Publication Mensuelle N° 3. Novembre
1937 Brochures C. Freinet Vence (Alpes Maritimes) LImprimerie à lécole. Prix : 10 F |
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Un perfectionnement
idéal Lorsque,
il y a quelques années déjà, javais décidé douvrir notre école, certains
camarades redoutèrent, parfois dune façon véhémente, de me voir abandonner
lexpérience commencée pour men aller dans la voie facile mais inutile pour
nous de lEcole nouvelle bourgeoise dont les enseignements nont jamais, pour
les écoles du peuple, aucune portée décisive. Après
deux ans dexpérience, nous pouvons affirmer que nous avons évité ce danger. Notre
école est et reste une école de pauvres. Si quelques petits bourgeois de gauche avaient
feint, au début, de nous confier leurs enfants, ils ont bien vite arrêté là leur
expérience, parce que nous étions trop résolument prolétariens, que nous avions
définitivement renoncé à cultiver le verbiage, supériorité ancestrale dont se parent à tort ceux qui ont pu faire des
études, et que nous voulions être une école de travail et de vie, au service de la
virilité enfantine. |
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Gosses des faubourgs de Genevilliers ou
de Colombes, enfants des camarades ouvriers, artisans, et même instituteurs, prolétaires
100% espagnols, voilà la composition actuelle de notre école. Notre école
est une école à classe unique très difficile, avec enfants de 5 à 16 ans, à
population assez flottante, avec actuellement enfants espagnols et enseignement bilingue.
Il ma fallu rechercher et trouver des techniques de travail me permettant de faire
travailler tout ce monde avec la plus grande efficacité possible. Nous sommes
pauvres, comme toutes les écoles populaires. Et force nous est de tenir compte de cette
terrible réalité dans létude et la mise au point de nos techniques de travail et
de vie. Quon
ne vienne pas nous dire donc : vous faites ce que vous voulez ! Comme tous
les éducateurs ! Nous faisons ce que nous voulons dans la limite stricte de nos
possibilités - qui sont toujours réduites,
du fait justement que nous sommes une école prolétarienne. Nous avons
lavantage, certes, davoir ici une plus grande liberté et davoir pu
pousser à fond certaines expériences qui, de ce fait, deviennent probantes, alors
quelles seraient restées longtemps des affirmations sans certitude. Mais les
conclusions de ces expériences sont valables pour nos écoles primaires publiques, qui y
puiseront des exemples et des enseignements précieux pour ladaptation définitive
de leurs techniques aux nécessités et aux possibilités contemporaines. Quon
ne sy trompe pas cependant. Nous avons cette supériorité sur les chefs
décole pédagogique qui nous ont précédés que nous ne préconisons aucune
orthodoxie. Nous ne disons pas, comme certains : Voici notre méthode ! Il faut
ladopter en bloc, ou nous ne reconnaîtrons pas notre uvre. Au
contraire. Nous ne
voulons point fixer de méthode, parfaite aujourdhui peut-être, mais déjà
inadaptée demain si la vie marche et si nous voulions, nous, fixer la forme dans laquelle
doit se couler cette vie. Nous sommes
un mouvement pédagogique coopératif. Nous tâchons de mettre au service de tous, au
service de lEcole Populaire, les recherches et les essais de chacun de nos
adhérents. Nous sommes en mesure dindiquer aujourdhui les grandes lignes et
les principes essentiels de la rénovation que nous préconisons. Mais dedans ce cadre, il
appartient à tout éducateur dadapter nos techniques à ses nécessités locales,
avec la plus grande rigidité possible dans les principes, mais une souplesse totale aussi
dans la pratique pédagogique. Quon
ne sétonne pas, pour ce qui nous concerne, si on ne trouve plus, lan
prochain, dans notre école, les pratiques que nous allons décrire. Nous voulons marcher
avec la vie. Et pour entraîner, il nous faut sans cesse aller de lavant. Mais que
ceux que leffort essouffle et lasse ne sémeuvent pas. Nous leur apportons un
matériel précieux, des directives précises, des exemples sûrs avec lesquels ils
peuvent se lancer sans risque ni appréhension dans la nouvelle vie scolaire. |
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Lexpérience que nous poursuivons
à lEcole Freinet portera ses fruits moins peut-être dans le domaine limité de
lamélioration des techniques que par la preuve nouvelle quelle est en train
de faire de la prédominance en éducation des questions de milieu scolaire et social, de
milieu physiologique individuel, de construction et de matériel. Sans vouloir pour cela
cataloguer notre enseignement dune étiquette politique ou sociale quelconque, nous
devons préciser au début de cette étude la préoccupation matérialiste de notre
effort. On nous a,
pendant trop dannées, à injections officielles te répétées, rempli le cur
et lesprit de belles paroles. Combien de conseils ne nous a-t-on pas donnés à
lEcole Normale et dans les conférences pédagogiques ? Ne nous a-t-on pas
exhortés aux sacrifices quexige notre sacerdoce ! Mais la réalité, hélas,
était autre ; et, depuis cent ans, les instituteurs sont impuissants devant cette
réalité parce quon leur a toujours menti et quon a tenté de résoudre par
lintellectualisme et par les discours des problèmes qui sont du domaine strictement
technique. Nous dénonçons ce mensonge. Et, à ceux qui osent encore dire que nous sommes des utopistes, nous répondrons que les faux utopistes, ce sont ceux qui se payent de mots en face des réalités quils nosent affronter et qui esquivent sans cesse les solutions. Nous, en réalisateurs, en praticiens, nous faisons face à ces réalités : si nous ne pouvons pas les surmonter momentanément, nous ne craignons pas de dire notre impuissance, car nous pensons quil vaut bien mieux mesurer davance les obstacles à surmonter que de nous faire croire quon peut, en toutes circonstances, par du dévouement, du sacrifice et du verbiage, vaincre ces difficultés au risque de nous décourager pour toujours au spectacle permanent de notre impuissance. La vérité sur lopposition que nous rencontrons un peu partout, est justement cet élargissement normal du problème éducatif et de la nécessité on nous met cet élargissement de dénoncer les mensonges philosophiques, sociaux et politiques avec lesquels on a, depuis si longtemps, trompé le peuple avide d'instruction et de progrès. * Lorsquun
propriétaire demande à un maçon de construire une maison, lentrepreneur ne se
contente pas de dresser les murs à lendroit indiqué avec les matériaux à sa
disposition. Il scrute au préalable le terrain, calcule la solidité des fondations,
étudie la valeur des matériaux employés. Et si vous vous avisiez de lui demander de
construire sur un sol mouvant ou avec des matériaux ne permettant pas un travail
consciencieux, vous le verriez protester, et peut-être refuser. Et sil accepte, ce
ne sera quaprès vous avoir bien prévenu quil tient, dès le début, à
dégager sa responsabilité pour les malfaçons qui en résulteront. Et nous qui
travaillons sur une matière combien plus précieuse mais plus fuyante et capricieuse
aussi, nous naurions pas droit aux mêmes élémentaires garanties ! On nous
amène des enfants déficients, sous-alimentés, ou odieusement suralimentés, ayant mal
dormi dans des chambres trop exiguës, énervés par les jeux excessifs dans des ruelles
sans soleil ou des cours étroites et empuanties, et lon voudrait que nous les
éduquions mieux : que nous leur donnions un enseignement basé sur leurs
possibilités individuelles sans rien connaître de ces possibilités ; on nous
confie de pauvres êtres sans élan et sans vie, que les dures conditions économiques ont
déjà à demi vaincus et on suppose que nous pourrons ainsi, par des méthodes
pédagogiques, quelles soient nouvelles ou anciennes, leur redonner cet élan et
cette vie. Des programmes prétentieux, à peine digestibles parfois pour quelques
surnormaux, nous sont imposés : il faudrait, pendant cinq heures par jour, tenir nos
élèves penchés sur leurs manuels ou pendus aux lèvres du maître pérorant. On ne se
demande pas si lenfant peut normalement fournir la somme de travail et
dattention quon exige de lui. Assises
fragiles et défectueuses, matériaux sans résistance, construction déplorable ! |
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Mais le maçon sait que la construction
sera déplorable et, davance, il en rejette la responsabilité. Léducateur
feint dignorer et il lignore souvent effectivement leffet
inexorable de ces causes. Et, quand la construction chancelle, quand parents et
administrateurs contemplent limpuissance décevante de tant defforts, alors,
naturellement, on accuse léducateur et ses méthodes alors quà limage
du maçon, nous devrions savoir dénoncer les vrais coupables de cette carence :
lorganisation sociale, politique et économique qui ne veut pas donner aux fils de
travailleurs, lair, lalimentation saine, le repos bienfaisant, les jeux de
plein air qui fortifieraient leur corps et leur esprit et les rendraient capables
daffronter avec succès le travail scolaire. Cest
pourtant une vérité banale ; mais lécole la tellement sous estimée
quil nest pas inutile den faire une preuve irréfutable. Lorsque vous
avez mal dormi, ou trop mangé, ou mal mangé ; quand vous êtes fatigué, ne
sentez-vous pas une impuissance invincible à travailler intellectuellement. Et si vous
réfléchissez alors à ce fait dexpérience, comment ne comprenez-vous pas que
lenfant, physiologiquement incapable de profiter de vos leçons, a besoin non pas
dun traitement pédagogique mais dune amélioration physiologique . Tous ces
enfants qui dans nos classes sont distraits, inattentifs, sans goût au travail, sans
application, auraient besoin non pas de meilleures méthodes pédagogiques, mais
dair, de soleil, dune bonne alimentation et de travail harmonieux.
