d'une journée de classe qui s'était déroulée devant des
collègues, que « j'avais emprunté et
empruntais toujours, largement au mouvement pédagogique de l'Ecole Moderne de Freinet », il me fut répondu
que « l'Ecole Maternelle pratiquait depuis
longtemps des méthodes modernes, depuis beaucoup plus longtemps que les écoles primaires
et bien plus généralement qu'elles". Cette réponse
me semble traduire une opinion très largement répandue chez nos collègues de classes
maternelles. Sur quoi repose
cette opinion ? A mon avis sur une confusion qui vient sans doute des sens différents
qu'on donne aux termes « méthodes modernes » et c'est pourquoi je crois
nécessaire de préciser ce que nous entendons par là et plus particulièrement à
l'Ecole Moderne. Ce qu'il ne
faut surtout pas, c'est se laisser leurrer par un aspect extérieur ou superficiel de
modernisation. Ce n'est pas
parce que telle école maternelle bénéficie de locaux modernes avec installations
modernes, salles d'eau, de repos, d'accueil, belles salles de classe, jardin... le tout
bien équipé de mobilier et matériel modernes que nous dirons que cette école est une
« Ecole moderne » au sens où nous l'entendons ici. Ce n'est pas
parce que telle maîtresse fait faire à ses élèves de la peinture sur chevalet avec
peintures en poudres et bons pinceaux, que telle autre réalise des objets de vannerie ou
même de très belles céramiques, que telle autre enfin pratique l'imprimerie, que nous
affirmerons, sans avoir pénétré l'atmosphère de leur classe, que ces collègues
pratiquent des méthodes modernes. Car il faut
bien préciser que, ce qui risque de faire illusion et de prêter à fausse
interprétation à l'école maternelle, c'est l'usage qui y est largement répandu de
matériel sensoriel et éducatif et la pratique fréquente, c'est vrai, de certaines
techniques modernes. Mais nous
affirmons que le matériel sensoriel et éducatif d'une part, si moderne et si riche
soit-il, la pratique de certaines techniques modernes d'autre part, si spectaculaires en
soient les résultats, ne suffisent pas à « moderniser » une classe dans le
sens où nous l'entendons ici et que nous allons préciser. Tout réside dans l'esprit des méthodes employées et dans
l'atmosphère qui en résulte dans la classe. Celle-ci sera
« Ecole Moderne » - si elle a su
laisser pénétrer avec les enfants la vie entre ses murs, en laissant portes et fenêtres
grandes ouvertes sur elle, - si elle a su
éviter que se creuse chaque jour un peu plus le fossé qui sépare l'école de la maison,
- si elle a
supprimé dans toute la mesure du possible l'artificiel, la contrainte, - si elle a su
créer un climat de confiance mutuelle qui permette à l'enfant de s'épanouir, de
s'initier à la vie en société, de partir à la découverte, d'aller chaque jour vers
une prise de conscience plus nette de ses possibilités et de ses responsabilités. * Passons
maintenant des idées générales aux exemples concrets : Imaginons un
lundi matin d'octobre. La maîtresse
est allée se promener la veille à la campagne. Elle a décidé, étant donné la saison
de choisir comme centre d'intérêt : Les feuillages
d'automne. Elle en a fait ample moisson et la présente aux enfants. Dans la journée,
dans la semaine, on observera, on fera des exercices de langage sur les feuilles, les
feuillages, l'automne... On dessinera,
on peindra des feuilles, on s'essaiera à de grandes touches de couleur sur des feuilles
grand format ; un élève qui sera allé lui aussi à la campagne réussira sans doute une
belle peinture ; d'autres exécuteront et décoreront de beaux objets avec des feuilles
d'automne. Bref, on aura très probablement des réussites et l'intérêt sera éveillé pour quelques enfants. Mais peut-on
dire que l'esprit de cette pédagogie soit vraiment moderne, malgré une modernisation
apparente de techniques ? Je ne le pense pas, parce qu'il y a au départ un centre
d'intérêt, un complexe d'intérêts, un thème de
vie choisi et imposé par l'adulte et non par les enfants. Cela permet certes une
préparation suivie de la part de la maîtresse qui ne risquera pas les imprévus, mais
l'intérêt des enfants n'est pas spontané. Il a été imposé, dirigé, et il faut à
la maîtresse beaucoup de virtuosité pour le maintenir parce que le fait d'être imposé
a creusé le fossé entre la vie à l'école et à l'extérieur et que l'enfant se sent
immédiatement tenté de revenir à ses intérêts propres. Par contre, si,
dès le début de l'année scolaire, on s'est appliqué à écouter les enfants raconter ce quils ont vu, ou
fait, ou ressenti, soit à la maîtresse, soit à un groupe de camarades, soit à toute la
classe, si on s'est intéressé à leurs apports
de l'extérieur ( même insignifiants) à
l'école, on pourra bien vite travailler ensemble à un complexe d'intérêts qui ne
sera plus celui de la maîtresse mais celui de toute la classe, choisi, adopté par
l'ensemble des élèves. Cet automne,
une enfant est allée à la Sainte-Baume. On a depuis un mois bientôt l'habitude
d'apporter à l'école toutes ses petites trouvailles qui sont accueillies avec
enthousiasme par la maîtresse d'abord et par tous maintenant. Mireille F. a donc
rapporté du beau feuillage d'automne. On l'a accueilli avec joie parce que c'était
beau, coloré ; parce que Mireille a raconté où et comment elle l'avait cueilli, ses
yeux brillent encore de plaisir et sa voix est animée - et ce récit en a. évoqué
d'autres chez d'autres enfants qui s'animèrent à leur tour : langage, élocution, vocabulaire ; et l'on a voulu
tous voir de près la cueillette, toucher les feuilles, les sentir, les mesurer : exercice d'observation ; on a voulu communiquer
sa joie aux correspondants : texte, imprimerie,
lecture, illustration ; on a compté les feuilles, on les a réparties, on a préparé
les épreuves d'imprimerie et de dessins au limographe : calcul ; enfin on a dessiné et peint
les uns le feuillage, les autres une feuille seulement, et plus tard tel ou tel motif
d'un de ces dessins réapparaîtra dans la décoration
de tel ou tel objet destiné à la fête des mamans, par exemple... Et alors que
l'intérêt, tout neuf encore pour l'actrice principale, commençait à faiblir pour les
autres, voilà que de nouveaux apports
sollicitaient à nouveau toute notre attention, tout notre enthousiasme : branche
d'olivier avec des olives vertes et noires, colis de noix de l'école correspondante, puis
de châtaignes et de nèfles, escargots ramassés par la maîtresse... Car la maîtresse au même titre que les enfants peut aussi apporter ses trésors, mais sans avoir pour
cela priorité (au contraire dirais-je, elle doit savoir s'effacer souvent). C'est un véritable esprit d'équipe, un esprit de
coopération entre élèves et maîtresse qui doit être à la base des activités de la
classe. Je crois que c'est là vraiment l'esprit de la pédagogie de l'Ecole
Moderne, la modernisation du matériel et des techniques n'étant qu'un moyen, jamais une
fin. L'Ecole
Maternelle a donc beaucoup plus à apprendre du mouvement pédagogique de l'Ecole Moderne,
que certains ne le pensent. Hélène
Bernard Maternelle
Roucas Blanc, Marseille *
