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dEducation Nouvelle Populaire n°6 C. FREINET La page des parents Décembre
1949 |
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Au
service de l'école Les Pages
des Parents que nous donnons dans cette brochure ont toutes paru, au cours des deux
années écoulées, dans la revue L'Educateur. Elles ont subi, de ce fait,
l'épreuve de l'expérience dans des milliers d'écoles et cette épreuve vous donne la
certitude que vous aurez avantage à les utiliser pour établir entre l'école et les
parents une liaison bénéfique. Notre
seul souci est de servir l'Ecole Chacune
de ces pages est imprimée sur feuille 13,5 x
21, vierge au verso, au prix de 1 fr. la fiche. C.FREINET ____ LA PAGE DES PARENTS Il fut un
temps, pas si lointain, où le maître d'école avait en permanence, à la main, un paquet
de verges. Il y a un
siècle, le mauvais élève subissait des supplices raffinés agenouillement simple, ou
sur la cendre, ou sur une bûche noueuse, avec parfois les bras en croix tenant un livre. C'était à
l'image peut-être de la société d'alors, où le travailleur était menacé de même par
les forces arbitraires d'autorité. Il fallait l'habituer à l'obéissance passive et à
la souffrance. Dans vos
syndicats, dans vos coopératives, dans le cadre des lois laïques et républicaines, vous
défendez vos droits de libres citoyens et ce n'est plus aujourd'hui qu'un patron battrait
son jeune apprenti. Les instituteurs d'aujourd'hui revendiquent pour leurs élèves les
droits d'humanité dont s'enorgueillissent les adultes. Ils pensent que, pour arriver à
de bons résultats, il faut d'abord intéresser les enfants à leur tâche, les
enthousiasmer pour leur travail, leur faire une large confiance dans une atmosphère de
loyale coopération. C'est ainsi
qu'on prépare les travailleurs appliqués et consciencieux qui seront les hommes libres
de demain. Notre
journal scolaire est le reflet vivant de cet effort. Soutenez-le et aidez-nous. LA TECHNIQUE - FREINET Aimer le travail Qu'est-ce
que cette école dites-vous peut-être - où les enfants n'ont pas un chargement de
livres à traîner, où ils n'étudient plus de résumés, ne s'ennuient plus sur ces
mêmes devoirs qui vous ont tellement excédés quand vous étiez écoliers ? Nos
ancêtres portaient sur le dos de lourds fardeaux de fumier, de foin ou de ramée, et
peinaient de longues journées à bêcher leurs maigres champs. Vous partez
aujourd'hui en sifflant au volant de votre camionnette, et le tracteur est plus docile et
plus rapide que la bêche primitive ou même que l'attelage à bufs. Et pourtant le
rendement est incontestablement meilleur. Les
techniques de travail de notre école se sont tout simplement modernisées : le tracteur y
a remplacé l'araire à âne. Il se peut que vous soyez parfois étonnés et inquiets
comme l'étaient les paysans qui ont vu passer dans leurs champs les premiers tracteurs :
" Est-ce qu'ils creuseront assez profond ? L'odeur de l'essence ne donnera-t-elle pas
de maladie? Et si ça se détraque? que deviendront nos bêtes inutiles ? » L'expérience
seule vous a rassurés. Vos enfants
étudieront moins de leçons, feront moins de « devoirs», ne bâcleront pas de
punitions, mais vous les regarderez vivre et travailler. Et s'ils
aiment l'école, s'ils y apprennent à travailler et à aimer le travail, vous pouvez
être tranquilles et vous pouvez nous faire confiance : ils deviendront des hommes. **** Les outils coopératifs De mon
temps, dites-vous, nous avions nos livres à nous, que nous nous transmettions d'aîné à
cadet et dont nous n'étions pas peu fiers, même si nous rechignions à les lire... Les
progrès se mesuraient à l'ampleur du cartable... » Le temps
n'est pas si loin même où l'écolier, moins chargé en livres, transportait aussi son
encrier et la bûche pour chauffer la classe en hiver. Cela vous fait sourire aujourd'hui.