Lappétit de travail reviendrait alors : lélan de vie renaîtrait. Cest
en considération de ces réalités que nous accordons dans notre école une importance
primordiale à ce que nous pourrions appeler le milieu ; et pas seulement le milieu
extérieur, mais aussi le milieu intérieur. Notre
pédagogie, nous lavons marqué bien des fois, change totalement de sens : pour
nous, les questions de méthode pédagogique, de programme, dhoraire, etc
,
sont secondaires. Si lenfant na pas envie de travailler, sil ne sent
aucun élan vers aucune activité, sil est à tel point passif déjà que la vie
semble lavoir vaincu, tous les efforts
des pédagogues resteront impuissants. Si, par contre, nos enfants reconquièrent
lactivité et la curiosité QUI LEUR SONT NATURELLES, sils sentent, puissant,
ce désir essentiellement humain daller de lavant, nous naurons pas à
traîner désespérément nos élèves le long dune route que nous aurions en vain
aplanie ou fleurie ; il nous suffira de les suivre, de les accompagner, de les aider
en leur apportant surtout les techniques et les outils qui sont la résultante des
siècles defforts qui nous ont précédés. Ce milieu
ainsi favorable est en partie réalisé dans les classes pratiquant nos nouvelles
techniques. Dans les
classes traditionnelles, en effet, lenfant se recroqueville sans cesse sur lui parce
quon ne lui laisse jamais la possibilité de sexprimer et de se réaliser.
Habitué à être commandé, il se résigne à cette mortelle passivité qui caractérise
les enfants de 12 ans sortant des écoles. Lélan de vie sest éteint, ou du
moins a été si dévié quil est parfois bien difficile de remettre à jour les
éléments essentiels de la renaissance que nous préconisons. Mais si
cessent les devoirs et leçons, si lenfant peut réaliser, ne serait-ce quune
partie de ce quil sent être lessentiel de sa vie, alors, le miracle joue.
Lactivité naturelle reprend ses droits ; lappétit de travail, cet
appétit nié par tous les éducateurs traditionnels, reparaît. Alors peut se développer
notre pédagogie. Nous
réalisons, nous, le milieu presque idéal, parce que nous ne considérons pas seulement
lécole, mais toute la vie : nos enfants ne retournent pas le soir dans leur
famille où latmosphère est ou trop autoritaire ou trop libérale. Nous surveillons
tout spécialement lalimentation des enfants et leur respiration qui sont, on semble
trop loublier, à la base de toute vie et de tout effort. Une mauvaise
digestion cest encore là un fait dobservation courante
prédispose à la mauvaise humeur et au « noir » ; linsuffisance de
sommeil contribue à la nervosité ; les
excitants cela se sait aussi créent momentanément une euphorie qui fait
illusion, mais aux dépens, toujours, de lharmonie générale de la vie. |
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Lorsque, un jour, il y a eu du bruit
dans notre école, des disputes ou des cris, nous ne nous en prenons point aux enfants,
nous ne nous usons point en imprécations sur leur mauvais caractère et leur sans-gêne.
Nous pensons quil y a eu tout simplement une réaction physiologique qui a dérangé
lharmonie souhaitable et nous cherchons quelle erreur a pu être commise :
erreur dalimentation parfois : il suffit dune livraison de farine qui,
malgré la rigueur de notre attention, sera légèrement évoluée (il ne sagit pas
de la farine avariée quon passe couramment dans le pain de boulangerie), ou
dun panier de fruits (pêches par exemple) trop chargé de toxiques, pour que cesse
cette harmonie du milieu intérieur que nous nous appliquons à créer. Ou bien des bain
trop prolongés par exemple, au moment des changements de saison, produisant une légère
congestion. Et cela suffit : les enfants sont grognons ou pleurent ; ils ne
travaillent pas volontiers ; ils oublient leurs besoins, cassent la vaisselle (la
désharmonie vitale se traduit nécessairement par une désharmonie dans le jeu des
muscles), et parfois, le soir, se mettent à languir, ou à pleurer en demandant leur
maman
Que
disparaisse le déséquilibre et immédiatement tout rentre dans lordre : plus
dénervement, plus dinutiles batailles, plus de pleurs, plus de
« languisson ». Les visiteurs de notre école ont justement toujours été
frappés par le calme de nos enfants, par cette paix qui règne en permanence, par ce
sérieux au travail et cette profondeur dans l'implication qui caractérisent les
individus normalement équilibrés. Lalimentation,
excellemment réglée par Elise Freinet, selon les principes quelle a formulés dans
son livre, est pour beaucoup dans cette régénération. La vie saine et naturelle, notre
thérapeutique naturelle aussi en sont lheureux complément. Il est
certain que chez des enfants ainsi préparés physiologiquement, léclosion
intellectuelle nest que le jeu normal de la vie. Ce nest pas nous qui
léveillons : nous travaillons à créer le milieu et nous en facilitons
ensuite le développement. Que ce
processus soit en tous points souhaitable, cela ne fait aucun doute. Quand des enfants
nous arrivent, incapables de fournir librement le moindre effort intellectuel et
cest la presque unanimité des cas - , nous soignons dabord et EXCLUSIVEMENT
le milieu intérieur. Et lenfant, même sil avait été dégoûté de
lécole par ce quil en avait souffert ailleurs, se remet à aimer la vie à
mesure que lui reviennent ses forces, et, de lui-même, il retourne un jour à
lécole et au travail intellectuel dont il était excédé. Et nous constatons alors
que, pendant cette période de remise en état physiologique, sans aucun travail
proprement scolaire, lenfant a fait des progrès SCOLAIRES considérables : son
écriture sest raffermie et organisée (et cela est naturel puisque rien ne traduit
mieux que lécriture le déséquilibre intérieur de lindividu), son aptitude
en calcul est renforcée, sa mémoire a de laudace, son attention autrefois si
fuyante, peut aujourdhui se fixer
Nous avons là LE BON MATERIAU avec lequel il
nous sera enfin possible de construire. Des
camarades penseront peut-être : De quelle
utilité pourrait bien nous être cette expérience puisquil nous est impossible à
nous dinfluencer directement ce milieu intérieur et que nous devons, bon gré mal
gré, travailler avec les matériaux quon nous amène ? Notre
expérience a une très grande portée parce quelle élargit considérablement le
champ éducatif. Aux pédagogues, aux parents, aux autorités qui, pour des raisons qui
nont rien à voir avec la pédagogie, voudraient nous cantonner encore dans cette
besogne étriquée, entre quatre mure, sans considération de ladmirable synthèse
vitale, vous citerez notre expérience. Vous ferez comprendre autour de vous quil
nest pas vrai comme on le suppose parfois que les enfants débiles
soient mieux disposés que les autres à recevoir votre enseignement. Quau
contraire, les enfants ne profiteront à lécole que dans la mesure où ils seront
en bonne santé ; vous vous habituerez à distinguer lexcitation de
lharmonie : vous acquerrez en face de vos élèves une attitude plus
matérialiste qui vous fera voir à travers les faiblesses scolaires, intellectuelles,
morales et sociales, les erreurs du milieu ambiant ou les tares véritables à la
disparition desquelles vous devez vous appliquer. Vous aurez alors, dans votre besogne
journalière, une compréhension nouvelle du processus vital, une compréhension faite
dune indulgence raisonnée pour les victimes, impitoyable pour les véritables
responsables. |
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Lorsquils sauront, les parents,
toujours si inquiets pour lavenir et les succès de leurs enfants, nous approuveront
et nous aideront. Un grand pas sera fait en éducation lorsque tous les pédagogues auront
conscience de cette interdépendance entre lécole et le milieu, entre lécole
et létat physiologique des individus ; lorsquils sauront replacer
lécole dans son cadre normal, lorsquils comprendront et feront comprendre
autour deux que lécole nest pas lessentiel dans la vie dun
enfant, mieux : quelle nest quun accident tant que lécole
elle-même ne sera pas intégrée totalement à la vie. Une fois
encore nous montrons le chemin. Et, parce quelles sont des raisons de bon sens, nos
raisons sont très vite comprises par la masse du peuple. Lidée
marche. |
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Les locaux scolaires |
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Mais il ne suffit pas de redonner à
nos enfants vie et harmonie pour les replacer alors dans un milieu scolaire qui soit un
anéantissement progressif mais inéluctable de cette vie et de cette harmonie. Or les
locaux scolaires actuellement existants sont conçus exclusivement pour une technique
scolaire, celle là même dont nous avons dit la malfaisance. Rien dans ces locaux
scolaires nest prévu pour la libre et intime expression des enfants : ce sont
des sortes de casernes où doit régner nécessairement lordre strict,
limmobilité et le silence. Les bancs, dailleurs, sont là comme les moules
où se coule cette discipline : lenfant qui y a pris place, bon gré, mal gré,
est obligé de se plier à cette discipline. Il ne peut pas se dresser, parce que cela
fait trop de bruit,, et quil ny a aucun espace libre pour des enfants qui,
fatigués de rester assis à leur pupitre, voudraient soccuper à un travail moins
passif. Ici, il faut se taire, écrire, lire, écouter
Pour le reste, si lon
veut parler au voisin, occuper ses mains à quelque activité, remuer les pieds sans
rencontrer les trop sonores bois de la table, cest en cachette, au risque
dêtre punis, quil faut satisfaire ces besoins pourtant si naturels. Nous ne
critiquons pas pour le simple plaisir de dénigrer quelque chose qui existe. Ce matériel
et cette organisation scolaire étaient normaux et adaptés au temps où lécole
navait quun rôle bien délimité : enseigner le lecture et
lécriture aux enfants. La salle de classe était alors un auditorium et un
scriptorium, et elle avait été meublée en conséquence, de façon à peu près
rationnelle, si lon considère ces buts à peu près exclusifs. Or,
lévolution de la pédagogie et de la psychologie, les nécessités nouvelles
économiques et sociales, ont peu à peu transformé lécole. Nul, dans aucun
milieu, noserait plus prétendre que lécole doit enseigner seulement la
lecture, lécriture et le calcul. Tant de
techniques nouvelles se sont imposées, on a chaque année surchargé à tel point les
programmes, quon en arrive aujourdhui à une impasse : on se rend compte
que la seule instruction est un mythe et un leurre, surtout lorsquon prétend
limposer par des méthodes qui pourraient avoir leur sens et leur efficacité pour
lacquisition de techniques précises, comme la lecture, l'écriture et le calcul,
mais qui sont impuissantes à contribuer à la formation humaine qui est en définitive la
mission sacrée de lécole. |
Cest justement parce que nous en
sommes pédagogiquement à cette période critique de changement dorientation
quil y a dans léducation un tel flottement et une telle désadaptation.
