LA JOIE DE VIVRE
C'est bon de savoir vivre
en bonne entente
avec tous ceux
qui nous entourent !
C'est si bon de voir
les oiseaux s'ébattre
dans l'air,
car ils se sentent libres, libres
Rien ne les enchaîne
à rester dans une cage
où ils se sentiraient prisonniers
Là-haut dans le ciel
ils sentent la liberté venir à eux.
Nous, humains,
aimons aussi
vivre librement !
Nous imitons les oiseaux,
toujours à la recherche
de l'amitié,
de
la liberté.
Nous désirons de tout
notre cœur l'amitié,
que ce soit celle d'un homme
ou celle d'une femme :
Ce n'est que l'amitié qui compte.
Arlette
DANSE
|
I - LES ENFANTS
Militante
du mouvement international de l'Ecole Moderne, j'ai toujours pratiqué
une pédagogie basée sur la coopération scolaire et la liberté d'expression.
Toutefois, la lecture des expériences d'autogestion en classe de perfectionnement
réalisées par mes camarades de l'ICEM, m'a conduite à accorder une part
plus grande aux enfants pour ce qui concerne le choix des activités et
les décisions de travail.
Durant
cette année 1968-69, les enfants ont évolué dans un climat de liberté
plus développé. Sans doute la discipline était jusque-là librement consentie ;
la parole était donnée aux élèves quand ils la désiraient ; les conseils
de classe étaient positifs. Mais l'effort fait dans ce sens cette année
a été beaucoup plus ample.
Pour
mieux comprendre l'esprit dans lequel l'expérience a été menée, il est
nécessaire de bien situer ma classe.
Elle
se compose de 14 élèves débiles légers : 7 filles et 7 garçons. Certains
accusent des troubles caractériels. Ils ont tous de 12 à 16 ans (sauf
un garçon âgé de plus de 17 ans). Tous sont issus d'un milieu socio-économique
particulièrement défavorisé et perturbé. D'où traumatismes et blocages
affectifs se soldant par des chutes, des transferts se liquidant en classe.
Sur
l'ensemble des élèves, 3 sont dans ma classe depuis 64-65, et 5 ont déjà
bénéficié de la pédagogie Freinet chez deux de mes collègues. Ils ont
donc déjà joué un rôle dynamique au sein de leur groupe ; ceci me
paraît très important.
Nous
faisons partie d'un établissement d'Enseignement spécial de l'Etat groupant
150 élèves de 3 à 16 ans accusant toute espèce de déficience, sauf le
handicap physique prononcé et l'infirmité motrice due à la paralysie cérébrale.
Je
vais en quelques phrases vous présenter toute mon équipe.
1.
MARC
14 ans, fils de manœuvre-maçon ;
tendant à vivre replié sur lui-même ; bloqué affectivement; mauvais
climat relationnel familial; caractériel. Père chômeur volontaire ;
Marc s'en ressent, car il se dérobe face au travail.
Intelligence pratique. Au
courant de l'actualité, il répugne à tout effort. Se tracasse parfois
pour son devenir. A une fois giflé un ancien qui venait lui annoncer qu'il
était embauché dans une usine métallurgique.
Marc a des tendances de meneur.
Mais il ne veut jouer aucun rôle dans la coopé, malgré ses possibilités.
2. HENRI
15 ans, fils d'ouvrier maçon
courageux ; mère ménagère active mais de petite santé. Très jaloux
de son frère de 12 ans, qui n'a jamais essuyé aucun échec en classe. A
son arrivée en 64, était très agressif et se singularisait dans son village
par des actes de vandalisme (28 carreaux brisés par ses soins dans une
maison momentanément inhabitée !) Langage de charretier. Complexe
de persécution.
Niveau scolaire assez bas.
Quand je voulais le pousser aux connaissances, il me répétait sans cesse :
« Pourquoi te tracasser pour moi si je n'ai pas envie de travailler ?
Tu sais bien que plus tard je veux m'engager à l'armée ! »
Cependant, dès que la brèche
fut découverte, il fit preuve d'une relative activité. En effet, Henri
est très attaché à sa mère malade, ce qui a provoqué chez lui une propension
à se surpasser dans les activités culinaires ; il invente des recettes !
A obtenu son brevet de cuisinier.
Grâce à notre organisation
du travail répartissant la classe en multiples ateliers (y compris coiffure
et manucure), il a pu se réaliser enfin ; il est heureux
3. MARCEL
Fils d'ouvrier ; enfant
passif inhibé, quoique grand nerveux (épileptique). Agréable ; venant
d'une classe traditionnelle, ne savait même pas rire ni sourire. Niveau
scolaire très bas.
Poète toutefois ; aime
les lapins et... sa bicyclette. Vit en isolé, Communique très peu avec
ses camarades; mais maintenant ses yeux respirent la joie. Va s'engager
dans un atelier essentiellement pratique. Quand il a de l'argent en poche,
ne songe qu'à s'acheter des outils.
4. HENRI II
17 ans. Très faible en connaissances
scolaires. Doux. Langage enfantin. Adore le football, le vélo, et les
filles (qu'il n'ose approcher, mais à qui il fait les yeux doux). Ne sachant
écrire, il leur fait adresser des messages, leur offre des cadeaux.
Cadet d'une famille de 7
garçons, Surprotégé par sa mère et adulé par son père, mineur retraité.
A reçu une bonne éducation, A 13 ans avait un langage de bébé et n’osait
s'exprimer en public.
A réussi à trouver du travail
dans une robinetterie où son chef ne tarit pas d'éloges à son sujet, Bien
qu'il ne sache pas lire, arrive à déchiffrer les schèmes usuels de la
vie et à se débrouiller pour retrouver son chemin quand il fait des livraisons.
Heureux de vivre.
5. FRANCIS I
Fils de commerçants, Toujours
occupé ; travailleur manuel; excellent producteur pour la coopé. Aime
l'argent. Epileptique ; éclats de mauvaise humeur. Très jaloux de
son frère de 11 ans. Plein d'initiative, Aime que les décisions soient
vite prises, Rapide et dynamique dans l'exécution, Bougon autrefois, est
devenu jovial et boute-en-train. Estimé de tous.
