2ème PARTIE CLASSE DE PERFECTIONNEMENT De Jean LE GAL Ecole de Ragon à Rezé (44) |
INTRODUCTION
1.LES CONDITIONS DE L'EXPÉRIENCE ACTUELLE
INTRODUCTIONAider à la naissance d'un homme qui saura lutter pour une société dont la liberté, la justice, la fraternité et le travail désaliéné seront les fondements, une société d'où aura été bannie l'exploitation de l'homme par l'homme : tel est le but que FREINET, dès l'origine de son action, offrait aux éducateurs populaires s'engageant à ses côtés. Aujourd'hui, dans un monde en mutation où la misère et
la guerre continuent d'exercer leurs ravages, alors que l'homme réalise
son rêve ancestral de conquérir la Lune et le ciel, il est plus que jamais
nécessaire que l'enfant soit préparé : Nous savons que cet enfant, qui vit avec nous seulement six heures par jour, est le produit d'une société qui ignore ou combat les valeurs qui sont les nôtres. Nous savons que notre action va à contre-courant et que
ses résultats sont sans cesse remis en cause; mais nous continuons à lutter
pour une organisation scolaire qui permette à l'enfant : Depuis plusieurs années nous cherchons, les enfants et moi, cette organisation coopérative, humaine, libératrice et enrichissante, et chaque année elle est différente de la précédente, car les données de cette recherche que sont les enfants, le maître, le milieu scolaire, le milieu familial, le milieu social, évoluent elles aussi. Nous ne prétendons pas aujourd'hui avoir répondu à tous les problèmes qui se posent tant au niveau des relations humaines qu'à celui des institutions. C'est pourquoi ce bilan ne peut être qu'un moment de réflexion, de retour sur soi, pour reprendre avec plus de lucidité la marche en avant, marche qui d'ailleurs ne devra jamais s'arrêter, sous peine de tomber dans le dogmatisme et la sclérose. L'EXPERIENCE ACTUELLE Il est impossible de comprendre l'expérience actuelle si l'on ne possède quelques éléments qui la situent dans l'espace et dans le temps et la conditionnent : -
le milieu social LE MILIEU SOCIALLe quartier de Ragon est demeuré agricole, dans une ville-dortoir en pleine expansion démographique, et il est connu pour ses campements de gitans sédentaires ou nomades, et ses baraques où s'entassent les parents avec leurs nombreux enfants, dans une promiscuité peu propice à des relations affectives sécurisantes. Les enfants de ma classe sont issus de familles de travailleurs, et quelques-uns d'un sous-prolétariat vivant dans des conditions matérielles précaires. J'entretiens en général de bonnes relations avec les parents. LE MILIEU SCOLAIRE 1. L'ECOLE Le groupe scolaire comprend une école de filles de 9 classes (5 primaires, 2 enfantines, 2 cdp) et une école de garçons de 6 classes (5 primaires, 1 cdp). Jusqu'à cette année, aucune classe ne pratiquait une pédagogie se rapprochant de la nôtre, mais le changement de directeur et le vent de rénovation qui souffle sur l'école française ont modifié le climat et les institutions : -Toutes les classes sont mixtes, ce qui permet aux filles et aux garçons de notre coopérative de ne plus être séparés, comme ils devaient le faire antérieurement, au moment des récréations. - Plusieurs collègues pratiquent l'étude du milieu. Une sortie collective à Nantes est prévue, qui groupera 4 classes, dont la nôtre ; les enfants seront répartis en 3 groupes hétérogènes. - Chaque classe a sa coopérative et une fête est prévue pour Noël. - Le CM2 se lance dans la correspondance. Nous lui avons prêté des lettres et un album, pour que nos camarades voient les possibilités qui leur sont offertes, et ils nous ont présenté leur étude sur Rezé. - Chaque lundi et mercredi après-midi, de 15h15 à 16h45, des ateliers sont organisés, chaque maître ayant opté pour une spécialité, et les enfants se répartissent librement. Je reçois, pour ma part, ceux qui veulent dessiner et peindre. Mes enfants sont très heureux d'offrir leur local et leurs outils, et d'aller travailler eux-mêmes avec d'autres maîtres et d'autres enfants. Cette mutation de l'école influe favorablement sur le climat de notre propre collectivité et nous a amenés à modifier notre plan de travail hebdomadaire.
LES ENFANTS Les enfants sont entrés dans la classe pour déficience intellectuelle. Ils savent tous lire. La plupart viennent de la classe de perfectionnement (niveau initiation) de l'école des filles, où ils se sont initiés à plusieurs techniques que nous utilisons. GROUPE 1 (niveau scolaire : CE‑CM) (Pour chaque élève, sont indiqués successivement : le prénom ‑ l'âge l'ancienneté dans la classe ‑ la provenance ‑ les observations). Jacky : 14 ans – 3e
année ‑ cdp initiation Alain : 13 ans – 2e année ‑ cdp initiation Patrick : 14 ans – 2e année ‑ cdp
initiation Marcel : 14 ans – 2e année ‑ CM1 GROUPE 2 (niveau : CE‑CM) Jeannick : 13 ans 2 mois – 2e année ‑
fin d'études Jeannette : 11 ans 5 mois – 2e année ‑
cdp initiation Josée : 13 ans 5 mois – 2e année
‑ CE2 Violette : 12 ans 2 mois – 2e année
‑ cdp initiation GROUPE 3 (niveau : CP‑CE1) Fabien : 12 ans – 2e année ‑ CP Monique : 10 ans 7 mois – 1re année ‑
cdp initiation Andrée : 11 ans, 10 mois – 1re année ‑
cdp initiation Marina : 10 ans 4 mois – 1re année ‑
cdp initiation GROUPE 4 (niveau CP‑CE1) Catherine : 11 ans 4 mois – 1re année ‑
cdp initiation Jacky
P. : 12 ans 6 mois – 2e année ‑ cdp initiation Christian
: 14 ans – 2e année ‑ cdp initiation LE MAITREQuelle que soit son attitude, le maître demeure l'élément fondamental du groupe-classe. C'est lui qui conditionne l'évolution du groupe par ce qu'il EST dans ses relations avec lui-même et avec les enfants. L'important est qu'il soit à l'écoute des autres, afin de saisir leurs motivations profondes, de comprendre leur comportement, de répondre à leur demande ou à leur attente, et aussi afin de toujours demeurer en mouvement. Il lui est cependant indispensable de bien se connaître, et pour cela de se poser la question : « Qui suis-je ici et maintenant dans ma classe ? » et de solliciter dans ce but l'analyse critique de ceux qui le regardent vivre. A cette question puis-je répondre avec objectivité ? Je me sens un éducateur engagé qui a choisi de lutter, dans sa classe et dans la société, pour des valeurs auxquelles il est fermement attaché : Paix ‑ Justice sociale ‑ Liberté d'expression ‑ Droits de l'homme et de l'enfant ‑ Droit de chacun à participer à la gestion de sa vie et à celle du groupe auquel il appartient (autogestion) ‑ Amitié entre les hommes. Ce faisant, je me sens pleinement en accord avec la Charte des Droits de l'Enfant, adoptée le 20 novembre 1959 par l'Assemblée Générale des Nations Unies, à l'unanimité de ses 78 pays membres. Charte qu'aucun éducateur ne peut se permettre d'ignorer, encore moins de ne pas respecter : Principe 10. – « L'enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse, et à toute autre forme de discrimination. « Il doit être élevé dans un esprit de compréhension, de tolérance, d'amitié entre les peuples, de paix et de fraternité universelle, et dans le sentiment qu'il lui appartient de consacrer son énergie et ses talents au service de ses semblables. » Je fais miens ces vers de Dorothy ROIGT (Ride with the Sun), extraits de la plaquette que l'UNICEF vous enverra gracieusement : « L'UNICEF et les Droits de l'Enfant » LA CHARTE DES ENFANTS La paix viendra sur terre ; mais pas avant Dans la classe, je me veux AUTHENTIQUE, car « il n'y a de dialogue possible qu'entre gens qui sont ce qu'ils sont et qui parlent vrai » (A. CAMUS). Je me refuse à être un enseignant neutre, qui s'abstient de mettre en discussion les sujets-tabous ou qui évite d'y participer (cf. Educateur n°1, sept.-oct. 68 : « Laïcité et Engagement de l'Educateur »). Notre groupe a débattu des problèmes graves de la vie, à la suite de textes libres ou de questions posées à propos d'articles de journaux ou d'émissions de télévision : - Comment viennent les
enfants ? J'ai participé à ces débats, j'ai dialogué d'une manière authentique, en respectant les opinions de chacun, et je me suis vu contesté, car la parole du maître n'est plus synonyme de vérité à croire inconditionnellement. Ainsi je me veux fidèle à la riche voie d'humanisme que nous traçait Jean ROSTAND : Former
les esprits sans les conformer, Plus qu'enseignant, je suis UN HOMME qui vit avec les enfants. Comme chacun d'eux je m'exprime librement par l'expression orale, écrite, graphique, picturale, gestuelle et je suis VRAI dans mes réactions: Si je suis heureux, je vis et j'exprime ma joie. Si je suis mécontent, je vis et j'exprime mon mécontentement. Mais que suis-je dans mes relations avec les enfants ? Je me veux permissif, libérateur, amical, membre participant de la collectivité, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les enfants. Mais suis-je véritablement ce maître que je voudrais être ? Seule une analyse objective de la vie de la classe, faite par un observateur, pourrait répondre à cette question. Voici donc quelques images renvoyées par des stagiaires qui ont vécu avec nous ; elles ont la valeur de flashes qui fixent un moment dans un processus en constante mouvance : Le maître est quelqu'un qui fait prendre conscience au groupe de ses intérêts, qui essaie de les harmoniser pour permettre à chacun de s'exprimer, d'apprendre, et pour faciliter les relations à l'intérieur du groupe, Nous nous sommes trouvés en face de la non-directivité promue au rang d'institution éducative... (2 étudiants en psychologie, janvier 1968). Il me semble que vous vous efforcez d'être un membre du groupe, à part entière et au même titre que les enfants. Vous demandez la parole comme eux. Vous ne profitez pas de votre position de maître pour inculquer quelque chose... N'êtes-vous pas pour eux malgré tout une figure de l'autorité ? (Etudiant en psychologie, janvier 1968). Il m'est apparu ici que le maître vivait vraiment l'activité et même vivait vraiment tout simplement Il utilisait les techniques d'expression libre institutionnalisées pour son propre compte... Dans