BENP 23
Théoriciens et Pionniers de l’Education
nouvelle (publié
auparavant dans le n°19 de l’Educateur du 1er juillet 1946) |
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Avant-propos Faisant une tournée de propagande en Amérique du Sud pour l'Education Nouvelle, leDr Ferrière s'entendit poser la question suivante à de multiples reprises : |
I -
Théorie et Pratique Chacun a encore présentes à l'esprit les railleries dont on a souvent accablé l'auteur de « l'Emile ». Comment peut-on se mêler d'écrire un traité d'éducation après avoir mis soi-même sa progéniture aux enfants trouvés, se débarrassant ainsi d'un devoir qu'il eût été si facile et si doux de remplir quand on manifeste un tel intérêt pour la pédagogie et qu'on dogmatise, avec tant d'aisance pour donner des règles d'action à tous les précepteurs ? Pourtant cegenre d'ironie n'a jamais fleuri que chez les publicistes et les ennemis de Rousseau, Dieu sait s'ils sont nombreux ! Rousseau figure dans tous les programmes d'études pédagogiques et l'Education Nouvelle, plus encore que l'enseignement officiel, a tenu à dire ce qu'elle devait à ce « Copernic de la pédagogie » (voir en particulier l'ouvrage de Claparède sur « l'Éducation Fonctionnelle », Delachaux éditeur, et la thèse, monumentale du P.Ravier sur « l'Education de l'Homme Nouveau », publiée chez Spes.) Pourquoi ? C'est que nous connaissons mieux aujourd'hui qu'autrefois les caractéristiques de l'éducateur et que nous sommes arrivés, à fixer la différence qui existe en éducation entre les dons théoriques et pratiques, sachant bien qu'il n'est pas donné à tous de les posséder en même temps et que, cependant, les uns et les autres sont nécessaires. |
II - Les Théoriciens C'est en dehors du monde pédagogique proprement dit que nous trouverons les théoriciens de l'éducation. Les raisons de ce fait sont extrêmement simples. Nous en donnerons deux : N'importe qui s'accordera avec nous pour constater que l'attitude pédagogique n'est pas le privilège de l'instituteur ou du professeur. Tout être humain préoccupé de la réalisation des valeurs scientifiques, morales, religieuses ou esthétique, s'attache inévitablement à la formation des personnalités et au problème de la culture. Et, d'un autre côté, tout psychologue, qui étudie les lois du développement de l'homme, les facteurs internes de son évolution et les facteurs externes qui la favorisent ou la contrarient est naturellement amené à formuler des règles pédagogiques. Le philosophe, donc, le politique et le psychologue sont par necessité forcés d'écrire des traités sur la culture, des utopies pédagogiques et des thèses de psycho-pédagogie. Et il en sera toujours ainsi, parce que la pédagogie demandera toujours à la philosophie de lui indiquer les valeurs vers lesquelles il faut conduire l'homme, à la politique et à la sociologie de lui définir l'homme social à façonner et à la psychologie les principes de la Connaissance de l’enfant et les modalités de l'activité psychique. Nous avons déjà vu, dans notre première étude, que c'était sous influence des grands courants de pensée du XIXe siècle qu'était née la Pédagogie Nouvelle. Quels sont donc les maîtres qui ont le pus contribué à cette, évolution. 