CLASSE
ENFANTINE DE NIVOLAS-VERMELLE (Isère) C'est mon
expérience de débutante que je vais essayer de te raconter ici, camarade qui comme moi
as peur de faire ce premier pas qui semble si difficile. Je ne te parlerai pas des
diverses techniques que t'expliqueront bien mieux les plus « chevronnés »
et dont tu as pu te faire une idée au Congrès ou à travers les rubriques de L'Educateur (lis et relis-les ainsi que les
numéros de la REM, tu en retireras un grand
profit). Ce que je désire plutôt te dire c'est que moi aussi j'ai eu peur - très peur -
et que bien souvent je demeure hésitante tant est encore imprimée en moi la marque d'une
éducation autoritaire. Lorsque je suis
arrivée dans ce village où je vis depuis un an et demi, j'étais absolument affolée à
l'idée de prendre en main une classe enfantine (3 à 6 ans), moi qui n'avais fait aucun
stage avec des « petits ». Bien avant la rentrée j'avais
« potassé » des cahiers pédagogiques de toutes sortes et j'avais essayé de
trouver dans la classe qui allait devenir « ma » classe, comment, avant moi,
pouvaient bien vivre ces gosses qui allaient m'être confiés. Comme moi tu as
peut-être découvert dans un placard une pile de livrets de lecture qui servaient, année
après année, à « l'initiation à la lecture et à l'écriture » des
petits. Comme moi tu t'es peut-être sentie toute timide devant cette méthode qui,
semblait-il, était sûrement efficace. Alors tu n'as pas osé laisser ces livrets dans
leur coin et tu as appris à tes enfants comment ch et
a faisant cha, etc... on arrivait à former chaperon puis rouge. Et voilà, la
peur de ne pas trouver ailleurs un appui solide m'a obligée à continuer ainsi, jour
après jour, presque jusqu'à la fin du 1er livret. Je m'ennuyais,
les petits ne s'ennuyaient pas... pendant les dix premières minutes ! Alors j'ai décidé
de faire le grand pas. Et j'ai tout laissé tomber : les livrets, les b.a ba, les tampons à colorier et comme C.
Berteloot me le conseillait tout au long de ses rubriques dans L'Educateur j'ai regardé, je me suis efforcée de
regarder vivre et d'écouter les enfants. Alors sont arrivées à flot leurs petites
« histoires » que nous choisissions ensemble pour écrire et dont nous
faisions un album à la fin de chaque mois. C'était écrit à la main, par le plus habile
à copier et je me sentais déjà plus à l'aise. Je suis devenue
adhérente de mon groupe E.M. régional et j'ai glané çà et là tous les conseils dont
j'avais tant besoin et surtout le courage. J'ai parlé à une collègue de mes rêves et
projets, et peu à peu c'est ensemble que nous en avons fait puis réalisé. J'ai obtenu
une imprimerie, j'ai créé avec ma collègue une coopérative pour nos deux classes,
ainsi qu'un Journal dont le 4e numéro va paraître dans quelques jours. Et si
tu savais combien je suis heureuse maintenant ! Chaque matin, mes petits
m'apportent leur VIE. Nous écrivons, composons, illustrons. Il faut compter les feuilles
pour l'imprimerie, savoir quel jour nous sommes, compter les absents et présents pour
distribuer le matériel, etc... Et l'après-midi la classe est partagée en ateliers :
découpage-collage pour les tapisseries, craie d'art, stylo-feutre, crayon, peinture,
marionnettes, imprimerie. Et lorsque j'ai vu Daniel refuser de sortir en récréation pour
finir à tout prix sa grande peinture, et Caroline tenir contre sa joue sa marionnette et
lui parler tout bas, j'ai su qu'eux aussi étaient heureux. Tu le vois je
suis une débutante : tout ce que l'on fait dans les maternelles de si beau, je ne l'ai
pas encore réussi. Mais il y a l'espoir. Au Congrès j'ai trouvé des correspondants pour
mes petits. Vite à mon retour nous leur avons écrit et crois-moi l'attente du premier
courrier est fébrile ! ... Dans quelques
jours j'aurai des plaques de verre et je pourrai ainsi proposer à mes petits une nouvelle
activité : le monotype. Et puis je vais acheter du tissu pour les faire broder. Et puis
encore... Oh ! j'ai des foules d'idées. Malheureusement notre coopérative est très
pauvre encore. Quand
aurons-nous le magnétophone dont je rêve, et devant lequel jailliront peut-être des
chants aussi beaux que ceux que nous écoutons sur les disques de la CEL ? Il y a tant,
tant de choses qui manquent et qui amélioreraient énormément la vie de ma classe ! Mais,
crois-moi, si tu aimes tes petits et si tu veux bien les accepter comme ils sont, leur
donner des droits. des responsabilités, ta confiance en un mot, alors c'est que tu es sur
le bon chemin car les enfants t'emmèneront eux-mêmes là où est la VIE. Courage donc,
tu as des petits enfants c'est notre grand privilège. Ils sont neufs et pas encore
abîmés par la scolastique. Accueille ce trésor qu'est leur spontanéité et donne-lui
tous les moyens de s'épanouir. Si tu es dégoûtée des méthodes autoritaires n'aie pas
peur de te lancer. C'est le premier pas qui coûte le plus. Lis Freinet et tu y trouveras
l'esprit qu'il faut acquérir avant tout souci de techniques à connaître. Laisse tes
enfants s'exprimer et vivre et alors « le soleil brillera ». Mme Suzanne
Charbonnier CLASSE
ENFANTINE Saint-Martin
d'Estreaux (Loire) St-Martin est
un gros bourg dont la population est partagée en deux groupes : l'un qui fut le plus important mais qui diminue
progressivement, se compose de paysans assez aisés dans l'ensemble ; l'autre qui est
en plein essor se compose d'ouvriers modestes. Il y a en effet
dans le village même plusieurs usines de bonneterie et de confection, ces usines occupent
surtout des jeunes filles et des femmes. Ainsi la
population qui était rurale à l'origine évolue vers une vocation ouvrière urbaine. C'est ce qui
explique l'augmentation des effectifs de la classe enfantine, qui autrefois (il y a une dizaine d'années) comportait une
cinquantaine d'élèves y compris ceux du CP, et qui maintenant sans le CP en compte
presque autant. En effet les
mamans gardaient volontiers leurs petits enfants à la maison et ne nous les confiaient
qu'à cinq ans ; maintenant, pour améliorer le salaire, elles vont à l'usine ou prennent
du travail à la maison, elles nous les amènent à 3 ans (2 ans 9 mois pour les plus
jeunes). Les locaux
scolaires sont anciens quoique bien entretenus et la classe enfantine est la plus mal
exposée (au nord), la moins accessible (au fond du couloir qui dessert les autres
classes), mais elle donne sur les jardins et nous pouvons facilement sortir l'été dans
une courette indépendante. Il n'y a aucune
dépendance : pas de préau séparé, pas de salle de repos, pas de WC indépendants. Les
lavabos communs sont dans le couloir qui doit rester silencieux puisque « les
grandes travaillent » dans les classes voisines. Le mobilier
n'est pas particulièrement moderne : tables avec bancs attenant en chêne, donc lourdes
et encombrantes. Récemment nous avons acheté deux tables ovales avec des chaises. Une
armoire et des étagères très étroites complètent le mobilier. Au mur, les classiques
tableaux et des lattes permettant d'accrocher nos uvres. Mais ce qui me
gêne le plus, ce sont les portemanteaux plantés dans le mur tout autour de la classe.
