LEducateur
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La réalisation de ce dossier spécial sur l'enseignement du français à l'école élémentaire a été décidée dès la publication des nouvelles instructions officielles. Mais plutôt que de se limiter à une réponse circonstancielle et rapide à un problème aussi important, l'I.C.E.M. a préféré se livrer à un large travail de réflexion et de confrontation.
Les deux premières parties de ce dossier « Analyse
critique des Instructions Officielles » et « Langage et idéologie » ont fait
l'objet de deux débats au Congrès de l'Ecole Moderne d'Aix en avril 1973.
La troisième partie est constituée par un tour d'horizon
rapide des apports de la pédagogie Freinet à l'enseignement du français. Il ne peut
s'agir que d'une première information à compléter par la lecture des ouvrages cités en
bibliographie et par la participation à un stage et aux travaux du groupe départemental
de l'I.C.E.M.
La synthèse des matériaux de ce dossier a été réalisée
par Michel Barré avec le concours de Maurice Beaugrand et des animateurs des Commisions
Français et Réforme de l'Orthographe : A. Béruard et R. Barcik. Nous remercions les
nombreux camarades et les groupes départementaux qui ont apporté leur part aux débats
et aux travaux qui ont suivi. Nous avons bénéficié de la participation de trois
linguistes de l'Université d'Aix : Geneviève Mouillaud et Colette Jeanjean dont l'apport
nous a été précieux pour la critique de la norme académique du langage et l'analyse
des instructions officielles ; André Chervel dont vous lirez avec intérêt la critique
de la grammaire scolaire, page 29. Nous les remercions d'avoir apporté leur éclairage de
spécialiste sur des problèmes que nous vivons quotidiennement comme praticiens.
Tel qu'il est ce dossier n'a pas la prétention d'être une
conclusion mais le départ de nouvelles recherches, de nouveaux approfondissements qui
viendront alimenter l'Educateur en 1973-74.
analyse
critique des
Instructions
Officielles relatives
à
l'enseignement du français
à
lécole élémentaire
(circulaire
du 4 décembre 1972)
A) LES
RECHERCHES QUI LES ONT PRECEDEES
Depuis de
nombreuses années on se plaignait des graves insuffisances de l'enseignement du français
quand la prolongation de la scolarité vint mettre en lumière l'importance des échecs
scolaires dus notamment à l'inadaptation de l'enseignement de la langue. En 1966,
l'Inspecteur général Rouchette fut, avec une équipe de l'Institut Pédagogique
National, chargé d'élaborer un plan qui fut soumis à l'expérimentation dans un certain
nombre de circonscriptions d'inspection et d'écoles normales, par des équipes de
chercheurs et d'enseignants coordonnées par l'I.P.N.
Le
plan Rouchette
Quelques
citations du projet initial en montreront l'esprit :
« Les
études sociologiques ont montré que les élèves retardés le sont principalement par le
déficit en langage et qu'ils appartiennent pour la plupart aux couches défavorisées de
la population. Un enseignement rationnel de la langue française à l'école élémentaire
devrait donc tenir compte de ces faits et chercher à la fois à concerner les élèves au
niveau réel où ils se trouvent et à mettre en oeuvre les méthodes propres à pallier
ce déficit sociologiquement déterminé.
Par
ailleurs, les progrès de la linguistique conduisent à considérer comme caducs les
présupposés techniques antérieurement admis. Les Instructions officielles de 1923 et
surtout la pratique pédagogique traditionnelle se fondent sur une idée synthétique et
réflexive de la construction linguistique... Or, depuis Saussure, l'étude structurale
des langues vivantes a permis de mettre en oeuvre d'autres méthodes plus intuitives et
plus efficaces pour l'enseignement des langues étrangères... Le moment semble venu d'en
faire profiter également de jeunes écoliers. »...
«
Principe fondamental : le français est un moyen de communication. »..,
« C'est
une pratique fort répandue dans nos classes de cours moyen que d'organiser les leçons,
exercices et devoirs écrits du français autour d'un thème hebdomadaire, dit « centre
d'intérêt ». La lecture, la leçon de vocabulaire, la leçon de grammaire et
d'orthographe apportent les matériaux. En fin de semaine, il suffira d'agencer ces
éléments pour construire la rédaction. C'est là une vue synthétique qui va à
l'encontre de la véritable démarche psychologique de la création. Nul ne songe à
contester que les disciplines d'acquisition apportent à l'enfant des connaissances
nouvelles : on ne voit pas qu'il puisse en être autrement. Mais l'utilisation de
l'acquis, sa mise en oeuvre, ne sauraient procéder d'une construction immédiate. Pour
être disponibles, ces connaissances doivent être assimilées, souvent de longue date, et
s'intégrer dans la pensée profonde. Elles ne surgiront et ne se mobiliseront dans le
courant de communication que lorsqu'elles auront été véritablement assimilées et
intégrées... C'est pourquoi il convient d'affirmer avec force que l'essentiel de
l'enseignement du français doit être l'entraînement à la communication orale ou
écrite. »...
«
Priorité de l'expression orale. C'est dans la parole que la langue s'élabore et
s'enracine. »...
« Pour écrire, comme pour parler, l'enfant
doit avoir besoin de communiquer... Mais le pouvoir d'écrire n'est pas donné d'emblée,
L'enfant doit progressivement se hausser au niveau du langage adulte évolué, celui que
les textes d'auteurs recèlent. Il doit se l'approprier par une conquête progressive et
imitative, L'opposition semble donc totale entre la nécessité d'une motivation, puisant
aux sources individuelles de la communication, et la nécessité d'une formation
s'inspirant d'une langue élaborée impersonnelle.
En réalité, la technique pédagogique doit et peut dépasser cette contradiction, L'essentiel est de se convaincre qu'il est impossible de conjuguer les deux dimensions par une organisation étroitement concertée. Le travail patient d'acquisition des moyens d'expression doit faire fond sur le temps et ne pas vouloir déboucher immédiatement dans des exercices d'expression spécialement disposés. Le maître doit faire confiance à la maturation et à ce qu'on appelle le transfert : il verra naturellement paraître, dans l'expression spontanée, beaucoup plus lard, les tournures qu'un travail systématique aura permis d'aborder. »...
« Il ne
faut pas perdre de vue que les exercices spécifiques d'orthographe - dictée préparée
ou dictée de contrôle, auto-dictée, exercices à prétention méthodique ne constituent
que des moyens précaires. ».
« Il ne
s'agit pas de faire apprendre par cur des règles de grammaire abstraites dans
l'espoir d'une hypothétique application. La mémoire qu'il conviendra de mettre en oeuvre
est celle des habitudes grammaticales, ossature de l'expression orale et écrite. »
Il faut
préciser qu'à aucun moment, notre mouvement n'a été associé à l'élaboration ou à
l'expérimentation du projet qui restaient le fait des chercheurs attitrés et nous
n'avons dû qu'à la présence de certains de nos camarades dans les circonscriptions
désignées, la possibilité de connaître les textes pratiquement secrets des versions
successives du plan Rouchette.
Malgré
cette absence de publicité, les milieux conservateurs ne tardent pas à s'inquiéter et
après 68, une violente campagne de dénigrement dénonce cette tentative de «
révolution culturelle » visant à détruire le patrimoine linguistique de notre pays.
Des académiciens, P. Gaxotte et J. Mistler se font les champions de la croisade
anti-réforme tandis que P. Emmanuel prend la présidence d'une commission qui, après
étude, approuvera en les atténuant les grandes lignes du projet. Les syndicats, les
mouvements pédagogiques, les associations de professeurs prennent parti, la plupart en
faveur de la réforme. Des circulaires officielles s'efforcent d'empêcher une application
prématurée du projet et condamnent toute expérimentation non réglementée par le
ministère.
On reproche
parfois à l'ICEM de n'avoir pas soutenu suffisamment le plan Rouchette. A vrai dire, tout
en reconnaissant ses aspects largement positifs nous ne l'avons jamais considéré comme
nôtre. D'abord parce qu'il contenait en germe certaines ambiguïtés que les instructions
définitives ont amplifiées. Et surtout parce que nous étions en désaccord fondamental
sur une conception fermée de la recherche, cantonnée entre spécialistes «
scientifiques » au milieu d'une atmosphère de secret. Pour bénéficier d'un soutien de
masse, il faut savoir renoncer aux mentalités technocratiques. Nous continuons à penser
qu'une véritable recherche ne doit pas s'exercer dans un cadre hiérarchisé, trouvant
suspecte la recherche « sauvage » qui avait pourtant introduit les idées neuves que les
spécialistes de « haut niveau » se contentent de justifier scientifiquement a
posteriori.
D'ailleurs
un soutien plus engagé de l'ICEM aurait fait apparaître le projet comme encore plus
révolutionnaire aux yeux des conservateurs, quand on se rappelle les attaques des CDR et
de l'Aurore contre l'expression libre au CEG de Douvres.
Toujours
est-il qu'en 6 ans auront circulé plusieurs versions confidentielles ou officielles du
projet, chacune en retrait sur les précédentes, non sans soulever les protestations de
chercheurs de l'INRDP (voir l'article en p. 1 de l'Educateur n° 4 de novembre 1971).
Enfin au Bulletin Officiel n° 46 du 7 décembre 1972 est publiée la circulaire n°
72.474 du 4-12-72.
Comment
se situent les Instructions par rapport au plan Rouchette ?
Une fois de
plus, elles sont nettement en retrait de la dernière version, revue par la commission
Emmanuel. Elles se réfèrent certes au projet dont elles reprennent un certain nombre
d'idées mais en minimisant systématiquement l'aspect nouveau et en accentuant surtout la
continuité (« déjà les Instructions de 1887, de 1923, de 1938... »). Bref
on sent à chaque pas la peur d'affoler par l'annonce d'une innovation et le souci
d'atténuer toute affirmation nette.
Un exemple
caractéristique : la dictée avait été condamnée dans le projet Rouchette qui ne
l'admettait que pour un contrôle bi-trimestriel. Les nouvelles instructions signalent les
critiques contre la dictée : « Le principe même de la dictée a été mis en
question. Elle serait sinon nuisible, du moins inutile. » mais elles
continuent : « Des exercices orthographiques spécialisés sont nécessaires. La gamme
de ces exercices ne se réduit pas à la dictée mais la dictée y a sa place. »
Saluons pieusement cette résurrection en
espérant que MM. Gaxotte et Mistler ne hurleront plus à la tentative de subversion
culturelle fomentée par les agents de l'étranger.
Ce n'est certes pas un tel texte qui sera capable de provoquer un élan de rénovation alors que des transformations radicales sont indispensables et urgentes. Mais en ignorant globalement ces instructions, nous nous priverions de moyens de défense et de justification pour la première fois exprimés officiellement. Les sources des idées neuves sont ignorées (ne le regrettons pas, il y aurait risque de pollution), les affirmations favorables qu'on trouvera plus loin sont noyées dans un contexte volontairement ambigu, mais elles y sont. Les avocats progressistes, même s'ils contestent la justice actuelle, ne se privent pas d'utiliser les articles du code qui permettront de défendre leurs clients. Pourquoi hésiterions-nous à mettre en lumière les phrases qui justifient notre action ?
B) CE
QUI DANS LES INSTRUCTIONS PERMET DE JUSTIFIER NOTRE ACTION
1) La
reconnaissance d'une autre orientation pédagogique
« On y
retrouvera, le plus souvent sans référence expresse, les principes fondamentaux de la
pédagogie moderne : pédagogie de l'encouragement, de la motivation, de l'activité ;
pédagogie qui tout à la fois s'individualise et met en oeuvre les méthodes de travail
par groupes, en se proposant de développer la personnalité de l'élève. » (p. 3979)
La
référence à la pédagogie Freinet ne pouvait être totalement éludée mais elle est
faite avec un tel souci de la désigner sans la nommer que l'on se surprend à admirer la
diplomatie des rédacteurs :
«Le
texte libre prend toute sa valeur en rapport avec un ensemble d'activités à caractère
coopératif :journal scolaire, correspondance et échanges scolaires, imprimerie à
l'école... Il importe que le maître, avant de mettre en oeuvre cette pédagogie,
s'informe avec soin de ses techniques et ait le souci de travailler en équipe avec des
collègues expérimentés. » (p. 3995)
2) Une
conception globale et fluide de l'enseignement de la langue
Un chapitre
des I.0. s'intitule « Unité de l'enseignement ». « L'enseignement du
français est continu, ses aspects sont variés : c'est pourquoi son agencement ne saurait
s'accommoder d'un découpage » (p. 3982). « L'enseignement du français s'exerce de
façon permanente à travers tous les autres » (p. 3979)
« On se gardera de prétendre fixer en
détail une progression rigide et uniforme qui ne pourrait être adaptée à la diversité
des enfants, et qu'en conséquence la réalité démentirait. » (p. 3980)
3) La
substitution d'une pédagogie de la réussite à une pédagogie de l'échec
« Il
faut d'abord éliminer ce qui décourage : l'ironie devant l'échec, les pronostics qui
semblent y condamner, La critique ne devrait jamais être humiliante ni aller au-delà du
point particulier qui l'a provoquée. Sous sa forme positive, l'encouragement consiste
surtout dans la mise en jeu des motivations scolaires les plus profondes, à savoir
l'intérêt que l'écolier porte à son travail et celui qu'il sent chez le maître pour
lui-même. » (p. 3979). « Les pensums ne sont d'ailleurs pas autorisés, » (p. 3993).
4) La
prise en considération de l'expression spontanée de l'enfant
« Il
faut que le maître utilise les ressources de la spontanéité enfantine pour aider le
langage de l'élève à s'élaborer » (p. 3981). Un chapitre entier intitulé «
Spontanéité et élaboration » est consacré à ce thème, un modèle
d'équilibre chèvre et chou mais où l'on admet néanmoins : « on doit reconnaître
que le défaut le plus répandu de notre pédagogie usuelle n'est pas de montrer trop de
complaisance envers la spontanéité mais au contraire trop de méfiance. » (p. 3981)
Faisons
le tour des rubriques :
Expression orale
Après
avoir critiqué le « pseudo-dialogue » fondé sur les interrogations du maître
et souligné que «la communication clandestine des élèves entre eux (1) est l'effet
le plus commun » d'une pédagogie qui élimine les échanges oraux «de crainte
qu'à leur faveur la classe ne se livre à la turbulence ou qu'au mieux certains élèves
se manifestent inconsidérément pendant que d'autres timides ou indifférents, se
taisent. » (p. 3983), les instructions précisent que «Ie dialogue apparaît si
les questions vont aussi des élèves au maître
Un pas de plus est fait quand le
maître suscite des dialogues entre élèves. Le travail par groupes facilite et appelle
de tels échanges... Une situation plus complexe et plus féconde encore, se crée quand
la classe devient le lieu de communications multiples, questions et essais de réponse se
croisant, Le maître intervient pour faire brièvement le point, éviter que la recherche
s'égare et proposer au besoin une nouvelle orientation (p. 3984) L'entraînement oral
utilise également les situations de délibérations. L'organisation coopérative de la
classe les suscite et, mieux encore, les institue »
« L'enfant accepte volontiers
de traiter sous forme d'exposé un sujet qui lui plait... la motivation, ici encore est
décisive... A la suite de l'exposé, le dialogue entre l'auteur et ses camarades offre
une excellente occasion d'échanges (questions, critiques, précisions et justifications)
et n'exige que peu d'interventions de la part d'un maître expérimenté »... « Le
magnétophone permet d'enregistrer un débat, le commentaire d'une projection, un texte
destiné aux correspondants. »
(1) Nos
collègues disent plutôt bavardage. NDLR
Il permet
de réaliser « des enquêtes ou des reportages... des activités de mise en
scène ou de dramatisation... la construction d'un montage sonore, voire d'une émission
de type radiophonique ... (il) présente cet avantage que l'enfant peut s'entendre
lui-même, prendre conscience de ses défauts de prononciation et d'élocution, s'attacher
à les corriger. » (p. 3986)
« Comme
il s'agit avant tout de communiquer, le maître se garde de rectifier sur le moment le
langage spontané: pour que les enfants parlent, pour qu'ils usent peu à peu de formes
plus variées et plus justes, il ne faut pas commencer par les reprendre. » (p. 3984)
Il faut
noter l'ambiguïté de la référence à l'affectivité enfantine : « Nombreux sont
les enfants qui arrivent à l'école chargés d'émotions, d'enthousiasmes et de frayeurs
nés souvent d'un spectacle de télévision ou d'un fait de la vie quotidienne. S'ils ne
pouvaient se libérer de telles préoccupations, on voit mal comment le travail serait
paisible et appliqué et comment la classe pourrait être, comme il est tant demandé, «
ouverte sur la vie ». (p. 3985) Sans nier le fondement psychologique de cette
observation, nous devons récuser cette interprétation de la purification pédagogique
par l'entretien du matin : on s'exprime en arrivant pour se purger des miasmes affectifs
extérieurs et aborder le travail sérieux qui va suivre, avec la sérénité retrouvée.
Lecture
« La
maturité nécessaire (à l'apprentissage) est acquise à un âge variable...
L'enseignement doit s'adapter à cette diversité. Il ne faut pas s'attendre à voir tous
les élèves apprendre à lire au même rythme... Au début du C.P. c'est une erreur que
de vouloir emmener tous les élèves à la même allure. Cette tentative n'égalise pas
les chances, mais diminuent celles des plus faibles, qui subissent des échecs répétés
jusqu'au moment où leur retard devient à peu près irrémédiable. » (p. 3987)
« Il
faut renoncer à une séparation rigoureuse entre le cours préparatoire et la première
année de cours élémentaire... un décloisonnement de ces classes s'impose comme il est
souhaitable entre la grande section maternelle et le C.P. » (p. 3989)
Quant aux
motivations : « L'enfant ne lit guère de lui-même pour mieux lire, pour
perfectionner son langage, pour se mettre en mesure de réussir ses études, pour se
préparer à recevoir une culture littéraire : de telles motivations appartiennent au
maître, Quant à celles des enfants... elles varient avec l'âge... La vie de la classe
offre toutes sortes d'occasions de lire. On lit un énoncé à communiquer, une consigne
à exécuter, une légende accompagnant un dessin, un message auquel on répondra, une
lettre adressée aux correspondants. La partie est gagnée lorsque l'enfant en vient ainsi
à concevoir et à pratiquer la lecture comme un moyen simple et habituel de satisfaire
ses désirs de découverte, de connaissance, d'enchantement... Quand l'enfant lit de
lui-même c'est pour s'informer, ou se divertir, ou se divertir en s'informant, » (p.
3990) «Il a été depuis longtemps recommandé aux instituteurs de constituer une
bibliothèque de classe comprenant des textes de difficultés, de genre et de sujets aussi
variés que possible et d'utiliser en outre les possibilités de prêt dont les enfants
peuvent disposer (bibliothèque municipale, bibliobus, etc.) (p. 3990)...