1° Les philosophes Un fait frappant et qui ne manquera pas de nous surprendre, c'est de constater à quel point, en général, les philosophes d'aujourd'hui ont peu médité sur les questions de l'éducation. Après avoir entendu l'oracle de Delphe et poussé par son démon, Socrate était allé à la rencontre des poètes, des artisans, des marchands et des marins pour leur enseigner à quêter la vérité. Il était persuadé que l'esclave pouvait la trouver aussi bien que le plus noble des citoyens. Mais entre tous les habitants de sa, cité, il préférait encore s'adresser aux jeunes gens. Le premier sans doute il a su comprendre à la fois la beauté de l'idée et le beau vivant d'où ce noble désir de l'incarnation des valeurs dans les personnes et cet appétit du rôle de médiateur. Ce sentiment profond que nous, rencontrons chez tous les poètes-pédagogues est ce que l'on peut appeler « l'éros pédagogique ». Il est le fruit d'une aptitude toute spéciale, celle qui consiste à se sentir vivre dans un autre et à s'éléver en commun vers les hauteurs spirituelles. Platon, dans ses dialogues, a dépeint magnifiquement cette forme de la sympathie et cette voie sur laquelle Socrate s'engage en même temps que Phèdre. Ces sages resteront éternellement les inspirateurs des véritables éducateurs et spécialement de ceux qui cherchent la vie à l'encontre, de la scolastique mortelle. On trouvera, toujours chez eux l’émotion devant la révélation de l'enfance et de la juvénilité naissante, l'admiration pour la nature créatrice des belles formes et animatrice de la spiritualité ; le don généreux de la vérité chèrement acquise par l'expérience personnelle. La renaissance du platonisme au XVIe, siècle n'est certainement pas étrangère à cette floraison d'admirables écoles d'artistes dans lesquelles maîtres et élèves travaillaient ensemble en s'élevant jusqu'aux sommets de l'art (2). (2) Se reporter sur ce point aux relations
de Léonard de Vinci et de son élève Giovanni, telles qu'elles ont été
dépeintes par Merejkowski dans Le Roman de Léonard de Vinci, Bossard, éditeur. Pestalozzi, nous l'avons vu, fut un homme
vivant et il sut, à travers son protestantisme, retrouver l'idéal scolastique. Il n'eut,
hélas, pour l'appuyer, aucun philosophe et il est assez curieux de constater que son
contemporain Kant allait à sa place régenter, la pédagogie pendant plus qu’un
siècle grâce à une oeuvre froide et toute théorique. Les pédagogues allèrent au
philosophe de Koenigsberg au lieu de
s'adresser à ses disciples qui comprirent mieux le problème. Fichte tout d'abord. Dans
la première note de son « Education Nouvelle », Mme Angela Medici fait justement
remarquer que c'est dans le « Discours à la nation allemande » que nous rencontrons pour la Première fois le terme d'
« éducation nouvelle ». « L'auteur, écrit-elle, se sert à plusieurs
reprises de la formule éducation nouvelle pour définir, conformément à sa
philosophie, un idéal qui tend à éveiller le progrès régulier de l'activité
spirituelle spontanée et libre et dont la nation allemande se trouverait destinée à
transmettre le message au monde). (E.N.p.
1). (3) SCHOPENHAUER : Le monde comme
volonté de représentation, Préface. Hélas, il est plus facile de comprendre les systèmes que les pédagogies vivantes. « Les systèmes d'éducation les plus ordinaires, tendent à alimenter une imagination précoce en lui offrant l'espèce d'idées et de fantômes les plus propres à la séduire ; et en s'attachant surtout à développer la mémoire des signes, ils font contracter des habitudes mécaniques. On réussit bien ainsi, il est vrai à grossir le magasin des images et des mots, mais aux dépens de ces facultés essentielles d'attention et de réflexion qui sont comme les nerfs ou les agents de la vie intellectuelle. (4) GUILLAUME : Pestalozzi, p. 245, 246. Si l'on donnait, au contraire, une importance première au développement des facultés, on arriverait à des résultats tout différents. On ne se bornerait plus à orner, pour ainsi dire, la surface de l'esprit, on en cultiverait le fond. De la sorte, on n'y verrait plus naître, il est vrai, de fleurs précoces, mais le terrain serait bien préparé, il serait disposé à recevoir toutes les semences, de productions utiles, elles y pousseraient des jets forts et