6. FRANCIS II
14 ans. Père très travailleur ;
mère active. Jaloux de son frère jumeau qui réussit parfaitement à l'athénée
(école secondaire).
La présidence de la coopé
lui a donné une certaine assurance. Aime le travail manuel très actif.
De santé très précaire : cardiaque et troubles de la psychomotricité.
Ecriture presque illisible.
Elève très coopérant vis-à-vis
de tous. Malheureusement, l'expression libre ne lui a pas été souvent
permise dans l'école d'où il provient.
7. TONY
15 ans. Présenté comme vagabond
et truand. Ejecté d'une école professionnelle voisine. Très intéressé
par les recherches, les expériences et les documentations les plus diverses.
Effectue des enquêtes d'après des livres d'adultes : « Animaux
du monde ». Lit les classiques (J.J. Rousseau).
Surprotégé par sa mère, seule
à élever 3 enfants ; c'est une gitane superstitieuse, qui s'occupe
à effrayer l'enfant et à le rendre méfiant vis-à-vis de tout, Tony est
son cadet ; elle l'aime par-dessus tout. Lors du voyage de fin d'année,
elle lui a offert une montre en or pour qu'il ne nous accompagne pas,
par crainte d'un accident (qu'elle avait lu dans le ciel !)
8. CHANTAL
13 ans ; père en prison ;
mère analphabète profitant du moindre malaise pour garder sa fille à la
maison, Famille aidée par l'Assistance publique. Chantal a souffert d'hyposcolarisation.
Depuis son arrivée chez nous
il y a 2 ans, l'absentéisme a disparu. L'enfant aime l'école. Niveau scolaire
en hausse, Prise en mains sérieuse des responsabilités par la fillette,
qui réalise le handicap de sa mère et voudrait l'atténuer, « Ma mère
s'est faite rouler en signant des papiers présentés par un démarcheur ;
je ne veux plus que cela lui arrive ; ça ne m'arrivera pas, car je
lis et essaie de comprendre tous les écrits » (même un vieux bout
de papier trouvé par hasard).
Chantal a bien bougé. On
envisage, pour la prochaine rentrée scolaire, de la remettre dans le circuit
« normal » en section technique, Elément super-actif dans la
coopé. Orthographe améliorée. T'out son travail est axé sur la correspondance :
elle a écrit à 7 camarades.
9. ARLETTE
15 ans, Père retraité mineur,
cardiaque. Atmosphère très lourde clans la famille : 2 frères épileptiques,
un atteint de carie des os, une sœur amblyope et mal développée physiquement,
une sœur mariée. Mère très énergique et agressive.
Arlette vivait repliée sur
elle-même, timide, gênée dans ses mouvements. Hésitante ; n'arrivait
pas à écrire trois mots. Peu d'initiative.
A présent elle est plongée
dans les écrits, elle se libère, elle ose manifester son désaccord à l'occasion !
Elle est devenue la secrétaire
de la classe ; s'occupe de la rédaction de la revue de nos trois
coopés. Tous les textes sur stencil sont tapés par elle, Arlette est complètement
transformée ; elle se sent quelqu'un !
10.JOSETTE
16 ans, Père militaire de
carrière. Enfant agressive, instable. Se mettait en position de défense
dès qu'on s'approchait d'elle.
Aime toutefois qu'on s'occupe
d'elle, désire être 17attée, etc. Aime les petits, les protège. Poète
à ses heures.
11. MARIANNE
15 ans, de milieu socio‑économique
très bas et très perturbé le concubin de sa mère ne travaille pas.
Très douce et très aimante.
Avait perdu toute confiance en elle-même. Enfant très agréable, coopérante,
travailleuse. Mais elle est rejetée par sa mère qui ne manque aucune occasion
de l'accabler publiquement. La fillette reporte toute son affection sur
les animaux. Au point de vue scolaire, manifestait peu d'intérêt. A été
accrochée par la correspondance et les recherches sur les animaux, dont
elle assume la responsabilité.
12. JANINE
14 ans, élevée par sa mère
veuve avec 4 enfants. Etait très tapageuse et criarde ; s'est affinée
au contact des garçons. Eprouve peu d'intérêt pour l'école.
Très sensible cependant.
Excellente artiste peintre, s'est révélée poète lors de nos dernières
sorties.
13. MARIE-ROSE
14 ans, mère couturière, père forgeron. Très jalouse de son frère de 15
ans qui « brille » à l'école technique.
Arrivée dans ma classe à 13 ans ; ne lisait pas ; maintenant
elle sait. N'écrivait pas ; maintenant adore la correspondance. Correspond
avec un maître Ecole Moderne qui a été muté dans un établissement voisin ;
ils échangent de vrais romans.
Non seulement Marie-Rose
est arrivée au stade de la lecture courante, mais son orthographe se polit.
Les aspérités de son caractères Disparaissent. Elève très
agréable. Toutefois, fait des crises de jalousie aiguë ; a un penchant
pour Marc, qui ne prête guère attention à elle. Très coopérante.
14. ELISABETH
15 ans. Gros problème : le père a abandonné la mère. Elisabeth
est placée dans un home d'accueil par le Juge des enfants ; mère
déchue.
Enfant fougueuse ; fait le mur ;
rentre au home à 1 ou 2 heures du matin. Sort avec un jeune homme du voisinage,
débile de 22 ans possédant une voiture.
Au début, élément très perturbateur
dans la coopé, giflait sans raison ses camarades et surtout les garçons
(tendances hystéroïdes). Devant mon indifférence à ses sautes d'humeur,
elle se trouvait désarçonnée.
Très nerveuse, elle me dit :
« J'ai envie de te piquer pour voir si tu réagirais. Tu es bien la
seule à ne pas me poursuivre quand je me sauve ; tu ne te tracasses
pas !… » (et pourtant !…)
Elle s'est transformée. Très
affective, elle sent en moi une présence non hostile. M'embrasse chaque
matin et chaque soir. Si bien améliorée que le juge l'a rendue à sa mère
en juin, après un an de séjour dans notre classe.
Venant de cellules traditionnelles.
Elisabeth était une petite épave morale qui se laissait facilement entraîner.