Lécole est comme le petit marchand qui, installé petitement dans un appentis pour
vendre trois produits bien délimités, la lecture, lécriture, et le calcul, et qui
y réussit fort bien parce que toute son installation est adaptée à cette vente, voit
ses rayons sélargir, se diversifier et se compliquer et qui ne voudrait cependant
changer ni lexiguïté de son local, ni lorganisation de ses étagères, ni de
ses méthodes de vente. Il échouerait finalement là où il réussissait si bien au
début. Nous sommes
les organisateurs qui venons et qui disons : à travail nouveau, matériel nouveau
adéquat ! Prenons du large, abandonnons le carcan des bancs, trouvons des techniques
de travail adaptées aux besoins qui se sont fait jour. Nous redonnerons ainsi aux
éducateurs la paix et la satisfaction professionnelle et à lécole toute son
efficacité pédagogique et sociale. Nous
accordons à cette transformation matérielle de lécole une importance toute
spéciale, immédiatement parallèle à celle que nous apportons à lharmonisation
du milieu interne des enfants. Nous ne craignons pas de laffirmer : dans les
classes prisons, même si elles sont neuves, où on a calculé tout juste la place des
rangées de bancs et de létroit passage qui les sépare, tout travail nouveau et
actif est impossible ; lenfant ne peut pas se dresser sans bruit, il ne peut ni
sorganiser, ni collaborer, et le pupitre ne permet aucune des besognes que réclame
la pédagogie nouvelle. Si
linstituteur a la possibilité de réaliser dans ces classes ce quont fait
hardiment dans les villages de nombreux instituteurs de notre groupe, alors un compromis
provisoire est possible. Quand je suis arrivé dans mon poste de Saint Paul, en octobre
1928, je tombais dans une des plus déplorables écoles traditionnelles : des vieux
bancs branlants sur un plancher disjoint, détroites allées entre les tables, des
cartes plein les murs. Mais il y avait, naturellement, lestrade, très haute, sur
laquelle trônait la table du maître. Et cest de ce côté là que jai
récupéré. |
Jai hardiment arraché la table
et, avec lestrade ainsi libérée, jai eu un dessus de table
extraordinairement solide. Quatre pieds, un brin de peinture, et voilà notre table
dimprimerie et, du même coup, la place pour cette table. Ma propre
table, au niveau des élèves, a été repoussée dans un coin près de la fenêtre, là
où elle gênait le moins , et ainsi, en utilisant au mieux les espaces libres,
jai pu reconquérir une certaine liberté de manuvre. Avec deux planches
posées sur deux vieux bancs, jai même pu organiser, le long dun mur, une
sorte datelier de travail, qui allait remplacer ce que ne pouvaient donner les vieux
bancs traditionnels. Si vous
savez ainsi, et aussi hardiment, aménager votre classe pour la destination de travail que
nous préconisons, vous pourrez, presque toujours, faire un pas décisif sur la nouvelle
voie. Ne vous
préoccupez pas de savoir si le fait de descendre de votre estrade, de ne tenir,
matériellement, dans votre classe, pas plus de place que chacun de vos élèves, nuira ou
non à votre autorité. Collaborez avec vos enfants, à leur niveau, travaillez et vivez
selon nos techniques et vous verrez naître aussi des normes nouvelles de collaboration et
de discipline qui vous vaudront la régénération que nous annonçons et dont vous
éprouvez bien vite les incontestables avantages. Certes, vous naurez fait quun commencement de réforme, mais un commencement de réforme qui fera réfléchir éducateurs, parents, administrateurs et architectes. Ils comprendront alors quil existe peut-être, en effet, des façons nouvelles de travailler, quil se peut que loutil adapté puisse simposer à lécole comme il sest imposé dans la société. Ils en viendront à étudier les besoins véritables auxquels doivent répondre local et matériel. Et nous
verrons alors, un jour prochain, les administrateurs proposer des formules nouvelles
décoles, les architectes prévoir des locaux adaptés à ces formules, et les
fabricants de matériel étudier, enfin, des bancs de travail, des établis, des
étagères qui répondent aux activités suscitées, comme le banc traditionnel répondait
aux nécessités dacquisition de lécriture, de la lecture et du calcul. |
Utopie encore ? Que non
pas ! Et les choses marchent bien plus vite parfois quon ne le suppose dans ce
domaine. Lévolution
que nous préconisons na-t-elle pas été à peu près intégralement réalisée à
lécole maternelle, comme conséquence de la pédagogie montessorienne ? Na-t-on
pas construit de belles petites tables à la mesure des enfants, et portatives, avec des
chaises légères ? Na-t-on pas compris la nécessité alors davoir du
large entre les bancs et autour de la classe pour les étagères et les tables
dexposition, de jeu et de travail ? Et, dans
toutes les constructions, na-t-on pas, maintenant, prévu des salles plus spacieuses
pour les maternelles ? Précisons
nos besoins, commençons la réalisation du matériel nouveau, et on nous suivra bien
vite. Déjà, de
nombreux architectes sont entrés en relation avec nous pour nous demander des conseils
sur linstallation dune classe moderne : atelier dimprimerie, tables
de travail, bancs et chaises etc
En 10 ans,
lautomobile na-t-elle pas éclipsé totalement la circulation des
voitures ? Dans le même temps, une transformation matérielle totale de nos écoles
peut fort bien être réalisée. Et alors,
dans notre école, encore une fois, nous donnons une idée de ce que doit être
lorganisation nouvelle. Le bâtiment
lui-même, dabord ! |
Plan de lécole |
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Les nouveaux locaux scolaires |
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Afin de bien marquer la portée
générale de lexpérience que nous tentons ici, nous croyons utile de rappeler
dabord comment nous entrevoyons la généralisation de nos principes, même dans les
écoles de ville. Disons tout
de suite que nous sommes contre les grandes écoles de ville, à 10 ou 15 classes ou
davantage et qui ne sont, et ne peuvent être que de grandes casernes, quels que soient
les efforts pédagogiques des éducateurs. Nous avons eu loccasion de visiter lan dernier, à Oslo, une grande école de ville qui était vraiment un des meilleurs modèles du genre : une Directrice novatrice hardie et au courant de toutes les réalisations contemporaines ; des classes dexpérimentation qui ne le cédaient en rien à nombre de classes nouvelles ; un équipement impeccable ; un mobilier rénové et, du sous sol aux mansardes, toute lorganisation quon peut actuellement souhaiter pour une grande agglomération denfants : piscines, douches avec séchoir électrique, |
cantine, cuisines, musées divers,
salle de gymnastique, skis, matériel de sciences étonnamment adapté à lactivité
naturelle des enfants, salle de couture, tissage, dentiste
et jen oublie
Et, malgré
cela, les enfants ne nous ont pas paru heureux : ils passaient en rang, tête
baissée, dans les couloirs immenses, ils se démenaient comme bêtes en cage dans la cour
trop étroite. Des pensées amies avaient tout prévu pour eux, sauf la joie de vivre que nul ne peut leur donner dans une caserne où lindividu qui y pénètre devient un numéro sans personnalité. Et malgré nous, nous comparions la richesse intérieure de ces enfants, ou plutôt leur sécheresse intérieure, à la vie débordante et passionnante et passionnée des élèves de nos écoles rurales, au sein de la grande famille quest le village. |
Et nous étions obligés de convenir,
avec notre propre expérience que, à tous points de vue, nos petites écoles rurales sont
supérieures aux grandes casernes scolaires. Nous voyons
alors la possibilité dorganiser partout dans les villes, progressivement certes,
des groupes scolaires réduits avec 80 à 100 enfants au maximum, groupes qui pourraient
devenir alors des communautés de travail organisées et non des usines taylorisées, avec
leur fausse spécialisation qui est, à notre avis, une des plus graves erreurs de notre
époque. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement de Catalogne soriente vers une telle organisation, quelle préconise la décentralisation et labandon progressif des grands groupes scolaires qui seront remplacés par des petites communautés situées autant que possible dans la périphérie des villes. Il est
certain que cette décentralisation suppose une nouvelle technique de travail qui
permettra un rendement satisfaisant, sans que soit poussée à lextrême
lhomogénéité recherchée dans les grands groupes, quelle suppose aussi de
nouvelles organisations matérielles qui, disons-le tout de suite, ne seront pas plus
onéreuses que lorganisation actuelle. Mais le jour
où cette transformation sera en voie de réalisation,, les instituteurs de ville,
désabusés par laride travail à la chaîne quon leur impose, prendront goût
comme leurs collègues des villages à léducation pour laquelle ils sont prêts à
se dévouer et alors saccomplira une des plus grandes réformes pédagogiques et des
plus profondes, de notre siècle. Cest
dans le sens de cette évolution que notre école peut aider à comprendre la construction
pédagogique nouvelle. Les
techniques nouvelles supposent labandon du principe des classes qui étaient une
organisation adaptée aux méthodes de travail par leçons et devoirs, mais ne
correspondent nullement aux nécessités de lactivité libre que nous préconisons. Chez nous,
la réunion dans de grandes salles pour travail collectif sous la direction directe des
éducateurs nest quaccidentelle. Nous avons prévu le travail effectif dans
des salles équipées à cet effet, sous la surveillance et avec la collaboration des
éducateurs. |
Doù la formule nouvelle dont le
schéma ci-joint donne une idée précise : Un grand
couloir central qui est non seulement lartère vitale de la classe, mais sert en
même temps de salle dexposition de travaux, avec panneaux pour disposition de la
documentation journalière, du journal mural, des plans de travail. Des tables de travail
peuvent même y être disposées selon les nécessités. Débouchant
sur ce couloir, les ateliers de travail : deux salles assez grandes pour la
préparation collective des textes dimprimerie, le travail libre sur fiche et les
diverses activités collectives. La salle des grands est en même temps salle de sciences
avec matériel, étagères pour disposition des documents divers, panneaux et autres. A