Ajoutons
que les élèves se plaisent à lire des textes écrits par des enfants de leur âge... si
la classe publie son journal, ce qui est de toute manière à recommander, la
bibliothèque s'enrichira d'elle-même au fil des années. Elle réunira également les
éléments de documentation rassemblés au cours des années antérieures et qui valent
d'être conservés. » (p. 3991)
Au niveau
des méthodes d'apprentissage, les Instructions ne prennent pas d'autre parti que de
déclarer que « les pires méthodes sont celles qui découragent le désir de lire ».
(p. 3987). Pour la première fois, on mentionne « l'emploi d'une méthode
qualifiée de naturelle par ses utilisateurs » pour préciser qu'elle exige la même
attention à la décomposition que « les méthodes improprement appelées «globales
». (p. 3988).
Phénomène
assez nouveau pour être signalé, on met en garde contre la soumission au manuel
d'apprentissage, même s'il « se réclame d'une méthode mixte » (p. 3987).
« Ces
qualités que l'on trouvera souvent dans les phrases dites en classe reprises et écrites
au tableau par le maître ne sont pas très fréquentes dans les textes combinés à
l'avance pour l'apprentissage de la lecture. Si le maître suit un livret, il lui
appartient de le choisir avec soin et de ne pas s'y asservir car il est presque impossible
qu'un texte préétabli soit vraiment en rapport avec la vie de la classe. » (p. 3990)
Ecriture
Nous ne
noterons que la condamnation feutrée de la plume à bec (p. 3992) et celle plus
nette des « lignes ». « Il (le maître) ne comptera pas trop sur
l'efficacité des réprimandes : celle d'exercices de transcription bien faits est
meilleure. En revanche, les « lignes » à titre de pensums sont - en toute classe -
fatales à l'écriture. Les pensums ne sont d'ailleurs pas autorisés. » (p. 3993)
Expression écrite
Au milieu
de cinq pages qui ne sont pas d'une limpidité évidente mais semblent souvent tourner la
cuiller autour du pot, notons :
«En ce
qui concerne le texte libre authentique, précisons qu'il a des caractères propres qui le
distinguent sensiblement de la rédaction à sujet libre. Sa fonction essentielle est de
faciliter la communication au moyen de l'écriture et en même temps de faire bénéficier
la langue écrite du même élan naturel et spontané que la langue parlée.
Non
seulement l'enfant choisit le sujet, mais il choisit aussi le moment ; il produit le texte
quand il le souhaite de sa propre initiative, sans être obligé de le montrer au maître
- ce qu'il fait souvent, néanmoins, mais en dehors de toute contrainte. » (p. 3995)
« Le
journal scolaire imprimé en classe et diffusé dans le voisinage de l'école exige, tout
comme la correspondance inter-scolaire, un travail d'équipe et met en jeu des motivations
très stimulantes. Elles avivent l'attention portée à l'écriture, à l'orthographe, aux
illustrations, à une belle présentation, à une rédaction claire et intéressante. »
(p. 3996)
Vocabulaire
« Les
maîtres savent qu'en dehors de son application immédiate, la « leçon de vocabulaire »
risque souvent d'être peu fructueuse
la découverte et l'étude du mot ne sont
fécondes que si elles satisfont à un besoin que l'enfant éprouve soit qu'il cherche à
s'exprimer, soit qu'il désire comprendre ce que d'autres disent ou ce qu'il est lui-même
en train de lire, » (p. 3998)
Orthographe
On
énumère les critiques lancées contre la dictée ; notamment « le barème fameux qui
faisait (1) correspondre à cinq fautes la note zéro a des inconvénients certains
puisque alors aucun progrès n'est mesurable tant que l'élève n'a pas passé le seuil
des résultats seuls reconnus comme positifs. » (p. 4001).
La dictée
n'en est pas pour autant condamnée même si on reconnaît : « A vrai dire, il n'est
pas aisé d'en faire un exercice auquel l'enfant s'intéresse ; et c'est l'une des raisons
pour lesquelles il convient d'en user avec modération. » (p. 4001)
Il faut
souligner dans ce chapitre la crainte, plus sensible que partout ailleurs, de prêter le
flanc à la fureur des plus réactionnaires (voir l'éloge de la dictée par J. Guitton
cité dans l'article de C. Poslaniec, Educateur n° 13, p. 3). Il reste un dur
combat à mener pour une indispensable simplification de l'orthographe qui n'est même pas
évoquée sous la forme d'un vu pieux malgré les travaux qu'avait menés
l'officielle commission Beslais.
(1) L'emploi de l'imparfait qui, dans des instructions de français, ne peut être une négligence, doit nous donner une arme pour reléguer dans un passé révolu le couperet du zéro en orthographe aux examens.
Grammaire
A propos
des règles et définitions, on dit : « L'abus des énoncés abstraits a été et
demeure le fléau de notre enseignement grammatical. » (p. 4005)
On
critique la leçon de grammaire habituelle
« En
réalité c'est à partir des difficultés rencontrées ou des erreurs commises, dans des
circonstances qui ne peuvent être fixées d'avance et au cours d'activités qui ne sont
pas spécifiquement grammaticales, que se dégagent des faits et se perçoivent des
rapports. Il est possible ensuite quune habitude naisse, qu'une nécessité
s'éprouve; et le moment arrive où elle (la notion grammaticale) peut être invoquée. »
(p. 4004)
On demande
de ne pas tenir compte « de la liste exagérément chargée qu'elles (les
instructions de 1961) donnent des «connaissances grammaticales à l'issue du
CM2 » (p. 4007)
Pour ce qui
concerne la conjugaison : « la répétition machinale et non motivée est
vaine. Le grand adversaire est ici l'ennui et c'est pourquoi l'emploi de conjugaisons en
guise de punitions est particulièrement nuisible. » (p. 4008)
Le
programme est allégé notamment au CM.
Poésie
Le
remplacement du mot « récitation » est déjà révélateur : « Un poème ne doit
pas être d'abord un morceau qu'il va falloir apprendre... Une récitation apprise à
contrecur ou par simple docilité ne donne pas de contact avec la poésie, elle en
détourne. » (p. 4010)
Les trois
pages sur le sujet témoignent d'une ouverture plus franche, moins embarrassée que dans
les chapitres précédents. Cela tient peut-être au fait que nul n'osera s'attaquer à la
poésie sans risque d'être qualifié de barbare alors qu'on peut brandir cette accusation
contre ceux qui autoriseraient à l'école autre chose que le langage correct défini par
l'Académie (nous reviendrons sur ce sujet). Sans doute faut-il y voir aussi la trace de
la présidence de P. Emmanuel à la commission préparatoire.
« La
bibliothèque de classe aura ses livres de poésie. (Le maître) encouragera les enfants
à composer leurs propres anthologies... il est bon d'ouvrir à l'enfance un vaste champ
poétique dont on l'a longtemps écartée... les enfants vont volontiers à des rythmes et
assonances non traditionnels et aux images les plus imprévues, » (p. 4010). Les
noms d'Apollinaire, d'Eluard, de Supervielle sont cités à titre d'exemple sans éliminer
La Fontaine et Hugo.
Une
mention est faite à la poésie des enfants
« Les
activités qui viennent d'être décrites, si fécondes qu'elles puissent être, ne
satisfont pas totalement l'ambition de mettre en jeu les facultés créatrices de
l'enfant... L'accueil fait à la poésie dans une classe confiante favorise des
expressions inattendues et touchantes de l'imagination enfantine... Peut-être certains
textes (d'enfants) prendront-ils la forme de poèmes. Le maître s'y intéressera, sans
s'extasier, Il s'abstiendra de procéder à une mise au point de ces textes sans
s'interdire de les insérer dans un recueil de classe ou d'y faire reconnaître un thème
qui apparaît dans une oeuvre de poète... L'essai manqué sera sans lendemain: ce n'est
pas grave (nous ne voyons pas pourquoi l'enfant n'essaierait pas à nouveau - NDLR).
L'essai réussi donnera du bonheur. » (p. 4012)
Dans la
conclusion, à propos de la correction du travail écrit on conseille «l'auto-correction,
sous le contrôle attentif du maître ». On termine sur des paroles d'espoir que nous
sommes loin de partager, nous allons dire pourquoi.
C) LES AMBIGUITES ET LES LIMITES
DES INSTRUCTIONS
Avant de
signaler ce qui dans le texte même des instructions nous paraît critiquable, disons que
leurs limites tiennent moins à leur contenu qu'au contexte dans lequel elles sont
publiées. Nous ne nous appesantirons pas sur la cruelle absence de définition des
moyens. On évoque l'information des maîtres sans préciser. On souhaite le
développement de la correspondance interscolaire, du journal, de la bibliothèque de
classe sans annoncer de mesures matérielles.
Ce qui nous
semble beaucoup plus grave, c'est le climat d'ordre moral dans lequel on semble
recommander l'expression libre. Le même ministre qui paraît encourager à la
spontanéité manie parallèlement la menace contre lycéens et étudiants. Quant au
ministre des Affaires Culturelles, son consternant couplet sur la sébile et le
coktail-Molotov n'est pas de nature à donner créance au libéralisme du pouvoir. C'est
dans cette atmosphère inquiétante que se trouvent les principales limites des
instructions de français et nous ne poussons l'analyse au niveau du texte que pour
dégager les ambiguïtés et les pièges que devront éviter les futures instructions
d'une Education Nationale réellement démocratique.
La peur de paraître trop
novatrices
Evidemment
le ministère ne nous a jamais habitué aux positions tranchées en matière de pédagogie
et le conseil prudent vaut mieux que l'ordre intempestif. Bien sûr il fallait tenir
compte du regard attentif de l'Elysée, de la surveillance hargneuse des opposants à
toute réforme mais, à force de précautions oratoires, on finit par noyer l'essentiel. A
toutes les pages on nous rappelle à quel point les Instructions précédentes étaient
justes tout en regrettant qu'elles aient été inappliquées. A ce compte, pourquoi ne pas
se préoccuper d'abord des causes de cette inapplication ?
A force de
ne vouloir effrayer personne, on risque de passer inaperçu. Bien sûr, les instructions
contiennent la critique des pratiques traditionnelles mais avec de telles clauses de style
que celles-ci n'en sortent pas définitivement condamnées (nous parlons des pratiques
bien sûr, et non des enseignants qu'il serait stupide de culpabiliser pour avoir
appliqué ce que leur apprenaient les Ecoles Normales et qu'exigeaient la plupart des
inspecteurs).
Certes les
affirmations positives existent dans les instructions puisque nous les avons citées mais,
en dehors de ceux qui sont convaincus d'avance, qui ira les dénicher ?
Prenons
l'exemple de la dictée. L'instituteur qui inflige une dictée quotidienne sera-t-il
inquiété par la phrase : « Le mauvais usage qu'on peut faire de la dictée a
suscité bien des critiques. Il n'est évidemment pas bon que cet usage soit immodéré,
» (p. 4001) ? Il se contentera peut-être de noter que « la gamme de
ces exercices (orthographiques) ne se réduit pas à la dictée mais (que) la dictée y a
sa place. » Comme il n'en fait pas un mauvais usage, en articulant mal un texte trop
difficile, pourquoi ne continuerait-il pas comme par le passé ?
La mise sur un même plan de techniques très différentes
Certes tout
ce que nous avons cité existe bien dans les instructions mais l'enseignant angoissé par
le changement y trouvera aussi des pratiques auxquelles il pourra se raccrocher parce
qu'elles sont plus rassurantes et que les auteurs de manuels voleront à son secours.
Parallèlement à l'entretien, «si (une histoire) a été déjà dite ou lue, l'enfant
l'enrichira peut-être d'inventions, mais souvent il s'attachera de lui-même à
reproduire des expressions devenues à ses yeux si nécessaires au récit qu'il
supporterait mal qu'elles fussent modifiées: on peut voir dans ce modeste exercice une
ébauche de la reconstitution de texte dont nous aurons à reparler » (p. 3986). Et
en effet, on en reparle après avoir fait un éloge nuancé du texte libre : « Il se
peut bien que par divers moyens on arrive à pareille fin, des maîtres suivent une
gradation qui leur permet d'assurer à l'élève des moyens accrus ou affermis à mesure
que s'ouvre un champ plus large à son expression écrite; autrement dit, d'armer sa
liberté à mesure que s'en développe l'usage. La démarche est donc au début très
prudente, Le court texte d'une historiette, qui a été lu, écrit, étudié, donne lieu
à des questions très précises, appelant de brèves réponses... (p. 3995). La
mise en ordre de séries d'images... entraîne à percevoir des rapports de succession et
de liaison
La reconstitution de texte offre un plus grand intérêt. Il s'agit de
retrouver l'énoncé exact d'un texte dont la classe aura d'abord pris connaissance. »
(p. 3996). Et voilà, il suffira d'ouvrir un manuel rénové qui suggérera à chaque
époque de l'année le « thème (qui) offre le fil directeur ». Bien sûr il est
précisé : «au maître de faire en sorte que ce fil ne devienne pas une chaîne »
(p. 4015) et « tel thème d'une efficacité souvent éprouvée pourrait (noter la
nuance du conditionnel) ne pas convenir à une classe donnée (p. 4014). Il
n'importe ; en mettant sur le même plan des techniques qui insécurisent par leur
nouveauté et d'autres qui font partie de la routine, on ne donne pas aux enseignants la
liberté de choix, on les abandonne aux conditionnements reçus. De même que notre
pédagogie n'est pas celle du laisser-faire mais du déconditionnement, une véritable
animation pédagogique doit, à nos yeux, aider les éducateurs à se libérer de leurs
routines (cela est vrai aussi de nos techniques modernes). Il ne s'agit pas de leur
interdire les pratiques mentionnées ci-dessus mais de les aider à discerner pourquoi ils
se rabattent sur les techniques qui les sécurisent sans s'inquiéter véritablement des
enfants. Cela n'apparaît qu'en filigrane dans les instructions et c'est une très grave
lacune.
L'effacement de l'enfant derrière
l'élève
Bien sûr
s'agissant d'instructions scolaires, il était prévisible de trouver plus souvent le mot
« élève » que celui d'enfant mais on s'aperçoit que la présence de l'enfant, être
insécable qui vit aussi hors de l'école, n'est sensible qu'à propos de l'entretien du
matin considéré un peu comme l'ablution quotidienne avant un travail plus sérieux. On
sent moins l'acceptation de chaque enfant, tel qu'il est, que le souci de l'amener « à l'usage
correct et aisé du langage élaboré des adultes ». Mais quels adultes ? nous
en reparlerons tout à l'heure. « Entre le langage dont dispose l'enfant et un langage
plus élaboré, il y a des éléments communs et... un passage peut se frayer de l'un à
l'autre, à condition que l'on parvienne à mettre en jeu, d'une façon raisonnée,
l'affectivité de l'élève. » (p. 3982). Sans nier que nous faisons fond sur
l'affectivité des enfants, nous ne pouvons nous contenter de la considérer sous cet
aspect utilitaire. Nous ne considérons pas que «les enfants n'appartenant pas à des
familles instruites se verraient bientôt réduits (sans l'apport de l'école) à un
langage rudimentaire, propre seulement à des échanges restreints, » (p. 3981). Nous
refusons ce curieux jugement de valeur que nous réexaminerons sous l'angle linguistique
et nous voulons accueillir, sans paternalisme et sans attitude péjorative, tous les
enfants, même ceux «qui entrent à l'école sans savoir le français et ne le
parlent pas chez eux » que les instructions mêlent curieusement à « ceux qui
présentent des signes prononcés d'inadaptation » pour disjoindre du régime
général leur cas qui sera étudié à part et plus tard.
Des a priori discutables sur le « bon » langage
Il est un
peu court de donner comme but de « faire acquérir les moyens d'expression qui
devraient être le bien commun de tous ceux qui parlent français. » (p. 3981) Le
langage spontané que l'enfant utilise n'est-il pas beaucoup plus proche du langage
populaire des adultes que ce langage populaire ne l'est lui-même du langage véhiculé
par l'école?
Et si cela
est exact, a-t-on le droit de prétendre qu'il s'agit d'un «langage rudimentaire,
propre seulement à des échanges restreints,... (générateur) des malentendus,
des erreurs, des servitudes qui, dans les relations sociales, pèsent sur ceux qui ne
savent pas s'exprimer » ?
Tout au
long des instructions plane une ambiguïté entre langage fruste et langage non
académique. Quelle langue parlent donc non seulement les familles non instruites mais la
grande majorité des français ? Cette langue a-t-elle droit de cité dans l'école,
autrement que pour se transposer aussitôt en termes plus conformes à la norme ? Si
nous posons la question ce n'est pas pour refuser désormais d'enseigner aussi le langage
littéraire car notre rôle d'éducateur est d'ouvrir le maximum de voies et l'accès aux
oeuvres littéraires n'est pas des moindres. Mais dans notre attitude vis-à-vis de
l'enfant, il sera très différent d'accueillir son langage (qui n'est pas si éloigné de
celui de ses parents) tout en lui faisant connaître d'autres formes, d'autres niveaux de
langue ou de n'accepter cette expression spontanée inférieure que pour le mettre «
en mesure de faire sienne une langue saine et souple ».
L'Académie Française peut certes décider que sera malsaine et rigide toute langue qui ne respectera pas scrupuleusement les règles qu'elle a établies mais ce postulat a-t-il une valeur linguistique ?
Voici
quelques expressions :
«Nous,
on veut pas de ça. »
« Qu'est-ce
que tu veux comme livre ? »
« Ten
as combien de crayons ? »
« Ça
c'est la mienne de bille. »
« La
fille qu'on s'était disputé pour elle. »
Ces
expressions ont des structures utilisées couramment et sont comprises de chacun, tout
aussi bien que d'autres expressions enseignées à l'école comme correctes. Font-elles
partie ou non de la langue française ? sinon à quelle langue
appartiennent-elles ? Si l'école a pour but, comme elle le déclare, d'aider
l'enfant à développer sa communication avec autrui, pourquoi refuserait-elle de prendre
en considération, sans la moindre nuance de mépris, sa langue de départ, celle qu'il
utilise hors de l'école, celle qu'utilise la plus grande partie des Français à quelque
niveau socio-culturel qu'ils appartiennent, la seule différence étant qu'une minorité
d'entre eux peuvent, en se surveillant, utiliser la langue véhiculée par l'école ?
Cette différence donne-t-elle le droit de dire : « ce paysan, cet
ouvrier, ce syndicaliste ne parle même pas français » ? N'est-ce pas,
toutes proportions gardées, le même processus qui élimine comme «non-français » les
citoyens contestant le régime politique ?
