PUBLICATION MENSUELLE N°34 JANVIER-FÉVRIER 1948 Brochures Education Nouvelles Populaire ELISE FREINET LE THEATRE LIBRE Editions
de l'Ecole Moderne Française CANNES
(ALPES-MARITIMES) |
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Du texte libre au théâtre libre
Une étape pédagogique est aujourd'hui révolue : le texte
libre est désormais de pratique courante dans toutes les écoles de France.Et, nous
étonnerons les éducateurs quand nous leur rappellerons dans cet historique de notre
mouvement que nous écrirons bientôt, que les textes libres nous valurent, en 1933, une
des plus formidables levées de réaction qu'ait jamais suscitées une simple pratique
pédagogique.
Le théâtre
libre d'enfants est, dans un domaine différent, l'heureux pendant du texte libre. Méconnu
et critiqué, il est aujourd'hui en passe d'affirmer sa supériorité et son succès,
bénéficiant en cela des avantages pédagogiques, artistiques, sociaux et humains de la
pratique du texte libre.
On croyait
naguère que l'enfant était incapable de créer par lui-même, avec son embryon
d'expérience naissante, un texte, digne d'être lu à d'autres enfants, digne de retenir
l'attention d'une classe, et d'affronter la critique sceptique des adultes et des parents.
C'était l'époque où, au cours de fêtes scolaires longuement et minutieusement
bachautées, les enfants répétaient servilement les gestes et les paroles prévues par
les adultes. Ils sont si maladroits ! tranchaient les pédagogues.
Les oeuvres
d'enfants, qu'elles soient récits, descriptions, souvenirs, poésies, peintures et
dessins, ont prouvé aujourd'hui leur magnificence. Elles rejoignent par moments, par
dessus la technique d'une fausse culture, l'inspiration et l'envolée des artistes et des
poètes ; elles révèlent une filiation trop souvent négligée ; elles ouvrent
des voies nouvelles à l'expression, à la culture de la sensibilité, à l'éducation
profonde et vivante accrochée à jamais aux nécessités fonctionnelles d'êtres enfin
régénérés.
Nous avons
de même lancé l'idée du théâtre libre d'enfants. Nous avons osé les premières
réalisations informes et timides, que l'ingéniosité et l'enthousiasme des jeunes
acteurs ont rapidement, fait évoluer vers des formes qui seront bientôt classiques dans
nos écoles.
Pour
accentuer cette réussite, il nous fallait peut-être cette série d'articles d'Elise
Freinet sur la part de l'enfant et la part du maître, où elle s'applique
à enseigner aux éducateurs quel doit, être le rôle essentiellement aidant de l'adulte.
Toujours
est-il que, remplaçant toutes ces pièces de théâtre pour enfants dont on ne dira
jamais assez la redoutable indigence, une nouvelle forme de théâtre d'enfants est née,
simple et directe, primitive parfois dans sa technique, mais naïve et pure, expression du
milieu, et qui remporte toujours le plus complet succès. Les maladresses elles-mêmes
ajoutent parfois au triomphe... Les enfants se mettent sans réserve dans la peau des
personnages, ils vivent pleinement leur jeu, et ils en sont transfigurés.
Les parents
sont fiers de la réussite de leurs enfants, de leur à-propos, de l'aisance avec laquelle
ils affrontent le public, C'est uneéminente victoire de notre Ecole laïque.
A
l'approche des périodes de fêtes scolaires - Noël et fin d'année notamment - de
nombreux éducateurs nous écrivaient : Indiquez-nous une pièce de théâtre qui
soit autre chose que ce qu'on nous offre communément ; aidez-nous par des chants,
des rondes et des danses, dans la réalisation de nos fêtes,
Nous vous
donnons mieux aujourd'hui : nous vous présentons, à la lumière de notre commune
expérience, une technique de préparation de vos pièces de théâtre, comme nous vous
avons indiqué la technique de réalisation du texte libre. Nous vous offrons quelques
exemples de réalisation, non pas comme des modèles à copier, mais pour vous montrer la
voie à suivre pour réussir.
Nous avons déjà présenté dans notre collection Enfantines quelques
oeuvres éminentes dont vous pourrez vous inspirer : La farce du paysan Ils
jouaient Merlin Merlot - Houillos, et tout dernièrement : Nuit de
Noël.
Après
avoir lu les conseils d'Elise Freinet, vous dépasserez bien vite le stade de l'imitation.
Vous sentirez vivre vos élèves, dans leur milieu, vous détecterez avec sûreté les
pensées, les événements, les situations qui sont gros de possibilités théâtrales,
comiques ou mimiques ; vous vous appliquerez à mettre au point les projets initiaux
comme vous mettez aujourd'hui au point vos textes libres.
Et vous
réussirez, comme ont réussi à ce jour tous ceux qui se sont essayés à cette technique
qui répond si totalement, à notre souci d'éducation basée sur l'expression libre
fonctionnelle.
Nous vous
aiderons ensuite techniquement dans l'exploitation théâtrale de vos initiatives par des
conseils sur la réalisation des costumes, la mimique, les masques, le chant et la
musique, l'emploi des disques. Nous constituerons, comme on nous l'a demandé, un fichier
documentaire où vous pourrez puiser pour donner lustre et splendeur à votre théâtre
libre d'enfants.
***
Dans
l'évolution de cette technique nouvelle, nous serons sans doute amenés à vous mettre en
garde contre certaines tendances scéniques, plus particulièrement inspirées du
scoutisme, qui sont incontestablement mieux adaptées que les pratiques traditionnelles
aux tendances et aux besoins des enfants, mais qui ne sont pas à base d'expression
enfantine, ni en liaison intime avec le milieu ; et qui, dans les conjonctures les
plus favorables, sont à notre théâtre ce que les morceaux choisis ou les exercices
scolaires sont à nos textes libres. Ils peuvent nous aider et nous ne négligerons pas
leur appoint, mais ils ne donnent point la flamme d'intimité et de vie fonctionnelles
sans laquelle vous n'aurez pas de théâtre libre d'enfants.
Selon les
principes mêmes de notre technique, nous nous abstenons donc systématiquement de vous
présenter des pièces de théâtre ou de marionnettes à jouer ou à, mimer. Mais
coopérativement, en mettant en commun nos tentatives et nos réussites, nous mettrons à
la disposition des éducateurs un outil nouveau qui servira éminemment et notre
pédagogie populaire et le succès de notre école laïque.
C. F.
SOMMAIRE
- LE
THÉATRE LIBRE A L'ÉCOLE.
- LA PIÈCE
DE THÉATRE AURA-T-ELLE UNE FORMULE ?
- COMMENT CONSTRUIRE UNE PIÈCE
Les chèvres dAli
Ecole de Temet-el-Haad (Alger).
Les six sous de girofle.
Ecole de Soubès (Hérault).
- PEUT-IL Y
AVOIR PLUSIEURS PERSONNAGES D'ÉGAL RELIEF ?
Le marchand de tabac.
Ecole de la Baroche-Gondoin (Mayenne).
Quelle journée !
Ecole de Moureille (Drôme).
-
L'IMPROVISATION EST LA MEILLEURE TECHNIQUE THÉATRALE.
Chez, Adrienne.
Ecole de Flohimont (Ardennes).
- CRÉER
L'ATMOSPHÈRE.
- FAIRE
PARLER LES PERSONNAGES, MAIS ÉVITER QU'ILS PARLENT POUR NE RIEN DIRE.
Déportation.
Ecole de Paudure (Belgique).
- OÙ PUISER DES SUJETS DE PIÈCES
La vente d'un cheval
Ecole de Cherré (Maine-et-Loire).
Mais pour qui me prend-il ?
Ecole Freinet, Vence (A.-M.).
- LE
THÉATRE MIMÉ.
La Bourrique.
Ecole d'Augmontel (Tarn).
- LA
PANTOMIME AVEC RÉCITANT.
-
CONCLUSION.
Pauvres petits chinois.
Ecole
Freinet, Vence (A.-M.).
Le théâtre libre à l'école
Le rire est le propre de l'homme.
(RABELAIS).
L'Ecole
rénovée a ouvert toutes grandes ses portes et ses fenêtres. Elle se déverse dans les
champs, se répand dans les rues de la ville, s'attarde à interroger l'agriculteur frappe
à l'échoppe de l'artisan, inspecte la grande usine et même prend le train pour de très
longs voyages. Elle appelle autour d'elle parents et amis, singéniant à devenir un
centre de vie qui s'éduque et éduque à son tour.
Oui, mais
un village est quelquefois réfractaire aux sollicitations de l'Ecole : le Paysan a
si peu de loisirs ! le blé, le cochon ou les vaches, ça passe bien souvent avant
les enfants qui vont en classe, car, d'abord, il faut vivre. Et pourquoi le vieux
retraité, la vieille fille, la dame « bien » et le gros commerçant
s'intéresseraient--ls à des écoliers turbulents et audacieux qui, trop souvent, sentent
le sans-gêne et le remugle des étables ?
Et dans
l'ambiance impersonnelle des villes, au milieu des complications de l'existence, comment
se soucierait-on d'une école que l'on soupçonne à peine ? Les parents ? Ils
sont si heureux de se débarrasser de leur marmaille tapageuse, les jours de classe,
qu'ils ne vont pas faire l'effort de s'occuper d'éducation là où le dressage semble
suffire !
Tâche
difficile en effet de rassembler autour de l'Ecole, tant au village qu'à la ville, les
parents d'élèves et les personnes dont on voudrait ouvrir la compréhension et
s'attacher la sympathie ! Comment s'y prendre ?
C'est le
moment peut-être de se souvenir que divertir est souvent éduquer. Commençons par
amuser, par retenir à l'aide de divertissements, un public réticent qui, peu à peu,
laissera tomber ses doutes. Peut-être sera-t-il tout à fait conquis, quand il pourra
dire avec Boileau :
Enfin,
« Nous pourrons rire à l'aise
et prendre du bon temps ! »
Le reste
viendra par surcroît et la muse de l'Ecole sera presque gagnée.
La formule
la plus courante de divertissements que puisse proposer l'Ecole est certainement la fête
scolaire bien comprise où les choeurs, les danses, les pièces de théâtre forment un
ensemble varié et divers susceptible de mettre en valeur le charme de l'enfance, sa
grâce et sa spontanéité. Ce n'est que dans la mesure où elle aura réalisé du beau
spectacle que l'Ecole se situera, aux yeux de la population, à la place d'honneur qu'elle
merite. Ce résultat atteint, une curiosité bienveillante s'éveillera tout autour des
enfants et une générosité bien comprise apportera avec sa sympathie les deniers si
utiles à la caisse de la coopérative scolaire !
Mais
attention ! On ne fait pas simplement des fêtes scolaires pour trouver l'argent
nécessaire à l'équipement technique des classes que l'on veut moderniser.
Il faut
voir plus haut aussi et associer parents et amis à une oeuvre de création et de beauté
digne de l'Ecole que nous rêvons.
Nous ne
nous attarderons pas à parler de l'esprit et de la formule des fêtes scolaires types,
sujet qui fera l'objet d'une brochure spéciale ; nous voulons ici, très
modestement, attirer plus particulièrement l'attention des éducateurs sur la
construction dramatique de la pièce de théâtre qui est très souvent le clou de la
fête scolaire. Ce faisant, nous n'avons pas la prétention de faire un cours d'initiation
artistique, mais simplement de faciliter la construction de saynètes, voire même de
pièces, par la collaboration du Maître et des enfants. L'Ecole nouvelle du texte libre
sera aussi l'Ecole nouvelle du théâtre libre, cest-à-dire du théâtre inventé
et construit.
La pièce de théâtre aura-t-elle une formule ?
