Publication mensuelle N°7 Avril 1938 Brochures d'Education Nouvelle Poupulaire ________ Lucienne Mawet Lecture Globale Idéale
Vence (Alpes-Maritimes) Prix : 15 fr |
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TABLE DES MATIERES PREFACE : Joie du travail
(C.Freinet) |
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L. MAWET _________ LECTURE GLOBALE IDEALE
Cest à lEcole Maternelle et Enfantine quil faut aller chercher le vrai sens et la profonde portée de notre technique de lImprimerie à lEcole. Avant nous, le Dr Decroly avait bien montré tout lintérêt psychologique et pédagogique de la Lecture Globale. Mais parler de lecture globale cest déjà rétrécir un problème que la vie lie sans cesse à toute lactivité enfantine, cest donner une dangereuse tournure scolastique au puissant processus dacquisition et de création des jeunes enfants. La science de léducateur, la suprématie de ladulte, le dédain plus ou moins accentué de la personnalité enfantine, cette sous-estimation courante et radicale de la pensée naïve, restaient malgré tout les caractéristiques essentielles de la Pédagogie. LEcole restait lEcole. Et lenfant, incompris et refoulé, shabituait dès le jeune âge au mensonge et à lasservissement quallaient parfaire les dures années de scolarité. Nous avons remis de lordre dans la maison. |
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Nous avons dabord révélé lenfant. Nous lavons révélé à lui-même et nous lavons révélé aux éducateurs. Et cela, non pas verbalement, dogmatiquement, mais par des réalisations tangibles et effectives qui sont, malgré les pédagogues, les initiatrices de la pensée nouvelle. Par lImprimerie à lEcole, les enfants se sont mis à parler en classe, à sexprimer, par la parole, la plume, le crayon, la mimique. Et cette expression naturelle et spontanée est devenue lace essentiel de toute notre pédagogie. Cest en forgeant quon devient forgeron. Cest en parlant quon apprend à parler. Cest en écrivant quon apprend à écrire. Cest en sexprimant quon apprend à sexprimer, à prendre conscience de soi, à affirmer sa personnalité. On reconnaîtra un jour très prochain linutilité et la nocivité de toutes les leçons dictées par lorganisation scolaire ; léducateur avouera humblement quil ne peut pas, lui, penser et créer pour les enfants, quil peut seulement les aider à monter, à prendre leur essor et à dominer la vie. Mais alors, il faut que les enfants puissent ouvrir et essayer leurs ailes. Nous préparons cette possibilité. *** Apprendre à lire et à écrire ! Que de générations denfants ont pâli et pâti devant les livres de classe et les tableaux muraux pour un travail dont ils ne comprenaient ni le sens ni lutilité ; que defforts gaspillés à imiter des lettres mortes et insensibles ! Que déducateurs ont usé leurs nerfs à cette besogne rebutante et désespérante entre toutes : enseigner la lecture et lécriture aux enfants ! Et pourtant, avec quel incessant enchantement se fait depuis toujours lacquisition de la parole, et avec quelle vitesse et quelle sûreté, jamais démenties. Ce même éducateur excédé par les obligations sz sa tâche scolaire ne se souvient-il pas avec une incessante émotion, des étapes indécises mais glorieuses qua franchies son propre enfant depuis le jour où, claquant les lèvres, il a prononcé son premier : Papa ! Et la maman, un tantinet jalouse de lhonneur un peu immérité il est vrais au père, a assisté à léclosion merveilleuse des autres morceaux de vie : toutou, pépé, maman, tati Ah ! là, la famille ne risque point de se mettre en colère parce que lenfant articule imparfaitement. Elle a tendance, au contraire, à empêcher la vie de marcher, à retenir lenfant dans ce bégaiement délicieux. Et cest lenfant lui-même qui, malgré le milieu parfois, corrige hardiment, peu à peu, mais on ne sait encore par quel mystérieux travail, les formes imparfaites. Et quel bonheur le jour où Bébé a su exprimer une pensée ! Le petit être saffirmait Il était parti à la conquête du monde ! Ne pensez-vous pas, avec une sorte de frémissement, à ce qui arriverait si les mamans et les papas aussi convaincus un jour par les pédagogues, se décidaient à enseigner le langage à leurs enfants ? Une leçon bien précise, strictement limitée et ordonnée serait préparée aujourdhui. Et quand le petit être frémissant viendrait vers sous, confiant, une ravissante coccinelle sur le dos de la main, criant avec ce sourire indicible à la fois dappréhension et de victoire : Maman. Y a bébête jouge ! Vous lui diriez : Tais- toi, tu ne dois pas encore prononcer des mots aussi difficiles que tu ne connais pas. Voyons dabord le son re ro ri. Renouvelez en pensée, plusieurs fois par jour, cette expérience désastreuse, mettez-vous maintenant à la place des enfants et dites si, le soir, vous ne seriez pas, à tout jamais, dégoûtés de parler. |
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Et il se trouverait peut-être un pédagogue pour vous reprocher votre obstination incompréhensible à ne pas parler ! Heureusement, toutes les mamans du monde même lorsquelles sont institutrices ont une autre confiance naturelle en la vie hors de lécole ! Elles écartent tout ce qui gêne cette vie, aidant les enfants dans leurs premiers pas, les aidant de même, avec quelle touchante patience, à prononcer les premiers mots. Par la suite, la nature a préparé le miracle : tout enfant normalement constitué, et placé dans un milieu où on parle un français correct, apprend avec sûreté sa langue maternelle. Et cela, toujours, sans aucune exception ! |
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Lexemple des mamans Par lImprimerie, nous suivons tout simplement lexemples des mamans. Nous laissons les enfants sexprimer dabord ; nous facilitons, nous encourageons, nous fixons, nous diffusons leur pensée pour que cette expression ait son véritable sens et sa raison dêtre. Nous ne ménageons aucune savante mais scolastique gradation : tous les mots, toutes les pesées sorties de la bouche des enfants peuvent, et doivent, sans danger, passer sur limprimé. Nous aidons même les lents, les retardés, les difficiles à parfaire une expression qui tarde à sextérioriser. A tous, enfin, nous présentons des exemples parfaits en transcrivant en français correct le gazouillis enfantin ; et limprimerie donne une forme majestueuse et définitive parfaite à cette expression. Le dessin, le coloris, la musique, la mimique viennent encore renforcer le sillon tracé par ces éléments de vie que nous avons su ainsi magistralement projeter sur le papier. Et, comme pour le langage, la nature opère le miracle. Selon un processus que nous tâcherons de fixer dans une prochaine brochure, lenfant ainsi compris et stimulé, éprouve le besoin décrire, de lire globalement et sans leçons, bien sûr ! Il photographie avec insistance la ligne quil vient de composer ou tel mot qui la frappé ; limprimé lui-même qui sort de la presse est fixé pour toujours peut-être, dans lesprit de nos enfants. Alors là, oui, sopère la merveille de la lecture globale idéale. Comme pour le langage, des phrases, des mots, affleureront à lexpression consciente. Puis lenfant lira et comprendra des phrases entières, jusquau jour où, intrigué, il sattaquera enfin au problème de la lecture dont il découvrira le mécanisme : mots et syllabes. De même que la maman peut vous affirmer elle a lexpérience de toujours en sa faveur que son enfant apprendra à parler, nous affirmons de même, et on comprend la similitude de notre assurance, QUE LENFANT, PAR LEXPRESSION LIBRE SELON NOTRE TECHNIQUE, APPREND NATURELLEMENT A LIRE ET A ECRIRE SANS AUCUNE LECON SPECIALE, DONC SANS AUCUNE FASTIDIEUSE OBLIGATION. Seulement, il ne faut pas être pressé. Lenfant met deux ou trois ans pour apprendre le langage. Si des pédagogues savisaient de précipiter anormalement cet apprentissage par un bourrage diabolique, ils parviendraient effectivement à faire prononcer plus vite certains mots, mais ce serait toujours aux dépens de la formation harmonieuse de lenfant. Soyons plus nets : Si les pédagogues savisaient de transposer leurs méthodes dans les familles, nos enfants napprendraient plus même à parler parce que lentrave permanente apportée par la scolastique à leur besoin dexpression arrêterait net leur développement. Il en est ainsi pour la lecture et lécriture. On peut, par des procédés artificiels et autoritaires, apprendre plus rapidement à lenfant à lire et à écrire certains mots, comme on apprend à un perroquet à interpeller les passants et à un merle à siffler la Marseillaise. Mais cest toujours aux dépens de la formation harmonieuse de lindividu. |