Répétons
que nous ne posons pas le problème de cette façon pour préconiser un nivellement
culturel mais pour dénoncer des a priori qui pèsent très lourd sur l'idéologie
sous-tendue par le langage, problème que nous allons maintenant étudier.
langage et idéologie
(Ce sujet a donné lieu à un
débat du congrès dAix qui a servi de base à l'étude qui suit.)
1. Le langage, principal facteur de
ségrégation scolaire
Les
premières années sont capitales dans l'acquisition du langage. C'est principalement dans
sa relation avec la mère que le bébé découvre la communication verbale. La mère lui
parle avant même qu'il ait la maturation nécessaire pour la comprendre et lui répondre
mais cette imprégnation est capitale.
Malheureusement
les femmes qui travaillent doivent placer l'enfant dans une crèche ou chez une nourrice
où bien souvent on se contentera de veiller à sa vie végétative. Si la mère,
épuisée par son travail et le trajet peu confortable, doit accomplir les tâches
ménagères au retour, elle ne trouvera ni le temps, ni la force de parler avec son bébé
et des carences risquent de s'installer dès le plus jeune âge.
Les mères
devraient pouvoir, dans des conditions financières supportables, se consacrer à leur
enfant dans les premières années, au moins une partie de la journée. Elles devraient
pouvoir disposer de crèches où le contact affectif avec des éducatrices, toujours les
mêmes, tiendra autant d'importance que les préoccupations sanitaires et diététiques.
Ajoutons
que dans certains cas la mère de famille très nombreuse restant au foyer est tout aussi
indisponible pour le tout petit que si elle travaillait au dehors.
L'inégalité,
au départ de cette disponibilité à l'enfant, de la qualité, affective surtout,
linguistique ensuite, des échanges verbaux, l'attention que l'on portera plus ou moins
aux déficits, légers ou graves, de l'audition et de l'articulation, tous ces facteurs
créeront, avant même l'entrée à l'école, des différences parfois considérables dans
la maîtrise du langage.
L'école
maternelle, quand elle existe et quand elle peut accueillir tous les enfants, pourrait
sans doute résorber les handicaps déjà déclarés, si les effectifs étaient moins
chargés car l'entretien avec les enfants est l'activité qui exige le plus petit nombre
sinon ce sont seuls les enfants les plus avancés qui en profitent. Encore faut-il noter
qu'en imposant trop tôt et trop autoritairement les normes du langage académique on
risque d'accroître, au lieu de le résorber, le handicap de certains enfants, placés
devant une langue nouvelle qui leur semble étrangère. Désemparés par le décalage avec
la langue utilisée dans leur milieu familial et par le rejet qu'exerce l'école sur cette
langue, ils risquent non seulement de piétiner mais même de régresser car l'école
inhibe leur langage spontané sans leur en faire acquérir un autre. On a pu observer par
contre l'épanouissement général des enfants lorsque, selon les principes de la
pédagogie Freinet, malgré les limitations dites aux conditions de travail, l'école leur
permet de s'exprimer librement et de construire leur propre langage dans une communication
permanente à l'abri de tout racisme culturel.
Il faut
souligner le problème particulier des enfants qui, chez eux, ne parlent pas français.
L'école a combattu, souvent avec virulence, les langues régionales, allant même
jusqu'à de véritables génocides culturels. Sans refuser la nécessité d'apprendre le
français aux enfants, peut-on accepter ces attitudes de mépris à l'égard de la
véritable langue maternelle ? Comment s'étonner des blocages que peut éprouver un
jeune enfant à qui on interdit son langage spontané, quel lien affectif pourra-t-il
nouer avec la langue que l'école prétend lui inculquer, si on nie la sienne
propre ? Qu'il s'agisse du français populaire, d'une langue ou d'un patois
régional, l'enfant doit pouvoir l'utiliser sans être culpabilisé. Il découvre qu'il
est possible de dire autrement et il acceptera d'autant mieux de nouvelles tournures, que
l'on aura accueilli et respecté les siennes. L'attitude répressive ou simplement
inhibitrice à l'égard du langage spontané non seulement relève du dressage animal et
d'une mentalité presque fascisante, mais elle n'est même pas efficace sur le plan
linguistique. Il est prouvé que ceux qui ont cohabité très jeunes avec plusieurs
langues différentes, dans un cadre éducatif non coercitif, acquièrent naturellement une
conscience beaucoup plus claire des réalités linguistiques. André Chamson parle de la
« vision binoculaire » que lui procure sa connaissance de la langue doc pour
l'usage du français. Cette vision binoculaire, l'enseignement en a reconnu l'importance
à l'égard des langues mortes : latin et grec ; les familles riches donnaient une
nurse anglaise à leurs jeunes enfants. Pourquoi négliger l'occasion de sources de
comparaisons qui sont quotidiennement à notre portée ?
Comment ne pas penser aux enfants d'immigrés dont le problème est d'apprendre le français indispensable à leur adaptation mais aussi de ne pas se couper de leur langue et de leur culture originelles car bien souvent ils repartiront dans leur pays après un séjour plus ou moins long en France. Il n'y a donc pas seulement pour eux un problème d'accueil et d'intégration mais aussi nécessité de développer et d'approfondir leur propre culture, ce qui peut impliquer la collaboration de plusieurs personnes pour leur éducation.
Au cours préparatoire les
difficultés deviennent de plus en plus concrètes et apparentes, se soldant dès la
première année par un certain nombre de redoublements. Les enfants qui maîtrisent le
moins bien la langue orale, ont d'autant plus de mal à aborder la langue écrite, surtout
si le vocabulaire et les structures de phrases utilisés pour l'apprentissage de la
lecture sont éloignés de leur langage spontané. Bien des enfants éprouvent d'énormes
difficultés dans l'apprentissage de la lecture parce qu'ils ne découvrent pas la
signification profonde de l'écriture, ne faisant aucun lien entre le manuel qu'ils
déchiffrent péniblement et leur propre langage. Parmi ces enfants, souvent qualifiés ou
de débiles, ou de dyslexiques, il est courant d'assister à des progrès spectaculaires,
le jour où ils établissent un lien entre les mots écrits ou imprimés et ceux qu'ils
utilisent quotidiennement pour s'exprimer. C'est pour favoriser cette prise de conscience
tant affective qu'intellectuelle que nous utilisons comme textes de lecture les histoires
racontées par les enfants plutôt que les pages des manuels.
Bien que
les enfants n'aient pas le même rythme d'assimilation, on prétend souvent les obliger à
progresser du même pas en redonnant une homogénéité temporaire au groupe par les
redoublements et la création de sections fortes et faibles. Cette prétention ridicule
est la cause principale de l'hécatombe qui est la règle générale de l'enseignement
français. Les groupes de niveau ne sont admissibles que s'ils restent très souples et
limités à certains moments et s'ils ne donnent lieu à aucune ségrégation.
L'exigence d'un apprentissage complet de
la lecture dès la première année, l'absence de consolidation au C.E.1 sont souvent à
l'origine de retards ou de lacunes dont on retrouvera trace dans toute la scolarité. Si,
dans les années qui suivent, on se contente d'un enseignement formaliste du français, en
rejetant l'expression spontanée de l'enfant, seule progressera une minorité de la classe
; les autres resteront en position d'infériorité ou de culpabilité, aux prises avec des
exercices qui n'éveillent pour eux aucun intérêt et avec un langage académique qui ne
correspond pas avec celui qu'ils utilisent spontanément.
EXTRAITS D'UN MANUEL DE LECTURE AU C.P.
La lettre l (elle monte jusquà la lune puis elle redescend).
le lino utile
lili ôte le tulle
anita ôte le lilas à nina
toto a un âne, nini le talonne
anne tâtonne
léa a avalé le lolo
l'avenue a été nivelée
ève pèle une petite patate
une pie a volé une pipe et une olive
le camelot a étalé le tulle, le calicot, l'étamine, la
popeline à même le pavé
dédé donne une comédie ; il a mis un paletot démodé ; il
imite un âne, dodeline de la tête et donne la patte à une dame ; il écume et vide à
demi un pot de limonade.
Une confrontation sur un même sujet
LES JEUX DES ENFANTS
1) Un texte fabriqué par
des adultes pour un manuel de lecture
« Une
bête colossale »
1. - « La rue sera repavée samedi » a dit papa à
Jérôme. Lulu a déjà vu un tas de pavés. Comme la rue est barrée, la moto s'arrête
et les vélos ne passent pas. La rue est vide. Jérôme, ravi, réunit ses amis.
2. - Lulu bâtira une jolie cabane de pavés. Jérôme se fera
une barricade solide. Toto imitera une bête affamée évadée de la forêt ; il rôdera,
il passera, repassera s'irritera. Sa furie sera vive.
3. - De ses rudes pattes, Toto démolira la cabane. Lulu
s'affolera, filera, évitera les ruées de la bête. La bête dépitée reculera. D'une
badine solide, Jérôme se fera une jolie carabine.
4. - De sa barricade, Jérôme, à l'affût, tirera une balle,
ratera la bête. Le lasso de Lulu, jeté d'une rapide volée, ne ratera pas le but. Toto
s'affalera. Le lasso le liera.
5. - Bob arrivera et jappera comme Tobi. Toto se démènera et
bavera de colère. Il imitera une bête colossale. Jérôme l'assomera de sa massue... de
tissu... La comédie finie, le rire des amis s'arrêtera et Bob dira : « Vive
la rue dépavée ! »
2)Deux
textes tels que les enfants les racontent à cet âge
« Ma cabane »
Samedi après-midi, je me suis fait une cabane. Dedans, je
mange des gâteaux. Le soir, quand il pleut, je vais dedans et je lis un livre. L'autre
soir, j'ai dit à maman :
« -Je peux dormir dans ma cabane ?
- Si tu veux, mais il faut que je te donne des
couvertures. »
Le soir j'ai dit :
« oh ! Je ne dors pas dans ma cabane ! »
DIDIER
« Le taureau »
Mercredi, nous avons joué au taureau. Nadège était le
toréador. Elle essayait de me calmer. Je lui fonçais dans le ventre. Elle avait peur et
elle lâchait son chiffon.
PHILIPPE
Questions:
- De ces deux genres de textes, lequel, à votre avis,
intéressera le plus les enfants, lequel sera le plus à leur portée ?
- De ces deux genres de textes, quel est, sur le plan littéraire, le plus intéressant ? sur le plan psychologique ? (encore qu'on ait peu approfondi jusqu'à présent la psychanalyse des textes de manuels scolaires - voir certains inénarrables exemples grammaticaux - il y a là une riche piste de recherches pour les amateurs).
L'entrée
en sixième viendra tirer les premières conclusions en classant les élèves, avec ou
sans examen, dans les trois sections du premier cycle. On sait l'incidence énorme du
français dans cette répartition, l'orthographe principalement.
Il faut
souligner le rôle du zéro en orthographe qui n'a pas de commune mesure avec le zéro en
mathématique.
En effet il faut être rigoureusement nul pour mériter zéro en math, toute connaissance s'inscrit positivement dans la note. En orthographe, on décompte les points pour chaque faute si bien qu'il est courant d'obtenir le zéro éliminatoire sans être nul mais simplement étourdi ou impressionné par le cérémonial de la dictée.
Il faut
également noter qu'avec l'apparition des mathématiques modernes, le handicap du langage
peut retentir plus directement sur le niveau en math si le maître mène un enseignement
traditionnel abstrait. En effet, avec le calcul utilitaire, certains enfants compensaient
leurs difficultés au niveau de l'expression et du raisonnement abstrait par le sens
pratique dans les problèmes d'arithmétique élémentaire. La principale difficulté
résidait dans la compréhension de l'énoncé. Par exemple, un enfant de 10 ans trouve
sur une fiche « Calcule le salaire mensuel de l'employé. »
Il vient dire au maître qu'il ignore ce que signifient les mots : employé,
salaire et mensuel. Lorsqu'on lui a expliqué : « Ah bon ! ce que le
vendeur gagne par mois ! » C'était simple, et pourtant.
Si l'on
pratique un enseignement formaliste des maths modernes sans référence au réel, surtout
sans référence avec l'expérience vécue des enfants, la maîtrise du langage prendra
une importance accrue. La principale difficulté n'est pas dans le raisonnement lui-même
mais dans la compréhension de ce qui est demandé, difficulté renforcée par un
vocabulaire inconnu, un symbolisme et des systèmes de représentation imposés de façon
formaliste. Si au contraire on favorise la recherche, la progression du raisonnement ne
sera plus aussi tributaire de la maîtrise du langage, c'est au contraire pour communiquer
ses découvertes que l'enfant trouvera les motivations du langage mathématique et de la
symbolisation.
On exigera
des enfants en sixième la maîtrise du langage académique et surtout de l'orthographe.
Même lorsque nous récusons ces exigences, nous sommes contraints d'en tenir compte pour
éviter à nos élèves d'être malmenés au premier cycle. Mais si nous enseignons
l'orthographe pour ne pas handicaper les enfants, nous ne devons manquer aucune occasion
de dénoncer le scandale de l'orthographe. A une époque où l'on étudie volontiers les
problèmes sous l'angle de la rentabilité, ne pourrait-on chiffrer les heures perdues
dans l'apprentissage d'une orthographe inutilement compliquée, les heures perdues aux
multiples corrections, de l'école au bureau et à l'atelier d'imprimerie ? On
s'apercevrait de l'énergie considérable et des sommes fabuleuses que permettrait de
libérer une réforme rationnelle de l'orthographe. Pour cela il faut lutter contre tous
ceux qui respectent l'orthographe traditionnelle comme moyen de sélection et de dressage
et également contre les fétichistes qui craignent une mutilation de la langue comme si
la langue espagnole était mutilée depuis la simplification de son orthographe.
L'orientation
vers le second cycle secondaire sera déterminée essentiellement par l'aptitude à
disserter, sans fautes graves d'orthographe ni incorrections par rapport au langage
académique. C'est là que se situe le véritable clivage : les scientifiques qui ne
dissertent pas iront dans la section E et les sections techniques alors que les autres
seront orientés en C et D dans les sections classiques. On retrouvera dans les mêmes
branches cette ségrégation entre les facultés et les instituts de technologie.
Finalement
tout au long de la scolarité, la maîtrise du langage académique sera le principal
facteur de sélection et de ségrégation. Dans la mesure où cette maîtrise est
directement liée avec le niveau linguistique du milieu familial, il s'agit d'une
véritable ségrégation sociale.
II.
L'impérialisme du langage
Il n'est
pas dans notre intention de contester le rôle irremplaçable du langage chez l'homme. On
le considère même comme spécifique de la nature humaine et on ne saurait nier son
importance au niveau des relations affectives et sociales.
Il est un
moyen de symbolisation indispensable à la pensée à tel point que la maîtrise du
langage est préalable à d'autres apprentissages, en mathématique par exemple (on a
observé que des enfants sourds-muets éprouvent plus de difficultés que des enfants
aveugles dans l'étude de la géométrie car le support visuel est moins important que le
support conceptuel fondé sur le langage ).
Parce que
le langage est un moyen d'expression privilégié dès le plus jeune âge, nous attachons
la plus grande importance dans notre pédagogie à l'entretien et an texte libre. Mais il
n'est pas exagéré de parler d'un véritable totalitarisme du langage à l'école, à
l'université et jusque dans la hiérarchie sociale, ce qui n'est pas surprenant compte
tenu du rôle de ségrégation que nous avons souligné précédemment.
A) PRIORITE DU SAVOIR DIRE SUR LE SAVOIR FAIRE ET LE SAVOIR ETRE
On a
souvent critiqué le verbalisme de l'école où la récitation tient lieu de savoir. Il
faut bien voir que le fétichisme du langage n'est pas limité à l'école. Un exemple
caractéristique : en février 73 les pouvoirs publics ont voulu savoir comment les
Français réagissaient sur le problème des ceintures de sécurité. Il y aurait une
façon simple d'enquêter : on poste des observateurs à des endroits où les
automobilistes doivent ralentir (péage d'autoroute, entrée d'agglomération et l'on note
le pourcentage de ceux qui portent la ceinture. On a préféré, faire un sondage et
demander aux gens ce qu'ils pensent de la ceinture de sécurité. Oh ! certes on peut
faire des études très scientifiques sur les réponses, par âges, par catégories
sociales (1), etc., uniquement sur ce que disent les gens mais pas sur ce qu'ils font. Or
la ceinture ne peut avoir d'utilité que si on la met, pas si on déclare qu'on est pour.
Dans
l'enseignement technique on retrouve cet impérialisme du savoir dire dans la technologie.
Bien sûr, dans tout métier il y a des connaissances techniques à posséder mais
l'essentiel est moins de les réciter que de les appliquer sans défaillance, sans
hésitation. Eh bien, jusque dans les Sections d'Education Spécialisée qui recrutent des
adolescents n'arrivant pas à s'adapter au style de l'enseignement dit normal, on voit des
professeurs techniques dicter des cours de technologie, faire réciter ou donner des
interrogations écrites comme si cela risquait de manquer à leur prestige de vrais profs.
L'important, est-ce que l'élève sache comment on fait tel mortier, comment on dilue
telle peinture, ou qu'il sache le réciter ? Une fois de plus on établit une
barrière par le langage.
(l)
Découverte faite grâce aux sondages : les catégories sociales qui peuvent acheter
une voiture puissante sont plus opposées à la limitation de vitesse que celles qui
doivent se contenter d'une « 2 CV »». Qui diable leût deviné ?
B) SOUS-ESTIMATION SYSTEMATIQUE DES AUTRES MOYENS D'EXPRESSION
Comment ne
pas voir le mépris généralisé qui frappe tous les moyens d'expression non verbale
(dessin, chant, expression corporelle, etc.) du primaire jusqu'à l'université ?
« Disciplines mineures » n'hésitent pas à dire certains. Mineure, la musique
pour le jeune Wolfgang devant son clavecin à cinq ans ? Mineur, le dessin d'une
patte de colombe pour le petit Pablo ? Mineur, le mime pour Charlot enfant ?
Certes si nous valorisons ces moyens d'expression, ce n'est pas pour former des artistes
professionnels mais pour donner le maximum de moyens d'expression aux enfants. Pourquoi
n'est-ce pas la règle générale ? D'abord parce que les enseignants sont recrutés
essentiellement sur leurs aptitudes verbales et qu'ils seraient mal à l'aise dans les
autres domaines de l'expression. Il faut bien voir aussi que les aptitudes non verbales
sont moins sélectives sur le plan social. En effet si le milieu culturel joue un rôle de
stimulation non négligeable, le pouvoir créateur n'est pas spécifique des classes
sociales aisées. Il est certain que la moindre dictée est socialement beaucoup plus
sélective qu'une épreuve de chant, de dessin, de danse (pensons aux petits gitans ou aux
fils d'immigrés). Ceci explique probablement cela, même si les enseignants ne sont pas
toujours conscients du rôle qu'ils jouent dans cette sélection par le verbe qui n'est
pourtant qu'un moyen d'expression parmi les autres.
