INTRODUCTION
Maître
de classe de perfectionnement depuis sept ans, j'ai toujours cherché à
pratiquer une pédagogie efficace et démocratique. Militant de l'O.C.C.E.
et de l'I.C.E.M., j'ai toujours fait appel au maximum aux enfants pour
ce qui concerne l'organisation de leur vie et de leur travail. Cependant,
les nouvelles données apparues avec les travaux des pédagogues de la Pédagogie
Institutionnelle m'ont amené à repenser les problèmes du choix des activités
et des institutions de la communauté, ainsi que celui du pouvoir de décision
des enfants, et à faire ainsi évoluer ma pédagogie vers l'autogestion.
L'expérience - au sens de tentative - que je décris dans ce document se
situe au cours de l'année 1967-1968, dans une classe de perfectionnement
de garçons, de niveau 2e degré, à l'école Lamartine à Saint-Nazaire.
Une
classe autogérée, ou en marche vers l'autogestion, est un milieu de vie
complexe et unique, une synthèse originale d'éléments humains, de structures
et de techniques. Et le climat d'une classe où les activités ne sont pas
seulement verbales semble difficilement traduisible par des mots, encore
moins par des chiffres. Aussi ce document n'aura d'autre prétention que
d'être une monographie comportant essentiellement une description de l'évolution
de la vie et du travail dans ma classe au cours d'une année scolaire.
La
présente introduction portera sur les points ci-après :
‑
Les fondements philosophiques de l'expérience ;
‑ Les fondements pédagogiques
de l'expérience ;
‑ Les enfants ;
‑ L'éducateur ;
- Les objectifs.
FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE L'EXPÉRIENCE
Toute recherche pédagogique est basée sur un fondement
philosophique. Cette expérience sous-entend une option philosophique touchant
à l'individu, aux rapports humains, à la société.
Je cherche la voie éducative visant à former des êtres autonomes et responsables,
susceptibles de s'adapter à l'évolution de la vie moderne. Il me paraît
donc essentiel qu'au sein de la classe les enfants puissent prendre le
maximum de responsabilités, s'exprimer librement à propos de tout, ‑
y compris des activités et des institutions de la classe ‑ et être
maîtres de leurs initiatives et de leurs décisions.
Une formation basée sur l'autogestion, conduisant à l'autonomie de l'individu
et du groupe où il vit, leur permettra de s'adapter à la société moderne,
qui tend à faire participer tous les travailleurs à la gestion de leurs
activités, et qui devrait surtout permettre de satisfaire les besoins
essentiels de l'homme : création, invention, initiative et communication.
Une telle conception de la pédagogie peut paraître ambitieuse quand il
s'agit des enfants, dont on dit souvent qu'ils sont passifs, incapables
d'initiatives, de pensées ou de réflexions personnelles. Aussi il pourra
sembler surprenant que, dans un climat de liberté, chacun s'engage au
maximum pour des tâches aussi bien intellectuelles que manuelles, et que,
faisant preuve d'un réel besoin de travail, l'ensemble parvienne à établir
un équilibre des activités.
Une telle optique éducative peut paraître utopique appliquée à des enfants
qui n'ont certes pas de grandes responsabilités dans la hiérarchie sociale.
Mais du moins peut-on espérer qu'ils vivront avec plus de dignité leur
situation de demain. Dans leur famille, ils auront à assumer des responsabilités,
à prendre des décisions ; comme citoyens, ils auront à voter, donc à
choisir. Or la société de demain se forme à l'école. La vie en démocratie
s'apprend. C'est à l'école que revient le rôle difficile d'en jeter les
bases solides.
FONDEMENTS PÉDAGOGIQUES DE L'EXPÉRIENCE
Eduquer
ou mettre en condition : tel est le choix pour les enseignants. Ce choix,
à vrai dire, n'est pas nouveau, car de tout temps des pédagogues se sont
dressés contre les usages établis.
Rousseau,
dans l'Émile, écrit à propos de l'élève : « S'il se trompe,
laissez-le faire, ne corrigez pas ses erreurs, attendez qu'il soit en
état de les voir et de les corriger de lui-même. »
Les
pédagogues de l'Education Nouvelle, Mme Montessori, Decroly, Dewey, Cousinet...
ont certes apporté des modifications très profondes au niveau de l'éducation,
en centrant l'école sur l'enfant. Mais il ne suffit pas de partir de l'enfant
ou de la vie, si le dogmatisme du maître resurgit ensuite dans le but
exclusif de faire acquerir doc connaissances scolaires.
Le
mouvement du Plan Dalton et de l'école de Winnetka, précurseurs de l'enseignement
programmé, constitue une amorce d'auto-organisation de la part de l'élève.
Cependant, autant que l'autonomie de l'élève, c'est l'autonomie du groupe
qui doit permettre à celui-ci de fonctionner seul. Et c'est l'enfant qui
doit décider de son style de travail : individuel, en équipes, collectif,
par fiches, par bandes programmées, ou avec le concours du maître.
Freinet,
en plaçant l'expression de l'enfant au centre de l'éducation, a opéré
le renversement des valeurs pédagogiques admises jusque là. L'enfant,
par le texte et le dessin libres, par la parole comme par le chant ou
la danse, raconte, exprime ce qu'il ressent. Au cours de toutes ces activités
d'expression libre ‑ qui peuvent être étendues à l'enquête ou à
la conférence ‑, il devient maître de son activité, il l'autogére.
Toutefois, ces activités, libres dans leur contenu, ne deviennent effectivement
libres qu'à partir du moment où il décide lui-même de son activité, sans
procédé de stimulation ou de contrôle imposé.
C'est
surtout avec Profit, initiateur de la Coopérative Scolaire en France,
puis avec Freinet, que la pédagogie s'oriente vers des formes plus démocratiques
; car il s'agit de remettre entre les mains des enfants l'économie et
les activités de la classe, de les orienter vers une collaboration communautaire,
en vue du véritable but à atteindre : la formation de l'homme.
Toutefois,
un maître «coopérant» peut choisir au départ, à titre définitif, les techniques
et les institutions. Aussi la prise en charge du travail et de la vie,
pour qu'elle devienne réelle, suppose que les enfants puissent remettre
en cause les techniques et les institutions en vigueur dans la classe.
Car
ce qui compte en définitive, c'est que le pouvoir de décision appartienne
au groupe et qu'au sein de l'organisation communautaire chaque membre
puisse se réaliser suivant ses tendances.
C'est
lorsque ce stade est atteint qu'on peut prétendre vraiment rejoindre l'autogestion.
C'est ce que pensent notamment les pédagogues de la Pédagogie Institutionnelle,
pour qui la classe est avant tout un champ de décisions (Lobrot,
Lapassade). L'essentiel est que toute activité résulte de la décision
de l'enfant.
LES ENFANTS
Ils
ont tous de 10 à 14 ans. Ils sont profondément marqués par beaucoup de
choses : milieux socio‑économiques défavorisés, milieux familiaux
perturbés, milieux scolaires antérieurs, santé déficiente.
Sur un total de 15 enfants, 4 sont dans ma classe depuis
octobre 1964. Ils ont déjà expérimenté des activités d'expression libre,
la correspondance interscolaire, le journal scolaire et d'autres techniques,
qui sont surtout celles de l'Ecole Moderne. Ils ont connu différents modes
d'organisation, travaillé suivant différents styles (individuellement
ou en équipe). Toutefois ils n'ont jamais joué un rôle dynamique au sein
de leur communauté.
|
1.
Philippe, 11 ans, Q.I. 68, fils d'ouvrier, ‑ Les progrès
réalisés tant sur le plan scolaire que sur celui de l'autonomie
sont gravement compromis par des difficultés permanentes de santé
qui ont des répercussions sur son comportement et son caractère.
Fermé, il se réfugie dans son monde intérieur et éprouve beaucoup
de mal à accepter les autres.
2. Dominique, 10 ans,
Q.I. 74, le frère du précédent avec lequel il ne s'entend guère,
Handicapé sur le plan psychomoteur, il a aussi des difficultés de
langage. Les progrès scolaires sont plus nets, surtout en calcul.
Il vérifie les comptes de la coopérative, dont il est le trésorier-adjoint.
Bien que capable d'initiative, il révèle des tendances « moutonnières ».
3. Pierre, 12 ans, Q.I.
65, fils d'ouvrier. ‑ Il est l'élément typique qui à lui
seul, dérange toute la classe. Agressif, violent, il est très souvent
opposant. Il croit que tout le monde lui en veut. Son niveau scolaire
est très bas (CE 1).
4. Yannick, 14 ans, Q.I.
72, fils d'un ouvrier qui est souvent en déplacement. ‑Scolarité
perturbée par un séjour en aérium. Très instable, il n'est jamais
parvenu à jouer un rôle actif au sein de la coopérative, Fanfaron,
il s'est tout de même rangé l'an dernier dans le sillage des camarades
plus coopératifs. Mais il est « l'ancien », et il ne manque pas
de le faire remarquer aux nouveaux.
Huit enfants viennent
d'une autre classe de perfectionnement qui pratiquait une pédagogie
ouverte (utilisation de la correspondance, étude du milieu). Mais
l'expression libre authentique ne leur a pas souvent été permise.
Peu habitués à prendre des initiatives, maintenus dans l'immobilisme,
ce sont des enfants « sages ».
5. Michel, 12 ans, Q.I. 80. ‑ Son handicap physique
est la cause de son retard scolaire ; un accident de voiture l'a
rendu hémiplégique. Le père est directeur d'une société de transports.
C'est un gentil garçon, et qui a déjà l'habitude de s'exprimer dans
son milieu familial.
6. Alain, 11 ans, Q.I. 69, fils
d'un ouvrier du port. L'enfant est le plus souvent livré à lui-même.
Il a dès le départ une grande influence sur ses camarades.
7. Hubert, 10 ans, Q.I.
71, père mécanicien-dentiste, ‑ De santé déficiente. Semble
indifférent à tout travail.
8. Yannick C., 11 ans,
Q.I. 83. Le père, ouvrier, est en déplacement au Sahara. Milieu
social aisé, mais milieu familial perturbé, Yannick a connu de nombreux
échecs scolaires, notamment en orthographe.
9. Régis, 12 ans, Q.I.
74, père commerçant. ‑ Enfant passif et calme.
10. Jean‑Yves, 11
ans, Q.I. 81, père ouvrier mais milieu social assez aisé, La
famille accepte mal son retard scolaire important.
11. Philippe F., 13 ans,
Q.I. 73, père moniteur d'atelier ; mais c'est son 2e
père, la mère s'étant remariée. Handicapé par une santé fragile
.
12. Janick, 11 ans, Q.I.
70, père pêcheur. ‑ Agréable et gentil, mais éprouve peu
d'intérêt pour l'école.
Quant aux trois derniers,
ils viennent de classes « normales » où ils ont connu des échecs
scolaires répétés et perdu toute confiance en eux-mêmes :
13. Jean-Luc, 11 ans, Q.I.
68, père employé de mairie, ‑ Handicapé par l'attitude
du père à son égard (reproches, punitions continuelles), ce qui
le rend craintif et accentue son inhibition.
14. Jean, 12 ans, Q.I.
63, père ouvrier. ‑ Enormes difficultés de langage.
15. Daniel, 10 ans, Q.I.
69 (1), père ouvrier, niveau social très bas. Enfant extrêmement
instable, très agressif. Pauvre Daniel, qui se met en position de
défense dès que je m'approche de lui ! Il s'est déjà forgé
une « technique de vie » à base de coups et de punitions.
|
Certes,
tous ces enfants présentent essentiellement des lenteurs d'acquisitions
et de processus mentaux qui les rendent peu perméables à l'expérience.
Ce qui me frappe surtout, c'est la passivité, le manque d'initiative des
nouveaux. Je n'attribue pas cependant cet état d'esprit à une quelconque
déficience mentale. Je me propose donc, dès le départ, de confier l'organisation
de la classe, le choix des activités, le pouvoir de décision aux enfants,
et la prise en charge du travail par le groupe.
(1)
Le QI, est établi d'après la nouvelle échelle métrique de l'intelligence
de Zazzo, Gilly et Verba. Tous les enfants ont été testés avant leur entrée
en classe de perfectionnement.
L'ÉDUCATEUR
Une
telle expérience suppose un maître véritablement libéré et non angoissé
par les programmes, les emplois du temps, les horaires. Il n'est plus
obnubilé par le souci de faire acquérir des connaissances. Il n'est pas
absorbé par une activité particulière. Il n'a pas non plus de préjugés
pédagogiques.
OBJECTIFS
La
description des techniques utilisées ou des activités pratiquées me paraît
superflue. Le lecteur reconnaîtra d'ailleurs l'ensemble des techniques
de l'Ecole Moderne. Il me paraît plus important de savoir comment les
enfants sont amenés à les utiliser et comment ils les pratiquent en fait.
Ce
qui nous préoccupe, dans ce travail, ce n'est pas la matière à enseigner,
mais de savoir comment un groupe d'enfants parvient à prendre ses décisions.
Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas d'abord les relations dans le groupe,
mais la manière dont les enfants décident de leurs activités et comment
ils les exécutent, sans oublier, bien entendu, les différentes formes
d'intervention de l'éducateur. Ce que je veux décrire, c'est le fonctionnement
démocratique d'une institution au niveau des activités.
I - LE POUVOIR DE DECISION
Dans
le cadre d'une pédagogie dirigiste ou paternaliste, le problème du pouvoir
de décision est simple : le maître sait d'avance ce qui est bon, et il
décide seul des activités et de la manière de les organiser.
Mais
si on estime que la classe est l'affaire des enfants tout autant que celle
du maître, alors le problème est différent. La démocratie à l'école n'est
pas une voie de facilité. Je me propose donc de décrire le tâtonnement
de l'enfant venant s'intégrer dans le tâtonnement de la collectivité,
à la recherche de son style de vie et de travail. Je montrerai comment,
aux différents moments de l'année scolaire, les enfants décident de leurs
activités.
Premier trimestre
EVOLUTION DU GROUPE VERS SA PROPRE AUTOGESTION
1°. LA RENTREE DES CLASSES
‑ UN DEPART NON DIRECTIF
Tout
maître qui impose une disposition de classe, ou des outils, ou une décoration,
n'impose-t-il pas déjà ses objectifs ? Ma classe se présente nue :
pas de gravures, pas de travaux manuels exposés. Aucun atelier n'est en
place. Tout l'abondant matériel dont je dispose est rangé dans les armoires
et les placards. Je n'affiche ni emploi du temps, ni planning de travail.
Les tables sont rangées d'une manière traditionnelle, le bureau placé
sur le côté.
« Donner
la parole à l'enfant », écrit
C. Freinet. Encore faut-il qu'il veuille s'exprimer ! On a assez
répété à tous mes nouveaux qu'à l'école il faut se taire. La présence
de mes quatre anciens m'aidera à les faire sortir de leurs réflexes d'inhibition.
Passé
l'effet de surprise de la rentrée, les langues vont se délier. Je provoque
d'ailleurs moi-même le contact. Mais, surprise ! Alors que je cherche
à éviter de parler de tout travail scolaire pour faire mieux connaissance
avec mes élèves, Jean-Yves me fait prendre conscience de la réalité.
Pour ces enfants redevenus écoliers, je suis le maître. « L'école,
c'est fait pour travailler ! », me dit ce garçon, qui, ayant échoué
jusque là, compte bien qu'avec ce nouveau maître ça va marcher. Je pense
d'ailleurs qu'il traduit, en fait, l'opinion de ses parents. Peut-être
pense-t-il, par cette remarque, s'attirer ses bontés !
C'est
à la demande du même Jean-Yves, appuyée par tout le groupe, que je distribue
les manuels de lecture, d'histoire, de géographie. Cependant je ne prends
aucune initiative ; je laisse les enfants consulter leurs nouveaux livres.
Je note la gentillesse de Michel et de Régis ; Alain, lui, n'arrive pas
à cacher son excès d'énergie.