Elle est devenue active au sein de notre équipe. Adore écrire des textes
libres ; écrit à ses correspondants, même de chez elle, leur envoie
des colis. Pendant les vacances, me téléphone régulièrement.
Un 15e cas qui à lui seul mériterait un mémoire
15. ROBERT
14 ans et demi, père retraité,
mère ménagère, 2 frères adultes, une sœur mariée. Enfants de deux lits.
Robert est rejeté.
Fréquentait l'enseignement
secondaire d'où il fut exclu parce que trop perturbateur. Me fut présenté
comme un sujet peu intéressant. Foin des étiquettes !
Robert était plutôt gêneur
parce que trop actif. Aide précieuse en classe ;excellent collaborateur,
plein d'initiative.
Niveau intellectuel assez
élevé (Que de gaspillages d'intelligences dans trop d'écoles !) Hélas !
il était, pour les professeurs, trop contestataire ! Chez nous, il
a trouvé sa place et nous n'avons jamais eu de heurts.
En fin d'année, il est allé tout seul
s'engager dans une usine métallurgique. Se débrouille parfaitement. Vient
régulièrement à la maison, compulse mes livres, peint, discute très sainement.
Est très perméable à l'expérience. Passe du travail manuel au jardinage
et à la recherche, avec une égale aisance. A sa demande, nous sommes allés
ensemble visiter des musées de la capitale. Agressivité disparue.
2
‑ OU EN SOMMES-NOUS ?
La
forme d'organisation de notre coopérative est spontanée. Les décisions
sont prises en majeure partie par les coopérateurs eux-mêmes. Les élèves
se réunissent en assemblées (peu nombreuses), puis des réunions d'ensemble
sont faites pour coordonner les décisions.
Les
responsables sont mandatés pour une action très précise. Les liaisons
sont aussi établies sur le plan local avec les autres coopératives (ici
nos correspondants) : rapport de président à président, rapport de la
vie dans les coopératives.
Le
plan de travail est destiné à satisfaire des besoins réels et non des
profits. Le conseil de classe est organisé.
Nous
pensons qu'il est très possible d'instaurer ce système et que l'autogestion
doit être prévue dès l'école primaire. Vivre une vie coopérative réelle
préparant les enfants à leurs responsabilités d'hommes semble bien être
indiqué dans l'enseignement spécial, et a fortiori dans l'enseignement
ordinaire.
Je
pense que nous devons faire davantage confiance aux enfants, leur permettre
d'être, de vivre et d'agir. Alors seulement nous assisterons à l'éclosion
d'élèves heureux.
UN BILAN
1°.
Ce sont les élèves qui ont réclamé la 1re réunion en vue de
créer une coopérative, après 15 jours de classe.
2°. Ils ont désigné, et ce dans
un cadre très souple, les responsables :présidente, vice-présidente,
trésorière, trésorière-adjointe, secrétaire, secrétaire-adjointe, en fonction
du travail mesuré durant la 1re quinzaine.
3°. La définition des responsabilités
a été motivée par les nombreuses tâches à assumer et les nécessités matérielles.
4°. La cotisation minimum obligatoire
a été fixée à 2 F par les élèves eux-mêmes. Ils produisent et perçoivent
10 % de la vente ; donc celui qui n'a pas versé sa cotisation ne
peut s'en prendre qu'à lui-même (voir plus loin).
5°. Le tableau mural a été relancé.
6°. Des visites ont été organisées
par les enfants : la foire commerciale ‑ la caserne des pompiers
‑ la foire liégeoise d'octobre ‑ l'usine des vieux métaux
‑ la laiterie ‑ la cristallerie. Une visite à la biscuiterie
et une à la brasserie sont en voie de réalisation.
7°. U n vote a été organisé pour demander au professeur de pédagogie
s'il accepterait la visite de ses normaliennes. Sur 13 enfants, 8 sont
d'accord, 3 ne sont pas d'accord, 2 sont indifférents. Les visites sont
acceptées ; les 3 élèves qui ne sont pas d'accord travailleront aux
ateliers.
8°. L'organisation du travail est beaucoup
plus librement consentie. Le groupe prend davantage en charge les responsabilités.
9°. Il n'y a plus d'allergie au
travail. La vie est bien plus heureuse.
10°. La plus grosse lutte à mener
fut personnelle : sans vouloir s'effacer complètement, il faut écarter
toute forme d'autoritarisme de la maîtresse, si minime soit-elle. Il faut
être complètement détendu, toujours patient, ne pas manifester d'inquiétude
; bref, être libérée de soi-même.
Les
résultats sont tangibles, et je sens que la coopérative évolue de jour
en jour vers une société sans contrainte. Sans doute je donne souvent
mon avis, mais il ne prime pas obligatoirement.
Nous
bénéficions de la richesse des échanges interscolaires. Les élèves de
Pierre Seykens, à Ougrée, nous permettent de mieux organiser le travail
éducatif. Nous sommes sans cesse relancés les uns les autres dans un bain
de recherches.
Nous
avons reçu de très intéressants travaux présentés sous forme de bandes
savamment programmées, et personne n'est resté passif. Les bandes ont
provoqué un rebondissement. Les réponses furent ajoutées à la bande initiale ;
ou bien une nouvelle bande fut élaborée en suivant un autre intérêt.
Les lettres personnelles, les albums, les diapositives,
les bandes magnétiques ne sont toutefois pas ignorées. Nous avons reçu
et transmis plus de 10 envois en 5 semaines ; la correspondance n'a
jamais battu ce record.
LE POINT DE VUE « ACTIVITES-PRODUCTION »
Là
aussi, ce sont les élèves qui organisent. De nombreuses équipes se sont
constituées librement pour réaliser l'activité choisie, sans le moindre
interventionnisme :
Préparation
de maïs grillé ‑ de gaufres ‑ de crêpes ‑ de poires
cuites ‑ de betteraves ;
Lavage de voitures ;
Préparation de gâteaux ‑ de
crème ‑ de macédoine de fruits de chips ;
Réalisation d'émaux sur cuivre ;
Préparation de petits meubles, nichoirs...
Les
enfants vendent leur production en ville au profit de la coopé et perçoivent
10 % de la vente.
Ce
que nous avons voulu chercher ? De redonner aux enfants un besoin
d'activité, de confrontation, de recherche, d'initiative, de surpassement.