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Et lindividu se venge dailleurs. Le temps que vous avez cru gagner pour linitiation, vous le reperdez, et au-delà, par la suite, parce que lécole ne parvient plus à rétablir léquilibre, à renouer les liens intimes qui font de la lecture une expression et non une éternelle et désespérante leçon ; elle est impuissante surtout à faire renaître cette confiance en la vie et cet enthousiasme qui sont le propre de lenfance et sans lesquels la science la plus minutieuse ne produira jamais quune bâtisse difforme et vide. Et cest pourquoi aussi les enfants de lécole primaire « savent lire » après un an de scolarité, et à 13 ans, après 8 ans defforts, ils ne possèdent pas encore la perfection loin de là ! le mécanisme de la lecture, alors que 3-4 ans dactivité libre ont suffi à lenfant pour se saisir à la PERFECTION, et DEFINITIVEMENT et en partant à zéro de la langue maternelle. Il faut que nous réfléchissions sérieusement à ces rapprochements et que, nous débarrassant des ancestraux travers scolastiques, nous nous orientions avec confiance dans la oie que la nature, le bon sens et la vie nous ont depuis longtemps tracée. Autre défaut scolastique de notre technique : on ne peut pas contrôler ! Cest si commode dentrer à lEcole le matin en se disant : Je vais enseigner le son Ou à mes enfants, et de sen aller le soir la conscience tranquille au spectacle du devoir accompli parce quon a appris aux enfants le son OU. Et M. lInspecteur a besoin aussi de contrôler, non pas tant le travail des enfants, mais surtout leffort de linstituteur. Alors, il faut bien quil puisse, en entrant dans une classe, demander avec assurance : -- Voyons, où en sont ces enfants ? Si ce même Inspecteur était délégué pour aller contrôler les progrès en langage des enfants et lapplication des mamans dans leur besogne pédagogique, et quil dise de même à la mère : -- Voyons, où en est votre enfant ? La mère répondrait, radieuse : -- Oh, cest merveilleux ! Je nai jamais vu denfant aussi intelligent tout le jour, il gazouille. Il ne sarrête pas de parler, et je comprends tout ce quil me dit ! Son père en est émerveillé ! - Voyons, voyons, dirait M. lInspecteur Voyons, mon enfant, répète avec moi : « La toupie tourne quand on la lance ». Lenfant narrive pas même à imiter ces mots dont il ne comprend nullement la genèse Et sil a acquis, à une éducation libre, une certaine liberté irrévérencieuse qui a parfois son charme, il risque fort de montrer, par un geste non équivoque, que ce Monsieur nest pas tranquille de venir ainsi poser des questions qui nont aucune base immédiate dans la vie Vous voyez dici le rapport de monsieur lInspecteur ! Avec notre technique, il en est, hélas ! de même. Tous nos enfants lisent avec enthousiasme leurs propres textes ; ils sessayent à lire globalement quelques textes de leurs correspondants. Ils distinguent seulement quelques mots, et pas toujours parfaitement. Mais ils ont eu eux, liée intimement à toute leur vie psychique et sociale, limage diverse dune foule de mots qui, brusquement, viendront au jour, dans leur sens véritable et total. Alors, notre enfant saura lire et pour toujours, parce que cet apprentissage naturel fera corps avec la vie elle-même et le processus dévolution de lindividu. - Mais pour linstant, pourra objecter M. lInspecteur, comment puis-je constater un résultat ? quelle totale assurance pouvez-vous me donner ? - Aucune, en effet, si ce nest le spectacle émouvant dune classe vivante et enthousiaste qui marche, qui monte, et qui, parce quelle va de lavant, atteindra immanquablement et dépassera les buts proposés ou imposés par les programmes et les règlements. Il nous faut, à tous, en face du problème humain que nous posons, une attitude compréhensive et tolérante, une confiance nouvelle dans limportance du dynamisme éducatif qui est notre plus grande force et notre seul espoir de succès. |
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Plus de leçons de lecture, plus de lecture individuelle ou collective au tableau, finis ces exercices plus ou moins ingénieux qui usent et découragent , plus dinsuccès ! Quel beau jour nest-ce pas, petits enfants ! Et quel beau jour aussi, mes collègues qui, aujourdhui, dès que vous le pouvez, demandez à quitter les classes où lon apprend à lire comme si léducateur montait en grade à mesure quil séloigne de la fraîcheur enfantine ! Mais ce sont ces classes alors qui deviendront les plus agréables et les plus charmantes, comme reste inoubliablement émouvant le temps, qui passe trop vite hélas ! où Bébé, neuf et intrépide, se saisit du langage à notre émerveillement et pénètre, joyeux et opiniâtre, dans le monde mystérieux. Un âge dor de lenseignement ! Eh oui ! Age dor, surtout parce que cen sera fini du long abrutissement scolastique. La vie prendra sa triomphale revanche ! Un rêve ? Plus près quon ne croit de se réaliser. Mais en attendant ? Pratiquement ? En attendant que les parents aient compris, que lInspecteur ait amélioré son contrôle, que faire ? La nouvelle technique ne nous tombera pas den haut, toute prête ; lesprit nouveau ne touchera pas la masse des adultes intéressés comme une lueur de la grâce. Cest à nous de montrer, pratiquement, que nous avons raison pour quon nous suive un jour jusquà lexpérience complète que nous savons concluante. Ici, nous donnons la parole à Lucienne MAWET, qui va vous dire ce quelle a réalisé, ce que toute éducatrice donc peut réaliser dans une école populaire soumise au contrôle permanent des parents et des Inspecteurs, au milieu de toutes les difficultés matérielles qui rendent si pénible le redressement de notre éducation. Rectitude de la ligne qui mène vers lidéal là tout proche. Mais aussi adaptation de notre effort, au prix parfois de lourds sacrifices idéologiques, aux nécessité de lheure Pourvu que le progrès continue. Telle est notre méthode de travail, notre façon originale daider pratiquement tous les éducateurs. Et quon ne croie pas que parce que parle ici Lucienne Mawet seulement, nous navons pas dautres références à fournir. Lexpérience a été faite cent fois, et elle se continue dans des centaines décoles françaises et étrangères qui pourraient apporter le même témoignage. Des centaines dautres écoles suivront. Et, à mesure que se diffusera la vérité de nos révélations, la masse des éducateurs nous suivra. Elle nous suivra parce que nous pouvons lui garantir, avec les tout-petits surtout : du succès et de la joie. C. Freinet |
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Il est inutile de présenter de nouveau aux instituteurs un traité psychologique et méthodique de lecture globale. Il en existe de nombreux expliquant la base psychologique de la méthode et la façon scolaire de sen servir. Les pédagogues Decroly, Piaget, Claparède et dautres avant eux déjà, ont prouvé par leurs recherches et leurs observations que lenfant voit globalement les choses avant de les analyser, et que, partant du simple, (pour lui lensemble), il sachemine vers le complexe, (pour lui lanalyse, la lettre isolée en lecture). Dans les ouvrages de Dottrens, Hamaide, Monchamp, on peut trouver fort explicitement exposé le procédé à employer pour appliquer ces principes psychologiques. La source peut éclairer mieux, cest pour cela que nous y renvoyons ceux qui désirent se documenter à ce sujet (1). (1) R. Dottrens et E. Margairaz : Lapprentissage de la lecture par la méthode globale. Edit. Delachaux. A.Hamaïde : La méthode Decroly. Ed. Delachaux E. Monchamp : Psychologie et Méthodologie de la lecture. Bruxelles |
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Nous ne voulons ni renouveler, ni rajeunir ces principes et ces procédés de lecture globale mais les vulgariser, rendre leur application possible dans les écoles populaires. Car jusquici, il faut bien le dire, depuis tantôt un demi-siècle quon en reparle, la masse des instituteurs na pas bronché et continue le bi, bu, ba, bo, be ou presque, écrasant ainsi les élans de personnalité enfantine dont la société a tant besoin pour sa prochaine édification. Pourquoi ce progrès si lent dun travail si vrai et si prometteur de libération ? 1 Les chercheurs qui sy sont attachés, en pédagogues exclusifs quils sont, nont pas ménagé leur travail et sont parvenus à mettre la méthode globale sur pied avec force matériel (jeux, bandelettes, fiches, etc ), à préparer par linstituteur. Gros travail, trop accaparant pour linstituteur populaire qui, sa classe terminée, doit songer à sorganiser socialement ou à gagner un supplément de traitement bien nécessaire. 2 Personne na présenté des outils facilitant le travail et ouvrant la voie. Il fallait dans chaque classe tout créer en commençant. Rien de préparé ne donnait lélan au départ. Travail dur pour les hésitants et peu alléchant pour rivaliser avec la bonne et facile routine. 