Il n'y en a pas assez pour tous les enfants mais ils sont là, immuables. Je ne puis les
faire enlever, où les enfants mettraient-ils leurs vêtements puisqu'il n'y a pas
possibilité d'installer un vestiaire à l'école ? Je m'en accommode donc. J'avoue
avoir eu beaucoup de mal à installer ma classe, et je ne cesse de tâtonner. Voici où j'en
suis actuellement (5e année d'expérience). Sur mon bureau (au fond de la classe et
sans estrade) j'ai disposé la casse, près de mon bureau, trois tables : sur l'une se
trouve la presse, sur l'autre le limographe, sur la troisième les plaques pour les
monotypes, dans les tiroirs de ces tables : tubes d'encre chiffons, essence, séchoirs. Une table ovale, près d'un panneau bas
transformé en tableau, constitue le coin des petits ; ils ont en outre à leur
disposition des nattes pour le repos, « une boîte à trésors » et savent où
trouver dans les étagères le matériel dont ils ont besoin (stylos de couleurs, crayons
à pointe feutre, ciseaux, colle, papiers...) Six tables
groupées face à face constituent le coin des moyens où nous installons l'après-midi
les ateliers d'encre de Chine et de craie d'art. Enfin
« le coin des grands » ressemble un peu à une classe, tables alignées face
au tableau. Mais les enfants en font vite trois ou quatre ateliers en disposant des
plaques de lino et en employant 2 bancs, pour une seule table ( « Gérard va s'asseoir à l'envers pour m'aider à
agrafer mon lion », dit Jean-Luc). Il reste, au
centre de la classe, une table ovale. Elle est réservée à la peinture et toujours à la
disposition des enfants. L'estrade que
j'ai supprimée sert en fait de table à modeler (argile) et reste placée devant le
tableau pour permettre aux enfants d'y aller dessiner quand ils le désirent. En résumé ma
classe est conforme à toute classe rurale non conçue pour des tout petits, assez
vétuste, mais point désagréable, pour peu qu'on essaie chaque année de l'améliorer.
Les journées ne s'y déroulent pas suivant un rythme immuable, il en est de plus
marquantes à cause d'une belle peinture, d'un peu de poésie ; de plus ternes aussi, mais
jamais nous ne nous ennuyons ensemble : mes petits et moi formons une famille et chaque
matin je recueille une moisson de dessins ou d'histoires. Journée du 10 mars : Aujourd'hui
l'attention est captée par un beau dessin exécuté au tableau par Betty (501). « C'est la jolie jeune fille du printemps »,
dit-elle. Nous parlons
beaucoup du printemps ces jours-ci. Chaque jour les petits venus des fermes nous annoncent
la naissance des chevreaux, l'éclosion des poussins, ceux du bourg apportent des
primevères, des violettes. Nos petits amis de Trégastel nous ont envoyé une lettre de
printemps, véritable herbier, où nous avons reconnu les chatons, la jonquille, la
ficaire. Même les plus petits s'approchent pour voir « la jolie jeune fille. » « Elle a
rencontré le soleil », dit Domi et
Betty ajoute : « Son petit cur chante »,
car Betty aime à entendre « chanter » son petit cur (elle vient près de
moi et pose sa main sur son cur et sent le tic-tac). Gérard met sa main sur son cur,
on l'imite (ce n'est pas la première fois que cette expérience a lieu) « Tiens, ça fait tic-tac ». Et voilà notre
texte : « La jolie jeune fille du printemps a rencontré le
soleil. Son petit cur
chante tic-tac, tic-tac ». Presque tous
les enfants demandent à lire cette histoire (même Martine, 4 ans), mais certains restent
en dehors. Georges dessine
sa maman et son papa et sa maison Monique aussi, Nicolas fait le portrait de son chien
Jupiter et Corinne préfère envoyer à son correspondant son histoire à elle. Tandis que
Betty, Frédéric, Gérard et Michèle composent le texte à l'imprimerie et que des
groupes se forment pour dessiner la jeune fille du printemps (encre de Chine, stylos,
crayon à pointe feutre, peinture) les grandes filles copient le texte sur une belle
feuille. A la fin de la journée tous les enfants (les petits exceptés) l'ont copié,
certains seuls, d'autres à l'aide d'un modèle (qu'ils viennent solliciter, certains
précisent qu'ils veulent écrire « en accroché » c'est-à-dire en anglaise).