Dès
le début de l'après-midi, Yannick réclame l'installation des ateliers
de travaux manuels et d'électricité. J'aide à organiser les ateliers et
Yannick explique à ses camarades l'utilisation du filicoupeur.
En
milieu d'après-midi, Pierre me demande si on fera une partie de foot ;
demande approuvée avec joie par les nouveaux, peu habitués à pratiquer
le foot à l'école.
Bilan
de la journée : autour de l'établi, sur le terrain d'éducation physique,
les esprits se sont éveillés, des échanges se sont créés. L'organisation
de la journée, décidée par les enfants, les a amenés à parler entre eux,
à parler au maître, à discuter, ‑ et cela d'une façon toute naturelle.
2°. LE 2e JOUR DE CLASSE :
MISE EN PLACE DU PROJET DE TRAVAIL ou
PLAN DE TRAVAIL
Jean-Yves
s'impose dès le 2e jour à ses camarades : « On va
travailler sur nos livres. On devrait faire du calcul, une dictée, la
lecture... » Là se place l'intervention du maître (dans son rôle de
catalyseur). J'inscris au tableau les activités proposées : dictée, grammaire,
récitation, travaux manuels. Mes « anciens » proposent aussi d'écrire
aux correspondants, de réaliser des dessins au skrib, de faire du sport.
Je
propose d'élaborer un plan de travail pour la journée et j'élabore dans
le temps les activités désirées. Philippe F. : « Le matin, on fait
tout le travail, la dictée, le calcul, tout ça... Et l'après-midi, on
fait le travail manuel et le sport. » Approbation du groupe. «
On vote ? » demande Yannick. A main levée, le groupe manifeste son
accord.
Activités
décidées :
le
matin : lecture, calcul, avec utilisation de manuels ; dictée géographie
d'après un manuel ;
l'après-midi
: travaux manuels : découpage de maquettes d'après une documentation réclamée
par Pierre, constituée essentiellement par les suppléments BT, dessin
au skrib ; puis foot‑ball.
A
mon avis, il est indispensable que l'éducateur s'en tienne, dès le début,
au principe de l'activité demandée par l'enfant. Ce principe me paraît
essentiel pour l'évolution vers l'autogestion.
3°. LE MOIS DE SEPTEMBRE
J'évite
de faire des propositions de travail qui apparaîtraient comme des ordres
et nuiraient au climat démocratique que je m'efforce de créer. Les enfants
sont maîtres de leurs activités ; je les aide à les organiser : le matin,
travail intellectuel ; l'après-midi, activités manuelles et sportives.
Au cours de cette période, les enfants prennent conscience
de la diversité des niveaux, notamment en calcul. J'attends d'eux qu'ils
découvrent la solution qui facilitera le travail.
Régis,
dont le niveau en calcul mécanique est supérieur à celui des autres, propose
de travailler par groupes, approuvé en cela par ses camarades de l'an
dernier : « On travaillait par groupes, dans la classe, avec M.., »
La décision une fois prise, j'aide à la réaliser. Pour la constitution
des groupes, je propose l'utilisation de tests de connaissances.
D'autre
part, le groupe subit l'influence de quelques-ns, pour ce qui concerne
le choix des activités. Alain propose davantage d'activités physiques
dans la journée, au détriment des activités manuelles. Il est d'ailleurs
suivi, et de mon côté j'évite toute intrusion directive.
Je
propose aussi l'utilisation de matériel individuel de calcul : fichiers,
bandes enseignantes programmées, cahiers autocorrectifs programmés.
Les
nécessités matérielles appellent la définition de responsables élus
par le groupe : responsables à l'atelier de menuiserie, aux stylos-feutres,
au filicoupeur. Ces mêmes nécessités matérielles amènent l'institutionnalisation
de la réunion de coopérative : nécessité d'acheter du matériel,
de s'organiser pour alimenter la caisse (qui servira pour la correspondance,
l'envoi de lettres et de colis). Les enfants décident la vente des objets
fabriqués (sous-verres).
Fin
octobre, la correspondance motive des enquêtes et des comptes rendus.
A partir de novembre, le conseil de coopérative évolue peu à peu vers
le Conseil de Travail où se fait spontanément le bilan de la journée et
où s'élabore le plan de travail du lendemain.
Devant
l'opposition de l'ensemble du groupe au travail de calcul mécanique ‑
pourtant décidé auparavant en commun ‑, je propose de nouvelles
activités : géométrie, mathématiques, ateliers de calcul avec utilisation
de bandes programmées. Nous expérimentons toutes ces activités.
4°. ACTIVITES INSTITUANTES
(du 30 septembre au 13 novembre)
S'il
me paraît essentiel que dès le départ le pouvoir de décision appartienne
au groupe, je pense que les décisions prises n'ont de véritable sens qu'à
partir du moment où les enfants peuvent choisir entre différents types
d'activités et différents modèles d'organisation. Mon rôle sera, pendant
cette période, de leur en offrir le plus large éventail, de proposer des
modes de fonctionnement assez diversifiés qu'ils pourront expérimenter
par tâtonnement.
Le
30 septembre, tous les enfants sont d'accord pour écrire à d'autres enfants
; je leur propose la classe de perfectionnement de Port-Vendres. Nous
envoyons chacun notre lettre.
Le
2 octobre, nous écrivons notre première lettre collective
« En
classe, nous faisons du filicoupeur. Avec le filicoupeur, nous découpons
du contreplaqué. Nous fabriquons des maquette. Nous utilisons aussi des
scies à main et une scie électrique. Faites-vous des maquettes ? »
Le
6 octobre, part une deuxième lettre
« Chers camarades,
Avez-vous
bien reçu notre colis ? Ce matin, à St-Nazaire, il pleut.
Et à Port-Vendres, quel
temps fait-il ?
Deux maîtres, ce matin
sont venus en stage dans la classe.
Nous
allons faire des sous-verres que nous vendrons au profit de la coopérative.
»
Nos
correspondants nous répondent le 9 octobre. Ils nous font parvenir aussi
des textes imprimés. Nous les lisons, nous les commentons. Est-ce la certitude
d'être lus par d'autres qui va inciter nos enfants à écrire des textes
?
Le
11 octobre, cinq enfants veulent lire leur texte. Nous choisissons celui
d'Alain : « Histoire d'un petit enfant perdu ». Nous faisons une
rapide mise au point, en évitant tout ce qui est scolaire.
Le
6 novembre, à la demande de Yannick, les enfants décident d'utiliser le
magnétophone et de suivre certaines émissions de la télévision scolaire.
A la demande de Pierre, le groupe décide d'imprimer les textes en vue
d'éditer un journal de coopérative.
Pour
que les enfants puissent s'administrer coopérativement et d'une façon
authentiquement démocratique, je propose des modèles nouveaux de fonctionnement
de l'institution :
Le président de jour
‑ L'idée est empruntée à Makarenko (cf. Poème pédagogique),
Mais cette fonction n'est pas imposée aux enfants, et elle n'est assurée
que pour un jour ; elle doit assurer le déroulement des activités décidées
par les enfants, par référence au plan de travail élaboré par le groupe.
Elle n'a aucun caractère d'autorité : l'équilibre et l'harmonie de
la classe naissent à partir d'une organisation du travail librement choisi.
Les
responsables d'activités (journal
scolaire, correspondance, trésorier de la coopérative, enquêtes, lecture,
sports, télévision, magnétophone). Ils sont désignés par le groupe en
raison de la compétence qu'ils ont manifestée dans la réussite d'une épreuve.
Il s'agit là d'une sorte de brevet (idée empruntée au scoutisme) en liaison
avec la vie de la classe.
Ainsi,
pour être responsable à l'atelier d'imprimerie, il faut satisfaire aux
règles établies par le groupe : être capable de bien composer, de
vérifier les composteurs des camarades de l'équipe, de savoir préparer
le tirage, d'en assurer la bonne exécution, d'être gentil et coopérant.
Ainsi,
au cours de cette période, les enfants ont pu expérimenter par tâtonnement
mais en toute liberté tel matériel, telle technique (travail en groupes,
ou individuel, ou collectif). Ils peuvent désormais, en connaissance de
cause, décider de l'organisation du travail, du rythme et de la forme
des activités, et déterminer ainsi leur style de vie. Les décisions succèdent
aux expérimentations, elles-mêmes précédées de décisions.
5°.
PRISE EN MAIN DU GROUPE VERS L'AUTOGESTION (13 novembre à Noël)
Au
cours de cette période, je m'abstiens de toute proposition de travail.
Je veux me rendre compte si les techniques et les activités expérimentées
intéressent véritablement les enfants, et s'ils sont capables de les choisir
sans aucune contrainte.
DIFFERENTS TYPES D'ORGANISATION
a) Organisation spontanée du travail
C'est
le cas d'une activité qui suscite un grand intérêt et recueille l'adhésion
unanime.
La
correspondance interscolaire occupe une place importante dans la
classe. En plus de nos rapports avec les enfants de Port-Vendres, et à
la suite d'une rencontre avec des élèves d'une classe de perfectionnement
de La Baule, à partir du 16 décembre onze d'entre nous décident de correspondre
avec cette classe. De même, les enfants échangent des lettres collectives
avec d'autres classes (demandes de renseignements, rencontres sportives).
La
non-directivité pose peu de problèmes dans ce cas. Les enfants travaillent
sans être forcés ni poussés. Lorsqu'un colis des correspondants nous parvient,
c'est très naturellement qu'on lit leurs textes, qu'on rédige la réponse,
qu'on dessine, qu'on fait d'autres travaux pour les correspondants :
albums collectifs ou individuels, enquêtes, travaux manuels.
Discussions
spontanées : elles s'engagent
dès l'entrée en classe, à propos d'un événement local ou d'actualité,
ou bien à propos d'un animal ou d'un objet apporté par un enfant. Le président
du jour organise la discussion ; il donne la parole à qui la réclame.
Cela dure tout le temps qu'il faut. Je n'interviens que pour répondre
aux questions posées, sans chercher à aucun moment à profiter de la situation
pour en faire une exploitation dogmatique.
Travail
spontané : certains jours,
dès l'arrivée en classe, les enfants se mettent les uns à découper leur
maquette, les autres à prendre leur diorama, ou encore à pyrograver. Ainsi,
au mois de novembre, ils consacrent deux matinées consécutives aux travaux
manuels et artistiques, une partie de l'après-midi étant consacrée à des
jeux ou à des activités sportives.
b) Activités réclamées
par un ou plusieurs enfants
Il
suffit parfois de l'intervention d'un seul pour entraîner le groupe. Ainsi,
c'est Jean-Yves qui propose, le lundi matin 4 décembre : « On
prend le magnétophone ? » Et jusqu'à la récréation on enregistre
des lectures de textes, des histoires inventées, des chants. Après la
récréation, c'est Régis qui propose : « On devrait faire
des opérations, maintenant... » Et Daniel : « Y
a qu'à voter ! » 10 voix pour, 6 contre ; je vote comme
les enfants ; ils admettent la règle de la majorité.
Autre exemple : après
la discussion libre du matin le 5 décembre, Janick, trésorier de la coopérative,
propose : « Il faudrait voir combien d'argent on a dans la
caisse avec les journaux qu'on a vendus ». Philippe, responsable
de la correspondance : « On va répondre aux correspondants
de La Baule ». Ces propositions sont adoptées à la majorité.
Après la récréation, Michel suggère : « Comme l'on a fait
hier des opérations, on va faire ce matin de la géométrie ». « Tous
ensemble... », pense Philippe.
LE CONSEIL DE TRAVAIL
Il
a lieu régulièrement l'après-midi de 15 h 15 à 15 h 45. Je m'abstiens
de tout commentaire sur le travail qu'on devrait faire. Je fais confiance
aux enfants ; ils prennent progressivement conscience de la nécessité
d'une organisation du travail et d'un certain équilibre des activités.
Exemple
de discussion sur l'organisation du travail. Régis se plaint de ne pouvoir
peindre tranquillement : « Il y en a qui font du bruit avec
les marteaux ou les scies ; il y en a qui passent en bousculant les
autres ». Il propose de faire, un après-midi, « rien
que de la peinture et du dessin » et, l'après-midi suivant, « le
travail manuel et les expériences ». Proposition adoptée.
Autre
discussion le 23 novembre :
Jean-Yves :
« Je trouve qu'on devrait faire des dictées, comme au début ».
Dominique : « On écrit déjà des textes ».
Michel :
« Il y en a qui n'en écrivent jamais, toi, Yannick ! ».
Yannick : « Et si je n'ai pas d'idées ? »
Jean-Yves :
« Le texte libre, on écrit ce qu'on veut, quand on veut ; mais
il faut faire des dictées pour apprendre l'orthographe ! ».
La
proposition de Jean-Yves de faire des dictées deux fois par semaine est
acceptée.
TYPE GENERAL D'ORGANISATION
C'est
celui d'une sorte de classe à mi-temps. Le matin, ce sont les activités
intellectuelles. Mais aux activités traditionnelles pratiquées au début
de l'année se sont substituées des activités vivantes, puissamment motivées,
telles que la correspondance et le texte d'enfant (motivé par le journal
scolaire) ou encore le calcul vécu (motivé par une vie coopérative de
plus en plus riche et par les travaux manuels). L'unanimité se fait souvent
sur ces activités qui intéressent l'ensemble.
D'autres
activités plus scolaires sont décidées à la majorité. Il s'agit en particulier
de travaux de géométrie, de calcul mécanique, de dictées. Le groupe n'admet
pas les « déviants ». L'attitude de Daniel, qui travaille au
filicoupeur tandis que la classe est occupée à des tracés géométriques,
est vivement condamnée : « Il n'a qu'à faire comme tout le
monde, celui-là ! », déclare Philippe, approuvé par tous.
L'après-midi, activités manuelles et sportives, conseil de travail et,
une ou deux fois par semaine, émissions de la télévision scolaire.
LES ACTIVITES MANUELLES
Les
enfants choisissent en début de semaine leurs travaux dans le répertoire
des activités affiché en classe : liste des maquettes d'histoire
et de géographie, liste de travaux scientifiques, liste d'activités manuelles
diverses : rotin, corde armée, plâtre, marionnettes... Ils peuvent
se référer à l'abondante documentation de la classe, SBT, Amis-Coop, Francs-Jeux,
etc. Ils travaillent individuellement ou se groupent par affinités, et
cette activité s'étale en général sur toute la semaine. Voici, pour une
semaine, ce que les enfants ont décidé de réaliser :
Philippe
F., le drakkar normand - Régis et Janick, le chalet savoyard - Michel,
un pétrolier (à son idée) - Daniel, la benna gauloise - Jean-Yves, Alain,
Hubert, un diorama sur les Alpes du Nord - Dominique, une marionnette
- Yannick, une berline – Jean-Luc et Yannick C., un voilier - Pierre,
une carte de France grand format découpée et pyrogravée - Philippe, un
cadre pyrogravé - Jean, une galère égyptienne.
L'intérêt
n'est certes pas, au départ, pour l'histoire ou la géographie ; mais de
tels travaux nous conduisent à nous poser des questions d'ordre historique,
géographique ou scientifique.
LES ACTIVITES PHYSIQUES
Ce
sont les enfants qui en décident, par ex. : activités sur le portique
et les poutres d'équilibre ; relais ;jeux : l'épervier ;
puis football.
Il s'agit ici de plan de travail collectif. Le groupe
décide en commun des activités de la journée et n'accepte pas d'auto-organisation
de la part de chacun. Cependant certaines activités laissent libre cours
au travail individuel : texte, lettre, fichiers, travaux manuels.
6°. BILAN DU 1er TRIMESTRE
a)
Au cours de ce 1er trimestre, à aucun moment je n'ai orienté
le choix ni influencé les décisions prises. Je crois que les enfants ont
été, en permanence, maîtres de leurs activités.
b)
Je constate que l'institution évolue vers une société sans contrainte.
