1949 NAISSANCE D’UNE PÉDAGOGIE POPULAIRE Cette technique pédagogique renouvelée est toute à découvrir. Mais ce sera le triomphe de l’école active et sur mesure dont la réalisation dans les classes primaires a semblé si longtemps utopique. Mais cette vie, pourra-t-on encore objecter, est-elle susceptible de donner à l’enfant les connaissances qu’on attend de l’école ? Et si la vie, - la vie totale, s’entend, et non la vie limitée et fermée de l’école actuelle - si la vie ne peut pas donner l’éducation et l’instruction, par quels procédés sophistiques peut-on raisonnablement les obtenir ? Un fait m’a frappé, d’ailleurs. Lorsque je parcours la série des titres des deux cents pages de notre Livre de Vie (deux premiers trimestres), je constate que la répartition des sujets est à peu près celle que préconisent les partisans des centres d’intérêt. Voici l’automne avec les fruits, les champignons, le vent - les conscrits aussi. Puis l’hiver avec l’étude des divers moyens de se garantir du froid. Le printemps, si riche d’impressions, avec les fortes pluies, la grêle, les éboulements, - mais les premières fleurs, les batailles de fleurs, les cirques richement décorés; avec, aussi, son cortège de grippes qui, périodiquement hélas ! vident presque nos classes. Et je constate avec satisfaction et humilité que ces répartitions selon l’intérêt dominant des enfants, répartitions qui n’ont rien moins demandé que le génie d’un Decroly, cette répartition s’est faite tout naturellement dans ma classe vivante où je n’ai imposé aucun sujet, me contentant d’écouter, de diriger la conversation, de synthétiser et de mettre en ordre, et en français, les idées de mes élèves. Je ne dirai pas prétentieusement que, par cette technique de l’imprimerie, j’ai rejoint Decroly. C’est lui qui, par un long détour, a ramené la science pédagogique à son point de départ : le bon sens de la vie. Les manuels sont un moyen d’abrutissement. Ils servent, bassement parfois, les programmes officiels. Quelques-uns les aggravent même, par je ne sais quelle folie de bourrage à outrance. Mais rarement des manuels sont faits pour l’enfant. Ils déclarent faciliter, ordonner le travail du maître ; ils se vantent de suivre pas à pas... les programmes. Mais l’enfant suivra s’il peut. Ce n’est pas de lui qu’on s’est occupé. C’est pourquoi les manuels préparent la plupart du temps l’asservissement de l’enfant à l’adulte, et plus spécialement à la classe qui, par les programmes et les crédits, dispose de l’enseignement. Il y a bien quelques pédagogues ingénus qui se basent au contraire sur les désirs et les besoins de l’enfant pour arriver à une conception moins orthodoxe de l’enseignement. Mais on tolère à peine leurs manuels. En tous les cas, les maisons d’édition bien-pensantes ne daignent pas s’en charger et seuls connaissent les grands tirages les manuels les plus pernicieux. Même les manuels seraient-ils bons, il y aurait tout intérêt à en réduire le plus possible l’emploi. Car le manuel, surtout employé dès l’enfance, contribue à inculquer l’idolâtrie de l’écriture imprimée. Le livre est bientôt un monde à part, quelque chose d’un peu divin, dont on hésite toujours à contester les assertions. « C’est dans le livre... » Tandis qu’il serait désirable justement d’enseigner que 1e livre n’est qu’une pensée imprimée - comme toute pensée sujette à erreur - et qu’on doit pouvoir contredire comme on contredit quelqu’un qui parle. Les manuels tuent ainsi tout sens critique: et c’est probablement à eux que nous devons ces générations de demi-illettrés qui croient, mot pour mot, tout ce que contient leur journal. Et s’il en est ainsi, la guerre aux manuels est vraiment nécessaire. Mais les manuels asservissent aussi les maîtres. Ils les habituent à distribuer uniformément, et durant des années, la matière incluse, sans se soucier si l’enfant peut se l’assimiler. La néfaste routine s’empare de l’éducateur. Qu’importent toutes les aspirations enfantines, puisque dans des centaines de pages en texte serré gît tout l’idéal, la matière suffisante pour réussir aux examens ! Il faut absolument que les éducateurs se libèrent de cette distribution mécanique pour s’attacher tout particulièrement à l’éducation et à l’élévation de l’enfant... * Notre groupe est avant tout un groupe coopératif d’instituteurs primaires. Non pas que nous nous croyions présomptueusement les seuls capables de réaliser quelque chose de pratiquement utile à l’école populaire, Mais nous pensons, et l’expérience nous l’a démontré maintes fois, que seuls des maîtres qui sont placés à pied d’œuvre, qui se battent chaque jour, chaque minute, avec l’angoissante réalité, sont à même de distinguer les efforts éducatifs qui leur conviennent parfaitement. La libération de l’école populaire viendra d’abord de l’action intelligente et vigoureuse des instituteurs populaires eux-mêmes. Nous ne voudrions nullement faire injure aux Inspecteurs Primaires, aux Professeurs de l’enseignement moyen et supérieur qui suivent notre effort avec sympathie. Ils reconnaîtront d’eux-mêmes que, la plupart du temps, chaque échelon qu’ils gravissent dans la hiérarchie les éloigne professionnellement de l’école du peuple et qu’il leur est parfois difficile pour ne pas dire impossible, de se renseigner d’une façon certaine sur les améliorations pratiques que nous valent leurs idées