La GENÈSE de l’Homme
le texte introductif
en RTF
Comment
naît le « bonhomme » ? Comment l’enfant se le représente-t-il ?
Comment le dessine-t-il ? Y a-t-il une norme d’évolution et de progression
entre le « bonhomme têtard » et l’image à peu près parfaite
de 1’homme, en passant par les bras attachés à la tête, puis au cou, et
enfin au buste, ces points d’attache marquant une étape dans le développement
intellectuel de l’enfant ? Telles sont quelques-unes des questions
que se sont posées depuis longtemps les psychologues de divers pays et
auxquelles ils ont essayé de répondre par des enquêtes qui visaient à
obtenir des normes utilisables ensuite psychologiquement. Si des tests
ont même été établis sur la base du dessin du bonhomme, c’est sans doute
qu’on supposait ces travaux assez poussés et suffisamment significatifs
et probants,
Pourquoi
nous sommes-nous permis de reconsidérer la question et, sans tenir compte
des travaux antérieurs de partir à la recherche de normes nouvelles, et
que signifient et que valent ces normes ?
Nous avons souvent dit de la psychologie qu’elle est
une étude méthodique et scientifique, certes, mais qu’elle est bien souvent
la psychologie des enfants qui, à l’école, désapprennent à être eux-mêmes,
à penser, à créer et à se réaliser et qui deviennent des élèves dociles
qui se coulent peu à peu dans un moule qu’on a en le tort de croire définitif.
Mais
que naisse un autre mode de vie et d’éducation des enfants qui gardent
en eux leurs qualités natives que nous aiderons seulement à s’épanouir,
et nous aurons alors à étudier la psychologie de l’oiseau qui naît, fleurit
ses ailes, s’entraîne à voler et conquiert l’azur sans considération des
normes et des limitations que la domestication lui aurait imposées.
Si, systématiquement, par méthode, parce que vous croyez
qu’il n’y a pas d’autre voie pour l’éducation, vous soumettez de bonne
heure les enfants à des exercices, à des devoirs, à des copies qui tuent
en eux le sens de la création audacieuse et de la vie, si vous leur imposez
d’entrer dans un chemin dont ils n’oseront plus s’écarter, vous faussez
d’avance toutes les données sur l’expérience que vous voudriez ensuite
mesurer. Et c’est pourquoi nous sommes obligés de tenir pour nulles et
non avenues toutes les études faites sur des collections de dessins d’enfants
soumis aux méthodes scolaires traditionnelles, même si vous avez dit aux
enfants : Dessine ce que tu veux ! L’enfant est dans sa cage,
et si vous ouvrez la porte, il n’ose plus en sortir.
Pour
retrouver le vrai dessin libre, il faut d’abord créer dans l’école et
dans la famille une atmosphère nouvelle fondée sur des normes de création
d’expression et de comportement qui permettent au maximum l’éclosion et
l’épanouissement des individus. Le dessin libre est le fruit délicat qui
ne saurait arriver à son terme et prendre toute sa signification que dans
le climat d’affectivité et de création que nous avons réalisé, partiellement
au moins, dans nos classes.
L’enfant ne dessine plus chez nous comme il dessine
à l’école traditionnelle. Il ne dessine point selon les mêmes normes et
les mesures, même scientifiquement prises à l’école traditionnelle, ne
sont plus valables pour l’école moderne.
C’est
ce souci d’établir expérimentalement ces normes nouvelles qui nous a valu
ce premier travail.
Nous
avons demandé aux centaines et aux milliers d’écoles qui pratiquent le
vrai dessin libre de nous envoyer toutes les collections de dessins comportant
des bonshommes, des autos et camions, des maisons, des animaux. Nous avons
étudié ces documents, nous les avons classés par âge afin d’en déterminer
les normes d’évolution en nous référant aux principes que nous avons définis
dans notre livre : Méthode naturelle de dessin. C’est le résultat
de cette étude que nous donnons dans cette Genèse de l’Homme, que
suivront des genèses des autos et camions, des maisons et des animaux.
Il y aurait certes une étude à faire pour rechercher
sur quels points notre Genèse est contradictoire avec les normes d’évolution
du dessin du bonhomme telles que les ont établies les psychologues et
les pédagogues. C’est, pourrions-nous dire, un point d’histoire que nous
n’aborderons pas pour l’instant, préoccupés que nous sommes d’abord par
l’aspect créateur et constructif de la question.