L'utilisation d'activités motivées (comme la correspondance) ou répondant
à leurs besoins (comme les discussions) contribuent à l'amélioration psychique,
affective et morale de chacun. Les décisions collectives rallient les
opposants et les déviants. La collectivité n'est jamais plus soudée qu'au
moment où les enfants et le maître « bâtissent » ensemble. Ils
acquièrent peu à peu le sens du groupe. Et c'est ainsi qu'en fin de trimestre
ils décident de décorer leur classe de peintures éclatantes.
c)
Je suis cependant préoccupé par le rôle des leaders et leur influence.
Jean-Yves, phraseur, donne libre cours à son besoin de bavarder, monopolisant
la parole et la coupant volontiers à ses camarades. Avec Yannick C., il
captive toute l'attention durant des discussions interminables. Ses interventions
en conseil de travail sont plutôt verbomotrices qu'efficaces.
Régis,
être d'action plus que de pensée, lui signifie qu'il fait perdre du temps.
Alain,
soutenu par Yannick C. et par Janick, exerce lui aussi une forte influence.
Quand il décide de faire des activités physiques, toute la classe le suit,
et pareillement le lendemain quand il propose des activités manuelles.
Régis
et Michel, quand ils interviennent en conseil de travail pour demander
davantage de travail scolaire, ne sont pas suivis, Régis, un matin, propose
de faire un compte rendu de la classe-exploration pour le journal :
proposition repoussée. La même proposition formulée par Jean-Yves une
semaine après, est acceptée.
Ainsi
une décision est souvent prise en fonction de l'auteur de la proposition.
D'une façon générale, c'est le premier qui parle ou qui agit, qui entraîne
les autres. La plupart des enfants, et notamment Jean-Luc, Philippe, n'ont
pas acquis assez de maturité intellectuelle, affective et sociale pour
résister aux diverses influences ou participer à des discussions collectives.
Aussi je prends conscience que ce système d'organisation
ne tient pas suffisamment compte des individualités, et qu'il importe
que chaque décision soit prise par chacun d'une manière authentique. Je
pense toutefois qu'en intervenant dans les décisions, je n'aurais pu me
rendre compte de ce fait. J'aurais pu même devenir ainsi un obstacle pour
l'évolution vers l'autogestion. L'enjeu valait qu'on prenne des risques.
Il me reste maintenant à chercher la vole permettant à chacun de décider
seul de ses activités. Mais alors comment le groupe arrivera-t-il à harmoniser
l'ensemble des décisions ?
*
Deuxième trimestre
UN SYSTÈME D'AUTOGESTION QUI TIENT COMPTE DES INDIVIDUALITES
Je
tenterai de montrer quelle est la part faite à la décision et à l'initiative
de chaque enfant dans le mode d'organisation décidé par le groupe. Il
s'agit de régler le problème en tenant compte des activités personnelles,
des travaux en équipe et des activités communes. La vie en société a ses
exigences et des limites acceptées par tous. En collaboration, maître
et enfants harmoniseront l'ensemble des décisions de manière à aboutir
à une organisation acceptable par tous.
1°. LA RENTREE (vendredi 5 janvier)
Après
les vacances de Noël, les enfants ont beaucoup de choses à se raconter
: Hubert parle de ses vacances à Chamonix, Janick de la pêche, Michel
de la chasse, Jean-Yves des cadeaux de Noël...
Nous
recevons un paquet de lettres et de textes de Port-Vendres, et spontanément
nous décidons de répondre à nos correspondants. Nous faisons aussi les
comptes de la coopérative, car nous voulons acheter un réveil et deux
galettes des Rois. L'après-midi, activités manuelles et sportives.
2°. PROJETS DE TRAVAIL (samedi 6 janvier)
Le
matin, la discussion s'organise et s'enlise sous l'influence de Jean-Yves,
Yannick C., Hubert et Janick. Mais cette fois j'essaie de faire participer
Jean-Luc, Pierre, Jean, qui se taisent et auraient pourtant quelque chose
à dire.
En conseil de travail, les enfants font part de leurs
projets
Pierre :
faire des expériences - Michel : faire un colis pour les correspondants
– Dominique : faire un théâtre de marionnettes - Michel : écrire
des textes et faire des enquêtes – Yannick : faire des jeux l'après-midi
- Pierre : du foot-ball – Pierre : du théâtre - Philippe :
Moi, je ferai des albums pour mon correspondant.
Janick : On fera encore les symboles (de mathématiques).
Régis propose de travailler le matin le calcul, les lettres, les textes,
et l'après-midi le théâtre, le travail manuel et le sport. Mais Régis
n'est pas un garçon de décision ; la difficulté est grande de passer de
l'initiative à l'acte !
J'interviens
alors pour écrire au tableau toutes les activités proposées, une sorte
de planning qui permettra à chacun de choisir. Proposition acceptée
3°. CHOIX, DISCUSSION ET ORGANISATION DES ACTIVITES
a) Planning d'activités
REDACTION
ECRITURE
LECTURE
LANGAGE
ORTHOGRAPHE
GRAMMAIRE
PEINTURE
MENUISERIE
ENQUETES
MARIONNETTES
|
OPERATIONS
PROBLEMES
NOMBRES
TABLES
ATELIER CALCUL
GEOMETRIE
IMPRIMERIE
CHANT ‑ MUSIQUE
THEATRE
PROJECTION DIAPOS
|
HISTOIRE
GEOGRAPHIE
SCIENCES
TRAVAIL PRATIQUE
EDUC. PHYSIQUE
RECITATION
ELECTRICI TE
COOPERATIVE
TELEVISION
TRAV. MANUELS
|
Chaque
enfant dispose le matin d'une feuille ronéotypée rappelant toutes les
activités possibles en classe et au dehors, sans aucun exclusivisme pédagogique.
Il s'agit, on le voit, autant d'activités purement scolaires que d'activités
de création (manuelles, intellectuelles, physiques ou artistiques. En
outre, un planning affiché en classe rappelle, pour chaque discipline,
les diverses activités possibles. Un exemple :
REDACTION
-J'écris un texte libre;
-J'invente une histoire, un conte, un poème
-J'écris une lettre à mon correspondant ;
-Je rédige un album ou un compte rendu;
-J'écris un texte sur un sujet proposé par le maître
ou un camarade,
Je
cherche à obtenir un choix réellement libre. D'autre part, ce planning
aide les enfants dont la mémoire est déficiente à se rappeler des activités
qui les intéressent et qu'ils risquent cependant d'oublier.
b) Choix des activités
Chaque
enfant colore la case désirée. Aucune activité n'est obligatoire. Exemples
d'activités choisies : Michel : un texte libre, des opérations
sur cahier autocorrectif, travail manuel, sport ; - Philippe :
un album, atelier de calcul, travaux manuels, sports ; - Daniel :
une lettre, travaux manuels, sport.
Je constate que les activités manuelles sont demandées
par tous et le sport par la grande majorité ; les autres activités
sont choisies de façon très inégale.
c) Discussion et organisation des activités
Le
choix fait, j'inscris au tableau les souhaits de chacun. Entre temps,
certains seront amenés à modifier leur choix en fonction des choix de
leurs camarades. J'aide alors les enfants à élaborer le plan de travail
de la journée, tandis qu'ils décident eux-mêmes de la répartition des
activités dans la journée.
Cette
organisation pose des problèmes. Certaines activités nécessitent la présence
de tous, par exemple une activité de plein air, une émission de la télévision
scolaire, une activité coopérative décidée par le groupe (comme le journal
scolaire). Or je constate que la discussion ne suffit pas pour faire sortir
certains de leur égocentrisme, surtout ceux dont l'âge mental est très
bas (en particulier Philippe, Pierre, Daniel). Sans imposer mon point
de vue, j'essaie de montrer à chacun les implications de son choix et
de l'aider à aller jusqu'au bout.
Quelques-uns
ne voient que leur problème et ne tiennent pas compte de celui des autres.
Ainsi Daniel, un matin, voudrait poursuivre ses expériences d'électricité ;
mais ses camarades lui demandent d'attendre l'après-midi, car ses déplacements
dans la classe gênent la mise au point du texte libre.
Par
contre, le groupe tolère que Philippe réalise un album sur son grillon
et y travaille toute la matinée. Pierre peut s'attaquer dès 9 heures à
ses divisions à deux chiffres au diviseur, avec l'aide de Régis. Et Philippe
C. peut écrire une lettre à sa correspondante et lui envoyer un poème.
Peu importe s'il ne participe pas à la mise au point du texte libre. Et
Michel pourra lui aussi se mettre à la peinture d'une grande fresque durant
toute la matinée.
d) Un exemple de projet de travail
Cet
exemple montre qu'à partir d'un choix libre les enfants peuvent s'adonner
aussi bien à des activités intellectuelles que manuelles, et uniquement
à des activités scolaires. La création et l'invention ne sont pas permanentes
dans la classe ; mais ce qui devient permanent, en février, c'est
le TRAVAIL, le travail intelligent et libre parce que décidé et voulu.
L'éducation trouve dans le travail son moteur essentiel. Voici donc ce
projet :
-Hubert,
Jean-Yves demandent à lire les textes de Port-Vendres, de Ragon et de
La Baule ;
-Régis et Alain demandent à réciter
Le corbeau et le renard ;
-Philippe F. demande qu'on apprenne
une chanson de Guy Béart : Vive la rose et le lilas, Accord général ;
-Janick, Jean-Luc, Régis,
Michel, Philippe, Yannick, Dominique, veulent faire de la géométrie. Après
discussion, ils décident de travailler sur les triangles (construction ;
- Pierre, Philippe F., Jean-Luc,
Régis, Jean, veulent faire des opérations, soit sur bande, soit sur cahier
autocorrectif, soit sur manuel ;
- Jean-Yves propose une dictée
de phrases. Tout le monde est d'accord ; c'est le maître qui, à leur
demande, propose des phrases avec des difficultés rencontrées dans les
textes ou les lettres ;
- Jean, Jean-Yves, Philippe veulent réaliser un album ;
- Régis propose une dictée
de nombres. Accord général. De plus, il veut faire des problèmes tirés
d'un manuel ;
Jean, Janick, Régis, Michel, Jean-Yves demandent
à être interrogés sur les tables de multiplication, Les camarades leur
poseront des questions ;
- En travaux d'atelier, chacun effectue
un travail d'histoire ou de géographie, ou une construction libre, ou
un travail de décoration, de peinture…
- En éducation physique,
Pierre, Alain, Daniel, veulent faire des acrobaties dans la salle de gymnastique ;
les autres optent pour le basket ou le football.
Au
cours de l'élaboration du plan de travail de la journée, les enfants décident
des activités de la matinée (lecture, récitation, dictée de phrases, dictée
de nombres, tables de multiplication, puis géométrie, opérations, album
et chant) et de celles de l'après-midi (manuelles et physiques).
4°. DIFFERENTS TYPES D'INTERVENTION DE LEDUCATEUR
a) Elucidation du choix
Il
ne s'agit pas d'influencer le choix ou d'orienter une opinion, mais d'exposer
les faces d'un problème posé. Un exemple : les enfants ont décidé de faire
des travaux manuels toute une après-midi, Je leur signale alors qu'un
film sur l'Albanie sera justement projeté, dans le cadre des conférences
« Connaissance du Monde ». Je montre l'intérêt d'un tel film
et leur propose de reporter au lendemain les activités manuelles.
b) « Eduquer, c'est encourager » (Adler)
Je
cherche à découvrir la cause de l'opposition de l'enfant à telle activité.
Cette cause est quelquefois inattendue : ainsi Daniel refuse de faire
de la géométrie parce qu'il a perdu son compas ! Mais le plus souvent
il s'agit d'apporter son soutien à des enfants en situation d'échec. Ainsi,
Pierre refuse une activité où il ne pense pas pouvoir réussir : « Je
ne sais pas faire ! ». J'invite ses camarades à l'aider, et
moi-même j'en ferai autant.
c) Exigences de la vie
En attendant le train qui devait nous conduire à La
Baule, je constate que certains (Daniel, par ex.) ne savent pas lire l'heure.
Quelques jours après, je propose à Daniel de travailler sur l'heure à
l'atelier de calcul... Dans la classe de perfectionnement, où il faut
acquérir des connaissances pratiques, force est bien d'intervenir ; mais
cela se fait avec l'adhésion de l'enfant.
d) Intervention au niveau du contenu
Le
plus souvent, ce sont les enfants qui décident du contenu des activités.
Il s'agit de répondre aux questions qu'ils se posent, d'ordre historique,
géographique ou scientifique. Mais je cherche à privilégier toutes les
formes actives d'enseignement ; donc priorité à l'expérience et à
l'observation, aux exposés d'enfants, aux méthodes audiovisuelles. Mais
quand il s'agit de travail plus scolaire (grammaire, géométrie), je propose
moi-même les exercices en rapport avec leur niveau et leurs difficultés
antérieures,
5°. LE CONSEIL DE TRAVAIL
Il
se tient presque quotidiennement, en fin d'après-midi. Il n'a aucun caractère
de solennité ; c'est un moment où l'on se regroupe pour le bilan de la
journée, où chacun fait part de l'avancement de ses travaux et donne son
avis sur les tâches réalisées.
Philippe :
« Il s'est bien débrouillé, Régis, avec son carrosse ! »
Hubert : « Je n'en
reviens pas du travail de Philippe. »
Jean-Yves : « Tu
pourrais, Daniel, mieux fignoler ta maison. »
Dominique : « Elle
est belle, la lettre de Michel ! »
Mais au cours de cette période
de l'année, les discussions portent de plus en plus sur le travail scolaire
réalisé :
Jean-Yves : « Ce
n'est pas marrant, il n'y a que trois ou quatre gars qui ont travaillé
en calcul ce matin. »
Philippe : « On
devrait faire des cartes de géographie, comme chez M... »
Régis : « Il y
en a qui ne travaillent pas assez, Daniel, Hubert font trop de
travail manuel. »
Philippe : « Il
ne faudrait pas que certains s'amusent pendant que les autres travaillent ! »
Régis (responsable du journal
de la coopérative) : « Hubert, Dominique, vous n'avez pas
encore écrit de textes pour le journal. »
Janick (responsable à l'atelier
d'imprimerie) : « Il faudrait peut-être que l'équipe de Jean-Yves
imprime le texte de Pierre. »
La
vie de la coopérative et ses activités ont des exigences que savent rappeler
à l'occasion les responsables ; durant tout ce trimestre, ces derniers
apportent de plus en plus de contribution au fonctionnement de l'institution.
6°. BILAN DU 2e TRIMESTRE
a)
Un réel besoin de travail s'est manifesté. Il a été inutile de
rattacher artificiellement les acquisitions scolaires aux activités d'expression
libre. C'est à la demande des enfants que se fait ce travail.
b)
Il arrive que certains, tels Daniel, Hubert, Alain, ne prennent pas
encore, certains jours, l'initiative d'activités purement intellectuelles ;
mais cela n'est pas inquiétant. En effet, certaines activités individualisées
ou réalisées en équipe sont intégrées dans la vie collective :
la lecture, la récitation, le compte rendu d'album, les tables
de multiplication, les comptes rendus de travaux individuels : maquettes
d'histoire, de géographie, expériences scientifiques. Toutes ces productions,
individuelles ou de groupe, sont versées dans le creuset coopératif pour
le profit de tous.
c)
Je pense aussi qu'il est vain de vouloir accrocher un enfant à une
activité qui ne l'intéresse pas, Le résultat en est insignifiant.
Aussi je ne m'inquiète pas le jour où Daniel ne décide aucune activité
de calcul il suffit qu'il soit disponible quelques courts moments dans
la semaine à ce moment l'attention qu'il porte à résoudre une série de
soustractions avec retenue est de qualité parce que non venue de l'extérieur,
mais librement consentie.
d)
Un tel système d'organisation tient compte de chaque personnalité
mouvante. Ainsi Philippe aime travailler seul et à son rythme. Mais
de nombreuses occasions se présentent de travailler en équipe spontanée
: réalisation d'un album, d'une enquête, d'un diorama, recherche en mathématiques.