3 Tous les expérimentateurs ont proclamé des résultats surprenants et rapides, mais tous ont expérimenté dans des classes relativement peu peuplées, parmi une population denfants de milieux intellectuels ou tout au moins parmi les enfants de ville à la langue déliée et au vocabulaire plutôt abondant. (Le cas est peut-être différent en France mais en Belgique, à la campagne et même dans certains milieux industriels, le français est pour les enfants une seconde langue quils ignorent, leur langue usuelle étant le wallon.) La plupart des écoles nouvelles fonctionnent dans des milieux bourgeois où lintérêt intellectuel est facilement éveillé, où lenfant, vivant parmi des paperasses : papiers daffaires, courrier volumineux, bibliothèque fournie, sent la nécessité de lire et décrire. Nos petits paysans voient rarement à la maison livres ou journaux; tout au plus la famille reçoit-elle une lettre, une réclame ou une feuille électorale. On comprend leur indifférence et même leur dédain pour la lecture et pour tout ce qui est livresque et scolaire. Tous ces travaux réalisés dans des milieux si différents du nôtre étaient peu concluants pour des classes populaires surpeuplées, dun milieu au niveau intellectuel presque nul, avec des instituteurs Ordinaires, aux possibilités pécuniaires et de travail très limitées. Il y eut peu dessais. Il y eut des essais décourageants. Nous ne voulons daucune façon reprocher aux écoles nouvelles et expérimentales ni leur milieu, ni leur façon de travailler. Nous avons besoin de précurseurs qui se consacrent uniquement à ces travaux de mise au point. Sils ont cherché, trouvé la voie, lancé les bases, il nous reste à saisir les directives et à travailler pour vulgariser dans nos masses cette voie nouvelle et libératrice. Nous navons pas recommencé ce genre dexpérience dans notre école rurale à quatre divisions (jardin denfants, 1ère, 2ème et 3ème années). Cest dans un milieu paysan bien peu développé que nous appliquons la lecture globale depuis plus de dix ans déjà. Nous avons passé par de nombreux stades : appliquant dabord ce que nous avions lu dans les traités de lecture globale, nous en sommes arrivés à parler à présent de notre expérience vraiment personnelle au cours de laquelle nous avons observé lenfant de très près en face des difficultés de lacquisition de la lecture et de langue française. Les camarades peuvent se fier aux résultats que nous signalons, ils ne seront pas déçus, car leur milieu de travail ne peut être dun niveau inférieur au nôtre. Quutilisons-nous pour appliquer la lecture globale sans surcroît de travail pour linstituteur et sans dispositions spéciales des enfants ? 1. - La presse Freinet, limprimerie à lécole, précieux outil de travail, instrument de libération, point de départ matériel et palpable vers la lecture globale et lexpression enfantine. 2. - Les échanges journaliers de feuilles imprimées, éveilleurs dintérêt, puissant attrait, poussant lenfant à déchiffrer de nouveaux textes. 3. - Les échanges de lettres manuscrites, favorisant et motivant lacquisition de lorthographe et de lécriture propre et lisible. 4. - Les conférences denfants poussant aux recherches, à la documentation et donnant loccasion de sexprimer. |
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Supprimons les
manuels de lecture, même de lecture globale Avec limprimerie, la lecture globale devient un soulagement pour linstituteur et la voie de réalisation pour les enfants. Dorénavant, on dira fièrement sa pensée ; on pourra la lire et la faire lire à tous, parfaitement matérialisée, noir sur blanc, dans les feuilles imprimées. Quelle fierté, quel accroissement de ces petites personnalités qui, du même coup, se découvrent et saffermissent ! On sétait si bien arrangé pour les étouffer ces personnalités naissantes ou tout au moins pour empêcher leur éclosion. Les i, a, e, isolés des manuels, sans signification, sont bien là pour habituer les enfants à prononcer des sons creux didées. Le livre de lecture avec ses phrases qui font sourire les adultes, a négligé tout bon sens. On y a agencé des choses sèches avec logique et gradation pour apprendre à lire très vite, cest-à-dire à mouvoir les lèvres de telle ou telle façon, mécaniquement, sans que lesprit sen mêle trop. Pour lenfant, à quoi bon penser dorénavant, émettre une idée. Le matin, laprès-midi et le soir à la maison, on lui donne la pâture : des mots, des phrases, vides de sens, pour lui à lesprit si riche et si productif si on le questionnait. Plus tard on lui demandera ses idées, alors quil a si souvent exprimé celles des autres. L'habitude de cette passivité, de cette molle réception est si vite acquise. Cest dailleurs enclin à cette même mollesse que ladulte subit son sort sans réagir. Même en lecture globale, ladulte sest cru seul désigné et capable de trouver des phrases, des idées à lire. Car si lon envisage toujours lapprentissage de la lecture et même des autres branches derrière ce grand mot : méthode, on peut laccommoder à tous les genres et la réaliser opposément à son but, cest-à-dire en soumettant lenfant aux idées extérieures. Et dans ce genre n est parvenu à éditer des livres de lecture idéo-visuelle. Alors que lenfant a des intérêts bien spéciaux et personnels surtout, quil possède sa façon individuelle dassimiler la technique de la lecture des adultes, dont la prétendue clairvoyance scientifique nous fait sourire, ont su deviner les centres dintérêts de tous les enfants pendant toute une année et sont parvenus à les consigner tous dans un livret de lecture. Quel tour de force ! Idées, phrases, cartons et bandelettes sont soigneusement édités, parés dune présentation appétissante, prêts enfin à être plaisamment assimilés. Et cest un nouveau piétinement de la personnalité enfantine. Nos éditeurs de manuels de lecture idéo-visuelle nont rien compris ou rien voulu comprendre, car le premier but de la lecture globale cest lextériorisation de lenfant. Limprimerie conne la parole à lenfant. Ce sont ses pensées quil imprime, cest sa vie quil réalise dans son livre. Cest tout ce quil pense, quil shabitue à extérioriser sans le souci de cacher ce quil est plus ou moins beau (à notre avis) de penser ; il vide son cur : regrets, aspirations, rancunes, arrière-pensées, désirs, sont débités pêle-mêle, dans des associations naïves. Et nous voici pleinement dans lapplication du nouveau Plan détudes belge qui dit : « Le grand problème on pourrait dire le seul véritable cest la culture de la langue maternelle comme moyen dexpression de la pensée. Le premier souci de lécole doit être de concentrer tout leffort sur la formation de la pensée et son expression par la langue. Apprendre à lenfant à exprimer librement et correctement des idées juste s et personnelles, tel est le but. » Et ce but ne peut se réaliser dans nos écoles populaires que par limprimerie à lécole. Lon croirait volontiers quon sest plu à insérer dans le plan détudes les bus essentiels de nos techniques, buts que nous atteignons si admirablement. Limprimerie ne nous apporterait-elle que cette possibilité de réaliser les personnalités que ce serait suffisant pour lintroduire religieusement dans chaque classe. Elle nous libère en même temps de la partie fastidieuse du travail. Grâce à limprimerie, lenfant prépare lui-même son petit matériel dapprentissage, je dirais presque de forçage. Car si la société pouvait admettre le bon sens, ce ne serait pas nécessaire. Lenfant naurait besoin ni de bandelettes, ni de cartons. Il apprendrait lire en lisant toujours et en voulant savoir lire parce quil sentirait la nécessité de ce mécanisme et parce que ce mécanisme est simple à acquérir quand on le regarde avec bon sens. |
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Que penser de la décomposition ? |
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Il est expérimentalement établi que la fonction de la globalisation est un phénomène mental par lequel lenfant acquiert la plus grand e partie de sens connaissances. Dans lapprentissage de la lecture, la lecture globale correspond à la psychologie de lenfant, cest la voie naturelle. A ce point de vue, plus aucune hésitation, ni discussion, cest un fait bien établi. Les procédés de lecture globale employés respectent-ils ces principes fondamentaux ? Il est nécessaire que chaque école sadapte suivant son milieu, mais les mêmes grandes lignes directives doivent cependant se retrouver dans toute application. Dans certaines classes, on fait de la lecture globale, cest entendu, mais pendant un mois, pas même, et directement on en arrive à la décomposition. Lesprit de lenfant aurait-il si vite évolué pour analyser à 6 ans et 1 mois plutôt quà 6 ans ? Ce nest là quun détour pour en revenir à la systématisation aride et rebutante de la syllabation. Dautre part, on dissimule trop la lecture par le jeu. Nous ne pouvons trop nous étendre ici sur ce que lon peut envisager par jeu chez lenfant. Lenfant, réserve dardeur et dénergie, a une vitalité puissante et neuve quil ne demande quà prodiguer dans une activité continuelle, dans des travaux et dans des jeux, même dans ceux dont il est obligé de se contenter si ladulte lécarte du travail. Lenfant abandonnerait ces combinaisons et agencements savants, même éducatifs, dit-on, si on lui permettait dassumer de véritables tâches, daccomplir des besognes vraiment formatrices et utiles. Nous sommes en tous cas contre cette tendance à vouloir enseigner en jouant pour aplanir les difficultés, adoucir les acquisitions rebutantes. Ce procédé tombe si nous mettons lenfant dans la réalité, si nous possédons la presse, si nous pratiquons les échanges. La nécessité sociale de la lecture est profondément sentie, il nest plus nécessaire dy pousser artificiellement lenfant. Le mal, le grand mal, à la base de toutes ces erreurs, cest que lon veut aller trop vite ! Apprendre à lire est une obsession pour les instituteurs des premières années. Nous avons obtenu des réformes bienfaisantes en enseignement : lobligation scolaire jusquà 14 ans, jusquà 16 bientôt et lélaboration du nouveau plan détudes belge. Il nous reste parmi dautres choses à demander avec insistance de retarder lapprentissage de la lecture. Personne jusquici ne sest attaqué de front à cette erreur dapprendre à lire à 6 ans. De ci de là, dans les traités de psychologie, on a envisagé lâge favorable pour lacquisition de la lecture mais dans lenseignement pratique, nous en restons toujours au même point.