généreuses. C’est forcément avec le même scepticisme que les instituteurs examinent les réalisations obtenues par les pionniers de l’éducation nouvelle contemporaine dans des écoles spéciales dont nous ne réaliserons pas de sitôt chez nous les conditions anormalement favorables. Cela ne signifie pas non plus que nous dédaignions les recherches des philosophes, des psychologues, des pédagogues qui, dans une autre sphère sociale, travaillent loyalement pour le progrès éducatif. Nous n’ignorons pas tout ce que nous leur devons et nous ne craindrons pas de faire appel à leur compétence. Mais l’école populaire a grand besoin de dire ses espoirs et, à la lumière des événements passés, d’essayer de se constituer une vie saine et naturelle, au risque de scandaliser les pédagogues professionnels au service des tenants de l’obscurantisme ou de tous les marchands qui s’engraissent outrageusement des aspirations du peuple. Deux conceptions opposées du problème éducatif se partagent actuellement l’activité scolaire et pédagogique. Tandis que les novateurs - tels Ferrière, Tobler, Gheeb et un grand nombre de pédagogues suisses ou allemands - poursuivent la réalisation dans la société actuelle de l’école idéale, abstraite du monde dont ils sentent 1a profonde influence destructive, les représentants divers de l’Éducation officielle se vantent au contraire de rester dans 1a prosaïque réalité. Pour eux, la vie sociale, le régime scolaire, etc, sont des cadres à l’intérieur desquels nous devons nous contenter d’aménager notre enseignement. Ils professent que les éducateurs doivent se cantonner dans leur tâche scolaire. Et, effectivement, la plupart de nos journaux pédagogiques s’appliquent seulement à cette tâche sans idéal : faire la classe qui vous est attribuée en vous abstenant de tout ce qui pourrait nuire à la neutralité ou porter ombrage au pouvoir. Il y a cependant entre ces deux conceptions une position possible, nette, loyale, précise qui, nous le savons, ne sera pas louée par nos maîtres, et que nous croyons cependant seule digne d’éducateurs. Nous entrevoyons, certes, l’école idéale ; nous savons notamment qu’une éducation libératrice doit être avant tout une ascension libre et créatrice. Mais nous travaillons aussi dans la plus dure des réalités: nous avons devant nous des enfants qui auraient souvent plus besoin de pain ou de vêtements que de gavage intellectuel; les conditions matérielles sont presque toujours déplorables ; enfin la vie anormale et amorale qui nous entoure contrarie fatalement nos efforts. II est de notre devoir de montrer, de prouver, de crier que l’éducation que nous voudrions donner, telle qu’elle est définie d’ailleurs par nos meilleurs pédagogues, présuppose la réalisation de certaines conditions matérielles et sociales sans lesquelles notre effort restera voué à l’impuissance. C’est pourquoi nous sommes dans la nécessité de placer dans la vie sociale tous les problèmes pédagogiques que nous examinons et d’étudier en même temps que les réalisations pédagogiques, les problèmes matériels et sociaux qui conditionnent ces réalisations.
UNE TECHNIQUE NOUVELLE DE TRAVAIL SCOLAIRE L’imprimerie à l’École est certes un grand progrès, nous a-t-on dit encore, mais nous ne pouvons la considérer comme une panacée universelle. Les éducateurs qui formulent cette critique inconsistante ont sans doute l’excuse de n’avoir pas étudié d’assez près nos travaux : ils auraient vu que nous avons insisté bien souvent sur la nécessité de ne pas considérer l’imprimerie à l’école comme une méthode, mais de ne voir en elle qu’une technique de travail libre et créateur, au service d’une véritable éducation prolétarienne. Cette innovation apporte cependant des possibilités nouvelles spécifiques par lesquelles elle marquera sans doute dans la pédagogie. Les meilleurs éducateurs contemporains nous prônaient l’activité libre enfantine et l’expression intime de la personnalité; les relations d’expériences où l’on avait fait à l’enfant une plus grande confiance ne manquaient pus d’être enthousiasmes. Hélas ! pour des raisons multiples - matérielles, individuelles et sociales - nos classes populaires, pauvres, surchargées, paralysées par la hantise des programmes et des examens, ne pouvaient nullement s’engager dans la voie nouvelle. L’imprimerie à l’École a fait tomber dans le domaine de la pratique quotidienne l’expression libre et l’activité créatrice de nos élèves. Par l’expérience, plus efficace que les raisonnements prétendus scientifiques, elle a ouvert des horizons nouveaux à une pédagogie basée sur des intérêts véritables, générateurs de vie et de travail. Elle a, du coup, comme nous le signalions dans notre dernier article, rétabli l’unité de la pensée, de l’activité et de la vie enfantines ; elle a intégré l’école dans le processus normal d’évolution individuelle et sociale des élèves. Ces considérations sont, pour nous, essentielles et fondamentales. L’enfant qui sent un but à son travail et qui peut se donner tout entier à une activité non plus scolaire mais simplement sociale et humaine, cet enfant sent que se libère en lui un besoin d’agir, de chercher, de créer. Nous avons constaté, émerveillés, que les élèves ainsi tonifiés et renouvelés fournissaient librement un travail bien supérieur, qualitativement et quantitativement aussi, à celui qu’exigeaient les