Mais en même temps que naît dans la classe un climat de coopération et
de solidarité, les enfants ressentent davantage la nécessité de travaux
collectifs, qu'il s'agisse de la mise au point d'un texte, d'un compte
rendu d'enquête, ou tout simplement d'une dictée.
e)
L'expression libre, Parce qu'ils ne créent pas sur commande ou à heure
fixe, les enfants, même les plus inhibés au départ, aiment écrire des
textes comme ils aiment peindre. Dans un climat de liberté l'inspiration
peut jouer à plein. Je cite ci-après quelques textes d'enfants, dont certains
sont très significatifs de la personnalité de leur auteur.
J'ai
14 ans,
Je ne veux plus retourner
à l'école l'an prochain,
Je ne veux pas rester
jusqu'à 16 ans à l'école.
Je veux travailler,
J'ai compris pas mal
de choses.
Je sais mesurer, compter.
Je veux devenir plâtrier.
Philippe
LES
SAISONS
La
saison que je préfère est l’été.
J'aime l'été, l'été
joli,
c'est les vacances
chez ma grand-mère,
à la campagne, toute
fleurie.
C'est les vacances,
la liberté...
Jean-Yves
SI J'AVAIS UN BATEAU
Je
naviguerais sur les flots,
Je courrais l'aventure,
Je voyagerais sans
passeport,
Je serais heureux sur
la mer.
Je chercherais l’île
merveilleuse,
L 'Ile au Trésor.
Janick
|
SI J'ETAIS
UN GRILLON
Si
j'étais un grillon,
je chanterais cri cri
cri cri !
Si j'étais un grillon,
je vivrais dans la campagne.
Si j'étais un grillon,
je me marierais
et j'inviterais tous
mes amis.
Si j'étais un grillon,
je dormirais au soleil.
Si j'étais un grillon,
je chanterais
cri cri cri cri !
Dominique
|
LE SOLEIL
Il
est content d'être là,
Il apporte le bonheur,
la joie.
Il sourit, il réveille
la nature,
Tout chante, tout renaît,
Le voilà, le soleil,
avec ses longs cheveux
d'or,
Régis
LES OISEAUX
Le
matin, quand j'ouvre ma fenêtre,
j'entends les oiseaux
qui chantent
cui - cui - cuic !
Ils se disent :
Bonjour,
ils sont joyeux.
L'hiver s'en va,
ils chantent :
« Tiens, voilà
le printemps,
Vive le printemps ! »
L'ORAGE
Il
vient, le printemps.
Mais voilà, un gros nuage noir
recouvre le ciel bleu.
Et soudain, un grand
coup de tonnerre :
la pluie se met à tomber
à verse.
Une dame, apeurée, s'écrie :
“Qu'y a-t-il ? »
Un monsieur lui répond :
« C'est l'orage ! »
Mais l'orage se calme
et le soleil revient.
Philippe
|
f)
Le déroulement des journées
L'ordre
des activités a peu d'importance. Certains jours, les enfants commencent
par discuter, d'autres jours certains lisent ou bien écrivent un texte.
On peut tout aussi bien commencer la journée par une série d'opérations
ou l'écoute d'un disque. Les jours se succèdent et ne se ressemblent pas.
Il y a surtout la VIE qui, insidieusement entre dans la classe et qui
se moque de l'ordre. Il s'agit alors, comme l'écrit C. Freinet, d'« embrayer
sur la vie ».
UNE LETTRE DE PORT-VENDRES
Vendredi 8 mars
Chers amis,
Nous avons été très intéressés par ce que vous nous dites du port de St-Nazaire.
Qu'est-ce qu'une barge ? A quoi correspond un tonneau de bateaux ?
92000 tonneaux = 92000 tonnes ??
Sur la feuille, le Roger a été construit en 1964, déjà il faut le réparer ?
Est-ce le moteur ou la coque ?
Nous avons aimé le grillon
et le coucou.
Le texte de Dominique était
mal imprimé.
Jean-André n'a pas reçu
de lettre de Yannick.
Aujourd'hui il pleut, on a déjà vu des hirondelles.
On nous a installé un tableau vert à deux volets.
Nous vous embrassons tous, même le maître.
(Suivent les signatures).
(Il y a aussi un plan du tableau neuf).
D'autre
part, au cours du mois de mars, certains jours les enfants reviennent
à un cadre collectif de travail en recherchant un système d'organisation
satisfaisant pour tout le monde. La pratique du vote à la majorité tend
à disparaître. On recherche davantage l'unanimité. Cela correspond à une
évolution du groupe vers une vie plus communautaire. D'autre part, si
je m'oppose au besoin à l'influence des leaders comme à l'esprit moutonnier,
il reste que la décision d'un enfant est en dernier ressort fonction de
l'intérêt des autres.
Exemple
de planification du travail pour le 20 mars. Activités décidées :
Le
matin : Texte ou dessin - Mise au point collective du
texte avec dictée sur le cahier - Travail par groupes en calcul - Observation :
la grive apportée par Daniel ; naturalisation, puis compte rendu
collectif.
L'après-midi : Travaux manuels par ateliers -Atelier
du journal - tirage au duplicateur du compte rendu - tirage du texte à
l'imprimerie Dessin lino (la grive) - Technique d'illustration : aluminium
repoussé peinture sur verre – pyrogravure.
Ainsi ce sont les enfants qui me montrent la direction
à prendre. Je laisse le groupe faire son expérience et chercher les voies
qui lui paraissent favorables à son mode de vie et de travail.
*
Troisième trimestre
VERS UNE ORGANISATION PLUS STRUCTURÉE
DU TRAVAIL
Au
cours de ce 3e trimestre je conserve ma ligne directrice, qui
consiste à laisser le groupe tâtonner. Je continue à faire confiance aux
enfants, à leur capacité de déterminer eux-mêmes leur style de vie et
de travail. Je peux déjà mesurer avec satisfaction les progrès moraux
et sociaux réalisés. Mais le groupe passera désormais à une organisation
plus structurée du travail, déjà réclamée par certains au cours du trimestre
précédent.
1°. Après les vacances de Pâques : UNE TRANCHE
DE VIE DE LA CLASSE
Vendredi 19 avril
9
h - Les enfants conversent librement, par groupes spontanés. C'est la
rentrée. Que de choses ils ont à se raconter ! Au bout d'une demi-heure,
le ton de la conversation s'amplifiant, Philippe F. demande : « Qui
est l'homme du jour ?... Quel boucan ! »
Yannick
accepte d'être responsable du jour. Retour au calme. La discussion s'organise.
Les enfants interviennent à tour de rôle, et moi aussi ; je parle
de mes vacances. Mais nous venons de recevoir les lettres de nos correspondants
de La Baule. Lecture des lettres, puis discussion, commentaires. Yannick
demande : « Ira-t-on bientôt les voir ? Qui est
d'accord ? ». Suit une discussion.
9
h 45 - J'interviens pour solliciter l'opinion de 3 enfants qui ne participent
pas à la discussion. Pierre, qui n'a pas de correspondant à La Baule :
« Quand on jouera au foot contre Herbin ? » Discussion ;
avis divers.
9
h 50 – Régis : « Est-ce qu'on répond à La Baule ? »
Discussion : aucune décision n'est prise pour la date de la rencontre.
10
h – Jean-Yves : « Et nos correspondants du Dahomey ?
On les laisse tomber ? Ils n'ont pas encore écrit. » Discussion
; commentaires divers. Je ne suis pas intervenu dans les discussions.
10 h 05 - J'interviens pour demander d'écouter ceux
qui parlent ; certains coupent la parole à leurs camarades. 10 h
10 - Je constate le manque d'intérêt de certains pour la discussion. Je
leur demande alors ce qu'ils veulent faire. La conversation cesse.
10
h 15- Les enfants choisissent leurs activités : 9 (dont le maître)
veulent répondre à eur correspondant (remarque : 3 enfants dans la
classe n'ont pas voulu de correspondant à La Baule ; l'un a cessé
d'écrire) ; 3 dessinent ; Hubert pyrograve ; Daniel, 10
ans, qui a pourtant un correspondant, préfère peindre ce matin ;
Philippe écrit à sa correspondante de Port-Vendres.
Les
activités se déroulent dans le calme jusqu'à midi.
Je
corrige les lettres individuellement et j'interviens pour rappeler qu'on
ne doit parler qu'à voix basse.
14
h - Après une discussion a propos de l'observation d'une plante dans la
classe, je demande ce que chacun veut faire.
Activités
choisies : Travaux manuels (maquettes, découpages) ; constructions
libres ; correspondance (illustration des lettres) ; jeux ;
sports.
On
sort pour jouer quand on veut, sur le plateau d'éducation physique.
Vers
16 h 30 j'interviens pour demander le rangement de la classe.
16
h 45 - Quelques enfants viennent montrer leur travail aux camarades.
Les
enfants sont heureux de s'être retrouvés et d'avoir retrouvé des activités
enthousiasmantes.
Samedi 20
Même
déroulement. Je n'interviens pas pour le choix des activités, qui sont
aujourd'hui :les discussions - les activités manuelles et artistiques
- l'illustration des lettres - la télé (match de foot Bordeaux-Quevilly)
- le football en fin de journée.
Climat
calme mais joyeux. L'unité psychique, affective, s'est rescellée ;
l'aurait-elle été par un exercice scolaire, même vivant ?
Lundi 22
Les
activités choisies puis pratiquées sont identiques à celles des jours
précédents. Jean-Yves et Philippe font un album pour la classe, pour les
copains. Mais Janick demande dès le matin une réunion de coopérative,
et il propose des thèmes de discussion : matériel à acheter (contreplaqué,
rotin) ; le voyage à La Baule le match de foot. On n'a rien décidé pour
ces 2 questions.
Yannick
C. : « Oui, on va voir ce qu'on a besoin faisons la
réunion à deux heures ! » Accord du groupe.
14
h - Réunion de la coopé. Discussion sur les thèmes prévus et décisions.
Discussion sur les achats. Examen de la situation financière (sur ma demande).
Nous regardons les catalogues de prix. Nous évaluons rapidement la dépense
à envisager : 80 F si on achète un pyrograveur, comme le demande
Alain.
Autre thème abordé : la Fête des Mères ; l'offrande.
Hubert : « On pourrait faire des porte-clés ». Discussion
à propos de la dépense. J'élucide le choix des enfants : on ne peut tout
acheter ! Finalement on repousse cet achat.
Et
c'est Régis qui demande à son tour un autre thème : « On
discute du travail… » On devrait reprendre le plan de travail
d'avant les vacances : « On travaillerait le matin :
les lettres, les dictées, le calcul; et l'après-midi on ferait les travaux
manuels, le sport, l'imprimerie... »
J'interviens
pour reporter la discussion du plan de travail au lendemain, car le temps
passe. Proposition acceptée.
Mardi 23
Je
laisse les enfants procéder à l'élaboration du plan de travail
Le
matin, avant la récréation : discussion, chant, récitation, lecture,
dessin, calcul (mental d'abord). Après la récréation : texte, ou
lettre, ou dictée.
L'après-midi :
travaux manuels, peinture, télé scolaire, rangement, conseil de travail,
puis sports.
Ainsi
le groupe, sous l'influence des plus évolués, ressent le besoin d'un cadre
collectif de travail plus rationnel. Mais rien n'est simple dans une collectivité
vivante, et les enfants ne se soumettent pas inconditionnellement à une
institution qu'ils ont pourtant mise eux-mêmes en place !
2°. UN MODE DÉ FONCTIONNEMENT DIVERSIFIE
La
rigidité apparente du cadre est tempérée, quand les enfants le désirent,
par une certaine souplesse admettant tantôt plus d'individualisme, tantôt
plus d'esprit d'équipe. Pour répondre aux besoins exprimés, je propose
un mode de fonctionnement où chacun puisse trouver son compte, et j'assume
le rôle de technicien de l'organisation.
Ainsi
je propose un moment de travail libre le matin, pour le travail individuel.
Voici par exemple les activités décidées le 15 mai par les enfants :
Le
matin : récitation par trois enfants - discussion libre - comptes de la
coopérative. Puis travail libre : opérations, ou lettre individuelle,
ou texte, ou lecture personnelle. Quatre enfants se proposent d'écrire
une lettre, au nom de la classe, aux correspondants de La Baule.
L'après-midi
: travaux manuels, rangement du matériel et conseil de travail. Ensuite,
jeux.
Ainsi
la structuration du travail ne conduit pas à une contrainte du groupe.
3°. LES ACTIVITES
Tous les enfants participent
désormais aux activités intellectuelles, à des exercices d'orthographe
ou de calcul (que certains refusaient jusqu'alors). Les plus grands, les
forts en calcul, décident d'acquérir telle ou telle connaissance ; ils
se réfèrent à un planning des différentes notions souhaitables ;
ils veulent alors étudier les fractions simples, les pourcentages, les
nombres complexes, - notions déjà abordées d'ailleurs durant les trimestres
précédents.
4°. INTERVENTION DE L'EDUCATEUR
Dans
la mesure où je n'ai jamais imposé mon avis sans consulter le groupe et
où j'ai été attentif aux réactions de tous, mon intervention est admise.
Le climat démocratique de la classe a levé le masque de mon statut, qui
reste celui d'un adulte certes, mais d'un adulte qui ne veut pas se substituer
aux enfants. S'il n'y a plus dans la classe un individu qui commande et
d'autres qui obéissent, les enfants admettent volontiers de la part de
l'adulte une autorité technique et objective :
a)
Au niveau des connaissances. Je peux proposer telle ou telle activité
si le groupe reste maître souverain de son travail. Ainsi nous avons appris
à écrire correctement une demande d'emploi ou de renseignements, à rédiger
une fiche d'état civil. Nous avons décidé de faire des enquêtes sur le
monde du travail, sur celui de leurs parents (ouvriers ou pêcheurs).
D'une
manière générale, je peux apporter librement toute information que je
juge utile ; elle est désormais mieux perçue par l'ensemble. Mon
intervention ne présente plus ce danger d'aliénation qu'elle aurait pu
comporter au départ.
b)
Au niveau de la technique. Je puis, par exemple, proposer aux enfants
de rédiger leur lettre directement, sans brouillon. Je constate à ce sujet
un réel effort pour réaliser une écriture correcte.
CONCLUSION
Par
tâtonnement expérimental le groupe, parti
du besoin élémentaire de s'exprimer, de dessiner, d'agir, est arrivé à
prendre des décisions, souvent à l'unanimité. Mais pour cela j'ai dû attendre,
j'ai accepté de perdre du temps. Les routes diverses empruntées par les
uns et par les autres, longues pour certains, se sont rencontrées, les
menant à de nouvelles conquêtes où la connaissance était loin d'être exclue.
L'organisation plus structurée vers laquelle nous avons évolué semble
avoir conduit le groupe à une sorte de sécurité saine, qui, à ce stade,
est constructive de la personnalité.
Le
profit essentiel de l'autogestion est de former des êtres autonomes. Mais
l'autonomie est le fruit d'une conquête lente sur soi-même et sur les
autres.
L'autogestion, toutefois, ne consiste pas seulement à
remettre le pouvoir de décision aux enfants. Il ne suffit pas qu'ils prennent
l'initiative de leurs activités ; encore faut-il qu'ils agissent
ensuite en conséquence. L'application des décisions doit être l'affaire
du groupe.
2 ‑ APPLICATION DES
DECISIONS
du projet au travail
COMMENT LES ENFANTS APPLIQUENT
LES DECISIONS
ET EXECUTENT LEUR TRAVAIL
Lorsque
le pouvoir de décision appartient au groupe dans le respect des individualités,
il n'est guère besoin de lois coopératives ou de règles de vie ou de codes,
pratiques inspirées de Makarenko et en usage dans certaines classes coopératives.
Quand les activités intéressent véritablement l'enfant, il n'est pas nécessaire
d'exiger de lui un « engagement », un contrat de travail, formules
qui ont pour lui peu de sens, car il se consacre entièrement à une activité
pourvu qu'elle soit à sa mesure et qu'elle puisse servir à quelque chose.
1°. La correspondance interscolaire
Je
ne redirai pas ici l'intérêt que provoque cette technique, suffisamment
décrite dans les brochures Ecole Moderne. Mais je montrerai comment les
enfants autogérent cette activité.