Ce que nous avons voulu mettre sur pied dès le départ,
c'est la possibilité pour chaque élément de se réaliser suivant ses propres
aptitudes dans un ensemble coopératif disposant de la liberté de décision.
QU'A-T-IL FALLU CHANGER ?
En
tout premier lieu, il a fallu me changer moi-même. Je ne me suis plus
souciée des programmes ni des horaires. Je voulais mettre le futur citoyen
en mesure d'agir selon ses responsabilités et de vivre en saine démocratie,
plutôt que de lui faire acquérir des connaissances.
Je
vais essayer de présenter des exemples qui montrent comment nous nous
y prenons. C'est sur le principe de la non-directivité que s'est basé
tout le travail de cette année. Tout se fait très naturellement. Ainsi,
dès qu'on reçoit un envoi, on en prend connaissance et on répond, soit
par un message sonore, soit par un album personnel, une recherche à plusieurs,
une jolie poterie, des émaux, une bande ou une préparation culinaire.
MON
BONHEUR
J'ai
un petit lapin papillon
noir et blanc,
a de petites oreilles
noires.
J'aime le regarder
quand il mange son
pain.
Il est très beau, mon
petit lapin.
Il saute loin,
Il remue le nez toute
la journée.
Ses petites moustaches
blanches et noires
s'agitent un brin.
Je l'aime bien
mon petit lapin.
Marcel
MUNAR
|
J'AIME
J'aime
la nature et ses secrets.
J'aime tous les enfants
du monde,
même ceux qui n'ont
pas la même
couleur que moi.
J'aime les verts pâturages
des prés
et leurs fleurs multicolores.
J'aime les hautes montagnes
vertigineuses que des
alpinistes
escaladent.
J'aime TOUT.
Toni
COLLINET
|
3 ‑ UNE TRANCHE DE VIE DE LA CLASSE
LUNDI
13
h 30 ‑ La matinée s'est passée à l'atelier et aux cours spéciaux
de religion et de morale.
A
la rentrée, les élèves discutent librement. Deux groupes sont constitués
:
1°.
Le comité exécutif de la coopé (président, secrétaire, trésorier + les
3 adjoints), qui se réunit dans le couloir ;
2°. Les autres participants, qui discutent librement
en classe.
Le
premier groupe rentre. Le président déclare ouverte la séance et demande
si la semaine s'est bien écoulée pour tous et si chacun est content. Chacun
se déclare satisfait, sauf Marie-Rose, qui s'excuse pour sa mauvaise humeur
de jeudi : « Je ne sais pas ce que j'avais ce jour-là ;il
faut m'excuser, mais je préfère qu'on n'en parle plus ! »
Le
président ‑ Avant de commencer, nous pourrions peut-être expliquer
comment nous avons passé le week-end.
FRANCIS :
Oh ! moi je suis claqué ; je suis allé relever les vieux journaux
pour les vendre au profit d'un sana.
ARLETTE : Moi je suis aussi fatiguée, mais ce n'était
pas pour le travail : ma sœur s'est mariée et nous avons « nocé ».
Questions et réponses se succèdent à ce sujet. Arlette
poursuit :
Chez
Robert Cherain (élève qui nous quitte pour aller au travail), c'était
aussi un mariage. Ils avaient l'air de bien s'amuser ! Robert n'a
pas voulu assister au mariage de sa sœur. C'est drôle !
HENRI (15 ans ½, inhibé, qui n'a jamais rien à dire, qui vit replié sur
lui-même) : Oh ! moi, au mariage, même si j'étais gêné de
moi, j'y serais allé rien que pour pinter. J'aime ça, mais quand je sors
avec mon père il ne fait pas le poids : après deux verres, il est
cuit, il veut se bagarrer, je dois l'en empêcher !
MARIE-ROSE : Je suis
plus gaie aujourd'hui : pendant le congé, j'ai dansé chez moi dans
un réduit avec mes petites amies !
MARCEL : Pour moi ce
qui compte c'est d'aller me promener. Je regarde la nature, les animaux,
tout ce qui vit, mais pas les filles surtout !
FRANCIS I : C'était
l'ouverture de la pêche ; je suis allé taquiner le poisson, J'irai
encore dimanche.
MARIE-ANNE : Quatre
coqs sont malades chez moi ; ils éternuent, c'est marrant !
Je me suis promenée dans la prairie ; le cheval a mangé la manche
de mon pull et arraché les pages de mon livre.
MARC (qui n'a rien fichu au cours de travail manuel ni à la
morale ce matin, et qui se déride peut-être cyniquement) : Moi,
je me suis em… tout le week-end, mais j'ai bien ri quand on a ramené mon
frère militaire en ambulance. Oh ! au fond il n'avait pas grand chose !
Dans
tout cet échange, je n'interviens jamais, ou très peu. Il arrive cependant
que le groupe me sollicite : « Et toi, Yvette, ça s'est passé
comment, ton dimanche ? »
Il
m'arrive de solliciter l'opinion des enfants passifs, mais d'une manière
très souple, car si mes gars me soupçonnent de questionnite aiguë, ils
pourraient bien se cabrer !
Je
tiens à signaler que la conversation s'organise et tourne très naturellement.
Les enfants interviennent à tour de rôle et moi aussi j'ai mon texte oral
à faire. La conversation tombe d'elle-même quand elle ne présente plus
d'intérêt. Mais nous sommes arrivés au stade où l'on ne se coupe plus
la parole.
LE
PRESIDENT : A quel point en sommes-‑nous dans nos comptes ?
LE SECRETAIRE : La trésorière
est absente pour une raison valable ; elle m'a donné son cahier de
comptes. Je vais vous lire la page de la semaine dernière : « Je
vais toutefois vous signaler que j'avais repris 7 bagues en émail et que
je croyais les vendre ce week-end ; je n'y suis pas parvenue ».
MARIE-ROSE : A propos
de bagues, il manque des matières premières pour réaliser les émaux. Ce
serait l'occasion de nous rendre à Sprimont chez Madame Morhay (l'artiste qui veut bien nous faire une démonstration).
JANINE : En même temps nous
ferions là nos achats de poudre et de matériel.