vivaces » (5). (5) Maine de Biran et le problème de l'éducation-communication de Paul Duproix au Congrès de Philosophie de 1904. Recueil des travaux du Congrès. A notre époque, nous ne pouvons que regretter également que Bergson, après avoir écrit « Les deux sources de la morale et de la religion », ne se soit pas penché sur le problème de l'éducation. Plusieurs pages de « La pensée et le mouvant » - (p. 105 à 109), à propos du travail manuel, nous permettent de deviner avec quelle rare pénétration leur auteur aurait pu conduire ses investigations dans notre domaine. Bergson est passé sans donner une théorie de la pédagogie « ouverte » qu'il aurait opposée aux pédagogies « closes », mais sa pensée a nourri les hommes de sa génération. (6) BERG EON : La pensée et le mouvant, Alcan, p. 107. 2° Les réformateurs sociaux Tout auteur d'une utopie politique est presque inévitablement amené à concevoir un nouveau système d'éducation capable de rendre les hommes sociables et vertueux. Rousseau, en un sens, fut l'un de ces utopistes et « l'Emile » est une conséquence naturelle des réflexions du « Discours sur l'origine de l'inégalité ». Son roman pédagogique constitue une oeuvre compensatrice par laquelle il cherche à améliorer le sort de l'humanité. L'autre volet est constitué par le « Contrat social ». Ce qui fait la valeur d'une telle utqpie, c'est son messianisme, sa puissance d'action mythique qui, pour un temps, polarisera l'attention de l'humanité dans un certain sens. (7) BALDENSPERGER : Tolstoï maître d'école. revue péclagogique, 1911, p.9. Si l'influence de Tolstoï semble s'être limitée aux frontières de son domaine patriarcal, il n'en est pas de même de celle d'un polémiste allemand vigoureux qui exalta la jeunesse et condamna avec des formules violentes l'éducation traditionnelle et la famille. Ce disciple de Hegel, Wyneken voulait orienter « l'école sur l'absolu et non sur les nécessités de la vie traditionnelle ». L'école libertaire qu'il fonda à Wickersdorf sombra après une courte période brillante, mais Wyneken resta, pour la jeunesse allemande d'avant la guerre 1914-1918, un guide auréolé d'un très grand prestige. Il joua sans contredit le rôle le plus important dans la fondation de la Jugendbewegung et son esprit ne fut pas étranger à la formation et à la direction des libres communautés scolaires de Hambourg (8). (8) SCHMIDT : Le maître camarade et la pédagogie libertaire, Delachaux. 3° Psychologues En introduisant à la suite des philosophes et des réformateurs, sociaux les noms de quelques psychologues, nous ne prétendons pas faire une revue complète de tous ceux qui ont étudié l'enfant et ont pensé en même temps servir directement la cause de la pédagogie. Dans le cadre étroit de cette étude, nous ne pouvons que citer les plus grands : Stanley Hall aux Etats-Unis, auteur d'innombrables enquêtes sur l'adolescence, résumées dans un ouvrage classique non encore traduit en français. C'est lui qui fonda en 1893 la « National Association for the study of Children » et dirigea le « Pedagogical Seminary ». Un effort semblable au sien, mais dans un esprit tout différent, est celui d'Éduard Spranger qui, en 1924, a donné un ouvrage de tout premier ordre sur la « Psychologie des Jugendsalters ». |