Exemple
du lundi 17 décembre, Le matin, un colis des correspondants vient d'arriver,
provoquant l'enthousiasme. Philippe F., responsable de la correspondance,
procède à la distribution des lettres et des cadeaux personnels. Lecture,
commentaires, agitation. Régis demande à lire la grande lettre collective.
Nos correspondants nous posent des questions sur le port, et six enfants
se proposent pour répondre ; Yannick envisage de réaliser un album sur
la pêche au carrelet.
Pierre demande s'il peut lire sa lettre. Et tour à tour
les enfants viennent lire la leur, montrer les cadeaux et les dessins
reçus. C'est aussi le moment où l'on pose des questions : « Qu'est »ce
que c'est, des figues de Barbarie ? » - « Le papa d'Antoinette
a gagné 720 F ; ça fait combien ? » Ou bien l'on discute :
« La mère de Trinidad est malade; elle doit être triste, Trinidad ! »
Hubert dit qu'il lui fera un petit cadeau.
A
10 h 30, Michel propose : « On va répondre aux correspondants ».
Daniel n'est pas satisfait du travail peu soigné de son correspondant.
Il lui répondra tout de même, à la demande de Philippe F. A 11 heures,
chacun élabore le brouillon de sa lettre. Il y a en général peu de problèmes
pour la rédaction de la réponse, car on ne manque pas d'idées ! Le
contenu de la lettre est libre ; j'aide l'enfant s'il le demande,
ou quand il est en difficulté. Je dis à Janick : « Tu
écris que tu es allé à la pêche avec ton père, mais tu pourrais peut-être
raconter cette partie de pêche ? » Et à Jean-Luc :
« Ton père a acheté une caravane ; tu pourrais dire
comment elle est ? » Jean-Luc me dit qu'il va la
dessiner.
Le
brouillon terminé, je corrige les fautes avec l'enfant ; je l'invite
à rechercher le mot mal écrit dans l'orthodico en usage dans la classe
ou bien dans le dictionnaire. Je rectifie la phrase mal construite ;
il n'y aura plus qu'à recopier la lettre et à l'illustrer.
L'après-midi
à 14 heures on continue les lettres, que chacun est très heureux de décorer.
Aucun esprit de compétition ; mais chacun aime afficher son travail
au tableau quand il l'a terminé. Le responsable Philippe donne un coup
de main aux traînards ; il vérifie la propreté ; il compte les
lettres, car le 24 novembre les correspondants nous ont écrit : « Joie
et tristesse dans la classe : Marie-Rose et Trinidad n'ont rien
trouvé dans votre colis... »
A
15h15, le moment est venu de confectionner le colis qui contiendra lettres,
textes imprimés, dessins, travaux manuels et quelques petits trésors personnels.
Yannick et Jean sont volontaires : ils pèsent le colis ; Jean
indique les poids au tableau, consulte le tarif postal affiché dans la
classe pour l'affranchissement du colis. Daniel se propose pour écrire
l'adresse pendant que Yannick et Jean vont acheter les timbres.
Déjà
la récréation ! Philippe en est surpris. « On n'a
pas senti la journée passer, s'exclame Michel. Oh ! les gars,
on fait une partie de foot-ball après la récré ? » Toute
la classe approuve.
Ainsi
se déroule, sans souci des horaires, une belle journée. Il n'a guère été
besoin de solliciter l'attention, chacun s'appliquant à un travail favorisé
par la motivation. Les liens affectifs créés à partir de la correspondance
deviennent des stimulants pour nos enfants déshérités.
2°. Éléments favorisant l'application des décisions
Le déroulement des activités décidées dépend de la mise
en place d'institutions internes acceptées par tous. Les enfants travaillent
sur un rythme lent, et il y a des moments de flottement quand il s'agit
de passer d'une activité à une autre. Lorsqu'il s'agit de travail très
individualisé, seuls Régis, Philippe F., Michel, arrivent à l'organiser
et à le réaliser convenablement dans le temps.
a)
Le président de jour ‑ C'est un rôle difficile à remplir :
il s'agit d'assurer le déroulement des activités, mais aussi, parfois,
de faire face à des oppositions d'ordre humain et caractériel.
b)
Les responsables ‑ Ils interviennent pour rappeler au besoin
les décisions et veiller au bon fonctionnement de leur atelier ou de l'activité
dont ils sont responsables. Ainsi Philippe F. se soucie de la propreté
des lettres et de la régularité de la correspondance. Janick, responsable
à l'imprimerie, vérifie les composteurs et aide son équipe en difficulté.
Yannick organise l'atelier d'électricité, intervient en cas de panne.
c)
Le maître ‑ L'aide que j'apporte aux responsables est fonction
du degré de leur maturité intellectuelle, affective et sociale. Quand
Philippe est président de jour et assure la marche du conseil de travail,
j'interviens plus directement, car l'enfant n'est pas apte à pousser la
discussion jusqu'à la décision. J'aide chaque fois qu'il s'agit d'aller
dans le sens de l'enfant ou du groupe. Exemples :
Philippe
F. demande à Pierre de mieux s'appliquer dans sa lettre ; mais Pierre
admet mal la critique, surtout venant de Philippe : « Je
ferai exprès de mal écrire ! » Pierre, par contre, accepte
mes remarques.
Yannick
veut renoncer à son travail d'imprimerie car il veut terminer sa pyrogravure.
Janick (le responsable) ne parvient pas à le persuader : Yannick
ne voit que son problème, il ne voit pas que son attitude peut perturber
l'organisation collective. J'interviens pour faire respecter les décisions
prises par le groupe, tout en proposant d'évoquer le problème en conseil
de travail. Ce type d'intervention (qui reste exceptionnel) me parait
indispensable tant que l'enfant n'est pas arrivé à se construire une conduite
sociale.
3°. Le fonctionnement de la classe
L'essentiel
est que les enfants puissent réaliser les activités décidées sans trop
de mal, avec la part de réussite suffisante pour justifier leur élan et
entretenir leur volonté de persévérance. Exemple d'une journée, en mars
:
Le
matin ‑ La discussion sur l'organisation du travail, sous la responsabilité
de Dominique, nous a conduits jusqu'à 9h20. Le plan de travail de la journée
est écrit au tableau. La discussion, limitée à un quart d'heure par le
groupe, porte sur un thème proposé par Hubert : la guerre du Viet-nam.
Il faut que j'aide Dominique, car la discussion s'égare, je dois insister
sur des faits qui me paraissent importants : l'horreur, l'absurdité
de la guerre.
Jean-Yves, Hubert et Pierre veulent alors lire les textes
reçus de Port-Vendres. Régis est responsable à la lecture : il aide
au besoin ceux qui ont des difficultés, pendant que les autres dessinent.
Il
est 9 h 50. Nous passons au travail prévu : entraînement aux opérations
au moyen de cahiers autocorrectifs. Je vais d'un enfant à l'autre, pour
une aide éventuelle. Il nous reste encore une demi-heure avant la récréation
pour faire du calcul mental et résoudre ensemble des problèmes que la
vie quotidienne provoque. Au cours d'une sortie au port, nous avions interrogé
les pêcheurs sur la vitesse de leur bateau : 4 nœuds ? 5 nœuds ?
12 nœuds ? « Qu'est-ce que c'est que ça, un nœud ? »
a demandé Alain. Bonne occasion pour donner les explications voulues
et poser quelques problèmes rapides.
Après
la récréation, on se réfère à nouveau au plan de travail. Neuf enfants
ont décidé d'écrire à leurs correspondants de La Baule ; les autres
ont demandé un travail de grammaire. A quatre je propose de copier un
texte de Port-Vendres à l'imparfait. Nous corrigeons ensemble le travail
de grammaire, excepté Daniel, absorbé par un dessin au stylo-feutre.
A
11h30, Dominique barre au tableau les tâches accomplies. Nous pouvons
maintenant aborder la géographie (tracé d'une carte de la Loire).
A
14 heures, la mise en train sera immédiate car chacun sait ce qu'il a
à faire. L'équipe de Janick tire à la presse un texte composé la veille.
Yannick C. et Jean-Luc tirent au duplicateur un compte rendu d'enquête.
Quatre enfants sont à l'atelier de découpage sous la responsabilité de
Yannick (maquettes d'histoire ou de géographie). Trois s'affairent à leur
travail de rotin sous la responsabilité de Régis. Philippe décore sa lettre,
ainsi qu'Hubert, et seul Daniel réalise un diorama à son idée. J'aide
quiconque me sollicite, tout en jetant un coup d’œil discret dans chaque
atelier.
15h
- Dominique, président de jour, est absorbé par son travail un château-fort ;
je lui rappelle qu'il est l'heure de s'arrêter et qu'il faut ranger les
ateliers. A chacun sa tâche : Pierre balaie, Yannick range les pyrograveurs
et filicoupeurs, Hubert range l'établi ; Jean-Luc nettoie le tableau.
Vers
15h25, Conseil de travail. Janick distribue à chacun une feuille imprimée
qui va s'insérer dans le Cahier de vie personnel.
Yannick
C. distribue également les feuilles ronéotypées. Puis se fait le compte
rendu de la journée tel qu'il a été décrit précédemment, et dont on reparlera
plus loin.
Reste
la dernière heure, consacrée aux activités physiques. Si nous n'assistons
plus à la détente explosive d'organismes longtemps comprimés par une pédagogie
passive, les enfants ont tout de même besoin d'air et d'exercices ;
ils peuvent donc à leur gré grimper à la corde, monter au portique, jouer
au chat perché, à la course au coq, aux gendarmes et aux voleurs.
La
journée se termine à 17 heures, et bien remplie. L’enfant y a senti que
la classe était son affaire, L'autogestion s'étend à tous les niveaux :
discussions, conseils de travail, fonctionnement des activités, ‑
et cela dans un climat de collaboration, d'entraide et d'amitié Les responsables
(et chacun est responsable dans la classe) rappellent les projets élaborés
et veillent à leur exécution. Et si j'interviens, c'est pour encourager
et entraîner toujours plus loin vers le vrai travail.
CAS OU UN PROJET DE TRAVAIL EST ABANDONNE
1°. Par
le groupe
‑
quand un événement extérieur surgit dans la classe : lettres ou colis
des correspondants, apport d'un enfant ;
‑
quand une discussion intéressante pour tous se prolonge ;
‑
quand survient un événement local notable (lancement d'un bateau par ex.) ;
‑
quand un travail enthousiasme les enfants ; ainsi à la fin du 1er
trimestre ils ont commencé à faire des marionnettes, puis ils ont mis
au point tout un programme de spectacles, ce qui nous a demandé plusieurs
jours ;
‑
il arrive aussi que l'intérêt pour une activité s'atténue. Quand les enfants
sont fatigués, ils ont la possibilité de se reposer. Il faut vouloir pour
eux, avec confiance et calme, dans les limites de ce qu'ils peuvent
2°. Par un ou plusieurs enfants
a)
Quand ils sont pris par une activité plus passionnante. Ainsi Dominique
demande de terminer sa maquette d'histoire pendant l'heure d'activités.
Michel : « Moi aussi ! » Yannick C., président
de jour : « Oui, deux ou trois, ça va ; mais pas plus,
sans cela on ne pourra jamais faire des jeux ! » Le groupe
donne son avis et donne son acceptation.
b)
Il arrive qu'au cours de la journée des enfants renoncent à un travail
pourtant prévu pour partager celui de leurs camarades. Exemples :
‑
La mise au point du texte libre. Il n'y a pas toujours unanimité pour
le travail collectif de mise au point. Cela dépend à la fois de l'intérêt
suscité par le texte choisi et du travail pour la mise au point. Ainsi
lorsqu'il s'agit d'être créateur, en proposant mots nouveaux et nouvelles
tournures, la participation peut être totale ; et les enfants abandonnent
un travail pourtant prévu (dessin, lecture silencieuse, etc.) pour se
joindre au travail collectif de mise au point.
‑
Une recherche mathématique. Cinq enfants ont décidé de participer à un
travail que je propose : rechercher les différentes manières de partager
un rectangle en deux parties égales ; ils y éprouvent tant d'intérêt
que tous les autres veulent y participer parce que c'est un travail d'invention
et de création.
‑
Lecture. Quatre enfants ont demandé à lire des textes tirés d'un livre
de lecture. Je propose des extraits du Roman de Renart ; alors six
autres, intéressés par l'histoire, réclament à leur tour de participer
à la lecture.
Il en sera de même pour d'autres activités : albums, travaux manuels,
jeux, etc.
CONCLUSION
Ainsi, au niveau de l'exécution du travail, l'organisation reste assez
souple pour répondre aux besoins et satisfaire la curiosité de tous. C'est
une question d'ambiance, variable suivant les circonstances, difficile
à décrire, mais essentielle.
Il m'arrive par exemple d'intervenir pour tempérer l'application
des décisions prises exigée parfois par Philippe F. Je cherche en toute
occasion à faciliter et à rendre possible un style de vie démocratique
qui garantisse au maximum la liberté de chacun.
3 ‑ DIFFERENTS TYPES D'INTERVENTION
DE L’EDUCATEUR
L'autogestion
d'une classe où le groupe a le pouvoir de décision et où chacun reste
maître souverain de son travail n'entraîne pas que le maître disparaisse
ou qu'il se taise. Je ne reviendrai pas ici sur les interventions de l'éducateur
dans l'élaboration du plan de travail quotidien et dans son exécution.
Mais je préciserai comment elles peuvent s'exercer à d'autres niveaux.
AU NIVEAU DES RELATIONS DANS LE GROUPE
L'apprentissage
de la vie communautaire ne se déroule pas sans heurts ni tensions. Faute
d'éléments assez équilibrés pour maintenir une certaine stabilité, je
dois moi-même faire face aux difficultés possibles. Tâche d'autant plus
malaisée que j'ai à tenir compte des milieux qui ont jusque là imprégné
l'enfant. La classe-atelier, par exemple, ne peut se concevoir dans le
silence et l'ordre d'une classe auditorium-scriptorium, car les échanges
y sont nombreux, les déplacements indispensables et le matériel abondant.
D'autre part, comme le milieu est permissif et que la plupart des enfants
sont confrontés à des problèmes affectifs mal ou non résolus, je puis
me trouver placé devant des cas d'agressivité.
1°. Attitudes de l'éducateur
a)
Quand l'action du groupe ou celle des responsables n'est
pas assez efficace, je fais au besoin preuve de fermeté. Je n'accepte
pas l'attitude de ceux qui pourraient détériorer le climat de la classe
ou empêcher le bon fonctionnement des activités. Je dois alors assurer,
en collaboration avec les enfants :
-
le respect du calme de la classe ‑ le respect d'autrui ‑ le
respect du matériel ‑ le respect du travail de chacun.
Ainsi
Yannick salit volontairement la blouse de Jean-Luc à l'aide du rouleau
d'imprimerie. « C'est pour s'amuser », affirme-t-il.
Je lui demande de nettoyer la blouse de son camarade. Il est inutile de
renchérir davantage en conseil de coopérative, ou de moraliser !
Philippe,
par ses propos grossiers et ses cris, trouble la discussion : je
le rejette du groupe.
Pierre
est arrivé de mauvaise humeur. Il insulte le responsable du jour et réplique
violemment quand je le prie de se taire. La classe est perturbée. Je le
rejette de la collectivité, provisoirement d'ailleurs, car je sais qu'il
s'agit d'une crise passagère ayant des causes extrascolaires. Je discute
avec lui ; j'essaie de comprendre les raisons de son opposition.
De toute manière, j'explique toujours aux enfants le pourquoi de mon intervention.
b)
Une attitude variable suivant les enfants. Elle
dépend du moment, des circonstances et des individus. Si je suis indulgent
pour Philippe, de santé fragile, je suis plus ferme à l'égard de Yannick,
qui traverse une crise d'opposition. Si j'évite de brusquer Jean-Luc et
Jean, trop craintifs, je stimule Hubert qui se laisse mener, et je freine
Alain, trop impulsif. Et si je suis sans inquiétude pour Régis quand il
sort librement de la classe, je porte une attention plus grande à Pierre
et à Daniel, car je les sais capables de faire naître des tensions.