C'est si simple d'avoir des encriers communs et un chauffage payé par la collectivité. N'en doutez
pas, vos petits-enfants souriront à leur tour en pensant que tous les écoliers de 1917
possédaient des livres semblables, qu'ils avaient payés fort cher et pour un profit
parfois bien relatif. Car la vie
marche. Le collectif prime de plus en plus l'individuel les voyageurs se coudoient dans
les transports en commun ; les musées, les bibliothèques publiques, les jardins,
les oeuvres d'art sont placés sous la responsabilité du public. La guerre, et cette
lourde après-guerre, ont encore accentué cette inéluctable évolution. Notre école se met tout simplement à l'unisson du milieu
ambiant. Ne vous étonnez pas si s'accroît chez nous le nombre des services et des outils
coopératifs, qui n'appartiennent pas en propre à chacun de vos enfants, mais qui leur
appartiennent en commun, dont ils ont le libre usage, mais dont l'acquisition serait
impossible sous le régime de la propriété individuelle : imprimerie à l'école,
fiches, livres de travail, cinéma, disques, jardin scolaire. Vous disiez
: mon atlas, mon encrier... Ils s'enorgueillissent : notre imprimerie, notre journal,
notre atelier, notre coopérative... Car c'est leur coopérative qui gère la propriété
commune... Un monde
nouveau naît sous vos yeux. Nous préparons nos enfants à affronter avec audace et
succès la société coopérative de demain. **** Lire, écrire, compter Que
diriez-vous si votre enfant était apprenti-mécanicien et que son patron, pour ne pas
compliquer sa formation, s'obstine à ne lui enseigner que trois techniques :
démonter et réparer une roue, nettoyer un carburateur, mettre en marche l'auto ?
Vous réclameriez, avec raison qu'un mécanicien a besoin de connaître tout ce qui
concerne l'auto et qu'il faut, bon gré mal gré, l'y initier. Mais vous
vous étonnez que l'Ecole s'occupe de trop de choses et qu'elle ne se contente plus
d'apprendre, « comme de votre temps », à lire, à écrire et à compter. Nous
voulons, certes, que nos enfants sachent lire, mais qu'ils sachent lire vraiment, en
comprenant ce qu'ils lisent, en écoutant, par delà les mots et les phrases, la pensée
profonde de ceux qui les ont écrits. Il faut
qu'ils sachent écrire. Non pas seulement copier les pages; d'un livre mais s'exprimer par
l'écriture, avec aisance et subtilité,, comme vous vous exprimez par le langage vivant. Qu'ils
sachent compter aussi. Mais que, par delà la mécanique des nombres, ils possèdent la
compréhension claire des problèmes que la vie leur imposera et les solutions logiques et
humaines à envisager. Et ce ne
sera pas tout. Selon qu'ils seront cultivateurs, horticulteurs, mécaniciens, chimistes ou
architectes, ils devront, pour y exceller, posséder des qualités, des aptitudes et des
connaissances, que notre Ecole ne saurait négliger. Partout
enfin, dans un monde où la justice tend à remplacer la fraternité qu'elle prépare,
l'homme de demain devra connaître ses devoirs et défendre ses droits. L'Ecole doit l'y
préparer. Félicitez-vous
donc que, dans notre Ecole moderne, sans négliger ni la roue, ni le carburateur ou le
démarrage, on s'attarde à démonter longuement les mécanismes, à ajuster
minutieusement les pièces vitales, et à partir aussi parfois, volant en mains, vers les
routes à conquérir. **** Organisez le travail de vos enfants Celui qui
ne fait rien n'est pas loin de mal faire, dit un vieux proverbe. Vous vous
gendarmez parfois - et en vain - pour faire rester vos enfants tranquilles. N'avez-vous
pas remarqué qu'ils ne sont jamais aussi calmes que lorsqu'ils sont absorbés par le
travail. Mais encore
faut-il qu'ils puissent travailler. Vous avez
vos tiroirs et vos caisses à outils. Pourquoi vos enfants n'auraient-ils pas les leurs ?