III - Les véritables éducateurs 1° Les systématiques A. - DE LA THEORIE A LA PRATIQUE Jusqu'ici nous avons trouvé constamment les études théoriques séparées de la pratique éducative. Dans deux cas célèbres seulement d’éminents psychologues, mûs par un puissant intérêt social suffisamment puissant, ont créé des écoles, les ont fait vivreet y ont consacré une part très importante de leur activité. Ce n'est pas tant dans le cabinet ou dans le laboratoire qu'il faut les imaginer au milieu des enfants et leur consacrant leur puissance d'amour. Rien ne nous paraît plus significatif que cet hommage rendu à Decroly le jour de sa mort : « C'est ici qu'il a accueilli tous ceux qui étaient en peine ! Il a été pitoyable aux autres ! Il a tant aimé ! Il a tant consolé le coeur des mères ! C'est ici qu'il a tant donné, tout, toute sa vie. Il a aimé l'enfant pour en faire un homme de bien. Il n'a voulu que la paix de toute la force de sa belle âme ! Pour lui, et par son si beau souvenir, aimons aussi la paix qui doit régner entre les hommes. » (9). (9) Mlle HAMAIDE : La méthode Decroly, Delachaux éditeur, préface. On pourrait établir un beau parallèle entre la carrière du pédagogue belge et celle de la doctoresse italienne, Maria Montessori. Tous deux sont partis de l'étude des anormaux continuant la tradition des deux vieux maîtres français, Itard et Seguin, et tous deux ont d'abord consacré leurs recherches au fonctionnement d'Instituts de rééducation. Ensuite, l'un et l'autre ont eu l'idée d'appliquer aux normaux les méthodes qui réussissaient si bien avec les déficients. L'école de l’Ermitage d'Uccle répond à la première « Maison des enfants ». La gloire des deux maîtres grandit à mesure qu'ils développent leur expérience et la vulgarisent par le livre. Des disciples enthousiastes viennent de toutes parts. Des écoles nouvelles surgissent ici et là pendant que le système s'enrichit. Enfin vient la consécration officielle, d'abord nationale, puis mondiale. La Belgique, adopte l'école Decroly comme l'Italie les Maisons d'enfants. Les expériences des autres nations s'enrichissent de tout ce que Decroly et Montessori ont apporté de nouveau : l’Angleterre, l'Amérique et les Pays-Bas voient se multiplier les écoles montessoriennes ; Decroly est le conseiller scolaire de la Turquie, de la Russie et de la Colombie. Tous deux, en somme, représentent les psychologues qui sont allés de la théorie jusqu'au bout de la pratique. Découvrant le caractère global des représentations enfantines, Decroly remet en honneur une méthode analytique de lecture. Ayant étudié de près le développement du langage et compris l'intérêt que l'enfant porte à l'exercice de la parole, il lie indissolublement l'apprentissage de la lecture à la pratique du langage. Decroly se rencontre avec Dewey sur l'importance qu'il faut accorder à l'exercice de l'intelligence, aussitôt il préconise l'étude du milieu basée sur l'observation, l'association et l'expression. Grand spécialiste enfin de l'étude de l'affectivité chez l'enfant, Decroly met à la base de ses programmes les centres d'intérêt choisis en fonction des besoins de l'enfant. Mme Montessori, à première vue, semble avoir adopté un, terrain d'observation beaucoup moins vaste ; elle est surtout connue pour sa méthode d'éducation sensorielle par l'utilisation dun matériel auto-correcteur. C'est là son système. On oublie un peu trop qu'elle à su révéler des aspects essentiels de la psychologie enfantine : le goût de l'ordre, le besoin d'harmonie et celui de création, la puissance d'invention et de concentration, les périodes d'extrême sensibilité. Partant de là, elle a recommandé aux institutrices une attitude difficile à acquérir parce qu'elle exige qu'elles sachent observer l'enfant, se mettre à son école, le respecter, lui créer une ambiance d'harmonie et de beauté. Toutes choses qui ne se codifient pas et qui, cependant sont essentielles à la pédagogie montessorienne. B. DE LA VOCATION AU SYSTEME Decroly et Mme Montessori ont mérité une audience universelle, mais, à côté d'eux, d'autres éducateurs ont eu des vues originales qui ne le cèdent guère en importance et en nouveauté à celles de ces deux grands maîtres. Nous les rangerons à part parce