vieilles méthodes oppressives. Et toutes les classes qui ont introduit l’imprimerie à librement ont apprécié ce persistant enthousiasme des élèves, non seulement pour les disciplines directement motivées par l’imprimerie, mais pour toute l’activité scolaire en général. On objectait volontiers aux instituteurs qui offraient en exemple des expériences concluantes qu’un tel appétit scolaire ne pouvait venir que d’un rayonnement particulier dé l’éducateur. Or, les résultats que nous signalons ont été obtenus dans toutes les écoles travaillant à l’imprimerie, quelles que soient les aptitudes particulières du maître. Il a suffi que celui-ci ait assez d’humanité et d’humilité pour descendre de sa chaire, quitter le cothurne du style radoteur et savant… et se mettre tout entier au service des enfants. Si, comme nous le prouvons, l’élève qui peut enfin travailler dans le sens de sa personnalité n’a plus besoin d’être grondé ni stimulé pour fournir un travail consciencieux, c’est toute 1a vieille conception scolaire qui s’écroule. * Pendant sept ans, humblement, patiemment, nous avons travaillé à perfectionner nos techniques, à les adapter aux nécessité scolaire et sociale contemporaine. Nous n'avons jamais crié au miracle. Nous n'avons jamais eu la prétention à aucun moment de présenter l'imprimerie à l'Ecole ou telle autre technique comme la baguette magique qui avait transformé l'école et la société. Nous avons parfois encouru le reproche contraire : celui d'accorder une importance prédominante aux milieux économiques et sociales qui n'est sans cesse un dangereux obstacle à la réalisation de projets pédagogiques. Nous allons donc, nos camarades et nous, disant simplement l'enthousiasme de nos enfants en face du travail nouveau ; nous montrions les résultats obtenus par une technique qui permet enfin de toucher l'âme et de la viriliser. Que nous soyons parvenus, sans propagande spéciale, par le simple plaisir communicatif de sortir de la routine et de se donner généreusement à un idéal, à grouper plusieurs centaines de camarades enthousiastes, est une des plus réconfortantes victoires que nous avons remportées sur la faiblesse et la tradition. Et d'avoir vu, au cours des récents événements, ce groupe compact est uni se dresser spontanément pour la défense vigoureuse de l’œuvre attaquée, nous console de toutes les trahisons et de toute capitulation dont nous avons eu aussi, hélas ! le spectacle. ... Il est des chocs qui sont inévitables et salutaires. Qu'importent les vicissitudes de l’heure ? L'essentiel est que l'idée marche et que, par notre modeste effort, nous contribuions à la lutte décisive que l'histoire impose à nos générations. * Il nous faut continuer hardiment notre action pédagogique, poursuivre malgré tout nos expériences difficiles qui jalonnent peu à peu la voie de l’éducation populaire libératrice. Nos efforts ne sauraient être totalement inutiles. Mais il est urgent de donner à ces préoccupations pédagogiques leur vraie place sociale : place d’honneur, certes, dans un régime qui servirait l’enfant et le peuple, place de combat dans notre régime, intéressant l’enfant, les parents, les éducateurs à une tâche dont ils doivent sentir toute la portée émancipatrice pour être mieux préparés à mener la lutte urgente sur tous les terrains, social, syndical et politique, pour donner du pain et des soins aux fils des travailleurs, pour leur construire des habitations claires et aérées, pour bâtir des écoles modernes, pour les meubler et les garnir du matériel indispensable; pour exiger la préparation et la nomination de cadres nouveaux d’instituteurs et réduire à un chiffre normal l’effectif scolaire, pour contrebattre les influences abrutissantes de la presse, du cinéma, de l’Église. Malgré et contre toutes les forces réactionnaires, les instituteurs doivent se dresser au double titre d’éducateurs et de citoyens décidés à intégrer totalement leur tâche dans le processus historique d’évolution sociale. A l’heure qu’il est, notre devoir d’éducateurs prolétariens n’est pas seulement dans nos classes menacées: il est aussi au sein des masses qui, par leur puissante protestation antifasciste, tâchent de barrer la route à un régime qui serait la mort de l’école progressiste et l’anéantissement provisoire de nos rêves d’éducation nouvelle libératrice. * Nous voudrions cependant faire un appel particulier aux milliers d’instituteurs militants d’avant-garde qui, soit par manque de temps, soit plutôt par incompréhension de la portée de notre effort, se refusent à nous suivre et continuent le dangereux bourrage traditionnel. Il faut absolument que ceux-ci se rendent compte à quel point leur conduite dogmatique en classe, leur discipline autoritaire, leur asservissement inconscient aux programmes et aux manuels sont en contradiction avec leurs conceptions sociales et politiques de libération prolétarienne. Il y a là une harmonisation de l’activité personnelle qui décuplera tout à la fois le rendement pédagogique et le rendement social de leurs efforts... ...Ne dites pas : il y a une besogne urgente de propagande qu’il faut mener hardiment pour jeter bas un jour un régime qui est la négation même de l’idée éducative ; nous n’avons pas le temps de rénover notre classe. Nous ne sous-estimons point ni la portée ni l’urgence de cette propagande. Nous avons dit bien des fois