Lorsque les
instructions parlent de la langue française, elles considèrent comme évidente la
référence exclusive au langage codifié par l'Académie, en faisant table rase aussi
bien de l'infinie variété des régionalismes que de l'évolution actuelle du langage.
Aussi n'est-il pas inutile de préciser quelques points.
- Qu'est-ce qu'une langue ?
Tout moyen
de communication verbale mérite ce titre de langue si cela permet aux membres de la
communauté linguistique de communiquer. Toute langue, même la plus fruste, la
plus primitive, possède ses lois linguistiques, elle fonctionne selon des conventions,
des traditions. La langue orale populaire obéit elle aussi à des lois linguistiques
stables qu'on retrouve dans d'autres langues ou dans des états antérieurs de la langue
littéraire (formes anciennes restées vivantes dans certains milieux).
Les
niveaux de langue
Toute
langue possède ce qu'on appelle des « niveaux de langue » qui varient selon
la situation dans laquelle se trouve celui qui parle.
Le
même homme peut fort bien à quelques minutes d'intervalle dire :
- A
son fils qui lui demande de l'argent :
«
De l'argent, combien t'en veux ? » niveau
familier.
- A
son médecin, en fin de consultation :
« Quels
sont vos honoraires, docteur ? » ; niveau
soutenu.
-
Ou bien dans d'autres circonstances :
« Ils
trouvent toujours moyen de nous faire cracher du fric. »
« Jje
vous paie en liquide ou par chèque ? »
« Pompidou,
des sous. »
Des phrases
ayant la même signification à des niveaux de langue différents ne sont pas
interchangeables. Du fait que certaines sont inattendues dans une autre situation, elles
provoqueraient le rire. Une phrase normale qui n'est pas en situation crée un effet
comique couramment utilisé. En réalité l'incongruité ne tient pas à des règles
strictes mais seulement à l'habitude.
La
norme du « bon langage »
La
référence à une norme est déjà un a priori Pourquoi refouler toute une partie du
vocabulaire et de la syntaxe ? Il suffit de comparer le petit Robert aux livres
scolaires pour comprendre que l'école se soucie moins de valoriser un certain langage que
d'ignorer pour l'inhiber tout ce qui n'est pas conforme à la norme choisie.
En
admettant même cette conception totalitaire d'un centralisme linguistique décidant qu'il
n'est bonne langue que quai Conti (là comme dans d'autres domaines de la vie française,
tout doit se diriger dans quelques bureaux parisiens), différents critères pourraient
présider au choix de la norme :
la
langue parlée par le plus grand nombre
Ce n'est
sûrement pas le cas en France ; il suffit d'entendre les puristes se plaindre depuis plus
d'un demi-siècle que plus personne ne sait parler ni écrire le « français » (le leur)
et effectivement le décalage s'accroît sans cesse entre la langue enseignée et celle
qu'utilisent la plupart des français, enseignants compris.
La
langue parlée par une classe sociale dominante
Ce fut, le
cas au XVIIe siècle mais on ne peut pas dire que ce soit totalement vrai en ce
moment car ceux qui défendent idéologiquement la norme linguistique véhiculée par
l'école sont loin de la respecter eux-mêmes dans la vie courante. On peut retrouver ce
phénomène général dans tous les domaines : la minorité au pouvoir veut imposer
comme valeurs morales et culturelles des règles qu'elle ne respecte même pas mais
qu'elle considère comme un barrage protecteur.
Une
langue historique, symbole d'un certain modèle de société
Ne
cherchons pas plus loin : la langue archaïque enseignée par l'école est le reflet d'un
modèle de société Malgré l'étude des langues mortes et la place des « classiques »
du XVIIe, ce modèle il ne faut le chercher ni dans l'antiquité, ni dans
l'ancien régime (sauf peut-être dans certains internats religieux). Le modèle social
que l'école a pour tâche de maintenir à travers la langue, c'est celui du milieu du XIXe
; une langue qui s'arrête à Littré et à la dictée de Mérimée, une langue qui se
donne pour idéal de clarté le code Napoléon, et pour comble de fantaisie le théâtre
de boulevard (voir le récent discours académique de Marcel Achard).
Il ne faut
donc pas s'étonner du fait que la normalisation du langage ne tend jamais à simplifier
son usage mais au contraire à le compliquer et à en rendre l'accès plus difficile à la
majorité des gens. C'est d'autant plus grave que cet objet de musée que devient le
langage académique n'est pas proposé comme un idéal, mais imposé comme norme
impérative (aux examens notamment) parce que cette norme est le plus sûr facteur de
ségrégation et de reproduction sociale.
L'exemple
le plus criant est bien entendu l'orthographe où l'on maintient contre toute logique,
parfois contre toute vérité linguistique, des graphies compliquées imposées un jour
par la fantaisie d'un copiste ou l'ignorance d'un étymologiste. La survivance de cette
orthographe ne peut s'expliquer que par le rôle de chicane sociale qu'elle joue dans la
progression scolaire des enfants.
Mais
l'orthographe n'est pas hélas le seul exemple du rôle ségrégatif de la norme, il faut
parler aussi des jargons. Chaque fois qu'un groupe social se constitue, il établit en son
sein des connivences linguistiques qui visent moins à unifier les échanges entre ses
membres qu'à exclure du débat ceux qui n'appartiennent pas à la confrérie. La preuve
que le jargon n'est pas indispensable à la communication, c'est que très vite se
constituent des sortes de lexiques : « Jargon-langage courant » pour
pouvoir malgré tout échanger avec les barbares de l'extérieur, ne serait-ce que pour
les coloniser. La création de cette carapace linguistique quest le jargon joue
souvent au départ un rôle de protection contre l'insécurité (l'argot originel des
« mauvais garçons » en est un exemple) mais nous devons combattre sans pitié
cette tendance pathologique qui ne fait qu'aggraver les difficultés de relation d'un
groupe avec l'extérieur et finalement en son sein même.
Nous ne
nous étendrons pas sur les jargons universitaires et sur les normes générales de la
confrérie (pourcentage des citations, ton académique et impersonnel, même dans certains
règlements de compte confraternels où la grossièreté ne se départit jamais d'une
politesse conventionnelle). On parle moins souvent des jargons idéologiques et politiques
où certains termes, certaines expressions constituent de véritables mots de passe ou des
oriflammes permettant aux diverses tendances de se regrouper dans les réunions. Il faut
voir les mines inquiètes, ou au moins méfiantes qui accueillent celui qu'on ne parvient
pas à situer à travers des tics de langage sur l'échiquier politique, soit qu'il ignore
ces conventions, soit qu'il les piétine par plaisir. On se soucie moins alors de ce qui
est exprimé, que des mots-clés, des clichés qui permettront de classifier, d'étiqueter
l'interlocuteur. Ne peut-on parler d'une véritable dégénérescence du langage, dès
lors qu'il ne s'agit plus d'échanger, de confronter mais de délimiter, de
cloisonner ?
Nous
aurions tort de critiquer en toute bonne conscience car nous ne sommes pas nous-mêmes à
l'abri de ce travers. Le fait que les nouveaux venus demandent un lexique
« icem-langage courant » devrait nous alerter ; nous aussi nous
jargonnons avec nos innombrables sigles qui ne sont sans doute pas tous indispensables,
avec certaines expressions toutes faites qui pourraient si nous n'y prenions pas garde
devenir des clichés, des sortes de badges qu'on arbore pour se reconnaître sans toujours
se soucier de ce qu'ils signifient et de ce qu'ils impliquent.
LE JARGON DE LA JUSTICE
Nous reproduisons le texte exact d'une sommation
d'huissier :
Sommation
L'an mil neuf cent soixante treize le premier avril.
A la requête de S.A., société anonyme dont le siège est à
S... Agissant poursuites et diligence de son Président Directeur Général domicilié au
dit siège.
Elisant domicile en mon étude :
J'ai, H..., Huissier de Justice à la résidence de R...,
soussigné.
FAIT SOMMATION à Monsieur X..., demeurant à D..., où étant
et partant à : comme il est dit ci-après.
De, dans les VINGT QUATRE HEURES des présentes pour tout
délai, payer au requérant en deniers ou quittances valables ès-mains de moi, Huissier
de Justice, porteur des pièces ayant charge de recevoir et donner quittances, la somme
de :
1° - Cent francs dû pour solde débiteur au 1-9-72
100,00
2° - Dommages-intérêts pour résistance abusive
10,00
3° - Les intérêts de droits au jour du règlement
Mémoire
4° - Le coût des présentes mis au pied
Mémoire
Sous réserve des frais de procédure s'il y a lieu.
Lui déclarant que faute par lui de satisfaire à la présente
sommation, il y sera contraint par toutes voies et moyens de droit;
Sommé de signer, a visé en marge.
A ce qu'il n'en ignore.
DONT ACTE. SOUS TOUTES RESERVES.
Ce charabia pourrait faire rire s'il n'avait été responsable
cette année de la mort d'un adolescent. On se souvient de cette mère de famille,
emprisonnée pour n'avoir pas compris qu'elle avait à payer immédiatement le montant
d'une paire de lunettes. Son fils, traumatisé par cet emprisonnement, se suicida.
D) PRIORITE DU FORMALISME SUR
L'EXPRESSION ET L'ECHANGE
Dans le
système traditionnel, le langage n'est moyen d'échange que du maître aux élèves,
occasionnellement d'un élève au maître par le biais de l'interrogation magistrale ou du
sujet de rédaction imposé qui circonscrivent prudemment la réponse. Les échanges entre
élèves sont un bavardage à proscrire de la classe. Quant à l'expression, elle est
pratiquement nulle.
L'étude du langage, dissociée de la fonction fondamentale d'échange, devient un but en soi. On n'étudie pas le français pour mieux comprendre les autres ou pour être mieux compris mais pour ne plus faire de fautes de syntaxe, d'orthographe, de vocabulaire.
Ce n'est
qu'avec les élèves sélectionnés qu'on retrouvera l'étude du langage comme moyen
d'échange unilatéral, pour convaincre les autres. Il faut noter ici un, glissement
significatif : historiquement la classe de première était de
« réthorique », c'est-à-dire d'éloquence. Dès lors que son accès ne fut
plus réservé à une infime minorité, elle abandonna cette préoccupation, et
l'apprentissage du langage comme moyen d'action sur les autres s'est replié dans certains
établissements comme les écoles d'administration où les futurs technocrates apprennent
à manipuler un groupe ou une assemblée pour imposer le point de vue du pouvoir. On
conçoit dès lors la méfiance des conservateurs vis à vis de toute technique
pédagogique favorisant la prise de parole et démystifiant l'éloquence professionnelle.
Car le menu
peuple doit se contenter de répondre par oui ou par non à des référendums, des
sondages, des questionnaires qui auront été choisis et élaborés par la minorité
éclairée détenant le pouvoir. N'est-il pas inquiétant de constater que plus les
problèmes deviennent complexes, plus on prétend appauvrir les réponses en des choix
binaires (pour ou contre, moi ou le chaos) ? Nous avons bien senti en mai 68 que la
démocratie doit passer par la redécouverte de l'échange alors que le pouvoir avait pour
seule parade, efficace, l'encadrement du débat dans des choix binaires qu'il avait
lui-même déterminés : le destin national ou le complot cosmopolite, l'ordre ou la
chienlit.
E)
REFUS D'ETABLIR UN LIEN ENTRE LE LANGAGE ET LA VIE DE L'ENFANT
Pour les
conservateurs hystériques qui pourfendaient le plan Rouchette comme destructeur du
patrimoine culturel, le problème est simple : une certaine classe sociale est
détentrice de ce patrimoine culturel, les enfants qui baignent dans ce milieu sont seuls
capables de le maintenir. L'académicien Mistler expliquait très simplement, de même que
les musiciens proviennent de familles de musiciens car c'est dans leur milieu quils
ont été dès le plus jeune âge mis au contact de la musique, la démocratisation de
l'enseignement est une supercherie parce que tout le monde ne peut pas accéder aux
humanités. Il oubliait dans cette vision aristocratique de l'éducation, qu'en Europe
Centrale le milieu tout entier est musicien et que l'art n'est pas obligatoirement
l'apanage d'une caste.
Il est
certain qu'avec cette mentalité, toute tentative de jeter un pont entre le vécu des
enfants de milieu populaire et la culture, est une entreprise séditieuse susceptible
d'ébranler les privilèges de certains. D'où la réaction violente contre le plan
Rouchette qui visait effectivement à démocratiser la formation intellectuelle classique
sans cependant la remettre fondamentalement en cause.
Nous
pensons quant à nous qu'il faut aller au delà de cette simple démocratisation et ne pas
hésiter à remettre en question certaines normes imposées justement parce qu'elles sont
socialement sélectives. Mais l'offensive des conservateurs montre qu'en liant sans cesse
notre enseignement à la vie, en actualisant ce qui paraît très loin des enfants et des
adolescents, nous réduisons le no mans land qui les sépare de la culture
classique.
III. Les
grandes lignes d'une pédagogie anti-ségrégative du français
Nous avons
vu que le handicap scolaire d'une grande partie des enfants ne tient pas à un déficit
passager mais à un système visant à maintenir la hiérarchie des milieux
socio-culturels. Aussi une pédagogie anti-ségrégative ne peut-elle se contenter de
compenser des insuffisances, elle doit prendre le contrepied de ce que nous avons
dénoncé précédemment.
A) VALORISATION DE TOUS LES MOYENS
D'EXPRESSION
Une
pédagogie du français qui s'isolerait des autres moyens d'expression tendrait à
respecter, voire à renforcer, l'impérialisme du langage. C'est pourquoi il faut dire et
répéter qu'une pédagogie progressiste ne se détaille pas. Si le maître se contente
d'introduire l'expression libre au niveau du langage, il favorisera implicitement les
enfants du niveau culturel le plus riche. Si par contre il ouvre au maximum l'éventail
des moyens d'expression, il donnera à tous les enfants des chances maximales de
réussite, de valorisation et stimulera de ce fait les progrès sur tous les autres plans
car c'est la réussite qui tonifie et élargit alors que l'échec referme et appauvrit. Il
ne peut y avoir de bonne pédagogie du français que décloisonnée, refusant toute
hiérarchie des disciplines. Le dessin, la musique, le jeu dramatique, l'expérimentation,
le bricolage ne sont pas des compléments anodins, ils sont partie intégrante de
l'éducation globale. A certains moments, ils sont les plus indispensables pour tel ou tel
enfant, non seulement pour lui-même mais pour la relation avec les autres enfants du
groupe. Le décloisonnement s'applique aux classes elles-mêmes : on croit parfois
faciliter le rattrapage en isolant dans des sections spéciales les enfants considérés
comme handicapés. On qui pourraient si nous n'y prenions pas garde devenir que nous
défendons, mais on ne les a pas valorisés, bien ait contraire, par rapport aux autres
enfants. On retombe une fois de plus dans la ségrégation.
B) UN APPRENTISSAGE LIE A LA VIE
Parce que
le langage est avant tout un moyen de communiquer, son apprentissage est directement lié
à la vie des enfants, la découverte de l'expression des autres passe par le relais de
leurs propres préoccupations. Ce n'est donc pas par fétichisme de la spontanéité que
nous partons d'abord de l'expression libre mais pour construire sur des fondements
solides.
Il en découle que l'enrichissement du langage et la pensée est indissociable de l'enrichissement de la vie. Engluer les gens dans une vie standardisée et robotisée n'est pas le moyen de les épanouir culturellement et bien des échecs dans ce domaine proviennent d'une approche superficielle du problème. Après avoir déraciné les gens, on croit pouvoir les « animer » dans des grands ensembles sans vie. Là comme dans tous les domaines on a perdu la dimension biologique et on s'étonne de la progression du désert.
C) UNE EXPRESSION REELLEMENT
LIBEREE
Faut-il
rappeler que la liberté n'est pas le laisser-faire ? C'est le « libéralisme
» économique qui fait semblant de croire à l'égalité des chances, chacun ayant dans
sa giberne la possibilité de devenir milliardaire. On sait combien cela est mensonger, il
en est de même pour le simulacre de démocratisation de l'enseignement.
Libérer ce
n'est donc pas attendre passivement que l'enfant le moins rodé à l'expression verbale
prenne soudain la tête du peloton, ce n'est pas non plus le contraindre à écrire un
minimum de textes, à faire semblant de s'exprimer pour faire plaisir au maître ou
éviter une réprimande. Le rôle de l'éducateur est de créer et de maintenir un climat
de libre expression qui stimule sans créer de contraintes.
Quand on
feuillette un grand nombre de journaux scolaires, on a l'impression que trop de pages sont
écrites pour noircir du papier, de façon peut-être moins pénible que les compositions
françaises au décimètre mais aussi peu profitable. Freinet a souvent critiqué cette
expression piètre des « chiens écrasés »,banale et monotone. Ce n'est pas
la vie quotidienne présente dans de nombreux textes qui engendre cette banalité et il
est inutile de rechercher le sensationnel ou le rêve à tout prix ni d'enrober le
quotidien avec de la littérature. La part du maître ne consiste pas à assaisonner
artificiellement une création spontanée un peu fade mais à aider l'enfant à sentir ce
qui derrière la banalité superficielle, révèle sa personnalité propre, son
originalité ; à découvrir la phrase de son texte, le coin de son dessin où il a
laissé sa trace personnelle, où il est véritablement lui-même. C'est ainsi que l'on
prend conscience de la profondeur du quotidien, de la richesse intérieure de l'être le
plus simple. On n'enrichit pas l'expression, au sens où on lui ajouterait quelque chose
qu'elle n'avait pas ; on l'épure, on l'approfondit, on la renforce.
D) L'APPORT DE L'ECHANGE ET DE LA
REFLEXION COLLECTIVE
Rien ne
favorise cet approfondissement comme l'échange avec d'autres, comme la réflexion au sein
du groupe. Ce n'est pas un hasard si dès le début, Freinet lie l'expression à
l'échange.
Le choix des textes qui seront publiés au journal peut se faire autrement que par vote (Freinet a toujours rejeté le formalisme en cas de vote) mais il est essentiel que le groupe puisse donner son avis car c'est le meilleur moyen pour l'auteur de se rendre compte de la façon dont les autres perçoivent ce qu'il écrit. Certes le groupe ne doit jamais être oppresseur de l'individu et le rôle du maître est d'y veiller mais en évitant d'escamoter les débats ou les conflits qui font prendre conscience au groupe de sa vie interne et de ses tendances parfois critiquables.
Depuis
quelques années de nombreux camarades essaient d'échapper à une sorte de routine dans
l'élection et la mise au point du texte libre, dans la correspondance interscolaire. Ils
tentent de donner plus de souplesse à une pédagogie de l'expression libre pour rester
fidèles au souci de Freinet d'une pédagogie naturelle dégagée de la scolastique.