ses relations avec les enfants, il établit une simple relation, je dirai d'homme à homme. Il ne joue aucunement sur l'affectivité et place les enfants face à leurs responsabilités. (Normalienne, mai 1969). Le maître en lui-même : il montre aussi bien son plaisir que son mécontentement. Il est très sûr de lui. Il en impose. Il essaie de ne pas s'imposer en tant que « le maître ». Il respecte les enfants en tant qu'individus, Le maître et les enfants forment un groupe dans lequel le maître essaie le plus possible d'avoir la même place que les élèves. C'est difficile : les enfants ont de la peine à le considérer comme leur égal. Ils semblent le craindre, mais ils ont une grande confiance en lui qui leur permet de s'exprimer librement, Il n'existe aucune gêne dans le groupe. Les enfants se disent ce qu'ils ont à se dire sans provoquer de rancunes, Le climat est très cordial, très amical, malgré quelques petits heurts. C'est un climat de confiance, (Deux normaliennes, novembre 1969). Mais peut-être sera-t-il possible de cerner avec plus de précision l'image du maître et ses relations avec les enfants, dans l'analyse que représente le bref historique d'une expérience qui, partie de la coopérative, tend aujourd'hui à déboucher sur l'autogestion. Cette analyse permettra aussi de mieux connaître ce qu'était le groupe actuel lors de son démarrage le lundi 8 septembre 1959. HISTORIQUE DE L'EXPÉRIENCESEPTEMBRE 1959. A la suite du choc affectif que j'ai subi en visitant l'école Freinet à Vence, pendant les vacances, je me lance avec résolution dans une pédagogie qui m'est totalement inconnue. J'ai acheté, pour m'y aider, deux ouvrages de Freinet : « Les Dits de Mathieu » et « Les Méthodes Naturelles dans la Pédagogie Moderne ». Fini l'auditorium-criptorium où l'on reste assis toute la journée finies les punitions, finis les classements ;place à la démocratie ! J'apprends alors, à mes dépens, que des enfants habitués à obéir ne peuvent user subitement et avec discernement de la liberté, et je médite les conseils de Freinet aux débutants : « Ne commettez pas l'erreur d'accorder sentimentalement trop vite et trop brusquement, la liberté à vos élèves. « Non seulement parce qu'ils n'y sont pas habitués et risquent fort, en conséquence, d'en faire un mauvais usage, mais parce qu'il faut surtout éviter de considérer la liberté comme une sorte d'entité intellectuelle. Or cette liberté n'existe que dans les livres, On est libre de faire quelque chose ou de ne pas le faire. « C'est dans le travail et la vie que l'enfant doit sentir et posséder la liberté… La liberté ne sera pas au début. Elle sera l'aboutissement de la nouvelle organisation du travail. » Ayant pris conscience de la difficulté de la mutation que je demande aux enfants de réaliser, j'essaie d'organiser rationnellement avec eux la mise en place d'un travail vivant et motivé. Je m'attache en particulier aux conditions matérielles et aux règles de la vie en commun. Dans des discussions libres, nous abordons tous les problèmes qui se présentent à nous. Je leur propose d'écrire librement ce qu'ils voient, entendent, pensent, rêvent, et de présenter ces textes à leurs camarades, qui en choisiront un pour être tiré dans le journal. Je les mets en contact avec d'autres enfants par la correspondance interscolaire. Une à une, les techniques Freinet pénètrent dans la classe, au fil de ma propre information. Au 2e trimestre, après la correspondance, viennent successivement : les fichiers, qui les libèrent de ma tutelle ; le calcul vivant et les ateliers d'expression, qui nous conduisent au travail par équipes. Nous voici placés devant la nécessité d'organiser la classe sur une base coopérative, avec répartition des responsabilités. Chaque samedi après-midi, une assemblée générale étudie les succès, les échecs, les heurts. Peu à peu les critiques constructives apparaissent et notre loi s'élabore. A la fin de l'année, nous avons un code de coopérative, que vont respecter ces 35 enfants de Cours Elémentaire 1re année, pour qui la règle a encore un caractère sacré. Article 1 ‑ CHACUN APPORTE SA PART A L'CEUVRE COMMUNE ‑
textes libres ; Article 2 ‑ CHACUN RESPECTE LES TRAVAUX DES AUTRES ET LES OUTILS COLLECTIFS Article 3 ‑ CHACUN DOIT RESPECTER LES REGLES ETABLIES PAR TOUS: -
3 en circulation dans les allées au maximum ; Article 4 ‑ LES DROITS Chacun pourra participer à toutes les activités de la
coopérative : * De cette première expérience je tire un bilan positif, tant sur le plan des acquisitions scolaires figurant à notre programme, que sur celui des relations humaines au sein de la classe, et je décide de recommencer l'année suivante avec d'autres enfants, car l'organisation de l'école ne me permet de garder les mêmes qu'une seule année. Je prends conscience des difficultés de ma propre mutation. J'ai du mal à respecter les règles de la coopérative, et en particulier la discipline de parole. Je me rends compte que le maître doit être : - un HOMME accueillant, compréhensif, à l'écoute des enfants - un TECHNICIEN capable d'apporter un conseil pour toutes les activités et sans cesse désireux de posséder parfaitement les techniques à utiliser ; - un ORGANISATEUR sachant aider à la mise en place de nouvelles structures, harmoniser travaux collectifs et travaux individuels, et ne pas se disperser dans une coopérative aux multiples activités. En 1960, je découvre Makarenko, et je propose aux enfants d'instituer un président de jour qui remplacera le président de coopérative élu pour une certaine durée. Cette institution, qui permet à chacun d'être responsable à son tour, est adoptée par tous avec plaisir. Elle fait disparaître les heurts nés du refus de suivre les directives d'un président de coopérative qui tend parfois à devenir un chef plus autoritaire que l'ancien maître. Durant cinq années de cours élémentaire 1re ou 2e année, je n'assiste jamais à la remise en cause des techniques de travail par les enfants. Cela provient peut-être du fait que, progressant moi-même au fil de mon tâtonnement expérimental en suivant attentivement nos activités et en les confrontant avec celles d'autres classes, je suis conduit à proposer des modifications des techniques existantes et à en instituer de nouvelles. Je réponds sans doute souvent à l'attente des enfants ; mais je ne leur laisse pas le temps d'en prendre conscience et de l'exprimer. En 1965, je suis nommé dans une cdp qui accueille des déficients intellectuels de 10 à 12 ans, à la suite d'un stage d'un an qui m'a permis de faire le point après ces quelques années de tâtonnement, de lire beaucoup, d'étudier de près de nouvelles expériences pédagogiques et de découvrir Rogers et la non-directivité. Je redémarre cependant avec les mêmes techniques qu'au C.E., techniques alors pour la plupart officialisées et que j'estime propres à permettre l'épanouissement d'enfants inadaptés. Mais dès le départ je propose le conseil de classe quotidien animé par le président de jour, au cours duquel on fait le bilan de la journée et on prévoit le plan de travail du lendemain. Ici, la dimension « temps » nous est favorable : les enfants resteront de 2 à 4 ans dans la classe. Les deux premières années, on voit les enfants prendre progressivement en main, avec mon aide, la gestion des activités et des institutions. En 1967-68, je décide de me retirer quasi totalement du groupe et de ne répondre qu'à la demande. Les techniques, remises en cause, évoluent (voir chapitre Evolution des Techniques), mais les enfants ont maintenant entre 13 et 14 ans, et certains sont perturbés par leur entrée dans la période pubertaire. Des agressivités se manifestent. Mon attitude ne constitue plus une barrière pour deux enfants caractériels dont l'instabilité augmente. Les heurts physiques deviennent fréquents. Dans de telles conditions, les enfants peuvent difficilement prendre des décisions et les appliquer. Plusieurs projets de sorties ne peuvent aboutir à cause de l'opposition systématique de Martine, qui est une déviante (voir chap. La déviance). Je me décide alors à reprendre ma place de maître-participant. Je neutralise les éléments perturbateurs et, ce faisant, je rétablis une autorité que je voulais faire totalement disparaître. Mais je n'interviens que pour demander l'application des règles que le groupe s'est données. La vie coopérative retrouve peu à peu son rythme, et au 3e trimestre le conseil de coopérative fonctionne à nouveau sans mon aide (ci-dessous compte rendu du conseil du 10 mai). En mai, la révolte des étudiants contribue à la maturation des membres du groupe, qui discutent chaque jour des événements et prennent conscience qu'ils ont pouvoir de se gérer. CONSEIL DE COOPERATIVE DU VENDREDI 10 MAI 1968 Président : DOMINIQUE ‑ Compte rendu : DOMINIQUE et PHILIPPE. Quand nous avons commencé le conseil, nous avons parlé de la semaine de travail. Le président a donné une feuille à chacun pour qu'il marque ce que nous ferons la semaine prochaine. La secrétaire ANNIE inscrit ensuite toutes les propositions au tableau, et nous avons décidé :
Le Plan de travail décidé est présenté à Monsieur Le Gal. Il accepte la part qu'on lui demande. * EXAMEN DU JOURNAL MURALGérard, le responsable, lit les critiques. - Patrick a critiqué Gérard qui s'est battu avec un garçon de Fin d'Etudes, Gérard dit que Patrick est un menteur. M. Le Gal dit que c'est le garçon de F.É. qui a commencé. Nous avons décidé que : « Celui qui se battrait serait exclu de nos activités pendant un jour, si c'est lui qui attaque. » - Patrick est félicité par Martine, parce qu'il a apporté des graines pour le jardin de la coopérative. Ces trois années de recherche m'amènent à cerner une partie du problème posé par l'évolution du groupe enfants-maître vers l'autogestion, autour de quatre points que nous retrouvons tant pour les activités que pour les institutions de la collectivité. (Analyse publiée dans Cahiers Pédagogiques n°81 : La Relation maître-élèves : Qu'est-ce qu'une classe autogérée ?) 1.