A aucun degré de la scolarité primaire, on nexige une acquisition parfaite des différentes branches denseignement, on tolère que lenfant fasse des fautes dorthographe, quil commette des erreurs en calcul, quil débite des bourdes en histoire et géographie mais on exige quil sache lire parfaitement tout et cela en lespace dun, de 6 à 7 ans. Tant que lon maintiendra cette rapidité dacquisition, on ne pourra employer la méthode globale, pure, celle qui vraiment suit le développement de lenfant, aide à son épanouissement, à sa vraie culture. Comment procède-t-on dans la plupart des écoles pour faire de la lecture globale en assurant une acquisition rapide de la technique ? Dans les premières phrases ou textes suggérés par linstituteur, les mêmes mots se répètent pour que lenfant puisse les dégager presque tout de suite. Ces mots, découverts doivent être retenus. Pour cela, chaque jour, pendant plusieurs semaines, on fait lire et relire les mêmes phrases ou textes affichés au mur de la classe pour bien en obséder la vue des enfants. Premiers écarts de la voie naturelle : on limite lenfant dans son expression, (car les mots du texte sont voulus par linstituteur), on lui impose de relire constamment ce quil désire dire et lire une seule fois, on lempêche de continuer à sépancher, car il faut retenir et reconnaître les premières phrases avant den lire dautres. Souvent aussi, le stade du mot rapidement franchi, on prépare la décomposition en syllabes. On préconise plusieurs manières pour arriver à la décomposition : les plus pures conseillent dattendre que lenfant lui-même certains rapprochements, découvre certaines ressemblances ; dautres favorisent cette découverte en provoquant les rapprochements, les ressemblances ; dautres enfin, imposent eux-mêmes la décomposition, la faisant adopter par lenfant. Le troisième procédé est le plus couramment employé, car les suggestions de lenfant se font attendre trop longtemps et il faut savoir lire à la fin de lannée ! Lenfant se voit de nouveau astreint à un travail limité et ennuyeux : lire, relire des mots, des morceaux de mots renfermant ressemblances et consonances. Où est la libre expression enfantine et sa réalisation ? Une avalanche de jeux détourne et entrave la véritable activité de lenfant qui ne peut pas vivre, ni réaliser ses possibilités dynamiques en agençant force cartons. Dautre part, les éducateurs les mieux intentionnés, les plus courageux se sentent déçus. A lidée de cette prodigieuse abondance de matériel, ils sexclament : cest irréalisable ! Le jeune enfant na aucun attrait pour la décomposition. Si vous le laissez libre, il globalise longtemps sans se soucier de mots ni de syllabes. Sa mémoire un peu prodigue et les dispositions particulières à enregistrer globalement lui permettent demmagasiner un grand nombre de textes et de les relire parfaitement ; il en retiendra une centaine et même plus, sans sentir la nécessité de décomposer pour lire. Il na quun souci : exprimer sa pensée, se réaliser dans ses textes quil sait dailleurs lire très facilement. Les premières remarques concernant la décomposition se feront attendre six mois et même plus, surtout dans nos milieux populaires où lenfant a si peu dintérêts intellectuels et si peu de dispositions pour parler le français. Il dira parfois : « mais , cest comme dans maison ». Il a entrevu une ressemblance, cest un pas, mais de là à la décomposition systématique, il y a encore beaucoup de travail si lon veut précipiter les étapes. Certes il y a des enfants qui lisent très vite et qui parviennent à décomposer spontanément très tôt mais ce sont des exceptions qui se rencontrent rarement, surtout dans nos écoles populaires. Depuis plus de dix ans que nos enfants apprennent à lire par la lecture globale, nous avons vu deux cas : deux fillettes qui ont décomposé très tôt, sans aucune aide, lune après quatre ou cinq mois et lautre après six mois. Pour nos autres enfants, le travail de décomposition est toujours très laborieux et parfois même en deuxième année certains y sont encore rébarbatifs. Il faut attendre la troisième année pour quils comprennent et acquièrent cette tactique rapide dassemblage de syllabes pour lire un mot difficile et inconnu. (Entendez bien, rapide, difficile et surtout inconnu). Il faut dire les choses telles quelles sont et ne pas vouloir jeter de la poudre aux yeux en présentant la lecture globale comme un procédé sain et rapide. Oui, sain pour la personnalité et lintelligence enfantine, pour toute latmosphère vivante quelle amène, si on l emploie intégralement, cest-à-dire en suivant la voie naturelle, mais dans ce cas il ne faut pas envisager la question de rapidité, celle-ci étant très aléatoire. Pour quà six ans, les enfants de nos classes populaires sachent lire en lespace dun an, on ne peut pas faire de la lecture globale intégrale et saine. Au contraire, il faut en arriver après un bagage de quelques textes et de quelques phrases bien emmagasinés à décomposer systématiquement et assommer les enfants en leur faisant lire plusieurs fois chaque jour des tableaux de syllabes avec les ressemblances et les rapprochements suggestifs. Cest de nouveau lesclavage de la lecture qui, à notre avis, ne se différencie guère de lautre. Le procédé a certains avantages que la méthode phonétique na pas ; par exemple, il permet la lecture de textes, de résumés du centre dintérêt, car lenfant lit globalement tout ce que lon veut. Mais quand il sagit de savoir lire en lespace dun an, soyez sûr quil ne reste guère de temps pour les centres dintérêts et lobservation. La classe est un endroit où lon sent lobsédant souci de la lecture planer au-dessus de tous et non pas une classe bourdonnante de vie et de joie dont on parle si facilement sans envisager les questions difficiles à trancher. |
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Il faut sattarder à cette manie de vouloir faire lire par lenfant des mots inconnus pour lui. Il les prononce bon gré mal gré avec le système phonétique et se refuse à les lire quand il travaille avec la lecture globale. Il est bien nécessaire de poser cette question : quand considérons-nous que lenfant sait lire ? Est-ce quand il parvient à prononcer toutes les syllabes dun mot qui ne représente pas plus pour lui quun mot écrit dans une langue étrangère ou quand, parcourant un texte, il sait rendre compte de lessentiel quil contient ? Car il est évident quil y a pour lenfant une grande différence à déchiffrer un texte écrit par un autre enfant ou une colonne dun quotidien détaillant les événements politiques du moment. Lorsque la plupart des mots dun texte, du domaine de lenfant, peuvent être compris par lui, il saura les lire assez tôt ; au début de la deuxième année et même avant, il saura les déchiffrer. La difficulté que lenfant éprouve pour déchiffrer un texte dépendrait donc plutôt de la compréhension que de la décomposition des mots. Certainement, à notre avis, la compréhension influe plus que toute autre chose sur le travail de lecture. Si lenfant comprend les mots, le sens du texte, il se contente (comme nous le faisons dailleurs) de lire la première ou les deux premières syllabes du mot et pour peu quil en reconnaisse globalement la fin, il le prononce sans sattarder à détailler les autres syllabes co li et ne, se trouvant devant le mot « colline », il ne se décide pas à le prononcer. Un autre connaissant très bien pou et belle ne lit pas « pobelle » ; tout simplement parce que ces mots, inconnus pour eux, ne représentent rien et nont leur place nulle part. Faut-il, à force de décomposition, pousser lenfant à lire quand même, sans comprendre ? Cest un peu ce que lon veut quand on parle de lire couramment. A notre avis, nos enfants savent lire quand ils lisent très bien tous les petits textes de la classe et quils déchiffrent passablement ceux quenvoient leurs correspondants. Et quon ne vienne pas déclarer quils ne savent pas lire quand ils se refusent à déchiffrer une colonne de journal ou une page de lecture écrite par un quelconque adulte. Trouvons-nous que nos enfants ne savent pas parler parce quils ne se mettent pas à prononcer une conférence scientifique ou un meeting politique ? Alors pourquoi voulons-nous quils lisent ce que leur mentalité denfant ne peut pas comprendre ? Laissons donc nos pauvres petits tranquilles avec cette idée fixe de la lecture courante ! Quils vivent, quils grandissent, ils liront toujours assez tôt les mots qui bourrent les crânes. En attendant, ils progressent parce quils vivent et lisent de mieux en mieux, de plus en plus, suivant leur compréhension et leurs possibilités enfantines. Avec leur petit bagage global, une lueur de décomposition et un vif intérêt, ils sont capables de déchiffrer beaucoup de pages. La décomposition serait donc presque une nuisance en donnant la possibilité et en cultivant lhabitude de prononcer des mots que lon ne comprend pas. Peut-être la pauvreté du langage, du vocabulaire, est-elle venue de ce que lon na pas senti la nécessité de connaître le mot pour le lire. La lecture stupide a paré à linsuffisance du langage en donnant lillusion de connaître parce que lon prononçait aisément. Cest à cette lacune que nous nous heurtons en appliquant la lecture globale à lécole populaire. Les enfants de ces classes provenant dun milieu peu cultivé et nayant développé à lécole ni leur langage ni leur vocabulaire, lisent beaucoup moins vite, ce qui est naturellement en rapport avec leur langage peu évolué. Si nous avions le vrai sens de la lecture, qui est de prononcer ce que lon comprend, force serait de cultiver, denrichir lesprit des enfants pour quils lisent. Quel travail profitable, quel progrès serait réalisé si nos enfants de 9 à 10 ans navaient prononcé et lu que des mots quils comprennent, derrière lesquels ils sentent ou pressentent une chose ou une idée. Avec pareille base, nous pourrions partir à la conquête du bagage scolaire que lon trouve utile dacquérir. En lespace de 2 ou 3 ans, nos enfants trouveront largement le temps de lemmagasiner. Nous pensons même quà côté de cela, ils trouveraient encore bien le temps de vivre, alors que maintenant, au sortir de lécole primaire, ils sont loin de posséder la matière proposée et ce qui est plus grave, ils ont perdu ces élans de vie qui maintiennent le goût et lardeur au travail. |