gauche : salle de documentation avec fichier et bibliothèque de travail, salle
dimprimerie avec casses, presses, composteurs, journaux imprimés etc
salle de
dessin et de travail artistique. A droite : salle des petits avec le matériel qui
leur est plus spécialement réservé ; et salle des éducateurs qui contient les
livres divers ou le matériel utilisable accidentellement par les enfants mais que nous ne
pouvons laisser à leur entière disposition, et où les éducateurs peuvent, même
pendant les heures de travail scolaire, trouver, comme les enfants dans leurs salles, un
coin adapté à leurs nécessités. On verra par
la suite comment nous avons organisé lactivité scolaire dans ces salles de
travail. Le matériel
est naturellement adapté aussi aux nouvelles formes dactivité. Aucun banc pupitre
scolaire. Pendant des mois nous en avions un qui nous était échu provisoirement au
hasard dune exposition ; nous ne savions quen faire et il a fini dans
latelier de menuiserie pour lequel il nétait guère mieux adapté. Nous
prévoyons trois sortes dinstallation : 1. Pour les
ateliers dimprimerie, la salle de documentation, la salle de sciences, il y a
avantage à profiter au maximum des surfaces murs avec de grandes tables fixées aux murs
et de nombreuses étagères. Le centre de la pièce reste libre. 2. Pour les salles destinées aux travaux décriture pour lesquels il est bon dêtre assis, nous avons adopté la simple table sur tréteaux avec chaises ordinaires. Cest là un matériel pratique, démontable, qui permet de libérer en un instant nos grandes salles pour réunion de coopérative par exemple. |
La grande table convient très bien à
la plupart de nos travaux scolaires. Les cahiers, les dossiers et documents divers
personnels à chaque élève sont rangés dans des casiers individuels qui garnissent un
côté de la salle. Tout le matériel de travail est communautaire : livres, crayons,
fiches, porte-plumes, couleurs etc
3. A
lusage, nous avons constaté que ce matériel rudimentaire aurait intérêt à être
remplacé par des tables simples de 1,00x0,60, convenant pour 4 et même 6 enfants selon
les travaux, et qui peuvent se grouper dans le sens de la largeur pour former des tables
de 0,60 m de large. La mobilité de ce matériel très simple suffit à toutes les
nécessités de notre école. Comme
sièges, nous avions dabord des chaises que nous remplaçons peu à peu par des
tabourets plus maniables. Ce matériel
très pratique dans notre école, bien plus que les bancs traditionnels avec lesquels nous
ne pourrions rien faire, est bien meilleur marché que les installations habituelles. Les
tables recouvertes dun beau lino reviennent à 45/50 F lune et les tabourets
à 15 F lun, soit pour quatre élèves une dépense denviron
50+15+15+15+15=110 F. Soit 110 F : 4= 27 F 50 par élève, ce qui est, je crois, un
record. Il manque
actuellement à notre école une pièce qui devrait se trouver au-dessus de la
construction actuelle : une grande salle, avec de larges baies vitrées servant de
préau pour les jours de mauvais temps et, en même temps, de salle de réunion, de salle
de spectacle etc
Quon ne croie pas quune semblable installation est du luxe. Notre école est à peine plus spacieuse que certaines salles de classe ; seulement, au lieu dune grande pièce, nous avons de petits ateliers de travail. Malgré tout, nous reconnaissons et nous affirmons que le travail scolaire nouveau nécessite plus de place que la pratique traditionnelle des devoirs et leçons. |
Si lenfant est condamné à
rester assis tout le jour, un demi mètre carré par élève peut suffire. Si lon
admet que lenfant doit agir et faire dautres besognes que lécriture ou
lattention relative, bras croisés aux leçons du maître, alors on donnera du large
à nos classes. Cest là une nécessité devant laquelle on ne pourra plus longtemps
reculer. Dans cette
considération du milieu scolaire externe, nous ne pouvons négliger les annexes et les
abords de lécole ; non seulement les cours de récréation et les terrains de
gymnastique, mais aussi des jardins, des ateliers pour que lécole puisse
naturellement remplir sa tâche hétérogène de préparation à la vie complexe
contemporaine. Les cours de récréation dans les groupes scolaires de ville sont
nettement insuffisantes. Mais là où on trouve difficilement de lespace pour la vie
libre de 500 enfants, il serait toujours possible daménager des terrains suffisants
aux 80 ou 100 élèves des groupes dont nous avons suggéré la création. Autre avantage
encore de la disparition de ces grands groupes au profit des communautés scolaires
susceptibles de former les nouvelles générations de travailleurs. Lécole
dont je viens de tracer le schéma vaut pour une quarantaine denfants dune
école à classe unique. Il serait facile détablir sur ce modèle un aménagement
spécial pour école à deux classes et école à trois classes. A mon avis,
le groupement idéal avec nos nouvelles techniques serait lécole à trois et quatre
classes : classe maternelle et enfantine, cours préparatoire et élémentaire, cours
moyen et supérieur et, selon les cas, classe de scolarité prolongée. Les
expériences intéressantes qui se poursuivent un peu partout dans les campagnes
françaises, le retard manifeste au point de vue éducatif des écoles de ville, prouvent
que nos projets ont certainement du bon et que cest dans ce sens que nous devons
délibérément nous orienter. Des
officiels, des administrateurs vont sans doute jeter les hauts cris. Les architectes
habitués à faire toujours plus vastes les projets scolaires vont se récrier. Ce
nest pas la première fois que nous heurtons de face la tradition. Mais parce que
nous savons que nombreux seront ceux qui nous approuveront, nous sommes persuadés que le
grain jeté lèvera et quun beau jour, lentement mais sûrement, nos rêves
deviendront réalités. |
Voici des enfants en voie de
régénération ; voici une école adaptée au travail nouveau, quel va être ce
travail ? Dans la
recherche de cette technique nouvelle de la conduite de la classe, il ne sagit
nullement de rechercher linédit et loriginal. Nous ne travaillons point pour
la galerie et navons aucune mode à lancer. Nous cherchons seulement, avec le
minimum de peine de léducateur, avec le minimum dennui de lenfant, à
obtenir le maximum de rendement éducatif et instructif. Là réside toute la motivation
des expériences que nous avons entreprises et que nous continuons, avec lappui des
centaines décoles de notre Groupe. Avons-nous
raison de chercher pour diminuer la peine que se donnent les éducateurs ?
Hélas ! Nul effort nest plus urgent : il y a actuellement peu
dactivités scolaires qui réservent à linstituteur quelque satisfaction
véritable ; il en est peu qui ne surmènent pas ses nerfs et sa voix. Tout est à
faire pour permettre aux éducateurs de travailler dans des conditions humaines, et dans
la joie de lincessante création que devrait être la besogne pédagogique. Et les
enfants ? Nous navons quà nous rappeler notre enfance et les
choses nont fait quempirer depuis pour considérer combien il y a
urgence à rendre également humain et efficient le travail des enfants à lécole. |
Examinons ensuite le rendement et
convenons que tant defforts, tant de peines, tant de veilles, tant dennuis,
tant dargent dépensé aussi, ne donnent pas 10% de ce quils doivent
normalement rendre. Nous ne
disons pas que nos techniques vont, instantanément, anéantir tous ces maux. Nous posons
le problème dans toute sa brutalité, sans nous payer de mots, sans masquer les
possibilités de demain par les efforts impuissants et les insuccès dhier, afin que
chacun prenne conscience de lurgence de la réadaptation que nous avons entreprise
et que, tous ensemble, nous parvenions hardiment à faire avancer le problème tel que
nous lavons posé. La grande erreur scolastique est, à mon avis, la leçon et les devoirs qui en découlent. Cest toute la technique de lécole traditionnelle que nous essayons de jeter bas, nous le savons ; cest tout un passé dillusions parfois généreuses que nous ne craignons pas de dénoncer. Nous ne
ferons pas ici la critique théorique de cette technique. Cela ne manquerait pas
dintérêt mais nous devons, dans ces brochures, parer au plus pressé et envisager
sans cesse le côté éminemment pratique de nos considérations. |
Nous vous disons alors
simplement : Examinez
attentivement la technique sans leçons et sans devoirs que nous préconisons pour
lavoir longuement expérimentée déjà. Et puis, prudemment, par paliers, supprimez
leçons et devoirs pour une matière, puis pour deux. Vous verrez quel changement
immédiat dans votre classe ! Plus de
leçons ! Vous nuserez plus votre voix et vos nerfs pour expliquer à des
enfants qui nont aucune envie de vous écouter les matières portées au programme
et à lemploi du temps. Vous ne vous énerverez plus à rappeler à lordre
lécolier qui parle à son voisin, fait claquer son plumier ou ne sait rien
répondre à votre question brusque et inattendue. Vous ne
ferez plus réciter de résumé par cur ; vous naurez donc plus à punir
pour une phrase mal sue. Plus de ces fastidieux devoir ; donc plus de sanction non
plus. Résultat :
repos pour tous et surtout possibilité de créer entre enfants et éducateur cette
intimité, cette fraternité sans lesquelles il ne saurait y avoir de véritable
éducation ; cessation automatique de cette hostilité centenaire qui dresse les
élèves contre linstituteur comme loppression soulève en permanence les
esclaves contre leurs maîtres. La suppression des leçons et des devoirs est une des
conditions essentielles à la création dans nos classes de latmosphère éducation
nouvelle que nous jugeons indispensable. Et au bout
de quelques temps, vous comparerez les résultats pratiques au point de vue acquisition,
puisque ce nest guère que dans ce domaine que la mesure est actuellement possible.
Nous vous garantissons un succès au moins équivalent, surtout si lon tient compte
quil est possible de faire comprendre aux enfants la nécessité de certaines
conquêtes et de les pousser à parvenir deux-mêmes à des acquisitions scolaires
qui ne sobtenaient jamais autrefois sans sanctions. Nous
navons quà nous souvenir combien peu nous avons profité des leçons que nous
avons subies et des devoirs sur lesquels nous avons pâli durant toute notre jeunesse.