Soyons néanmoins attentifs, dans l'évolution nécessaire des techniques, à ne pas
estomper le rôle du groupe autour de l'expression personnelle.
Chaque fois
que nous chercherons à approfondir une pédagogie de la personne, veillons à ne pas la
dissocier de la socialisation hors de laquelle on n'aboutirait qu'à l'individualisme.
C'est ce souci que nous retrouvons constamment chez Freinet lorsqu'il définit comme but
de l'éducation : « L'enfant développera au maximum sa personnalité au
sein d'une communauté rationnelle qu'il sert et qui le sert. » (Pour
l'école du peuple, p. 18, Maspéro.)
E) UNE CONCEPTION NON NORMATIVE DU
LANGAGE
Pendant
longtemps l'école n'a enseigné que la numération décimale et la géométrie
euclidienne, maintenant elle continue à les enseigner mais seulement comme des cas
particuliers. L'enseignement du français doit lui aussi faire la même révolution
axiomatique. La langue académique doit toujours être enseignée mais doit perdre ce
véritable impérialisme normatif qui est le sien. Tout d'abord l'école doit accueillir
sans mépris le langage des enfants tel qu'il est, en l'approfondissant car c'est son
rôle mais sans chercher à trancher toujours entre le « bien »et le
« mal », car il est fréquent que le mal d'aujourd'hui devienne le bien de
demain, dans une langue qui évolue. Il ne s'agit certes pas de laisser la langue se
relâcher n'importe comment et de refuser tout effort de recherche mais il s'agit de
perdre cette attitude de croisé du bon langage qui élimine chaque année tant d'élèves
pour les préserver de l'erreur. Nous refusons à la fois le nivellement qui serait la
démocratie de la pauvreté et la sélection fondée sur l'infériorité supposée de tous
ceux qui outragent Vaugelas ou Littré. Nous devons développer la réflexion linguistique
la plus large sur le langage tel qu'il pénétré en classe par l'expression spontanée
des enfants, par l'écoute et la lecture des autres (parmi lesquels les écrivains).
Mais nous
devons avant tout bannir de l'école le mot « faute » car il n'est pas d'acte
plus coupable que d'avoir tenu, depuis un siècle de scolarité obligatoire, tant de
Français à l'écart des livres, de toute la vie culturelle, à une époque où ce ne
sont plus les moyens techniques de diffusion qui créent obstacle mais les conditions de
vie des gens et notamment les conditions de l'éducation.
le texte libre
Il est
difficile sur la pratique de donner des conseils du texte libre sans risquer de valoriser
des procédés à l'encontre de l'esprit. Il faut savoir que tous les camarades de
l'I.C.E.M. ne procèdent pas de la même façon, selon les conditions dans lesquelles ils
travaillent, selon leurs dispositions personnelles. Certains remettent en question le
choix du texte, la mise au point collective plutôt qu'en petits groupes, tous pourtant
mettent au premier plan de leur pédagogie, l'expression libre par la parole, le dessin,
le geste, le texte écrit, l'histoire chiffrée, l'invention. C'est cette expression libre
qui sera la base essentielle de notre travail.
Si le texte
libre occupe une place privilégiée dans cet ensemble, cela tient à la place de l'écrit
dans notre culture mais l'éducateur ne doit pas sous-estimer l'utilisation par les
élèves du magnétophone, de la photographie et du cinéma pas plus que les langages
mathématiques du schéma ou du graphique. Une chose est certaine: dans l'état actuel de
sous-équipement matériel des classes, le texte libre permet d'amorcer l'évolution vers
une pédagogie de l'expression et de la créativité.
1. - Un texte libre doit être vraiment
libre
On écrit
lorsque l'on a quelque chose à dire, lorsqu'on éprouve le besoin d'exprimer ce qui
bouillonne en soi.
L'enfant
écrira son texte spontané sur un coin de la table le soir, sur ses genoux, au retour
d'une promenade, avant la classe et aussi, naturellement, pendant la classe dans la mesure
où il ne se coupe pas d'un travail collectif ou ne gêne pas les autres.
Alors nous
serons certains que les textes libres ne seront plus un exercice scolaire comme les autres
mais qu'ils expriment ce qui intéresse et préoccupe le plus les enfants.
Si par
contre l'enfant doit obligatoirement écrire un texte à date et à heure fixes, même
s'il a le choix du sujet, il ne s'agira pas d'un texte libre mais d'une « rédaction
à sujet libre » (la chose n'est pas condamnable en soi mais elle n'a rien à voir
avec l'expression libre).
De même
aucune obligation ne doit être faite à chacun de produire un nombre déterminé de
textes chaque semaine ou chaque mois. Il suffira généralement d'encourager les plus
timides et les plus lents, très vite une émulation naturelle et le besoin de communiquer
suffiront à faire naître les textes.
Pour les
plus réfractaires à l'effort spontané il vaut mieux substituer à l'exigence venant du
maître, l'encouragement par le groupe: un simple planning où chacun inscrit le nombre de
textes écrits stimule les apathiques sans les accabler ni les inférioriser, pour peu que
le maître ou un camarade les aide au moment opportun, à passer de l'envie d'écrire à
l'acte réussi.
II. - Le texte libre doit être motivé
On
s'exprime pour communiquer quelque chose à quelqu'un. Le maître seul est un public bien
limité et bien monotone, surtout s'il s'érige en juge. Lire un texte aux camarades est
donc un sérieux progrès mais l'intérêt de ce public finira lui aussi par se blaser, il
faudra atteindre d'autres camarades, d'autres adultes par la correspondance, par le
journal scolaire. C'est dans ce but que l'I.C.E.M. a mis et continue à mettre au point
des outils (limographe, imprimerie) et des techniques (correspondance interscolaire,
journal scolaire) qui tentent de renforcer les motivations du texte libre.
III. -
Le texte libre doit pouvoir explorer toutes les voies de l'expression écrite
Pour que le
texte soit vraiment libre, il ne doit être marqué d'aucun tabou, l'enfant doit pouvoir y
aborder tous les sujets qu'il choisit mais cette liberté ne serait qu'un leurre s'il
n'avait conscience que son expression peut s'exercer dans des registres différents. De
nombreux enfants sont persuadés que le texte libre doit obligatoirement raconter une
histoire vécue, ce qui limite sérieusement ceux qui ont la vie la plus terne. Ils
ignorent parce qu'ils ne se réfèrent qu'aux textes de leurs camarades, qu'un texte peut
être autobiographique, documentaire, mais aussi imaginaire, poétique, voire satirique ou
polémique. Il arrive qu'on trouve sous leur plume des essais que nous n'hésiterions pas
à appeler philosophiques si le terme n'évoquait, à tort, l'intellectualisme et
l'hermétisme. Car les enfants n'ont a priori aucun souci des genres littéraires, ils
aiment se mesurer à toutes les formes d'expression, y compris pour les plus grands le
pastiche et la parodie.
Le brassage
apporté par la correspondance, les échanges de journaux et bien sûr les lectures
personnelles, permettra d'élargir le clavier d'expression.
IV. - Le texte libre et l'apprentissage
de la langue
Le jeune
enfant s'exprime spontanément et par comparaison au langage de ses parents et amis, il
découvre les règles essentielles de la langue parlée. Il ignore ce qu'est une
conjonction ou un verbe mais dès 4 ou 5 ans, il manie dans ses jeux le conditionnel, les
subordonnées (« tu serais le docteur et tu viendrais parce que... »).
De même le
texte libre sera l'occasion d'expliciter les multiples règles de la langue écrite mais
il ne doit pas devenir un prétexte à grammaire ou à conjugaison. De même que le petit
ne parle pas pour apprendre à manier le conditionnel mais pour communiquer, l'enfant
n'écrit pas ses textes pour qu'ils servent de support à des exercices scolaires ;
les apprentissages qu'il fera lui seront donnés en surplus, plus il s'exprimera, mieux il
apprendra à s'exprimer, il n'y a pas d'autre secret.
C'est pourquoi il ne faudra pas pressurer un texte pour en tirer toute la substantifique moelle en vocabulaire, grammaire, stylistique et transformer en exercice formel ce qui doit au contraire rester acte fonctionnel lié à l'expression.
Méconnaître
ce principe fondamental et ne considérer le texte libre que comme l'enrobage de la pilule
scolastique, c'est s'exposer à provoquer chez les enfants les mêmes phénomènes de
répulsion que pour les exercices routiniers des manuels. Ce n'est pas l'expression libre
qui est alors en cause mais l'attitude du maître qui n'a fait que changer de routine.
Tous les textes écrits sont-ils lus à la classe ?
Cela
dépend des auteurs eux-mêmes. Certains n'éprouvent pas l'envie de présenter en public
toute leur production et ce choix est bien la moindre liberté à accorder au créateur.
Néanmoins
il faut encourager à cette communication au groupe qui donne son vrai sens à
l'expression.
Il ne faut
certes pas brusquer mais accueillir, encourager : l'enfant le plus bloqué est
justement celui qui a le plus besoin de se sentir écouté non seulement par un seul
adulte mais par un groupe de ses camarades. A travers cette communication s'effectueront
bien des prises de conscience, bien des transferts psychologiques.
Les enfants
apprendront à lire intelligiblement, sans timidité. On est souvent plus ému en
défendant son propre texte qu'une lecture impersonnelle mais on y met aussi plus de
cur. Le maître devra parfois aider celui qui peine le plus pour que chacun puisse
transmettre son message.
Dans certaines classes de grands, pour limiter le nombre de textes présentés à toute la classe, les enfants ou les adolescents répartis en équipes opèrent un premier choix préalable. Il faut surtout veiller à ce que le procédé ne soit pas une entrave à la liberté d'expression et prévoir le droit de passer outre à cette présélection qui pourrait engendrer une sorte de censure ou d'académisme majoritaire. Le rôle du maître doit être justement d'éviter le rejet de ce qui est trop original pour être admis au premier contact et d'aider les enfants à accueillir les créations authentiques même lorsqu'elles déconcertent et à démystifier les faux bons textes obéissant aux routines de la sensibilité. Apprendre à résister aux conditionnements sociologiques, c'est faire acte d'éducation.
Les moments de lecture des textes
libres
Il ne
s'agit pas de transformer cette lecture des textes en cérémonial fastidieux. On peut au
contraire multiplier les occasions : à la rentrée en classe lecture d'un texte pour
se mettre en train, à un changement d'activité pour se détendre, avant la sortie. Tous
les moments peuvent fournir l'occasion de valoriser l'expression d'un enfant. La classe
pose des questions, donne son avis sur l'utilisation possible du texte: il peut être
imprimé dans le journal, recopié dans le livre de vie de la classe, envoyé aux
correspondants, il peut être à l'origine d'un album, d'un jeu dramatique, d'une enquête
etc... Les suggestions exprimées (on ne comprend pas très bien ce passage, tu devrais
insister sur tel point, compléter telle idée) permettront souvent à l'auteur de mettre
au point son texte grâce à l'apport du groupe.
Que deviennent les textes libres ?
Dans une
classe à faible effectif, on pourrait envisager d'imprimer pour le journal scolaire la
totalité des textes écrits par les enfants mais dans la plupart des cas il faudra y
renoncer.
Pour faire
le choix des textes à imprimer certaines classes procèdent par vote, d'autres réservent
une page à chaque enfant en lui laissant le choix du texte. Quoi qu'il en soit, il
importe de se débarrasser de tout formalisme: un groupe vivant n'est pas enfermé dans
des règles rigides. Ce serait de la fausse démocratie que d'admettre que 51% des voix
permettent de concentrer toutes les décisions mais ne serait-ce pas une démocratie
illusoire que de distribuer l'égalité du droit d'expression à la surface des pages
imprimées. Notre but d'éducation n'est ni la compétition hargneuse ni le nivellement
stupide, il est l'entraide, la mise en commun, l'épanouissement de la personnalité par
le groupe et non contre lui.
Si son
texte n'est pas retenu pour paraître au journal, l'enfant peut, après l'avoir fait
corriger par le maître, le recopier dans son cahier personnel, sur le livre de vie de la
classe, l'envoyer aux correspondants. Si toutefois, en fonction de la réaction du groupe,
il préfère abandonner ce texte et en écrire un autre qui lui semblera meilleur,
pourquoi l'en empêcherait-on ? La correction la plus fructueuse ne consiste pas
obligatoirement à refaire la même chose mais parfois à partir dans une autre voie.
Nous devons
en tout cas nous libérer du tabou qui prétend inutile ou dangereuse toute activité non
revue et sanctionnée par le maître. Certes la part du maître est capitale pour
renforcer et valoriser le travail de l'enfant mais l'essentiel est pour lui d'écrire
beaucoup même si tout n'est pas revu et corrigé. Que penserions-nous d'une mère qui
mettrait un bâillon à son bébé pour qu'il ne parle pas mal lorsqu'elle n'est pas là
pour le corriger ?
L'esprit de la mise au net collective
Il importe
de bien définir l'esprit de cette mise au ne : un enfant propose un texte qui, de
son avis même, n'est pas parfait, le groupe (1) va réfléchir sur ce texte et par des
questions, des suggestions, aider l'auteur à approfondir son oeuvre. A tout moment il est
le seul maître de son texte qu'il modifiera seulement quand il le jugera utile, souvent
il dira : « c'est vrai, je n'avais pas pensé à cela, je n'avais pas donné
cette précision, je n'avais pas songé à ce mot, à cette tournure ». Il se
sentira heureux de voir sa pensée mieux comprise, plus expressive. Ce travail sera un
moment d'échange profond au sein du groupe.
(1) Si nous disons le groupe et non la classe, c'est parce qu'il est possible qu'une partie des enfants travaillent à d'autres activités silencieuses. Ceux qui participent à la mise au net peuvent avoir choisi le texte ou plus arbitrairement le faire à tour de rôle si le nombre oblige à une rotation des ateliers.
Par contre
dans une conception scolastique de la mise au point du texte, il arrive à l'enfant
d'être dépossédé de son texte que nul n'hésite à manipuler, à bouleverser, à
« enrichir ». Ce qui était un moment de vie tend à devenir un morceau de
littérature. On joue collectivement à un jeu de remaniement ou d'enrichissement de
phrases dont le point de départ est, on ne sait trop pourquoi, le texte d'un camarade.
Quant à l'auteur, même si le maître le persuade de l'heureux résultat de cette
vivisection, croyez bien qu'il ne se risquera plus à sacrifier sur la table d'opération
quelques pensées personnelles, désormais il alignera des mots aseptisés sans contenu
affectif, il écrira peut-être encore mais il ne s'exprimera plus, ce qui revient à dire
que l'essentiel sera perdu.
Car il est
relativement facile qu'un texte soit correct dans sa forme, c'est-à-dire académique, que
les propositions s'enchaînent logiquement, que la concordance des temps soit respectée,
que la structure réponde aux impératifs de la dissertation en trois points. Mais bien
souvent de tels textes (le mot « correction » devrait nous en avertir) ont
perdu la pulsation de la vie, le souffle de l'enfant. Il faut savoir s'arrêter à temps
pour ne pas gommer avec certaines imperfections ce qui est la respiration particulière de
chaque enfant, son style, même si le mot doit faire sursauter ceux qui le réserve aux
grands auteurs.
Nous savons
que chaque être a involontairement son style et c'est l'académisme qui efface les
particularités personnelles au profit de la standardisation. Le but du travail collectif
autour du texte n'est pas de le faire tendre vers une perfection impossible à définir
sérieusement mais de rendre conscients tous ceux qui y ont participé des possibilités
d'évolution d'un texte. Le résultat ne se mesure pas au texte définitif mais aux
prochains qui seront écrits.
Le
déroulement
Il y a bien
des façons de procéder selon l'expérience de l'éducateur et la familiarité des
enfants avec l'expression libre. Au début, le maître aura besoin d'animer la mise au net
mais progressivement il interviendra moins et les enfants seront les véritables
animateurs. L'aboutissement pourrait être une amélioration naturelle par présentation
successive du texte à plusieurs lecteurs choisis (c'est ainsi que beaucoup d'auteurs
adultes modifient leur oeuvre).
Nous
donnerons ici quelques conseils au débutant:
- ne pas
vouloir faire trop ni trop bien (le mieux est parfois l'ennemi du bien) ;
- ne pas
s'égarer dans les diversions n'ayant plus rien à voir avec le texte ;
- ne pas se
noyer dans les détails, quelques remarques claires suffisent à préciser des questions
que l'on approfondira plus tard ;
- revenir
sans cesse au texte et amener à trancher (lorsqu'un problème reste en suspens, le noter
au coin du tableau).
Dans
certaines classes, on pratique la mise au point dictée que FREINET recommandait dans les
dernières années :
Quand le
texte est choisi, l'auteur le relit lentement, les camarades posent des questions, on
décide quelles réponses devront être introduites dans le texte et l'on prévoit
d'avance le remaniement éventuel du plan (on ajoutera un préambule, telle phrase du
début sera mise à la fin pour servir de chute au texte).
Puis on
reprend le texte, phrase par phrase. Chacun peut demander une précision, proposer une
amélioration mais c'est toujours l'auteur qui donne son point de vue en dernier lieu.
Lorsque la phrase est explicite, agréable à l'oreille, elle est dictée. Avant de
l'écrire les enfants font les remarques d'orthographe soit en demandant la parole soit
sur l'interrogation du maître qui connaît le niveau de ses élèves (« Philippe,
comment écriras-tu : oubliés ? pourquoi ? »).
L'inconvénient
de cette technique est qu'elle ne permet pas d'avoir à tout moment l'ensemble du texte
sous les yeux mais ses avantages tiennent à sa rapidité, au fait que les enfants sont
plus sensibles à l'oral qu'à l'écrit et que l'attention de tous est beaucoup plus
sollicitée.
Bon nombre
de classes préfèrent la mise au point au tableau Le texte doit être écrit au tableau
soit par l'auteur, soit par le maître qui peut marquer en pointillés les points
d'orthographe litigieux. On dit silencieusement l'ensemble du texte puis on procède comme
plus haut.
L'avantage
est qu'on peut remanier chaque partie en voyant l'ensemble du texte, on peut matérialiser
le plan en séparant les parties à la craie de couleurs, modifier si c'est nécessaire la
phrase précédente, parfaire la ponctuation, par contre le procédé est plus lent et
l'attention des enfants moins soutenue.
L'approfondissement de la langue à
partir du texte libre
Au cours de
la mise au point, on aura fait des remarques de vocabulaire (recherche du mot juste parmi
les synonymes), d'orthographe et de grammaire (accord, utilisation d'un pronom), de
stylistique (en modifiant les articulations de la phrase). Le maître a noté également
ce qui nécessite une étude plus approfondie (utilisation correcte des temps, par
exemple). A la fin de la mise au point, il demande aux enfants ce que le texte leur a fait
découvrir de nouveau et ces découvertes des enfants mériteront généralement d'être
explicitées, approfondies et consolidées. Souvent le maître sera surpris de voir que
les enfants ont découvert une notion qu'il croyait acquise depuis longtemps ou au
contraire inaccessible à cet âge.