Sans perdre trop de temps avant de passer à des détails plus
pratiques nous voudrions très rapidement résumer les aspects essentiels que peut prendre
une pièce et quels états d'âmes, chez les personnages, de tels aspects supposent.
Des temps,
plus ou moins incertains, qui marquèrent laube du théâtre, à nos jours, toutes
les représentations scéniques se sont concentrées autour de la comédie et du drame,
pris au sens de tragédie.
LA
COMÉDIE. - La comédie est, certainement le genre le plus ancien et celui qui fut
le plus en vogue. Chez les Grecs (Aristophane), les Romains (Plaute) et surtout aux XVIIe,
XVIIIe, XIXe siècles, la comédie en prose et en vers a fait rire
le monde. Elle met en scène des personnages typiques originaux et par le choc des
caractères et des situations, elle tire des effets inattendus qui provoquent le rire et
divertissent.
De la
comédie est née la farce, forme dégénérée, d'un genre qui eut son antique
grandeur et qui du reste, retrouve une belle ampleur humaine au XVIIe siècle
et au-delà. La farce, qui fut au moyen âge un intermède dans la représentation
des mistères, relaie des anecdotes triviales, scènes de ménage ou de carrefour
dont les personnages vulgaires (maris trompés, femmes bavardes, avocats retors, pleutres
et fanfarons) provoquent une plaisanterie grossière et très souvent de manvais goût.
(La farce de Maître Patelin, du cuvier, et de la cornette.)
En Chine, la comédie était jouée par des marionnettes plus ou
moins articulées qui se sont peu à peu transmises à l'Europe et sont venues en France
après avoir connu une vogue toute particulière en Italie. Elles sont devenues le Guignol
français dont les personnages de Guignol (le canut) et Gnafron (le
savetier) sont des héros populaires de la ville de la soie au XIVe siècle.
LA
TRAGÉDIE est le deuxième aspect du grand théâtre. Elle met en scène des situations
dramatiques de personnages en proie à de violents sentiments dont le paroxysme détermine
une action immédiate Issue du culte de Dyonisos, la tragédie grecque eut une grandeur et
une majesté, extraordinaires non seulement par les personnages de légende qu'elle
mettait en scène mais par le rôle qu'elle sut donner au public en l'associant au drame
sous la forme du choeur. Le choeur était l'autorité suprême qui apportait sa règle ou
sa sentence. Réaliste et crue avec Shakespeare, la tragédie devint héroïque au XVIIe
siècle sous l'influence du grand Corneille et de Racine pour retrouver sa belle liberté
humaine avec les romantiques dont le théâtre de V. Hugo reste le type (préface de
Cromwell).
Qu'il
s'agisse de comédie ou de tragédie, le support psychologique est fourni par les
personnages essentiels, on pourrait même dire par le personnage essentiel, et dans ce
personnage par un sentiment dominant, une passion ou un travers de caractère. De
l'expression de ce sentiment, de cette passion ou de ce travers découlent les
événements qui déterminent les scènes les plus importantes.
Si nous
nous attardons un peu longuement sur ces considérations, c'est pour constater que :
1° Il n'y
a pas de bonne comédie (au sens général du mot) sans de bons personnages.
2°
L'action n'est que le développement des caractères et surtout du caractère le plus
marqué.
Si donc,
nous nous demandons :
Comment construire une pièce ?
Nous
penserons non au déroulement des faits mais aux personnages qui animent le sujet, au
héros central qui tient entre ses mains la succession des événements. C'est en cela que
réside l'unité d'action à laquelle ne saurait échapper aucune comédie digne de
ce nom et qui donne à la pièce la cohésion et la profondeur qu'on est en droit
d'attendre d'elle.
Notre
première tâche sera donc :
Situer
les personnages de la pièce et surtout le personnage principal.
Est-ce à
dire qu'il faille construire le personnage déterminant avant d'avoir situé le
sujet ?
Il n'est
pas question, bien entendu, de construire arbitrairement un héros en dehors de l'action
qu'il doit déterminer. Ce serait faire là un travail abstrait et arbitraire. Une telle
création même sortie du cerveau le plus imaginatif serait sans chaleur et sans vie. Il
est plus exact de dire : en voyant le sujet, on voit les personnages et leur rôle
respectif. Mais évidemment, il faut savoir où l'on va. Le sens général de l'aventure
scénique doit être situé en un schéma rapide qui, peu à peu, par le jeu des
personnages, deviendra la véritable action.
En somme,
action et personnages ne font qu'un et sentant l'une, on sent de même les autres. Une
série d'événements établis d'avance ne constitue pas forcément du théâtre si l'on
s'en tient surtout à ces événements sans souci des caractères. C'est la faiblesse que
l'on peut relever dans la majorité des scènes de Noël qui nous ont été
adressées : on a déterminé d'avance le sujet : Le père Noël vient
récompenser les bons enfants, le père Fouettard vient punir les mauvais garnements et
dans ce banal défilé de personnages sans relief, la saynète n'a ni originalité, ni
profondeur.
On fait du
théâtre qui nest pas, à vrai dire, du théâtre.
L'Ecole de
Retiers (Ille-et-Vilaine) a procédé autrement. Elle a senti d'abord son personnage
central : un enfant abandonné. « Le sujet, nous écrit le Maître, est, il est
vrai, assez banal, mais c'est que, voyez-vous, il est vrai. Un de mes élèves, enfant
abandonné, a inspiré le sujet et, dans certaines scènes, les enfants avaient suscité
des détails d'un réalisme saisissant et cruel que j'ai proposé d'atténuer pour ne pas
choquer le public. »
Voilà la
bonne méthode : sentir à la fois le sujet et le héros central, placer tout de
suite les acteurs au coeur même du drame tragique ou comique selon le cas.
On lira
avec profit la petite pièce dramatique qu'ont joué avec un succès total les petits
élèves de Retiers (Ille-et-Vilaine) et qui paraît dans nos Enfantines sous le
titre « Nuit de Noël » n° 129.
On
comprendra alors comment personnage central et action s'identifient pour créer la vie et
l'émotion de loeuvre. Nous regrettons de ne pouvoir citer le monologue où Jean,
l'orphelin abandonné et bafoué, s'abandonne si naturellement aux douloureuses
réflexions qui lui viennent à l'esprit en ce soir de Noël, tandis qu'il surveille la
belle dinde à laquelle il ne goûtera même pas. En voici la fin où, brusquement, se
détend le ressort qui précipite l'action :
... Le
chat bondit dans le grenier, le hibou hulule dans le verger ; les rats qui courent me
frôlent ; les bêtes qui remuent leur chaîne dans l'ombre, me font passer une nuit
effrayante. Je n'ose m'endormir jusqu'au jour qui glisse enfin sa lueur amie par la porte
et par les fentes. Les bêtes, alors, prennent une forme connue et, un peu rassuré, je me
cache sous la paille, engourdi par le froid, gelé jusqu'au coeur...
- Oh !
la dinde Elle est brûlée ! ... je vais encore être battu... je vais coucher cette
nuit dans l'étable... Oh non ! je ne veux pas, je ne veux pas... J'aime
mieux mourir dehors... je vais me sauver bien loin pour qu'ils ne me rattrapent pas...
(Son
regard égaré parcourt la pièce et, affolé, il se sauve en courant...).
Voilà le
désespoir de l'enfant et voilà l'action : Voilà le drame.
***
Une petite
scène sans prétention, sobre et un peu trop schématique, composée par des petits
musulmans inexpérimentés mais qui ont, certes, le sens du théâtre, nous fera sentir
mieux la nécessité de préciser le rôle principal de la scène.
LES CHÈVRES D'ALI
Ecole de Temet-el-Haad (Alger)
SUJET :
Ali garde ses chèvres sur les terres du Roi. On lui prend ses chèvres et, vainement,
son père tente de se les faire rendre.
SCENE I
Ali garde les chèvres dans la montagne : quatre chèvres.
Tout en les surveillant, Ali joue de la flûte. Ahmed, grand jeune homme, fils du Roi,
arrive.
AHMED. -
Que viens-tu faire ici, toi ?
ALI. - Je
garde les chèvres de mon père.
AHMED. -
Pourquoi les gardes-tu sur les terres du Roi ?
ALI. - Je
ne connais pas les terres du Roi.
AHMED.
Ah ! tu ne les connais pas ? Eh bien, j'emmène tes chèvres à l'écurie
du Roi.
ALI. - Ne
les prends pas ! Ne les prends pas ! Oh ! je t'en supplie ! Que va
dire mon père ?
Il
pleure, supplie. Ahmed emmène les chèvres.
SCENE II
Ali, Belkacem (son père)
BELKACEM. -
Ali ! Ali ! Où es-tu ? Où sont les chèvres ?
ALI, tremblant.
- Père, le fils du Roi a pris nos chèvres.
BELKACEM. -
Pourquoi as-tu laissé prendre les chèvres ? Nous n'avons plus rien à l'étable,
maintenant. Allez, rentre à la maison !
Il le
bat, le secoue rudement.
ALI, s'échappant.
- Aïe, aïe, père, pardon...
SCENE III
Le Roi
est installé sur son trône. Kaddour est assis à ses pieds. On frappe.
LE ROI. -
Va voir, Kaddour, qui est-ce qui frappe.
Kaddour va à la porte.
KADDOUR revient. - Sire, un
homme est là. Il veut vous voir.
LE ROI.
Fais-le entrer.
BELKACEM, il
s'avance en saluant plusieurs fois le Roi. - Seigneur, dis-moi, pourquoi ton fils
a-t-il pris mes chèvres ?
LE ROI. -
Et pourquoi ton fils garde-t-il sur les terres du Roi ?
BELKACEM. -
Seigneur, il est jeune, il ne savait pas.
Silence du
Roi,
KADDOUR se
lève et vient vers Belkacem. - Allons, sors d'ici
Belkacem
sort.
Il n'y a
pas ici, dira-t-on, de personnage décisif, influant par ses sentiments sur le
déroulement de l'action et pourtant, cette petite pièce, sans fioriture, retient et
même touche le lecteur. Pourquoi ? Parce que la pauvreté qui s'identifie avec
Belkacem joue ici le rôle essentiel. Elle est présente dans le désespoir d'Ali, dans la
brutalité du père, dans son audace d'aller réclamer ses chèvres, dans son silence
tragique quand on les lui refuse. Si Belkacem n'est pas devenu héros de premier plan,
c'est que nos jeunes auteurs dramatiques n'ont pas su lui donner techniquement l'ampleur
théâtrale qu'ils ont pourtant pressentie. Il appartenait au Maître d'insister sur les
divers instants psychologiques que nous avons mentionnés et de susciter
l'approfondissement moral dont le drame aurait tiré un réel bénéfice.
C'est la
même observation que nous ferons pour la saynète comique qu'ont écrite d'ailleurs et
jouée avec succès les élèves, de l'Ecole de Soubès (Hérault) :
LES SIX SOUS DE GIROFLE
La
scène représente une épicerie. Un comploir, balance, pilon, étagère, gros bocal,
échelle.
Au lever
du rideau, l'épicier Baubèche (pansu, bouc, lunettes, toque, grande blouse) pile
(poussière). Entre M. Anatole.
ANATOLE. - Bonjour, Monsieur Baubèche.
BAUBÈCHE. - Bonjour, Monsieur Anatole.
ANATOLE. Donnez-moi, s'il vous plait, pour six sous de
clous de girofle.
BAUBÈCHE.
- Avec plaisir, Monsieur.
L'épicier
place l'échelle, il monte en chancelant ; en tremblant, il prend un bocal sur la
plus haute étagère, il redescend, pose le bocal sur le comptoir, pèse, enveloppe dans
un immense papier.