Proposer I. PROPOSERQUI
propose des activités ou des institutions ? II. DISCUTER QUI
discute ? les élèves seuls ? le maître et les
élèves III. DECIDER QUI ? IV. APPLIQUER QUI ? Les heurts entre les enfants, ainsi que les événements de mai 1968 m'ont permis de mesurer combien l'amitié est nécessaire pour que les hommes puissent agir et construire ensemble. Sans elle, aucune autogestion n'est possible. Elle naît de l'action en commun et elle la conditionne. D'autre part, l'analyse des difficultés d'expression de quelques enfants me fait prendre conscience que le problème de l'écoute du groupe est fondamental. Il n'y aura expression profonde de soi que si chacun trouve des auditeurs permissifs, attentifs, compréhensifs, qui écoutent et acceptent de répondre. Je fais mienne l'idée de Carl Rogers, que « l'obstacle majeur aux communications entre personnes, c'est notre tendance très naturelle à juger, évaluer, approuver ou désapprouver les dires de l'autre personne ou de l'autre groupe » (« Liberté et Relations humaines », d'A. de Peretti). Faire naître l'amitié en proposant aux enfants des activités qui les amènent à oeuvrer ensemble... et libérer l'expression par un climat d'écoute et de compréhension sont les deux buts premiers que je me fixe. Dès le premier jour, j'institue un nouveau lieu de rencontre le BUREAU, devenu table-exposition au milieu de la classe, et autour duquel nous nous regroupons sur des tabourets. Ce coude à coude me paraît plus propice à la circulation du langage que notre formation de pupitres en U. Effectivement, c'est à cet endroit qu'au fil des jours nous apprenons à nous parler, à nous dire, à nous donner un beau poème découvert dans un recueil, un texte libre, une découverte, une invention, un bouquet de fleurs, ou simplement un sourire. Je lis moi aussi mes textes et je découvre que l'on peut avoir la gorge nouée lorsqu'on essaie de communiquer aux autres l'émotion que l'on ressent. Je me mets à créer des chansons. L'entretien du matin devient un moment privilégié, un moment de joie et de plénitude libératrices, pas seulement pour les enfants, mais aussi pour tous les adultes vivant en classe. « Au fur et à mesure du stage, il me semblait que je me libérais et m'ouvrais à toutes sortes de choses que je croyais avoir oubliées, telle la poésie faite de sentiments simples, que l'on éprouve, enfant, quand il fait beau, que la nature s'offre à vous. » (Une normalienne). Voici quelques-uns de ces textes libres, dont la motivation n'est plus le journal, mais le don aux autres ;
Outre
l'entretien du matin, je propose toutes les activités permettant la liberté
d'expression et la relation humaine : Je propose aussi : UN
MODELE D'ORGANISATION: DES
REGLES DE VIE FONDEES SUR LE RESPECT : Durant la 1re semaine, nous vivons ces propositions acceptées par tous. Plusieurs enfants ont des troubles du comportement ; j'interviens lorsque le président du jour ne suffit pas pour les amener à inhiber leur agressivité. Au premier conseil du samedi, je demande que chacun écrive sur une feuille : CE QUE J'AIMERAIS FAIRE DANS LA CLASSE. J'affiche au mur toutes les propositions, afin que les enfants puissent s'y référer pour établir leur plan de travail. Ils reprennent d'ailleurs la structure de l'année précédente, qui leur est proposée par un ancien. Durant toute l'année au cours des conseils j'aide le
groupe à réfléchir sur lui-même et sur ses institutions. En Philips 66,
nous étudions : Je demande, avant que les perspectives soient établies pour la semaine suivante, que chacun fasse le bilan de ses travaux commencés et qu'ensemble nous fassions le bilan des travaux collectifs en cours. A plusieurs reprises nous nous demandons : « Que voulons-nous faire ? » Peu à peu le groupe s'affirme et prend conscience de ses responsabilités. Il décide en particulier que seul le Conseil aura pouvoir de décision et que le président de jour sera chargé de l'application s'il est défaillant, le maître fera appel au suivant. Bien entendu, des heurts ont encore lieu, et un Code de coopérative prévoyant des réparations se constitue :
COMMENT EST LA CLASSE A LA FIN DE L'ANNEE ? « Un milieu plein de stimulation, où l'on se sent au chaud, chez soi. »‑ (Etudiant en psycho.) ; Avec une atmosphère qui étonne : « Ce qui me frappa lorsque je suis arrivée dans ta classe, c'est le calme qui y régnait. J'ai trouvé les enfants à leur place; en travail individuel tout se passait bien, chacun travaillait à son rythme, décontracté, paisible. » (Stagiaire CAEI). Les deux buts fixés au départ : faire naître l'amitié libérer l'expression sont atteints, et les enfants ont appris à vivre ensemble, à travailler ensemble, à gérer ensemble leur vie et leurs activités. Onze d'entre eux vont revivre une nouvelle année dans la classe. Cette fois je me mettrai momentanément hors du groupe afin de les obliger à se prendre tout de suite en mains. Ainsi nous éviterons la passivité et chacun sera tenu d'être un créateur. Dans un groupe qui agit, les institutions et les activités sont en étroite relation. Il est difficile de les dissocier. Mais, pour l'analyse de leur naissance et de leur évolution, je me vois contraint de faire un choix. J'étudierai d'abord les institutions, après avoir, dans un premier temps, décrit les premiers jours de classe. LES PREMIERS JOURSLUNDI 8 SEPTEMBRE Ma voiture s'arrête près du portail de l'école. Quatre anciens sont là qui attendent : on se retrouve comme si on ne s'était pas quittés. Ils sont impatients de revoir notre maison commune. Ils rassemblent leurs camarades et rentrent seuls, car la maman d'une ancienne élève, soucieuse de l'avenir problématique de sa fille, me retient. Lorsque, au bout de trente minutes, je les rejoins, je trouve les onze anciens assis à leurs pupitres habituels et discutant avec animation. Par contre, les quatre nouvelles sont demeurées debout dans un coin et se taisent. Je les invite à s'asseoir aux pupitres inoccupés et je m'installe moi-même sur une chaise, car je n'ai plus de bureau. Les pupitres sont demeurés en U depuis notre départ en juin ; les murs sont décorés de nos peintures et, sur les panneaux, les lettres de nos correspondants nous rappellent des joies anciennes. Je ne dis rien. Brusquement le silence se crée. Il dure deux, trois minutes... Christian lève la main et me regarde. Je ne dis toujours rien... Il prend alors la parole pour demander pourquoi toute l'école est maintenant géminée. Le groupe se tourne vers moi, qui suis seul à détenir la réponse. Je la donne, puis je me tais. Le silence réapparaît et dure. Je me retire alors à l'atelier-journal, afin de libérer les enfants qui attendent que je prenne l'initiative. Christian reprend la parole : « Il faudrait un président… Il n'y a qu'à reprendre la liste des noms. » (Christian propose là une structure de l'année précédente). ALAIN : « Oui, mais il y a des nouveaux ! » JACKY : « Qui veut être président ? Levez la main ! » (Jacky F. est le leader naturel des garçons, et il prend ici l'initiative). Fabien est élu ; or il est capable d'assumer l'animation du groupe. Aussi Jacky lui conseille aussitôt : « Et fais respecter le calme ! » Fabien prend ses fonctions suivant le rituel des conseils de l'an passé.
Personne ne m'ayant demandé de jouer, j'assiste en spectateur au jeu, qui est assez brutal. Lorsque, après 45 minutes, une des filles reçoit le ballon dans la figure, après un shoot volontaire, je stoppe le match. Je suis intervenu ici au niveau du pouvoir exécutif, pour suppléer à la carence du président de jour, qui laisse les agressivités se défouler au détriment des plus faibles. Les enfants rentrent alors et spontanément discutent des brutalités. La sortie et la rentrée de récréation se font dans le même désordre. Le président de jour abandonne son rôle. Le leader Jacky F. reprend alors le pouvoir : « On pourrait faire le jardin et ranger la classe ?. Les garçons font le jardin et les filles la classe. » Proposition acceptée sans discussion. Chacun se met au travail. Catherine va au jardin avec les garçons. Je participe au rangement. Dès que la cloche sonne, chacun reprend rapidement son cartable et disparaît. MARDI 9 SEPTEMBRE 8h45. Les enfants attendent sous le préau lorsque la cloche sonne. Je ne dis rien. Après 3 minutes d'attente, ils se décident à entrer et s'installent en silence à leur place. Je prends la parole : « Jeannette avait proposé hier de prévoir les activités d'aujourd'hui. Marcel avait demandé que cela soit fait au conseil, mais on n'a rien décidé ! » Et je me retire du groupe. Jeannette prend le pouvoir immédiatement et avec fermeté : « Qui veut être président ? » Plusieurs mains se lèvent. Elle fait voter et décide : « Jacky F. est élu président ». Cette fois, c'est le plus ancien et le leader de la classe qui est choisi. Les enfants paraissent avoir pris conscience de l'échec de la veille. Et Jeannette se retire, avec un sourire satisfait.