En fin de
matinée, Gérard s'aperçoit que nous avons oublié le calendrier, il est fier de nous
annoncer que nous sommes « mardi 10 mars ». Comptons-nous. grande section : 9
filles, 4 garçons, cela fait 13 ; chez les moyens, il y a : 5 filles et 3 garçons, cela
fait 8 ; et chez les petits : 4 filles et 1 garçon, cela fait 5 et 26 en tout dit
Dominique. Ce soir nousS ajouterons encore les moyens et les petits qui viennent
l'après-midi. Frédéric a une histoire de calcul à nous raconter, il l'a dessinée ce
matin : « Pour manger mon gâteau
d'anniversaire il y avait nous six ( papa,
maman, ma sur, mon grand frère, le bébé et moi), mes deux pépés et mes deux mémés, mes deux tontons,
mes trois tatas et ma marraine ». Que de façons de compter cela ! Depuis la simple énumération (dessinée par Jean-Luc) jusqu'à la véritable élaboration mathématique réalisée par Andrée (6 ronds et 4 ronds constituent la dizaine à laquelle elle ajoute 2 ronds et 3 ronds et encore un rond, ce qui fait 16) Comme un rayon de soleil chassait l'ondée, nous sommes vite sortis dans l'herbe encore humide, nous avons cueilli les primevères pour ne pas les écraser en dansant. Et puis les
enfants se sont groupés par ateliers. Frédéric,
Gérard et Hélène se sont installés pou terminer leurs marionnettes. A la table de
peinture il y a Jean-Luc, Andrée, Pascale, les deux petites Martine qui peignent des
oiseaux et des soleils. Betty peint ; la verticale (au tableau) une demoiselle du
printemps. Corinne a disposé l'atelier d'encre de Chine, où elle travaille en compagnie
de Christian, Serge et Alain-Noël. L'atelier de stylos et de crayons-feutres réunit
Anne-Marie, Catherine, Pascale, Serge et Annick. Catherine, Ariane, Dominique et Jean-Claude
impriment. Monique, Christiane, Nicolas découpent. Georges et Christian écrivent et
dessinent pour leur correspondant. Je vais
d'atelier en atelier, aidant les enfants qui me le demandent (mais ils préfèrent en
général l'aide d'un camarade). Les imprimeurs
sont fatigués, Ariane va dessiner au tableau, Pascale prend sa place. Alain-Noël, qui a
terminé son encre de Chine découpe des chèvres et les groupe dans un pré. Gérard fait
danser sa marionnette pour un groupe d'admirateurs. Mais cela se
fait sans désordre. Il y a du bruit bien sûr, surtout en cette fin de trimestre, mais
« c'est un bruit de ruche » quelquefois dérangé par les éclats de rire
aigus de notre Michèle malentendante (en traitement d'ailleurs, car les parents sont
enfin convaincus de sa surdité, non sans mal d'ailleurs). Voici l'heure
de la récréation, nous n'avons pas vu le temps passer puisqu'il est quatre heures moins
le quart. D'ailleurs quelques enfants restent pour terminer leur travail (en particulier
Hetty, Ariane, Corinne). En rentrant je lis (ou plutôt raconte en montrant les gravures)
l'album « L'Enfant-Soleil » édité par la CEL et c'est l'heure du départ. Yvette Bermon |
ECOLE
MATERNELLE DE VILLE Classe des
bébés (2 à 4 ans 112)
- Brest (Finistère) Dans cette
école neuve, aux locaux vastes, clairs, avec une cour magnifique, des pelouses, les
bébés sont vite à l'aise et prennent rapidement des habitudes d'ordre et même pour les
aînés quelques responsabilités (rangements divers). De nombreux
dessins : graphismes, peintures, découpages, collages sont réalisés : poupées,
bateaux, avions, fusées, hélicoptères (nous sommes près de l' aérodrome), animaux,
soleils, etc... Pour chaque
enfant, je constitue un dossier où sont rangés
et datés graphismes commentés, dessins, peintures, découpages, collages. Les enfants de
4 ans écrivent sous leurs dessins leur prénom et un mot commentaire et chacun reconnaît
maintenant son prénom. Nous imprimons
ces quelques mots et les aînés ont plaisir à feuilleter leur petit « Livre de
Vie ». Nous souhaitons les anniversaires et la vedette du jour reçoit un bouquet et
un gâteau avec trois ou quatre bougies qu'il faut allumer et éteindre. Nous fêtons le
carnaval, les rois, Noël. Nous avons
aussi des « petits amis » loin, loin, dans le Jura à Dole. Je n'avais plus
l'intention d'avoir des correspondants, je trouvais ces petits trop jeunes, mais une
camarade amie voulait recevoir des cartes, des objets de la mer, entendre parler de la
mer... N'ayant pas trouvé de correspondante ayant des enfants plus âgés, c'est à moi
qu'elle a envoyé son premier colis avec des « papillotes » de Noël, des
dessins, deux cigognes en pâte à papier sur un nid, un canard. L'envoi venait de toute
l'école (des petits aux grands). Les miens ont donc été très gâtés : deux grosses
« papillotes » à chacun, une mangée à l'école et l'autre apportée à
maman. Ils ont l'air d'avoir « compris » et le lendemain on faisait des
dessins et des « lettres » pour les « petits amis », même Christian, 2
ans 1/2 ne faisait plus de dessins pour maman ou la maîtresse, mais pour
« zamis » (il commence seulement à parler). Et Marcel (4 ans) qui a offert
spontanément son bateau (en récréation, dans la salle au lino très glissant, c'est la
mode actuellement de fabriquer avec des chutes de bois des bateaux à voiles). Il a peint
son bateau, puis avec de la pâte à modeler qu'il avait dans sa poche, il a fait un petit
marin et son bébé et Alain y a ajouté un drapeau (papier collé au bout du mât).
Depuis, pour Pâques, les enfants ont envoyé aux petits des médaillons (coquilles de
pétoncles percées et peintes). Nous avons
réalisé un album avec les graphismes d'Alain : « Le crocodile », puis avec ceux
d'Yves : « A Alger, à Bordeaux » (hélicoptères, bateaux, auto, train).
Cathy dessine aussi de belles fleurs, des maisons, on en fera aussi un album et surtout,
depuis Pâques, j'ai une enfant extraordinaire, Marie-Françoise, qui aura seulement ses 4
ans fin juin ; je l'ai tout de suite remarquée : elle dessine des chevaux surtout et
diverses sortes d'animaux avec des attitudes ! (mouvement de course des jambes : 2 devant,
2 derrière, tête retournée pour regarder le ciel ou son copain derrière, selle,
étriers...) et des commentaires intéressants. Marie Françoise a commencé son album, il
sera beau. Elle aussi chante, improvise surtout après avoir entendu la BT Sonore : Joies.
C'est joli (j'ai noté les paroles) ce qu'elle chante et aussi ce qu'elle joue sur l'Ariel (elle l'a tout de suite remarqué dans un
coin de la classe). Ce serait bien utile et agréable de posséder un magnétophone ! Sur deux
couvertures (de petits lits de repos) en toile de jute, une rouge, une bleue, Yves et
Marcel (4 ans) ont cousu des galons suivant des dessins : le sapin de Noël de Philippe,
la coccinelle d'Alain, le bateau de Daniel et Yves y a ajouté un gros soleil. Sur la 3e
couverture, jaune, Cathy a dessiné de grosses fleurs, Yves et Marcel des oiseaux, Martine
une petite fille ; elle sera bientôt finie. Pour le
rangement du matériel collectif, des « responsables » se débrouillent bien
: Yves, Marcel, Cathy, André trient, rangent et taillent les crayons de couleur (nous
avons une bonne machine à tailler les crayons). Ils trient par couleurs (12 dans chaque
pochette et ils savent trouver s'il en manque, je leur ai appris qu'il faut IIII IIII IIII
pour avoir le compte : initiation au calcul). On ne perd jamais un crayon. Le bac à sable dans la classe : pas de dégâts ;
Josiane, Martine, Marcel ramènent le sable avec le balai et remettent le mieux possible
le sable dans le bac. A la sortie, cest presque propre. Le matériel en
bois. J'ai eu d'abord
des chutes de bois de menuisier de toutes formes et dimensions, bien appréciées, puis du
Centre d'apprentissage des parallélépipèdes de mêmes tailles, des triangles
équilatéraux, isocèles (que de jolies choses on construit ! des étoiles, des
bordures...) Enfin, à Pâques, au Congrès, tout un lot
de bois bien taillés, pouvant s'encastrer, s'attacher, des petites roues... Depuis,
tout le monde se passionne aux jeux de constructions : on fabrique bateaux, avions,
voitures, fusées, dames, enfants... Nous avons aussi
des restes de vieux jeux de constructions, de cubes (cadeaux d'enfants plus grands), des
plaquettes-échantillons de formica, des bobines vides de pellicules de photographes...