ANATOLE. - Ça fait combien, monsieur ?
BAUBÈCHE. - Cela fait six sous.
ANATOLE. - Voici, monsieur. Au revoir...
L'épicier Baubèche replace le bocal. Même manège. Baubèche Pile. Entrent Loulou et Louloute en se tenant par la taille.
LOULOU et
LOULOUTE. - Bonjour, Monsieur Baubèche.
BAUBÈCHE.
- Bonjour, mademoiselle ; bonjour, monsieur. Vous désirez, mes agneaux ?
LOULOU. -
Donnez-moi six clous de girofle pour Louloute, ma fiancée.
BAUBÈCHE.
- Avec plaisir, monsieur.
Même manège pour prendre le girofle. Les amoureux s'embrassent en cachette. Il l'enveloppe dans un grand carton.
LOULOU. -
Combien ça fait ?
BAUBÈCHE.
- Ça fait six sous.
LOULOU et
LOULOUTE. - Bye, bye.
BAUBÈCHE.
- A dicias.
Baubèche
replace le bocal... pile. Un vacarme se fait entendre : cris, pleurs, grincements de
voiture. Baubèche se précipite à la porte, rentre dans la boutique, valises, parapluie,
cage à oiseaux. Avec sa poussette, une matrone renverse Baubèche ; elle est suivie d'une
kyrielle d'enfants.
BAUBÈCHE.
- Oh ! excuses, madame.
LA CLIENTE.
Pardon ! Oh ! ces gosses, ces gosses, figurez-vous, monsieur, que
j'allais les oublier dans le tramway. J'avais mis le caganis sous la banquette et j'avais
suspendu mon Toto au porte-manteaux. Adolphe était dans la cage à serins, Irma dans le
parapluie et Apollon dans le sac à main, on n'y voyait que les oreilles. Permettez-moi de
donner la pâture à mon petit Coco, il n'a pas d'appétit, pécaïré.
Elle donne une bouteille (biberon énorme).
BAUBÈCHE.
- Mais, madame, mon magasin n'est pas une cuisine.
LA CLIENTE
Donnez-moi pour six sous de girofle.
Même manège. Quelques taloches. Coco casse le biberon, lrma ouvre le parapluie et Adolphe mange du sel. Il pleure... Julot entre.
LA CLIENTE.
- Combien vous dois-je ?
BAUBÈCHE.
- Onze sous et demi.
LA CLIENTE.
- Au revoir, Monsieur Baubèche.
BAUBÈCHE.
- Au plaisir de ne plus vous revoir.
La
cliente sort en faisant du tapage. Baubèche remonte le bocal au haut de l'échelle.
BAUBÈCHE.
- Et toi, Julot, tu ne veux pas au moins pour six sous de girofle ?
JULOT.
Oh ! non, monsieur.
L'épicier
descend de l'échelle.
BAUBÈCHE.
- Et que veux-tu, alors ?
JULOT. -
Moi, je, n'en veux que pour trois sous !
Envoi de
l'école de Soubès (Hérault). Pièce jouée le 13 juillet 1947 par les moins de 10 ans
(garçons et filles).
Ici, pas de
personnage vraiment central bien que Baubèche ait été mis là pour jouer ce rôle.
Faute de savoir renflouer Baubèche, d'enfler son comique intrinsèque, nos jeunes auteurs
qui sont du Midi, donc enclins à la galéjade, ont suscité des sources diverses de
comique, étrangères à l'action véritable : celle des clients, des fiancés et
surtout de la débordante méridionale et de sa marmaille. Il y a là une faiblesse
regrettable. Tout en gardant les avantages scéniques des rôles secondaires, il y aurait
eu gain indubitable à étudier plus en profondeur le vieux marchand rhumatisant, à
montrer ses difficultés à faire du commerce et plus loin que le manège de l'échelle,
qui est, à lui seul, très expressif, voir d'autres aspects d'incompétence commerciale.
Le mot de la fin n'en aurait eu que plus de saveur et peut-être aurait-on respiré mieux
encore cette atmosphère de Provence sentant bon le rire, le soleil et les épices...
Peut-il y avoir plusieurs personnages d'égal relief ?
Dans tout
théâtre, il y a avantage à simplifier l'action, à la lier au développement des
caractères pour donner de la cohérence psychologique à la pièce. Si nous donnons une
égale importance à 2 ou 3 personnages, dans quel sens iront les événements ? Il
en est du théâtre comme de la vie de ménage (qui serait à tout prendre le
chef-d'oeuvre de la contedie) : l'un fatalement empiète sur l'autre et oriente la
destinée... Ce n'est qu' à ce prix que règnent la concorde et l'harmonie et, qu'on peut
dire avec raison : « C'est lui ménage vraiment uni. » Le théâtre,
c'est le « ménage uni » : un acteur ne peut tirer à hue ! pendant
que l'autre lire à dia ! Il faut, bon gré, mal gré, faire la part belle à
celui qu'on doit consacrer héros, faute de quoi ce sera le règne de la chicane et
la pièce, dispersée, tiraillée, tombera en miettes.
« Pourtant,
diront les amateurs de vaudeville, l'intrigue et le quiproquo ont bien aussi leur franc
succès et vous trouverez de par le monde publics plus soucieux de l'aventure que
de la vérité des caractères.
La remarque ne manque pas de justesse. Il en est des pièces de
théâtre comme des films, ou des romans. Les épisodes sensationnels quils
proposent sont très souvent une raison de succès Seulement, l'enfant ne sait pas
inventer le sensationnel, il l'aime certes, mais la succession des événements qu'il
suppose n'est pas familière à l'invention enfantine. Pour obtenir dans ce genre une
comédie qui « se tienne », il y faut le secours de l'adulte qui sent le
dynamisme des faits et l'inattendu des situations. Et encore, même dans ces cas où
l'action se disperse en événements plus ou moins coordonnés, il faut une lame de fond,
un courant central qui rassemble et entraîne les scènes plus ou moins éparpillées.
C'est ce courant de fond qua très bien senti Barathon et ses élèves (Ecole de
Loriges par St Pourçain-s-Sioule, Allier) qui ont réalisé une comédie excessivement
vivante dont le mouvement rapide, les situations inattendues suscitent des jeux de scène
fort comiques. Nous regrettons de ne pouvoir reproduire des passages de cette comédie qui
perdrait tout son sel à être morcelée. Il s agit, en l'occurence, de deux gamins
obsédés par une partie de pêche qu'ils réalisent coûte que coûte malgré de
mulitples empêchements. Cette obsession de la pêche est ici le foyer central qui
détermine l'essentiel de l'action et provoque de surprenants chocs de situations qui sont
d'un effet, fort comique.
Dans le
même, ordre d'idée, voici une, petite saynète plus brève, moins bien agencée,
il est vrai, mais qui peut être donnée comme exemple de pièces où laventure
pourrait primer les caractères.
LE MARCHAND DE TABAC
C.,
désigne ne le client.
M., le
marchand de tabac.
G., le
gendarme.
- Toc, toc.
- Entrez.
(Un client vêtu pauvrement entre).
C. -
Bonjour, monsieur.
M. -
Bonjour, monsieur.
C. - Je
viens chercher du tabac.
M. - Votre
carte.
C. - Je
n'en ai plus. Je l'ai perdue.
M. - Je ne
donne pas de tabac sans carte.
C. - Mais
il me faut du tabac tout de suite. Je meurs d'envie de fumer.
M. - Non,
je ne puis pas vous en donner car je ne pourrai pas en avoir d'autre.
C. - Moi
j'en veux. Vous en avez bien donné au gars Pleind'sous, sans doute parce que c'est un
riche propriétaire.
M. - Ce
n'est pas vrai.
C. -
Comment, pas vrai ? J'en suis sûr. Il m'a même offert une des cigarettes que vous
lui avez vendues. Mais lui, c'est un gros, un gars qu'est riche et qui fait pour au monde,
tandis que moi, je n'suis point riche.
M. - Dites
donc, vous avez fini de m'insulter ?
C. - J'vous
insulte pas, j'veux du tabac, C'est tout.
M. - Je
vous dis que je ne peux pas vous en donner.
C. -
Ah ! vous n'pouvez pas. Eh ! bien, j'vais m'servir tout seul.
M. - Si
vous faites ça, j'appelle les gendarmes.
C. -
Appelez ! appelez ! J'les attends.
M. -
Allo ! la gendarmerie ! M. le brigadier, j'ai là un client qui veut dévaliser
mon bureau de tabac. Venez vite. Oui. Merci. (Il lache le téléphone). Ils
viennent. Vous allez voir, et vous irez en prison pour m'avoir insulté !
C. -
Attends, attends, mon p'tit t père, on verra ça.
Le
brigadier entre.
G. - Alors,
qu'est-ce qu'il y a ?
M. - C'est
ce monsieur qui veut du tabac sans carte. Il m'a insulté et comme je ne veux pas le
servir, il veut me voler tout mon tabac.
C. - Tout
votre tabac ! C'est pas vrai. J'veux seulement ma ration.
G. -
Avez-vous votre carte ?
C. - Non,
je ne l'ai point. J'l'ai perdue. C'est tout de même pas ma faute.
G. - C'est
point d'la mienne non plus.
C. - Bien
sûr. Mais écoutez, M'sieur l'brigadier, va-t'y falloir que j'achète du tabac au marché
noir ?
G. -
Sûrement pas. Ne fumez pas, ça sera aussi simple.
C. - Vous
dites bien, vous ! Mais pourriez-vous vous empêcher de fumer, vous ?
G. - Il
n'est pas question de moi, mais de vous. Vous avez voulu cambrioler le bureau de tabac. Je
vous emmène en prison.
C. - Ça,
point du tout. Car si vous faites ça, je m'en vas dire partout que vous achetez du beurre
chez la mère Pleindebeurre qu'habite à la beurrerie. J'vas dire que l'épicière donne
du café à vot'femme pour être bien avec vous. J'vas dire à vos chefs que vous avez
transporté de l'eau-de-vie en fraude. Vous savez bien celleque vous avez acheté chez
l'père Lagoute ?
G. -
Allons, allons, ça va, ça va ! Hum ! hum ! hum ! Avez-vous déclaré
que vous avez perdu votre carte ?
C. - Pas
encore, mais si faut le faire je le ferai à la mairie.
G. -
Bon ! bon ! on vous en donnera uneautre et vous reviendrez chercher votre tabac.
C. - Et si
le secrétaire ne vent point m'en donner ?
G. - Mais
si. Je vais avec vous. Partez devant, je vous suis.
Le
client sort.
G. - Dites.
C'est une affaire arrangée. Tout le monde sera content. Mais vous n'auriez pas un paquet
de cigarettes en trop ?
M. - C'est
bien parce que c'est vous, M'sieur le brigadier. (Il donne un paquet de tabac. Le
brigadier sort).
G. - Au
revoir et merci. A bientôt
M. - Au
revoir, M'sieur l'brigadier. A bientôt !
Pièce de
Lucien Roland et Georges Paul, créée le 21 mai 1947, devant M. le Directeur de
l'Enseignement du premier degré, et M. L'inspecteur général, M. l'Inspecteur de
l'Académie, M. l'Inspecteur primaire, les instituteurs.
Ecole de la
Baroche-Gondoin (Mayenne).
Vous me direz : « Il ny a pas de personnage
central, et pourtant ça ne manque pas de sel, c'est français, quoi... ça
roule... »
Oui, mais
il n'est pas utile quelquefois que le rôle principal soit réel et agissant. Si vous ne
l'avez pas reconnu dans le Marchand de tabac que vous venez de lire, c'est vraiment
que vous êtes l'innocence en personne à qui le marché noir n'a jamais offert ses
tentations ou suscité de grandes colères...