LE PRESIDENT : On retient
la proposition de Marie-Rose. Qui est d'accord pour aller à Sprimont ?
Vote à mains levées : unanimité.
MARIANNE : Qui se charge des démarches ?
Toni,
Francis, Chantal se proposent. Marianne demande ensuite qui veut répondre
à l'universitaire qui est venue en stage en classe. Elle se présente.
La
séance est levée et chacun choisit ses activités
Emaux :
Arlette, Elisabeth, Janine ;
Peinture : Marcel, Marc, Henri,
Francis I ;
Imprimerie : Francis II, puis
Marcel ;
Album : Marie-Rose ;
Bricolage : Marie-Anne.
La
journée s'est passée dans l'enthousiasme et la joie. Le soir, dans une
cabine publique, Toni a téléphoné à Mme Morhay pour savoir si elle est
disponible le vendredi pour nous recevoir. Elle accepte, mais demande
que tout lui soit confirmé, ainsi que le nombre de participants, car la
séance de démonstration dure trois heures et elle se propose d'offrir
une petite collation.
MON BONHEUR
Mon
bonheur est de voir
les gens heureux
et qu'il n'y ait pas
de guerre,
Mon bonheur, c'est
la joie de vivre,
Mon bonheur est aussi
de voir mon père, ma
mère,
mes frères et mes sœurs
heureux,
0
L'AMITIE
L'amitié
est de voir
des jeunes gens s'aimer.
L'amitié est aussi
avoir quelqu'un à aimer
et que ce quelqu'un
vous aime,
Toni COLLINET
0
|
LE BONHEUR
Le bonheur, c'est de savoir vivre gaiement,
prendre la vie du bon côté et s'aimer chacun
mais pas aimer rien que soi-même !
Il ne faut pas vivre
dans la pénombre
replié sur soi-même !
Il faut s'ouvrir comme
les animaux
qui prennent la vie
du bon côté
et ne se cachent pas
de se montrer
à leurs confrères qui
sont d'une autre espèce
et d'une forme non
connue.
Ce n'est que l'amitié
qu'ils recherchent
mais non la bagarre
comme le font les humains
qui se battent pour
un rien,
ou pour une femme !
Quelques animaux se
battent aussi pour une femme
mais c'est bien plus
rare
que chez nous, Humains !
Arlette DANSE
|
MARDI
Même
déroulement , l'entretien familier qui se prolonge dans le conseil de
classe. Je n'interviens pas pour le choix des activités. Pour Arlette,
lecture de l'album de géographie envoyé par P. Seykens ; Toni, Francis,
Chantal vont faire part de la proposition de la coopé au directeur, qui
semble d'accord ; il faudra toutefois voir le professeur de gymnastique
pour lui demander de nous libérer plus tôt. La réponse définitive sera
pour demain. Il faudra aussi rendre disponible le chauffeur du minibus
et que les élèves demandent à un de mes collègues de me remplacer pour
la surveillance de midi à 13 h. (Vous voyez que la participation des enfants
est effective, tant pour les contacts inter-élèves qu'entre élèves- professeurs,
élèves extérieur, élèves-directeur).
Toni,
Chantal, Francis font part de leurs démarches et signalent que M. Hamende
veut bien me remplacer pour la surveillance.
J'insiste
sur le fait que dans notre société (qui s'appelle la Coopé Sourire),
chaque enfant s'engage selon ses possibilités. Tous ne pourraient
pas prendre la direction des opérations, comme les trois cités plus haut
, chacun s'engage à la mesure de ses aptitudes. On n'arrive pas non plus
d'emblée au stade de l'autogestion, il y faut des paliers, comme en toute
chose. Cependant, dans l'ensemble autogéré que nous essayons de former,
chaque individualité s'exprime et se réalise.
Donc
nous avons eu ce matin l'entretien familier, le conseil de classe, avec
la critique de la journée de la veille et l'élaboration du plan de travail.
Arlette a lu et présenté l'album de Philippe, ce qui a provoqué des réactions :
comparaisons entre le nombre d'habitants au km² en Italie et en Belgique
‑ les travailleurs immigrés ‑ le nombre de chômeurs les chômeurs
en Belgique ‑ le chômage des jeunes ‑ la manifestation du
22 mai, pourquoi ?
Ensuite,
présentation par Janine d'un document audiovisuel sur Venise. Le hasard
a voulu que notre stagiaire fût justement une vénitienne, qui a pu nous
donner des compléments sur sa ville (gondoliers, cérémonies sur les canaux,
enterrements, mariages).
De
retour en classe, librement 3 enfants se proposent pour faire la critique
de l'album de Philippe (Henri 1, Arlette, Francis 1). Lettre à Ougrée
: Chantal et Marcel. Dessins illustrant l'album (3 enfants faibles mais
intéressés) : Marc, Henri 1, Marcel, et Bruna, stagiaire, qui se
joint au groupe. Emaux : Francis 1, Marianne, Francis II. Nettoyage :
Janine, Chantal, Henri, Marc. Album sur les chiens : Marie-Rose.
Tout
turbine sec. Chacun travaille, même les deux soi-disant « fainéants »
(ou considérés comme tels par les professeurs) ; chez nous, ils s'activent
toujours !
MON BONHEUR
Mon bonheur est mon petit chat
J'aime bien
mon petit chat !
Il mord parfois ma
mère ;
malgré cela
je l'aime bien, moi
mon petit chat !
Francis BOTTECHER
|
MERCREDI
Je
l'ai déjà dit : dans une société, toutes les valeurs ne peuvent être
identiques ni s'orienter dans le même sens. Il y a les élèves plus doués
pour les travaux plus poétiques, plus sensibles, plus intellectuels ;
il y a aussi les travailleurs typiquement manuels. Aucune force n'est
à dédaigner. L'important est de permettre à chacun de recevoir ce dont
il a besoin et de tourner à plein rendement. Et quel autre moyen que l'autogestion
pour parvenir à ce but ?
Ce
mercredi donc, comme chaque jour, entretien familier, toujours très riche.
Puis conseil de classe :
MOI :
Que va-t-on faire aujourd'hui ?
Certains
voudraient travailler aux albums ; d'autres préfèrent la lecture.