l’impasse où se débat l’éducation nouvelle bourgeoise et le seul espoir révolutionnaire qui reste à la pédagogie prolétarienne. A tel point que, s’il nous fallait choisir entre effort éducatif et militantisme social et politique, il nous serait difficile de nous prononcer radicalement. Mais nous prétendons justement que rénover leur classe selon nos techniques aidera nos camarades militants dans leur action sociale prolétarienne... ...Camarades d’avant-garde, n’hésitez plus. Vous devez aussi être des éducateurs d’avant-garde, mais à l’image de ceux de notre groupe, qui connaissent la nature des obstacles qui se dressent devant eux, qui mesurent avec sûreté la portée de leurs efforts, qui sont conscients de l’aspect social et politique de l’éducation prolétarienne et qui, sur tous les terrains, luttent sans faux espoirs, donc sans désillusion, avec cet optimisme enthousiaste qui transformera le monde. * Il manque à ce pays le vaste mouvement de fond susceptible d’imposer aux gouvernements une action vigoureuse et coordonnée en faveur non seulement de l’École, mais de l’enfance et de la jeunesse. Ce puissant mouvement de fond, Le Front de l’Enfance prétend le susciter en France. Il est bien entendu que le Front de l’Enfance ne saurait, en aucune manière, être un super-parti ni un super-groupement. Il ne saurait se substituer aux partis prolétariens ni aux organisations syndicales auxquels il fera sans cesse appel. Il ne prétend entraver en rien l’action propre des organisations qui, actuellement, s’occupent de l’enfance ; il s’en voudrait de gêner tant soit peu l’activité progressiste de telle ou telle personnalité. Son rôle est seulement de coordonner, d’unir, de montrer les buts à atteindre, de préconiser des moyens d’action et de mobiliser si possible autour de ces associations et de ces personnalités, pour des buts précis, la grande masse populaire. Dans ce cadre, il y a place, on le voit, pour tous les groupements, pour toutes les individualités qui désirent loyalement le bien et le progrès de l’enfance, quelle que soit leur orientation politique ou religieuse, quel que soit le terrain propre sur lequel elles se meuvent. ...2°. Les gouvernements ont, jusqu’à ce jour, fait passer au dernier plan les préoccupations concernant l’enfance. La réaction a, au cours de ces dernières années, aggravé les conditions matérielles de l’école : suppression des crédits pour constructions, suppression d’écoles, donc surcharge anormale des classes. Le fascisme ne ferait qu’accélérer cette irrémédiable décadence voulue par les forces obscurantistes. Le Front de l’Enfance luttera dans tous les domaines pour rétablir une situation normale, pour faire rouvrir des écoles, nommer des instituteurs, décongestionner les classes afin que soit possible le travail d’éducation qui fera des enfants du peuple des hommes, des lutteurs, des constructeurs de la société nouvelle. 3°. Le Front de l’Enfance prendra en toute circonstance la défense des instituteurs : matériellement en appuyant leurs revendications, en exigeant pour eux des traitements honnêtes qui leur permettront de se consacrer entièrement à leur sacerdoce ; moralement, en sonnant le rassemblement autour de l’école toutes les fois que, ouvertement ou non, le fascisme et le cléricalisme la menaceront. 4°. La construction sociale et la défense républicaine exigent qu’un esprit nouveau de collaboration libre anime dans tous les domaines l’œuvre de l’éducation. Le Front de l’Enfance popularisera les mots d’ordre de l’école nouvelle prolétarienne: pour l’activité communautaire, pour une discipline libératrice, pour une école liée à la vie et aux destinées des masses populaires. 5°. Le Front de l’Enfance, conscient des graves dangers que font courir à l’enfance et à la jeunesse les publications pour enfants et le cinéma mercantile, entreprendra d’urgence une grande campagne pour dénoncer les entreprises obscurantistes, encourager et soutenir les initiatives libératrices, prendre enfin dans ces domaines toutes mesures pour que naisse la véritable presse pour enfants, les théâtres et cinémas pour enfants. 6°. Pour ces buts, le Front de l’Enfance groupe toutes les organisations scolaires et post-scolaires : coopératives scolaires, patronages, caisses des écoles, organisations sportives, organisations d’enfants, etc. ainsi que les diverses organisations d’adultes susceptibles de soutenir les revendications du Front de l’Enfance : associations de parents, syndicats et organisations diverses. Le Front de l’Enfance suscitera d’ailleurs, là où il n’en existe pas, la naissance et le développement d’associations scolaires et parascolaires, décidé qu’il est, sans refuser l’adhésion des personnalités, à être le plus possible une sorte de large trait d’union entre les personnes oeuvrant toutes dans leur milieu spécial, selon les modalités qui leur sont propres, tout en concourant à la vaste œuvre de rénovation. 