Nous
continuons à croire qu'une pièce de théâtre doit être « centrée » et
pour être « centrée » elle doit trouver son moteur dans un rôle de premier
plan.
Voici, pour
faire comprendre mieux notre idée, un exemple de saynète où le héros central (présent
en chair ou en esprit) n'a pas su se tailler sa place :
QUELLE JOURNÉE !
Ecole publique de Moureuille (Drôme).
La
scène se passe dans un salon.
Deux
heures sonnent, Madame Lepic s'apprête à repasser, elle installe sa table, va chercher
sa corbeille à linge et branche son fer. Elle regarde son linge et dit :
- Tiens,
voilà une chemise tachée, une robe déteinte, ce caleçon déchiré. Que de linge en
mauvais état ! Comment faire, on ne trouve rien et ce qu'on achète est si cher.
Ah ! quelle époque !
On
frappe.
-
Entrez !
Mariette
entre.
- Vous ne
savez pas, Jeanne, la Louise du Poirier a dit que j'étais une mauvaise langue ! Ce
n'est pas vrai, n'est-ce pas, je ne m'occupe jamais des voisins ! Ce n'est pas moi
qui irai dire que, hier soir, le jules « ça saoûlé », qu'il a battu sa
femme et qu'elle a passé la nuit dehors ! C'est-y pas malheureux ! On les verra
toutes ! Ah ! faut pas que je m'amuse, j'ai mon souper à faire. Au revoir,
Jeanne.
- Au
revoir, Mariette.
- Oh !
(Elle se précipite sur son fer.) Avec cette mauvaise femme, j'ai laissé brûler mon
linge. Mais pourquoi écoutais-je ses « cancans » ? Encore un peu plus de
linge de détérioré, jamais je ne m'en sortirai.
Elle se
met à repasser. On frappe.
- Encore
quelqu'un ! Entrez.
Un petit
ramoneur, tout noir, écarquillant les yeux, entre.
- Bonjour,
madame. Puis-je regarder votre cheminée ?
Il va à
la cheminée et il s'écrie
- Votre
cheminée a bien besoin d'être ramonée, ce n' est pas prudent d'y faire du feu. Il faut
que je la ramone ! (Il déploie ses raclettes).
- Que
veux-tu faire, petit ?
- Heu, heu, heu...
-
Parle !
- Je vais ramoner la...
- Ramoner
quoi ? Veux-tu bien décamper et ne rien salir !
En
ramassant ses raclettes, le ramoneur s'en va.
- Avec
toutes ces belles visites, je ne terminerai pas mon repassage.
On
frappe.
- Oh ! la la ! Encore quelqu'un ! Entrez !
Une
bohémienne entre.
- Bonjour,
madame. Oh ! que vous avez de beau linge ; mais si cette chemise serait bordée
de dentelle, elle serait ravissante. Tenez, j'ai justement ce qu'il vous faut.
-
Laissez-moi tranquille avec vos dentelles.
- Et ces
boutons ne vous plairaient-ils pas ?
..
-
N'auriez-vous pas un peu de lait pour mon petit qui est malade ?
- Je n'ai
pas de vaches.
Elle sort un jeu de cartes.
- Voulez-vous que, je vous dise votre avenir ? Coupez.
.
- Donnez
votre main, je vais lire les lignes.
- Je ne
crois pas à vos boniments.
-
N'auriez-vous pas une vieille veste, une vieille robe, ou de vieux souliers ?
- Non.
- Allons,
au revoir, madame, vous naurez pas de chance dans votre vie.
On
frappe...
On a cru
ici que l'événement extérieur au drame pouvait suppléer au déroulement et à
l'expression du ressort, psychologique. On a bien trouvé, en effet, des personnages
amusants, typiques même, mais impuissants à mener l'action vers un dénouement, digne de
ce nom. il n'y a pas de raison, comme dit l'autre que ça finisse
Et sans le secours
du rideau la scène aurait pu être spectacle permanent... C'est un bel avantage que de
pouvoir poser à point donné, le mot final sur lequel les spectateurs méditent et qui
termine vraiment une aventure au sens théâtral du mot.
L'improvisation
est la meilleure technique
théâtrale
Si vous
avez des loisirs ou du temps à gaspiller, écoutez donc les chansons modernes à la
Radio : elles gravitent toutes, ou presque toutes, autour du genre Charles Trénet
(du moins depuis le déclin de Tino Rossi). Tout ce qui vient à l'esprit est motif à
chansons. Si vous vous insurgez contre cette facilité de bas étage, les jeunes
admirateurs du genre évoqueront contre vous je ne sais quelle liberté existentialiste et
vous donneront pour preuve convaincante le témoignage d'un insolite succès.
Nous
n'aimons pas la désinvolture d'un Charles Trénet et pourtant nous sommes persuadés que
sa méthode est la bonne, à une condition cependant, c'est d'avoir quelque chose là
dire. Improviser, oui, mais improviser sur un thème riche, que l'on possède bien, que
l'on sent bien et dont on pressent le déroulement. Improviser en se mettant dans la
« peau du personnage », en pénétrant an coeur même de sa personnalité et
en la recréant.
On peut
improviser selon deux méthodes :
- ou créer
définitivement l'oeuvre que l'on se propose de jouer en établissant nettement les rôles
et leur jeu dans les scènes prévues, en consignant phrase par phrase, mot pour mot les
répliques sur lesquelles on fera, l'apprentissage de la diction ;
- ou partir
à l'aventure le sujet bien en tête, vers la réalisation scénique, en inventant les
caractères au fur et a mesure, en délimitant les contours essentiels du drame sur
lesquels on reviendra dans des répétitions successives jusqu'à ce que la scène soit
vraiment inscrite dans la sensibilité de chaque acteur.
C'est le
premier procédé qu'ont employé notre collègue Naudé et ses élèves (Ecole de
Baulne-en-Brie, Aisne) qui nous écrit :
« Nous
n'avions que trois semaines pour créer une pièce avant Noël. Nous avons trouvé le
sujet, fait un plan bien établi et aussitôt le C.F.E. (10 élèves), réuni devant le
tableau noir, a tout de suite décidé de l'évolution générale des scènes, fait un
recensement rapide de ce que chacun pourrait apporter ou confectionner comme accessoires,
puis les deux premières scènes furent mises sur pied... Pendant que la classe
continuait, les grands s'animaient près du tableau noir, trop bruyamment parfois...
« M'sieu, on a fini ! » C'était une façon de dire : « Les
deux côtés du tableau sont garnis. » Les acteurs, déjà désignés, ont lu leur
rôle. La mise au point s'est bornée à l'indication des jeux de scène. Chaque lundi et
vendredi malin, jours de texte libre pour le C.F.E., la rédaction de la pièce a
continué : Tout était prêt et su au bout de trois semaines. La part du Maître
s'est bornée à des suggestions de détail. A chaque répétition, la même question
m'était adressée : « C'était bien ? Ça vous a plu ? » Et le
jour de la représentation, de l'avis des spectateurs captivés, ce fut le clou de la
fête. C'est notre premier essai en public de théâtre libre. Il fut un succès et c'est
un immense plaisir pour moi (je ne parle pas de l'enthousiasme des enfants d'en avoir
été le modeste guide. »
***
Ce
procédé de mise en chantier puis de construction pour ainsi dire littéraire d'une
pièce est-il le meilleur ? Bien qu'elle demande des quamités dinitiative et
d'invention continuelles, celle technique reste, à notre avis, un peu en dehors du réel
des personnages. Ici ce ne sont pas les personnages qui s'expriment, c'est encore l'enfant
qui les fait parler. Pour avancer plus avant dans la construction des rôles, il faut que,
tout de suite, l'acteur devienne personnage et improvise oralement et sans intermédiaire
graphique, les sentiments que son rôle lui suggère. C'est en vivant ce rôle de
l'intérieur et en l'exprimant par la parole, les gestes et les attitudes que, peu à peu,
à la suite d' expériences successives, le personnage se dessine, prend corps et
s'affirme enfin dans sa physionomie physique et morale, dans son type. Type si définitif,
si profondément possédé, que l'acteur peut, d'une représentation à l'autre, modifier
son langage, son jeu, en lui restant pourtant toujours fidèle.
C'est là
la meilleure façon de faire pour créer les rôles en profondeur et pour familiariser les
enfants avec la pièce, la scène et le public. C'est ainsi que nous avons toujours
procédé à l'École Freinet et c'est ainsi que procèdent bon nombre d'instituteurs
définitivement acquis aux expériences de libre expression.
Voici les
commentaires dont Flamant (Ecole de Bucy-les-Pierrepont, Aisne) accompagne le canevas de 2
pièces fort réussies qu'il nous adresse : « Tartarin à la chasse aux
lions » et « Alibaba et les 40 voleurs » :
« Je
me borne à décrire les décors, les costumes et à résumer les scènes successives. Je
ne rapporte aucun dialogue pour la bonne raison que nos enfants jouent, naturellement, en
improvisant et que 3 répétitions échelonnées en un mois en vue de préparer une
séance publique, m'ont donné chaque fois des changements dans les dialogues. Et pourtant
les personnages restaient magiqtralement bien campés et fidèles au type dont les enfants
portaient en eux le modèle. Je ne savais jamais quelle interprétation allaient donner 2
acteurs particulièrement doués. Le jour de la séance publique ce fut pour moi-même une
révélation. »
Et nous
regrettons, en effet, qu'un sténogramme n'ait pu consigner pour nous les créations
vraiment originales des jeunes acteurs vivant si intensément leur rôle.
Même,
technique aussi chez Lucienne Mawet (Paudure, Belgique), qui regrette de ne pouvoir nous
envoyer fidèlement une scène tragique vécue et jouée par ses élèves d'âge
extra-scolaire : « Les déportés » :
« L'essentiel, dit L.Mawet, - surtout avec des jeunes qui
débutent dans l' « art théâtral », c'est de les aider à trouver le sujet.
D'abord, dégager un thème d'un intérêt dominant et collectif ; créer ensuite
l'ambiance favorable à son développement, (cela ressemble assez à l'exploitation du
texte libre). Dès que les premiers tâtonnements ont pris forme, le canevas de la pièce
est vite établi. Les détails se précisent, les réparties alertes ou les expressions de
sentiments profonds prennent légèreté ou gravité et à même le déroulement de
l'action, la pièce prend de la profondeur et de l'unité. Les acteurs incarnent leur
rôle avec tant de passion qu'ils font corps avec lui, pourrait-on dire. Le jour de la
représentation, les spectateurs furent émus jusqu'aux larmes, et des tonnerres
d'applaudissements nous dirent assez le succès de notre oeuvre. »
***
Que l'on ne s'imagine pas que l'improvisation déroute l'enfant
au point de lui donner le trac quand il se trouvera face au public. Même les tout jeunes
acteurs prennent goût et profit à l'invention des personnages qu'ils incarnent et des
gamins de 5, 6, 7 ans savent se tirer d'affaire sans qu'il soit jamais besoin de
souffleur. C'est l'expérience qu'a faite Edith Lallemand avec ses petits élèves de la
classe enfantine de Flohimont (Ardennes) et voici ce qu'elle écrit, à ce sujet :
« La
part des enfants et la part de la Maîtresse ».