L'arrivée d'une personne étrangère à la classe vient provoquer une rupture dans l'équilibre qui s'était établi. Ma présence sécurise les enfants, même si je participe peu. Dès que je suis occupé, quelques enfants se perturbent. Après quelques minutes d'essais infructueux pour poursuivre la discussion, le président met tout le groupe au silence. Il donne fermement sa directive et obtient le calme ; mais dès que la cloche sonne la récréation, les enfants se précipitent. Je décide alors d'intervenir dès la rentrée en classe, car avec ce désordre et les cris qui l'accompagnent, nous dérangeons la classe enfantine voisine. JLG :
Tout à l'heure, la sortie s'est passée dans le bruit. J'ai entendu des
bousculades et des cris dans le couloir, Lorsque la cloche a sonné, vous
vous êtes tous précipités en vous bousculant, alors que les autres classes
se mettaient en rang calmement. * RAPPORT Gr.
4 : rapporteur Christian ; 3 garons (anciens) Gr.
3: rapporteur Catherine ; 4 filles (nouvelles) : Gr.
2 : rapporteur Jeannick ; 4 filles (anciennes) : Gr.
1 : 4 garçons (anciens) : Je relis toutes les propositions et les résume. * JLG : Maintenant il
faut choisir. J'écris notre première règle sur une feuille que j'affiche dans le couloir : « On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière, en deux groupes, C'est le président qui diirige la sortie, * A 13h45, dès le coup de cloche, les enfants se rassemblent en deux groupes. Le président hésite. Je lui rappelle : « C'est toi qui fais entrer ! » Les enfants entrent, vont s'asseoir. Reprenant une habitude que le groupe 68-69 avait instituée Josée distribue un gâteau à chacun. Le président propose d'aller voir le terrain de sport ; je précise que nous n'avons le terrain que jusqu'à 14h30. Personne ne m'ayant invité à participer à la partie de balle au camp, je demeure spectateur. En rentrant, le président réclame une discussion sur le sport. JOSEE :
Catherine ne veut pas passer la balle à Monique. Les candidats au dessin sont à l'atelier-peinture, mais il n'y a plus de peinture dans les pots. Que faire ? on se tourne vers moi : JLG : Il faut refaire la peinture, et pour commencer gratter les pots. (Cette activité ne passionne guère les enfants, qui abandonnent après avoir essayé 10 minutes. Je leur rappelle qu'ils se sont engagés à préparer l'atelier. Ils reprennent sans enthousiasme.) Je vais au jardin ; le travail y est peu actif. Je reviens en classe après 20 minutes ; la table est couverte de peinture, les blouses aussi. J'arrête l'activité et nous allons en récréation. Fatigué, le président ne réagit plus. En rentrant, je suis pris dans la classe d'à côté ; je demande aux enfants s'ils veulent faire une activité calme. Ils acceptent et proposent dessin et lecture. Je reviens au bout de 25 minutes : c'est le calme total. Personne n'intervient pour changer d'activité ; elle se poursuit jusqu'à la sortie. Les enfants OUBLIENT le conseil qu'ils avaient prévu. Le président organise. La sortie, elle, se passe dans l'ordre. Le groupe m'attend au portail. MERCREDI 10 SEPTEMBRE Le même rituel est repris pour le choix du président de jour. Les activités jardin et peinture sont proposées à nouveau. Josée s'insurge parce qu' « on ne travaille pas » ; elle voudrait que l'on fasse du calcul et du français. Sa proposition n'est pas reprise, car le président est débordé par ses camarades. Finalement, ils procèdent au rangement des fournitures, puis organisent un match de football que je stoppe à nouveau parce qu'une des petites nouvelles a reçu le ballon dans la figure. J'explique le pourquoi de mon intervention et je demande que chacun s'efforce de respecter les autres. A 14 heures, je repose le problème de la sortie, la règle élaborée le mardi n'étant plus respectée. Jacky F., très énervé, perturbe la discussion, à laquelle seuls quelques enfants participent, tandis que les autres dorment ou bavardent. Le groupe adopte une proposition de Josée : ceux qui ne respectent pas la règle de sortie devront une réparation. Aucune activité collective n'ayant été proposée, chaque enfant peu à peu se met à lire ou à dessiner. A 16h30, deux enfants ne respectent plus le calme ; le groupe décide de leur demander une réparation et établit une nouvelle règle : celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation. VENDREDI 12 SEPTEMBRE Le même rituel décide du choix du président et des activités. Le groupe me demande si je veux bien distribuer les fournitures. J'accepte, en posant mes conditions : « C'est à vous de me dire les cahiers dont vous avez besoin. » Une liste fantaisiste m'est proposée ;je la refuse : « Je refuse, parce que le secrétaire a mis au tableau la liste de tous les cahiers demandés. Si quelqu'un dit « cahier de dessin », il faudrait l'avis de tous. » Le président demande alors le pourquoi de chaque proposition, mais il est gêné par deux perturbateurs : Jacky F., qui accepte mal de n'être qu'un simple participant, et Alain son voisin. Le président n'ose pas intervenir. Je rappelle alors au groupe sa décision du mercredi : Celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation. Aussitôt Jeannette propose qu'Alain range la bibliothèque, et Jacky le bahut qui contient les fournitures. La proposition est adoptée, y compris par les deux intéressés. Je demande alors : « Qui fera appliquer la décision ? » Christian répond : « Le maître ! » Je refuse, et c'est finalement au président que revient cette tâche. Le calme étant revenu, la circulation du langage est excellente et des décisions d'attribution de responsabilités sont prises sans que j'intervienne :Marcel distribuera les cahiers et les vérifiera ; Alain vérifiera les crayons chaque soir. Le groupe m'attribue aussi une part du travail, après avoir demandé mon accord : le maître contrôlera la propreté des cahiers le soir. Jeannette propose une structure d'organisation qui est adoptée : Le groupe se mettra en U le samedi pour le conseil. Alain demande un conseil de coopérative le samedi matin. Mais les bonnes relations sont troublées à la récréation par Jacky F., qui agresse le président à coups de pieds. A la rentrée, celui-ci en rend compte à ses camarades et une discussion s'ouvre : CHRISTIAN :
Pourquoi a-t-il fait ça ? Le groupe décide alors que Jacky nettoiera la cabane du jardin, en réparation. Le calme revient. Jacky s'aperçoit que ses camarades ne se laissent plus dominer, comme l'an passé. Christian propose une sortie au bois pour l'après-midi : elle est adoptée avec enthousiasme. Le bois ?Un tapis de feuilles mortes qui craquent sous les pas des enfants, qui courent, sautent, crient. Les filles bavardent près de moi ;au loin, les garçons jouent à la petite guerre. Au-dessus de notre tête, un ciel de feuilles vertes, grandes palmes éclatantes de lumière ; des jeunes châtaigniers, sombre ramure des chênes ; et partout de la fougère teintée du fauve de l'automne. Il fait très doux. Peu à peu les enfants reviennent et nous nous parlons longuement. L'amitié est là, présente. Aujourd'hui nous avons fait un grand pas. Agir ensemble et vivre des joies communes sont deux facteurs importants de structuration du groupe. SAMEDI 13 SEPTEMBRE Jeannette, la présidente, a beaucoup de difficultés pour lancer les activités. Les enfants sont passifs ou opposants. Je dois intervenir. Un plan de travail est élaboré, mais sans enthousiasme : mise en place des ateliers, électricité, peinture, rangement. Cette activité a lieu dans le calme, mais peu à peu chacun l'abandonne et passe à une activité tranquille (lecture et dessin) ; tous oublient le conseil proposé par Alain la veille. Au cours de la semaine que je viens de décrire, j'ai assumé plusieurs rôles, bien que me tenant au maximum hors du groupe : -
ÉLUCIDATION. Je commence à faire prendre conscience au groupe de ce qui
se passe en lui ; Le groupe a pris conscience qu'il détenait le pouvoir de décision, que je répondrais à l'occasion à sa demande, mais que je me réservais le droit de refuser. LES INSTITUTIONS1°. LE PRÉSIDENT DE JOUR Dès le jour de la rentrée nous voyons réapparaître le président de jour et un rituel se met en place. Je n'interviens que le 15 septembre, pour l'aider à organiser les propositions et établir la grille d'activités de la journée en tenant compte de la durée probable de chaque activité. 9 h à 10h15 ‑ Rangement des ateliers ; 10h30 ‑ Commentaire du dessin au tableau 11h30 à 11h45 ‑ Bilan de la matinée. 13h45 à 14h30 ‑ Balle au camp ; 14h30 à 15h15 ‑ Lecture silencieuse ; Dessin libre 15h30 à 16h15 ‑ Rangement des outils et des casiers individuels 16h15 à 16h45 ‑ Conseil. Le mardi 16, je propose une rupture intentionnelle dans le système du choix du président. A 8h45, les enfants attendent en deux groupes dans la cour pour entrer en classe. A 8h55, ils sont toujours devant la porte. Les autres jours, après 3 ou 4 minutes d'attente, si personne ne prenait l'initiative de faire avancer les groupes, je disais d'entrer. Aujourd'hui, je leur demande : « Que faites-vous là ? » LES
ENFANTS : On attend. Immédiatement, Josée découvre ce qui ne va pas dans le système de choix adopté par le groupe et conclut : « Il faudrait choisir un président le soir ». Cette proposition sera reprise et le soir même un président est élu au conseil. Un nouveau système a donc été mis en place : le choix du président le soir. Mais dès le 23 la rupture se produit. Les enfants ont oublié, la veille, de choisir un président ; ce qui nous fait perdre du temps pour le lancement des activités. Aussi, à15h30, je constate : « Nous avons pris du retard aujourd'hui sur le plan de travail prévu, Pourquoi ? » Alain répond, après réflexion : « Nous n'avions pas de président ce matin ». Je propose alors de travailler par groupes en Philips 66 pour essayer d'étudier en profondeur l'institution président de jour. Il nous faudra quatre réunions extraordinaires : le 23 septembre, le 18 octobre, le 20 octobre et le 4 novembre, pour aboutir à un certain nombre de décisions qui sont transcrites sur une fiche-guide servant de mémoire au président : NOUS AVONS DECIDE : - Chacun sera président à son tour s'il le désire. Une liste par ordre alphabétique sera établie. LE PRESIDENT : - doit donner l'exemple et il doit être ferme ; LE MATIN : - il contrôle la propreté des mains ; REGLES : -