7°. Le Front de l’Enfance n’oublie pas que le développement, l’éducation, les progrès de l’enfance sont conditionnés d’abord par le milieu social et politique, qu’il ne saurait y avoir de sérieuse amélioration du standard de vie des travailleurs sans une plus large conception des libertés sociales. C’est pourquoi, sans participer directement aux luttes politiques, le Front de l’Enfance agira en complète liaison avec toutes les organisations qui oeuvrent contre le fascisme, pour l’avènement d’une société meilleure qui nous permettra de marcher victorieusement vers la conquête des buts ci-dessus. ...Aux grands discours, aux discussions prétendues idéalistes, qui restent avant tout des jeux scolastiques et philosophiques, nous avons opposé le solide bon sens de la masse prolétarienne qui dénonce, brutalement parfois, certaines valeurs douteuses, mais qui sait d’instinct où elle va et ce qu’elle désire; nous avons fait sentir la dignité et la noblesse d’un idéal nouveau, l’exemple émouvant de ceux qui s’y dévouent. La montée populaire dans les régimes délivrés de la dictature réactionnaire pose, brutalement peut-être, mais inéluctablement, des problèmes nouveaux dont nous, techniciens, devons chercher la solution. La pédagogie nouvelle internationale est à un tournant. Nous ne croyons pas avoir perdu notre temps. Nous avons été aidés et renforcés dans cette besogne par l’autorité calme et hardie, par la courageuse franchise du professeur Vallon qui a su exprimer bien souvent, sous une forme intellectuelle, ce que nous sentions être la vérité. Nous devons dire aussi que les congressistes de langue française se sont montrés dans l’ensemble très favorables à cette pédagogie réaliste qui contrastait quelque peu avec l’idéalisme pur des discussions anglo-saxonnes. Et tout d’abord, des réalisations pratiques : Je suis personnellement intervenu pour rappeler l’ampleur de la besogne pédagogique qui devait être le domaine propre du Groupe Français : unir pour une action et des buts précis tous ceux qui, en France, sentent la nécessité d’une action pédagogique nouvelle. Mais pour répondre à ce besoin, la réorganisation du Groupe s’imposait : au Bureau - à l’action duquel nous rendons d’ailleurs hommage - il fallait adjoindre un organisme, des personnalités, des activités susceptibles de faire de cette association un véritable moteur pour une puissante réalisation de pédagogie nouvelle en France. BUREAU : Pr Langevin, Pr Vallon, Dr Pieron, Mlle Flayol, Mme Hauser et une autre personnalité à désigner. Hulin, Pichot, Freinet, représentant la CEL dans les divers organismes. Le Groupe Français mettra immédiatement à l’étude les questions essentielles d’actualité ; le Comité précisera la liste de ces questions, nommera les rapporteurs, dira dans quelle mesure on peut, pour chacune d’elles, faire appel à une vaste unité d’action pédagogique de toutes les personnalités ou groupements susceptibles de nous aider. Des réunions spéciales, des meetings, des enquêtes, des articles dans les journaux et revues pourront être prévus. De ces études largement et profondément conduites résulteront dans les divers domaines, des documents complets qui seront publiés en brochures bon marché dont la plus grande diffusion sera assurée par tous les moyens. La préparation, la diffusion, l’influence de ces brochures, sont appelées à constituer l’essentiel de l’activité pédagogique du groupe. Le Groupe Français étudiera la possibilité de diriger et de patronner, avec le concours d’un éditeur responsable, une collection de livres pédagogiques qui seront le complément culturel des séries de brochures et de la revue Pour l’Ere Nouvelle. Le Groupe Français étudiera enfin la propagande en faveur de la pédagogie nouvelle par les congrès, expositions, écoles d’été, etc... ...Mais ce premier effort ne serait rien s’il devait rester le cadre mort d’une organisation passive et statique. Le Groupe Français d’Éducation Nouvelle doit devenir l’organisation de masse de tous ceux qui comprennent la nécessité d’une rénovation pédagogique. En liaison avec les organisations professionnelles d’éducateurs, il doit remplir son rôle de regroupement et de stimulant pour l’action plus spécialement pédagogique. Tout, ou presque tout, reste encore à faire en France dans ce domaine. La conjonction d’efforts que nous préconisons devrait nous permettre d’utiles réalisations immédiates. Mais il ne saurait y avoir action de masse sans ce sursaut d’énergie de tous ceux qui, dans leur travail quotidien, apprécient la justesse et l’urgence de l’action entreprise. Nous rendons hommage à l’activité et au dévouement inlassables de Mademoiselle Flayol, mais ce n’est ni un bureau, ni un comité directeur, si actifs soient-ils, qui feront du Groupe Français ce que nous voudrions qu’il soit. Il faut que dans toutes les villes, dans tous les départements, se constituent des sections actives du Groupe Français. Plusieurs sections départementales, qui sont d’ailleurs filiales aussi de notre Coopérative, existent déjà: en Eure-et-Loir, dans les Pyrénées-Orientales, dans les Vosges. Il faut que ce mouvement s’accentue à une allure rapide. Nos adhérents, qui partout sont les plus conscients de la nécessité de cette action en faveur de la pédagogie nouvelle, doivent être les meilleurs ouvriers de ce regroupement. Nous vous demandons à tous d’organiser, dans vos villages, à la ville voisine, dans le département, des sections du Groupe Français d’Éducation Nouvelle. Lorsque nous aurons à travers 1a France de nombreuses sections semblables, alors le Groupe Français prendra sa vraie figure, et sera capable de réaliser dans le sens que nous souhaitons. Vous pouvez, dès ce jour, entrer en relation avec le Groupe Français d’Education Nouvelle, Musée pédagogique, rue d’ Ulm, Paris (5e). * ...