« Les
enfants jouent leur rôle aussi librement qu'ils parlent, plus librement peut-être. La
maîtresse note au vol les répliques intéressantes ou nouvelles, car il y a autant de
versions que de répétitions. Après une longue moisson, elle est, en possession d'un
petit trésor. Elle se rend compte des oublis, les signale : « Ceci était
vraiment bien , vous devriez le redire encore. » Mais elle n'insiste pas, elle
n'exerce aucune contrainte de peur qu'un effort de mémoire artificiel ne paralyse le jeu
de certains enfants. Pas un mot pendant, la comédie n'a été suggéré ou soufflé par
la Maîtresse, Avec les petits, tout doit partir de la spontanéité. Il ne s'agit pas
avec eux d'enrichir un vocabulaire déjà suffisamment... réaliste et expressif. Il
s'agit de sauvegarder et d'exalter toutes, les facultés de l'enfant.
Au cours du jeu dramatique, les enfants eux-mêmes sont frappés
par la vérité, et la valeur de certaines trouvailles. Colette, actrice, entendant une
réplique inédite d'Anne-Marie, éclate de rire, interrompt son jeu, se retourne et
dit : « C'est bien, hein, M'dame ! »..,
« Certains
élèves, à la veille de la représentation, craignaient d'oublier quelque détail dont
ils avaient apprécié l'importance et on pouvait craindre qu'ils se figent et perdent
leur élan, leur fougue, leur jeu si plein et si expressif. Tout, au contraire, ils s'y
sont livrés devant le public avec un tel débordement d'expression déchaînée, que nous
nous sommes demandé, un instant, ce qui allait advenir... Mais les enfants ne sont ni
timides ni cabotins ; sur la scène, ils sont vraiment dans la peau de leur
personnage.
« Pour
réussir, il suffit d'organiser l'expression libre de l'enfant dans une atmosphère de
travail socialisé et de compréhension confiante, d'abandonner le préjugé de la
supériorité de l'adulte. Alors fleuriront quantité de réalisations intéressantes, pas
mal de belles uvres et quelques chefs-d'uvre. »
Pour
illustrer les judicieuses remarques d'Edith Lallemand voici une scène de ménage (!)
jouée par deux acteurs de 5 ans 1/2 et 7 ans 1/2 de sa classe.
CHEZ
ADRIENNE
Ecole de Flohimont, classe enfantine
La
scène se passe dans la boutique d'Omer et d'Adrienne devant des boîtes de conserves, des
marchandises diverses. Omer est à son comptoir. La partie droite de la scène représente
le sentier qui vient de France car l'on fait ici de la contrebande plus ou moins
camouflée dans cette zone frontière...
Omer,
assis à son comptoir, fume placidement sa pipe.
Adrienne
rentre. Elle vient de se lever
- Oh !
je suis fatiguée... (Elle s'étire et déjà agressive.) Qu'est-ce que tu
fais là, toi ?
OMER, placidement.
- Je travaille.
ADRIENNE. -
Tu travailles ?
OMER. - Oui.
ADRIENNE. -
Et à quoi tu travailles ?
OMER. - Je
vends.
ADRIENNE.
Ah ! ben, oui, tu vends... En voilà un travail, etc... (Elle sort vers la
cuisine pour allumer son feu. Elle appelle.) Orner ! donne-moi du papier,
vite !
OMER, souriant
et insouciant. Non !
ADRIENNE. -
Il ne m'aidera pas ! Quel homme ! Et mon feu qui ne veut pas s'allumer. (Elle
continue à récriminer.) Orner, donne-moi du petit bois !
OMER.
Zut ! Ah ! la la ! ce qu'elle m'énerve !
Nouvelles
récriminations d'Adrienne.
ADRIENNE. -
Omer, du papier ! Omer, du petit bois ! Omer des allumettes !
OMER. Non
« que » je te dis ! Viens les chercher toi-même ! Ça te fera les
jambes !
Adrienne
vient chercher les allumettes tout en se plaignant de son mari.
ADRIENNE. - Quel homme j'ai là ! Quel paresseux !
Quel malheur d'avoir un mari pareil ! (Et elle repart vers son feu.)
Dans des
variantes, la Maîtresse note des passages comme celui-ci :
ADRIENNE. -
Eh ! bien, c'est toi qui fera la soupe !
OMER. -
Non, je ne ferai pas la soupe C'est aux femmes à faire la soupe.
ADRIENNE. -
Ah ! tu ne feras pas la soupe ? Alors, tu t'en iras !
OMER. - Je
m'en irai ? Mais, dis donc, à qui c'est, la maison ?
Comme on le
voit, il ne s'agit pas de mot à mot appris avec difficulté, mais de l'improvisation
toute naturelle qui laisse à l'enfant initiative et à propos dans les limites d'un rôle
qui reste fidèle à lui-même. On imagine facilement que là est la bonne méthode pour
former les bons acteurs, à l'aise avec la personnalité des personnages qu'ils incarnent,
à l'aise avec la scène et le public. Et si l'enfant a vécu le sujet qu'il interprète,
s'il en garde l'émotion profonde et la représentation réelle, nul doute qu'il
puissed'un jet atteindre à des effets d'expression d'une étonnante vérité. Qu'on
relise à ce sujet le N° d'Enfantines : « Ils jouaient »,
qui est le sténogramme d'un drame vécu par les petits réfugiés d'Espagne pendant
« leur guerre », comme ils se plaisaient à dire, et l'on sera saisi par la
profondeur tragique des tableaux et la grandeur des sentiments de ces enfants de la rue
qui furent si souvent les héros anonymes d'une grande épopée.
***
Créer l'atmosphère
On ne joue
pas forcément des scènes prises dans la vie même de l'enfant. Tout autour de l'aventure
personnelle, il y a la grande aventure de la vie sociale et celle, infinie, de la fiction.
Comment incarner au mieux des personnages qui sont quelquefois, psychologiquement inconnus
des enfants ?
Comme
toujours, la condition de succès est de familiariser les acteurs avec leur rôle qu'on
leur fera sentir en dégageant bien l'atmosphère du sujet.
Après
avoir situé le sujet, précisé l'essentiel de l'action, il faut créer l'ambiance :
« Ici ce sera la scène, avec la forêt, la maisonnette du bûcheron et la petite
fontaine qui coule doucement : glou, glou... Dans les branches, il y a des oiseaux
qui chantent... Voilà la femme du bûcheron qui lave le linge, manches retroussées,
mouchoir autour des cheveux, tablier bleu, sabots de bois, etc, etc... »
En
précisant ces détails réels, en leur donnant un début de réalité (c'est si facile
d'improviser un décor et des costumes avec les moyens du bord !), on place de suite
les acteurs dans cette ambiance particulière qui est déjà une évasion, qui ouvre le
champ à l'invention et au rêve... L'enfant nest plus la fillette en sarrau noir,
intimidée par sa maîtresse : elle est la bûcheronne du lavoir et autour d'elle
passe la magie de la forêt . Soyons très attentifs à ces préparatifs de départ, ils
apportent avec eux une suggestion décisive. C'est ici que le Maître doit apporter sa
part en inspirant par le décor, la parole et le geste, les accents essentiels qui
détermineront le jeu scénique et le drame. C'est à l'intuition des enfants qu'il faudra
continuellement faire appel et non à son infidèle mémoire. C'est sa sensibilité, son
initiative, en un mol, son talent, qu'il faut solliciter.
Ce n'est
pas forcément les élèves les plus intelligents qui, ici, réussiront le mieux. Il
arrive même très souvent que des enfants qui se sont mal développés jusque la sur le
plan intellectuel, se découvrent de réelles aptitudes dans l'expression orale et dans
les attitudes et les gestes qu'exige le théâtre. Nous avions, à Vence, notre Pena,
demi-illettré, qui s'était tout naturellement institué directeur de théâtre. Quand il
était acteur, il dirigeait et conduisait la scène de façon magistrale et quand il
était libre, il se postait dans les coulisses et faisait à propos le censeur, le
conseiller et le souffleur. Si bien qu'avant de jouer, d'abord on s'inquiétait :
« Où est Pena ? Appelez Pena » ! Et Pena arrivé, tout allait pour
le mieux. Lui, jouait modestement son rôle, sans prétention déplacée, avec l'élan
qu'il apportait à toute activité de son goût...
On fait
ainsi des découvertes inattendues qui réhabilitent des élèves qu'on se serait presque
résignés à abandonner à leur triste sort.
Faire parler les personnages, mais éviter
qu'ils parlent pour ne rien dire
Il faut
comprendre que le théâtre n'est pas simplement des personnages qui parlent ou s'agitent,
mais qu'il est une manière de rendre plus vivants et plus compréhensibles et
communicatifs des sentiments des passions ou des déformations de l'âme humaine. Sur la
scène, chaque mot doit porter. Chaque tirade doit faire avancer l'action et l'action doit
découler des personnages eux-mêmes. C'est assez dire qu'une pièce doit avoir de
l'unité, une unité dynamique, soutenue, sans éparpillements, et qui satisfait
pleinement l'attente du public.
Réglementairement,
au grand siècle (et du reste après lui), l'unité d'action comprenait :
l'exposition, l'action et le dénouement. Sans montrer trop de rigueur sur
l'importance relative de ces trois divisions, il est tout de même essentiel que,
écoutant une pièce, le public sache pour quelles raisons les personnages sont en scène,
ce qu'ils font, et ce qui résulte de leurs agissements. Trop d'instituteurs ne voient que
les jeunes acteurs à l'exclusion de la pièce même et se contentent de dialogues plus ou
moins bien construits, trop souvent pauvres dans leur forme et dans leurs idées,
émerveillés qu'ils sont de voir leurs élèves se débrouiller tout seuls.
Au-delà de
l'enfant que vous connaissez, il faut voir le personnage réel, la pièce entière et sa
perfection. Ne permettez jamais de votre, part l'indulgence coupable qui
favorise, le « navet » dont voici un exemple :
UNE PEUR
Premier tableau : Au pâturage
Personnages
: la maman, deux chèvres, le bohémien.
LA MAMAN, comptant
les mailles. Soixante-et-une, soixante-deux, soixante-trois, soixante-quatre.
Encore trois rangs et je serai au talon... Blanchette ! Veux-tu rester ici !
BLANCHETTE.
- Mêêê ! je n'ai pas envie de venir. L'herbe est meilleure où je suis...
LA MAMAN se
lève avec son bàton pour aller la chercher.
BLANCHETTE.
Mêêê !... J'arrive... je n'aime pas les coups de bâton.
LA MAMAN. -
Quel souper est-ce que je pourrais bien faire pour ce soir ? Une soupe aux
légumes ? Une salade et une purée de pommes de terre ? Si seulement j'avais de
la viande ou de la charcuterie ! Mais c'est lundi, la boucherie est fermée...
Biquette !
BIQUETTE à
Blanchette. - Elle m'ennuie L'herbe est plus tendre ici...
BLANCHETTE.
- Tu as raison ! Viens, nous allons jouer près de ce buisson.
LE
BOHÉMIEN apparaît derrière le buisson sans que la maman le voit.
Oh ! la jolie chèvre, je pourrais bien l'emmener pour la revendre.
La maman
fait un mouvement.
LE
BOHÉMIEN, bas. - Je crois qu'elle m'a vu. (A haute voix) Bonjour,
madame ! je cherche mon peigne que j'ai perdu hier.
LA MAMAN sursaute.
- Au secours ! Au secours ! Au voleur ! Un bohémien ! Biquette !
Blanchette ! Venez vite. Nous rentrons à la maison...
BLANCHETTE
et BIQUETTE. Nous venons... Mêêê...
Elles
s'enfuient toutes les trois.
Comme on le
voit, cette première scène se termine sans qu'on en pressente une autre. Aucun chaînon
ne semble amener une suite. La suite vient pourtant qui est la répétition de la scène
précédente. On y retrouve la maman, une fillette, le bohémien et une fois encore
tout se termine par une grande peur...