Il se contrôle lui-même. Si le président ne se contrôle pas, le maître
prend sa place pendant cinq minutes. Si ça recommence, il demande le changement
de président ; A propos de ce problème du choix du président, nous voyons clairement comment naît un système ; comment il tend vers un équilibre ; puis comment, à la suite d'une rupture, se produit un déséquilibre entraînant la naissance d'un nouveau système :
Le président de jour, chargé par ses camarades d'un certain nombre de responsabilités, rencontre de nombreuses difficultés : -
refus de se taire d'un ou plusieurs membres du groupe pendant les entretiens
et les discussions ; Aussi n'est-il pas étonnant qu'il nous ait fallu faire deux réunions sur le pouvoir du président et la manière dont il pourrait faire appliquer les décisions prises. Je me suis demandé alors si les sanctions du groupe à l'égard de ceux qui ne respectent pas ses lois pourraient être supprimées. Il semble que cela ne sera possible que le jour où chacun sera devenu un être autonome apte à s'autogérer lui-même et à respecter les autres. J'ai posé aux enfants la question : Comment le président fera-t-il appliquer les décisions prises par le conseil ? Le samedi 18 octobre, des propositions diverses sont faites : -
Si le président ne se fait pas obéir, il va le dire au maître, et le maître
punit ; Le lundi 20 octobre, je précise avant tout débat que les punitions du maître n'existent pas à la coopérative, et que c'est au groupe de régler lui-même ses problèmes. De nouvelles propositions sont alors faites : -
S'il n'obéit pas, on écrit à sa mère ; ou bien : Devant le refus du maître de punir, les enfants ne voient d'autres solutions que : -
la répression familiale, Je fais remarquer, à propos du rejet hors du groupe, que ce rejet est lui aussi souvent refusé ; alors que fera le président si un camarade refuse par exemple de quitter un atelier ? -
le président fait stopper les ateliers et le conseil décide ; Afin de faire prendre plus nettement conscience du problème, je mime la scène avec Jacky ; il est à l'atelier peinture, et je suis le président : -
Va à ta place, Jacky, puisque tu ne respectes pas le calme de l'atelier ! Je pose alors à tous la question : « Qu'est-ce que je fais maintenant ? » Le groupe reste muet ; ni eux ni moi n'avons de solution à proposer... Le 4 novembre se produit la rupture qui relance le débat. La présidente du jour, qui n'arrive pas à faire stopper une activité, donne un coup de règle sur la tête de Marina, qui proteste avec énergie. Je propose au groupe de réétudier le problème : comment le président procédera-t-il pour faire appliquer ses directives ? Cette fois, des décisions sont prises : -
Le président ne donne pas de coups ; s'il tape sur un camarade, il
sera exclu des ateliers. Si un camarade le frappe, il arrête tous les
ateliers et le conseil prend une décision immédiate ; Depuis le 4 novembre, plusieurs enfants ont dû demander des réparations pour se faire respecter. Mais la compétence des présidents grandit ; les règles de vie sont mieux connues ; l'agressivité d'ordre affectif diminue. Tout cela laisse espérer une disparition progressive de toute sanction. J'ai été amené à diverses reprises à prendre momentanément la place d'un président de jour défaillant. Je préside alors avec fermeté. Cette responsabilité est épuisante pour certains, mais tous, désormais (même les nouvelles arrivées) tiennent à l'assumer. J'ai même de la peine parfois à reconnaître tels ou tels d'entre eux, qui sont totalement différents dans leur attitude, leur comportement, leur dynamisme, lorsqu'ils sont présidents de jour. 2°. LE CONSEIL DE CLASSE JOURNALIER Bien que programmé à plusieurs reprises, il n'a lieu pour la première fois que le mardi 16 septembre, et ceci parce que je fais stopper le travail (rédaction d'un texte sur les vacances). La mise en train d'une activité (comme son interruption) est souvent fort longue. Les enfants, en ce début d'année, n'ont qu'une notion très vague du temps qui passe. Jeannick préside ; une camarade du groupe Freinet est présente : JEANNICK :
Qu'est-ce qui a mal marché ? (Le groupe reste passif ; Christian fait du bruit). JLG : Christian n'écoute pas ; il essaie de
se faire remarquer. Les dessins sont présentés. Les critiques sont positives. Puis le groupe demande à Monique S., qui a passé la journée avec nous, de dire ce qu'elle pense. Monique a assisté, en mon absence, à une agression collective contre Catherine, agression violente et méchante ; Catherine a servi de bouc émissaire à l'insécurité ressentie par tous. Monique donne son avis au milieu d'une très grande attention. CHRISTIAN :
Elle a dit que ce matin elle ne se sentait pas autant à l'aise que cet
après-midi. Après discussion, il est décidé d'accepter les deux normaliennes. Puis un président est choisi pour le lendemain. Le conseil fonctionne généralement selon le même rituel. Il permet de jeter un regard sur la journée écoulée et d'en analyser les éléments essentiels. Il est parfois très court, ou bien il n'a pas lieu, lorsque le président oublie l'heure. Aussi, depuis le début de novembre je fais l'horloge parlante, afin que les enfants s'habituent à placer leurs activités dans la dimension-temps exacte dont ils disposent. Son intérêt dépend des capacités d'animation du président de jour et de sa disponibilité. C'est ainsi que, le 7 novembre, le conseil se trouve bloqué à la suite d'un échange de grossièretés entre Josée (présidente) et Jacky P. Faisant la mémoire du groupe, je rappelle une règle précédemment élaborée : « Celui qui dit une grossièreté s'excuse ». Jacky s'excuse effectivement, mais Josée refuse et boude. Le conseil se trouve subitement sans président. Tous parlent fort ; certains demandent la parole en levant le doigt. La présidente boude toujours. J'interviens : « Au code discussion, pour avoir la parole on lève le doigt ! » Remarque ‑ Nous avons 3 codes de parole : -
Code discussion un seul parle à voix haute après avoir demandé la parole La cloche sonne ; personne ne bouge ; puis on commence à s'impatienter. Je demande la parole : « Le conseil n'est pas terminé ! » La présidente demande alors une réparation, car elle refuse de s'excuser ; le groupe lui donne l'imprimerie à ranger. Après quoi le conseil reprend, à la satisfaction de tous. Nous sortons avec 20 minutes de retard. Chacun apprenant peu à peu à se freiner et à respecter les droits des autres, et les présidents étant plus efficaces, le conseil tend à devenir un bon outil d'analyse des activités et des comportements. Nous serons amenés certainement bientôt à réfléchir sur cette institution, comme nous l'avons fait à propos du président de jour et du conseil de coopérative. 3°. LE CONSEIL DE COOPERATIVE Le premier conseil de coopérative est programmé le samedi 20 septembre. Il a pour but d'établir le plan de travail de la semaine, les enfants ayant pris conscience qu'il fallait établir certains projets à l'avance afin qu'on puisse préparer leur réalisation : sorties d'étude du milieu, matches contre les autres classes, en particulier. Je propose que chacun écrive sur une feuille ses propositions et ensuite qu'on fasse ensemble le bilan. Cette activité nous prend une heure. Nous décidons de continuer le lundi 22, car nous n'avons pas pu prendre de décisions. Le président de jour Jacky F. préside ce premier conseil. PRÉSIDENT : Qui a quelque chose à dire pour la journée
d'aujourd'hui ? (Des mains se lèvent, dont celle de Catherine, qui n'a rien écouté. Je demande au président de préciser le travail demandé, afin que chacun puisse se décider en connaissance de cause. Plusieurs propositions d'activités sont faites, et le plan de travail est inscrit au tableau) : Français : lettre à Coueron ; lettre aux visiteurs de la classe ; travail individuel ; Calcul : faire les comptes ; Après-midi : mouvements sportifs ; mise en ordre des propositions faites le samedi ; ateliers ; conseil de classe. Puis, a propos de l'achat d'un thermomètre pour l'atelier calcul, se pose le problème de l'argent de la coopérative. Le groupe avait demandé à chacun 0,50 F et Jeannette avait été choisie pour recueillir l'argent. Patrick est chargé de l'achat : JLG :
Qui a le droit de donner l'argent ? (Marcel est réélu par 9 voix sur 15.) L'après-midi, je participe à la mise en ordre des propositions. Josée demande que l'on mette des numéros (1 pour les achats, 2 pour les exercices) et qu'on fasse des groupes de travail. Elle se fâche, car le président ne comprend pas. J'aide les enfants à établir d'abord la liste des grandes rubriques : 1 = achats 5 = ateliers 2 = français 6 = règles de vie 3 = calcul 7 = rangement 4 = les choses à régler 8 = sport Puis ils se répartissent en 8 équipes. Mais ils sont fatigués et ce travail n'avance pas. Je demande au président de faire stopper et je participe plus activement. Finalement, une grande feuille est mise au mur : ACHATS :
un thermomètre ‑ des feutres ‑ des pinceaux ‑ de la
peinture un ballon ‑ une poubelle ‑ des balles ‑ un
torchon ‑ réparer la machine à écrire. Au cours des semaines suivantes, ces propositions ne sont pas consultées lorsque le plan de travail est établi. L'apparition de ce tableau était prématurée pour le groupe. Quelques enfants cependant ont rappelé à plusieurs reprises son existence pour, en particulier, barrer ce qui avait été réalisé. * Chaque semaine, le conseil de coopérative a lieu et il trouve peu à peu une structure : 1°.