Sachez leur réserver des rayons ou un placard pour ranger livres, cahiers, fiches,
boîtes de collections ; une petite table particulière, ou du moins un coin libre de la
grande table, avec un éclairage normal, pour qu'ils puissent travailler le soir, un petit
atelier avec établi et outils au fond du corridor ou dans le grenier. Vous
n'aimez pas qu'on vous dérange quand vous lisez. Respectez vous-mêmes le travail de vos
enfants : arrêtez votre radio, éloignez le petit frère, suspendez les inutiles
discussions. Faites
mieux : aidez humainement vos enfants. Nous ne vous disons certes pas de faire leurs
devoirs. Ils n'auront d'ailleurs plus de ces devoirs dont on a hâte de se débarrasser et
qu'on ne fait que par crainte de la mauvaise note ou des punitions. Mais pour écrire
leurs textes, pour conduire leurs enquêtes, pour préparer leurs conférences, pour
aménager et classer leurs collections, pour accomplir leur plan de travail, ils seront
normalement amenés à vous interroger, à demander peut-être votre aide et votre
concours. Ne les leur refusez pas. « Le
travail est une prière » a chanté le poète. Aidez, facilitez, considérez, respectez
le travail de vos enfants comme vous aimez qu'on respecte et que l'on considère votre
propre travail. Ce faisant, vous nous aiderez à obtenir de vos élèves la discipline,
l'ordre et le respect sans lesquels il ne saurait y avoir de véritable éducation. **** L'école à la rencontre de la vie Pourquoi,
dites-vous, tant de sorties et de promenades, en groupes ou toute la classe réunie ? Nos
enfants ne sont-ils pas assez longtemps dehors et n'ont-ils pas le loisir de voir l'herbe
pousser, l'eau chanter et l'artisan s'affairer ? Ne seraient-ils pas mieux à
étudier, comme autrefois, entre les quatre murs de l'Ecole, à l'abri de la distraction
et du bruit ? Il ne
s'agit certes pas de procurer aux enfants des récréations supplémentaires mais de mieux
asseoir leur instruction et leur jugement. Vous avez souri bien des fois sans doute à
voir de ces pauvres « intellectuels », savants par ce qu'ils ont appris dans les livres,
mais si étonnamment ignorants des choses de la vie pourtant indispensables. Et de ces
enfants qui sont entraînés à résoudre sans erreur les problèmes les plus compliqués
de leur livre et qui restent interdits et niais devant les solutions qu'exige la vie,
parce que la vie ne pose jamais les questions comme le font les livres. Ne parlons pas des
livres actuels où la ménagère achète encore des oeufs à 8 f. 50 pièce, où les
maisons se montent avec des sacs de chaux à 10 fr. et où l'Europe a encore sa figure
paisible d'il y a dix ans. Nous
prétendons instruire vos enfants non seulement pour qu'ils soient plus « savants »,
mais surtout pour que, connaissant davantage, ils sachent utiliser leur science dans la
vie pour mieux écrire leurs lettres, pour lire plus intelligemment, pour mieux
travailler, pour mieux se gouverner. Pour cela, il est nécessaire que la lecture,
l'écriture, le calcul, l'histoire, la géographie, les sciences soient sans cesse
accrochés à la vie, à la vie d'ici, et à celle d'ailleurs, qu'ils connaissent par les
journaux, les livres, la correspondance, les voyages. Quand vous
voulez dresser votre apprenti ou préparer le futur jardinier, vous ne commencez pas par
les enfermer dans une salle nue, loin du bruit des moteurs, loin de la senteur de la terre
et de ses pousses neuves. Vous les prenez par la main et les mettez à l'ouvrage d'abord.