C'est là du théàtre à vide. Si l'on avait très nettement
situé les personnages et leur action, on aurait pu, avec un thème aussi comique,
susciter des effets et des situations très drôles. Les personnages, alors, n'auraient
pas parlé pour simplement la scène, ils auraient incarne le drame de la peur. On imagine
aisément ce qu'un tel sujet aurait donné comme jeu de cirque exploité par un clown de
talent.
Il faut
redire encore qu'une pièce de théâtre est une construction qui exige, des assises et
une perfection de détail qui doit aller s'approfondissant et s'enrichissant jusqu'à
donner l'illusion de l'aisance et de la vérité. Ce n'est pas par hasard que l'on atteint
ce résultat, mais par intuition et calcul.
Soigner le dénouement
Si l'action,
dans laquelle s'exprime d'ailleurs l'essentiel des caractères, est importante, le dénouement
détient peut-être le succès véritable de la pièce. C'est lui qui condense
l'aboutissement émotionnel de toute la scène. S'il trouve dans les spectateurs
d'heureuses dispositions d'adhésion et de sympathie, tout va pour le mieux et le succès
est assuré. Soignons donc méticuleusement la fin de nos comédies. Réglons avec
précision l'agencement de la dernière scène. Arrangeons-nous pour que le rideau se
baisse sur un tableau digne de la pièce et que les dernières réparties soient
définitives, chargées de cette densité émotionnelle (dans le rire ou le tragique) qui
laisse le spectateur accroché au spectacle jusqu'à la minute du dernier mot.
C'est
certainement ce qui s'est produit lors de la représentation d'un drame de la Résistance
dont nous entretient Lucienne Mawet (Ecole de Pandure, Belgique), et dont voici le
dénouement :
Il
s'agit d'une scène de déportation, Louis, jeune homme de vingt ans, est emmené en
Allemagne, arraché à sa mère, à sa grand'mère, par un sbire d'occasion.
LA MÈRE. -
Voici ton linge : des chemises, ,des chaussettes, des mouchoirs, un chandail.
Couvre-toi quand il fait froid. Et puis, voici ton tabac...
LOUIS. -
Ah ! oui, le tabac ! Il sera d'un grand secours, là-bas...
LA MÈRE. -
Et voici un peu de monnaie... Oh ! pas grand chose !
LOUIS. -
Oh ! ça, je ne veux pas ! Non, Maman, garde cela pour vous toutes. C'est tout
ce qu'il vous reste, maintenant. Comment allez-vous vivre ?
LA MÈRE. -
Avec mes bras... et ma vaillance !
LOUIS,
il regarde sa mère avec émotion. Oui, je sais ! (Il lui prend les mains en
silence.) Maman !
LE CHEF
REXISTE faisant brutalement irruption. -Allez, oust ! Et plus vite que
ça !...
Louis et sa mère s'étreignent. Il prend sa musette, s'éloigne s'arrête sur le seuil, regarde une dernière fois sa mère immobile, appuyée au rebord de la table. La vieille grand'mère se lève, vient vers celle, péniblement.
LA
GRAND'MÈRE. - Courage ! ma fille ! Courage Louis est énergique, il est
fort ! Il luttera ! Il nous reviendra. J'en suis sûre, il nous reviendra. (Elle
pense, la tête dans sa main. Puis, soudain, lève le front, serre le point.) Les
canailles ! (Et s'avançant vers le public.) Ah ! la guerre ! quelle
chose monstrueuse ! Qu'elle soit maudite par tous les coeurs des mamans !
Rideau
Où puiser des sujets de pièces ?
Dans la vie sociale, dans le milieu :
L'existence serait un prétexte permanent à faire du théâtre,
tant par le côté comique que par le côté tragique que dispensent les jours. Il suffit
d'ouvrir les yeux et de savoir regarder : farces, comédies, drames se déroulent à
notre portée ; il est facile de choisir, mais de choisir bien, en dissociant les
événements, en prenant le passage qui détient les ressorts les meilleurs pour
l'évolution des personnages. Au Maître à conclure, à écarter les situations ingrates
ou incomplètes, à éliminer les sujets gênants, à encourager au contraire les thèmes
favorables et à en approfondir la valeur théâtrale. Que de sujets à notre
disposition ! Scènes de ménage (mais gardons-nous de la vulgarité !),
obligations domestiques ou mondaines, citadines élégantes aux prises avec la rusticité
paysanne, paysans dépaysés dans la ville, histoires de contrebande à la frontière,
scènes de vente ou d'achat de bétail suspect, tels sont les thèmes courants dont la
comédie scolaire fait sa pâture. Pour peu que l'on fasse couleur locale, nul doute qu'on
obtienne un succès facile auprès d'un publie villageois, qui ne voit pas plus loin que
sa petite patrie.
Voici une scène assez typique qui doit être fort applaudie par
un public paysan :
LA VENTE D'UN CHEVAL
Décor :
une cuisine, une table, six verres, une bouteille de cidre ou de vin, six chaises.
Lever du
rideau. Dans les coulisses, on entend des paroles.
SCENE 1
M. COQUEREAU. - C'te ch'val est jeune ?
M. BÉCHU. - Ben oui, quatre ans, monsieur.
M. BOUHOURD. - R'gardons si c'est la vérité.
M. DESLANDES. - Oui, vous n'vous êtes point trompé, l'a ben
quatre ans !
M. BECHU. - Tenez v'nez don à la maison.
SCENE II
Tous les
personnages apparaissent : le fermier, la fermière, les trois marchands, l'enfant.
Ils
s'installent à table.
M. BÉCHU.
- Vous vouaiyais, hein ! Il é ben gras, mon cheval, on sent pas ses côtes. Avec
ça, on peut faire d'bons bifteks. (Mme Béchu verse à boire.)
M.
COQUEREAU. - J'dis pas. Mais, c'te mal qu'il a su le cou ça l'fait souffrir, pauv'
animal.
M. BÉCHU.
- Oh ! ben, et avec la pommade qu'j'ai acheté, ça s'guérit, c'est presque sec. M.
C0QUEREAU. - Et ces pattes (prenant les deux autres à témoin.) Vous avez vu !
D'vraies flûtes ! Et ces jarrets, y peuvent même pas l'porter.
M. FERRON.
- Mais, Ça fait ren, elle est ben vigoureuse, la sale bête. Y'a huit jours quelle
a point travaillé, elle est point lassée.
M.
COQUEREAU. - Elle est p't'ête ben méchante. Quand j'ai voulu y prende la patte, é m'a
regardé en r'niflant.
M. FERRON. Oh! Non ! C'est pas vrai, pasque mon gamin la mène bien à la
forge. C'est y pas vrai, Michel ?
MICHEL. - Ben oui, et même, y'a des fouais, j' grimpe à bigotte
dessus. C'est ben vrai !
M. FERRON.
- Vous vouaiyez ben, elle é douce comme un mouton et est n'f'rait pas, de mai à un
goss'.
Ecole de Cherré (Maine-et-Loire).
Et, sur ce
ton bon enfant, sans avoir l'air de rien, vendeur et acheteur essayent tour a tour de
prendre des points pour rouler l'adversaire...
Le drame,
beaucoup plus rare dans les saynètes improvisées, met généralement en relief des
événements vécus : souvenirs d'une enfance douloureuse, épisodes de guerre, faits
de la Résistance, mais des sujets aussi profonds exigent des acteurs de valeur qui
sentent en profondeur et atteignent, sans forçage, le pathétique. On ne peut confier un
drame à de simples figurants, aussi on ne saurait trop recommander la prudence pour les
cas qui engagent l'humain.
Dans le
merveilleux :
C'est dans le merveilleux que l'on puise abondamment pour les
fêtes de Noël ou Père Noël et, - hélas ! - Père Fouettard et St
Nicolas apportent dans une féerie de rêve récompenses ou punitions. Thèmes
éternels qu'il serait bon de rajeunir, tout en restant fidèle à la tradition. Les nains
les bons
ou mauvais génies inspirent de même des saynètes un peu guindées, artificielles
manquant en général de naturel et de vie en raison même des personnages qu'une légende
complaisante a fini par banaliser. Des écoles mieux inspirées tentent çà et là de
renouveler le merveilleux traditionnel en animant la Nature : bêtes et choses
entrerait en scène et comme le font sur l'écran les dessins animés, elles inventent des
aventures plus ou moins fantastiques, qui, il faut le reconnaître, ne sont pas toujours
d'une haute inspiration. Pourtant, que de poésie dans l'âme des créatures et dans celle
des choses ! Là est le secret du succès sans égal de « Blanche Neige »
et de « l'Oiseau Bleu » (Maeterlinck) dont il serait bon de se souvenir sans
plagiat et sans servilité.
Il faudrait
peut-être, ici, insister un peu longuement sur un merveilleux pour ainsi dire à grande
échelle, né du scoutisme, qui consiste à prêter aux bêtes et en particulier aux
bêtes de la jungle, une âme définitive les haussant au rôle de Totem, c'est-à-dire de
génie du clan ou de la tribu. Dans les pièces de théâtre, dans les jeux, toute cette
faune agissante qui s'allie du reste à la flore animée, aux cours d'eaux, participe à
une sorte de panthéisme primitif qui a ses grandeurs, certes, mais qui, à force d'être
ressassée, sombre très souvent, dans le pompier ou la rangaine. Dans toutes les colonies
de vacances, les moniteurs ont des schémas de saynètes ou de jeux, des profils de bêtes
dont ils usent et abusent au détriment de l'invention propre de l'enfant. La Nature est
assez vaste pour dispenser sa poésie éternelle et l'enfant assez riche pour en
pressentir la réalité et le charme. Divertir ne doit pas être endormir et limiter les
possibilités de l'âme , mais, au contraire, éduquer, faire penser, exalter dans le
sens de la vie de l'homme, qui a dépassé la tribu pour construire nos prodigieuses
sociétés modernes.
Dans la littérature :
Si l'on
manque d'imagination, on peut trouver dans les oeuvres littéraires une source
intarissable de scènes qui auront l'avantage de rester dans une bonne tenue et de
bénéficier d'une renommée consacrée qu'il faudrait autant que possible, ne pas
discréditer. Les contes folkloriques, la littérature régionale, trouvent en province un
réel succès auprès d'un public particulièrement sensible au parfum du terroir. Dans
les beaux romans populaires (Les Misérables, Sans famille, La petite Fadette, Poil de
Carotte, etc.) on peut, à volonté, puiser des sujets émouvants et d'une grande
humanité, à condition de savoir rester fidèle à l'esprit de l'ouvrage, tout en usant
d'initiative et en faisant oeuvre créatrice.
Dans
le répertoire radiophonique :
Les scènes
radiophoniques ne sont cerles pas exemptes de critique, mais dans leur ensemble, tant pour
le drame que pour la comédie, elles ont l'avantage de nous familiariser, à bon compte,
avec le théâtre. Mouvement, choc de situations et de caractères, en un mot action et
vie sont très souvent présentés à la radio avec brio, voire même avec virtuosité.
Tout au long des programmes, les sujets dinspiration ne manquent pas : comédie
de moeurs, de caractères, actualités sociales et politiques, anticipations scientifiques
peuvent être de fertiles prétextes à inventions scéniques.
On ne
saurait trop recommander d'organiser le plus souvent possible des séances d'écoute
collective qui familiariseraient les enfants avec le vrai théàtre : Molière,
Marivaux, Beaumarchais, Sardou, Labiche, Courteline peuvent être des modèles permanents,
chez qui, inlassablement, l'on fait des découvertes. Plus près de nous, les oeuvres de
Salacrou, Ducreux, Anouilh, voire même J. P. Sartre peuvent au moins être par certains
côtés un enseignement pour les éducateurs. On peut, de toutes façons, puiser
avantageusement dans le répertoire scénique de la radio.