2°. Aide morale
Ce
n'est ni par le prêche ni par la leçon mais par l'action que je m'efforce
de les amener à une collaboration communautaire. J'aide à terminer le
travail ou à ranger le matériel. J'essaie par l'exemple de faire
acquérir des habitudes d'ordre et de propreté, de donner le goût du travail
bien fait : cahier, album, peintures, etc., car ces notions ne sont
pas obligatoirement innées en chacun.
3°. Rôle aidant du groupe :
camarades et maître
a)
Je ne dois pas tant corriger que faire réussir et dépasser
ses erreurs. Ainsi Daniel exaspère le groupe lorsqu'il détériore le matériel
commun : il enlève les pointes de stylo-feutres, il manipule avec
peu de bonheur le transformateur et les prises, il fait sauter les plombs.
Jean-Yves se propose de l'aider en classe et de jouer avec lui sur la
cour. Pris en charge par son camarade, Daniel finit par s'intégrer peu
à peu au groupe, et Pierre commentant la situation, dit : « J'étais
avant comme Daniel, et c'est Michel qui m'a aidé; maintenant ça va ! »
Alain
subtilise l'argent dans la caisse du magasin des achats (atelier de calcul) :
1,95 F, qu'il utilise tranquillement pour acheter des pétards et des allumettes.
Le groupe décide de ne plus mettre d'argent vrai à l'atelier et demande
à Alain de rembourser ; mais celui-ci n'a pas osé demander cet argent
à ses parents et de mon côté je ne leur en ai pas parlé, Le lendemain,
Alain apporte des câbles de frein pour l'atelier électrique. Le groupe
le félicite. Rouge de plaisir : il dit : « Je les ai
trouvés dans une poubelle, j'en apporterai d'autres demain ».
Quelques
jours après, il prend 11 journaux et les vend : c'est lui qui en
vend le plus. Réflexion de Yannick : « Il travaille quand
même bien pour la coopérative, Alain ! » J'ai remis de l'argent
vrai dans la caisse du magasin des achats. Quand Alain m'a demandé s'il
pouvait travailler à l'atelier des monnaies, nous lui avons donné notre
accord. Geste d'humanité ! Alain est fier de la confiance du groupe.
Nous n'avons plus d'ennuis de sa part. Il est réhabilité !
Quand
le groupe apprend que Dominique vend son journal 2 F au lieu d'l, il réagit
violemment, d'autant plus que Dominique manque de franchise. Pourtant
j'essaie de dédramatiser l'incident, car j'apprends par sa mère qu'il
subit l'influence d'un adolescent de son quartier qui lui soutire de l'argent ;
il a par ailleurs subtilisé un billet de 100 F dans l'armoire de la maison.
Il semble cependant que Dominique a senti le préjudice causé au groupe.
Est-ce
là faire preuve d'un optimisme inconsidéré ? Makarenko, qui a travaillé
avec des enfants très difficiles, écrit : « Le pédagogue
doit aborder chaque être humain avec une hypothèse optimiste, au risque
même de se tromper ».
b)
Même lorsque le groupe prend en main l'organisation de
la vie et du travail, mon action se poursuit, patiente, persévérante,
par exemple afin de nuancer des décisions de groupe trop nettes ou cassantes
qui ne tiendraient pas assez compte de chaque individualité.
« Il
n'a pas rangé son casier, Jean-Luc ; il ne fera pas de sport ! »
propose Philippe F., approuvé par tous. Je demande :
« Avez-vous tous votre casier en ordre ? » Jean-Luc
n'est pas le seul à être désordonné, mais il suscite l'hostilité de quelques-uns
à cause d'une dispute dans la cour avant l'entrée en classe. Ainsi dois-je
tempérer l'application de certaines décisions ou l'autoritarisme de certains
responsables.
Je
reste toujours attentif au déroulement des activités coopératives. Je
cherche à atténuer les dissensions, et non à monter les incidents en épingle.
En aucun cas, certes, je ne me satisfais du laisser-faire et je combats
les disputes et les moqueries, mais je fais preuve d'indulgence et de
compréhension et laisse le plus possible le groupe en mesure de résoudre
ses propres problèmes.
AU NIVEAU DE L'ORGANISATION MATERIELLE
De
l'organisation rationnelle et minutieuse du travail dépend le bon fonctionnement
de l'institution, Si je n'ai jamais imposé une quelconque organisation
matérielle, je n'ai jamais laissé les enfants se débrouiller seuls mais
en collaboration.
Exemple
de l'installation de l'atelier-peinture : le 3 novembre, je présente
aux enfants des peintures réalisées les années précédentes et je les invite
à peindre. C'est ensemble que nous organisons l'atelier, que nous préparons
les teintes, que nous disposons les tables. Les enfants font des essais,
je les conseille, ils expérimentent.
Pour l'installation matérielle, les enfants ne disposent
pas d'une liberté illimitée. En fonction des différents usages possibles,
nous répartissons les tables en carré pour faciliter discussions et échanges.
Nous
faisons de même pour les différents ateliers, afin de permettre le libre
déplacement et éviter les bousculades. Nous rangeons l'outillage et le
matériel de manière qu'ils soient faciles à atteindre.
Petit
à petit le groupe prendra en charge cette organisation matérielle. Je
dois cependant penser à prévoir le matériel qui manque : il suffit
de peu de chose parfois (des pointes qui font défaut, un tube d'encre
d'imprimerie vide, un pot de peinture épuisé) pour tout perturber.
Les
enfants décident, par exemple, de faire une sortie-nature pour chercher
des têtards. Cependant, si toute la classe adhère avec joie à cette proposition
de Yannick, bien peu se préoccupent de l'organisation matérielle. Il faut
que je leur suggère de préparer épuisettes, boîtes, bocaux, aquarium.
Tout cela nous occupera une partie de la matinée, mais à 14 heures nous
pourrons partir bien équipés pour notre pêche.
AIDE TECHNIQUE
1°. Aide à la demande
C'est
là le cas le plus fréquent. Dans la classe, l'enfant aime se référer au
maître, il montre son travail, fait part de ses difficultés, demande mon
avis : « Il est beau mon dessin ? » « Vous
trouvez qu'elle est bien écrite, ma lettre ? » Je me borne
à encourager, à faire préciser ou approfondir suivant les cas.
2°. Une pédagogie de réussite
J'interviens
pour placer l'enfant en situation de réussite et éviter les échecs décourageants.
Quand
Pierre est en difficulté, il trouve une solution dans l'oisiveté, qui
engendre rapidement le désordre. Je lui redonne confiance en lui apportant
une aide assez discrète pour que le succès lui en revienne, Hubert est
lymphatique et se fatigue vite :il m'arrive de lui écrire quelques
lignes pour l'encourager à terminer sa lettre. Alain exécute rapidement
mais superficiellement son travail :il m'arrive alors d'ajouter ici
un trait, là une couleur sur la lettre qu'il illustre ; et le voilà
entraîné à persévérer. Michel éprouve beaucoup de difficultés dans les
exercices physiques : je l'aide amicalement à monter au portique.
Ce
rôle aidant (et différent d'un enfant à un autre) va ensuite se nuançant
au fur et à mesure que l'enfant évolue. Si je continue à aider sur le
plan technique, j'interviens de moins en moins au niveau de l'action elle-même,
car rien ne remplace, en cette matière, l'expérience personnelle.
3°. L'éducateur, participant actif au sein de la communauté
Plus encore que celui qui aide et soutient, il s'agit
avant tout d'être soi-même. Aussi je m'exprime librement comme les enfants,
je raconte ma promenade, j'écris à mon correspondant, je fais un exposé,
j'écris mon texte libre, je joue au foot, j'interroge les pêcheurs du
port. Sur la liste des participants de la classe, mon nom est inscrit
et je suis, comme tous, président de jour à mon tour.
4°. L'éducateur renouvelle les techniques
Quand
l'intérêt pour une activité faiblit, j'en propose d'autres. Ainsi certains
enfants qui abandonnaient la technique de l'album éprouvent de l'intérêt
pour celle des bandes, qui est comme la première une technique d'expression
écrite. Il s'agit de bandes dessinées, succession d'images expliquées
par des mots ou des phrases, ou bien d'histoires qui se déroulent comme
un film, avec textes et dessins. Dominique s'y lance avec ténacité.
Exemple de bande sur la mer :
1
La mer
2
Comme
elle est immense, la mer !
3
Et
dans la mer, il y en a, des poissons de toutes sortes, de toutes les
couleurs !
4
Il
y en a qui sont méchants : le requin !
5
Mais les pêcheurs les attrapent avec leurs grands et
larges filets.
6
Et quand ils reviennent au port ; ils en déchargent des
milliers.
7
Mais
il en faut des bateaux pour les attraper, à St-Nazaire, à Port-Vendres,
à Lorient !
8
Il
faudrait mettre l'océan à sec pour les prendre tous !
9
Moi,
j'aimerais aller les voir, sous la mer.
10
J'irais en bathyscaphe et je les verrais nager parmi
les algues.
Je renouvelle de même mes techniques artistiques, manuelles
ou sportives. Ainsi un après-midi, pendant que les enfants sont occupés,
je m'installe dans un coin de la classe pour exécuter une gravure sur
une feuille d'aluminium. Quelques-uns viennent auprès de moi, l'air intéressé,
et me demandent d'expérimenter à leur tour. Le lendemain, ils seront cinq
à vouloir travailler à ce nouvel atelier, dont Philippe devient responsable.
Ainsi le renouvellement des techniques est à l'origine de nouveaux efforts
et de progrès.
INTERVENTION AU NIVEAU D'UNE ACTIVITE:
L'EXPRESSION LIBRE ECRITE
Je
m'étendrai davantage sur ce chapitre. En effet, le choix du groupe ou
de l'enfant pour une activité est fonction de l'intérêt qu'il y trouve,
lequel est à son tour fonction de l'attitude de l'éducateur. Avant de
rejeter sur les autres les échecs inévitables, il doit se demander si
ce n'est pas lui qui en porte la responsabilité. Le maître ne peut pas
attendre que naissent spontanément les idées et les sentiments, mais il
lui appartient de susciter les moyens qui permettent leur expression.
Une pédagogie de liberté ne saurait être confondue avec l'inertie de l'esprit.
1°. Moyens favorisant l'expression libre
a)
La correspondance interscolaire, Les textes reçus de nos correspondants
de Port-Vendres, comme la critique qu'ils font des nôtres, encouragent
les enfants à écrire : « Nous avons aimé le texte de Philippe.
Il est amusant le texte de Jean-Luc... Le texte de Janick sur la pêche
nous a bien intéressés... »
b)
Lejournal scolaire, C'est à la demande de Pierre que le groupe
a décidé d'éditer un journal, après force discussions :
Michel : « Mais il faudra alors écrire davantage
de textes ! »
Yannick : « Chacun est libre d'écrire ! »
Janick :
« Oui, mais c'est surtout qu'on ne sait pas quoi raconter ! »
Moi :
« J'aiderai tous ceux qui le veulent : il faudrait que tout
le monde s'y mette pour avoir de jolis textes dans le journal ».
c)
Part du maître. Elle est prudente, certes, mais nécessaire, avec des
enfants conditionnés par leur milieu scolaire antérieur, par leur milieu
familial, par la télévision, et qui ne croient plus en eux. Il me faut
aller chercher de la vie là où apparemment tout est mort. Il me faut habituer
l'enfant à penser par lui-même, il me faut lui montrer que ce qu'il dit
ou écrit a un sens, - ce qu'il ignorait.
En
octobre, j'encourage Alain, Michel, Philippe, à élaborer leur texte, tout
en respectant la pensée de chacun. Je laisse tomber tout ce qui est purement
scolaire et paralysant, Je cherche à libérer leur pensée en la débarrassant
de tout souci de graphie correcte ou d'accords grammaticaux.
Le 7 novembre, cinq enfants n'ont pas encore écrit
de textes. Pour les encourager, je leur en lis quelques-uns, relevés dans
des journaux scolaires venus d'autres écoles. Neuf enfants se mettent
alors avec plaisir à rédiger. C'est le premier texte de Daniel, et c'est
pourtant le sien qui est choisi pour être imprimé dans le journal. Ce
choix aura une répercussion heureuse : Daniel, instable, querelleur,
grossier, rebelle à tout travail d'équipe, est admis par ses camarades,
du moins en partie ; et son texte les a tous étonnés
LA NEIGE
La neige brille sur les toits.
Qui chante à haute voix ?
Est-ce vous, belle dame,
Qui préparez des crêpes
Pour votre enfant ?
La neige brille sur les toits.
Mais
voici un cas d'inertie. Une sorte de peur paralyse Jean-Luc et l'inhibe
complètement. L'expression libre ne lui a pas été souvent permise, et
il ne sait que faire de la liberté qui lui est maintenant accordée ;
il se réfugie alors dans un travail purement mécanique : fiches de
calcul, copie de dessins. Je cherche à l'en sortir et je lui propose d'écrire
(avec mon aide) ce qu'il m'a raconté. Mais quand il paraît devant ses
camarades, le voilà paralysé. Il a écrit un petit paragraphe banal racontant
une promenade. Je ne manque pas cependant de le valoriser, et lorsque
l'un de ses textes sera choisi, Jean-Luc n'osera y croire ; je crois
que ce jour-là il aura compris que sa vie d'enfant a un sens, et qu'il
existe, qu'il EST.
Au
cours du 1er trimestre, les enfants ont généralement écrit
des textes sur des faits de la vie courante. Mais à partir de janvier,
je vais tenter d'ouvrir de nouvelles pistes, en m'efforçant de développer
leur sensibilité, de prêter attention à leurs manifestations sensorielles
et émotionnelles, de leur faire prendre conscience du beau sous toutes
ses formes, de les ouvrir à la vie.
Je
favorise la création poétique et l'expression du « moi » intérieur,
en lisant de temps en temps un poème, en faisant entendre des poésies
enregistrées au magnétophone lors d'émissions de radio, en proposant des
recueils poétiques où ils peuvent puiser largement. Mais je tolère parfaitement
que l'enfant ne nous confie pas toujours ses problèmes intérieurs.
Au
cours de l'année, je n'ai jamais cherché à imposer le texte libre. Je
propose et encourage, mais on n'écrit que si on le désire. Et pourtant
les histoires et les poèmes naissent, la vie jaillit dans les cœurs, au
fur et à mesure que se crée un climat d'amitié et de collaboration.
2°. Interventions au niveau
du choix du texte
Je constate que les enfants aiment lire leur texte
devant leurs camarades. C'est alors un moment privilégié, une sorte de
contrat affectif où la communauté se regroupe dès le matin. Le choix du
texte n'est pas une obligation, d'autant plus que dans la classe on prête
la même attention à tous les textes. Le problème du choix ne s'impose
que si le texte doit être publié
a)
J'interviens si c'est nécessaire pour élucider le
choix, pour m'opposer par exemple, à la publication dans le journal
d'un texte grossier d'Alain. Nous devons redresser certaines erreurs du
milieu familial : liberté n'est pas synonyme de mauvaise éducation.
b)
J'interviens pour valoriser un travail. Ainsi
un matin le texte choisi est de Jean-Yves : « Le chasseur
barbu » et il déchaîne le rire à cause de quelques mots vulgaires.
Il recueille 8 voix. Celui de Pierre (7 voix) est d'allure poétique :
« Les oiseaux ». Au sein du groupe, Jean-Yves est le beau parleur,
l'amuseur public qui exerce une certaine influence ; Pierre, querelleur,
bourru, n'a pas toujours l'audience générale. Jean-Yves, très adroit,
se met en valeur dans les activités manuelles ; Pierre, au contraire,
éprouve en cette matière des difficultés, et il abandonnerait rapidement
si je n'étais là pour le soutenir. Jean-Yves anime les discussions, intéresse
ses camarades par ses exposés, tandis que Pierre est effacé. Jean-Yves
atteint le niveau du cours moyen 1e année, tandis que Pierre
est à peine au niveau du C.E.2e année ; mais le texte
libre est pour lui un moyen de s'affirmer, tout comme, d'ailleurs, l'expression
artistique. Aussi j'interviens en faveur du texte de Pierre, tout en expliquant
mes raisons : « Jean-Yves peut écrire tout ce qu'il
veut et amuser ses camarades, mais je pense que nous ne pouvons pas publier
son texte dans le journal. »
Jean-Yves,
qui a par ailleurs bon caractère, accepte la remise en cause du vote ;
le contraire eût été difficile. Si mon intervention n'est pas aliénante
pour lui, par contre elle procure à Pierre une occasion de réussite. Jean-Yves
pourra réussir en d'autres activités au cours de la journée ; Pierre,
lui, est tout joyeux de voir son texte publié.