Ils étudieront après. Nous
faisons de même avec vos enfants. Comprenez donc et acceptez qu'ils enquêtent dans le
village et dans les champs, répondez sérieusement à leurs questions, aidez-les à
enrichir leur documentation. L'instruction scolaire leur sera alors profitable et utile. Ce faisant
d'ailleurs, nous nous conformons aux Instructions officielles qui ont inscrit aux
programmes l'étude du milieu et qui nous demandent de préparer les enfants à résoudre,
dans les examens, des problèmes de la vie pratique. Vous nous
aiderez à mieux remplir notre tâche. **** Les examens Les examens
approchent. Vous tenez naturellement à ce que vos enfants les affrontent avec succès, et
vous savez combien nous nous en préoccupons. Mais
l'examen du Certificat d'Etudes Primaires notamment, n'est pas toujours la sanction
naturelle de toute une scolarité appliquée. Il accorde une trop grande importance à
l'étude des mots, des formules, des dates contenus dans les livres et ne tient pas assez
compte des qualités de travail que nous aurons cultivées, du raisonnement, du bon sens,
de l'habileté technique qui sont pourtant des éléments décisifs du succès dans la
vie. De ce fait,
de très bons élèves risquent d'échouer, ce qui ne les empêchera pas, d'ailleurs, de
fort bien affronter les exigences de la vie pour lesquelles nous les avons efficacement
préparés. D'autant
plus que l'examen comporte aussi une part regrettable de hasard et de chance. Ce qui n'est
ni rationnel, ni juste. Il est des enfants qui échouent dans un canton, alors qu'ils
auraient été reçus en bonne place dans le canton voisin. Dans une même localité, on
voit parfois les derniers de l'équipe réussir là où succombent les meilleurs élèves,
qui sont ainsi victimes - et leurs maîtres aussi de l'imperfection technique de l'examen. Les
instituteurs se préoccupent d'ailleurs d'instituer des examens qui seraient la sanction
juste et méritée du travail des années de scolarité. En attendant, nous restons
persuadés que le goût au travail que nous nous appliquons à donner à nos élèves,
leur curiosité, leur passion de la recherche et de la connaissance restent la meilleure
des préparations et la plus efficiente, aux examens qui clôturent la scolarité
primaire. **** C'est en forgeant qu'on devient forgeron - Quand tu
auras manié la bêche autant que moi, tu sauras bêcher ! - Ce n'est
pas en regardant ton voisin faire de la bicyclette que tu deviendras toi-même un bon
cycliste ! C'est en forgeant qu'on devient
forgeron. Et,
naturellement, vous savez que, pour apprendre à bêcher, à cuisiner, à monter à vélo
ou à forger, il faut les outils indispensables d'exercice, d'expérimentation et de
travail. Mais vous pensez parfois que l'Ecole échappe à cette loi et qu'elle peut
apprendre à l'enfant à monter à vélo sans posséder au moins une bicyclette... Vous
nous envoyez vos enfants pour qu'ils deviennent forgerons et vous acceptez que nous ne
possédions ni forge ni marteau. Comprenez
que nous réagissions contre cette erreur qu'on peut, par des mots trompeurs et de belles
phrases, remplacer les outils essentiels. On forme alors des bavards et non des hommes. Nous
éditons un journal pour que l'enfant apprenne à écrire en écrivant ; nous avons des
correspondants pour qu'il s'habitue à rédiger des lettres et à user de la poste et du
train ; nous achetons des instruments de mesure et d'expérimentation scientifique pour
qu'il construise et fonde la science ; nous nous mêlons à, la vie pour que nos élèves
estiment, comptent, calculent, imaginent ; nous achetons fiches, livres, films pour
permettre l'enrichissement né de la complexité et de la splendeur de la vie ; nous avons
créé la coopérative scolaire pour que les futurs citoyens s'exercent ainsi, par la
pratique de la vie collective, à remplir demain leur rôle d'homme. C'est en