Je signale que j'ai reçu d'un camarade français un cahier de roulement
sur le BONHEUR (Le Gal) où se trouvent des poésies. Je vois alors Marc
et Henri grimacer ! Ai-je le droit de leur en imposer la lecture ?
Posons autrement le problème. « Cux qui veulent écouter les poésies
se groupent avec les stagiaires ; es autres s'activent librement ».
Ils
savent que le syndicat de chômage n'existe pas en classe. 9 élèves se
groupent donc autour de la stagiaire, mais Robert m'interpelle :
« Yvette, on aimerait que tu viennes écouter les poésies avec
nous, et que tu laisses Marc, Henri et Francis qui sont capables de travailler
tout seuls. » Jamais je n'ai connu pareille ambiance autour de
textes lus et provoquant l'intérêt général.
Pendant
la lecture, Marianne écrivit même une poésie (qu'elle a malheureusement
égarée) : l'Oiseau Blanc. A la suite de l'audition de tous ces textes
sur le Bonheur, quelques poésies sur le même sujet furent réalisées le
même jour. Elles sont insérées dans les pages du présent article.
Pendant
ce temps, les « concrets » réalisent des émaux sur cuivre et
des travaux en mosaïque ; Marc s'affaire à la construction d'un avion
en bois léger, et Henri d'une moto d'après plan.
Ensuite - trop tôt,
hélas ! - les filles furent appelées à leur cours de cuisine. Je
déplore que ces cours spéciaux viennent parfois briser et perturber le
travail : l'organisation dans ce domaine est à revoir. Pendant ce
temps, les garçons discutèrent ferme avec Robert, venu nous annoncer qu'il
avait cherché du travail et était embauché à l'usine de la Vieille Montagne ;
d'où questions et réponses nombreuses.
De
12 à 13 heures, je suis préposée à la surveillance ; j'ai rejeté
toute forme de surveillante-pion au profit des ateliers de travail. J'assume
la surveillance de 45 enfants, et les groupes suivants fonctionnent librement :
peinture, imprimerie, bricolage, football, couture, chant, musique.
Je
vais d'un atelier à l'autre. Il y a encore parfois des heurts dans les
groupes où la coopération n'a pas eu le temps de mûrir, chez les gars
sortant d'écoles ordinaires ou de classes à système plus rigide. On ne
passe pas d'un seul coup et sans problèmes du système rigide à l'autogestion ;
mais le fait, pour des enfants jusque là téléguidés, de se frotter à des
élèves autogérés, peut accélérer bien des étapes. Nous avons vu en début
d'année des enfants révoltés, agressifs, opposants, fugueurs, se transformer
au contact de camarades libérés, ne s'emportant plus, devenus si peu agressifs
qu'ils en imposaient par leur calme ou leur façon pacifique de réagir.
Dans
notre équipe (trois collègues pratiquant la pédagogie Freinet), nous ne
nous mettons pas en rang pour les déplacements. Et pourtant ce n'est pas
la débandade ; nous calquons notre manière d'agir sur celle des usines.
Cette
année, j'ai envoyé trois garçons à l'enseignement secondaire ordinaire.
Elèves débiles légers, mais agressifs à leur arrivée, opposants, et de
plus hyposcolarisés, ils suivent convenablement et se cantonnent tous
les trois dans le premier tiers de leur classe sans échec. Oh ! ils
n'ont pas totalement récupéré au point de vue du programme, car nous ne
faisons pas de miracles, mais nous leur avons permis de se réaliser un
peu plus et d'être perméables aux contacts humains et sociaux.
L'après-midi
de ce même jour, pour les filles : cours spéciaux de couture ;
pour les garçons, cours spécial de travail manuel.
LE PRINTEMPS
Les papillons vont revenir:
c'est le printemps.
Le Printemps fait tout revivre
les fleurs, les arbres, les herbes
et les petits oiseaux.
T'out cela va devenir
très beau.
Il y aura du soleil,
de l'eau : mille merveilles !
Les papillons vont
bien s'amuser,
Les jolies fleurs
et même les bourdons
vont danser,
Tout va devenir gai,
nous allons chanter,
nous allons danser,
Marie-Anne BAJOT
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JEUDI
Entretien
familier, puis élaboration du plan de travail après le conseil de classe.
Les filles proposent, soit la lecture des feuillets des correspondants,
soit la présentation d'un album de nos correspondants d'Ougrée :
Le Cirque. Cet album contient la fiche signalétique de nombreux animaux
tels que : le gorille, le lion, le phoque, l'éléphant. Les enfants
sont particulièrement intéressés par la période de gestation, la manière
de vivre du mâle et la manière de s'abriter du couple, etc.
Les
textes étant imprimés en caractères très petits, ils me demandent de lire
avec expression, ce que j'essaie de faire. Tout le monde réagît, même
Marc et Henri : ces deux enfants posent des problèmes à différents professeurs ;
il s'agit de trouver avec eux une manière de procéder où chacun puisse
trouver son compte. Ne sommes-nous pas là pour être un peu des techniciens
de l'organisation ?
Après
la présentation de l'album, réclamée par tous, c'est la récréation, puis
le cours de religion ou de morale donné par des professeurs spéciaux.
Puis pose de midi avec atelier d'expression libre.
L'après-midi, chacun travaille librement :
Janine et Rose-Marie : album
sur les chiens Robert : album sur la R.T.B.
Marc : bricolage avion ;
Henri : fabrication de cadres ;
Francis II : impression de
sa poésie (Mon Bonheur) ;
Francis 1 et Toni : jardinage ;
Elisabeth et Arlette : fabrication de gaufres à
vendre pour la coopé
Marcel : lettre à Michel ;
Marianne : mise en ordre des ateliers.
Le
président propose que le dernier quart d'heure soit réservé à la répartition
des responsabilités pour le lendemain. Il s'agit de la visite, proposée
par les enfants, chez Mme Morhay, où nous assisterons a une démonstration
d'émaux sur cuivre.
L'après-midi se passe. A 3 heures, le
président propose d'interrompre le travail puis de mettre en ordre les
ateliers. Chaque équipe s'active, puis la réunion s'amorce.
LE
PRESIDENT : Avez-vous des propositions à faire pour la visite de
demain ?