Propositions ; Au cours des conseils, j'interviens : -
pour renvoyer en discussion les propositions que le président n'a pas
entendues ; Après avoir laissé le groupe tâtonner pendant plusieurs semaines, je pense, le 18 novembre, qu'il est mûr pour réfléchir sur l'institution elle-même et que cette réflexion lui fera prendre conscience des problèmes de gestion qui se posent, ainsi que des problèmes relationnels. Le président de jour, appliquant le plan prévu au conseil de coopérative précédent, dit : « On fait le conseil ». Je demande la parole : « Nous décidons pour chaque samedi d'un conseil de coopérative, mais nous ne nous sommes jamais demandé ce qu'était le conseil de coopérative celle année. L'an passé, je vous l'avais proposé. En avons-nous encore besoin cette année ? Doit-il rester le même ? Je vous propose d'en discuter par petits groupes, puis un rapporteur dira ce que chaque groupe propose. Nous pourrions d'abord nous poser toutes les questions à propos du conseil ». Ma proposition est adoptée, et les groupes discutent de la 1re question : « Quelles questions vous posez-vous à propos du conseil de coopérative ? » Le groupe 1 est formé de 4 anciens de niveau CE-CM, de
13 à 14 ans ; Ces groupes se sont formés spontanément à la rentrée. Le conseil a déplacé une nouvelle du Gr 3 dans le Gr 4, car elle empêchait les autres de travailler. Elle a été remplacée par un volontaire du Gr 4, Fabien, qui est accepté par le groupe mais n'a pas réussi à s'y intégrer ; il vit dans son monde à lui. QUELLES QUESTIONS VOUS ETES-VOUS POSEES SUR LE CONSEIL DE COOPERATIVE ? -
Gr 1 : Pourquoi a-t-on fait conseil ? Qui a fait le conseil ?
Qui le dirigera ? Qu'est-ce qu'on fait au conseil ? De quoi
qu'on parle au conseil ? Je réponds à la question : QUI A INVENTÉ LE CONSEIL DE COOPÉRATIVE ? et : POURQUOI IL Y A UN CONSEIL DANS LA CLASSE ? (historique de l'expérience). Puis je propose qu'on discute sur la question : FAUT-IL OU NE FAUT-IL PAS UN CONSEIL ? (10 minutes) - Gr 1 : Nous voulons un conseil : pour que la classe marche
mieux pour qu'on désigne un président par jour ‑ pour que la classe
se dirige bien. Si le président ne marche pas, le conseil décidera. JLG :
Puisque chaque groupe est d'accord, il faudrait régler quoi ? - Gr 1 : Au conseil, nous faisons le plan de travail de la semaine ;
nous proposons des voyages et des matches de foot‑ball aux autres
classes ; nous proposons de faire des ateliers. Les propositions
du tableau mural sont réglées. On apporte ce qu'on a vu et entendu. Je fais la synthèse et je soumets chaque proposition à la décision du groupe, qui adopte les règles suivantes : -
Le conseil décide du plan de travail de la semaine suivante ; La proposition : « On apporte ce qu'on a vu et entendu » est rejetée : cette activité est réservée à l'entretien libre qui a lieu chaque matin. J'inscris au tableau les propositions adoptées et je demande d'y réfléchir. Après un moment de silence : JOSEE :
Il faudrait maintenant savoir comment on va faire. JLG : Chaque groupe pourrait réfléchir pour mettre en ordre les propositions. -
Gr 1 : 1°. Ce qui a bien ou mal marché ; 2°. Le plan de travail
de la semaine ; 3°. Les propositions ; 4° Les achats et les
ventes ; 5°. le tableau mural. (Gr 3 et Gr 4 ont eu des problèmes relationnels durant cette discussion et n'ont pu réfléchir.) J'ouvre un débat, après avoir constaté que les propositions ne sont pas les mêmes : VIOLETTE
(Gr 2), critiquant les propositions du Gr 1 :
« Les propositions doivent être discutées avant le plan de travail,
car elles sont faites en vue du plan de travail. » On est d'accord, et le plan de conseil est adopté : 1°.
Bilan de la semaine passée avec présentation des travaux ; Je reprends alors les dernières questions : - POURQUOI Y A-T-IL UN TABLEAU MURAL ? Chacun
sait à quoi il sert ; désirez-vous le conserver ? (OUI à l'unanimité) ; Il est l'heure de sortir ; la suite de la discussion est reportée à lundi. Le lundi 10 novembre, je pose immédiatement la question : QUI PRESIDERA LE CONSEIL ? et je redonne les réponses de chaque petit groupe. Puis j'ouvre le débat : JACKY
(Gr 1) : Je propose que chaque samedi le président
de jour désigne un garçon ou une fille pour diriger le conseil. Je fais la synthèse des interventions et je conclus : « Chacun pourra présider, ou seulement ceux qui savent. C'est au conseil de décider ». PATRICK
(Gr 1) : Les nouvelles regardent d'abord les
anciens présider. La participation à la discussion est médiocre. Je propose que chacun cherche sur son cahier de brouillon toutes les implications de chaque proposition, puis que ces réflexions soient mises en commun dans les petits groupes de Philips 66. -
Gr 1 : Ceux qui savent présider président, afin que les nouvelles
de la classe sachent présider à leur tour. Tout le monde doit présider
pour apprendre à présider: une semaine les anciens, une autre semaine
les nouvelles président. Je fais la synthèse et je soumets chaque point à la décision du conseil qui tranche et décide : -
Tout le monde a le droit de présider pour apprendre à présider ; Les enfants ont des difficultés à choisir, puis finalement ils optent pour une liste par groupes, en commençant par le Gr 1. Je conclu : « Le président est Patrick Chapeau. Le conseil est ouvert ». Le groupe se met en formation en U . Patrick prend ma place. * Les conseils des 10, 15 et 24 novembre sont dirigés avec fermeté. J'interviens en apportant des moyens aux enfants pour mieux gérer leur vie. C'est ainsi que le 24 je propose que, pour le bilan du travail de la semaine, chacun fasse d'abord son propre bilan à l'aide de son plan de travail individuel, et ensuite le bilan collectif sur deux colonnes. Nous mettons en commun nos recherches sur le tableau ; et c'est ainsi au fil des tâtonnements de tous, que me viennent aussi des idées nouvelles.
Ce tableau aide beaucoup les enfants à programmer leurs activités de la semaine ; ils ont une vision globale plus claire de leur travail. Au cours de la discussion, j'observe que le président a des difficultés pour se souvenir des propositions et les relancer afin qu'elles aboutissent à des décisions. Afin de ne pas être obligé d'intervenir, je propose qu'un des enfants soit le secrétaire aux propositions ; il aura pour tâche de rappeler au président ses oublis. Josée est choisie et elle assume bien ce rôle. Nous découvrirons sans doute d'autres techniques pour assurer à la programmation un équilibre harmonieux entre les désirs du groupe et les intérêts de chacun de ses membres. 4°. LES REGLES DE VIE ET LEUR APPLICATION, Au cours de ces trois mois, un certain nombre de règles ont été élaborées par les enfants : 9 septembre On sort et on rentre tous ensemble, les garçons devant, les filles derrière, en deux groupes. C'est le président qui dirige la sortie. 10 septembre - Ceux qui ne respectent pas la règle de sortie auront une réparation. - Celui qui dérange les autres ou empêche la discussion aura une réparation. 12 septembre - Le président de jour contrôle les réparations. - Le groupe se mettra en U samedi pour le conseil. 19 septembre Celui qui dira une grossièreté à quelqu'un devra aller s'excuser. 29 septembre Celui qui arrive en retard sans mot d'excuse rattrape le temps perdu après la classe. 3 octobre Si le maître arrive en retard, il aura une réparation. 4 octobre Celui qui veut écrire au tableau mural le fait corriger d'abord. 11 octobre Celui qui veut manger un bonbon en offre à tout le monde. S'il en mange en classe sans en donner, le président prend sa boîte et la partage. 7 novembre Chacun est responsable de sa réparation. Jacky P. contrôlera et rendra compte au conseil. * Le groupe est généralement conscient des règles qu'il a établies, et il en exige le respect, malgré les difficultés inévitables. C'est ainsi que, le 3 octobre, je suis mis en cause pour être arrivé en retard (j'en donne d'ailleurs le motif : j'ai dû emprunter une déviation). CATHERINE : En récréation, les filles ont dit que
M. Le Gal aurait une réparation Cette remise en cause est positive. Elle est d'ailleurs sanctionnée par mon rejet de l'animation du travail calcul ; le groupe me donne ainsi du temps libre pour pouvoir parler aux normaliennes. La règle des bonbons soulève les protestations de ceux qui se font confisquer leur boîte, mais ils finissent par accepter. * Est-ce à dire que chaque jour tout soit parfait ? Non, certes. Il m'arrive de devoir intervenir avec fermeté lorsque l'ensemble du groupe se perturbe, y compris le président de jour. J'ai repris le pouvoir à trois reprises, et en particulier en revenant des châtaignes, les enfants n'ayant pas respecté les règles de sécurité qu'ils s'étaient données avant le départ. Mais je n'interviens jamais pour imposer une règle personnelle je m'appuie toujours sur la loi élaborée par le groupe, loi qu'il peut à tout moment modifier si l'accord se fait sur d'autres règles. LES ACTIVITÉS Je vais étudier les activités dans la chronologie de leur apparition, en essayant de montrer comment elles ont été proposées et comment elles ont évolué, sans prétendre toutefois en faire une étude exhaustive qui ne pourrait trouver place dans cette brochure. 1°. ACTIVITES SPORTIVES Le foot-ball apparaît dès le premier jour, Jacky F. (le leader) étant particulièrement brillant dans ce sport, et notre groupe ayant trouvé là un moyen de valorisation. A plusieurs reprises nous avons battu, l'an passé, des classes de l'école et des écoles voisines. Cette activité permet aussi aux garçons de canaliser leur agressivité naturelle, mais cette dernière, la première semaine, est encore trop forte, et je suis amené à interrompre des matches. Au mois d'octobre, nous rencontrons le CM2 et le FE, sur lesquels notre classe remporte des succès faciles. Ces rencontres motivent un échange de lettres. Les classes étant géminées cette année, les filles jouent à la balle au camp avec le CM2 et le FE. Parfois le moniteur d'éducation physique et moi-même regroupons nos deux classes ; il prend alors toutes les filles et je prends les garçons. Ces activités contribuent grandement à la socialisation des enfants au niveau du groupe scolaire. Nous projetons aussi de nous déplacer le 19 décembre pour rencontrer une autre cdp de Rezé. Le programme est mis au point par un échange de propositions dont chaque groupe discute au cours de ses conseils. Il comporte en général : une activité sportive ‑ des jeux ‑ des spectacles ‑ un goûter fait de gâteaux ou autres mets préparés par les enfants des deux classes. 