Ces
remarques pourront être le point de départ de recherches plus systématiques dans une
direction, voire d'une leçon a posteriori. Une voie très riche de la recherche libre en
français est la variation sur tous les plans :
- les mots
équivalents et les nuances qui les séparent
- les
groupes de mots équivalents avec des formes syntaxiques différentes.
« A
peine sorti de l'immeuble, j'entends l'autobus qui démarre ». (lautobus
démarrer, que l'autobus démarre, le démarrage de l'autobus)
- la
variation dans le temps (toute l'histoire se passant à un autre moment, ou certains
événements n'ayant plus le même ordre)
- la
variation selon le narrateur (la même histoire racontée par un autre personnage)
- la
variation dans le style (langage prétentieux, familier, objectif, etc.)
- la
variation dans la place des mots
Il s'agit
alors de laisser les enfants jouer avec le langage et les inciter s'ils ne le font plus
spontanément comme les petits.
Pour
préciser certains points, il sera parfois utile de mener une étude systématique avec
quelques exemples. Les phrases choisies doivent être simples, issues du langage courant
mais il n'est pas plus indispensable de les extraire d'un texte libre que, selon l'usage
de certains manuels, de ne retenir que de « grands » auteurs (M. Bergeret
mangeait son potage - A. France).
Lorsque des
enfants devront consolider certaines connaissances on notera les exercices individuels à
faire (voir les fichiers et les livrets autocorrectifs).
Il sera profitable aussi de faire lire de bons textes d'auteurs sur le même sujet ou dans la même tonalité. L'ICEM a édité dans ce but des brochures SBT de textes d'auteurs. Les enfants qui viennent de travailler autour du texte libre seront plus sensibles à l'art de l'écrivain et cette confrontation après coup sera d'autant plus utile qu'elle intervient trop tard pour influencer, voire pour encourager au pastiche ou au plagiat inconscient ou volontaire, elle laisse place à des réflexions beaucoup plus profondes sur les possibilités de la langue et sur l'art de l'écrivain.
Pour une méthode naturelle de lecture
QU'EST-CE QUE SAVOIR LIRE ?
C'est avoir
compris que le langage peut être transcrit en signes graphiques qui permettent de le
conserver, de le reproduire. C'est ensuite être capable de décoder ces symboles
avec plus ou moins de facilité et de coder soi-même à l'intention des autres.
Cette
définition à elle seule montre que la lecture ne saurait être isolée de l'expression
en général.
Certains
enfants éprouvent sans doute plus de difficultés que d'autres pour effectuer le
décodage des symboles mais les troubles désignés sous le terme vague de dyslexie sont
plus généralement révélateurs d'une véritable anorexie intellectuelle provoquée par
une fausse conception pédagogique.
Il n'est
pas surprenant en effet qu'un enfant ayant une certaine lenteur d'assimilation oppose un
refus inconscient à un apprentissage intensif dont on ne lui a pas laissé entrevoir le
sens réel.
Fréquemment,
en cours d'année, des enfants de 6, 7 ans et plus appartenant à des milieux
défavorisés arrivent dans nos classes en nous indiquant qu'ils étaient en train
d'étudier les pages du milieu ou de la fin du manuel de lecture en vigueur dans la classe
d'où ils viennent alors qu'ils ne savent lire globalement que les quelques premières
pages de ce livre à l'inexorable progression.
Ils
découvrent au contact des autres que les signes graphiques contenus dans ce livre qui ne
les intéresse pas, qu'ils n'aiment pas, sont les mêmes que ceux qui servent à
transcrire leurs histoires, les commentaires de dessins, les lettres pour les
correspondants alors que jusqu'à présent on avait vainement tenté de leur inculquer des
signes graphiques en considérant que l'apprentissage de la lecture était une fin en soi,
en oubliant que la langue orale et la langue écrite étaient avant tout des moyens de
communication, des outils permettant le développement de la personnalité de l'enfant.
On a
beaucoup épilogué sur les catégories de méthodes de lecture : globale,
syllabique, mixte. On a même accusé curieusement la globale (cette galeuse, disait
Freinet) d'être responsable du faible niveau d'orthographe des enfants alors qu'elle n'a
jamais été pratiquée par plus de 5 % des classes.
Quant à
nous, nous ne cherchons pas à définir un dosage idéal de l'une ou de l'autre, nous
pensons que dès lors qu'on suit une méthode imprimée dans un livre, factuelle
attrayante, on se coupe du sens même de la lecture et de l'écriture.
On pourrait
ajouter que le vocabulaire des manuels ne correspond généralement pas au vocabulaire
familier de l'enfant et que leur contenu moralisateur fait entrevoir une image édulcorée
de la société et de la famille très éloignée de ses intérêts, de ses problèmes
immédiats et de sa propre conception du monde.
C'est en
dessinant, en écrivant, en s'exprimant que l'enfant apprend l'usage de l'écriture et de
la lecture et non comme on a tendance à le penser en commençant par lire.
Le
processus naturel n'est nullement lecture, écriture, traduction graphique de la pensée
mais : traduction de la pensée d'abord par la parole, par le dessin, par l'écriture
ensuite puis reconnaissance de mots, de phrases conduisant au décodage de la pensée des
autres, c'est-à-dire la lecture.
Il est
inutile de préciser toute l'importance de la prise de conscience par l'enfant du stockage
possible de sa pensée par l'écriture dans ce processus naturel d'apprentissage.
« Par
la parole d'abord, l'enfant se familiarise avec la valeur, le sens des mots. »
Ensuite
« c'est par une constante comparaison entre son écriture et les modèles qui lui
sont offerts que l'enfant pénètre toujours plus avant dans cette reconnaissance de
signes qui, muette ou exprimée, constitue la vraie lecture. » (C. Freinet,
Méthode naturelle de lecture).
Les
premières manifestations enfantines sont le plus souvent des activités tâtonnées, des
essais répétés sans intention de communication au cours desquelles les signes
graphiques deviennent familiers à l'enfant.
Il joue
avec les mots qu'il aime, il les fait siens. Souvent, ce sont les prénoms de ses
camarades, de ses frères et surs.
Mais grâce
à la vie collective, à ses échanges, à l'attitude aidante de l'adulte, du groupe, à
la mise à la disposition de l'enfant d'outils adéquats, ses besoins naturels de
création, d'expression et de relations seront satisfaits.
Par
l'expression écrite individuelle et collective l'enfant bâtit son capital mots et passe
lentement mais sûrement de l'expression personnelle à l'expression adulte et apprend à
lire.
En effet,
par l'expression écrite, l'enfant parvient à l'analyse.
Il
rapproche des lettres ou des parties de mots semblables.
Au maître
de savoir attendre les premiers rapprochements, les premières identifications.
Savoir
faire le nécessaire et savoir attendre afin de respecter le temps d'assimilation de
chacun.
LA PART DU MAITRE
- Etre
disponible et adopter une attitude aidante.
- Jouer le
rôle de modèle. L'enfant parle parce qu'il entend parler et qu'on lui parle. Le maître
doit écrire et lire devant les enfants. L'imitation jouera son rôle.
- Respecter
la personnalité de chacun.
- Etre
sensible au rôle de l'affectivité. L'affectivité est un élément fondamental de
mémorisation surtout chez les jeunes enfants. Les travaux des biologistes ont mis en
évidence l'existence de circuits de mémoire et de traces matérielles protéiniques se
fixant uniquement grâce aux circuits affectifs.
-
Développer le sens social de chacun. Par l'organisation du travail collectif et du
travail par groupes, par l'aide que chacun peut apporter aux autres.
- Apporter
des outils de travail : une grande gamme de matériels, de techniques permettant la plus
grande gamme possible d'expériences tâtonnées.
MATERIELS ET OUTILS DE TRAVAIL
POSSIBLES
-
Matériels variés pour la transcription manuelle des textes.
-
Matériels variés pour la reproduction de l'expression écrite. Méthode naturelle
d'imprimerie et de lecture sont étroitement liées.
- Outils de
travail fabriqués avec les éléments de l'année, selon les besoins des enfants, du
moment, du maître, dont le tempérament demande plus ou moins d'outils sécurisants.
-
Collection des textes collectifs concernant la vie de la classe ou de celle des
correspondants, recopiés sur de grandes feuilles par le maître qui veille à couper les
lignes selon les articulations de la pensée : première approche de la construction
de la langue.
Ces textes
servent de références. Chaque enfant y trouve ses points d'appui, ses cadres, ses mots
outils, ses relais intermédiaires au moment où il en a besoin.
- Cahier ou
classeur où l'enfant retrouve ses textes personnels, les lettres de son correspondant,
les textes collectifs de sa classe élaborés en commun, ceux de la classe correspondante.
- Carnets
de textes libres où le maître retrouve tous les tâtonnements gratuits de l'enfant et la
trace de son évolution ; où l'enfant puise dans les textes précédents les mots, les
cadres qui lui sont nécessaires.
Voici
quelques textes choisis au cours de l'année dans le carnet d'un enfant, faisant
apparaître ses tâtonnements.
j'
ai joué avec philippe
jai
joué avec philippe
dans la
cour
hier j'ai joué
avec denis
dans la paille
hier j'ai joué avec denis
aux voitures
dans la paille
hier j'ai joué
avec roger
aux cow-boys et aux indiens
dans la paille
on a bien joué
Le même
cadre est utilisé pendant longtemps. Le nombre de points d'appui augmente.
Les lignes
intermédiaires ont été données par le maître.
Certains
mots ont été trouvés sur des porte-images mis à la disposition de la collectivité ou
dans le dictionnaire individuel.
Plus tard,
l'enfant pourra chercher à écrire les lignes intermédiaires selon le mode phonétique.
mercredi
soir j'ai joué
aux
voitures sur le bton
le
camion est entré dans le garage
le
camion roulai sur la route vit
Chaque
enfant peut avoir à sa disposition plusieurs cadres différents selon qu'il écrit une
lettre ou un texte.
Pour les
lettres individuelles, les points d'appui varient d'un enfant à l'autre.
chère
nellv
..
au
revoir
natacha
cher
petit didier
.
je
taime bien
jean-baptiste
L'enfant
plus évolué écrit selon le mode phonétique les lignes intermédiaires.
chers
monsieur et madame fort
je vai allé a la neige
on va a mijoux et on va fair
du ski on par sête nui
jaiper de pa a voir
la jambe casé
au revoir
reynald
Avec l'aide
de l'adulte et de ses camarades l'enfant qui a pu tâtonner individuellement, s'exprimer
par écrit, traduire ou faire traduire par le maître sa pensée en symboles cherche
toujours à comprendre le contenu de ce qu'il lit.
Le travail
de déchiffrement collectif et individuel se fait selon le processus adulte de la lecture.
- interrogation
- hypothèse
- vérification de l'hypothèse
- décision
La prise de
conscience que nécessite l'écriture, la rédaction en tant qu'outil d'expression sert au
maximum l'apprentissage de la lecture.
Les
instructions officielles semblent préconiser la transcription collective au tableau de
l'expression orale plus ou moins spontanée des enfants. Une séquence ayant été choisie
arbitrairement ou par vote. Ces textes ainsi obtenus étant étudiés par tous en
négligeant tout le tâtonnement individuel dans l'expression écrite.
Pendant un
certain temps, s'éloignant par souci de sécurisation et de rentabilité de la méthode
naturelle de lecture mise au point avec Baloulette, beaucoup d'entre nous ont procédé
ainsi.
Mais
actuellement, les recherches sur l'autogestion, sur l'organisation de la classe en
ateliers nous obligent à un retour aux sources.
La
recherche, le tâtonnement individuels, la correspondance naturelle prennent une place
importante dans la vie de la classe et permettent à l'enfant de faire ses expériences à
son rythme tout en étant entraîné par les autres, aidé par les autres dans un climat
de relations favorables.
« Combien
est rassurante, intelligente, humaine l'attitude de l'enfant se refusant à lire ce qu'il
ne comprend pas et voulant connaître le sens des mots nouveaux avant d'aller plus avant,
s'obstinant à saisir avant tout la pensée exprimée par les mots, parce que c'est cette
communication de pensée par le truchement des signes qui est la seule raison d'être de
la lecture et sa seule dignité spirituelle. » (C. Freinet, Méthode
naturelle de lecture.)
La correspondance interscolaire
POURQUOI CORRESPONDRE ?
En parlant
de la motivation nous avons cité à plusieurs reprises la correspondance interscolaire.
On connaît la technique : deux classes de niveaux et d'effectifs semblables
échangent entre elles chaque semaine ou chaque quinzaine, lettres, bandes magnétiques,
imprimés, documents, colis, etc.
A vrai
dire, de toutes les techniques c'est peut-être celle qui influence le plus sensiblement
le climat de la classe et l'orientation pédagogique, car on ne travaille jamais avec
autant de cur et de désintéressement que pour montrer à des amis le résultat de
son travail.
Pour que la
correspondance joue ce rôle stimulant, encore faut-il qu'elle s'intègre dans le cadre de
la classe et ne soit pas une sorte de fantaisie marginale. Dans certaines classes de
lycée, on distribue aux élèves des correspondants étrangers mais les échanges se
situent hors du travail scolaire qui ne peut donc en bénéficier que très indirectement.
Nous
voulons au contraire que la correspondance soit partie intégrante de la vie pédagogique.
Toute activité du groupe (enquête, album, débat) est communiquée à la classe
correspondante. Très vite l'enfant qui écrit un texte libre, dessine ou expérimente, ne
le fait plus seulement pour sa classe mais aussi pour les correspondants avec lesquels se
nouent des liens d'amitié parfois très profonds.
Cet
élargissement du groupe social de la classe présente un certain nombre d'avantages que
ne pourrait procurer un travail, même profond, au sein de la classe.
1)
Ouverture sur un milieu différent
C'est plus
la connaissance par l'intérieur que l'aspect purement documentaire qui importe dans cet
échange. Etudier ce qu'est un bassin minier peut se faire de façon livresque, mais
connaître la vie des travailleurs, l'ambiance d'une cité, peut-être les problèmes
d'une grève, d'un accident, n'est-ce pas l'élément le plus important, le plus
passionnant parce que le plus humain ; le reste (l'organisation du travail, la
technique, les aspects scientifiques et économiques) sera donné en plus.
2)
Regard neuf sur son propre milieu
Nous
croyons, bien à tort souvent, connaître notre cadre de vie mais les questions parfois
naïves des correspondants nous montrent à quel point nous ignorons ce qui nous entoure
et cela nous amène à étudier des problèmes que nous ne nous étions jamais posés.
D'où vient l'eau de nos robinets ? Pourquoi y a-t-il tant de parents cheminots dans
le quartier ? Que signifie tel nom de rue ? Pourquoi telle coutume
bizarre ?
3)
Confrontation entre deux groupes
Très vite,
on s'aperçoit qu'au sein des deux classes, les points de vue sont loin d'être
identiques. Dans telle classe, la majorité des enfants réprouve la chasse ; chez
les correspondants c'est l'inverse, parce que les pères sont chasseurs.A propos de
problèmes souvent très simples, les valeurs traditionnelles qui ont cours dans le
milieu, se trouvent contestées par les correspondants qui en respectent d'autres. Les
enfants prennent alors conscience de la relativité de certaines données qu'ils croyaient
intangibles et ils se libèrent, dans une certaine mesure, de leurs conditionnements
familiaux et sociaux pour s'ouvrir à la tolérance et à une vue plus large des
problèmes humains.
4)
Recours affectif à un autre groupe
Même dans
un milieu accueillant, tel enfant reste, quoi qu'il fasse, celui qui mouille encore son
lit, le brutal qui a toujours des histoires à la récréation, le fils du travailleur
immigré qu'entoure un racisme latent. Par contre pour les correspondants, seul existe
celui qui a écrit une si belle lettre, rédigé un texte si intéressant, fait un si joli
dessin. Aussi n'est-il pas surprenant que certains « enfants-problèmes »
trouvent dans la correspondance l'occasion d'échapper à leurs difficultés, de se
rééquilibrer, de devenir enfin eux-mêmes, malgré leur passé, malgré leur milieu.
5)
Obligation de se plier aux contraintes de la communication
Enfin un
aspect pédagogique important est la nécessité de se faire comprendre clairement par des
camarades qui ne sont pas présents.
Avec ceux
de la classe on peut se contenter de l'imprécision qu'on réajustera verbalement d'après
leurs réactions. Là, il ne faut pas manquer le but et toute imprécision provoquera
fausse interprétation ou incompréhension. Il s'agit donc d'utiliser au mieux les outils
de communication (langage oral enregistré, écrit, mais aussi schémas, symbolisation).
Quel meilleur apprentissage de la rigueur et de la précision que l'échange
d'observations ou de recherches !
LE CHOIX DES CORRESPONDANTS
Ce qui
compte n'est pas la distance mais un certain dépaysement et le dépaysement, selon les
âges, n'a pas la même signification.
Pour les
petits, des camarades qu'on ne voit pas chaque jour c'est déjà l'inconnu et certaines
classes correspondent avec profit au sein d'une même ville, entre quartiers. Cela permet
des rencontres régulières qui rendent l'échange moins abstrait.
Avec de
plus grands, il n'est pas toujours nécessaire d'aller bien loin pour trouver un milieu
très différent (petit bourg rural et grande banlieue, quartier ancien et grand ensemble,
vocation industrielle ou commerciale). Au sein d'un même département, l'échange peut
être très riche et surtout permettra aux enfants de se rencontrer plusieurs fois dans
lannée.
Plus on
gagne en dépaysement, plus le dialogue aussi devient difficile et il y a un équilibre à
tenir selon les âges. Les échanges avec des pays lointains seront généralement plus
fructueux avec des adolescents qu'avec de jeunes enfants.
Nous
signalons pour les collègues désirant pratiquer la correspondance dans le cadre de la
pédagogie FREINET (expression libre, journal scolaire) qu'il existe à l'I.C.E.M. un
service de jumelage des classes dont les imprimés sont diffusés par les groupes
départementaux I.C.E.M.
Pour les
autres types d'échanges, il existe un service de correspondance à l'O.C.C.E. (101 bis,
rue du Ranelagh - PARIS 16e).