ARLETTE : Je demande
à Chantal si nos finances nous permettent de faire des frais.
LA TRESORIERE : En caisse il nous reste 340 F.
ROBERT : Je propose
qu'on fasse un montage avec des diapositives.
FRANCIS : Moi je m'en charge !
LA TRESORIERE (à Marianne) : Donne-lui
140 F pour le film, plus 175 pour des diapositives.
TONI : A ce tarif-là il ne te restera rien pour
acheter des émaux !
LA TRESORIERE : Je propose
qu'on paie à la réception de la facture ; ainsi nos émaux nous auront
déjà beaucoup rapporté, surtout qu'il y aura la fancy-fair.
MOI : Qui est d'accord ? (10 voix pour, 2 contre).
La sonnerie retentit ;
on se prépare.
VENDREDI
Après
le bain, nous nous rendons en minibus à Sprimont pour la visite de l'atelier.
Après un accueil des plus sympathiques, on se met au travail. L'artiste
me demande si elle doit faire des poses toutes les 20 ou 50 minutes, afin
de ne pas lasser les enfants. Mais le groupe se met à rire. Et Robert
s'exclame : « Vous nous prenez pour des bébés ! Nous,
quand on travaille, on travaille ! »
Chacun
se montre très intéressé par la démonstration. Les questions se succèdent.
Le responsable prend des dias. On n'arrête qu'après une heure et demie.
On sert la collation. L'ambiance chaude d'une maison très accueillante
ravit les enfants, qui sont groupés devant le feu, sans aucune présence
adulte. Le service se déroule dans la joie et la liberté. Là encore, aucune
intervention de ma part ; personne n'était guindé, et toutefois les
lois de la correction ont été respectées, ce qui nous valut des félicitations.
Extrait de la lettre reçue le lendemain matin
Chère Madame Boland,
Nous
avons conservé un très agréable souvenir de votre visite en compagnie
de vos protégés. Ce fut pour nous une très agréable journée qui nous a
prouvé votre merveilleux sens pédagogique. Veuillez être notre interprète
auprès de vos enfants pour les remercier de leur splendide comportement
et accepter de notre part nos félicitations quant à leur éducation.
Nous vous prions de bien vouloir, etc,
M. MORHAY
Ce fut une journée vraiment enrichissante ;
et 3 responsables (Arlette, Chantal et Francis) s'engagèrent pour
étudier l'achat de matériel pour réalisation d'émaux sur cuivre en fonction
de notre clientèle.
Voilà donc une bonne semaine, et nous en comptons beaucoup
de semblables. Je ne puis vous les raconter toutes, et je ne veux pas
non plus affirmer que notre système de travail est parfait ; mais
nous avons senti, tout au long des jours, que les enfants vivaient dans
la sérénité et la joie, et qu'ils s'engageaient plus à fond dans la prise
de leurs responsabilités.
Le
climat démocratique de la classe montre aux enfants que je ne désire pas
imposer mes vues. Ils sentent bien que je ne suis pas avec eux uniquement
pour commander, et qu'il ne leur reste qu'à obéir. J'ai simplement une
voix, et je l'exprime, comme aux élections.
Exemple : Nous recevons de nombreuses visites de classe. Jusque
là, ces visites nous étaient annoncées par la direction sans nous demander
notre avis. Maintenant je signale la visite probable aux enfants, et l'on
vote. Par exemple : Visite du professeur de pédagogie et de 25 normaliennes,
8 oui, 5 non ; c'est le oui qui l'emporte. Seulement, le jour de
cette visite, je signale aux visiteurs qu'ils ne seront pas accueillis
à bras ouverts, et je permets aux 5 qui ne sont pas d'accord de choisir
une activité hors-circuit. Ainsi rien n'est forcé.
Le
groupe a été ainsi conduit à une saine sécurité qui n'exclut pas la contestation.
J'admets très bien qu'un enfant fortement traumatisé puisse s'opposer
à toute visite. (J'ai entendu des gars dire : « Sommes-nous
des bêtes fauves qu'on vient nous voir comme au zoo ? »).
Le
plan de travail ‑ qui est en somme un contrat de travail n'a plus
guère de raison d'être quand les activités intéressent profondément l'enfant.
Quand il a choisi une activité, il s'y consacre corps et âme.
Les
responsables ont leur rôle à jouer :
-
Y a-t-il encore suffisamment d'émaux à réaliser ? (Francis)
- Les feuilles diminuent ;
il faudra en commander pour la prochaine revue (Arlette) :
- Il n'y a plus de couleur pour
la peinture (Janine).
Le
maître intervient suivant les individus et les circonstances, avec un
profond respect pour les tempéraments de chacun.
La
constitution de ma classe cette année (7 garçons, 7 filles) fait un ensemble
bien plus équilibré que l'année dernière avec mes 3 filles et mes 10 garçons.
Là vraiment je devais intervenir avec plus de fermeté pour que les filles
ne soient pas exploitées.
Maintenant
on respire à tout moment des bouquets de joie. Quand ce n'est pas Francis
qui siffle en préparant ses émaux, c'est Marie-Rose qui chante en s'activant
à son album, ‑ et cela aussi a son importance.
Si mon attitude a changé, si je me suis
davantage effacée, je le dois en majeure partie à Yvin, qui a lancé de
fameuses et excellentes idées sur l'autogestion.
Et
je terminerai par la copie de lettres adressées par des stagiaires ou
des étudiants universitaires.
Liège, le 2 mai 1969
Chers amis et amies,
C'est
avec tristesse que je vous ai quittés aujourd'hui, de reviendrai, c'est
certain, mais je ne sais pas quand exactement, J'avais les larmes aux
yeux quand je suis partie cet après-midi, vous avez été tous et toutes
tellement gentils, affectueux même avec moi, que c'est avec beaucoup de
regrets que je vous quitte pour quelque temps.
Je dois vous dire que c'est
avec plaisir, avec joie, que je suis revenue une seconde fois aujourd'hui,
car je vous aime beaucoup, autant les uns que les autres, et je n'oublie
pas Mme Boland.
Vous faites tous et toutes
du très bon travail, et je vous souhaite de continuer dans cette bonne
voie.