Nous pensons quil nest pas difficile de faire aussi bien. Mais nous
voulons faire mieux. Pour cela il ne suffit pas de supprimer une technique ; il faut
la remplacer par une autre qui lui soit supérieure. Nous croyons
y être parvenus. |
Comme nous lavons expliqué dans
notre brochure n° 1 (La Technique Freinet), limprimerie à lécole est
naturellement au centre de notre activité ; cest sur elle que nous comptons
pour animer notre petit monde, pour lamener à prendre conscience de ses
possibilités et à sextérioriser. Nous
ninsisterons pas ici sur la valeur exceptionnelle, dailleurs aujourdhui
indiscutable et indiscutée de cette technique. Avec les échanges interscolaires qui en
sont la conséquence, nous arrivons à motiver souverainement lécriture, la
lecture, la grammaire. Nous montrerons dans une prochaine brochure comment nous
garantissons la conquête normale de la lecture par les tout jeunes enfants sans leçons
spéciales de lecture. Nous avons
dit dans la brochure N° 2 comment nous supprimions la grammaire. Nous dirons, dans une
prochaine brochure également comment, par limprimerie, nous motivons le calcul dans
ce quil a de profond et éducatif. Je
mattacherai plus spécialement à jeter les bases ici dune technique de
travail sans leçon pour ce qui concerne les autres disciplines : lhistoire, la
géographie, les sciences, le calcul rapide. Nous
pourrions certes, comme dans tant dautres écoles nouvelles, exhiber des travaux
montrant comment lintérêt au travail peut susciter des acquisitions inébranlables
dans les diverses disciplines. Mais ce raisonnement ne vaut que pour des écoles peu
peuplées, avec, par contre, des éducateurs nombreux, et pour certains enfants. Dans la
pratique de nos classes populaires, la technique du seul intérêt savère
insuffisante. Il y faut dautres règles. Ces règles
ne seront pas forcément autoritaires. Il y a une disposition de lesprit de
lenfant quon a trop négligée jusquà ce jour en éducation :
cest sa curiosité foncière. Et on la négligée, parce que lécole
avec ses pratiques lavait tuée et quil nous est parfois difficile de la faire
réapparaître. Lenfant
non déformé par lécole, ou à qui nous avons redonné un peu de son bon sens, est
foncièrement curieux : curieux en histoire, curieux en géographie, curieux,
prodigieusement curieux dans toutes les branches de la science. Le jour où nous aurons
trouvé des pratiques de travail qui, au lieu démousser cette curiosité, tendent
à la satisfaire, le problème sera définitivement résolu : nous naurons
jamais à forcer lenfant pour ces acquisitions. |
Ce sont ces pratiques quil nous
faut chercher. Une autre
considération dimportance : Lenfant,
comme ladulte, na aucun intérêt à un travail dont il ne voit pas le but,
parce quil ny en a pour ainsi dire jamais. Pourquoi lécolier
mettrait-il quelque âme à un devoir qui nest destiné quà être sali pas
lencre rouge du maître et annoté par lui ? Nous sommes
parvenus à ce que lenfant qui travaille sente toujours quil sert la
communauté : lorsquil rédige, lorsquil compose, lorsquil imprime,
ce nest point pour le maître, mais pour ses camarades et ses correspondants.
Lorsquil étudie une question dhistoire, de science ou de géographie, il faut
quil ait la sensation aussi que son effort va servir ses camarades. Nous y
sommes parvenus par deux moyens : le plan de travail et les conférences. Lécole
traditionnelle impose à tous les enfants dune classe le même travail. Il faut donc
que chaque enfant étudie pour lui-même tous les points du programme. Si nous comptions
alors ces points du programme et que nous divisions par ce nombre les heures de travail
dun enfant au cours de lannée, nous verrions quil ne reste, pour
létude de chacun deux, quun nombre infime de minutes juste de
quoi tout parcourir superficiellement, verbalement, sans rien approfondir. Et là est la
grande tare de lécole. Et si on veut approfondir, alors on néglige des parties
importantes de lacquisition. Quel remède
trouver à cette situation insoluble ? Les
plans de travail. LEcole habituelle amendée par les enseignements de léducation nouvelle, cest lanarchie capitaliste où chacun va où le pousse son intérêt individuel et sa fantaisie sans autre considération pour lintérêt général. Parce quun groupe financier croit avoir intérêt à construire des automobiles, il se met à construire des automobiles sans considérer sil ne serait pas plus urgent de construire dabord des tracteurs. Pour
asservir ces techniques aux nécessités de lintérêt général, lU.R.S.S a
dû établir des plans de travail soigneusement étudiés, qui ont mesuré et délimité
leffort à accomplir et qui ont, du même coup, galvanisé les volontés pour cet
accomplissement. Le même
avantage résulte de létablissement de nos plans scolaires. |
Pour chacune des matières habituelles
du programme, jai établi des plans de travail pour lannée qui comportent
pour ainsi dire la liste des sujets susceptibles de valoir une étude approfondie. Cette
liste est tout simplement celle des matières du programme. Et ce nest pas par
servilité que nous avons reproduit presque textuellement la liste des matières du
programme : elle est, sauf sur certains points, la mise en valeur des connaissances
diverses que doivent raisonnablement acquérir les enfants de nos écoles. Et ils
parviendront à les acquérir, ils iront même plus loin parfois si, au lieu de les
dégoûter de la recherche et de leffort, nous savons maintenir intacts leur
curiosité naturelle et leur besoin tout aussi normal dacquisition. Car
cest là la pierre de touche de lécole. Nous nous plaignons que les enfants
ne veulent rien étudier en histoire, et nous mêmes avons été souverainement, et
parfois pour toujours hélas ! dégoûtés de létude de lhistoire à
cause justement de cette méthode scolastique des devoirs et leçons. Et pourtant le
désir de connaître ce qui a été avant nous, ce besoin de savoir comment ont lutté les
hommes qui nous ont précédés, nest-il pas un des plus puissants chez
lenfant ? Et nest-il pas vrai que si la technique et les matériaux
étaient adaptés à cette étude, il ny a rien quon ne pourrait attendre de
nos élèves. Géographie !
Cette étude, qui se sépare à peine de lhistoire, na-t-elle pas pour tous le
même attrait, et un bon documentaire cinématographique ne vaut-il pas, même pour les
enfants, le meilleur des films daventure ? Sciences,
physique, chimie, histoire naturelle ! Là cest le drame véritable. A
lécole, rien ou presque rien à tirer de cet enseignement et pourtant regardez les
enfants en liberté, et non encore totalement déformés par lécole,
sébattre dans les champs, sarrêter passionnément devant une jolie pierre,
devant un brin d'herbe, devant un animal, devant un insecte Et les oiseaux,
quelle merveille Lécole
nobtient rien en physique et pourtant tous nos enfants sont aujourdhui
passionnés de mécanique et la plupart dentre eux y réussissent prématurément
mieux que les adultes, malgré lécole. Lélectricité ! Discipline aride
et rebutante quand lécole lenseigne. Mais sil sagit
dinstaller léclairage du vélo, alors on sait acquérir les notions
indispensables et réaliser. Jamais la
nature navait été si près de livrer ses secrets ; jamais enfants
navaient eu à leur portée pareille possibilité de pénétrer ces secrets. |
Et le jour où lécole aura
découvert les techniques qui, au lieu de rebuter lenfant, lui permettront de partir
hardiment à la conquête des connaissances désirées, ce jour là, nos programmes ne
seront jamais trop ambitieux. Et nous ne
disons pas : le programme dhistoire est trop ambitieux. Nous disons : il
est mal conçu. On veut donner le premier plan à laccessoire et on oublie
totalement lessentiel, mais lenfant nest pas satisfait de cette
étonnante réduction. Il veut connaître la véritable histoire, celle de la vie des
hommes, de leur travail, de leurs conquêtes pacifiques. Il en viendra ensuite aussi aux
conquêtes guerrières et à cette histoire fascinante des rois, des reines et des
ministres, mais il se rendra compte alors du caractère secondaire de cette étude. Mais
même dans cet état desprit, il sera à même alors dacquérir intelligemment
ce qui ne savait être jusquà ce jour que des mots. En
géographie, nous irons bien plus loin que le contenu réduit de nos manuels. En sciences
aussi, le programme est un ensemble minimum que nous dépasserons en bien des cas. Le jour où
nos techniques auront été vraiment adaptées aux possibilités enfantines,
lacquisition elle-même se fera à un rythme autrement efficient, et nous ferons se
rejoindre ainsi les préoccupations majeures des uns et des autres. Lefficience
pratique de lécole fera tomber les barrières devant nos techniques nouvelles. Je présente
ci-dessous quelques-uns des plans que nous avons ainsi établis pour les enfants de 11 à
14 ans. Nous ne les donnons pas comme parfaits, mais plutôt pour faire comprendre ce
désir, ce besoin defficience. Des plans analogues sont établis pour les enfants
plus jeunes, avec des sujets à étudier mieux adaptés à leurs possibilités. PHYSIQUE
MECANIQUE Dilatation
des solides. Dilatation des gaz. Dilatation des liquides. Densité. La chaleur.
Vaporisation. Liquéfaction. Solidification. Mesure de chaleur. Pesanteur (ses lois). Les
vitesses. Les leviers. Vases communicants. Capillarité. Pression sur les liquides.
Principe dArchimède. Aéromètres. Pression atmosphérique. Compressibilité des
gaz. Dilatation des gaz. Force ascensionnelle. |
Pompes à gaz. Pompes à liquide.
Siphon. Presse hydraulique. Evaporation. La vapeur. Lébullition. Distillation.
Lhumidité. La pluie. La lumière. Miroirs plans.. Miroirs concaves. Réfraction.
Les lentilles. La chaleur nature. Transmission de la chaleur. Les aimants. Courant
électrique. Piles. Accumulateurs. Les courants. Travaux électriques.
Lélectricité atmosphérique. LHOMME Structure du
corps. Le squelette. Appareil digestif. Lalimentation. La bonne et la mauvaise
alimentation. Circulation du sang. Respiration. Le foie. Les reins. La vessie. Système
nerveux. Loreille. La vue. Le goût. Lodorat. Le toucher. La bouche et les
dents. Le sang. Le cur. Artères et veines. Muscles. Fractures. Articulations.