tout cela est trié et rangé dans des cageots à huîtres peints par les enfants. Rien ne
traîne quand les jeux sont finis. Les poupées. Je n'en avais
pas, mes anciennes élèves d'école primaire m'ont fait cadeau de vieilles poupées ;
j'en ai de toutes sortes, je les ai arrangées, habillées (les enfants peuvent les
déshabiller), je leur ai confectionné des lits (boîtes de chaussures recouvertes de
tissu avec volants) matelas, oreillers, draps, couvertures... et l'on est bien occupé dans ce coin. Plantes. Nous avons eu une
jacinthe, des boutons de jonquilles que nous avons vu s'ouvrir, des tulipes plantées en novembre dans un pneu, elles
poussent en ce moment, nous en avons deux belles rouges. Nous cueillons les pâquerettes,
les pissenlits des pelouses, que de beaux bouquets pour la classe ou pour maman ! Animaux. Trois grenouilles dans un aquarium, elles se cachent
parfois dans l'eau, mais elles viennent souvent à la surface, sur le gros caillou. Nous
les avons attrapées sur la pelouse. Les serins : un papa titi,
une maman fifi, elle vient de pondre un uf. On les soigne, on lave les mangeoires
qu'on remplit de graines (travail d'André, de Gilbert 3 ans 1/2), on apporte de la maison
sucre, biscottes et même on sait à présent trouver dans les parterres et au bord de la
route le mouron si apprécié des serins ; tous les jours, quelqu'un en apporte. Dehors depuis Pâques,
lorsque le temps le permet, on s'amuse bien car les papas (presque tous gendarmes, car
nous habitons près de la caserne) pendant leurs loisirs sont venus nous faire des
installations superbes : balançoires, toboggan, pyramides, cheval d'arçon... que l'on
est heureux ! On a pris de
bonnes habitudes partout ; on commence à bien se débrouiller pour l'habillage, le
déshabillage. Depuis Pâques,
j'ai 39 inscrits, 30 à 35 présents (2 ans à 4 ans, la plus âgée est Cathy à présent
4 ans depuis décembre, quelques-uns nés en octobre et novembre sont allés dans la
grande classe) tout va bien malgré l'arrivée de quelques nouveaux. Quelques pleurs, vite
passés ; dans la classe où ils voient les autres occupés dans divers coins, les
nouveaux s'adaptent vite, ne sont pas dépaysés et trouvent eux aussi une occupation.
Seule, une petite de 3 ans 1/2, Catherine, a mis près de 2 semaines à s'habituer, elle
ne dérangeait pas, mais ne voulait pas s'asseoir, enfin elle vient de se décider et la
voilà heureuse, elle aussi. Mme Menez Pontanézen Brest |
CLASSE DE
GRANDS ÉCOLE
MATERNELLE DE VILLE Liévin
(P-de-C) Nous occupons,
à la périphérie d'un centre minier, l'école
d'un quartier déshérité, dont les habitations à l'origine « provisoires », avec
tout ce que comporte de précaire et de pauvre cette appellation, durent, certaines depuis
trente ans, les plus récentes étant les baraques ayant servi aux prisonniers allemands
en 1944. Entre ces deux zones, les longs corons, aux rues étroites, souvent sans soleil,
à l'horizon barré par le terril tout proche. Notre école
bâtie il y a dix ans aussi, « d'urgence et provisoire », s'affaisse et se lézarde
de partout... C'est là que
vivent 230 élèves et leurs 5 maîtresses : 2 cours préparatoires et 3 classes
maternelles. J'ai la classe des 5 à 6. Les petits
viennent en classe dès leur 2ème année : « C'est
tôt ! » hé oui ! mais il n'y a guère de place à la maison pour s'étaler
librement, il n'y a guère de familles de moins de 4 enfants, il n'y a guère de repos
et de détente pour la mère dont le premier souci est de pouvoir boucler « la
quinzaine », et le père rompu par sa journée de travail à la mine (quand il ne
travaille pas de nuit) n'a guère le ressort nécessaire pour s'occuper de ses enfants. Si
bien que nos petits trouvent à l'école en dépit d'un handicap social certain, une
atmosphère particulièrement favorable, un climat aidant au maximum l'éclosion de leur
personnalité. Ils traduisent tout ce qu'ils ressentent avec intensité, marquant le
travail de chaque jour du cachet de leurs émotions extériorisées à tous moments et
sans contrainte. Aussi est-il difficile de réglementer, d'inscrire dans le cadre rigide
d'un emploi du temps, toute l'exubérance de ces jeunes vies. La vie, avec sa
banalité quotidienne est le support essentiel de la ligne émotionnelle et pédagogique
de chaque journée. Un rayon de soleil, rare, précoce, mais si lumineux est venu troubler
la grisaille de février, et réchauffer l'atmosphère de notre classe, chacun l'enfourche
et c'est avec le soleil que se passe la journée. C'est avec le
soleil que chacun danse ce matin (à l'heure de gymnastique dit l'emploi du temps).