qu'ils ne sont pas venus des horizons de la science pour s'annexer le domaine, del'éducation. Suivant une marche inverse, ils ont, voulu couronner par la science, leur oeuvre pédagogique. Ils ont été professeurs avant d'être psychologues ou philosophes, ce n'est qu'après avoir exercé pendant des années qu'ils se sont décidés à codifier leur expérience. Rien de plus typique à cet égard que la biographie de Kerschensteiner. Kerschensteiner semblait destiné à devenir un modeste maître d'école, après avoir fait, dans un séminaire allemand, ses études pédagogiques. Curieux et intelligent, il sentit, après deux ans d'exercice, le besoin de parfaire sa culture ; il fit donc deux années de gymnase (Lycée), puis il étudia les mathématiques à l'Université de Leipzig. En 1893, il devient professeur de mathématiques ; deux ans après, il enseigne les sciences naturelles ce qui est l'occasion pour lui de repasser encore une fois la porte de l'Université afin d'y étudier la physiologie. Kerschensteiner sera toujours à la fois étudiant, professeur et chercheur, car il réfléchit sur les méthodes d'enseignement, transforme sa classe et proteste courageusement contre la routine scolaire. A 40 ans, devenu conseiller scolaire de la Ville de Munich, il rénove l'enseignement professionnel en l'établissant sur la base du travail pratique, puis élargissant sa conception, il se fait l'apôtre de l'Arbeits-schule ou école du travail. Il s’agit en fait d'école active et sociale. L'expérience de Kerschensteiner, bien que menée par d'autres voies, rejoint celle de Dewey. Nourrie par l'étude et la méditation, de la philosophie contemporaine, elle s'exprime, à partir de 1900 et jusqu'à la mort de Kerschensteiner, en 1932, dans une série d'oeuvres puissantes et neuves, très nombreuses qui constituent l'un des monuments pédagogique de notre temps. En parallèle avec l'oeuvre de Kerschensteiner, nous pourrions mettre celle de Lombardo-Radice, qui fut instituteur lui aussi, puis théoricien de la pédagogie et qui, finalement, eut entre les mains encore plus de moyens d'action que le pédagogue allemand quand le philosophe Gentile l'appela pour prendre la direction de l'enseignement primaire au Ministère de l'éducation italienne. Mais l'oeuvre de Lombardo Radice est déjà beaucoup moins riche que celles de Kerschensteiner, sa philosophie moins puissante. Il fut moins tenté par les aspects théoriques de la pédagogie et on lui doit d'avoir été plutôt le pionnier luttant pour les doctrines nouvelles. Le Dr Ferrière nous pose un autre cas, celui de la conversion du pédagogue en représentant attitré de la doctrine de I'Education Nouvelle. Il commença sa carrière pédagogique auprès de Lietz à Ilsenburg en 1900. Pendant deux ans, tant à Ilsenburg qu'à Haubinda, il fut le collaborateur zélé de Lietz, qui en était à sa période héroïque de fondation des premières écoles nouvelles à la campagne. En 1902, Ferrière s'en vint fonder Glarisseg, en Suisse, avec la collaboration de Frei et Zuberbühler. Mais il n'y resta pas longtemps. Comme l'avait fait Kerschensteiner, il consacra 6 années à l'étude de la philosophie, de la morale et de la religion. Il ne revint pas à la pédagogie sauf, plus tard, de 1913 à 1920, période pendant laquelle il s'intéressa au Foyer scolaire de Blonay avant de diriger l'école nouvelle de Bex, de 1920 à 1921. Animé d'un très large esprit de tolérance, curieux de toutes les réformes, ayant un pouvoir inépuisable de sympathie en même temps que le don d'attirer la sympathie sur les autres, Ferrière est devenu le vulgarisateur de toutes les tentatives novatrices en même temps que le théoricien le plus écouté de l'école active. Au centre de sa production, nous mettrons « Le progrès spirituel »,« La pratique