A titre
d'exemple, nous donnons une petite scène inspirée par une pièce radiodiffusée :
MAIS
POUR QUI ME PREND-IL ?
Ecole
Freinet - Centre scolaire
SCENE I
Un
immeuble, la nuit, rue sombre, fenêtres éclairées, trois cambrioleurs (casquettes,
foulard, espadrilles) sont en train de décider un mauvais coup. Ils parlent à voix
basse.
Un
agent.
1er
CAMBRIOLEUR. - Tu vois, c'est la huitième fenêtre du premier étage, celle-là.
2e
CAMBRIOLEUR. - Non que je te dis, c'est la dixième, celle-là.
3e
CAMBRIOLEUR. - La huitième ou la dixième ? Mettez-vous d'accord, bon sang !
1er
CAMBRIOLEUR. - C'est la huitième en partant de la droite. Celle-là, y a assez longtemps
que la repère.
2e
CAMBRIOLEUR. - C'est la dixième en partant de la gauche que je te dis. Tiens, j'ai pris
le réverbère-là, comme repère.
3e
CAMBRIOLEUR. - Huitième, dixième, droite, gauche, Si c'est comme ça que vous faites le
boulot, y'aura pas moyen que ça marche ce soir.
1er
CAMBRIOLEUR. - Mais je t'assure que c'est la huitième, tiens, compte à partir de là.
3e
CAMBRIOLEUR. - 1, 2, 3... 8, Bon, Voyons l'autre, en partant du réverbères: 1, 2, 3...
10. Ça colle, c'est la même.
L'AGENT, survenant
brusquement. Eh ! dites donc, là, qu'est-ce que vous faites à regarder
en l'air ?
3e
CAMBRIOLEUR. - M'sieur l'agent, c'est cette petite boite qu'est tombée de la fenêtre,
tenez, la v'là... si ça vous intéresse...
L'AGENT. -
Si ça m'intéresse ?... Allez, oust, rompez ! et plus vite que ça. J'aime pas
trop ces conversations à voix basse... Ça a tout l'air d'un mauvais coup...
Les
cambrioleurs s'en vont en allumant une cigarette.
SCENE II
Même
décor.
1er
CAMBRIOLEUR. Baisse-toi que je monte sur ton dos. Ça va, je vais grimper sur le
réverbère et gagner le balcon. Ça y est, à ton tour.
2e
CAMBRIOLEUR. Baisse-toi que je monte (et à son tour, il escalade et atteint le
premier étage).
Les
voici devant la huitième fenêtre qu'ils ouvrent à la pince.
1er
CAMBRIOLEUR. - Reste là, toi, pour prendre le sac quand je l'aurai.
SCENE III
Personnages :
le cambrioleur, la bonne.
Il
enjambe la fenêtre et se trouve dans un petit salon.
1er
CAMBRIOLEUR. - C'est tout plein chic, ici piano, commodes, bibliothèque, radio,
coffre-fort. C'est dans ce coin-là qu'il a mis son fric...
LA BONNE survient.
Oh ! qui est là ? Que vous m'avez fait peur ? C'est vous l'homme
qu'on attend. Mais par où êtes-vous entré ? C'est un mystère. Je n'ai pas entendu
sonner.
1er
CAMBRIOLEUR. Par où je suis passé ? Par la porte, pardi !
LA BONNE. -
La grande ou la petite ?
2e
CAMBRIOLEUR. - La petite, bien sûr.
LA BONNE. -
La petite ? Mais j'ai la clé...
1er
CAMBRIOLEUR. Eh ! bien, la grande, si vous voulez ! Vous savez moi, c'est
celle qui vous fait plaisir...
LA BONNE, -
Au diable si j'y comprends quelque chose ; enfin, je vais chercher M'sieur.
1er
CAMBRIOLEUR. - Pas la peine, ma bonne fille, pas la peine. Restez-là, va. Nous ferons
bien sans lui.
LA BONNE. -
Comment sans lui ? Mais moi je ne suis pas au courant du tout. 1er
CAMBRIOLEUR. - Moi non plus.
LA BONNE. -
Vous voyez bien. Vous êtes vraiment tout à fait mystérieux... On dirait même que vous
tombez de la lune ... (Elle sort en appelant.) Monsieur, Monsieur !
SCENE IV
Personnages
: le propriétaire, ler cambrioleur.
LE
PROPRIÉTAIRE, il arrive essoufflé, robe de chambre, mules, air confortable. Ah !
vous voilà ! Enfin, vous arrivez !
1er
CAMBRIOLEUR, à part. - Mais pour qui me prend-il ? (Fort) :
Eh ! oui, comme vous le voyez, j'arrive.
LE
PROPRIÉTAIRE. - Vous rendez-vous compte de l'embarras où votre retard me met ?
Pourquoi n'êtes-vous pas venu plus tôt ?
1er
CAMBRIOLEUR, à part. - Mais pour qui me prend-il ? (Fort) : Ma
foi, Monsieur, on vient quand on peut et comme l'on peut...
LE
PROPRIÉTAIRE. Ah ! pas d'esprit surtout. Allez, oust, mettez-vous au
travail !
1er
CAMBRIOLEUR, à part. - Mais pour qui me prend-il ? Ah ! il dénoue le
cordon de sa robe de chambre, il doit attendre le tailleur... Oui, c'est ça, le tailleur.
(Fort) : Pour la redingote, nous prenons les mesures de la neuvième vertèbre
à la dernière en hauteur et en largeur, nous mesurons le tour, tout le tour, au plus
avantageux... Quittez votre robe de chambre, je vous en prie...
LE
PROPRIÉTAIRE. - Ma robe de chambre ? Mais est-il fou ? Pensez-vous que je vais
vous aider à faire votre travail ? Mais, l'ami, je n'ai jamais touché un outil de
ma vie. Blanches sont mes mains et blanches elles resteront.
1er
CAMBRIOLEUR. - C'est ça, c'est très bien dit. M'sieur parle comme un livre... C'est
très beau, les mains blanches et ne les porte pas qui veut. (A part.) Mais pour
qui me prend-il ? Ah ! il s'assied et enlève sa pantoufle... il doit attendre
le bottier. C'est ça, il reste là avec son pied déchaussé, il faut y aller. (Fort.)
Alors, M'sieur n'a qu'à me dire si c'est pour l'usage, la ville ou le déshabillé...
Tout se porte, ma foi. (Il s'agenouille près du propriétaire et lui saisit le pied.)
je ne dirai pas que M'sieur a les pieds plats, non, mais la cambrure n'est pas très
forte.
LE
PROPRIÉTAIRE, se levant, furieux. - Mais, dites donc, qui vous a permis ces
familiarités ? En voilà des façons ? Qu'avez-vous à voir dans mes
chaussures ?
1er
CAMBRIOLEUR, précipitamment. Oh ! rien, absolument rien à voir, je
vous l'affirme, M'sieur, je vous en donne ma parole, je n'ai rien à voir avec les pieds
de M'sieur... (A part.) Mais pour qui me prend-il ? Ça, alors, ah ! il
se touche une dent, il doit attendre le dentiste. C'est bien ça... (Fort) Voyons,
quelle dent vous fait souffrir ? (Lui prenant la tête.) C'est la grosse
molaire noire, là-bas, au fond ? Elle est vraiment bien usagée...
LE
PROPRIÉTAIRE. - Mais vous êtes fou ! complètement fou... Faut-il vous rappeler que
je vous ai fait appeler depuis trois jours pour ce meuble-là, pour mon coffre-fort qui
s'est bloqué.
1er
CAMBRIOLEUR, ravi. - Mais bien sûr, je le savais bien, je suis venu pour le
coffre-fort, ça me connaît les coffres-forts... Ouvrez-le, s.v.p...
LE
PROPRIÉTAIRE. Ouvrez-le ? Mais voyons, c'est pour l'ouvrir que je vous ai
fait venir.
1er
CAMBRIOLEUR, examinant le coffre-fort Oui, oui, nous sommes d'accord, seulement
j'ai oublié un outil, même deux outils, trois outils à la maison.
LE
PROPRIÉTAIRE. Ah ! Ça, alors ! Vous en avez de bonnes. Mais prenez le
téléphone, téléphonez qu'on vous apporte les outils. On n'a pas idée d'un
spécialiste pareil...
1er
CAMBRIOLEUR. - C'est-à-dire que je ne me souviens plus bien du numéro.
LE
PROPRIÉTAIRE. - Voilà l'annuaire. Et vite, où j'appelle qui de droit.
1er
CAMBRIOLEUR. - Bon, bon, c'est compris, Allo ! c'est vous ? Ah ! très
bien, vous savez, j'ai oublié l'outil là-bas, vous savez, cet outil-là pour ouvrir le
coffre fort ?
LE
PROPRIÉTAIRE. - Mais dites donc le nom de cet outil...
1er
CAMBRIOLEUR. - Vous savez, l'outil « Macopoli »... puis le
« Patolino »...
LE
PROPRIÉTAIRE. - Quels drôles d'outils ils emploient ces spécialistes, aujourd'hui.
1er
CAMBRIOLEUR. - Bon, bon, merci, alors j'attends, au revoir... merci... (Au
propriétaire.) Ça va aller, ils arrivent. Vous pouvez disposer. M'sieur.
Le
propriétaire sort.
SCENE IV
1er
CAMBRIOLEUR, il va à la fenêtre. Eh ! dis donc, le pote, descend,
passe par lescalier et apporte-moi la bombe. Leste...
2e
CAMBRIOLEUR. - Entendu, je cours...
SCENE V
Personnages
: 1er cambrioleur, 2e cambrioleur, le propriétaire.
LE
PROPRIÉTAIRE. - Eh ! bien, ces outils ?
1er
CAMBRIOLEUR. - Vous le voyez, on attend. Ah ! on sonne...
2e
CAMBRIOLEUR. - Voilà, j'apporte les outils.
1er
CAMBRIOLEUR. - Ça va, si M'sieur craint le bruit, il pourrait s'éloigner ?
LE
PROPRIÉTAIRE, - Faites votre travail et ne vous occupez pas de moi.
Tout à
coup, boum ! la bombe éclate. Remue-ménage, affolement... On se retrouve et le
coffre-fort est ouvert...
1er
CAMBRIOLEUR, s'inclinant. - Voilà, M'sieur, le coffre-fort est ouvert. Ce n'était pas
plus malin que ça... mais il fallait y penser...
RIDEAU
Le théâtre mimé
Il ne
faudrait pas croire qu'une pièce mimée n'est pas du théâtre. Elle est du théâtre en
profondeur, car elle exige une exploitation pénétrante des sentiments et des situations,
par les attitudes et les gestes. On trouve dans la chanson d'heureux prétextes à de
petites représentations dun très grand charme. Dans ce domaine c'est semble-t-il,
le succès à bon compte. Mais attention ! cependant. La chanson qui est rythme
musical et paroles a des exigences que, peut-être, vous ne soupçonnez pas. Vous vous en
rendrez compte en lisant les directions que nous donne Mme Cauquil (Ecole d'Aiguemontel,
Tarn), qui est une spécialiste du théâtre d'enfants. Voici. comment elle nous fait
pressentir le sens de la chanson mimée qui doit délivrer sa profonde humanité.
LA BOURRIQUE
Chant mimé
Créé à l'Ecole d'Augmontel (Tarn) en 1944
Thème
tiré d'un vieux chant enfantin retrouvé dans Vacances enfantines, J.Ronsay,
chez Billaudot, éditeur, 14, rue de l'Echiquier, Paris, mimé sur la musique primitive,
très souple, presque « rengaine ». Exploitation du thème avec tous les
enfants ; chaque « jeu répétition » ajoutant un détail scénique ou, au contraire,
élaguant pour arriver à la pureté de jeu, élément du succès.