En
aucun cas mon intervention n'est autoritaire ; répétée, elle serait
un obstacle à la libre expression. Mais la tâche du pédagogue est, selon
l'expression de Makarenko, de « projeter toujours en avant le
meilleur de l'homme. »
3°. Intervention pour la
mise au point du texte choisi
a)
Aide technique
Il
s'agit pour moi, avant tout, de marcher dans le sillage de l'enfant, de
sentir avec lui ce qu'il a écrit. Je dois l'amener à exprimer en bon français
une pensée souvent confuse et maladroite, sans pour autant déformer la
naïveté de l'expression personnelle. Lors des premières mises au point,
j'évite tout ce qui est scolaire, afin de déconditionner le texte libre ;
puis progressivement, à partir de novembre, j'invite à e polir :
quelques touches, une petite explication grammaticale au besoin, par ci,
par là. Mais nous ne torturons pas la phrase pour n'en tirer que des acquisitions
de grammaire, de vocabulaire ou d'orthographe. Ce dernier travail se fera
par ailleurs, soit sur un texte d'enfant, soit sur un texte d'adulte,
ou encore individuellement, par bandes programmées.
b)
Respect de la pensée de l'enfant
J'interviens
pour éviter que le groupe (ou une partie du groupe) s'empare d'un texte
pour le modifier ou le dénaturer. Ainsi, après la rentrée de Noël, je
laisse aux enfants le soin de faire sans mon aide le travail de mise au
point, sous la responsabilité de Michel. Je constate que cette mise au
point du texte choisi (celui de Jean) dure plus d'une heure et que plus
de la moitié des enfants s'en désintéressent. Le texte original sera complètement
modifié, sans soulever d'ailleurs de protestation de la part de son auteur !
Les
enfants (comme les adultes !) ne se conduisent pas toujours en vrais
démocrates. Qui donc veillera au fonctionnement de la démocratie, sinon
le maître ? Aussi je conçois ici mon rôle comme celui d'un animateur
qui fait passer au premier plan le respect absolu de la pensée de l'enfant.
4°. Conclusion
J'aurais
pu conclure, au bout d'un mois, que ces enfants, déficients intellectuels,
étaient incapables d'invention ou de création. J'ai accepté cependant
de « perdre du temps » ! Mais loin de m'effacer,
je me suis engagé, car pour moi liberté d'expression et autogestion sont
intimement liées. S'exprimer librement, c'est dire, et en même temps
se dire, être écouté, compris. Il faut savoir s'écouter les uns les
autres, pour mieux se comprendre et s'entendre, afin de construire ensemble.
Si
j'ai apporté mon aide amicale pour l'élaboration du texte individuel,
son choix et sa mise au point, à tout moment cependant ce texte est resté
objet de la décision de l'enfant.
L’ENGAGEMENT DE L'EDUCATEUR ‑ SON ROLE D'ELUCIDATION
L'expression
libre orale ou écrite met les enfants en prise directe avec les réalités
sociales. Le rôle de l'éducateur n'est pas alors d'éluder les problèmes
qui les touchent de près. Exemple : la discussion du 18 mai :
Yannick C. ‑ Je suis allé pêcher des huîtres
à Villès,.
Moi - J'irai aussi à la pêche
dimanche.
Daniel –Ill y a la grève à Sud-Aviation, mon
père a couché à l'usine.
Hubert - Sur la route il y a des inscriptions CDR.
Janick - Mon voisin a dit qu'il allait être rappelé.
Yannick ‑ Il y a un
monsieur qui va venir à St-Nazaire ; il s'appelle Cohn-Bendit, il est
révolutionnaire.
Jean - Mon père aussi a couché à l'usine de Sud-Aviation.
Alain - Ils vont venir les CRS, il y aura de la bagarre.
Jean-Yves - Les chantiers vont se mettre aussi en
grève.
Jean-Luc - A Paris, les étudiants manifestent.
Pierre ‑ Qu'est-ce
que c'est un étudiant, M'sieur ?
Moi ‑ C'est un monsieur
qui fait des études pour devenir médecin, ou ingénieur, ou professeur.
Janick ‑ Il va y avoir
une grève générale.
Jean ‑ Ils font grève
à Sud-Aviation à Nantes.
Hubert - Les ouvriers vont
foutre le gouvernement en l'air,
Yannick - Les révolutionnaires veulent la démission
de De Gaulle.
Jean-Yves - Il est en Roumanie, le général,
Yannick ‑ Ils le regretteront,
le départ du général.
Philippe F. ‑ Tous
les soirs je vois passer les camions de CRS,.
Pierre ‑ Moi aussi.
Yannick C. ‑ A Paris,
ils se vengent sur les voitures, ils font des barricades.
Yannick ‑ C'est les
CRS qui se vengent.
Daniel ‑ Les ouvriers
ont enfermé les gardiens et le patron.
Michel ‑ Mais pourquoi
ils manifestent, les ouvriers et les étudiants ?
Daniel ‑ Mais vous,
Monsieur, vous ne faites pas grève ?
On
conçoit que le rôle de l'éducateur est bien difficile. Je ne puis rester
neutre, car il faut bien répondre aux questions posées ; il s'agit
de dialoguer authentiquement. Soucieux de ne pas endoctriner, j'apporte
les éléments qui permettront à chacun de découvrir sa propre vérité.
CONCLUSION
Une
conception de l'autogestion étendue à toutes les activités (projets et
organisation du travail, activités d'expression libre, discussions sur
les problèmes intéressant les enfants) ne signifie donc pas non-intervention
du maître. Si j'ai renoncé à imposer mes vues, MA vérité, je pense toutefois
que mon attitude tolérante, indulgente, optimiste, que ma totale disponibilité
conditionnent le climat de la classe. J'ai accepté que le groupe tâtonne
longtemps à la recherche de son style de travail et de vie, qu'il s'écarte
parfois des voies qui n'étaient pas celles que je préférais.
L'exemple du maître ‑ dimension souvent oubliée
‑ reste pour les enfants le signe d'une direction à prendre, et,
comme l'écrivait Jaurès, « On n'enseigne pas ce qu'on SAIT,
mais ce qu'on EST ».
4 ‑ CONTROLE ET BILAN
DU TRAVAIL REALISE
Je
n'attends pas de mon expérience une mutation rapide et spectaculaire.
Il faut compter avec les exigences du tâtonnement expérimental ; il faut
admettre certaines régressions de courte durée, certains échecs, certaines
impuissances. En tout cas, mon souci permanent a été d'assurer le meilleur
rendement psychique, physique, intellectuel, moral et social de l'être
tout entier, et non le rendement étroit ‑ et souvent illusoire à
mes yeux ‑ des acquisitions scolaires.
LE CONTROLE
Il
me paraît que toute technique de contrôle habituel ou déguisé (planning
de contrôle collectif) est incompatible avec le climat de confiance d'une
classe en autogestion. Toute idée d'émulation entre techniques traditionnelles
ou modernes risque de provoquer ou d'aggraver les oppositions, les rancœurs,
les jalousies. Toutefois, l'absence de contrôle habituel n'exclut pas
de ma part la parfaite connaissance et la mesure des efforts et des progrès
de chacun dans tous les domaines. Ma présence auprès des enfants me permet
en effet de suivre pas à pas les processus d’éducation et d'instruction
à travers leurs activités.
1°. L'auto‑contrôle
Il
se pratique au niveau du travail individualisé, par fiche ou par bandes
programmées, Mais certains enfants préfèrent réclamer le contrôle du maître.
2°. Le maître, référence dans la classe
Pour n'importe quelle forme d'activités, le maître reste
la référence. Les enfants s'adressent à moi en toute confiance. Dominique
me présente le brouillon de sa lettre : « Regardez tout ce
que j'ai écrit : est-ce que j'ai beaucoup de fautes ? » Pierre
me demande : « Vous me posez des divisions, pour voir si
je sais les faire ? » Aucune honte, aucune humiliation à
craindre !
3°. Le Conseil de travail
En conseil de travail, les enfants sont amenés progressivement
à confronter leur travail. Il s'agit là du constat d'une maîtrise remportée
dans les activités manuelles, artistiques ou intellectuelles. Ainsi Yannick
réalise devant ses camarades l'expérience du radiateur électrique. Philippe
est invité à expliquer sa belle carte de France découpée et pyrogravée,
où il a marqué les fleuves et les montagnes ; je lui demande de nous
montrer la Loire, le Rhône ; ses camarades lui posent des questions...
Ainsi, chaque soir se fait spontanément un bilan, parcellaire certes,
mais profondément humain du travail réalisé.
4°. Le contrôle coopératif
Les
enfants aiment faire la preuve de leurs compétences devant le groupe.
Ainsi Dominique est invité à dresser le bilan des comptes de la coopérative,
pour devenir trésorier-adjoint. Daniel veut montrer qu'il sait rendre
la monnaie sur 1 F. Hubert, Janick, Yannick C. tiennent à prouver qu'ils
savent lire l'heure. Pierre interpelle ses camarades : « Regardez,
les gars, je grimpe tout en haut de la corde ! »
Au
cours du second trimestre, tous les enfants décident de faire publiquement
la preuve de leurs compétences en calcul : Régis réussit toutes les
opérations, Jean-Yves toutes les multiplications, Philippe toutes les
additions et les soustractions... Ce contrôle coopératif se pratique dans
la journée, au cours des activités.
5°. Conclusion
Ainsi tout au long de l'année s'opère un contrôle permanent
des connaissances auquel collaborent maître et enfants. Mais il s'agit
désormais d'authentiques connaissances acquises de soi-même, par sa propre
volonté. Les enfants aiment cette façon démocratique de se faire valoir,
d'autant que le travail est chaque fois pour eux occasion de réussite
et de joie.
BILAN DES ACTIVITES REALISEES ‑ LES DIVERSES DISCIPLINES
Les
enfants arrivent progressivement à équilibrer les différentes activités
dans la journée. Cependant, certaines sont privilégiées. Je les classerai
suivant le temps qui leur est consacré.
1°. Les activités manuelles artistiques et physiques
Elles ont occupé 50 % du travail scolaire. Je ne m'attarderai
pas sur l'intérêt qu'elles présentent. Elles ne peuvent être examinées
à part ; elles ne sont pas arbitrairement séparées de la vie intellectuelle.
Outre qu'elles ont été source de joie, elles ont favorisé l'équilibre
physique et psychique qui conditionne le progrès intellectuel. Les ateliers
nombreux et variés ont permis l'expérimentation manuelle et également
intellectuelle. Ainsi les activités manuelles ont posé aux enfants des
problèmes de mesure et de construction. La vente des travaux réalisés,
l'achat du matériel indispensable ont eu le même résultat. Les dioramas,
maquettes, plans divers ont provoqué des discussions sur l'histoire, la
géographie, les sciences. Inversement, les travaux manuels ont aidé a
une meilleure compréhension des choses observées : par exemple, au
port, le fonctionnement d'une écluse ; puis en classe le fait d'en
construire une en miniature.
2°. L'expression orale
Elle
a occupé une place privilégiée (20 % du temps), tant il est vrai que la
communication est un besoin vital. Et si, en début d'année, la parole
a primé sur le langage écrit, les enfants sont arrivés d'eux-mêmes à équilibrer
les activités d'expression orale comme celles d'expression écrite.
Cela
a consisté d'abord en un simple bavardage, non dénué d'ailleurs d'intérêt
pour moi, car il m'a permis de mieux connaître chaque enfant, et son entourage.
Mais le monologue a conduit, grâce à l'aide facilitante du maître, à une
véritable communication dans le groupe. Il n'y a pas eu de sujets tabous ;
on a discuté de tout ce qu'on voulait : de leurs jeux autour de l'HLM,
de Zorro, des dimanches tristes ou gais, des joies et des peines, des
événements d'actualité.
Les
enfants ont su s'exprimer ‑ parfois avec émotion ‑ à propos
des problèmes des adultes : la paix, la faim dans le monde, la grève...
Si l'étude de la châtaigne ou de la pomme n'a rencontré que peu d'intérêt,
par contre ils se sont inquiétés de savoir comment s'est créée la terre
et ont suivi le vol des cosmonautes. Cette liberté d'expression, étendue
à tous les problèmes de vie et d'organisation du travail, a été motivée,
surtout en début d'année, par l'utilisation du magnétophone.
3°. Les activités mathématiques
Elles
ont pris environ 10 % de l'horaire. Deux jours par semaine en moyenne,
nous étions amenés à résoudre les problèmes posés par la vie quotidienne,
Certes ces problèmes ne passionnaient pas d'abord tout le monde ;
mais quand les enfants ont senti qu'il ne s'agissait pas d'un simulacre
de travail scolaire, ils ont participé au travail commun : problèmes
posés par la vie coopérative, la correspondance, les enquêtes, les travaux
manuels. Les mécanismes de calcul ont été travaillés individuellement
ou en groupe d'une manière très inégale : un jour sur deux en moyenne
pour les uns, et tous les jours pour certains. A la demande des enfants,
les autres jours nous faisions des constructions géométriques, nous nous
exercions au calcul mental, nous apprenions à écrire les nombres, nous
faisions de nombreuses manipulations qui les reposaient de l'automatisme
presque quotidien des fichiers ou des bandes programmées.
4°. L'expression écrite
a)
La correspondance (10 % de l'horaire). Dans la
classe, elle a motivé essentiellement l'expression écrite. Bien qu'elle
se soit déroulée à un rythme. libre, une fois par semaine, chaque enfant
a écrit à l'un de ses correspondants.
De plus, des lettres collectives ont été échangées
avec d'autres classes (Rézé, Couéron, Decazeville, Dahomey).
b)
Le texte libre. Il a été motivé essentiellement par le journal scolaire,
qui cependant n'a pas constitué dans la classe une activité privilégiée.
Nous avons publié dans l'année 4 journaux scolaires, contenant 38 textes
individuels mis au point par la classe (ou une partie de la classe), 8
textes collectifs (compte rendu d'enquête ou d'observation de la vie de
la classe).
5°. La lecture
Elle
trouve sa place motivée dans la communication d'un texte libre, d'une
lettre, d'un album des correspondants. Bien que la classe ait disposé
d'une abondante documentation (B.T., albums, Francs-Jeux, Amis-Coop, livres
de bibliothèque), la lecture individuelle n'a attiré qu'exceptionnellement
les amateurs. La lecture à haute voix de textes d'auteurs pris dans les
manuels a été pratiquée à la demande des enfants.
6°. Le vocabulaire, l'orthographe,
la grammaire, la conjugaison
Le
vocabulaire. Dans les textes, les lettres, les albums des correspondants,
se trouvaient des mots nouveaux qui furent d'autant mieux assimilés qu'ils
se situaient dans un contexte humain et affectif. De même, l'envoi de
nos textes et de nos lettres nous obligeait à préciser, pour nos correspondants,
le sens de certains mots.