de l'école active », « La liberté de l'enfant à l'école active », «Trois pionniers de l'éducation nouvelle », et « l'Autonomie des écoliers ». Les pédagogues ont reconnu les services éminents rendus par Ferrière à la cause de l'Education Nouvelle ; ils lui ont confié des postes importants à la tête de la Ligue internationale pour l'Education Nouvelle et du Bureau international d'Education. Il a présidé de nombreux congrès internationaux. Telle est donc cette belle oeuvre qui a été un facteur d'unité pour le mouvement de l'Education Nouvelle, oeuvre essentiellement génevoise qui, comme toutes celles qui naissent sur les bords du Lac Léman sert à la fois la paix et le rassemblement des hommes de bonne volonté. C. - DANGERS
DE LA POSITION SYSTEMATIQUE Quand on considère uniquement l'œuvre de Decroly ou de Mme Montessori, on hésite à parler de système, pour l'un comme pour l’autre, il s'agissait de créations vivantes, se développant certes d'une manière logique, cherchant des normes et des principes d'une validité universelle mais toujours soumises au contrôle de l'expérience, prêtes à être assouplies, modifiées au cours de l'action, subissant des révisions continuelles, suscitant la critique des disciples. Mais hélas, les disciples ont souvent ceci de propre qu'ils s'agenouillent devant les maîtres, sclérosent les pédagogies vivantes, les immobilisent en durcissant les cadres. Le nombre des montessoriennes conformes à l'idéal de l'auteur de « La Maison des enfants » est relativement faible ; on attend toujours d'elles une continuation de la méthode au-delà du cours élémentaire et des observations vécues qui corrigeraient la systématique des psychologues de laboratoire. Decroly a été adopté officiellement en Belgique ; les decrolyens véritables s'insurgent aujourd'hui contre la généralisation abusive de la méthode des centres d'intérêts et le respect outrancier des plans de travail rédigés pour l'école de l'Ermitage. Il y a là un phénomène en quelque sorte inévitable, celui de la dégradation objective. L'oeuvre que les grands créateurs ont jetée dans le monde toute brûlante encore du feu de l'esprit, perd sa flamme quand elle passe en des mains étrangères ; avec le temps, elle devient souvent un corps inerte et le bloc de lave refroidie ne laisse pas soupçonner qu'autrefois il fut une coulée dor incandescent. Le danger est encore bien plus grand quand on considère les « purs systèmes » ou techniques ainsi que les méthodes particulières. Les maîtres risquent alors de limiter leurs efforts, de s'enfermer dans une voie unique et étroite, de prendre l'instrument pour l'activité de l'esprit qui doit s'en servir. Les Etats-Unis surtout nous offrent des « systèmes ». Des équipes d'instituteurs, réunis autour de pédagogues compétents ont collaboré avec eux, à l'édification de techniques qui s'appellent : La méthode des projets de Dewey de Kilpatrick. Le plan Dalton de Miss Parkhurts. Le système de Winnetka de Carlton Washburne. En France, nous pourrions leur comparer : la méthode du travail par équipes de Cousinet les coopératives scolaires de Profit. A part Carlton Washburne, dont le système s'est efforcé d'être une synthèse, les autres pédagogues cités nont présenté que des points de vue sur l'éducation, points de vue suggestifs certes, mais ce n'est pas en partant d'eux que l'on peut construire toute entière la véritable, éducation nouvelle. 