Costumes :
très simples, créant un climat, soulignant un caractère.
Mère
Grégoire, jupe paysanne de couleurs très vives ; Lolette, très petite
fille moderne ; Ane, masque, peau en tissu gris-bleu, corde faisant la queue ; institutrice,
inspecteur, bonne élève : ridicules, hurluberlus.
Mise en
scène très simple une table d'écolier, côté gauche (cahiers, livres perdant les
feuilles), grand espace au centre, verdure au fond.
Détails
suggestifs : palmarès de l'inspecteur (long papier se déroulant jusqu'à terre),
couronnes en feuillage engonçant et aveuglant la bonne élève, etc...
Lever du
rideau. - Pendant tout le chant, chaque couplet est séparé du refrain par le jeu des
enfants.
Le
choeur chante (pipeaux, grelots).
PREMIER
COUPLET
Par hasard
un jour de foire
En chemin
je rencontrai
La bonne
mère Grégoire
Qui menait
son âne au pré.
La mère
Grégoire parait, halant éperdument sur une corde fixée dans les coulisses
(représentant un âne têtu) et dit :
- Oh !
cet âne...
REFRAIN..
Et dans l'air le fouet claquait
Hue, ahie
donc mon âne
Et dans
l'air le fouet claquait
Hue, ahie
donc mon bourriquet (bis).
Ici,
l'enfant saute et danse sur le rythme du refrain qui accentuera chaque fois le jeu
précédent ou bien contrastera avec lui.
DEUXIEME
COUPLET
Choeur.
Jeu. -
Mère Grégoire mime le départ au Marché avec son âne (invisible), enfin à peu près
docile Légers coups de fouets, caresses, etc...
REFRAIN..
Danse. -
Le fouet danse aussi et accentue la mesure ainsi que les grelots du choeur.
TROISIÈME COUPLET
Chur ;
Jeu.- Mère Grégoire tire comme au I, en disant :
- oh !
cet âne !... Mais c'est une petite fille qui paraît.
Arrivée
au centre, face au publie, celle-ci, très rétive, fait un immense pied-de-nez au public.
Ecole d'Augmontel (Tarn).
Les phrases
musicales avec leur mélodie et leur rythme sintègrent aux paroles, y associent le
choeur qui est, comme dans lantique, l'interprète et le juge du drame Il ne s'agit
pas ici de faire des gestes plus ou moins mécanisés à lappui des mesures, mais de
saisir l'unité sensible de l'oeuvre et de la socialiser. Il faut à cela une sorte de
génie qui n'est pas, évidemment, à la portée de tout le monde, mais ces directives
feront au moins réfléchir sur la profondeur réelle de la chanson mimée.
La pantomime avec récitant
Pas de
bonne pantomime sans bonne musique. La pantomime est un genre qui, moins encore que la
chanson, se laisse galvauder. Elle est un langage nouveau dont la musique et la
chorégraphie sont les éléments. La parole serait ici une discordance grave, elle n'a
rien à ajouter dans une expression où le rêve déploie ses ailes dans une évasion qui
nous éloigne des lois du monde. Pour que l'impression reçue soit sans félure, il y faut
plus que de la qualité : il y faut de la quintessence. Peut-être depuis la Pawlova
n'y a-t-il plus de véritable pantomime ? Si vous assistez à une représentation de
grand cirque, prêtez à la pantomime de la fin une attention de choix. C'est toute l'âme
du cirque qu'elle nous livre, et sa philosophie où la mort et le rire s'affrontent dans
un duel éperdu qui, pourtant, prend pour vous le visage de la facilité et de la
bonhomie.
On a voulu
faire de la pantomime un simple jeu de société à l'appui d'une fable, d'une chanson ou
d'une farce et on n'a obtenu pour finir qu'un mauvais rébus avec signes de sourds-muets
qui est une offense au genre.
Plus
aisée, plus expressive est certainement
la pantomime avec Récitant
dans
laquelle on évoque par la parole, de l'extérieur, l'atmosphère et le sens des tableaux.
Deux recommandations sont ici à faire :
1° Pour
donner l'impression d'évasion et de rêve, les personnages doivent être pour ainsi dire
transposés impersonnels, toucher au symbole. A cet effet, on emploie le masque qui,
par son immobilité son expression définitive, accède à l'éternel. Au-delà de la vie,
il est dans le domaine du signe. Il est ce qu'est la statue à l'Art, mais une
statue animée dont les attitudes et les gestes prennent un sens d'une profondeur
philosophique
2° Ce sens
profond doit être suggéré par des émotions réelles, simplement, sobrement exprimées,
par les paroles du récitant. C'est pourquoi on veillera à ce que le rôle du récitant
soit net précis et d'une diction émouvante et sûre. C'est ce rôle que joue le
commentateur d'images dans les films muets d'une grande puissance de suggestion. Le
récitant doit connaître le jeu émotionnel de la parole et en user à bon escient.
Voici, à
titre d'indication, le début d'une petite pièce mimée créée par les petits de l'Ecole
Freinet.
PAUVRES PETITS CHINOIS !
SUJET. -
Trois petits chinois orphelins errent par le monde. Un soir, à la nuit, ils se retrouvent
seuls, fatigués, affamés, sans appui.
PERSONNAGES.
- Trois petits chinois, masqués, longue robe, pieds nus. Ils arrivent en scène, l'un
derrière l'autre, las et tristes : ils font le tour de la scène et s'immobilisent
face au public : ils vont mimer l'un après l'autre les paroles du récitant.
LE RÉCITANT DE LA COULISSE
(Mimé
par le n° 1, le frère aîné.)
Nous avons
tant marché, tant marché...
Que mes jambes sont lasses
Et mes bras rompus.
Et toi,
frère ? (il frappe du doigt la poitrine du numéro 2.)
(Mimé par le n° 2.)
Ah !
mes jambes sont lasses
Et mes bras
sont rompus
Et ma tête
se vide...
Et toi,
frère? (Il frappe du doigt la poitrine du numéro 3.)
(Mimé par le no 3.)
J'ai tant
marché, marché,
Que mes
jambes sont lasses,
Que mes
bras sont rompus.
Que ma
tête se vide...
(Mimé par le n° 1)
Là-haut,
les étoiles, une à une piquent le ciel,
Tout est
noir, la nuit vient.
Oh !
j'ai tant sommeil !
Et toi,
frère ? (Il frappe du doigt la poitrine du numéro 2.)
(Mimé par
le n° 2.)
On comprend
le sens de l'interprétation : Les paroles du récitant sont exprimées et
renforcées avec de légères nuances par les trois petits chinois qui, tour à tour
miment leurs émotions. Progressiment est exprimée leur fatigue, leurs craintes, leur
isolement, leur désespoir, jusqu'à la grande lassitude qui les couche sur le sol et qui
termine le 1er tableau du drame.
Comme on le
voit, le procédé est simple et porte avec lui une grande puissance de suggestion. Nous
conseillons aux institutrices d'écoles maternelles et enfantines d'employer la pantomime
avec récitant et pour peu que les masques soient bien choisis et les costumes bien
adaptés à l'esprit du masque, on obtient des effets saisissants.
Procurez-vous
des masques pendant la saison de Carnaval et tâchez, si possible, de ne pas trahir le
talent qui, très souvent les a créés. Ou bien essayez d'en fabriquer selon les
indications qui vous seront données dans « L'Educateur ».
Conclusion
Pour
terminer ces quelques conseils, qui ne sont qu'une bien modeste contribution à la grande
question du théâtre libre pour et par les enfants, nous voudrions insister sur deux
points essentiels :
Le
théâtre est un genre d'expression qui a ses exigences. On ne fait pas du théâtre en se
contentant d'exhiber sur scène des acteurs plus on moins loquaces et dont les réparties
sont « ce qu'elles peuvent ». Non, la pièce de théâtre est une unité
émotionnelle qui suscite les agissements des personnages. Avant de créer une scène,
ayons bien en tête cette unité, sentons-la vivre dans les personnages et surtout dans
celui qui a le rôle prépondérant. On ne fait pas du théâtre sur n'importe quel sujet
et, à propos de nimporte quoi, même pour remplir la caisse de la coopérative. Si,
à l'ocasion d'une fête scolaire bien réussie, la classe s'enrichit assez pour
perfectionner son équipement technique et prévoir le beau voyage des vacances, tant
mieux ! Mais si l'argent tombe malgré les pauvretés de la scène, alors, tant
pis ! L'Ecole aura perdu la partie tout de même, car elle aura reçu une aumône là
où elle aurait dû cueillir l'offrande méritée.
Comme l'on
cherche la perfection d'une oeuvre picturale ou littéraire, il faut aller vers la
perfection de la pièce de théâtre ; ce n'est qu'à ce prix qu'elle sera
éducative. Par le jeu théâtral, les enfants ont une ocasion admirable de s'éduquer et
de se dépasser. Amenons-les à devenir progressivement les acteurs libres, aisés, qui
dégagent eux-mêmes leurs propres émotions. Souvenons-nous que le théâtre a comme
langage non seulement la parole mais l'expression réelle de cette parole et les gestes,
les attitudes, les mouvements de tout l'être. Le véritable acteur joue avec un élan,
une vérité qui engage corps et âme. Qui comprend cette réalité fera un jour du bon,
du beau théâtre.
Et surtout, laissons à nos élèves l'initiative réelle de leur
jeu comme nous leur laissons l'initiative de leurs dessins et de leur palette. C'est dans
une totale liberté que là comme ici, ils dégageront leur style.
Nous ne
saurions mieux faire que de terminer sur les judicieux conseils que nous donne Mme Cauquil
(Augmontel. Tarn), dont nous avons déjà parlé :
« De
plus en plus, je renonce à faire jouer des pièces toutes prêtes, même des « Jeux
dramatiques » qui ont été inventés par d'autres que nous.
Je crois
que l'enfant ne peut vraiment participer au « drame », c'est-à-dire à
l'action, que s'il naît en lui, si toutes les forces vives de son être le sentent. Si
nous lui faisons répéter une action étrangère à son climat particulier, il reste un
perroquet et tend à devenir un « cabotin ».
De plus, le
« jeu dramatique » ne laisse personne de côté ; il faut des acteurs,
certes, mais il faut aussi des récitants ou un choeur placé sur la scène, qui participe
constamment au développement de l'action, qui joue vraiment. »
Et,
essayons de comprendre toute la profondeur de la remarque finale, ci-après, qui nous
donne une idée de l'exigence sollicitude de la vraie éducatrice :
« Je
reconnais la valeur d'un jeu à ce que, les récitants ou le choeur, pris par le
sujet, oublient qu'ils sont sur scène et applaudissent ou éclatent de rire, ou restent
bouche bée au lieu d'enchaîner.
Et le
public, me direz-vous, comment réagit-il à de si flagrants défauts ?
Je
répondrai : « Ici le public est en or » ; il encaisse tout sans
sourciller, mais il serait déçu, que ce serait tant pis pour lui et tant pis pour moi,
car jamais un vrai « jeu dramatique d'enfants » ne devrait être donné en
public devant des adultes.
Le faire,
c'est le déflorer et lui enlever presque toute sa valeur éducative. »
Oui, mais
n'oublions pas que l'oeuvre d'art, si l'on y atteint est une oeuvre qui doit être
socialisée ; que dans le partage d'une réussite, pour finir, acteurs et public y
trouvent leur compte et la part de chacun devient aussi la part de tous.
Il n'y a
pas de meilleur témoignage pour consacrer une oeuvre.
ELISE FREINET