J'ai mis le poème de Toni
au mur de ma chambre. Mes amis et moi-même avons mangé vos gaufres qui
étaient excellentes, selon l'avis de tout le monde, Je reviendrai en manger,
car je suis gourmande, comme vous le savez déjà, Et si vous voulez bien
m'envoyer vos poèmes, me donner de vos nouvelles, cela me fera toujours
plaisir.
Je tiens également à vous
remercier de votre accueil si chaleureux, de toute votre affection, de
votre gentillesse, et aussi de ce que vous m'avez appris.
Je m'adresse à présent à
votre institutrice qui m'a reçue si aimablement, qui m'a aidée à établir
mes premiers contacts avec vous, qui m'a fait connaître la pédagogie de
Freinet, que je trouve formidable,
Je vous remercie beaucoup,
Madame Boland, et je puis vous assurer que je suis enchantée d'avoir fait
votre connaissance. Je vous prie de croire en ma profonde reconnaissance,
et si un jour je peux vous rendre un service quelconque, c'est avec plaisir
que je le ferai. Mes chers amis et amies, je dois vous quitter ici car
j'ai encore beaucoup de travail, étant donné que mes examens approchent
à grands pas.
J'espère que je vous reverrai
très bientôt. En attendant, je vous envoie toutes mes amitiés et je vous
embrasse tous et toutes.
De tout cœur avec vous.
FRANÇOISE
Liège, le 29 mai 1969
Chère Madame,
Je
vous remercie pour votre lettre et je suis heureuse de recevoir de vos
nouvelles et de vos élèves.
Je pense souvent à vous et regrette
beaucoup de ne pas avoir le temps de venir vous rendre visite, les examens
approchant à grands pas. En effet, je commence lundi 2 juin et je termine
le jeudi 19 juin. Mais je ne pourrai pas venir vous retrouver le vendredi
car je dois me rendre à Theux. Je viendrai probablement le lundi après-midi.
Je ne peux venir le matin car mes stages recommencent à partir du 21 jusqu'au
30 juin. La délibération a lieu le mardi 24 juin et j'espère que tout
aura bien marché.
J'espère recevoir très vite des nouvelles
de vos élèves, car cela me fera un très grand plaisir et me donnera aussi
du courage pour mes examens, car je vous assure que par moments le moral
n'est pas très bon, J'envisage malgré tout l'avenir avec plus ou moins
d'optimisme, étant donné que j'avais réussi mes partiels avec distinction
; si je pouvais en faire autant à la session !
Je dois vous quitter ici
car j'ai encore beaucoup de travail. Je vous envoie à vous ainsi qu'à
vos élèves mon meilleur souvenir et de grosses bises. A bientôt.
FRANÇOISE
CONCLUSION
Je pense pouvoir affirmer que l'expérience menée tout au long de l'année
s'est révélée rentable à tous points de vue.
A la fancy-fair organisée comme chaque année par le Comité des Parents
avec l'aide de la direction et du personnel enseignant, j'en ai acquis
la certitude, et l'attitude de mes élèves a montré qu'ils étaient capables
de travailler dans l'esprit d'une pédagogie de l'autogestion.
C'est librement qu'ils avaient invité leurs correspondants d'Ougrée, qui
ont très bien répondu. Ensemble ils avaient décidé de monter un stand
de vente de maïs gonflé à l'huile et enrobé de sucre. Robert avait même
décidé de préparer des beignets selon une recette polonaise jamais expérimentée
jusque là, tandis que d'autres s'activaient à la réalisation d'émaux sur
cuivre et de céramiques.
Pierre Seykens, l'instituteur de nos correspondants, était présent avec
ses deux enfants. Il discuta avec mes élèves. Il affirma s'être rendu
compte des effets pratiques d'une conception résolument moderne de la
pédagogie :
« Il est vraiment réconfortant de voir ces enfants
discuter avec sérieux comme des adultes, se trouver à l'aise en société,
faire la preuve d'une affectivité bien équilibrée. Ils osent s'exprimer
et prennent des initiatives. Ils sont fiers de leur classe. Ils deviennent
de véritables instituteurs pour les visiteurs.
« Ce qui m'a le plus frappé, c'est le plaisir, la
joie manifestée pour la visite de leurs correspondants, et surtout leur
générosité. »
Effectivement, mes élèves ont le sens des contacts humains. Spontanément
ils ont fleuri l'assistante sociale venue en visiteuse. Et au départ,
le président de la coopé a tenu à fixer lui-même l'événement sur la pellicule.
En classe, les enfants ne sont pas abandonnés à eux-mêmes sous prétexte
de liberté ; niais cette liberté leur est rendue possible. Je veux en
faire des êtres autonomes et agissants, des témoins vivants de la libération.
Le milieu est organisé pour permettre à chacun de trouver ce dont il a
besoin pour mener à bien un travail qu'il a choisi.
Détail caractéristique : tous les anciens restent en contact avec
la classe ou avec moi. Ma maison est comme un moulin qui voit défiler :
-
un ouvrier en cordonnerie
(Jules, parti l'année dernière) ;
-
un militaire (Gustave, engagé
cette année) ;
-
un élève de technique ;
-
un ouvrier de robinetterie ;
-
un ouvrier de cristallerie, etc.
Les
filles, moins libres de leurs mouvements, écrivent ou téléphonent.
Tous
ces enfants, agressifs au départ, ou bien amorphes et lymphatiques, ont
acquis un esprit d'initiative et un sens critique qui étonne les parents,
les stagiaires et les visiteurs.
Je
crois pouvoir affirmer que ces résultats sont dus à l'organisation de
la classe par le groupe, au libre choix des activités, et, en définitive,
à la prise en mains par chacun de sa propre destinée.
Une
expérience si évidemment efficace sera naturellement poursuivie.
Yvette BOLAND
LE BONHEUR
Mon
bonheur, pour moi
est de partir,
me sentir libre,
partir par un jour de soleil,
flâner dans l'air.
Le bonheur, pour moi aussi
serait d'être un vagabond
et libre dans le vent.
Coucher à la belle étoile,
un jour sous les ponts,
un jour sur le banc.
Pour moi, tout ça, c'est
le bonheur.
Robert
CHERAIN
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