Gymnastique. Fonctions de la peau. Comment nous mangeons. Comment nous respirons. Comment
nous travaillons. Comment nous sentons. Comment nous voyons. Comment nous pensons. Comment
nous entendons. Comment nous croissons. Comment nous mourons. Les maladies. Naturisme. Vie
au grand air. Camping, excursions. LES ANIMAUX Mammifères. Hommes. Insectivores. Carnivores. Rongeurs. Edentés. Cétacés. Proboscidiens. Marsupiaux. Monotrèmes. Oiseaux (squelette et corps). Reproduction des oiseaux (ufs et nids). Rapaces. Perroquets. Passereaux. Colombins. Gallinacés. Echassiers. Palmipèdes. Coureurs. Reptiles (squelette et vie). Reproduction et vie. Chéloniens. Crocodiliens ; Ophidiens. Sauriens. Batraciens (squelette et vie). Métamorphoses. Divers batraciens. Poissons (squelette et vie). Reproduction diverses sortes de poissons. Mollusques (squelette et vie). Articulés (structure). Insectes. Myriapodes. Arachnides. Crustacés. Les vers. Les animaux parasites. La terre. Comment les anciens se sont représentés la terre. Matériaux de lécorce terrestre. Formation des montagnes. Montagnes jeunes et montagnes vieilles. Laction des glaciers. Laction érosive des eaux. Les vallées. Lérosion |
. Le régime des cours deau. La
mer. Les grands courants marins. Les côtes. Les vents. Lhumidité. Les climats.
Habitation adaptée aux régions. Mode de travail selon les régions. Lalimentation
selon les régions. La situation des villes. La vie des villages. La vie dans les régions
tempérées. Vie dans les régions équatoriales. Vie au désert. Vie dans la ville. Les
pêcheurs. Les chasseurs. Les explorateurs. Grands raids mondiaux. Raids au pôle. Tour du
monde. Traversée des mers. Industries textiles. Industries alimentaires. Industries de
luxe. Industries métallurgiques. La houille blanche. Les mines. Le lait. Lélevage.
Le blé. La vigne. Les grandes routes. Les chemins de fer. Les canaux. SCIENCES
NATURELLES La terre.
Roches cristallines. Roches calcaires. Roches siliceuses. Roches argileuses. Roches
salines. Roches combustibles : houille, anthracite, tourbe, pétrole. Actions de
lair. La neige. Les glaciers. Eaux dinfiltration et ruissellement. La mer, son
action. Les volcans. Eaux thermo-minérales. Formation de la terre. Les minerais naturels
(fer, cuivre, zinc, plomb). Les sols. Amendements. Engrais. Les végétaux .
Formation et composition des tissus. La racine. La tige. Les feuilles. Les fleurs. Les
fruits. Les graines. Respiration de la plante. Fonction chlorophyllienne. La reproduction.
Germination. Utilisation des racines. Utilisation des troncs. Industrie du bois.
Utilisation des feuilles. Utilisation des fruits. Les végétaux dans lalimentation. GEOGRAPHIE :
LA FRANCE Nord.
Vosges. Lorraine. Alsace. Saône. Jura. Vallée du Rhône. Normandie. Bretagne. Bassin
Parisien. Vallée de la Seine. Massif Central. Vallée de la Loire. Touraine. Beauce.
Alpes. Midi Méditerranéen. Midi Pyrénéen. Aquitaine. Côte dArgent. Landes.
Périgord. Charente. Vallée de la Garonne. Isère. Marseille. Rouen. Bordeaux. Algérie.
Tunisie. Maroc. Indochine. Nouvelle Calédonie. Madagascar. Afrique Equatoriale
Française. Afrique Occidentale Française. |
AUTRES PAYS Italie.
Allemagne. URSS. Danemark. Norvège. Suisse. Belgique. Grande Bretagne. Espagne. Pologne.
Tchécoslovaquie. Hongrie. Autriche. Etats Unis. Amérique du Sud. Norvège. Suède.
Balkans. Grèce. Ethiopie. Turquie. Chine. Japon. Afrique. SCIENCES
THEORIQUES Les trois
états des corps. Solides. Liquides. Gazeux. Lair. Loxygène.
Lhydrogène.. Loxyde de carbone. Lazote. Lair et la vie.
Lammoniaque. Le soufre. Lacide sulfurique. Le chlore. Lacide
chlorhydrique. Lacide azotique. Le phosphore. Les phosphates. La soude. La chaux. Le
plâtre. La silice. Les verres. Les métaux. Les hauts fourneaux. Le fer. Le zinc. Le
cuivre. Le plomb. Autres métaux, alliages. Matières organiques. Pétrole. Houille.
Charbon de bois. Gaz déclairage. Benzine. Naphtaline. Térébenthine. Caoutchouc.
Explosifs. Farines. Sucre. Alcool. Levures, fermentation. Bière. Pain. Alcool
dindustrie. Acide acétique. Glycérine. Bougies. Savon. Huile. On dira
peut-être : des sujets de devoirs ! Non, cest là quil faut
comprendre lesprit nouveau. Lenfant, libre de choisir, va vers ce qui
lintéresse. Il est dans le même état desprit que moi-même quand je regarde
sur le rayon les livres intéressants à lire et les revues à parcourir. Je sens là de
la richesse que jéprouve le besoin dapprocher. Et je choisis parmi ce que
jai
Autre
caractéristique essentielle de notre nouvelle technique : la classe est une
communauté qui doit partir à la conquête du plan selon des méthodes plus rationnelles.
Si, comme à lancienne école, on prétend faire étudier à chaque enfants chaque
sujet et à fond, on saperçoit que la chose est matériellement impossible par
manque de temps. On est alors en face du dilemme : ou laisser des vides dangereux, ou
bien rédiger des abrégés que nous ferons ingurgiter aux enfants. Comme lécole
redoute les vides, elle a établi et impose les abrégés. Et ce sont ces abrégés, ces
concentrés qui nous ont occasionné, à tous, dincurables indigestions. |
Nous allons faire comme dans
lindustrie moderne : nous allons répartir les tâches de façon quil
ny ait jamais deux personnes à faire le même travail dans les mêmes conditions,
mais en veillant à ce que le travail méthodique de chacun serve sans cesse à la
communauté. Nous y
parviendrons par notre système de comptes-rendus et de conférences. En examinant
notre plan annuel et le nombre des élèves, nous voyons à quel rythme nous devons
procéder hebdomadairement pour les diverses techniques. Et les enfants qui veulent
savoir, marquent sur leur plan hebdomadaire les sujets à traiter, conformément à ce
plan. Chaque soir,
devant tous les enfants réunis, nous avons : -
une première séance au cours de
laquelle les enfants qui ont terminé une étude en rendent compte à leurs
camarades ; ce sera Louis XIV, ou le télégraphe, ou lhistoire du vêtement.
Ou bien lenfant aura préparé un matériel de physique ou de chimie et, devant les
enfants, il refera ses expériences. Ces sortes de leçons, nécessairement un peu
rapides, et de ce fait même imparfaites, valent à notre avis la plupart des leçons
faites ordinairement par les maîtres. Leur insuffisance technique est la plupart de temps
largement compensée par cette adaptation naturelle
et mystérieuse quopèrent les enfants et à laquelle nous ne pouvons, nous,
parvenir quaccidentellement. -
Après cette séance de comptes-rendus,
vient la grande séance de conférences. Chaque enfant, à tour de rôle, vient faire
devant ses camarades, une conférence sur un sujet librement choisi, qui lintéresse
et pour lequel il a pu se procurer une documentation particulière. Cest
là un travail profond et de longue haleine, parfaitement motivé, et qui a une
extraordinaire puissance formative. Pour le mener à bien, lenfant compulse des
livres, lit des articles du dictionnaire, puise dans le fichier, va enquêter auprès des
travailleurs, écrit à des parents, à des correspondants, à des offices de publicité,
afin davoir des documents originaux susceptibles dintéresser ses camarades. |
Il sapplique à la rédaction, à
la disposition, à lillustration de son travail ; il tape son exposé à la
machine, à trois exemplaires : un pour lui et ses parents, un autre pour
lécole et un troisième pour les correspondants. Le jour de la conférence, il
cherche des documents dans le fichier, il dessine une carte au tableau, prépare ses
documents qui peuvent être même des documents vivants. Rien
nest plus passionnant dans nos classes que cette préparation de la
conférence ; rien nest plus émouvant que la ferveur avec laquelle les enfants
facilitent et suivent la tâche du conférencier ; rien nest plus édifiant,
psychologiquement et pédagogiquement, que lattention avec laquelle les enfants
écoutent lexposé de leurs camarade ;rien nest plus vivant que la
discussion qui suit. On pourrait
parfois avoir des doutes sur la qualité de lintérêt que prêteront les élèves
à la parole plus ou moins éloquente de leur camarade. Nous navons pas encore pu
analyser totalement les complexes qui jouent en faveur de cette technique ; est-ce
lintérêt véritable, ce même intérêt qui fait, au creux dun vallon, se
regrouper une bande denfants qui écoute un camarade raconter quelque
aventure ? Est-ce le désir de connaître, limpatience de voir des
documents ? Et la satisfaction du conférencier lui-même nest-elle pas pour
beaucoup dans lintérêt que nous vaut cette technique, et les enfants ne se
taisent-ils pas pour quon les écoute attentivement eux aussi lorsquils feront
leur conférence ? On pourrait
dire : ce nest pas la première fois quon use ainsi des conférences
denfants dans des écoles nouvelles ! Ce
nest pas la première fois non plus que des écoles pratiquaient les échanges et
pourtant nous seuls sommes parvenus à mettre
vraiment debout cette technique. Cest
que la technique des conférences nécessite elle aussi un matériel adapté. Si
lenfant devait se contenter de lire avec une éloquence plus ou moins satisfaisante,
il endormirait bien vite lauditeur. Ce qui permet la conférence, ce qui lui donne
la vie, ce qui lui vaut de lattention, cest la documentation. Les
conférences denfants ont été rendues possibles par notre Fichier Scolaire Coopératif et notre Bibliothèque de Travail. |
Dorénavant, lenfant a, pour laider et le soutenir, une abondante documentation. Et il en use. Il sent dès lors lutilité et les avantages de cette documentation, et nous avons vu lan dernier un engouement incroyable se développer dans notre école pour la documentation : les journaux, les revues étaient épluchés et découpés ; on écrivait partout pour recevoir des dépliants et des photos ; on partait en excursion pour se documenter. Avec des documents, il était passionnant alors, et intéressant, de bâtir une conférence. Cette conférence, ce nest plus seulement un texte mort, couché sur le papier. Cest de la vie vibrante et presque palpable. Le texte est
largement illustré. Le jour de la conférence, le conférencier dispose sur un panneau à
la portée de tous, sa documentation classée qui reste encore le lendemain à la
disposition des enfants. Dès lors, on comprend que la conférence ait un plus grand
poids, une portée plus efficace et quelle soi attendue impatiemment par tous. Nous avons
voulu noter surtout lintérêt que suscite cette technique. Comme limprimerie,
elle est voulue en permanence par les enfants et cest là la plus solide référence
en faveur de son institution dans nos écoles où elle est possible grâce au Fichier
Scolaire, à la Bibliothèque de Travail et aux échanges. Nous ne nous
arrêterons pas longuement aux avantages pédagogiques, sociaux et humains de cette
pratique ; travail profond de lenfant, habitude essentielle de travailler
longuement à un sujet pour lexaminer sous toutes ses faces, habitude excellente de
chercher les matériaux au lieu dattendre quon vous les offre dans un manuel
tout prêts à être resservis ; nécessité de lire beaucoup, non pas pour apprendre
à lire à laide de quelque aride leçon, mais pour comprendre et se documenter, ce
qui est en définitive la meilleure façon, et la plus efficace, dapprendre
intelligemment à lire ; habitude salutaire de parler en public pour le
conférencier, de critiquer et de questionner pour les spectateurs ; acquisition
solide pour tous ; liaison naturelle avec le milieu ambiant ; préparation aux
formes de travail autodidactiques qui seront nécessairement celles des futurs ouvriers
décidés à sinstruire
Et jen passe. On le
comprend : la conférence, soigneusement préparée par notre matériel nouveau, doit
être et peut être un des pivots techniques de notre nouvel enseignement.