Être à l’avant-garde, ce n’est pas partir en tête, drapeau déployé, en hurlant et en chantant, sans se soucier de ceux qui suivent... ou qui restent. C’est comme nous le faisons, remplir un rôle de pionniers, préparer généreusement les chemins et les ponts, couper hardiment les amarres des traditions et des égoïsmes, afin que, sans efforts héroïques, mais avec sûreté, l’immense masse des éducateurs s’engage enfin dans une voie dont elle comprend l’utilité et sur laquelle elle est certaine de réussir. Cette besogne de pionniers, nous la menons depuis dix ans, contre vents et marées... et il y en a eu de puissamment dangereux, n’est-ce pas, camarades ? Mais nous avons la satisfaction maintenant d’avoir établi la voie sur laquelle des centaines d’éducateurs nous suivent. Mais cette voie est encore étroite et difficile. Nous devons l’élargir et l’aplanir pour que s’y engage toute l’école française. On a cru - et nous y revenons - que nous étions partisans d’une école où l’enfant ne fait que ce qui lui plaît, en négligeant parfois des acquisitions que la société juge à bon droit essentielles. Nous voulons, au contraire, une école plus efficiente que l’école traditionnelle où tant d’efforts se dépensent en vain. L’École actuelle n’est adaptée ni aux moyens que nous offre ta civilisation actuelle, ni au mode de vie contemporain, ni aux buts sociaux qui évoluent à un rythme accéléré. II faut réorganiser l’Enseignement sur des bases plus rationnelles. C’est le but de notre technique. Il fut un temps où l’École n’était pas exigeante : les notions à acquérir étaient réduites et ne risquaient pas de déborder la capacité d’un cerveau d’enfant. On a tellement accumulé depuis quelques décades que nous sommes aujourd’hui dans cette impasse dont nous parlions dans un récent numéro. Il nous faut organiser et rationaliser l’éducation et l’enseignement. Mais rationaliser l’acquisition, ce n’est pas, comme le pratiquent certains charlatans de la pédagogie, trouver le moyen de bourrer toujours le cerveau des enfants. Ce serait procéder comme un État qui produirait des millions d’automobiles qui, ne trouvant pas d’acheteurs, encombreraient le marché et immobiliseraient inutilement des forces vives. Le problème de l’acquisition ne saurait être séparé de celui de l’enrichissement et de l’harmonisation des personnalités, harmonisation qui doit être le résultat d’une organisation technique adaptée aux exigences sociales de l’heure. ...Autrement dit, il nous faut prévoir des plans. Nous n’avons pas de plan de travail maintenant parce que nous sommes dans un régime où seuls ont un plan ceux qui organisent l’économie mondiale pour la plus grande somme de bénéfices ou de dividendes. Nous sommes dans la société qui produit des automobiles que les usagers éventuels ne peuvent acheter, des fruits qu’il faut jeter, du vin qu’il faut brûler, du blé qu’on doit donner au bétail. A l’école actuelle, même activité désordonnée et inconsidérée : on passe de longues heures à enseigner selon des techniques vieilles de cent ans parfois, l’histoire, le calcul, la géographie, les sciences compliquées et livresques. Et puis, à l’usage, on s’aperçoit qu’il y a eu maldonne, que la vie a d’autres exigences et qu’il faut, à nos risques et périls, remonter la machine. Pour, sortir- de la crise, les gouvernements ont dressé des plans rigoureux d’activité. Si nous voulons travailler méthodiquement, effectivement, productivement dans nos écoles, il nous faut le même notre plan de travail. Mais ce plan de travail, il faut l’établir. On pourrait nous objecter qu’il existe bien à ce jour des plans de travail qui sont les programmes officiels, détaillés et élargis dans les manuels scolaires. Mais ce sont des plans de travail capitalistes, nés de la fantaisie ou de l’intérêt de leurs initiateurs. Ils n’ont rien a voir socialement et humainement parlant, avec les plans de travail méthodiquement établis que nous préconisons. Ces plans de travail ne peuvent pas être l’œuvre des seuls spécialistes. Il nous faut d’abord connaître quelles sont les notions qui, de l’avis des usagers eux-mêmes, sont nécessaires ci l’enfant aux différents âges et plus spécialement à l’enfant qui quitte l’école à 13 ou 14 ans. Il nous faut, par une vaste enquête, interroger nos anciens élèves et leurs parents, leur demander quelles sont, parmi les notions que nous leur avons enseignées, celles qu’ils ont reconnues indispensables, celles dont ils n’ont aucune utilisation, et qu’ils ont laissé tomber. Il faut qu’ils nous signalent les trous, les insuffisances, qui se sont révélées à l’épreuve de la nie. Le résultat de cette enquête sera un élément pratique essentiel car l’École est faite pour préparer l’individu social, son rôle véritable doit être d’aider l’enfant à s’intégrer à la société pour y tenir utilement son rôle. Tout doit être subordonné à cette fin que nous tâcherons d’ailleurs de mieux connaître et de préciser. Nous interrogerons ensuite les dirigeants des grands groupes humains de défense et de travail, les militants de syndicats et de coopératives, les petits artisans, et aussi les chefs d’entreprise sympathiques en tenant compte cependant que ceux-ci jugent la formation des individus en fonction des frais d’exploitation qui sont leur seule raison d’être. Nous aurons 1à le point de vue de la société qui attend du travail