L'école de ville à 5 classes a ses exigences et il nous faut occuper le préau à tour
de rôle, c'est avec le « Soleil
Jean-Marie » que « Martine la fleur » danse le printemps. C'est encore
le soleil qui éclate dans le sourire de Patricia, notre danseuse étoile, qui scintille
sur le sabre de René « soldat du Soleil », dans les yeux de nos
« filles-fleurs ». Il nous
accompagne « dans la classe ». Le voilà inclus dans toutes nos activités. On
surprend son éclat partout. Il nous attend aux ateliers et les soleils naissent sous des
mains extraordinairement dynamiques, sous la plume, dans les monotypes, dans les
crayonnages à la peinture, aux stylos-feutres, à la terre... -
Moi je voudrais écrire, dit Thérèse, sur le soleil. -
Que veux-tu écrire ? -
Le soleil brille, les enfants dansent, les enfants
rient. J'écris le
texte au tableau. Thérèse n'est pas seule à copier. Peu à peu, chacun s'installe à
l'atelier d'écriture... Pourtant Chantal veut écrire une histoire à elle qu'elle va
illustrer, que je vais d'abord lui écrire au stylo feutre sur un dépliant qu'une fois
terminé, elle exposera et lira à tous ses camarades, au tableau. Nicole: Moi je compose l'histoire de Thérèse pour les
correspondants. Trois autres
l'accompagnent à la casse. Joëlle : Moi j'imprime, même des feuilles glacées qui coûtent
cher, en attendant on termine le tirage de la veille. Au coin d'eau, René, indifférent à l'activité des
autres, mesure de l'eau, dans la bassine, dans
le litre, dans une bouteille, de temps en temps il vient me dire : - Il y a 4 petites
bouteilles dans le litre. La petite boîte c'est pareil
que la petite bouteille. Au coffre à habits, Martine vêtue d'un long jupon,
d'un vieux chapeau, armée d'un grand panier, se prépare à faire ses emplettes à
l'épicerie, elle établit sa liste de commissions... Antoine, à la menuiserie, fabrique un camion. Midi arrive
très vite. L'après-midi nous ramène aux ateliers, et l'atelier d'écriture fonctionne
activement. Il faut dater nos
uvres. Un court instant d'arrêt, Muriel indique la date au calendrier, et le
travail repart de plus belle jusqu'à 15h30, l'heure de la récréation. Vite on range,
on remet tout en ordre, et l'on se groupe autour de moi, apaisés, détendus. C'est l'heure
où l'on récapitule le travail du jour, où l'on expose ses expériences d'eau, ses
emplettes, où l'on apporte et examine des
documents, élargissant un texte libre, complétant nos connaissances sur tel animal,
telle plante, tel phénomène. C'est l'heure où l'on parle des correspondants. Quelle bonne
journée ! il faut leur raconter. Et nous revoilà à cheval sur le soleil, et lon
raconte avec fougue, avec passion. Je laisse jaillir lexplosion et alors, seulement
alors, patiemment je rectifie les incorrections, je fais préciser certains termes de
vocabulaire, non pas dun vocabulaire recherché, mais seulement la précision de lhumble
langage familier, autre pauvreté de notre milieu
Martine,
toujours en mouvement (chez elle, ils sont 6 dans une seule pièce) se dirige vers le
couloir. - Oh ! Madame, viens voir le soleil est encore là. Comme une
flèche, une « barre de poudre d'or » traverse l'obscurité du couloir et
vient faire flamboyer Martine qui s'essaye à marcher dessus... - Regarde Madame comme elle est belle, « on voit
sauter des points de lumière dans ses yeux »... Brusquement
« la barre d'or » s'éteint. Nous courons à la porte, le soleil s'est
enfoncé dans le terril... Nous revenons
un peu éblouis, dans la classe assombrie, heureux, détendus, et Patricia chante. Quelle
belle journée ! Il va falloir raconter aux correspondants ! Demain ! Déjà la
journée de demain se dessine, peut-être sans soleil (il est si rare chez nous à cette
période de l'année) mais gardant le reflet de l'illumination de la précédente. On va raconter,
on va illustrer, on va écrire, on va composer, on va faire un album pour les
correspondants. Et de nouveau
l'aventure de vie recommence. Et les journées se succèdent exubérantes ou calmes, mais
toujours intensément remplies par chacun, et par moi-même, attentive à suivre le plus
près possible, la ligne mouvante de ses intérêts premiers. Mme C.
Berteloot Ecole maternelle
Vieux-Calonne Liévin
(P.-de-C.) |
CLASSE DE
GRANDS (5 à 6 ans) Perpignan (P-O) Il y a comme
cela des journées et des semaines toutes simples. Des journées si imprévues et si
riches parfois qu'on a l'impression le soir que l'on vient de vivre un moment unique avec
nos tout petits. Des journées
toutes simples il y en a, et il peut y en avoir pour toutes les maîtresses d'école
maternelle. Grâce à la correspondance interscolaire dont l'intérêt réside dans
l'élan de sympathie et de curiosité qu'elle fait naître, j'ai pu, cette année, vivre
des journées merveilleuses. Cette joie de
faire plaisir, liée à l'admiration du travail d'autrui, nous a permis, en faisant.à ces
échanges une très grande place dans la vie de la classe, de travailler comme de vrais
grands. Ce travail n'a
pas été dès le début un travail suivi, il l'est devenu, et par la suite, Son intérêt
a grandi, voici comment : 5 Novembre : Un colis arrive
de Boucau (Basses-Pyrénées). Je branche le magnétophone afin de fixer pour moi et pour
les petits de Boucau toutes les composantes d'une émotion et d'une joie collectives. Une lettre
collective. « Dis-nous ce quil y a, toi qui sais lire » demande
Claire. - On nous raconte la vie du bateau-pilote du port de
Boucau. Des dessins de
bateaux. Une carte du
port de Boucau avec le bateau
pilote. Des
diapositives du port de Boucau Un texte pour
chaque enfant. La joie de mes
petits est grande. - C'est comme chez nous à Port-Vendres ? Nous aussi on a un port, mais y a-t-il un bateau pilote
? Michel va
demander à son papa. Texte reçu de
Boucau : Le Patrick c'est le bateau de mon papa. Jean-Luc Le texte est
déchiffré presque intégralement. Il y a un Patrick
dans la classe et il est tout heureux qu'un bateau s'appelle comme lui. Mot inconnu :
Bateau. Le texte est
très vite illustré, aux stylos feutre, et des bateaux aux mille couleurs se mettent à
danser sur les feuilles blanches. Une équipe écrit, une autre découpe des bateaux en papier, une autre
recherche des BT sur les bateaux, une autre
ouvre une discussion sur le paquebot France. J'écoute : - Les bateaux c'est comme les gens. - Il y en a des grands - Il y en a des petits - Le bateau pilote c'est petit. - Mais le paquebot France c'est grand. - Grand comment ? - Comme l'école. - Tu crois ? Deux jours se
passent... C'est la foire à
Perpignan, les petits ont dû y aller hier, jeudi. La discussion du matin s'oriente sur
les manèges et : A la foire Il y a le
manège Des bateaux De Boucau. Guy -
Les bateaux de la foire ressemblent aux bateaux de
Boucau, dit Michel, et çà s'écrit pareil :
bateau, Boucau. -
Tiens, dit Marc, c'est drôle, moi, au je l'écris pas comme çà (Il vient au tableau et
écrit : o). - Dans bateau, j'entends "" eau » comme
l'eau à boire, pas celle de la mer où nagent les bateaux... dit Michel. Marc: je crois
que je sais écrire auto : oto Sylvie: moi je l'écris comme ça : eauto Henri: et moi : eautau Jean : moi : otau Pierre: moi : oteau Luc: moi : auteau Enfin on
cherche et dans une Gerbe on trouve auto.