L'orthographe,
Le travail d'orthographe s'est fait essentiellement grâce à la correspondance,
et progressivement par la correction individuelle du texte libre, à la
demande de tel ou tel enfant, et de la correction collective du texte
choisi. Pour faciliter la tâche, j'ai affiché sur un tableau de grandes
étiquettes portant les mots usuels pour les lettres
Saint-Nazaire, le
Cher Jean
Chère Lydia
nous avons reçu
je suis content
je te remercie
je t'envoie
je te serre la main
une jolie lettre
|
tes beaux dessins
je fais, tu fais
nous avons joué
nous avons fabriqué
nous sommes allés
as-tu
est-ce que
peux-tu |
J'invitais
les enfants à se référer à ce tableau. Progressivement ils découvraient
certains accords, par analyse :
nous avons joué
nous avons marché
|
nous sommes allés
nous sommes partis
|
Nous
enlevions certaines étiquettes quand le mot était acquis nous en ajoutions
de nouvelles. Ainsi petit à petit s'opère une sorte d'imprégnation de
l'orthographe. Les enfants ont pris ainsi l'habitude d'utiliser seulement
pour leurs lettres les mots dont ils ont conservé le meilleur souvenir
visuel.
La
dictée. Cette activité a été réclamée par les enfants, car elle n'a plus
pour eux son habituel caractère angoissant. Elle a été pratiquée surtout
au 1er trimestre une ou deux fois par semaine. Puis, dans la
mesure où la correspondance, sous forme de lettres individuelles, collectives,
ou d'albums, devenait régulière, elle n'est plus apparue comme nécessaire.
A partir de janvier, il nous arrivait parfois de combiner mise au point
du texte et dictée, ceci à la demande des enfants. Quand il s'agissait
d'un texte collectif (ou bien d'un texte individuel sans caractère affectif),
je dictais des phrases ou des groupes de mots.
La
grammaire, la conjugaison. Ces
disciplines ne suscitent guère d'intérêt. Mais le travail de correspondance
leur a fait comprendre que, pour écrire très correctement, il fallait
connaître beaucoup de mots, savoir les associer en respectant les règles.
C'est dans cette optique qu'ils ont pu décider d'un travail d'orthographe
grammaticale, le plus souvent collectif d'ailleurs. Des tableaux affichés
en classe portaient un certain nombre de règles simples auxquelles on
pouvait se référer
je
tu
il, elle, on
nous
vous
ils, elles
|
jamais de t
s
jamais de s
ons
ez
nt
|
7°. L'histoire, la géographie,
les sciences
a)
Les moyens audiovisuels. Les enfants ont suivi certaines émissions
de télé scolaire, notamment celles concernant le monde des animaux, la
vie des enfants, la pêche... De même, ils ont utilisé la documentation
de la classe, en diapositives, en BT sonores (documents sonores, illustrés
de diacouleurs). Temps consacré : environ une demi-heure par semaine.
b)
La correspondance. Elle a révélé
aux enfants un autre milieu et leur a fait découvrir le leur. L'information
ainsi acquise ne s'est pas faite sur le plan documentaire habituel, enquêtes
notamment : elle était imprégnée d'affectivité et touchait au plus profond
de l'être. Ils ont pu ainsi, par l'échange de lettres, de textes, d'albums,
de colis, pénétrer dans le paysage et le mode de vie de leurs correspondants
de Port-Vendres. lis connaissent les figues de Barbarie, les tourons aux
noisettes et aux amandes, le chêne-vert, la pêche au lamparo, les asperges
sauvages...
c)
L'observation, Les graines que l'on a vu germer en classe, les objets
ou animaux apportés, les actualités sur les fusées, sur les volcans...
ont été autant d'occasions d'observer et de questionner. La classe-exploration,
pratiquée en moyenne une après-midi par semaine, a donné lieu à une mine
de remarques : on observait les travailleurs, pêcheurs ou ouvriers,
on les questionnait ; on était attentif au fonctionnement des machines,
des chantiers, des grues, des écluses ; on était sensible aux impressions
visuelles et auditives... J'habituais à observer les champignons découverts
en automne ; à écouter, au printemps, un pépiement d'oiseau... L'acquisition
par les sens venait compenser d'une certaine façon l'inertie de l'intellect.
« Il ne suffit pas de lire que le sable des plages est doux, je
veux que mes pieds nus le sentent. Toute connaissance que n'a précédé
une sensation m'est inutile » (A. Gide).
d)
L'expérimentation, Un répertoire d'expériences physiques et chimiques
était affiché en classe, et on pouvait s'y référer pour établir le plan
de travail. L'atelier d'électricité a eu surtout la faveur des enfants,
et ils ont pu ainsi réaliser de nombreuses expériences : montage
de lampes, fabrication de sonnette électrique, de chauffe-eau, de radiateur
électrique.
EVOLUTION DES ENFANTS ‑
QUELQUES CAS
Je
me soucie ici encore moins de progrès scolaires contrôlés que des améliorations
du comportement, des progrès vers une plus grande autonomie, se traduisant
en initiatives et décisions, en travaux spontanés réalisés individuellement
ou en groupe. J'évoquerai quelques cas significatifs :
YANNICK
C.
Il
a exercé dès le départ une forte influence sur le groupe, grâce à sa grande
facilité d'élocution. Il a animé les discussions, menant des débats qui
au bout d'une heure ne groupaient plus que trois ou quatre participants.
Apathique à tout travail qui nécessiterait un effort intellectuel et qui
lui rappellerait son passé scolaire, son intérêt ne s'éveille que pour
les activités manuelles et sportives. L'utilisation des techniques motivées
(la coopérative, la correspondance, le calcul vivant) l'ont conduit vers
le travail intellectuel. Cependant, si ces activités l'ont intéressé,
le passage aux activités plus scolaires (mécanismes de calcul notamment)
est resté difficile jusqu'au début du 3e trimestre.
Ce
passage fut facilité par l'aide du groupe. C'est ainsi qu'il accepta d'écrire
davantage de textes, à la demande de son camarade Régis, responsable du
journal scolaire. De mon côté, je fus tolérant à l'égard de son travail
scolaire, quoique l'estimant insuffisant. Mais ce n'est pas une intervention
extérieure qui l'a dirigé vers ce travail ; la décision n'est venue
que de lui.
Un
matin, Yannick nous montra une rose des sables rapportée par son père
du Sahara. Spontanément, il proposa de faire un exposé sur le Sahara.
Le jour venu, il projette et commente des diapositives prises par son
père, et le voilà qui gagne de ce fait beaucoup de prestige. Il a désormais
plus d'ardeur pour surmonter ses difficultés, dont il a d'ailleurs conscience :
« Il n'y a qu'en orthographe que je suis mauvais ! »
affirme-t-il ; mais il accepte cependant les courts exercices
que nous faisons collectivement, il fournit un réel effort pour écrire
sa lettre avec le minimum de fautes.
Ainsi, après s'être attardé aux activités qui répondaient
davantage à son besoin d'agir, d'expérimenter manuellement, de parler ;
après avoir adhéré aux activités vivantes et motivées de la classe, il
accède enfin au travail vrai. J'aurais pu certes accélérer son cheminement,
mais je pense que toute intervention brusquée de ma part aurait pu contribuer
à le déséquilibrer davantage.
JEAN-LUC
Une
pédagogie étriquée l'a maintenu trop longtemps au niveau du dressage.
La famille, hélas, a encore aggravé son inertie mentale. Habitué à imiter,
ignorant toute espèce d'initiative, il ne participe guère, au cours du
1er trimestre, à l'élaboration du plan de travail quotidien.
Recroquevillé
sur lui-même, éteint par un système scolaire qui a tué en lui toute lueur
d'espérance, il reprend confiance en lui le jour où il réussit une peinture.
Cependant
on ne redresse pas vite le conditionnement de plusieurs années. Au 2e
trimestre, Jean-Luc ne sait que faire de la liberté de choix qui lui est
accordée. Il se réfugie dans des tâches purement mécaniques : fiches
autocorrectives de calcul et de grammaire, copie de textes ou de dessins.
C'est la correspondance qui l'aidera à s'en évader, ainsi que l'aide du
groupe, le travail en commun, qui sont pour lui un stimulant.
En
fait, le succès scolaire n'est que très limité. Jean-Luc s'accroche à
l'imprimerie ; les nombreuses manipulations l'aident à progresser
dans tout ce qui constitue le calcul pratique : monnaie, mesure,
poids, temps. Cependant Jean-Luc devient de plus en plus autonome et indépendant.
S'il ne joue qu'un rôle minime pour l'organisation du travail, il assume
correctement sa responsabilité au sein de la coopérative ; il tient
ses affaires en ordre et aide souvent à ranger la classe. Il devient plus
sûr de lui ; il n'est plus à la remorque d'un camarade pour les activités
qu'il veut réaliser.
REGIS
Passif
au départ, il subit l'influence de Jean-Yves et de Yannick C. (qui orientent
l'opinion du groupe). Cependant il devient rapidement l'élément le plus
actif de la classe. Il exerce une influence (à mon sens salutaire) par
son calme, son esprit d'initiative, sa facilité de relations, son âge.
Il frappe ses camarades par le sérieux qu'il apporte à son travail, le
souci qu'il a de le bien faire, l'énergie qu'il y emploie.
Régis
intervient au niveau des conseils et des projets de travail.
Il
est à l'origine d'une organisation plus structurée des activités ;
il fait preuve de maturité quand il s'agit de prendre des décisions. Bien
que la nécessité d'un président de coopérative n'ait jamais été ressentie
par les enfants, il apparaît comme une sorte de leader non-directif.
« Il travaille
bien, Régis, pour son plaisir ! » s'écrie un jour Philippe
en conseil de travail. Ses élans gentils et généreux ont prévalu sur les
tendances autoritaires et égoïstes de quelques-uns. Ceux qui voulaient
jouer aux leaders se sont peu à peu rangés dans le sillage d'un ami tranquille
et coopérant. Régis, responsable du journal scolaire et de l'activité
lecture, joue maintenant un grand rôle : il est capable de programmer
une journée de travail, d'équilibrer les activités, de les exécuter. Il
se réfère au planning des acquisitions affiché en classe et il me demande
du travail purement scolaire (où ses progrès sont supérieurs à ceux de
ses camarades). Bref, avec son accord, en fin d'année je décide de le
placer dans la classe de fin d'études.
MICHEL
La
transformation opérée à tous les plans chez Michel est plus remarquable
encore, car son milieu familial est sain et équilibré. Ses parents, en
cours d'année, manifestent qu'ils sont d'accord avec le sens de notre
travail, et ils soutiennent son effort.
DANIEL
Au
cours de l'année, il a négligé les acquisitions scolaires. « Je
suis libre de faire ce que je veux ! » prétend-il. Seuls
les ateliers de travaux manuels l'intéressent. Mais quand ses mains sont
occupées, l'enfant se calme et se concentre ; son travail réussi
lui procure satisfaction. Il piétine longtemps dans cette satisfaction
matérielle, mais progressivement, avec l'aide du groupe tout entier, il
prend conscience du milieu où il évolue, des relations avec les camarades,
des impératifs d'une vie collective. S'il reste l'élément marginal du
groupe (et peu constructif), il s'intègre néanmoins peu à peu dans la
communauté ; il donne son avis, accepte les décisions. Son milieu
familial fruste ne contribue pas cependant à aplanir toutes les difficultés
de l'enfant.
CONCLUSION
Certes, tous les enfants n'ont pas atteint le même degré
de maturité psychologique, psychique, intellectuelle et morale. Trop de
facteurs interviennent pour accélérer (ou au contraire freiner) leur évolution :
le passé scolaire, la situation familiale, l'âge mental, les phénomènes
de croissance : alimentation, hygiène, fatigabilité.
CONCLUSION
1°. LE TRAVAIL NE PEUT
VENIR QUE DU GROUPE ET DE L'ENFANT
Chaque
être est unique, complexe, irremplaçable. C'est de ses besoins essentiels,
en fonction de la société à laquelle il appartient, que découle toute
ma pédagogie. A mon sens, l'expérience décrite dans ce document tend à
prouver qu'avant tout travail scolaire d'acquisitions, il est nécessaire
que le groupe fasse ses expériences, et que le maître réponde aux besoins
élémentaires et naturels de l'enfant.
Pour
qu'un travail quelconque soit réalisé, il me paraît essentiel que la parole
s'installe d'abord dans le groupe. L'enfant doit pouvoir ensuite expérimenter,
aussi longtemps qu'il le désire, les activités manuelles, artistiques
et physiques vers lesquelles il se tourne spontanément quand on le laisse
libre de les choisir.
Le
rôle du pédagogue n'est donc pas de brûler les étapes, mais de permettre
à l'enfant de faire ses expériences tâtonnées et, partant de ces activités
de base, de l'accompagner dans son cheminement vers la conquête du savoir.
L'éducateur doit deviner les besoins, les intérêts, le rythme de travail
de l'enfant.
Ce
travail librement choisi et décidé, pris en charge par le groupe ou l'individu,
se réalise dans un climat de coopération et de collaboration entre les
enfants eux-mêmes, entre le groupe et l'éducateur.
2°. L'ENFANT NE TRAVAILLÉ RÉELLEMENT QUE LORSQU'IL A L'INITIATIVE
DE SES ACTIVITÉS
Ce
qui compte en définitive, ce n'est pas tant le fait que certaines activités
aient occupé une place privilégiée dans la classe. On ne peut, en effet,
les hiérarchiser : quelques-unes se juxtaposent, s'interpénètrent ;
quelques-unes sont complexes et fournissent l'occasion d'un travail littéraire
ou scientifique, manuel ou mental, oral ou graphique.
La
moindre réussite dans une activité peut mettre l'enfant en disposition
pour d'autres, susciter son énergie et augmenter son rendement, qu'il
s'agisse de peinture, d'expériences, d'exposés. Elle peut être souvent
l'origine d'efforts et de progrès en chaîne en diverses matières.
Aussi
ne faut-il pas s'inquiéter lorsque le groupe ou l'enfant néglige certaines
activités intellectuelles au détriment d'activités manuelles ou d'expression
orale qui sont parfaitement capables de l'orienter vers le travail vrai.
Toute activité peut être constructive et culturelle si elle répond à ses
besoins et l'épanouit dans le succès.
D'autre
part, ce n'est pas tant la durée d'une activité qui compte, ni la quantité
de travail effectif fourni, que l'énergie intérieure, la concentration
que procure un travail librement décidé. Un travail limité, de courte
durée, exécuté à la demande de l'enfant, est aussi profitable et efficace
que des heures consacrées à des acquisitions scolaires dont il ne ressent
pas le besoin. La méthode utilisée importe peu ; seule compte son adhésion.
3°.
CONSTATATIONS PSYCHO‑PEDAGOGIQUES A PROPOS DES ENFANTS
En
fait, on juge trop souvent les enfants des classes de perfectionnement
inférieurs à ce qu'ils sont. La vérité est qu'ils ont été abîmés par le
manque de confiance des adultes et l'absence d'une pédagogie de libération
appropriée. S'il n'existe pas de miracles du point de vue des normes habituelles
de l'école, les enfants qui sont placés dans des sentiers qui sont les
leurs redeviennent actifs, curieux et capables d'invention. Ils arrivent
à penser par eux-mêmes, ils deviennent, responsables de leurs propres
moyens de vivre, ils se situent par rapport aux autres.
Cette
maturité psychique, psychologique, intellectuelle, sociale et morale ne
peut être le simple épanouissement d'un élan naturel. Elle est le produit
d'une éducation basée sur l'autogestion. J'estime que les structures mentales
de certains enfants apparaissent, dans les discussions concernant l'organisation
de la classe ou tout autre problème, au moins égales à celles d'enfants
de même âge et de quotient intellectuel normal.
La
passivité, le manque d'esprit d'initiative, l'absence du sens des responsabilités
sont le produit de systèmes autoritaires, de procédés de conditionnement.
Un système éducatif basé sur l'autogestion offre par contre toutes les
possibilités d'une réelle transformation.
4°. L'AUTOGESTION PEDAGOGIQUE N'EST PAS UNE UTOPIE
Six heures de classe face à certains milieux déficients,
cela semble peu. Mais dans la mesure où j'ai toujours eu des contacts
réguliers avec les parents, je constate que le climat de la classe a des
répercussions sur le climat familial et que la plupart des parents finissent
par adopter à l'égard de leurs enfants une attitude plus libérale et plus
compréhensive. L'école reste (à mon avis) de tous les milieux, l'endroit
privilégié de toute véritable éducation.
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