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Faut-il faire de la lecture globale dans ces conditions ? Bien sûr ! Il faut faire ce que nous faisons : pratiquer la lecture globale avec limprimerie, se soumettre, puisquil le faut, aux exigences des programmes, en se rapprochant le plus possible de la voie naturelle et ce qui est plus important, lutter comme nous, pour faire transformer ces programmes, montrer les dangers de lacquisition de la lecture en perroquet, crier et répéter que notre société branlante peut branler longtemps encore et même sécrouler si nous continuons à former la jeunesse ainsi. Voici comment nous appliquons la lecture globale dans notre école de campagne avec 4 divisions et 25 élèves. Nous avons souvent débuté avec 8 élèves en première année et 6 ou 7 en deuxième. Dautres camarades travaillent dans le même sens avec une première année de 30 élèves et même plus. Suivant nos conseils ils ont formé des groupes de travail et ils nous écrivent quils sont très satisfaits du travail de leur classe. Nous commençons donc notre première journée de travail scolaire. Souvent, en entrant en classe le matin, une même idée, un même sujet de conversation, un même vent agite nos enfants. A nous de saisir le fil et de laisser parler notre petit monde. Un texte court, une phrase au tableau enregistrera ce que lon pense. Sil ny a rien de général, lun ou lautre racontera bien quelque chose qui lintéresse et accrochera tout le monde à son idée. Nos petits avaient trouvé : Aujourdhui Jécris la phrase manuscrite au tableau. Nous la lisons. Remarquez tout de suite la disposition : une idée par ligne, afin que chaque bandelette découpées plus tard ait un sens complet à elle seule. Nous voulons en faire une page de notre livre de vie et nous limprimons On pourrait aussi à ce moment écrire et illustrer le texte dans le cahier, mais ordinairement lenfant préfère imprimer dabord. Jécris la phrase en imprimé, sur une feuille, un enfant (lauteur du texte) numérote les lignes qui formeront chacune un composteur. Il découpe la feuille et partage les lignes de texte entre ses camarades. A ce moment, cest la leçon de calcul, surtout quand le texte est plus long et aussi si la ligne de texte est trop longue pour le composteur. Il faut compter les caractères et les blancs et sarranger suivant ce que peut contenir le composteur.
Les enfants sont prêts à composer, leurs petites bandelettes en mains. Je dis : Regardez, on tient son composteur comme ceci, la vis dans la main gauche. On commence par là (à droite). Et lon cherche dans la casse la même chose que cela (je montre la première lettre du texte). Dans les casses maternelles les caractères sont juxtaposées dans les rainures de façon à ce que chacun soit bien visible. Vous voyez, au caractère il y a une encoche, il faut toujours la placer en dessous, vers soi (ceci varie dune police à lautre). Commencez maintenant. Et chacun travaille. . Les petits ont terminé la composition. Presque toujours cest réussi. Peut-être quelques petites fautes que je corrige moi-même en disant : tu as oublié ceci, regarde (montrant sur la bandelette), ou bien, ce nest pas cela, cest ceci. Je mabstiens de toute remarque pour les p, q, b, d, è. Jy viendrai plus tard quand lenfant maniera facilement tout le reste ; dailleurs, les enfants éveillés y arrivent deux-mêmes. La composition et la correction terminées, il faut mettre le tout sur la presse. Le responsable du travail, (ordinairement lauteur du texte), appelle chaque enfant avec son composteur par numéro : Apportez-moi le numéro 1, il met le composteur sur la presse et dispose la bandelette correspondante à côté sur la table. Puis le numéro 2, etc Après avoir rappelé chaque camarade, le texte est reconstitué dans la presse et sur la table avec les bandelettes. Un dernier coup dil pour comparer et lon peut placer les interlignes, égaliser et caler les composteurs. Le responsable distribue les tâches : toi, tu presses ; toi, tu encres ; toi, tu retires les feuilles, etc (nouveaux calculs, compte de feuilles et de cartons). Et lon presse la première feuille, lépreuve que je corrige. Il faut voir les visages séclairer, les yeux grandir quand on retire la première feuille ; cest beau, cest parfait, cest comme dans les livres et les journaux et cest nous qui le réalisons. Le travail dimpression continue alors automatiquement sans mon intervention. On imprime une feuille et un carton pour chaque élève. Après limpression, on décompose, on range le matériel et on se lave soigneusement les mains (savon vert et pierre ponce sont nécessaires). Les enfants écrivent alors dans leur cahier, relisent le texte et lillustrent. Ils écrivent directement à lencre sur du papier non ligné avec une plume spéciale à gros bout rond. Jai moi-même écrit le texte sur la page de gauche du cahier. Le lendemain matin, les feuilles et les cartons bien séchés sont distribués. On range sa feuille dans sa farde classeur, on la lit, on lillustre. On découpe son carton en bandelettes que lon mélange et reclasse ensuite pour reconstituer le texte. Déjà les mots importants se détachent. Les enfants ont senti ce que leur permet limprimerie : sépancher, ouvrir son cur, se soulager ; vous aurez des textes, des histoires, comme ils disent, à profusion. Et, chaque matin, nous racontons (petits centres dintérêt), nous lisons, reconstituons textes et bandelettes. Lenfant numérote lui-même les pages du livre quil se constitue. Il conserve ses bandelettes dans une boîte. Quand il a réuni les bandelettes de 10 textes, cela devient encombrant. Nous gardons alors une seule série de ces dix textes découpés dans une boîte pour toute la classe chacun vide sa boîte et se débarrasse de ses petits cartons (on peut les conserver dans un coin pour remplacer les mots perdus). On recommence alors à remplir sa boîte avec les nouvelles histoires de chaque jour. Les séries de bandelettes conservées pour toute la classe servent à reconstituer les premiers textes de temps en temps. Les enfants font cela tous ensemble réunis autour dune grande table. Nous nattachons pas trop dimportance à ce que lenfant connaisse bien le texte avant den lire un autre. Les mêmes expressions se présentent si souvent et puis, sil les a oubliées à ce moment, il les rencontrera plus tard et les réapprendra. Combien faut-il imprimer de textes par semaine ? Un chaque jour, si vous navez quune première année et si votre nombre délèves vous permet dapprofondir suffisamment le texte. Sinon, deux ou trois par semaine. Quelle longueur faut-il donner au texte ? Nous ne sommes pas maître de la longueur du texte. Cest lenfant qui parle. Au début, ils ne seront pas longs, lenfant sessaye dans ce genre nouveau et se limite de lui-même. On peut aussi, de temps en temps, se payer la fantaisie dun long texte si le thème est vraiment intéressant. On limprime en plus petits caractères et on ne prépare pas de bandelettes pour celui-là. *** Et nos journées de classe se passent à vivre ensemble en formant sans hâte notre livre de vie et sans nous soucier de lire plus quil ne faut. Vers Pâques, nous proposons déchanger nos feuilles imprimées avec une autre première anne. Laccueil est toujours enthousiaste ; on enviait les échanges des aînés depuis si longtemps. La lecture, à partir de ce moment, tient un peu plus de place et demande plus deffort, mais le travail est accueilli avec joie et impatience. Le facteur apporte le premier échange. Enfin ! Car chaque jour depuis les propositions, on attend son arrivée et on questionne. Le paquet de feuilles est lestement déficelé. Voici les feuillets perforés, distribués et à présent maintenus par deux mains un tantinet crispées. Et dentendre : « hier, je suis allé chez le et après ? quest-ce que cest ce mot-là ? coiffeur ! mon papa ma dit et après ? lisez avec moi, madame, non, avec moi, non cest moi jétais le premier. » Et souvent il faut lire avec tous les quelques premiers feuillets qui arrivent, de peur de mécontenter lun ou lautre. Les enfants les relisent après avec un camarade et puis à la maison et ils attendent impatiemment le premier échange. A chaque arrivage, nous déchiffrons avec chaque enfant son feuillet (dans une classe plus peuplée, prendre par groupe). Et cest le moment de lencourager à découvrir des ressemblances de mots pour déchiffrer ceux quil ne connaît pas. Ainsi à pied duvre, elles sont vite trouvées et retenues, les ressemblances ! Si les circonstances nous obligent encore à faire du forçage, à certains moments, quand nous navons pas de travail urgent et que nous avons un peu le temps de flâner, nous groupons les enfants et nous proposons : « qui veut lire des morceaux de mots pour apprendre à mieux lire ses échanges ? moi ! moi ! » et nous commençons : partant de mots bien connus, nous formons des séries de syllabes que nous écrivons pêle-mêle sur une ardoise ou un petit tableau, les enfants lisant en chur. Il ny a nulle obligation pour personne ; cest comme un petit amusement qui achève dinitier ceux qui sont prêts à la décomposition et qui éveille lidée chez les autres. Cette lecture na rien de rigide et a lieu très rarement, débordés que nous sommes par notre travail intéressant déchanges, de correspondances. Cest tout cela notre procédé de lecture : écrire, lire notre vie, lenvoyer à dautres camarades, recevoir la leur, la lire, la sentir, la dessiner. Après la première année, les enfants nimpriment plus de cartons, ils se contentent de feuillets pour leur livre et ne découpent plus les textes. Nous commençons alors les petits exercices dorthographe dont nous parlerons plus loin. Quand nos enfants savent-ils ? A notre avis, ils savent lire dès le début déjà puisquils lisent tout ce qui sécrit dans leur petite sphère de travail. Quand déchiffrent-ils seuls les textes des correspondants un peu longs et considérés comme difficiles ? Ordinairement, on peut compter que les enfants doués déchiffrent vers Noël de la 2ème année, les autres séchelonnent dans le restant de la 2ème année. (Ceci sentend sans aucune préparation à la lecture avant six ans). |
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Lorsque nous parlons de textes denfants, on nous regarde parfois, un sourire ironique au coin des lèvres. On obtient si difficilement une rédaction avec du fond et une forme moins que passables, et nous parlons de textes et de livres denfants ! Allons donc ! Tous les instituteurs imprimeurs proclament cependant quavec limprimerie à lécole (naturellement il fallait une technique à la base), les textes denfants abondent dans les classes, et quels textes ! On ne peut leur reprocher le manque de fond ; cest ce quils ont de plus riche. Quant à la forme, elle na pas moins de valeur, cest du langage enfantin sain et naïf, quelques incorrections à redresser et cest savoureux comme tout ce que produit lenfant. Il faut seulement assez de doigté pour ne pas contrarier lexpansion de lenfant. Le mieux est de ne pas trop sen mêler au début, après avoir écouté et regardé quelque temps les enfants sépancher, peut-être se sentira-t-on capable dintervenir et de participer aux uvres. En tout cas, il vaut mieux les laisser faire complètement seuls que de vouloir intervenir en maître et tout gâcher. Il est triste que cette prétention de corriger lenfant soit si répandue. Pourquoi redresser son style et pour cela enlever à ce quil écrit toute saveur, toute fraîcheur enfantine ? Guidons-le de loin, laissons-le vivre ; à vingt ans, il aura évolué et écrira comme un adulte. En attendant, quil conserve sa façon enfantine de sexprimer. Certains « maîtres » poussent plus loin encore lincompréhension et parviennent à faire exprimer à lenfant les phrase quils ont préparées la veille au soir ! Il ne faut pas que lenfant sente la comédie de létude, ce sont ces manies de faire travailler pour « apprendre » qui brisent les élans. Il doit au contraire sentir quil se réalise et que ce quil produit est réellement utile. Si, en arrivant à lécole, à 5 ou 6 ans, lenfant raconte ce quil a vu, ou fait, ou senti, cest parce quil sent en lui un urgent besoin de sépancher, de faire participer les autres à ses états dâme. (Nous sentons tous dailleurs si bien cela : lorsque nous pouvons les raconter, nos joies grandissent et nos souffrances satténuent.) Les pages du livre de vie que lenfant réunit sont lues par tous ses camarades, par tous les parents et lui-même sy retrouve en les relisant. Nest-il pas profondément humain de diffuser sa pensée, de la faire partager ? Cest seulement dans ces conditions quil est utile de la dire, de lécrire. Plus tard, les échanges élargissent lhorizon ; la pensée de lenfant dépasse lécole et la famille ; dautres camarades éloignés, dautres parents la liront. La valeur en est du coup centuplée et lauteur se sent la poitrine gonflée de fierté. Raconter, écrire pour être lu, discuté, critiqué, cétait la grande motivation à trouver, limprimerie et les échanges la réalisent à merveille. Quand lenfant a senti que vous lui laissez la liberté de sexprimer dune part et que dautre part la presse peut matérialiser sa pensée pour la répandre, cest labondance de textes et dhistoires. Ne craignez au début de la lecture ni la longueur des textes, ni leur complication, ne cherchez surtout pas à faire dire certains mots qui vous semblent plus accommodants pour lire. Lenfant a senti son texte, il le lira, le retiendra. Nous avons montré dans la technique comment nous laissions les enfants sexprimer pour donner des textes de lecture. Cest le récit dun événement qui sest passé à lécole ou à la maison, cest le résultat dobservations, cest le reflet dune pensée qui préoccupe le hameau, cest lexpression de lintérêt dun seul qui a su accrocher tous les camarades ou cest encore une participation au centre dintérêt des grands de la classe. Dimanche soir, ma soeur
Lucienne a été dans l'écurie CEORGES, 8 ans. |
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Et ce sont ces textes qui forment nos livres de vie, nos albums, car chez les plus petits nous imprimons sur des feuilles format double fiche ; ils ont ainsi plus de place pour illustrer leur texte. Lillustration des textes et le dessin libre sont une autre manière de sexprimer combien précieuse pour lui qui sent là ses possibilités moins limitées et pour nous, qui pouvons y voir, y lire des révélations curieuses. Nous avons parlé, en exposant la technique, déchanger ces textes lorsque lenfant reconnaît quelques mots et a pressenti le mécanisme de la lecture. Cest souvent après les vacances de Pâques que nous commençons. Nous imprimons alors 7 ou 8 feuilles pour nous et 10 à 20 pour nos correspondants suivant le nombre délèves de la classe avec laquelle nous échangeons. Nous nimprimons pas chaque jour, lorganisation du travail dans note petite classe avec les 1ère, 2ème, 3ème années et le jardin denfants ne nous permet pas de laisser passer, chaque jour, chaque groupe à limprimerie, car dans ces premières années, les enfants en sont à des stades trop différents pour se grouper à limprimerie ; les uns ne savent pas lire du tout, dautres savent lire à peu près seuls et les grands lisent tout. Après quelque temps nous réunissons les deux derniers groupes. Avec le premier groupe (6 à 7 ans) qui apprend à lire, nous imprimons souvent trois fois par semaine. Nous expédions chaque fois un paquet de ces feuilles à nos correspondants et nous leur demandons de nous envoyer également leurs feuillets imprimés trois fois par semaine si nous ne correspondons quavec une classe, car il se peut que nous trouvions plusieurs classes de notre niveau alors cest un arrangement à prendre avec ces classes pour recevoir régulièrement nos échanges. Avec le 2ème et le 3ème groupe (7 à 8 ans et 8 à 9 ans), nous imprimons ordinairement deux fois par semaine et nous échangeons à ce rythme. On peut envisager également les échanges journaliers de feuillets ; cest-à-dire imprimer chaque jour un texte et lexpédier chaque jour aux correspondants. Nous navons pas expérimenté ce travail mais les collègues titulaires de classe à une ou deux divisions peuvent le réaliser. Voici comment nos enfants préparent leurs échanges. Celui qui a créé le texte effectue lenvoi (ils peuvent être plusieurs). Le matin, après la distribution du travail, il rassemble les feuilles imprimées la veille et les groupe en feuilles pour la revue, feuilles pour la classe et feuilles pour léchange. Le premier paquet est mis sous élastique et rangé dans le casier. Le deuxième paquet est perforé et distribué aux enfants de la classe. Le troisième est réparti entre les différentes écoles correspondantes : 16 feuilles pour M.X , 20 pour M. Y , 6 pour Melle Z , etc. Lenfant entoure les feuillets dun papier gris, écrit ladresse, (nous avons des fiches modèles avec les adresses), demande de largent au gérant de la coopérative de la classe, achète des timbres chez les grands, affranchit les paquets, u appose les cachets et les porte à la boîte aux lettres. Cest tout un travail où se groupent le calcul, lécriture, la lecture et une certaine initiative . Dès 6 ans ½, les enfants sen tirent presque seul pour préparer les échanges ; cest pour eux une grosse occupation qui tient les plus petits plus dune heure en haleine, les grands font cela plus vite et avec une certaine importance. |