Quelques enfants commencent une petite phrase avec le mot auto. Le soir, Roger
arrive, heureux, le visage épanoui : - Voilà, dit-il, je vous apporte le France, le plus grand bateau du monde et c'est vrai, mon papa
l'a dit : il l'a vu sur le grand journal en
couleurs. On admire une
double page en couleurs de Match. - Celui-là, il est un peu grand (Didier). - Combien de
mètres ? Tu sais toi, maîtresse ? (Philippe). Elle ne sait pas
la maîtresse, alors comment faire ? On va demander à nos papas pour demain et on
cherchera d'autres images de bateaux. Le lendemain :
lundi. Marc est
heureux : il a tellement parlé des bateaux à la maison qu'on l'a conduit à
Port-Vendres. On le charge de
nous faire une petite conférence sur les bateaux. Il a vu des
bateaux : - les petits - les grands - avec des
moteurs - avec des
bâtons et du tissu - ceux des
pêcheurs - ceux qui
portent des gens. - Le bateau du papa de Jean-Luc, c'est une vedette (Claire).
- On parle de
hors-bords (Didier). - Des paquebots (Guy). - Des sous-marins (Marc). - Des croiseurs (Jean-Pierre). Autant de mots
nouveaux s'ajoutent à la liste des noms de bateaux. Mais les petits
sont intrigués par la longueur du France. - Le commandant, il le sait lui, il pourrait nous le dire
(Henri). - C'est vrai, au fond, pourquoi pas ? Une lettre
collective va être adressée au commandant du France,
à la Compagnie maritime du Havre. Quelle belle lettre ! - riche
d'écriture ! - riche de
graphismes ! - riche de
bateaux ! Notre album
bateau s'enrichit. Ce matin, il se
pare d'une jonque chinoise et d'une pirogue indigène. Quelle joie, ce
matin ! une grande enveloppe avec le tampon du Havre et un bateau dessus. La Compagnie
maritime nous répond. Vite ! Une collection de gravures splendides, des
paquebots qui assurent la liaison Le Havre-New York. Puis réponse à nos questions. Le France mesure plus de 30O mètres. - Il est drôlement grand, dit Marc. J'écris 300 mètres au tableau. - C'est plus grand que la cour tout çà, avec un 3 et deux zéros (Edith). -
Il peut pas tenir dans l'école, il nous la casserait (M.Th)
-
Dans la rue, alors ? (Philippe). - Oui, mais jusqu'où ? (Olga). - Ma maison, ou celle de Jacquie ? On va mesurer,
Monsieur Bonet (Ecole de garçons) nous prêtera bien la chaîne d'arpenteur. On mesure, on
évalue, on discute. - Il est peut-être plus large que la rue. - Peut-être que la cheminée du France dépasserait l'antenne de télé de Marc. - La mer irait peut-être en plein dans le jardin de
Véronique. - Une mer dans les fleurs ce serait beau. - Mon papa a dit que tous les gens ont une petite maison
sur le bateau. - Ça fait beaucoup de maisons : peut-être toutes celles de la cité. Et quand les
petits veulent parler du France, ils disent : - Le paquebot France, il est long comme de l'école à la maison de Marc. Bien souvent
nous feuilletons l'album des bateaux, et nous sommes heureux. Mme O. Salvat Ecole
maternelle, Cité des Salariés Perpignan (P.-O.) |
LES
CLASSES-PROMENADES chez les 5 à 6 à
Brest ( Finistère ) Nous sommes une
classe de ville et c'est peut-être la raison pour laquelle mes élèves et moi aimons
beaucoup les classes promenades. Quel plaisir d'aller à la découverte tous ensemble
même s'il s'agit de lieux très proches de l'école ! Les mamans qui viennent conduire
les enfants ou les reprendre, sont toujours pressées, si bien que les petits connaissent
assez mal les abords d'une école qui leur est si familière. Aujourd'hui,
nous n'irons pas loin, seulement dans notre rue, la rue de notre école et nous avons un
but très précis : chercher pour Ingrid le numéro de sa maison qu'elle ne sait pas nous
dire, parce qu'elle ne l'a pas trouvé marqué sur la porte. Un jour, le facteur a remis
à l'école une lettre qui portait bien le nom de ses parents et le nom de la rue mais pas
de numéro. A cette occasion, chacun a dit son adresse, très fier de savoir le nom de la
rue, le numéro de sa maison. Ceux qui l'ignoraient se sont empressés de le noter à midi
sur un papier et au retour, ils l'ont écrit au tableau pour le lire tout haut ou le faire
lire par les autres si c'était difficile : 17, 39, 48, 62... Seule, Ingrid n'a
pas pu écrire le sien. Nous voilà sur
le trottoir du côté de l'école sur laquelle nous lisons 22 et en descendant la rue nous
déchiffrons successivement 20, 18, 16, 14. Et Olivier remarque : « Il en manque ! » C'est vrai, tous sont
d'accord. Arrivés au 2, nous traversons la rue ; nous voici du côté de chez Ingrid et
le jeu recommence : 1, 3, 5 (c'est la maison d'Elisabeth), 7, puis la maison d'Ingrid
effectivement, privée de son numéro, puis 11, 13, 15 (la maison de David). « Il en manque encore », dit Olivier. Arrêtés devant
chez Ingrid, Claude propose : - C'est 8 après
le 7. - Non, le 8 nous
l'avons vu de l'autre côté, dit Michèle. - Alors c'est 10 avant le 11. Mais le 10 est
en face. Voilà les enfants bien embarrassés ! Nous rentrons en classe et la discussion
se poursuit, j'y mets un peu d'ordre en proposant : - Si nous refaisions la rue. Quelques
enfants prennent les chiffres mobiles de grande taille pour représenter d'abord le côté
de l'école et nous retrouvons les 2, 4, 6, 8, 10, 12, etc... D'autres se
placent en face et prennent les chiffres qu'ils ont retenus de part et d'autre d'Ingrid,
qui figure sa maison sans numéro. Et chacun à son tour, énumère en passant dans cette
rue les numéros d'un côté, puis de l'autre. C'est bien comme cela, il en manque
toujours. -
Mais non, remarque
Hélène, les manquants sont en face. - Ah ! oui c'est vrai ! rayonne Olivier qui l'avait
entrevu dans la rue. Hélène a raison. Maintenant
Gérard peut lire sans manquants : 1, 2, 3, 4, 5... en traversant la rue après chaque
nombre. Et il découvre le numéro d'Ingrid : c'est le 9 ! Cette première
découverte est très vite suivie d'une seconde : lorsque Jean-Luc dit : - Ce côté-là ce sont tous les nombres pairs (ces nombres sont
connus depuis que nous avons compté les gants et les bottes de l'hiver 2 par 2). Et de l'autre côté ce sont les nombres impairs. Quelle joie ; le
jeu se poursuivra pendant plusieurs jours. J'habite du côté des numéros pairs : 30. Ma
maison a un numéro impair : 19... Quant à Ingrid, elle est très heureuse et écrit un
grand 9 sur un papier pour le coller sur sa porte ! * Une
autre sortie intéressante est celle qui nous a menés au port de commerce. Notre but :
approcher les goélands dont Michèle nous avait parlé : ils sont gourmands ! Son