forgeant qu'on devient forgeron. Mais la salle où l'on forge n'est plus, elle aussi, la
classe solennelle où résonne la seule voix du maître. Elle est l'atelier vivant où
chacun s'affaire selon sa fonction, dans le jaillissement splendide des étincelles. Oui, nous
forgeons l'avenir ! **** La discipline du travail Sur le pas
de la porte, vous faites à l'instituteur les ultimes recommandations : - Menez-le
raide... Ne le laissez pas commander !... Il a besoin d'être dressé !... De
mon temps... Et vous
vous étonnez de nous voir fraternels et humains avec nos élèves, n'usant
qu'accidentellement des menaces et des punitions qui étaient naguère l'arme essentielle
de l'Ecole. Oui, notre
discipline a changé de forme parce que se sont modifiées l'atmosphère et l'âme de
l'Ecole. A la discipline du gendarme, nous avons substitué l'ordre du travail. Vous avez
certainement remarqué que vos enfants sont particulièrement difficiles et désagréables
chaque fois que vous prétendez leur imposer une activité qui ne les intéresse pas,
qu'ils ne comprennent pas, ou qui est au-dessus de leurs forces. Cela se termine
d'ordinaire par de la colère, des cris, des pleurs, et parfois par des coups... Vous
conservez, au contraire, un souvenir ému de l'harmonie, du calme, de la chaude
fraternité qui règnent dans votre maison, quand vos enfants peuvent s'occuper à un
travail qui les passionne. Et vous méditez le proverbe : « Celui qui ne fait rien
n'est pas loin de mal faire. » Nous ne
disons plus comme autrefois, dans nos classes : « Comment devons-nous faire pour les
mater et les faire obéir ? » Nous nous préoccupons d'offrir à nos élèves des travaux
auxquels ils se donnent de tout leur cur. Et l'ordre règne, du même coup, dans
notre ruche. Si nous
parvenons, ne serait-ce que certains rares jours, jusqu'à l'emballement et à
l'enthousiasme ; si la privation de l'effort vivant et constructif est la plus efficace
des punitions, alors nous touchons à la discipline idéale : LA DISCIPLINE DU TRAVAIL. **** Un bon travail scolaire suppose une bonne santé La chose
devrait paraître si naturelle ! Vous savez
bien que si l'arbre pousse en un sol très aride, s'il n'est pas suffisamment fumé et
arrosé, il ne donnera qu'une récolte rare et des fruits rabougris. Et vous riez du
novice qui, négligeant les soins indispensables, aurait la prétention de stimuler les
fleurs et de forcer les bourgeons. Avant de
dresser votre chien de chasse, vous lui donnez nerfs, vigueur et santé. Et si votre chien
est malade, vous vous préoccupez de le guérir avant de repartir en campagne, parce que
vous savez, qu'il ne ferait rien de bon en cet état. Et
vous-mêmes ne dites-vous pas, quand la migraine vous domine ou qu'une rage de dents vous
accable : « Rien à faire pour l'instant... Attendez que j'aille mieux ! » Vos enfants
ne font pas exception. S'ils sont en bonne santé, il nous sera facile de faire éclore,
en intelligence et en savoir, les promesses qui sommeillent dans chaque enfant. Mais s'ils
ont mal dormi, s'ils ont mal mangé, ou s'ils ont faim, si une douleur, dont ils n'ont pas
toujours conscience, limite leurs réactions vitales, nous avons beau faire, déployer un
maximum d'ingéniosité, essayer de les, intéresser, les menacer ou les punir, ils ne
donneront à leur travail qu'une infime partie de leur attention ou de leur énergie. Vous
vous plaindrez et vous nous accuserez peut-être de négligence ou d'incompétence. Oui, la
première des conditions pour un bon travail scolaire, c'est une bonne santé. Si, par
notre souci commun de la respiration, de l'alimentation, de l'hygiène et de l'exercice,
nous donnons à nos enfants un maximum de vitalité, nous connaîtrons la satisfaction du
mécanicien qui, après avoir nettoyé les rouages de sa machine, renforcé les parties
faibles, vérifié l'allumage et l'alimentation, peut, alors, avec une auto régénérée,