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Lécriture et lorthographe sont trop liées à la lecture, surtout chez les petits, pour que nous puissions nous passer den parler. Nous travaillons pour cela dans le même sens que pour la lecture. Nous avons abandonné lacquisition méthodique et graduée par élément pour lacquisition globale. Quand nos petits arrivent en classe, ils impriment leurs textes et les écrivent aussi (nous les voyons cependant moins attirés par lécriture que par le dessin et limprimerie). Nous ne compliquons pas leur travail en exigeant la reproduction plus ou moins parfaite de lettres entre des lignes limites. Avec des outils qui facilitent le travail : un cahier non ligné et une plume à gros bout rond, nous leur demandons décrire leurs petites histoires que nous avons nous-même écrites sur la page den face (modèle en écriture bien formée et assez grande, près de 1 cm de haut). Il est nécessaire au début, décrire le modèle dans le cahier de chaque enfant, le tableau pour tous ne suffit pas : il est trop éloigné de lenfant qui doit imiter chaque ligne, chaque courbe et relever continuellement la tête. Du tableau au cahier son attention se disperse, il éprouve plus de difficultés à copier et fait plus de fautes. Lenfant réussit plus ou moins bien la copie du modèle, il nous présente une écriture parfois déjà lisible ou un griffonnage. De toute façon, nous acceptons le travail avec une bonne appréciation. Pourquoi un cahier non-ligné ? Parce que la réglure du cahier naide pas lenfant ; au contraire, elle lui demande un effort supplémentaire, alors que débutant il se concentre sur la tenue de son porte-plume et sur le mot quil doit écrire, elle exige un nouvel effort en imposant des limites à ses élans. Plus tard, quand il aura acquis la coordination de mouvements et la souplesse nécessaires et que la forme des lettres lui sera devenue habituelle, nous pourrons lui demander décrire en suivant une ligne. Avant cela dailleurs, il aura acquis spontanément lhabitude décrire bien horizontalement. Pourquoi une plume à gros bout rond : parce quil faut éviter les outils qui occasionnent la pression et la lourdeur de la main, deux grands obstacles dans lapprentissage de lécriture. Nous donnons à lenfant une plume qui court facilement sur le papier et qui laisse un trait bien visible en la posant seulement légèrement sur le cahier comme ces plumes mousses à gros bout. Débuter avec la touche ou le crayon, cest apprendre à appuyer, ce que nous devrons combattre avec lemploi du porte-plume. Et cest là toute notre méthode dapprentissage de lécriture : des outils et un modèle le plus parfaits possible. Il faut être très méticuleux pour le modèle, car la moindre boucle ou ligne fantaisiste est reproduite et parfois même exagérée par lenfant. Quand lenfant reproduit facilement ses textes et surtout quand il commence à les écrire spontanément, il nous arrive disoler une lettre que lenfant trace vraiment mal et de lui montrer la façon de bien lécrire. Nous faisons le moins possible de lécriture pour apprendre à écrire. Le vrai travail décriture est largement motivé par les préparations de textes que lenfant crée. Il doit les relire lui-même pour les faire accepter par ses condisciples ou cest linstituteur qui doit les présenter au suffrage des autres enfants, de toute façon on doit pouvoir les lire et en déchiffrer aisément lécriture. A cela vient sajouter notre correspondance manuscrite qui motive lécriture et surtout lécriture propre et lisible. Des collègues nous demandent quand nous donnons des cahiers lignés aux enfants. De toue façon nous proscrivons le cahier à deux ou plusieurs lignes. Nous nutilisons que les cahiers à simples lignes distancées de 18 mm au début. Quant à citer une date à laquelle nous commençons, nous ne pourrions le faire. Souvent, nous conservons le cahier non ligné pendant toute la première année et ne donnons le cahier ligné quen commençant la 2ème année. Il arrive cependant que lenfant écrive sur des feuilles ou dans un cahier ligné ; nous ne nous y attardons pas trop, comme lui dailleurs qui quitte la ligne quand bon lui semble. Nous avons parlé dune plume à gros bout rond. Nous employons la Soenneken n° 21 en 1ère A. ; nous donnons la plume un peu moins grosse le n° 20 en 2ème A. ; en 3ème A., le n° 5. De toute façon nous délaissons la plume fine qui habitue lenfant à appuyer et qui éraille le papier avec une pluie de tâches sous la pression de ses droits maladroits. Nous ne nous occupons ni de pleins ni de déliés, préoccupation qui serait ridicule au siècle du stylo. Nous demandons seulement une écriture propre et lisible. A quoi bon perdre du temps à exiger ces formes scolastiques quon sempresse de perdre en quittant lécole ? A part quelques remarques au sujet de lettres vraiment mal formées, ou du soin, nous laissons à lenfant son écriture personnelle. Celle-ci ne dépend dailleurs pas uniquement de son apprentissage mais de nombreux facteurs dordre physique et psychique entrent en cause dans la formation de lécriture. Ecrire lisiblement, cest bien, écrire sans fautes serait plus apprécié encore. La question de lorthographe inquiète tant de collègues et le plus inquiété reste encore malheureusement lenfant à qui lon répète toujours les mêmes phrases : « Ne fais pas de fautes ! Comme tu as fait des fautes ! Cest criblé de fautes dorthographe ! etc » Pour lui, lorthographe doit avoir figure de monstre inaccessible. Ce dernier mot nest dailleurs pas exagéré ; notre orthographe est bien inaccessible à lenfant, il ne peut concevoir ce fatras dirrégularités et daccords. Devenons donc raisonnables, admettons que lenfant fasse des fautes, patiemment attendons quils soit mûr pour assimiler nos explications et nos remarques. En attendant, préoccupons-nous surtout des idées que lenfant veut exprimer. Cela reste lessentiel en dépit de limportance que lon a lhabitude daccorder à lorthographe. Nous pensons quavant de retenir lorthographe dun mot, lenfant doit dabord avoir acquis une certaine habileté pour écrire, cest-à-dire quil en soit arrivé à écrire facilement, en formant bien toutes les lettres, les petits textes quil veut copier. Nous ne commençons donc pas par les exercices dorthographe en même temps que la lecture Nous ne pouvons même pas citer une date à laquelle nous commençons. Cela dépend de lhabileté de lenfant pour écrire. Il faut naturellement travailler avec la moyenne de la classe. Au début, les exercices dorthographe sont peu sévères et ne revêtent en tous cas jamais laspect dune dictée avec ses fautes punissables, les enfants aiment essayer à retenir lorthographe dun mot et sy attachent parfois spontanément. Nous ne procédons pas tout à fait de cette façon qui consiste à laisser regarder x minutes un mot, à le cacher, puis à le faire écrire. Cest sûrement un bon procédé, mais qui ne réussit pas bien avec certains enfants, car ils nassimilent pas tous à la même vitesse et ne peuvent pas tous se concentrer juste au même moment sur le travail que nous leur désignons. Il vaut mieux travailler plus individuellement si la population et lorganisation de la classe le permettent. Nous procédons comme ceci : nous convenons avec les enfants dessayer « décrire sans regarder » une phrase dun de leurs textes, très courte au début (ex. : jeudi je suis allé au bois). Chacun sy met de son côté. Comment lenfant procède, le temps quil met pour retenir lorthographe de cette phrase, nous ne pouvons le dire au juste. Chacun travaille à son rythme. Ordinairement il sy applique très sérieusement, car il est impatient de déclarer : « moi, je sais ! ». Le petit contrôle commence à ce moment, lenfant écrit de mémoire, sous nos yeux, la phrase dans un cahier. Il y collectionne tout simplement les phrases quil sait écrire correctement. Cela lui sert à les revoir, à les réécrire à la maison ou en classe. Plus tard, en 2ème ou 3ème année, nous leur demandons de se préparer à la maison pour écrire sous notre dictée telle ou telles partie dun de leurs textes. La dictée perd de plus en plus ses droits comme exercice efficace dorthographe. On la considérée dabord comme le seul moyen puis on la rabaissée au niveau dexercice de contrôle. Nous pensons quen fait de contrôle, cest encore peu sûr. Nous avons des enfants qui parviennent à écrire leur dictée sans ou avec très peu de fautes. Sils écrivent un texte libre ou une lettre, on pourrait dire : cela en est criblé. Que