|
Nous avons eu, lan dernier,
certaines conférences qui furent des modèles : sur lEspagne, avec des
panneaux émouvants, sur Tahiti, sur lEthiopie, sur lAffaire Dreyfus. Sur les
diverses montagnes, sur les villes connues etc
Et il
ny a pas que les grands qui y réussissent. Dès quils savent lire et écrire,
nos enfants font des conférences. Ils ne parlent pas toujours longtemps ; ils lisent
le texte quils ont rédigé avec amour et application, ce qui est un des travaux les
plus efficients à tous points de vue. Ils montrent ensuite la documentation recueillie ou
puisée dans le fichier. Et cette documentation a toujours du succès, succès qu'on ne
sépare point du succès de la conférence elle-même ce qui donne assurance et
fierté aux auteurs et intérêt aux spectateurs futurs auteurs. Essayez
cette technique nouvelle avec notre matériel adapté et vous en comprendrez les immenses
avantages. Il y a enfin une autre technique qui nous permet denvisager avec succès une école sans devoirs ni leçons : cest celle des fichiers autocorrectifs. Par les
comptes-rendus, par les conférences, nous faisons cette besogne intelligente et profonde
qui permet à lenfant de pénétrer le vaste monde. Mais il y a à lécole
certaines techniques dont lacquisition nécessite sans aucun doute un entraînement
méthodique : le calcul surtout, quelques points de grammaire, géométrie et
algèbre pour les Cours Supérieur et Complémentaire. Cest ce que nous appelons la
mécanique. Pour faire
rapidement les opérations, pour résoudre rapidement certains problèmes, il faut avoir,
par lexercice répété et méthodique, acquis une sorte de mécanique. Lenfant,
qui voit la nécessité de cette mécanique, se consacre avec plaisir à cette
acquisition, pourvu quil ny rencontre pas trop de difficultés, ni quil
ne piétine exagérément et sans profit. La pratique
de lexercice collectif en cette matière est toujours défectueux. Il en est de
lacquisition de la mécanique mathématique comme de lapprentissage de la
bicyclette. Il faut partir soi-même, avec une machine adaptée à sa taille, et avec plus
ou moins daudace, aller à son pas. Cela ne peut être réalisé que par des
fichiers autocorrectifs soigneusement gradués. Cest
ce que nous avons tenté de réaliser dans notre école. |
-
300 demandes environ et 300 réponses
daddition et soustractions de la méthode Washburne -
une série de problèmes élémentaires -
une série de problèmes Cours moyen -
une série de 200 problèmes C.E.P.E -
une série de problèmes Cours
supérieur. Lenfant
prend la demande correspondant à ses possibilités. Il fait le travail, va voir la
réponse, et continue, le plus rapidement possible. Cest
un travail passionnant pour les enfants. Et à lintérêt quils mettent dans
cette besogne par fiches, il faut voir deux raisons : une raison pédagogique
dabord sur laquelle nous croyons devoir insister. Lacquisition,
pour ainsi dire mécanique de ces techniques, nécessite un exercice permanent, régulier
et méthodique. Or, seule la fiche individuelle permet à chacun de travailler à son
rythme, selon ses capacités. Calculez, par exemple, le temps perdu à corriger un
problème au tableau noir : une minorité denfants peuvent
« suivre » le travail ; les autres ne profitent nullement de la leçon.
Pour les uns, les exercices sont trop faciles, pour les autres ils sont trop
difficiles ; si on accélère, cest la tête qui profite et la queue qui
traîne ; si on veut que tout le monde suive, les bien doués gaspillent leurs
énergies. Les
avantages de la fiche autocorrective sont incontestables. On a dit parfois : mais
lenfant va copier ! Et cela se produit, en effet, au début. Puis lenfant
comprend lui-même linutilité dun tel travail et devient sévère pour
lui-même. Le contrôle est dailleurs assez facile. On redoute
davantage que nous mécanisions trop, par nos fiches, notre enseignement et que nous lui
enlevions en partie son caractère éducatif. Des camarades ont protesté par exemple
contre le fichier Multiplication division et contre les fichiers de problèmes
parce quils voudraient un enseignement toujours intelligent et autant que possible
sensible de cette discipline. Nous
précisons justement que nous limitons lusage des fiches autocorrectives aux
disciplines pour lesquelles un entraînement méthodique et répété est indispensable
(calcul, grammaire et verbes surtout, géométrie, algèbre). Nous sommes contre les
fiches dinstruction préconisées par notre ami Dottrens et qui ne sont quune
réédition sur fiches des exercices scolaires que nous réprouvons. |
Nous disons de plus que lenfant
éprouve à lexercice de calcul non motivé une satisfaction qui nest pas à
dédaigner. Lopération, le problème ont déjà une sorte de fin en soi
puisquils apportent à lesprit quelque chose de définitif. Cest comme
un jeu dont il faut trouver la solution. En
rédaction, en dessin, rien nest jamais parfait ; lauteur nest
jamais pleinement satisfait de son uvre. En histoire, géographie, sciences,
leffort est toujours un peu décevant parce quil naboutit jamais
pleinement. Larithmétique
est une science mineure et délimitée. Quand on a fait les opérations portées sur une
fiche et quon va contrôler sur la fiche réponse, on peut sécrier de
joie : juste ! Cest
juste et définitivement juste et nul, si savant soit-il, ne peut faire mieux. Cest
une très grande joie pour lenfant darriver ainsi, en cette matière, à la
perfection. Mêmes
considérations pour certains exercices de grammaire : accords, verbes. On doit faire
juste, totalement juste, pour essayer ses possibilités dans cette direction : comme
lenfant est capable de tirer, par jeu, des centaines de pierres sur un but et
quil est comme soulagé quand il a atteint ce but. Nous
exploitons ce désir, ce besoin de lenfant pour
le perfectionnement technique en calcul et en grammaire, sans autre
prétention éducative. Et nous pouvons dire que nous réussissons pleinement. Le travail
sur fiches est un de ceux qui sont les plus aimés des enfants dans notre école.