2°. ACTIVITES MANUELLES ET ESTHETIQUES Chaque année, le jardin est le premier pôle d'attraction. Les garçons aiment à y fournir un effort physique et les filles à y cueillir des fleurs. Les coings motivent la fabrication de gelée, dont la vente approvisionne nos premières recettes. Les ateliers d'expression artistique (gouache, feutres, drawing-gum) ont été lancés aussi dès les premiers jours. Mais l'organisation coopérative des activités au niveau de l'école à partir du 15 octobre a modifié totalement nos activités. Pour l'instant nous avons abandonné le travail manuel. 3°. LES SORTIES Dès la première semaine les enfants programment une sortie au bois le vendredi après-midi. Nous en faisons deux autres : aux châtaignes et aux vendanges. Depuis, la pluie est apparue et aucun enfant ne propose plus de sortir. Il a fallu attendre une invitation d'une école voisine pour que le groupe décide de quitter la classe. 4°. LECTURE SILENCIEUSE Mon absence le mardi 9 et la fatigue des enfants les conduisent à proposer cette activité calme. 5°. JEU DRAMATIQUE C'est une activité que nous avons pratiquée l'an passé à plusieurs reprises, à partir d'un dessin au tableau ou d'un texte libre. Elle est programmée le lundi 15 septembre, un groupe de filles ayant demandé de pouvoir dessiner au tableau. Elle intéresse beaucoup les enfants, mais ils ne la reproposent plus par la suite. 6°. EXPRESSION LIBRE ET JOURNAL Le mardi 16 septembre, les enfants décident d'écrire un texte sur les vacances, mais il faudra attendre le vendredi 19 pour voir apparaître le premier texte d'expression libre, qui coïncide d'ailleurs avec la mise en place de l'entretien du matin. C'est Catherine qui nous le présente au cours de l'entretien, reprenant ainsi spontanément une habitude adoptée l'an passé par les anciens. Je reprends aussi ma participation à l'expression libre en lisant un de mes poèmes. Catherine est la seule à écrire, et le groupe décide de lui mettre un texte au point pour le journal, qui redémarre le 24 septembre. A partir du 26, les textes deviennent plus nombreux, et ils sont lus chaque matin. Les adultes qui vivent avec nous : normaliennes, stagiaires, participent eux aussi, et cela les aide à être mieux intégrés au groupe. Chacun choisit pour le journal le texte qu'il désire. Ma proposition de changement de format (adoption du format 21 x 27) est retenue. A plusieurs reprises, je demande le silence, pour que chacun puisse « regarder en lui », pendant que la musique emplit l'air. Chacun alors écrit ou dessine librement, ou bien, tout simplement, il écoute. Les textes deviennent plus riches, plus profonds. Le matin, je suis dans mon lit bien chaud. Il est l'heure de l'école. Ma mère ouvre la porte, allume la lumière, elle nous fait mal aux yeux. Elle ouvre les volets, Le soleil apparaît sur l'arbre de l'automne, Les oiseaux chantent, on n'ose pas se lever tellement c'est beau. VIOLETTE * Je suis toute seule et je réfléchis. J'entends les murs qui craquent, les portes qui grincent et la sonnette. Au bout d'un moment, tout devient calme, On entend seulement le bruit d'une petite mouche qui vrombit et le tic-tac du réveil, J'aime être toute seule dans le calme de la maison. JOSÉE *
* 7°. ENTRETIEN DU MATIN Au conseil du mercredi 17, cette activité réapparaît. Le vendredi Jacky F., président de jour, installe les tabourets autour du bureau avant l'arrivée de ses camarades. Chacun s'asseoit et immédiatement retrouve les habitudes anciennes. Neuf poèmes sont lus. Fabien nous montre un dessin. Catherine nous lit ses textes. C'est le calme total. Puis les enfants se parlent. La conversation aborde différents thèmes : les chats ‑ un accident ‑ la naissance des enfants ‑ les matches de foot‑ball ‑la maîtresse qui manque dans l'école ‑ le voyage des parents de Josée ‑ la foire de septembre à Nantes... On sent renaître l'amitié, le don de soi. L'entretien du matin n'est pas toujours aussi calme, car il est parfois perturbé par quelques enfants difficiles. Mais il reste néanmoins la technique essentielle d'apprentissage du Dire et de l'Ecoute. 8°. CALCUL C'est le travail aux bandes atelier de calcul qui est proposé le premier. Il démarre le vendredi 19 septembre et les enfants me demandent de constituer des équipes de 2. Le 22 septembre, nous faisons un compte et nous prenons conscience qu'un certain nombre ne savent pas effectuer les opérations. Je demande « Comment pourrait-on apprendre les opérations ? » Tous proposent « On pourrait travailler avec les cahiers autocorrectifs ». A la fin septembre, toutes les activités calcul ont démarré quelques-uns apportent des textes chiffrés ; l'étude des tables est programmée ; la progression sur les cahiers est rapide. 9° CORRESPONDANCE Nous recevons une lettre de nos camarades de Couëron et les filles y répondent le vendredi 22 septembre. Le 1er octobre, les garçons rédigent avec moi une lettre collective à leurs anciens correspondants de La Baule, pendant que les filles écrivent leur lettre individuelle à Couëron. Je les corrige ; elles les recopient puis les présentent à la classe. Marina, qui a écrit 5 lignes seulement et dont la lettre est sale, est unanimement désapprouvée, tandis que Monique, qui s'exprime encore peu, parle longuement de la sienne et reçoit des félicitations. A partir du 1er novembre, chaque enfant a un correspondant individuel dans une cdp, et le groupe correspond en outre avec une classe de petits de Belgique qu'il a pris en charge, ainsi qu'avec une classe du Dahomey. Les échanges sont totalement libres ; chacun peut écrire ou non ; mais s'il le fait, j'exige une lettre propre. Le groupe a décidé que l'illustration serait faite soit en étude, soit à la maison, afin de gagner du temps pour les autres activités. Cependant le président est obligé d'intervenir, surtout auprès des nouvelles qui, l'an passé, illustraient leur lettre en classe ; ce changement dans leurs habitudes leur parait difficile. 1°. CHANT ET MUSIQUE Le chant démarre le 23 septembre. Andrée (une nouvelle) nous présente une chanson qu'elle a apprise l'année passée ; elle est cependant timide, mais elle témoigne là de l'ambiance amicale qui commence à s'installer dans le groupe. Le 24 septembre, les enfants décident d'apprendre « La Chanson des escargots », que Violette a lue au cours de l'entretien. Andrée leur dit qu'une ancienne élève, Aline, va nous apporter un disque. Ils s'aperçoivent alors que l'électrophone et le magnétophone sont toujours dans le bahut et ils me demandent de les réinstaller. A partir de ce moment, la musique retrouve une grande place. Nous l'insérons dans les activités individuelles, les ateliers, ainsi que le matin pendant que chacun revoit lectures et textes avant l'entretien. Le chant libre démarre lui aussi doucement. D'autre part, 14 enfants participent à l'atelier de musique et chant choral de l'école. 11°. LES ACTIVITES INDIVIDUELLES Avec la correspondance est réapparu le besoin de temps libre pour écrire. Ce temps est programmé régulièrement depuis l'après-midi du 9 octobre. Il n'est pas consacré uniquement aux lettres ; les enfants rédigent leurs textes libres, en recopient d'autres, préparent des lectures, travaillent à leur cahier de calcul. Le président de jour est le responsable de cette activité. Je corrige les textes pendant ce temps, je donne des travaux d'entraînement en fonction des erreurs commises. Je fais lire. Comme je ne peux être disponible partout en même temps, le groupe décide de donner un moniteur de lecture à Christian et un moniteur de calcul à Fabien. L'entraide mutuelle est un élément très important. Peu à peu, le rythme de travail progresse. Le samedi 15 novembre, Violette propose de reprendre les plans de travail, afin que chacun se rappelle ses travaux d'entraînement et puisse juger de ses progrès. Le lundi 24, nous faisons un bilan collectif de la semaine :
En cette fin de novembre, toutes les activités de l'an passé ont redémarré sans que j'intervienne ; aucune activité nouvelle n'a été proposée. Les enfants ont retrouvé une grille équilibrée qu'ils reprennent chaque semaine :
Il nous reste à découvrir des moyens permettant au groupe d'apprécier ses progrès dans tous les domaines, car cette appréciation est le moteur de l'enthousiasme collectif. Nous les chercherons et nous les créerons ensemble. Au niveau des activités, j'ai un rôle d'aide à assumer. Je soutiens l'effort des plus faibles ; je stimule ceux qui, comme Christian et Jacky P., manquent de dynamisme ; j'essaie d'amener chacun à être exigeant pour lui-même ; je mets en valeur chaque réussite. Cela n'empêche pas les journées d'être très différentes suivant la disponibilité des enfants. Ils sont parfois très apathiques ; d'autres fois, c'est l'énervement qui s'empare d'eux, Mais ils arrivent progressivement à une meilleure maîtrise d'eux-mêmes. L'éducation d'un travailleur responsable, capable de gérer son activité, est oeuvre de longue durée, surtout avec nos enfants aux intérêts souvent fugitifs et changeants, ces enfants à qui nous devons redonner à la fois le désir du travail et le goût de l'effort. * Le bilan de ces deux premiers mois montre une évolution favorable vers l'autogestion. Les membres les plus difficiles du groupe, Jacky F. et Catherine, sont en voie d'intégration. Jacky, après avoir tenté de m'affronter pour attirer sur lui l'attention, est maintenant en train de devenir un leader positif du groupe ; il aime cependant encore, lorsque nous avons des stagiaires, jouer au « play-boy » qui se désintéresse des activités de ses semblables. Ses camarades deviennent aussi plus indépendants à son égard, ce qui le pousse à changer d'attitude. Catherine, frustrée par son milieu familial et très agressive en début d'année, est mieux acceptée. Elle essaie de s'intégrer par ses nombreux textes libres et ses lectures. Elle a encore des mouvements agressifs violents, mais ils se font plus rares. L'identification des nouvelles au groupe s'est opérée. Elles parlent maintenant de « notre classe », de « nos correspondants », et se montrent attachées à nos activités. Les enfants ont encore besoin de mon aide pour gérer leur vie, mais cette aide se fait de jour en jour plus légère ; elle tend à suivre pas à pas les possibilités d'un groupe qui prend de plus en plus conscience de ses responsabilités. *