QU'ECHANGERA-T-ON ?
a)
Lettres collectives
Toute la
classe rédige en commun un message aux correspondants. S'il est écrit au marqueur sur
une grande feuille, il sera accessible à tous à la fois. Dans les petites classes, le
maître écrira lui-même sous la dictée mais tout le monde illustrera.
b)
Lettres individuelles
Chaque
enfant aura son correspondant personnel dans l'autre classe, il lui enverra des nouvelles,
des textes libres. Il aura à cur d'écrire correctement, sans fautes, d'embellir la
lettre de dessins, de trouvailles diverses. Cette correspondance individuelle, souvent la
première pour l'enfant, sera parfois le prélude d'une amitié définitive.
c)
Textes imprimés
Pour que
chaque correspondant connaisse le travail de la classe, nous enverrons une série de nos
textes libres imprimés ou tirés au duplicateur, de nos recherches mathématiques, de nos
enquêtes, en un mot de tout ce qui constitue le travail collectif de la classe.
d)
Albums, documents, maquettes, dessins
Tout ne
peut être reproduit en autant d'exemplaires que d'enfants. L'album d'une petite équipe,
la maquette, le compte rendu d'une recherche personnelle, d'une conférence seront
envoyés aux correspondants (pour une durée limitée si l'on veut les récupérer sauf si
l'on a fait le travail en double).
e)
Bandes magnétiques, montages
Il est
passionnant d'entendre la vraie voix du correspondant mais, contrairement à ce que
certains pourraient croire, la correspondance sonore ne peut être que le complément,
irremplaçable certes, d'une correspondance écrite qui reste l'élément essentiel.
f)
Colis
Rien ne
remplace le contact direct avec les éléments vrais venus du pays des
correspondants : cidre nouveau du père de Jacques, plantes cueillies dans la
garrigue, fossiles trouvés en promenade ; et bien sûr aux fêtes, l'échange des mille
petits cadeaux qui, dit-on, entretiennent l'amitié.
JUMELAGE
DES ENFANTS
Après une
période de prise de contact de classe à classe, le jumelage des enfants se fait parfois
de façon systématique. Plutôt que cette répartition soit faite par les maîtres il est
souhaitable que les enfants se choisissent par exemple d'après la présentation écrite
par chacun d'eux.
Pour
éviter la systématisation qui risque de donner une tournure scolaire on attend
généralement que le besoin de correspondance individuelle se fasse sentir ; les premiers
qui ressentent ce besoin choisissent leur interlocuteur et les liens inter-individuels se
nouent.
Il n'est
pas nécessaire, surtout à partir d'un certain âge, qu'un enfant corresponde toujours
avec le même camarade. C'est d'après les échanges de textes et de travaux personnels
qu'il décidera d'écrire à Jean-Pierre sur le karting, sa passion, puis à Claude à
propos de son texte sur les Gitans. Ainsi s'établit une correspondance libre, très
souple où chaque enfant vit en contact direct avec tous les camarades de l'autre classe.
Des
camarades de l'I.C.E.M. ont même constitué un réseau de correspondance naturelle au
sein duquel chaque classe n'a pas un correspondant attitré mais s'adresse selon les
besoins et les intérêts à tel ou tel d'après les textes et les appels publiés dans
une gerbe commune.
Nous ne
devons pas nous cacher que l'assouplissement de ces systèmes de relation peut, en
favorisant les plus dynamiques, laisser sur la touche, si nous n'y prenons pas garde, les
timides, les hésitants, les amorphes. Dans toute notre pédagogie, nous cherchons à
parvenir aux formules les moins rigides, les moins systématiques, les plus proches de la
vie mais nous devons tenir compte des habitudes acquises, de la difficulté de suivre de
chaque enfant dans une classe chargée. Tout est affaire de bon sens et de doigté dans la
part du maître.
QUELQUES
REGLES
1)
La régularité
Dans toute
correspondance (même d'adulte) il vaut mieux une courte réponse à temps qu'une tardive
lettre-fleuve. Il faut respecter de façon stricte la régularité des envois.
2)
La réciprocité
Dans tout
échange, il faut un certain équilibre. Les meilleures volontés se lassent si le
décalage est trop grand entre ce qu'on donne et ce qu'on reçoit. Par contre l'émulation
naturelle de classe à classe sera un stimulant bénéfique. Attention, même le
correspondant d'un enfant malade doit recevoir quelque chose (d'un autre camarade ou du
maître).
3) La
recherche de la qualité
Le respect
des correspondants implique des lettres bien écrites, bien corrigées, illustrées avec
goût. Le temps qu'on y passera ne sera pas du temps perdu, mais un moment d'éducation
(peut-être plus utile que l'application au « cahier du jour »).
Ne pas oublier aussi que l'enfant dans son enthousiasme montrera à ses parents, la lettre qui sera, malgré nous, le test de notre pédagogie.
4)
L'échange entre les maîtres
La
correspondance n'est fructueuse que si les deux classes vivent en contact étroit, presque
en symbiose, donc si les maîtres s'écrivent régulièrement à propos de la vie de la
classe, de chaque enfant, de la pratique pédagogique. Il ne faut peut-être pas chercher
d'autre secret au climat d'amitié qui unit certains éducateurs habitués aux échanges
sincères et profonds.
POUR
CONCLURE
Nous ne
pouvons prétendre répondre à toutes les questions dans le cadre d'un article si court,
nous voulons insister sur l'engagement que constitue la demande d'un correspondant. Il
faut décider avec prudence les modalités que l'on respectera toute l'année. En effet
certaines classes appuyant toute l'activité sur l'échange, il serait malhonnête de les
priver en cours d'année de cette puissante motivation. Si vous êtes hésitants commencez
modestement mais soyez réguliers, ne décevez pas votre partenaire.
Le journal scolaire
POURQUOI UN JOURNAL SCOLAIRE ?
Si nous
réfléchissons d'abord aux raisons qui justifient la création d'un journal scolaire,
nous dégagerons du même coup un certain nombre d'impératifs sur son contenu et sa
présentation.
Un journal
scolaire intégré à la vie de la classe apporte :
1) Une
valorisation des créations des enfants.
Trop
souvent, sans même s'en rendre compte, à coups de stylo rouge, le maître renforce
l'enfant dans son sentiment d'infériorité. L'exercice « corrigé » (même le
terme est révélateur !) n'aboutit qu'à un score négatif : il n'y a plus de
« fautes » (encore un terme lourd de sens). Quand pour la première fois
l'enfant verra sa pensée valorisée par l'imprimé, il prendra conscience de ses propres
possibilités de création et cette pédagogie de la réussite est un aspect essentiel
chez Freinet.
2)
Une occasion de socialiser.
Rien ne
renforce la cohésion d'un groupe comme la mise en commun de toutes les bonnes volontés
pour une réalisation collective. D'ailleurs beaucoup de groupes spontanés de jeunes
créent un journal, une revue, mais les projets avortent souvent, hors d'un milieu aidant.
Pour le choix des textes et des illustrations, la composition, l'impression, l'assemblage
du journal, la classe doit s'organiser coopérativement et les difficultés surmontées
consolident le groupe.
3) Un
moyen d'échanges avec d'autres groupes.
Le journal
scolaire est échangé avec des classes proches ou lointaines et il motive le besoin de
communiquer avec d'autres, de lire ce qu'ils ont écrit, de leur répondre.
4)
Un lien avec le milieu.
A travers
le journal, les parents retrouvent leurs enfants, sous un jour différent. Le milieu
ambiant transparaît dans le journal et il est parfois le seul écho qui sortira à
l'extérieur du quartier, du village. Enfin le journal est devant l'administration, le
témoin de la vie d'une classe souvent plus révélateur qu'un cahier d'exercices ou une
fiche de préparation (cet aspect est à double tranchant).
5) Une
démystification de la chose imprimée.
Imprimer
soi-même un journal aide à prendre conscience que ce qui est imprimé n'est pas sacré
(« c'est vrai, c'est dans le journal »). Les multiples incidents de la vie du
journal (coquilles involontaires, tentatives de mensonges ou de plagiat, débats sur
l'opportunité de passer tel ou tel article) font comprendre mieux que de longs discours
la relativité du vrai, de l'objectivité et même de l'honnêteté et de la liberté
d'expression.
6) Une
source de revenus pour la coopérative.
Il serait
regrettable d'y voir un avantage primordial car un journal soigné nest pas source
d'énormes bénéfices et il serait scandaleux que la vente des journaux tourne à une
mendicité de mauvais aloi, mais un travail de qualité trouve en général sa récompense
par l'intérêt et le soutien financier des lecteurs adultes.
LES
OBLIGATIONS DU JOURNAL SCOLAIRE
Compte tenu
des buts définis, nous voyons que le journal scolaire ne peut éditer n'importe quoi,
n'importe comment. Pour être incontestable, il doit répondre à quelques obligations :
1) Etre
représentatif du travail et du climat de toute la classe :
Tous
doivent y participer, tous doivent s'y reconnaître dans les textes, les illustrations,
les enquêtes. Beaucoup de classes incluent régulièrement une page « Notre
vie ».
2) Etre
d'une qualité irréprochable :
Tant sur le
plan du contenu que de la forme (correction typographique, tirage soigné, recherche de
présentation), le journal doit faire honneur à l'école. Ne pas dire : « Nous
n'avons pas le temps de faire plus soigné » car rien n'oblige à faire un journal
et le temps passé n'est pas perdu, c'est du temps d'éducation.
3)
Intéresser le public auquel il s'adresse :
En
général la variété est le meilleur gage d'intérêt d'un publie varié, mais il est
possible de faire des numéros spéciaux (poèmes, linos gravés, enquête, etc.).
4)
Prendre la responsabilité de ce qui est édité :
C'est une
chose de débattre entre camarades et autre chose de le publier dans un journal qui sera
lu par des gens qui ne connaissent pas le contexte. Spontanément, bien souvent, les
enfants comprennent que telle confidence intime, telle allusion à des personnes ou des
problèmes locaux, telle affirmation incertaine, risquent parfois d'être mal
interprétées. Il ne s'agit surtout pas de s'autocensurer mais d'avoir réfléchi à la
responsabilité de celui qui s'exprime publiquement.
Vu sous cet
angle, le journal sera facteur d'éducation non seulement pour ses rédacteurs, mais aussi
pour ses lecteurs qui ne rencontrent pas si couramment le respect du public.
QUE PEUT
CONTENIR LE JOURNAL ?
- des
textes libres simples et corrects,
- des
histoires vécues,
- des
reportages,
- des
contes ou textes d'imagination,
- des
extraits de discussions,
- des
poèmes individuels ou collectifs,
- des
enquêtes simples (les plus complexes feront plutôt l'objet d'un album ou d'une
monographie),
- des
comptes rendus de recherches en math, science, gymnastique, etc.,
- des pages
sur la vie et les activités de la classe, du quartier, du village (notre vie),
- et
pourquoi pas des petits jeux pourvu qu'ils soient création originale des enfants de la
classe,
-
des créations graphiques.
LA PLACE DES CREATIONS GRAPHIQUES
On voit trop souvent des journaux d'enfants plus sévères
qu'aucun journal pour adultes et qu'aucun manuel scolaire. Respecter son lecteur, c'est
faire plaisir à son oeil qui, de nos jours, n'exige pas seulement une bonne typographie
mais une part de dessin, de couleur, qui n'est pas forcément l'illustration servile du
texte et qui de plus en plus joue son propre rôle dans la joie de lil et de
l'esprit.
Nous ne
pouvons qu'énumérer les moyens de création : stencil, pochoir, gravure sur lino,
plastique ou contre-plaqué découpé, clichés en alu repoussé, carton, gravure sur
zinc, sérigraphie.
Ne pas
hésiter à faire des illustrations, pleine page, à émailler les textes d'une vignette,
d'un cul-de-lampe, d'un fond léger (à la condition qu'il n'altère pas la lisibilité).
LES TECHNIQUES D'IMPRESSION DU
JOURNAL
1)
L'imprimerie
C'est
Freinet qui a introduit l'imprimerie à l'école et aucun outil ne permet mieux à des
jeunes enfants de faire eux-mêmes, avec le seul recours de l'adulte pour la correction,
des tirages d'une réelle qualité. On ne saurait trop insister sur l'aide de l'imprimerie
pour la découverte de la décomposition puis de l'orthographe. On peut dire qu'entre 5 et
8 ans, l'imprimerie est pratiquement irremplaçable mais ultérieurement la qualité
typographique justifie son utilisation pour tout ce qui mérite la meilleure valorisation.
Un matériel complet d'imprimerie coûte environ 650 F.
2)
Le limographe
Il s'agit
d'un duplicateur à main pour stencils. Le matériel complet coûte moins de 200 F mais il
est possible de le fabriquer soi-même. Le limographe permet un tirage illimité avec ses
stencils soit tapés à la machine, soit gravés sur une lime (d'où le nom). Il est
possible de tracer des dessins, des croquis.
Moins
prestigieux que l'imprimerie, le limographe en est le complément indispensable. Sa
rapidité et son prix lui valent la préférence de nombreux collègues. Toute classe
devrait être équipée de cet outil simple et efficace.
3)
Le duplicateur à alcool
Son seul
avantage est de permettre le tirage simultané en plusieurs couleurs (hélas fort
criardes) ce qui est pratique pour certains croquis et diagrammes mais son grave
inconvénient est la pâleur des exemplaires au-delà d'un faible tirage. Combien de
textes illisibles ne sont-ils pas distribués dans les journaux à cause de ce mode de
reproduction dont il faut connaître les étroites limites ?
4)
Les formules d'avenir
Lorsque la
photocopie, l'offset et la sérigraphie seront devenues plus abordables, il est certain
que le journal scolaire pourra en tirer parti, notamment pour la reproduction des photos.
QUELQUES CONSEILS
La
préparation du texte :
-
Travailler sur un texte parfaitement écrit, sans fautes.
- Bien
répartir les tâches pour que la fatigue ne provoque pas des erreurs de composition (mots
ou lignes oubliés).
La
composition et la mise en pages
- Aérer le
texte, interligner.
- Laisser
des marges suffisantes (penser à l'agrafage).
- Bien graver les stencils. Au besoin
faire une maquette préalable, cela évitera de gâcher un stencil.
La
correction
- La
composition doit être relue par un autre camarade.
- Enfin le
maître donne le bon à tirer après lecture attentive.
Le
tirage
- Laisser
une marge suffisante pour l'agrafage.
- Utiliser
un papier de bonne qualité, facteur déterminant du résultat.
-
Travailler proprement, sans précipitation.
- Mettre
les feuilles à sécher dans un vieil annuaire ou du papier journal (absorbant).
L'assemblage
- Disposer
en bon ordre les paquets de feuilles imprimées.
- Les
enfants prennent une feuille de chaque et constituent le journal qui sera ensuite agrafé
ou collé sur la tranche.
Les
obligations légales du journal scolaire
Comme toute
publication en France, le journal scolaire doit être déclaré au Procureur de la
République de l'arrondissement en précisant le titre, la périodicité, le nom du
gérant adulte et le lieu d'impression. Ces mentions doivent être précisées sur la
couverture.
Pour
l'envoi au tarif périodique (7 c au lieu de 30 c) il faut demander par l'intermédiaire
de l'I.C.E.M., BP 251 - CANNES 06, un numéro d'inscription à la commission paritaire des
publications périodiques.
Grammaire et orthographe
1)
La grammaire scolaire est au service de l'orthographe
Ouvrons une
grammaire du C.E.1, par exemple la Grammaire fonctionnelle de Vaillot (Belin,
1968), et observons la progression des premières leçons. La phrase, le verbe, son sujet,
les noms, l'article, le groupe du nom et le groupe du sujet : tout a été méthodiquement
mis en place pour aborder, dès la 6e semaine, les pluriels du nom et du verbe.
Avec cette 11e et 12e leçon, la réflexion grammaticale change tout
à coup de nature. Jusque-là on observait des faits de la langue : ainsi l'enfant
apprend-il (7e leçon) que « le nom est accompagné le plus souvent
d'un article » Ou encore on s'exerçait à mettre en relation des faits de la
langue et des faits réels (« le sujet du verbe est le mot qui désigne la
personne, l'animal ou la chose qui fait l'action », 3e leçon).
Leçon 1 à 10, donc, on invite l'enfant à regarder fonctionner sa langue, exactement
comme dans une « leçon de choses ». Et tout à coup l'observation laisse la place à la
règle d'écriture : « Pour former le pluriel des noms, on ajoute le plus
souvent la lettre S » (11e leçon)
; « Si le sujet est un groupe du nom au pluriel, le verbe se termine par ent »
(12e leçon). Plus question d'observer ici. Non pas que le français soit
dépourvu de noms (buf, cheval, travail) ou de verbes (il vient, il dort) qui
puissent donner lieu à des remarques intéressantes lorsqu'ils passent au pluriel. C'est
que l'objectif du manuel de Vaillot, de la grammaire à l'école, et peut--être même de
la grammaire en général, n'est pas d'observer, il est de prescrire, de
préparer l'acquisition de l'ortographe.
Ces 12 premières leçons (nous n'irons pas plus loin) constituent un ensemble cohérent et bien représentatif de l'ensemble de la grammaire scolaire (et de la grammaire traditionnelle en général). A tous les échelons de l'apprentissage grammatical il en ira de même : une préparation théorique (sommaire au début, mais de plus en plus complexe par la suite, qu'on pense à l'opposition des différents compléments du verbe) met en place un certain nombre de « concepts » (le pluriel, le complément d'objet direct) lesquels vont tous, comme par hasard, trouver une utilisation dans des règles orthographiques. Ainsi le complément d'objet direct est-il nécessaire à l'application de la règle d'accord des participes passés. Revenons par exemple aux exercices de Vaillot (P. 50, 51, 54, 55) sur les pluriels : ils sont exclusivement orthographiques ; et aucune référence n'est faite aux pluriels « rèels » (cheval - chevaux) de la langue. Là encore il ne s'agit pas d'un hasard si la finalité de l'enseignement grammatical est bien l'enseignement de l'orthographe (et nullement l'observation désintéressée de la langue). Dès le début, la grammaire scolaire se met toute entière au service de l'orthographe. Mais il y a mieux encore.
Ne nous
attardons pas ici sur la nocivité de l'orthographe, qui fait l'objet d'une étude
systématique échelonnée sur 8 ans (du C.E.1 à la classe de 3e) - largement le temps
d'apprendre une langue étrangère -, qui obnubile les esprits des élèves (et des
maîtres) au point de leur faire perdre de vue ce que pourrait être un enseignement
authentique de la langue maternelle (mais qui, d'ailleurs, a une vision claire du
problème, même parmi les « linguistes » ?), et qui est devenue depuis longtemps le
critère fondamental de la sélection scolaire. Constatons seulement, en passant, que
l'adoption d'une orthographe simplifiée, celle par exemple que propose le mouvement
Freinet, permettrait de débarrasser le Cours Elémentaire, et sans doute aussi le Cours
Moyen, de tout enseignement grammatical si rébarbatif à cet âge.