frère parti à la pêche s'était amusé à rejeter à la mer les poissons trop petits
qu'un goéland avalait aussitôt. - Oui ! moi, je les ai vus les goélands, ils plongent
dans la mer (Marie-Noëlle). - Bien sûr,
c'est pour manger les poissons (Gérard) - Ils les
pêchent avec leur bec (Olivier). - Moi, je les
ai vus en rang au bord de la mer. Ils avaient l'air endormis, mais quand j'ai voulu les
attraper, ils se sont envolés en criant (Hélène). Rires de tous
à qui la même déconvenue est arrivée. Quand vient
l'heure de la gymnastique, on veut bien sûr « voler comme les goélands » et
même plonger pour prendre les poissons. Les discussions sont serrées, les critiques
jaillissent : « Michèle vole comme la
tourterelle, les goélands ont de plus grandes ailes et ils ne les remuent pas si vite ». Nous voilà sur
la route du port de commerce, elle est longue mais nous trouvons amusant de passer près
de la gare, de lire l'heure à la grosse horloge, de longer un jardin public où volètent
des moineaux. Parfois un goéland passe mais trop loin de nous. Voici enfin la mer bien
visible mais pas toute proche ; les gros camions qui remontent du port compliquent notre
arrivée. Mais nous voici au bassin que fréquentent les pêcheurs et, justement à
l'heure où nous arrivons eux aussi dans leurs bateaux verts, dans leurs bateaux bleus,
rentrent au port escortés de goélands qui crient. Et les remarques jaillissent : -
Ils remuent un peu leurs ailes « comme
ça » et puis ils s'arrêtent et ils
glissent - comme ça- mime Gérard. -
Ils ne tombent pas, même s'ils s'arrêtent parce que
leurs ailes sont grandes (Hélène). -
Et puis, ils ont de l'air en dessous pour les tenir (Elisabeth) -
C'est le vent
qui les fait tenir (Gérard). - Pour
se poser, ils tiennent les ailes toutes droites,
bien levées et ils les ferment après (David). - Regarde maîtresse, il y en a là-bas qui marchent sur
l'eau. Non ils courent, ils se tiennent avec leurs ailes ouvertes. Ils font des grands
ronds dans le ciel, ils tournent, penchés comme les avions. Et le retour
est lent parce que les jambes sont un peu fatiguées et que tous les yeux sont pleins
d'images d'ailes battantes ou largement déployées. Trop fatigués
pour danser, nous dessinons les goélands le corps court, la queue petite, mais les ailes
très grandes et largement recourbées. Dans le coin du bricolage, Marie-Noëlle a
entrepris, bientôt suivie par Loulou et quelques autres de se faire un goéland de papier
pour le faire voler dans la cour. Elle a bourré de papier journal froissé un tuyau de
papier crépon gris qu'elle ficelle au bec, au cou, à la queue et deux grandes ailes
blanches fixées par des épingles au corps « Voilà
mon goéland ! ». Le lendemain à
l'heure de la danse la réussite est totale : les bras s'ouvrent très grands et battent
joliment puis s'arrêtent dans un glissement très doux. Reste à trouver une musique qui
se prêtera au jeu : c'est l'Adagio du quatuor K 285 de Mozart. Soutenus par la musique,
les uns après les autres, les « goélands » s'envolent, virent, se posent les
uns après les autres. Marie-Noëlle termine le jeu en faisant voler son oiseau de papier.
Jean-Luc qui n'en a pas fabriqué noue son mouchoir plié en travers et obtient des effets
d'ailes remarquables par ce simple jeu. Pendant plusieurs jours, le jeu se poursuit. Nous
avons tous des ailes ! Nouvelle
sortie, printanière celle-ci. Joëlle nous a apporté à plusieurs reprises des camélias
en gros bouquets et nous lui avons demandé où elle les prenait : - Dans mon jardin, il y en a beaucoup, beaucoup ! Renseignements
pris près de sa maman, celle-ci veut bien nous accueillir tous dans son jardin où le
printemps se montre généreusement. En chemin, nous jouons à regarder les numéros sur
les maisons, à déchiffrer les enseignes des magasins, les slogans des affiches. - C'est en majuscules, c'est plus difficile ! Et dans une rue
voisine nous cherchons le numéro 6 qui est celui de la maison de Joëlle. Mais avant
d'entrer nous tombons en arrêt devant les cerisiers fleurs plantés en bordure du
trottoir : « Les belles fleurs toutes en
bouquets ! toutes frisées ! les branches font
des ponts ! Elles montent puis elles descendent ». Et le geste du bras suit
largement, harmonieusement le mouvement des branches souples qu'alourdissent les fleurs. Un moment
après, c'est la joie dans le jardin de Joëlle et nous découvrons d'abord le camélia,
énorme : « C'est un parasol tout en fleurs et en feuilles ».
Nous voilà tous dessous bien à l'abri (« comme
sous une tente, une maison en arbre »)... les pieds dans un épais tapis de
pétales roses que tous ramassent, empilent dans le creux des paumes, caressent avec
délices. Les poiriers en fleurs plaqués contre les hauts murs du jardin émerveillent
moins les enfants qui ont suivi la floraison d'un cerisier dans la cour de l'école :
« Les poiriers ont les même fleurs que notre
cerisier ». Nous explorons librement : Elisabeth
découvre des primevères roses et rouges, Ingrid, ravie a découvert un coin sombre où
fleurissent les coucous (jacinthes bleues). Mais toujours, nous revenons à ce camélia
qui fait pour toute la classe un si bel abri de fleurs. Et quelle joie dans tous les yeux
lorsque nous repartons, une ou deux fleurs à la main, que nous rapporterons à maman,
ravie de les recevoir et offertes avec un sourire aussi triomphant. Depuis cette promenade
au « jardin du printemps » comme l'appelle Elisabeth les dessins d'arbres et
de fleurs sont renouvelés ; finies les branches toujours inspirées des sapins de Noël :
elles sont maintenant en parasol avec des variantes : courbes montantes ou descendantes,
lignes souples alourdies de fleurs et de feuilles nombreuses, les couleurs aussi se
renouvellent, on veut du vert, beaucoup de vert et clair ! et du bleu et du rose et du
jaune... Nous pouvons en rapprochant tous les dessins regarder notre jardin à nous, notre
jardin du printemps : c'est un débordement. de lignes, d'herbes, de fleurs, pas un espace
vide qui aussitôt ne se trouve comblé par une tache, un pétale tombé, un escargot : la
vie renouvelée s'y multiplie généreusement et je regarde surprise le mouvement de ces
pinceaux, de ces crayons tout à coup pénétrés de la fièvre printanière. Ce lyrisme
débordant veut être partagé et nous écrivons à nos correspondants : Nous vous
envoyons un colis de
printemps des camélias et
du muguet. Jane Rosmorduc Ecole Maternelle,
rue de la République, Brest |
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