2° Les intuitifs et les artistes Il nous reste à étudier une dernière classe de pédagogues : ceux du type intuitif, les artistes. Ils ne cherchent pas à s'enfermer dans des formules, à codifier leur manière de faire, à se justifier dans des livres. Leur école leur suffit et l'atmosphère de création favorisée par la liberté du maître et celle des élèves. On pourrait les appeler les « indépendants de la pédagogie ». Ils sont suspects à l'école officielle et surtout aux autorités. La vie de quelques-uns d'entre eux a été un long combat. Il leur faut arracher la consécration du monde et même quand elle leur est donnée, en les tient encore un peu à l'écart comme s'ils disposaient d'une véritable puissance démoniaque (au sens socratique du mot. Socrate ne fut-il pas d'ailleurs le véritable maître en ce sens ?) Leur action est entièrement fondée sur la puissance de l'ère pédagogique. Ils tiennent de près aux mystiques dont nous avons parlé plus haut. Deux d'entre eux nous présentent d'ailleurs un cas curieux. Ils se destinaient aux études théologiques et ils conquirent les plus hauts grades dans les facultés de théologie protestante, et anglicane. (10) WELLS : Un grand éducuteur moderne, Sanderson, Alcan, édit., p.169. Hermann Lietz, de son côté, fit réellement vivre ses jeunes gens dans l'ambiance du romantisme allemand. Goethe et Schiller lui servaient constamment pour révéler aux jeunes gens les voies ascensionnelles de la culture et le miracle de l'épanouissement des personnalités. La sagesse de Lietz comme celle de Sanderson, offrait un perpétuel modèle de vie héroïque et contagieuse. Blessé profondément, Sanderson, par la mort de son fils aîné tué à la bataille des Flandres, Lietz par un incendie qui détruisit Haubinda après Bieberstein et consuma toute son oeuvre écrite, ils trouvent des paroles admirables pour continuer à exalter devant leurs jeunes gens la vie et l'effort. A côté de ces expériences traversées d'ora ges, dues à des miracles de la volonté, combien paraissent paisibles et harmonieuses les créations de quelques maîtresses d'élite italiennes : la baronne Alice Franchetti, Mme Povegliano Lorenzetto, Mme Boschetti Alberti, d'Agno dans le Tessin. On a donné le nom d' « école sereine » à telle de Mme Boschetti-Alberti. Nulle expression ne sembe mieux convenir. Il semble que cette fois la pédagogie ait fait alliance avec la poésie pour créer une oeuvre d'harmonie. Là encore nous sommes devant l'exceptionnel et Ferrière avait raison d'écrire : « Quant au summum, l'Ecole sereine d'Agno, avec sa liberté de choix des matières sur la base d'un programme minimum et sa liberté de choix du moment, elle réunit tous les avantages sauf un, sa réalisation est à la portée de bien peu d'entre nous » (13.) J. HUSSON. NB : les notes 11, 12 et 13 ne
figurent pas dans l’édition |
BIBLIOGRAPHIE Les oeuvres essentielles qu'il faut lire pour se familiariser avec la pensée des grands pionniers de l'Education Nouvelle PESTALOZZI : La voix de Pestalozzi, textes tirés de ses oeuvres, choisis et groupés par OTTO MULLER et traduits par ANDRÉ TANNER, Editions Delachaux et Niestlé, Genève, Paris, 1945. MONTESSORI : L'Enfant, traduit de l'italien par GEORGETTE BERNARD, Paris, Desclée et de Brouwer, 1936.
Pédagogie scientifique : 1. La maison des
Enfants ; II. Education élémentaire, traduction de Mlle R. CROMWELL, Paris, Larousse, s. d. 2 vol. A. FERRIÈRE : Trois pionniers de l'Education Nouvelle Hermann Lietz,
Giuseppe Lombardo-Radice, Frantisek Bakulé ; Paris,
E. Flammarion, s. d. Le progrès spirituel, Genève, édition Forum, 192.7. L'école active, Genève, édition Forum, 3e édit., 1926. La pratique de l'école active, Genève, édition Forum, 1924. E. HUGUENIN : Education et culture selon Kerschensteiner, Paris, E. Flammarion. H.-G. WELLS : Un grand éducateur moderne, Sanderson, directeur du Collège d'Oundle. Paris, Félix Alcan, 1929. FREINET : L'Ecole Moderne Française, éditions Ophrys, Vence, 1945. Des références plus nombreuses seront données dans les monographies que nous consacrerons à chacun des grands pédagogues modernes. |