partir hardiment à l'assaut des rampes. Donnons
vigueur et santé à nos élèves : il nous sera facile de les entraîner vers les sommets
que sont l'éducation et la culture. **** Les devoirs du soir Donnez-leur beaucoup de « devoirs »
! Sous-entendu
: Pendant ce temps, ils ne nous ennuieront pas Et vous
mesurez parfois la compétence pédagogique et le dévouement de l'instituteur à la
portion de besogne dont il charge ses élèves à la sortie de l'école. Nous sommes
contre tous « devoirs » du soir, parce que nous sommes contre tous devoirs scolaires,
c'est-à-dire contre ces tâches qu'on accomplit sans goût, ou du moins sans
enthousiasme, parce qu'on y est contraint. Nous sommes
contre ces devoirs pour deux raisons La
première, c'est que si nos élèves ont travaillé sérieusement, pendant six heures,
d'un travail intellectuel plus épuisant que l'effort manuel, ils ont besoin de
distraction et de repos. Sinon, nous, aboutirions au surmenage dont vous connaissez les
méfaits. La
deuxième raison, c'est que la façon dont nous comprenons la classe nous permet
d'intéresser vos enfants à une nouvelle forme de travail du soir dont vous apprécierez
la valeur et la portée. Vous avez vu vos enfants, qui n'ont pas, le soir, quelques
problèmes à faire, ou des leçons à étudier, s'intéresser pourtant à divers
aspects de la vie autour d'eux, à noter leurs réflexions sur leur cahier. Ils vous
interrogent ; ils écoutent les grands-parents et ils écrivent des textes qui seront
imprimés dans notre journal scolaire. Ou bien ils dessinent, ou gravent, ou bricolent,
pour continuer une oeuvre amorcée à
l'école et qu'ils ont à cur de terminer. Vous dites
souvent de vos enfants : « Lorsqu'ils ont goût au travail... » C'est bien
cela : s'ils n'ont pas le goût du travail, les devoirs du soir ne sont que des punitions
qui ont la portée et la valeur des punitions. Mais si
l'Ecole a lancé vos enfants sur la voie féconde de l'activité vivante, ils continueront
chez eux, le soir, le travail que l'Ecole aura animé et motivé. Ne les
découragez pas sous prétexte que ce travail n'a pas la forme classique des devoirs que
vous faisiez autrefois. Aidez-les, au contraire. Aidez l'Ecole à donner à vos enfants la
joie de la connaissance et l'amour du travail. Et l'on va
loin, vous le savez, avec de telles conquêtes qui illuminent à jamais la vie. **** Est-ce perdre du temps ?
Vous savez
sans doute combien nos élèves s'intéressent à leurs correspondants, aux journaux, aux
lettres qu'ils reçoivent, et aux colis qu'ils échangent. Et cet intérêt vous explique
l'enthousiasme avec lequel ils écrivent leurs textes, impriment, illustrent et expédient
leur petit journal scolaire. Vous
reconnaissez, certes, que ces activités préparent utilement à la vie et vous trouvez
naturel que tant d'écoles de notre pays participent à la grande ronde des enfants de
France. Mais vous
vous demandez cependant avec quelque inquiétude tout ce temps qu'ils passent à imprimer
des journaux, à écrire des lettres et à envoyer des colis, n'est-ce pas trop de temps
perdu, et ne vaudrait-il pas mieux enseigner le français, le calcul ou la géographie
comme autrefois, par la règle et l'obligation si nécessaire ? Nous vous
répondrons d'abord qu'il est aussi important pour vos enfants de savoir rédiger un
texte, écrire une lettre ou expédier un colis que de faire des devoirs et d'étudier des
leçons dont nous connaissons tous la vanité. Mais
surtout, par ces techniques nouvelles, nous modifions l'atmosphère de notre école. Par
l'imprimerie, le journal et la correspondance, nos élèves travaillent pour un but
effectif, comme lorsque vous construisez un meuble ou semez un champ. Notre enseignement
devient « motivé ». L'enfant éprouve le besoin d'écrire des textes et des lettres, de
faire des enquêtes et de calculer, de lire et de se renseigner, de s'instruire, comme il