Pour qu'un groupe puisse agir avec cohésion, il est nécessaire que chacun de ses membres accepte les buts fixés. Or il arrive que certains enfants refusent ces buts et les normes établies par le groupe, perturbant ainsi les activités de la collectivité. Ce sont les déviants dont parle Lapassade dans son ouvrage : « Groupes, Organisations et Institutions » (LIFOD) : « On peut encore observer dans les groupes une pression vers l'uniformité qui implique notamment comme conséquence le rejet des déviants. Un membre déviant pose un problème: en même temps qu'on tend à le rejeter, on peut aussi imaginer qu'il pourrait apporter des éléments nouveaux, des solutions aux problèmes que se pose le groupe, D'où les efforts pour le rallier à celui-ci… Plus la maturation du groupe est forte, et plus est accrue la tendance à rejeter un déviant. » Nous allons pouvoir étudier ces manifestations de déviance dans le cas de Martine, et les réactions du groupe. Mais qui est Martine ? Martine a 10 ans et 10 mois lorsqu'elle entre dans ma cdp en septembre 1965. Elle a un Q.I. de 77 au B.S. Physiquement, elle parait 14 ans ; elle est plutôt lourde dans ses mouvements. J'ai appris cette année qu'elle avait une déviation de la colonne vertébrale, ce qui expliquerait ses difficultés motrices, et sans doute son opposition aux activités d'éducation physique et à la danse, où elle se sent mal à l'aise. Son milieu familial est très uni. Elle est couvée par ses parents: Elle est la troisième fille, et un garçon la suit, Patrick, qui se trouve lui aussi en cdp. La sœur qui la précède est en F.C. et présente une débilité supérieure à la sienne. Avec ses sœurs et son frère, elle se montre vindicative et peu coopérante ; elle a tendance à les commander. On note d'ailleurs une certaine évolution dans son attitude. En janvier 1966, sa mère me la présente comme une opposante « ayant toujours raison » et peu coopérative. En octobre de la même année, elle est devenue « sérieuse » et étonne son milieu familial, mais ce comportement se dégrade rapidement, puisque, fin octobre, sa mère revient me rendre visite : « Martine répond grossièrement ; elle a écrit une lettre grossière à ses sœurs ; elle s'oppose à tout ce que nous disons... » Il semble que père et mère n'ont guère d'autorité sur Martine, qui les manipule aisément. C'est ainsi qu'elle participe très activement aux travaux du ménage, se levant tôt chaque matin, obligeant sa sœur plus aînée à faire de même, ce qui lui permet d'obtenir ainsi quelques privilèges. En septembre 1967, elle fait partie d'un groupe de jeunes qui se produit dans les fêtes en exécutant des danses folkloriques. A la maison, elle a acquis l'autonomie d'une jeune fille. Lorsqu'une activité de la classe lui déplaît (sortie de plein air par exemple), elle se dit malade. Comment se manifeste cette déviance ? Le lundi 8 janvier, Martine rentre de vacances ; elle présente un texte sur l'UNICEF. Le mardi 19 décembre, nous avons vu à la télévision une émission sur l'UNICEF. Mireille Mathieu lançait un appel pour « la faim dans le monde ». J'espère que tout le monde l'a écouté attentivement. our ces gens qui meurent de faim, faites un effort, aidez-es à vivre. Quand nous voyons ces gens maigres, dont on aperçoit les os, nous avons pitié. Nous mangeons, et eux meurent de faim. Je voudrais que tout le monde soit heureux, faites quelque chose pour eux, ne pensez pas toujours à vous. Il y a des gens qui ne pensent qu'à gaspiller leur argent. MARTINE Ce texte est choisi et suscite une riche discussion. Il fait prendre conscience à ses camarades d'un problème vital pour l'humanité tout entière : la faim dans le monde. Les enfants décideront d'ailleurs, au cours de leur conseil de coopérative, de créer une caisse de fonds pour l'UNICEF et de lancer un appel à des classes françaises et étrangères, par l'intermédiaire de leur journal et de la Gerbe internationale. (Éduc. N°1, sept.-oct. 1968 : Laïcité et engagement de l'Educateur). Confirmant l'hypothèse de Lapassade, Martine a fait faire aux autres enfants un bond en avant dans leur maturation sociale ; mais elle se heurte au groupe au cours du conseil. Elle propose la suppression des critiques, et seule Renée la soutient. Alors, lorsque ses camarades proposent de faire des maths le lendemain, elle est seule à refuser : elle veut travailler aux bandes ; et comme ses camarades lui refusent ce droit, elle se réfugie dans le mutisme. Le mardi, au cours d'une activité que j'anime avec Renée et qu'elle gêne (groupe de bruitage), je la prie de se taire : elle me répond par une grossièreté. A la récréation, je lui demande d'aller dans la cour, car je n'ai pas envie de passer ma récréation avec quelqu'un de grossier. Elle sort en grognant, car elle aime beaucoup rester en classe pour y écouter des disques. Le mercredi, elle présente une lecture sans avoir préparé de questions, contrairement à ce qu'a décidé le conseil. Elle refuse d'en poser à la demande de la présidente de jour. Immédiatement après, en discussion, elle présente une coupure de journal avec la photo de trois petits enfants vietnamiens orphelins du fait de la guerre. Sur ma demande, elle lit le texte qui accompagne cette illustration, et qui est du reste très intéressant. Une discussion suit ; elle y est très active. Je propose alors aux enfants que notre journal reflète ces discussions, qui font partie de notre vie. L'accord est unanime, et pendant une heure nous ferons un excellent travail enrichissant sur « notre vie ». Cette dimension discursive, nous la devons incontestablement à Martine. Lors de la sortie à midi, les filles doivent se mettre derrière les garçons, à la suite d'une décision du conseil. Martine n'attend jamais les autres filles. Or je dois veiller à la sortie sur la route (institution externe). Martine, Françoise et Annie marchent à 10 mètres devant les autres. Comme la présidente n'intervient pas, alors qu'elle est responsable du groupe durant la traversée de la cour, je l'envoie prévenir les trois filles de nous attendre au portail. Elles sortent néanmoins, puis refusent de revenir. Je les rejoins en voiture et je demande des explications. Seule, Françoise me répond : « On sort toujours en retard ! » Au conseil du soir, je demande de discuter de cette affaire. Au cours de la discussion, Martine chantonne, se désintéressant complètement du débat. Mais son attitude (refus de la règle concernant la sortie sur la route) met le groupe en situation de la rejeter. Elle est prise à partie et réagit violemment : « Cela ne vous regarde pas ! » J'interviens pour lui rappeler qu'elle vit dans un groupe dont les règles sont à respecter et que je ne lui permettrai pas d'agir comme elle fait. « Je m'en fous ! », déclare-t-elle. Je la prie de se retirer dans un atelier hors du groupe. Je discute ensuite seul à seul avec elle, et elle reprend ses activités. Ces attitudes de Martine provoquent des réactions violentes du groupe lorsqu'elles risquent d'empêcher une activité pour laquelle les autres sont très fortement motivés. Ce fut le cas, par exemple, lors du voyage-rencontre avec nos correspondants de Saint-Nazaire. Dès le mois de juin, les enfants avaient demandé un voyage-rencontre avec des correspondants pas trop éloignés. Au cours du premier choix de date, le vote avait donné 14 voix pour et 1 voix contre. Le vote était secret. Par la suite, lors du report du voyage (pour motif de grève), et devant la joie de Martine contrastant avec la déception des autres, on comprit que c'était elle qui avait voté contre.
Est-il souhaitable d'apprendre aux enfants à prendre en main leur vie au sein d'un groupe coopératif dont l'amitié, la compréhension, l'acceptation des autres, sont les fondements relationnels ? Est-il souhaitable de leur donner le goût de la liberté, de l'expression libre, du travail créateur, de la relation vraie avec les autres, qui sont des valeurs d'une société libre, différente de la société de compétition, de contrainte, d'aliénation du travailleur, dans laquelle ils vivent ? Est-il souhaitable de les aider à développer leur esprit critique, face aux moyens de pression utilisés pour la mise en condition des hommes : propagande, publicité ? Est-il souhaitable d'aider à la naissance d'êtres autonomes, libérés, lucides, qui ne pourront accepter la société telle qu'elle est et lutteront pour la transformer ? Je le pense, car si mon action d'éducateur se situe dans un but de bonheur immédiat de l'enfant à l'école, bonheur conditionné par un climat d'amitié, de liberté, lui permettant de mettre en action sa spontanéité créatrice, d'établir des relations vraies avec les autres, de se cultiver à même ses propres expériences, elle se situe aussi dans un projet de révolution de la société et dans l'hypothèse que seuls des êtres autonomes et libérés sauront construire la société libre qui répondra à leurs besoins profonds d'hommes. Et cela, je me sens en profond accord avec le message de Freinet, qui disait en 1962 au congrès de Caen : « Nous préparons, non plus de dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s'organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d'efficience et de paix. » |