de l’homme une utilisation effective et profitable. Tenant compte de ces deux ordres d’éléments, les spécialistes que sont les instituteurs et les inspecteurs établiront alors des plans de travail définitifs. Ils pourront alors éliminer tout ce qui, dans notre enseignement, est inopérant et inutile, tout ce qui devra être acquis plus tard mais qu’on tenterait en vain d’inculquer prématurément aux enfants. Il y aura des élagages - et sérieux - à faire en histoire, en géographie, en sciences. Nous trouverons alors le temps de travailler pratiquement pour les choses essentielles : nous aurons le temps de faire de la gymnastique, de chanter, d’utiliser radio et phono, et de nous mêler à la vie sans être obsédés par cette acquisition intensive, aux -fins d’examen, que nous savons, nous, éphémère et nuisible. Munis de ces plans, nous pourrons alors aller plus avant dans le sens de nos techniques. Techniques de travail libre des enfants, avons-nous dit. Mais encore faut-il savoir dans quel sens exercer cette libre activité. Il faut que l’enfant travaillant librement sache où il va, qu’il ait conscience des acquisitions souhaitables, qu’il voit l’ensemble, qu’il sente que son effort s’intègre à un plan au service de la communauté. L’idéal serait que l’enfant dresse lui-même son plan d’activité qui stimulera, régularisera et harmonisera son effort quotidien. Ce plan de travail, nous l’avons dit, existe actuellement. C’est celui des manuels où l’effort demandé est débité en tranches très marquées par mois ou par trimestre. Mais ce plan, outre qu’il n’a rien de rationnel, est imposé aux enfants qui se contentent de s’y conformer sans le suivre pour l’assimiler. A temps nouveaux, techniques nouvelles, plans de travail plus efficients. ...L’expérience commencée dans notre école nous a montré que nous sommes là à l’aube d’une activité nouvelle qui pourrait bien nous apporter la clé de techniques de travail vivant et pourtant ordonné et méthodique. Nous en continuons la mise au point. Nous avons voulu seulement aujourd’hui en signaler l’essentiel pour bien faire comprendre toute l’importance technique que nous attachons aux plans d’études dont nous préconisons la mise au point. Et maintenant à l’œuvre ! Nous disons de ce plan d’études ce que nous disions jadis du fichier scolaire coopératif: il sera une oeuvre collective ou il ne sera pas. II faut qu’il soit ! Cette oeuvre collective, nous seuls en France sommes en mesure de la mener à bien. Et nous y pourvoirons. Nous prouverons ainsi que nous continuons notre tradition d’un mouvement pédagogique coopératif capable d’enthousiasmer des centaines de camarades à la préparation de voies nouvelles que les théoriciens avaient parfois entrevues et que nous sommes les premiers à réaliser. * Il y a certes peu de groupements qui aient autant de dynamisme que le nôtre et où l’on trouve aussi tant de bonnes volontés pour nourrir et soutenir ce dynamisme. Cet élan a certes ses avantages ; il a ses inconvénients aussi, que nous connaissons mieux que quiconque. Nous en pâtissons souvent, et quelques camarades avec nous. Et c’est pourquoi nous hasardons cette mise au point avant la reprise de notre marche en avant. Nous sommes dans la situation du paysan qui élague un sous-bois ou rase les buissons d’un talus. Il peut, selon son tempérament, selon ses possibilités personnelles, aller paisiblement son chemin, couper l’une après l’autre les tiges piquantes, les mettre méthodiquement de côté après chaque brassée, nettoyer le coin déblayé ne comptant que sur lui-même, sur son talent ou sur son application. Les passants qui le verront travailler diront peut-être : Quelle belle besogne ! Quel homme appliqué et méthodique ! Quelle paix et quelle satisfaction il doit gagner à ce labeur ! Et ils auront raison. Mais l’homme avance si lentement que l’été revient. Le talus n’est pas nettoyé et les buissons repoussent avant que soit totalement déblayée la place. Ou bien l’homme voit non le travail lui-même mais le but, et il marche droit vers ce but, il rase, il coupe, il déblaie... Quelques tiges opiniâtres échappent bien au tranchant de sa serpette ; les buissons coupés encombrent parfois encore le chemin... Mais d’autres viendront derrière, qui trouveront la brèche commencée, le passage fait; d’un revers de bâton ils feront rouler les brindilles gênantes, ou bien ils passeront sur les buissons tassés. Difficilement certes, mais ils passeront. Le travail avancera. D’autres que l’essentiel ouvrier y collaboreront, et ainsi avancera le travail de pionniers vers le but entrevu. Je suis personnellement taillé sur le modèle de ce deuxième paysan. Alors, certes, tout ne marche pas à merveille. Il y a des camarades de travail qui se piquent et se déchirent et qui se plaignent de nous voir marcher si vite, toujours en avant. Une édition n’est pas encore terminée, que dis-je ! elle n’est parfois pas même commencée, que nous mettons en train une autre réalisation : Enfantines, Éducateur Prolétarien, Fichier, Gerbes, B T, Disques, BENP et, déjà, Dictionnaire. Aucune de ces entreprises n’est nette et terminée. Elles sont toutes enthousiasmantes, plus parfois par les promesses de travail qu’elles nous laissent entrevoir que par les satisfactions immédiates qu’elles nous valent. Mais nous marchons, nous progressons, nous frayons le chemin, et bientôt nous