éprouve le besoin de manger et de boire. Vous savez
la peine que vous avez à faire manger la soupe à votre enfant malade qui a perdu
l'appétit. Mais quand il rentre, au contraire, affamé, d'une longue course, alors la
chose est simple... Encore, maman !... Nous
donnons faim à l'enfant. A nous aussi, il nous sera plus facile alors de le nourrir selon
ses besoins et de lui enseigner, en temps voulu et sans effort, le français, le calcul ou
la géographie. **** La propreté Vous savez
que l'Ecole veille tout particulièrement à la propreté des enfants et qu'elle vous
demande assez souvent de l'aider dans cette tâche. Mais vous
vous plaignez parfois que vos enfants sont moins soigneux qu'au temps où l'Ecole les
gardait sagement assis sur des bancs qu'avaient déjà lustrés des générations
d'élèves, et où ils risquaient seulement de tacher leur index au contact du porte-plume
trop encré ou de se noircir le coin des lèvres à force de sucer et de mâchonner leur
crayon. Aujourd'hui,
ils bêchent au jardin, ils scient et rabotent, se mâchurent les doigts à l'imprimerie,
souillent leurs habits au modelage de l'argile, s'habillent et se déshabillent pour jouer
là comédie en mobilisant parfois même votre garde-robe. Nous
veillons certes à ce que ces travaux, que nous jugeons indispensables, se fassent avec un
minimum, de dommages pour les doigts, les souliers ou les tabliers. Mais nous vous
demandons cependant de comprendre que l'Ecole ne peut plus se contenter comme autrefois
d'enseigner l'écriture, la lecture et le calcul. La vie trépidante d'aujourd'hui a
d'autres exigences qui ont amené les autorités à conseiller les techniques de travail
que nous pratiquons. Ne vous
étonnez donc pas s'il y a chez nous désormais, et de ce fait, quelques mains calleuses
ou des écorchures accidentelles produites par l'outil à graver, le marteau ou la pince ;
si une goutte d'acide a décoloré la manche du tablier ou si l'enfant a
malencontreusement troué sa poche en amenant à l'école, un matin, les fossiles
découverts dans une carrière ou les insectes capturés sous les feuilles. Nous
réduisons certes ces dommages le plus possible. Mais le travail, vous le savez, nous
marque de ses empreintes, dont nous nous honorons. La vie nous impose son sceau
indélébile, et il vaut mieux, n'est-ce pas, que ce sceau soit forgé à même
l'activité vivante qui passionne les enfants et fait de l'Ecole leur école, leur atelier
de travail et leur musée. C'est la
vie qui enseigne et prépare la vie. Nous devons en accepter les exigences si nous voulons
en conserver les bienfaits. **** Savoir par ceur n'est, pas savoir Mais notre
enfant ne saura rien si vous ne l'obligez à apprendre par cur comme nous l'avons
fait. -
Réfléchissez vous-mêmes au profit que vous avez tiré de tant de leçons rabachées, de
tant de résumés péniblement étudiés et que vous ne récitiez sans faute que grâce à
la complicité de quelque souffleur bienveillant. Mais ces
résumés vous ont-ils appris l'histoire, les explications vous ont-elles fait comprendre
les sciences, les définitions vous ont-elles familiarisés avec la géographie ? C'est
comme si nous demandions à l'enfant : maintenant que tu connais le nom des pièces
de ta machine et que tu as su réciter les principes essentiels de l'équilibre, te voilà
un as du guidon. L'enfant vous répondrait: « Il me reste à apprendre à monter à
bicyclette ». Nous enseignons à nos élèves à monter à bicyclette, mais
nous leur enseignons aussi à s'approprier le savoir : ils fouillent les documents
qui sont les pierres avec lesquelles se construit l'édifice de l'histoire. Ils manient
les outils et font des expériences parce que sans expériences et sans travail il ne
saurait y avoir de vraie, culture scientifique. Ils voyagent, ils échangent lettres et
documents avec des camarades éloignés, ils regardent photos et films qui sont l'image