Supposons
maintenant, en nous installant dans l'utopie, ce qui ne signifie pas forcément
l'impossible, que l'orthographe soit enfin balayée par une révolution culturelle
quelconque, et laisse la place à une écriture infiniment simple, phonétique,
c'est-à-dire reproduisant les sons de la langue parlée. Supposons qu'on écrive
désormais
« léz
anfan sanble kontan »
ou « la
mézon é joli »,
et revenons
à l'enseignement de la grammaire. Lorsque viendra l'âge (12 ans ? 15 ans ?) d'apprendre
la grammaire, que restera-t-il de cette théorie grammaticale telle que nous la
connaissons et l'enseignons, telle que la présente Vaillot par exemple ?
Est-ce que anfan
(phrase ci-dessus) sera encore un « pluriel », et joli encore un féminin
? Rien n'est moins sûr. Certes léz est et restera un pluriel (par opposition à le)
; et la sera (pour la même raison) toujours un féminin. Mais kontan, comme
d'ailleurs anfan, parce qu'ils ne varient pas en nombre (opposition singulier -
pluriel), n'auront plus aucune raison d'être considérés comme des singuliers ou comme
des pluriels. Certes le groupe léz anfan sera un pluriel (à cause de léz) mais anfan
(mézon, ,joli) sera considéré comme invariable, et il suffira de dresser la liste
des mots qui varient en nombre, liste très limitée pour les noms (boeuf, cheval... ) et
les adjectifs (loyal ... ), plus importante pour les verbes (venir, dormir, être... ). Le
nom commun invariable, voilà une nouveauté de taille. On voit que ce qui changera, dans
l'enseignement de la grammaire, ce ne sera pas seulement son échelonnement dans le cours
des études, c'est sa nature même.
C'est la
grammaire elle-même qui disparaîtra, sous sa forme actuelle du moins, pour laisser la
place à une vue beaucoup plus exacte (et beaucoup plus simple) des réalités de la
langue.
On va
m'objecter que je viens de me situer dans l'utopie et que mon argumentation futuriste
n'éclaire pas nos problèmes actuels C'est ce que je conteste. Certes le raisonnement a
fait un détour par l'utopie. Mais comme l'écriture phonétique est une représentation
fidèle de la langue parlée cela permet de remettre les choses à leur véritable place.
La grammaire, c'est la connaissance scientifique d'une langue, dit le Grand Larousse
Encyclopédique l'article est du grammairien Gougenheim). Si la grammaire française est
bien la science de la langue française, posons-nous la question suivante : quelle
signification peut-on accorder à l'affirmation que enfants (dans « les enfants
semblent contents ») est un pluriel ? Dans la langue parlée anfan est invariable.
Dans l'orthographe il varie : enfant, enfants. Il n'y a de pluriel que dans
l'orthographe. Il n'y en a pas (sauf la petite liste boeuf, cheval ... ) dans la langue
parlée, qui est faut-il le rappeler - la langue réelle. Du même coup la
grammaire scolaire (et la grammaire traditionnelle) ne peut plus prétendre être la
grammaire de la langue française : elle n'est que la grammaire de l'orthographe
française. D'autres l'avaient déjà dit, Marcel Cohen, Ferdinand Bruno (cf.
l'introduction de La Pensée et la Langue) ; mais il n'est pas inutile de le
répéter.
Revenons au
point de départ. Nous avons vu, dans un manuel du Cours Elémentaire, la grammaire se
mettre au service de l'apprentissage de l'orthographe. Il faut être maintenant plus net ;
La grammaire scolaire ne « se met » pas au service de l'orthographe. Elle est tout
entière à son service, et c'est bien sa seule fonction. Sans l'orthographe elle
n'existerait même pas (du moins sous la forme que nous lui connaissons). Il y a une
solidarité profonde entre la grammaire scolaire et l'orthographe. La première est
l'outil théorique que l'on donne aux jeunes pour apprendre la seconde, et rien d'autre. A
la limite on pourrait en inventer une autre : la seule exigence étant de préparer à
l'acquisition de l'orthographe. Il paraît difficile, certes, de se passer du concept de
pluriel lorsqu'il s'agit d'enseigner à mettre des finales en s ou ent ;
mais il est de fait, par exemple, que la grammaire scolaire du XIXe siècle
(cf. Noël et Chapsal) résolvait les problèmes d'accord par des artifices théoriques
très différents des nôtres, et pas plus stupides. A la limite encore, on pourrait se
passer totalement de grammaire et enseigner (comme me l'exposait un camarade de
lYonne au dernier congrès de l'I.C.E.M.) l's du pluriel uniquement par l'analogie
(on met un s à enfant dans tous les cas où l'on dirait « chevaux » et non «
cheval »). C'est ce que suggérait Freinet quand il contestait l'utilité de la
grammaire pour l'apprentissage de l'orthographe. Entre ces différentes méthodes, il ne
m'appartient pas de choisir : le seul objet de ce texte était de présenter notre
grammaire scolaire sous son véritable jour et de dénoncer l'imposture qui en fait une
théorie de la langue alors qu'elle n'est qu'un outil pour acquérir l'orthographe.
André
CHERVEL Aix-en-Provence
André
Chervel est, avec Claire-Blanche Benvéniste, l'auteur d'un ouvrage auquel nous nous
référons souvent : L'Orthographe (Maspéro).
2)
Pour une simplification de notre orthographe
1.
- NECESSITE HISTORIQUE
La langue
romane, dérivée du latin auquel se sont ajoutées énormément de variantes apportées
par les fluctuations de l'histoire, a laissé sa première transcription graphique connue
dans le serment de Strasbourg (842). Par la suite cette transcription a évolué pour se
stabiliser pendant la première moitié du XIIe siècle au moment où elle
devint entièrement phonétique.
Plus tard
les juristes se sont emparés de cette transcription et l'ont fait évoluer dans le sens
de la complication. Evolution qui n'a pas cessé jusqu'à nos jours malgré les critiques
portées contre ces complications par Ronsard, Brunot, Beslais, entre autres.
Il s'avère
que nous retrouvons aujourd'hui une situation analogue à celle du XIIe
siècle. Les moyens audio-visuels nous permettent de conserver les traces de ce que nous
exprimons, aussi valablement que les pages écrites ; ces moyens vont aller en se
développant. Plus les choses évolueront, plus l'usage de la langue écrite sera
concurrencé par des moyens plus rapides ou plus pratiques et plus il sera réservé aux
cas où il se révèle un moyen d'emmagasiner, de reproduire, de transmettre, de parcourir
des informations, supérieur au téléphone, au magnétophone, au circuit de télévision
ou d'informatique.
Historiquement
le moment est venu où notre système graphique doit évoluer dans le sens d'un usage plus
facile et plus rapide.
Sur le plan
social, c'est la condition essentielle d'une véritable démocratisation culturelle, en
facilitant l'accès à tous les enfants, aux travailleurs manuels et aux étrangers pour
qui l'orthographe traditionnelle constitue un handicap d'autant plus inacceptable qu'il
est évitable.
II. NECESSITE LINGUISTIQUE
On reproche
souvent aux tenants d'une orthographe réformée les confusions qui pourraient
s'introduire dans la langue avec la disparition des homonymes et des accords.
L'expérience prouve le contraire. Ceux qui pratiquent l'orthographe simplifiée ne
rencontrent jamais d'ambiguïtés par le simple fait que chaque mot ne trouve son sens
véritable qu'en fonction du contexte. La langue orale ne fait aucune différence entre
les homonymes et certains accords et pourtant on se comprend parfaitement : dans une
communication téléphonique les seuls points qui posent des problèmes sont l'orthographe
des noms propres et les similitudes de certains nombres (d'où l'épellation B comme
Bernard, ou la décomposition : 6, deux fois 3 et 10, deux fois 5). C'est la langue orale
qui est essentiellement la langue vivante et pour en suivre l'évolution, la langue
écrite doit la transcrire le plus simplement, par exemple la francisation des mots
étrangers n'est possible que si on en francise la graphie comme l'ont fait nos ancêtres
avec redingote (ridingcoat) ou paquebot (packet-boat). Il serait donc normal
d'écrire sandouiche et bloudjine mais pourquoi pas taba et acouariom ?
III. - NECESSITE PEDAGOGIQUE
Après
avoir appris à parler en imitant le langage de ses parents, le jeune enfant découvre
avec l'écriture un moyen d'élargir son champ de communication. L'obstacle principal
qu'il rencontre alors est la variété des graphies pour un même son et la variété des
prononciations pour une même graphie (par exemple : pas, hélas, plat, un teint mat,
estomac, hamac, raz de marée, gaz). Son esprit logique le pousse généralement à
écrire phonétiquement les mots dont il ne connaît pas encore la graphie à moins que,
désarçonné par les incohérences de notre orthographe, il ne complique ou ne mélange
les sons. Avons-nous le droit de l'abandonner à ces difficultés qui constituent un frein
évident à son besoin d'expression et qui sont d'autant plus sensibles que le milieu
culturel offrira moins de contacts avec la langue écrite, d'où l'inégalité criante
dans le système scolaire traditionnel.
Alors pour
permettre un accès normal à la langue écrite et à la possibilité de s'exprimer par
écrit il est indispensable de simplifier l'orthographe actuelle en respectant la logique
élémentaire. L'I.C.E.M. qui, depuis des dizaines d'années a étudié et expérimenté
des solutions simples et généralisables, est en mesure de présenter un code
d'orthographe simplifiée tenant compte des besoins des enfants et de la majorité des
adultes pour qui la maîtrise n'est ni un luxe ni un moyen de sélection, mais une
nécessité quotidienne pour se faire comprendre par écrit.
CODE
D'ORTHOGRAPHE SIMPLIFIEE
Voyelles
: pas de changement sauf pour y ;
a
e - i - o - u (inchangé)
é ou
è pour tous les sons : ai - ci é - ê - est - et
o
pour les sons : au - eau - o
in pour
les sons : ain - ein - in un
an pour
les sons : an - en
y
pour ill ï
Consonnes : peu de
modifications.
b - d - f - m - n - p -r - t - v z (inchangé) ;
k pour : c (car) - k - q
j pour : g (sage) - j ;
s pour : c (noce) - ss (passe) - t (nation)
- x (six)
ks pour x (taxi) ou cc (accepté)
gz
pour x (exact).
La commission FRANCAIS
une recherche expérimentale au service
de l'expression libre
Pour
l'enseignement du français, la scolastique a imaginé de nombreux procédés que les
enseignants tenteraient en vain de justifier. La présentation de l'exercice de la dictée
pour l'apprentissage de l'orthographe par les Instructions Officielles est significative.
Le maintien de l'orthographe actuelle impose son enseignement, mais si l'on en croit
Piaget qui reconnaît sa nécessité, il est « dénué à l'évidence de toute valeur
formatrice ». « Un enseignement systématique de l'orthographe ne donne pas des
résultats meilleurs qu'un apprentissage reposant sur les enregistrements automatiques dus
à la mémoire visuelle. »
Nous
ignorons la valeur des « exercices de français ». Pourquoi l'analyse traditionnelle ?
La question se pose également pour tous les exercices de vocabulaire, élocution,
conjugaison, syntaxe... L'enseignement primaire préparant à la vie active, devenu
l'enseignement élémentaire préparant ait premier cycle, s'est ingénié par de
multiples procédés à doter chaque élève de « CES CONNAISSANCES DE BASE » pour la
vie on pour le Second degré. La connaissance primait l'usage, connaissance d'ailleurs,
souvent réduite à un vocabulaire.
La pratique
pédagogique conduisait à l'étude d'une grammaire orthographique développée dans
chaque manuel. N'a-t-on pas vu des livres différencier le pluriel des noms en pluriel des
noms :
- de
personnes,
-
d'animaux,
- ou de
choses, pour une règle d'accord commune.
Malgré le,
nouvel allégement des programmes, la linguistique et la grammaire intuitive, n'en
reste-t-on pas encore à des « activités spécifiques », à des procédés dont nul ne
peut présentement expliquer la valeur de leurs mécanismes. Que vaut la répétition ?
Que valent les corrections ? Que valent les progressions ? Que reste-t-il de notre
enseignement ? ... Malgré les progrès de la psychologie ou d'autres sciences, nous
sommes bien embarrassés par ces questions. Certes, on peut affirmer son opinion - comme
le font beaucoup de parents et d'enseignants - mais sans preuves. Ce n'est pas la
présentation nouvelle des livres ou l'inventaire des moyens des instructions officielles
qui nous rassurent sur ce point, ni les prises de position d autorités, fussent-elles de
l'Académie.
Reconnaissant
comme principes généraux le tâtonnement expérimental comme technique d'apprentissage,
les méthodes naturelles comme cheminement général, l'activité, coopérative à tous
les degrés comme initiation première à la vie sociale, la pédagogie Freinet en
recherche la mise en pratique.
Nous avons
la possibilité par notre propre expérimentation de recueillir auprès de nos enfants et
de nos adolescents dans la vie quotidienne de nos classes des documents oraux ou écrits.
L'enseignant ne saurait se dispenser d'être un chercheur. Ces documents, éléments de
base pour les réflexions, pour la recherche sont discutés par nos groupes de travail en
collaboration avec les linguistes qui comme nous reconnaissent la valeur de l'expression
libre.
Bien que
l'on fasse état des résultats obtenus par l'expression libre, on peut se demander si
l'on reconnaît nos techniques d'apprentissage de la langue. La spontanéité, est mise en
liberté surveillée. Elle n'est tolérée qu'avec le corollaire de contraintes. Bien
qu'on s'en défende, la présentation même des instructions officielles renforce cette
dualité.
Nous
entreprenons des recherches sur :
a)
La méthode naturelle de texte libre. Nous nous interrogeons sur sa naissance, sur son
travail. Comment l'enfant lui-même sans l'apport de règles et d'exercices ou de quoi que
ce soit parvient à son expressions libre par le tâtonnement expérimental ?
b)
La méthode naturelle d'orthographe. On peut se demander si elle peut s'appliquer à
l'orthographe actuelle.
c)
La réforme de l'orthographe.
d) Etude
des types d'expression.
e)
Pistes nouvelles de recherches.
Des études
se poursuivent ou s'engagent sur différents outils : divers fichiers d'orthographe -
compte tenu des conditions actuelles -, livrets programmés, fiches de recherches,
orthodico, dictionnaire de sens... Mais dans ce domaine aussi, bien que la préparation
d'outils soit essentiellement un travail matériel, nous ne pouvons méconnaître les
questions que nous nous posons sur le processus pédagogique.
Outre la
production d'outils, nos recherches poursuivront les deux objectifs suivants :
I. - S'il
est admis que l'enseignement de l'orthographe désoriente l'enseignement du français, que
l'utilisation de l'orthographe actuelle est inutile ou même nuisible, alors réformons
l'orthographe (et l'enseignement du français) en adoptant notre orthographe simplifiée.
II. - S'il
est admis que la valeur des exercices de français nous est inconnue, que ces exercices
sont stériles ou même nuisibles, alors réformons l'enseignement du français par
l'expression libre.
Voici nos
chantiers :
OUTILS
1. - FICHIER D'ORTHOGRAPHE POUR C.M.2
6e 5e
Responsable : Groupe 44 (Loire
Atlantique) Germain Raoux
2. - FICHIER DEPANNAGE - ORTHO
(REPERTOIRE TELEPHONE)
Responsable : Francis Oliver
3. - FICHIER D'ORTHOGRAPHE POUR
CLASSES ELEMENTAIRES
Responsable : Groupe 89 (Yonne) Jacky
Varenne
4. - LIVRETS EXPERIMENTAUX DE
FRANÇAIS (déjà en expérimentation)
Responsable : Groupe 89 (Yonne) Daniel
Carré
5. - FICHES DE FRANÇAIS (fiches du
Fichier de travail coopératif)
Responsable : Monique Godfroi,
6. - ORTHODICO (révision et étude en
liaison avec l'orthographe populaire)
Responsable : Raymond Pélissié
RECHERCHES
A. - METHODE NATURELLE
D'ORTHOGRAPHE
Responsable : Réginald Barcik
B. - METHODE NATURELLE DE TEXTE LIBRE
(naissance du texte libre, travail ... )
Responsable : Robert Lefebvre
C. - ETUDE DES TYPES D'EXPRESSION
Responsable :
Réginald Barcik
X. - CHANTIER SANS NOM (pistes
nouvelles, Suggestions...)
Responsable : Aristide Béruard
Bibliographie
Un livre regroupe les textes
essentiels de C. Freinet sur le sujet :
La méthode naturelle I. -
L'apprentissage de la langue (Delachaux-Niestlé), 35,80 F.
Mais on trouvera la plupart de ces
textes dans les brochures et dossiers suivants en vente à la C.E.L. (Coopérative de
l'Enseignement Laïc) - B.P. 282 - Cannes 06403.
SUR
L'APPRENTISSAGE DE LA LECTURE
- B.E.M. N° 8-9 : La méthode
naturelle de lecture par C. Freinet (6,40 F).
- B.E.M. N° 7 : La lecture par
l'imprimerie à l'école, par L. Balesse et C. Freinet (3,80 F)
- Faut-il leur apprendre à lire ? par
Jean Auverdin (I'Education Populaire - Belgique).
SUR
L'EXPRESSION LIBRE ET L'APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS
- B.E.M. N° 3 : Le texte libre par
C. Freinet (3,80 F).
- B.E.M. N° 17 La méthode
naturelle de grammaire par C. Freinet (3,80).
- B.E.M. N° 24 La part du maître,
par E. Freinet (3,80 F).
- Dossier Pédagogique N° 79 :
Recherches sur l'expression orale (1,70 F).
- Documents de l'I.C.E.M. : Rémi à
la conquête du langage par P. Le Bohec (tome I : 9 F ; tome II : 1l F ; tome
III : 10 F).
- Documents I.C.E.M. N° 6 Les
compagnons de Rémi par P. Le Bohec (5,50 F).
- Documents I.C.E.M. N° 5 Aspects
thérapeutiques de la pédagogie Freinet (4,50 F).
- Documents I.C.E.M. N° 4 : Formation
de la personnalité (l'expression libre des adolescents) par J. Lèmery (6,70 F).
- B.E.M. 46-49 : La culture (10,00 F).
- Documents I.C.E.M. N° 8 : La communication
dans l'expression libre (observation de deux classes de 5e) par J. Lèmery
(9,00 F).
- Dossier Pédagogique N° 76 L'incitation
à l'expression (1,70 F).
- Dossier Pédagogique N° 77 Fichier
« Sciences du discours ».
SUR
LA CORRESPONDANCE ET LE JOURNAL SCOLAIRE
- B.E.M. 50-53 : Les correspondances
scolaires (10 F).
- Le journal scolaire par C.
Freinet (6,70 F).
- Dossier Pédagogique N° 8 L'imprimerie
et les techniques annexes (1,70 F).
- Dossier Pédagogique N° 17 Mode
d'emploi de l'imprimerie (1,70 F).
- Dossier Pédagogique N° 1 Le limographe (1,70 F).