faut-il penser de cela ? La vraie orthographe, à notre avis, est celle que lon écrit couramment, sans trop réfléchir, en créant un texte ou en écrivant une lettre. Les meilleurs exercices sont donc décrire textes et lettres. Avec notre technique dimprimerie et les échanges de lettres manuscrites, les enfants y sont amenés presque chaque jour. Quand les enfants écrivent librement, ils se servent de leur livre de vie pour y retrouver les mots quils ont oubliés. Si le mot est nouveau, ils demandent quon leur écrie celui-ci. Ils retiennent dailleurs très vite les expressions dont ils se servent souvent : je suis allée nous avons jai joué maman a dit etc.. Nous corrigeons individuellement le texte ou la lettre avec lenfant sans lui formuler de règles rigoureuses ou danalyses, mais dune façon un peu empirique : « Tu vois à : je faisais, cest toujours s comme à : jallais, je pesais, je mesurais, etc. » Si la classe est trop peuplée, on peut travailler par groupes et corriger chaque jour une rédaction choisie ou votée dun groupe au tableau avec tous les enfants ou avec le groupe. Nous avons essayé de faire faire aux enfants ce genre dexercices par écrit : rechercher diverses expressions, dans lesquelles se retrouve la même forme dorthographe. Par exemple : maman a acheté des oranges, papa a arraché des pommes de terre papa a rentré le foin. Lexercice est parfaitement réussi. Le lendemain la difficulté se présente de nouveau, lenfant commet la même faute. Si jeune, lorthographe le préoccupe si peu. Il faut cependant bien se rendre à lévidence et ne pas sillusionner en continuant à croire efficaces ces exercices si bien agencés pour donner des résultats, mais qui laissent nos enfants indifférents. Lesprit de nos petits nos échappe si souvent. A notre avis, avec eux jusquen 3ème A. et peut-être en 4èmeA., il faut se contenter dexercices de reproduction, de textes, de lettres que lon corrige patiemment, le plus individuellement possible. Les autres exercices abrutissent et sont pures pertes de temps. |
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Vous venez de suivre comment nous concevons lacquisition plus logique et plus naturelle des connaissances et des techniques chez lenfant (il faudrait y ajouter le calcul). Pour mieux faire sentir notre façon de travailler, il faut nécessairement parler de latmosphère dans laquelle nos enfants vivent et travaillent. Nous sommes parvenus (on y arrive insensiblement en pratiquant les techniques nouvelles) à supprimer dans notre classe cette idée de maître et délèves, de dominant et de soumis, de commandement et dobéissance, denfants intelligents et de cancres, denfants sages et difficiles et surtout cette habitude de travailler pour la places, les points ou la récompense. Chaque enfant se sent à sa place, dans un milieu favorable, chez lui enfin, avec sa part de responsabilité. Et nous travaillons tous parce quil le faut, parce que la vie de la clase exige pour se continuer, des calculs, de la lecture, de lécriture ; il faut que la caisse coopérative se maintienne, il faut que les relations avec les camarades continent, il faut que nos bêtes soient bien et que le jardin produise. En même temps que nous satisfaisons ces exigences de notre milieu, nous laissons à chacun manifester sa vie, car la vie ne demande quà sépanouir dans les êtres. Les enfants entraînés par sa poussée irrésistible observent, regardent, cherchent à savoir plus et mieux. Il ny a là rien de neuf à trouver, cest la logique de lévolution. Et notre pauvre classe (pauvre comme local et matériel) offre laspect dune grande pièce dhabitation où tous les enfants dune même famille seraient réunis. Nos enfants sont même plus calmes ici quen famille, car ils sont mieux compris et moins contrariés dans leur activité. Des groupes soccupent à des travaux différents : observation libre, fiches de calcul imprimerie dessins lecture travaux manuels envoi déchanges vente à la coopérative, etc. Chaque matin, nous organisons ensemble en essayant de maintenir notre petite communauté en harmonie de travail et de satisfaction. Personne ne passe son temps à des exercices ennuyeux. La vie de la classe exige parfois des mises au point, des travaux ennuyeux pour tous, mais les enfants sentent ce que nous sentons dans notre de chaque jour, « il faut le faire ! » Ne sentez-vous pas quils sont ainsi dans la réalité de lexistence : se réaliser au maximum en faisant vivre la communauté et en subissant les exigences de son entourage. Nous pensons avoir réalisé dans notre petite école officielle le maximum de ce que lon peut réaliser pour libérer lindividu en restant attaché à lenseignement public. Chacun peut faire quelque chose dans ce sens, nous sentons notre travail de classe si simple, si facile et si agréable à accomplir. Un seul pas décisif demande un effort peut-être dur à réaliser : cest le fait de balancer par-dessus la haie les idées et les manuels poussiéreux et dinstaller dans sa classe ces techniques nouvelles de travail. Ce changement accompli, la vie scolaire sorganise presque delle-même, car les enfants ont heureusement avec leur logique et leur bon sens tout fraîchement conçus beaucoup de souplesse pour sadapter. Cest en cela dailleurs que réside la valeur et lintelligence de lindividu. La classe devient une organisation sévère avec un règlement conçu et appliqué par les enfants, la discipline y est dautant plus stricte et plus ferme quelle est consentie par chacun deux. Chacun connaît ce qui peut ou ne peut pas être fait et le rappelle à son voisin oublieux ; plus aucune faute ou faiblesse possible. Chacun veille pour tous. |
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Il y en a sûrement très peu si on les envisage en profondeur. Souvent, il suffit dun mot ou dun geste pour réfuter la plupart dentre elles et nous sommes en peine den trouver quelques-unes qui vaillent dêtre posées ici. Voici cependant une objection qui fut souvent émise en Belgique, pays de decrolyens globalistes : en imprimant, les enfants analysent et ce travail nest plus conforme à la globalisation. Disons tout de suite que ces remarques proviennent de gens qui nimpriment pas et qui ne connaissent rien au maniement de limprimerie à lécole. Ils envisagent cela avec leur esprit dadulte qui connaît chaque caractère et qui, bien consciemment, les juxtapose pour former un mot. Chez lenfant, ce travail est tout à fait différent. Il compose sa phrase en faisant un exercice didentification ; tout comme il place la chaise rouge portant une balle jaune sur la même image, il place dans son composteur un s qui est pour lui comme un crochet parce que cest la lettre correspondante à son modèle. Mais il ne lui vient pas à lidée que chacun de ces caractères a un nom quil va prononcer en lisant le mot. Pour lui, imprimer est une chose et lire en est une autre. Quand il compose son texte, il fait un travail manuel ; quand il lit, il exprime son idée intellectualisée sans songer à sa réalisation matérielle. Nos enfants, préoccupés de retrouver dans les textes leurs idées si vivantes, ne passent pas leur temps à vouloir lire des caractères sans signification pour eux. Presque tous mes élèves, sachant lire à la fin de la deuxième année, ignorent encore le nom de nombreuses lettres. Jen connais dautres, pratiquant la lecture globale sans imprimerie, qui connaissent déjà, dans le courant de la 1ère année, toutes les lettres et qui épellent les mots quils veulent orthographier. Cest loin dêtre du global, sans limprimerie cependant. Il ne faut pas trop faire intervenir notre esprit adulte, lenfant a une tout autre conception et interprétation des choses. Une réponse convaincante jaillit dailleurs de lécole Decroly elle-même qui a introduit limprimerie en 1ère A. pour lapprentissage de la lecture. Et nous cherchons vainement quelque autre opposition raisonnable que lon puisse faire à lintroduction de nos techniques de travail dans les petites classes. Peut-être, au fond des curs de nos adversaires et des indifférents, y a-t-il une très grande objection, source obscure des critiques mesquines. Cest que nos techniques, tout en diminuant les préparations de clase et les corrections après la classe, besognes machinales et abrutissantes, demandent pendant les heures de travail avec les enfants, des maîtres énergiques, éveillés, entièrement accaparés par le travail commun et faisant preuve dinitiative surtout. Réalisant ce don de soi et damour tant prôné et gaspillé dans les discours, linstituteur introduisant les techniques nouvelles confond sa vie avec celle des enfants et sil aide ceux-ci à se réaliser, lui, sefface et oublie ses propres tendances personnelles, quil est toujours dur dabandonner à la communauté en égoïstes que nous sommes. Pauvre conception ! Car dans les productions de ce travail en commun, nous retrouvons les idées de chacun grandies et idéalisées ayant atteint leur véritable épanouissement au souffle de la communauté. L. MAWET. |
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