Lan dernier, un garçon de 14 ans est venu, dégoûté de leffort scolaire. On
nous lavait confié parce quon savait que nous saurions réveiller ses
aptitudes endormies et on nous signalait tout particulièrement son goût pour la
décoration. Or, dès son arrivée, cet enfant que leffort scolaire rebutait si
totalement, sest mis à faire des fiches, et il en a fait tellement quil a pu
se présenter quelques mois après au Certificat dEtudes et être reçu. Ce travail
est très efficient. Il conduit chaque année nos enfants au Certificat
dEtudes ; il permet à chacun de mesurer son effort et de spéculer sur
leffort à venir ; il libère lenfant qui travaille à son rythme,
lorsquil lui plaît. Et il libère linstituteur qui na plus de longues
leçons ni de fastidieuses corrections à faire. |
Les fiches autocorrectives sont
appelées dans nos classes à un très grand avenir. Essayez cette technique, vous
nen serez jamais désillusionnés. -
limprimerie à lécole et
les échanges dont nous avons déjà parlé dans notre brochure n° 1 ; -
Nos plans de travail annuels ; -
Notre Fichier scolaire coopératif et
notre Bibliothèque de Travail ; -
Nos comptes-rendus et
conférences ; -
Nos fichiers autocorrectifs . Voyons
maintenant comment, pratiquement, au jour le jour, nous allons tirer parti de ce
matériel. Les enfants
ont besoin de direction sinon ils restent comme ce voyageur au carrefour de routes sans
signalisation. Cette direction, nous pourrions la donner au jour le jour, heure par heure,
minute par minute même comme cela se pratique dans les écoles traditionnelles régies
par les manuels. Mais lenfant a limpression alors et ce nest pas,
hélas, quune impression ! dêtre conduit par la main. Et il fait
comme lâne que tire la longe, il fait effort pour sen dégager et se sauver
à droite et à gauche si possible, ou bien alors il va dun pas traînant et
désespérant. Lancez la
bride sur le cou. Notre animal a le sentiment de liberté et il reprend son pas normal. Si on
faisait contribuer les enfants à létablissement de leur propre chemin ! Plan de
travail encore ! Nous avons
polycopié sur feuille 21 X 32 un Plan de Travail dont nous donnons ci-dessous le modèle
réduit. Tous les
lundis matins, chaque enfant établit son plan de travail pour la semaine. Il indique,
par leurs numéros, les fiches de grammaire quil compte faire, les fiches de calcul,
de géométrie et dalgèbre sil y a lieu. |
Puis il va consulter les plans de
travail annuels pour voir quels sujets il faut travailler en histoire, géographie,
histoire naturelle, sciences. Sur le plan, les sujets précédemment traités ont été
hachurés en rouge ; ceux qui ont été traités imparfaitement sont hachurés en
clair. On peut reprendre ces sujets, mais seulement si on compte les approfondir en
utilisant les travaux mêmes des camarades qui sy sont essayés. Dans la pratique,
on choisit la plupart du temps parmi les points non encore traités. Et on ne choisit pas
par hasard. Au cours de la semaine, des idées nous sont venues, que nous avons notées
sur un agenda ; des documents reçus donnent lidée de soccuper de telle
ou telle question ou bien, au cours dun travail précédent, on a vu la nécessité
délargie létude dans telle ou telle direction. Linstituteur
lui-même ne reste pas passif. Plus que jamais il doit être le conseiller et le guide. Au
cours de la semaine, il aura posé et fait poser des jalons précieux pour la route à
choisir. Il connaît les richesses de sa documentation : sur tel sujet, jai de
beaux livres ; tu écriras à ta tante qui habite à tel point. Tu iras faire une
enquête afin de mener à bien telle étude. Et voilà du
travail pour la semaine, et pour tout le monde. Indiquons le sujet de la conférence
quon se propose de faire et dont la préparation peut sétendre sur deux
semaines, les sujets précédents ne donnent lieu quà comptes-rendus. Marquons
encore les travaux manuels quon se propose de réaliser. Complétons même les
divers, ne serait-ce quen mettant un engagement à lexemple de cet enfant qui
écrivait : ne pas faire lidiot, comme dhabitude. Il est
certain que si la préparation de ce plan nécessitait lintervention autoritaire
permanente de linstituteur ; si les enfants sentaient que ce nest là
quune forme nouvelle des devoirs, lamélioration serait peu sensible. Mais
ceux qui redoutent ce danger ont compté sans le désir de travail, sans le désir de
connaître des enfants. Nous sommes toujours ainsi faits que nous voyons toujours large
quand nous dressons nos plans. Cest seulement à la réalisation quil faut
faire violence aux forces innombrables qui freinent ce désir de progrès. Et nous,
instituteurs, ne faisons-nous pas de grands projets à la rentrée des classes ; ne
voyons-nous pas toujours trop large malgré
tant dexpériences plus ou moins décourageantes. Tel projet, nous le traînons
depuis deux ans ; mais cette année, je vais my mettre
Et le voilà
encore sur notre plan ! La même
illusion de puissance théorique pousse les enfants à établir des plans plutôt
ambitieux. Nous avons à intervenir moins pour les charger que pour les harmoniser,
parfois même pour les réduire. |
Lenfant a alors pris librement
des engagements. Il faut laider à les lui faire tenir. Car lenfant est comme
nous. Jusquà la Noël, nous ne croyons pas devoir nous émouvoir si les points
importants de notre programme ne sont pas réalisés
On sy mettra le 2ème
trimestre, trimestre de travail. Et puis voilà Pâques : il faut se hâter, et ce
sera même trop tard. Lenfant
a lui aussi tendance à traîner jusquau jeudi, puis, comme le lièvre de la fable,
il essaye de partir à fond de train, mais en vain. Il faudra
rappeler souvent à lenfant la nécessité de suivre et daccomplir son plan et
cest là la plus forte discipline au travail que nous puissions imaginer. A mesure
quil accomplit une portion de ce plan, il va barrer au crayon rouge de façon que,
dun simple coup dil sur les plans fixés au mur, on voie la marche
normale du travail dans la classe. Et quelle
ardeur pour finir son plan ! Des enfants se lèvent parfois à cinq heures pour venir
y travailler. Et quelle joie quand ce plan est terminé ! Sil
nest pas terminé, il faut le terminer le dimanche, sans excessive sévérité.
Lessentiel est de ne pas couper lélan au travail. Nous
pratiquons cette technique depuis plus dun an et nous pouvons assurer que
lintérêt des enfants pour leur plan ne sest jamais ralenti. Ils le montrent
fièrement aux visiteurs. Cest
là encore une forme de travail excessivement souple, donc très facilement adaptable aux
possibilités enfantines, et qui laisse aux élèves la possibilité de disposer librement
de leur temps ou plutôt dorganiser librement leur activité. Notre
communauté a trouvé de si grands avantages à ce système de plans que, en plus de nos
plans hebdomadaires, nous faisons chaque matin le plan de notre travail pour la journée
et pour les occupations non spécifiquement scolaires : travaux aux champs, ateliers,
découpage, peinture, bricolage, couture etc
Nous nimposons pas
lactivité. Nous laissons les enfants choisir. Nous veillons ensuite au cours du
jour et les enfants y veillent avec nous à ce que les engagements pris
soient tenus. |
* Les enfants
travaillent : il organise, il aide, il facilite ce travail. Il collabore
au maintien de la bonne harmonie et du silence relatif qui permet ce travail ; il
aide à la recherche des documents ; il guide lenfant qui prépare sa
conférence et est débordé par les matériaux ; il explique parfois ; il aide
et dirige également pour les fiches ; il guide les enfants qui, autour du matériel
scientifique, regardent au microscope les membres dune mante religieuse, ou
préparent une expérience chimique. Là est
véritablement le travail noble de linstituteur, la direction effective,
lappui paternel de celui qui sait et qui peut. Et alors,
plus de leçons ! Les mots
nont une portée efficace que lorsquils répondent à un besoin, à des
questions, formulées ou non. Mais il faut, le plus possible, laisser parler les
faits ; il faut laisser lexpérience personnelle poursuivre son action
éminemment éducatrice ; il faut initier lenfant aux méthodes nouvelles du
travail non seulement scolaire, mais social ; il faut laisser faire la vie, par
tâtonnements peut-être, mais aussi sans dogmatisme et sans froide autorité. Ce qui ne
veut pas dire que nous interdisions à linstituteur de parler à un groupe
denfants. Lorsquun sujet, lorsquune technique, que les enfants
voudraient connaître, est ignorée par tous ou presque tous, on donne lexplication
en commun. Au cours des travaux journaliers, des trous fréquents se creusent devant notre
connaissance. Et les enfants voudraient savoir. Alors, à une heure prévue davance,
le soir, avant les comptes-rendus et les conférences, linstituteur répond à tous. Vous direz
peut-être : mais quest cela, sinon une leçon ? Il y a cette
différence essentielle que les enfants eux-mêmes ont senti la nécessité de connaître,
quils attendent notre réponse et quà ce moment là sétablit
naturellement la communication mystérieuse entre auditeurs et guide et que la parole
acquiert alors toute sa puissance dynamique. |
Atmosphère nouvelle |
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Notre école devient alors comme un
atelier de travail et le plus passionnant qui soit. Vous pourriez rentrer chez nous à
certaines heures, hors même de notre présence : un groupe compose ou imprime ;
dans la salle de documentation, deux enfants penchés sur le dictionnaire, étudient le
mécanisme de lhorloge. Un autre cherche dans le fichier les documents pour la
conférence du soir. Assis par terre, dans le couloir, des enfants lisent. Dans la grande
salle, des élèves font des fiches et lun deux barre en rouge sur son plan le
travail effectué ; dans la salle des grands, on travaille au microscope. Au début,
il faut se faire à cette activité si différente du silence passif des classes
traditionnelles. Nous savons que cela ne va pas sans fatigue pour linstituteur, mais
nous supprimons aussi des leçons si épuisantes et qui usent si dangereusement les
poumons de nos camarades ; nous supprimons les résumés récités et les devoirs à
contrôler, incessantes occasions de punitions et dhostilité entre maîtres et
élèves. Et surtout,
nous ramenons lintérêt et la vie là où il ny avait que la déprimante
passivité de la scolastique. Nous ramenons nous amenons, car elle na jamais
eu droit de cité dans nos classes la joie à lécole. Et rien nest si
mortel que la passivité et le silence, rien nest plus réconfortant ni plus
dynamique que lintérêt du travail et la joie créatrice. |
Nous navons pas négligé
lefficience de lécole ni lorganisation méthodique de leffort. Et
nous pouvons affirmer que la technique que nous venons dexposer donne un rendement
culturel bien supérieur aux techniques traditionnelles et un succès accru aux examens. Il faut,
dès aujourdhui, comprendre la nécessité de faire ainsi évoluer votre
enseignement ; mais pour cela, commencer par le commencement, cest à dire
lachat ou la préparation du matériel indispensable à cette nouvelle vie
scolaire : imprimerie à lécole, limographe, fichier scolaire coopératif, fichiers autocorrectifs, bibliothèque de travail,
plans de travail. Et alors, naturellement, sans accrocs ni dangers, vous supprimerez les
leçons et vous marcherez triomphalement vers nos techniques nouvelles qui régénéreront
notre école publique et assureront le succès des diverses expériences heureusement en
cours dans divers départements. Parodiant la
parole du Christ, nous pourrons vous dire : « Nous ne vous apportons pas, comme
vous le promettent depuis un demi siècle nos éditeurs, la facilité scolaire, le silence
et la paix. Nous vous apportons la possibilité de continuer la lutte et leffort
pour que notre enseignement serve, comme nous ne désirons tous, la libération et la paix ». Tous ceux
qui sentent encore en eux sagiter la flamme du dévouement à lenfance et du
sacrifice au progrès social, se joindront à nous pour forger coopérativement les outils
efficients de lécole populaire de demain. C. Freinet. |