fidèle de la vie, et c'est ainsi qu'ils apprennent vraiment la géographie. Ils écrivent
et, sans définition grammaticale, ils arrivent à se servir de la langue comme un bon
cycliste maîtrise son vélo, même s'il n'est pas initié aux secrets de la statique. Il s'agit
tout simplement d'une autre forme d'enseignement dont nous pouvons vous garantir
l'efficacité. Les officiels la recommandent aujourd'hui, ce qui signifie qu'ils en ont
reconnu la supériorité et que vous pouvez vous aussi nous faire confiance. **** Une attitude humaine Papa, explique-moi! C'est votre gamin qui vous tire par la manche pendant que vous vous
absorbez dans la lecture de votre journal. - Papa, explique-moi, s'il te plaît
!... Neuf fois sur dix, vous répondez, rageur: - Ah! Laisse-moi tranquille, à la
fini... Et votre enfant, déçu, refoulera
dangereusement une curiosité qui ne demandait qu'à être satisfaite. - Maman, je lave la vaisselle, tu
veux ?... Et quand la petite ménagère, perchée sur une chaise, pose sur
l'évier la première assiette, vous vous précipitez: -Petite malheureuse! Veux-tu
descendre?... Tu vas me casser toute la vaisselle !... Et c'est,
pour la fillette, la déception et les larmes. Prenez
donc, avec vos enfants, une attitude humaine : répondez à leurs questions,
encouragez-les et aidez-les lorsqu'ils veulent travailler. Rappelez-vous que l'Education
est, d'abord, une longue et patiente expérience et que ce n'est pas par des Défenses,
mais par l'action que vous avancerez hardiment sur le chemin de la vie. En
remplissant pleinement votre rôle de parents, vous comprendrez pourquoi nous plaçons
l'expérience et le travail à la base de notre pédagogie et vous nous donnerez alors
votre permanente collaboration dans luvre d'éducation de la génération qui
monte. **** Encouragez et soutenez l'Ecole Moderne - De notre
temps, disent certains parents, on ne faisait pas tant d'histoire pour apprendre à lire,
écrire et compter. Nous avions des leçons à étudier, des devoirs à faire... Et ça
ronflait ! Il leur
faut maintenant des livres nouveaux, l'imprimerie, le limographe, des outils d'atelier,
une coopérative ; ils vont se promener dans le village et dans les champs à faire des
enquêtes ; ils font du cinéma, du théâtre... on ne reconnaît plus l'école ! - De votre
temps aussi, pourrait-on leur répondre, vous n'aviez pas l'éclairage électrique jusque
dans votre grange, l'autobus à votre porte et un terrain d'aviation à proximité.
L'épicier voisin n'avait pas le téléphone et la radio ne vous apportait pas, heure par
heure, les nouvelles du monde entier. On ne reconnaît plus votre village ! Parce que
le monde autour de lui s'est considérablement modifié, l'enfant d'aujourd'hui ne pense
pas, ne réagit pas, ne travaille pas comme celui d'il y a vingt ans. Ce serait une grave
erreur de lui imposer une école qui ne répondrait pas à leurs besoins d'aujourd'hui.
Comme vos entreprises, comme le commerce, comme les usines, comme votre exploitation,
l'Ecole doit se moderniser pour remplir son rôle et ne pas dépérir. Nous vous expliquons, dans ces Pages aux
Parents, ce que nous voulons faire, ce que nous faisons, ce qu'on fait ailleurs, ce
qu'on recommande aujourd'hui officiellement pour: -
Moderniser nos locaux qui doivent avoir espace, air, lumière, commodités de travail ; -
Moderniser notre ameublement qui ne convient plus aux formes actuelles de travail -
Moderniser nos outils et nos livres -
Moderniser notre discipline, qui doit être plus démocratique -
Moderniser nos rapports avec le milieu ambiant : Parents, chantiers, entreprises, champs,
animaux, autres enfants. Notre but :
avoir une école qui « rende » davantage, c'est-à-dire qui prépare avec toujours plus
de succès les hommes de demain. Nous
devons, en 1950, faire l'Ecole de 1950. Vous nous y
aiderez. |
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