aurons derrière nous une armée de collaborateurs pour piétiner peut-être les épines que nous n’avons pas réussi à écarter de notre chemin. Heureusement que ceux qui viennent à nous aujourd’hui ne nous ont pas vu nous démêler au milieu des épines car ce seul spectacle les aurait peut-être bien découragés. Rares sont ceux qui, aujourd’hui encore, se font une idée exacte de la besogne que nous devons assumer. * Commencez toujours par le travail et la réalisation. Là est l’essentiel. Vous ne risquez pas de convaincre et d’attirer à nous de nombreux camarades si vous n’avez pas été suffisamment pris vous-mêmes au point de vous intégrer dans notre Coopérative de Travail. Réalisez d’abord, et montrez ensuite ce que vous avez réalisé, sans fard, sans paroles inutiles, sans tape-à-l’œil. Ne jamais tromper aucun camarade, ne point lui promettre plus que nous allons lui donner, éviter soigneusement de susciter de faux enthousiasmes dont les chocs en retour sont désastreux, dire honnêtement, sincèrement ce que nous réalisons, ce que nous faisons, ce que nous espérons faire, c’est créer là les fondements indestructibles de notre mouvement pédagogique. C’est pourquoi nous nous organisons sans cesse pour le travail, pour la réalisation, pour l’aide permanente aux éducateurs qui cherchent et produisent, et que nous abandonnons presque totalement les formes habituelles de propagande d’édition. Et nous continuerons dans ce sens. Nous avons notamment mis au point, à Grenoble, l’organisation de nos filiales départementales qui ne sont point de vulgaires représentantes de la CEL dans les départements, mais des cellules de travail, qui, comme toutes les cellules, tendent forcément à proliférer et à s’étendre. Nous allons créer un organisme commercial suffisamment souple pour permettre l’approvisionnement en matériel aux meilleures conditions et, dès la rentrée prochaine, tous les groupes départementaux bénéficieront de conditions tout à fait exceptionnelles. Nos méthodes de travail coopératif, elles aussi, seront de plus en plus axées sur l’effort à la base des éducateurs qui peuvent se voir, se réunir, discuter. Il n’y a point chez nous une centrale qui produit et diffuse. C’est de la base coopérative que viennent la lumière et l’effort. Et c’est là, croyons-nous, une suffisante nouveauté aussi. Ces filiales organiseront en même temps la diffusion et la propagande, mais sous cette nouvelle forme pratique et matérielle: visites d’écoles, expositions, démonstrations, co-revue départementale réalisée par la collaboration de toutes les écoles travaillant à l’imprimerie, préparation de brochures locales, etc... La parole et l’écrit font illusion à ceux-là mêmes qui les utilisent. On a écrit un bel article d’éducation nouvelle et on s’étonne de ne sentir aucune résonance ; on a fait une belle conférence, et on n’en parle point. Les choses sont ainsi et c’est peut-être un heureux signe qu’on se défie enfin de ce moyen facile de piper l’intérêt des gens. Nous prenons un chemin plus compliqué, plus lent aussi, mais combien plus sûr ! Et nous disons à nos camarades : réalisez d’abord, dans vos classes, au sein de notre Coopérative ; participez à notre puissant mouvement ; améliorez vos techniques de travail, aidez-nous à construire solidement cette belle route où s’engagent avec confiance, joie et enthousiasme, les générations à venir. Quand sera construite cette belle route, ça se verra parbleu ! sans que les grands journaux ou la radio l’annoncent, les riverains verront bien qu’elle est commode et pratique. On aura beau leur dire : méfiez-vous... Ils se méfient toujours... Mais en connaisseurs aussi, ils examineront le profil, s’assureront de la solidité des bases, apprécieront l’intérêt pratique du tracé, et on aura beau dire, tout le monde s’y engagera, nécessairement, parce que nous aurons fait du travail solide, permanent, le travail méticuleux et anonyme des artisans géniaux et obscurs qui ont construit les murs indestructibles de nos villages et bâti les admirables cathédrales. Seulement, un article s’écrit en quelques heures ; une conférence prend une demi-journée ; le travail que nous préconiserons se compte par années. Ce n’est pas chez nous qu’il faut venir chercher la gloriole et la réclame, mais vous y trouverez la satisfaction immense du bon ouvrier attaché à son travail et cette atmosphère de fraternité coopérative qui est comme un symbole des temps heureux que nous voudrions préparer * Courage, camarades ! Le bon grain que nous avons semé lève. Des masses toujours plus grandes d’éducateurs s’intéressent à notre activité et comprennent l’urgence des campagnes que nous menons. De nombreux inspecteurs viennent à nous et se rallient ostensiblement, officiellement, à l’idée nouvelle que nous défendons. Nous nous en réjouissons, et nous les assurons de notre collaboration totale et désintéressée. Car notre but n’est pas de mettre en vedette tels individus ou tels groupements, mais de contribuer à la régénération de notre école populaire et à 1a diffusion d’idées forces qui ne sauraient être des forces que si elles sont dépouillées de toute individualité pour aspirer à cette généralité, à cette humilité, à cette simplicité qui les font aptes alors à remuer 1e monde. Textes recueillis et cités dans le livre d’Élise Freinet: |
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