Ce
que nous avons avantage à savoir, c’est si les processus d’évolution dans
le dessin de l’Homme tels que nous les avons établis ici sont bien conformes
à la réalité. Aucune oeuvre n’est jamais parfaite et nous demandons à
nos adhérents de nous aider à l’améliorer. Regardez vos enfants dessiner.
Collectionnez leurs dessins ; notez vous-mêmes, en vous référant
à l’âge, les normes d’évolution ; essayez de les comparer aux cadres
que nous publions ici. Si l’expérience ne concorde pas parfaitement avec
la nôtre, envoyez-nous vos documents en précisant vos critiques. Avec
votre collaboration à tous, nous rendrons notre oeuvre toujours plus parfaite
et plus utile.
Ces
normes sont-elles valables pour les enfants de tous les milieux d’un même
pays, ou sont-elles différentes selon les pays ? Quelles seraient
les différences ? C’est l’enquête qui continue qui doit y répondre.
Elle
apporte déjà un élément dont vous comprendrez tout de suite l’intérêt :
Nous venons de recevoir de l’Afrique noire, et notamment de notre camarade
Gast, qui dirige une école nomade de Touaregs, et de notre camarade Lagrave,
qui exerce avec des noirs de Fort-Lamy (Tchad), d’importantes collections
de dessins dont l’évolution correspond parfaitement aux normes de notre
Genèse. Bien sûr il v a d’autres aspects, d’autres attitudes, des coiffures
différentes qui habillent les personnages, mais dans l’ensemble l’évolution
est celle que nous avons notée, sauf sur un point important.
Nous
remarquons dans notre Genèse que nous n’avons que fort peu de dessins
de profils, et seulement à un âge assez avancé. Le dessin de profil n’existe
pratiquement pas dans nos collections de dessins de jeunes enfants. Nous
avons attribué cela aux difficultés techniques que: semble représenter
le dessin de profil.
Or,
dans les dessins de l’Afrique noire, c’est exactement le contraire, Tous
les dessins, dès le plus jeune âge, sont des profils. La figure vue de
face n’apparaît que très exceptionnellement et à un âge assez avancé.
Nous
n’étudions pas pour l’instant le problème ainsi posé. Nous en signalons
les enseignements en demandant à nos camarades de l’Union Française et
de l’Etranger de nous apporter sur ce point comme sur tous les autres,
leur précieuse collaboration.
Et
notre réalisation n’aura pas été inutile si elle a, posé, sur la route
nouvelle, un premier jalon, dont d’autres plus tard vérifieront la solidité,
et si elle encourage parents et éducateurs à entraîner leurs enfants à
l’expression libre par le dessin, à ne pas se contenter de les laisser
dessiner mais à considérer leurs oeuvres dans le cadre des observations
que nous avons faites et que nous continuerons, à établir des échelles
de dessin qui les aideront à mieux connaître leurs enfants et donc à mieux
les éduquer.
Nous donnerons en exemple le travail réalisé dans ce
sens par nos amis CABANES (Aveyron) et BELPERRON (Jura) qu’il nous est
malheureusement impossible de publier ici à cause de leur importance et
de leur étendue, mais que nous avions exposé à Paris : Nos amis Cabanes
ont recueilli et classé tous les dessins de Mariette figurant des bonshommes
et nous avons là, doublant notre Genèse-synthèse le cheminement naturel
et normal du dessin libre d’un enfant, cheminement qui concorde parfaitement
avec notre Genèse.
Et
les Belperron ont fait le même travail, un peu moins fouillé et complet,
avec leur petit Fernand.
Ce
sont des oeuvres semblables cueillies à même la vie, en dehors de toute
scolastique, qui constituent pour nous les éléments des synthèses méthodiques
que nous réalisons et qui sont l’œuvre coopérative du plus vaste laboratoire
psychologique et pédagogique de notre pays.
Nous
invitons tous les éducateurs intéressés a notre travail à se mettre en
relations avec nous. Nous leur fournirons du papier pour les aider à recueillir
la plus grande masse possible de dessins enfantins en axant tout spécialement
leurs travaux sur les Genèses en cours que nous réaliserons prochainement :
Camions et autos, maisons, animaux.
C.
FREINET.
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