LAICITÉ ET ENGAGEMENT DE L'EDUCATEUR

Jean LE GAL

Chaque jour, par la guerre, la faim, les carences sociales ou familiales, des enfants meurent ou se voient irrémédiablement amoindris, condamnés à un avenir de douleur et cela à cause d'un monde que les adultes ne savent pas rendre accueillant, humain, juste et pacifique.

Ils ne le savent pas parce qu'ils sont enfermés en eux-mêmes par leurs habitudes, leurs préjugés, leurs dogmes, qui les empêchent de comprendre les autres et de se transformer en des hommes pour lesquels « chacun est le chemin de tous vers tous, et tous le chemin de chacun vers lui-même ».

(Sartre)

En sont-ils responsables ?

Ne sont-ils pas tels que la famille, la société, l'école les ont formés ?

La guerre du Viet-Nam les laisse passifs ou indifférents ? Ecoutons Bertrand Russel : « Les guerres et les persécutions sévissent partout et partout elles sont rendues possibles par l'enseignement donné dans les écoles. L'enrégimentation est la source du mal. »

Il est essentiel, écrit P. Yvin, que les enfants puissent s'exprimer librement, et à propos de tout.

Il ne pourra évidemment pas y avoir de sujets tabous car si la recherche de ma vérité exige la liberté d'expression, « il n'est de vrai que toute la vérité, chaque partie de la vérité isolée, est mensonge » comme l'affirme Romain Rolland. Or « il n'y a de dialogue possible qu'entre gens qui sont ce qu'ils sont et qui parlent vrai » (Albert Camus). Mais alors, l'éducateur devrait être lui-même, sans masque, authentique dans sa réalisation avec le groupe d'enfants ou d'adolescents ? Il devrait ne plus être un enseignant neutre qui s'abstient de mettre en discussion des points controversés ? Avant de pousser plus loin notre réflexion sur l'éducateur, donnons donc la parole aux enfants. Voici à titre de témoignage quelques textes écrits par des enfants exprimant leur émotion profondément humaine, face à des problèmes, qui laissent hélas, trop d'adultes passifs ou indifférents (enfants de classes de perfectionnement). A la suite d'une discussion à propos d'un article de journal, apporté par un enfant et relatant la vie douloureuse d'un enfant martyr, Martine, 12 ans, écrit aux correspondants de la classe

« Le devoir de la maman n'est pas de rendre son enfant malheureux. Si elle n'aime pas les enfants, elle n'a qu'à pas en avoir. Ce n'est pas l'enfant qui demande à venir au monde. Pour moi, la Maman qui rend son enfant malheureux, est une mère indigne. Pourtant les enfants c'est tellement mignon, souriant. Moi, j'adore les enfants. S'ils font des bêtises, c'est qu'ils sont trop petits. Pourquoi alors les taper, les tuer parfois. Ils n'ont pas le droit de les tuer. Il devrait y avoir une loi qui oblige la mère à rendre son enfant heureux. »

La guerre du Viet-Nam, que les enfants voient à la télévision, est aussi objet de discussion en classe : chacun dans cette confrontation apprend à respecter l'autre, sans pour autant partager obligatoirement son point de vue.

Deux textes sont publiés par les enfants dans leur journal : le texte de Martine, 13 ans, déjà cité dans ce document et celui de Dominique.

LE VIET-NAM

« Moi, je ne veux pas avoir à tuer des hommes, des femmes et des enfants.
Dans les journaux, nous voyons des photos d'enfants qui n'ont plus de parents. Moi, je veux que les gens fassent la paix.
Je voudrais que les Vietnamiens et les Américains discutent pour arrêter la guerre, car j'ai vu des enfants sans jambes ou sans mains et avec la figure tout en sang.
J'ai vu des parents qui pleuraient car leurs enfants étaient blessés ou morts.
Je ne veux pas porter un fusil pour tuer des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards.
Je veux que tout le monde soit heureux ! »

C'est encore Martine qui, par un texte sur l'UNICEF, fait prendre conscience à ses camarades d'un problème vital pour l'humanité tout entière . la faim dans le monde. Les enfants décideront d'ailleurs au cours de leur conseil de coopérative de créer une caisse de fonds pour l'UNICEF et de lancer un appel à des classes françaises et étrangères par l'intermédiaire de leur journal et de la Gerbe Internationale.

Le mardi 19 décembre, nous avons vu à la télévision, une émission sur l'UNICEF.
Mireille Mathieu lançait un appel pour la « faim dans le monde ». J'espère que tout le monde l'a écouté attentivement. Pour ces gens qui meurent de faim faites un effort, aidez-les à vivre.
Quand nous voyons ces gens maigres, dont on aperçoit les os, nous avons pitié. Nous mangeons et eux meurent de faim.
Je voudrais que tout le monde soit heureux, faites quelque chose pour eux, ne pensez pas toujours à vous. Il y a des gens qui ne pensent qu'à gaspiller leur argent.

MARTINE

« L'UNICEF AIDE LES ENFANTS DU MONDE A DEVENIR DES HOMMES ».

Dans notre classe, nous allons fabriquer une boîte où nous mettrons les dons pour l'UNICEF.
Faites comme nous.
Nous espérons que notre appel vous fera réfléchir.
Fonds à envoyer à Comité National Français pour le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance. C.C.P. Paris 19921-76.

Quelle attitude pouvons-nous prendre en face des problèmes posés par ces textes d'enfants, et face aux questions délicates posées au groupe et à l'éducateur, soit directement, soit par l'intermédiaire de la boîte à questions ?

- Comment viennent les enfants ?
- Comment est venu le premier homme ?
- Pourquoi dépense-t-on de l'argent pour aller sur la lune alors que les gens meurent de faim ?
- Pourquoi y a-t-il la guerre ?
- Qui nous trouvera une place à 14 ans ? Le patron pourra-t-il nous renvoyer ?

Si nous nous retranchons derrière la neutralité, si nous refusons de « parler vrai », alors le dialogue n'aura pas lieu et tous nos efforts pour établir la communication entre les enfants et nous, et entre les enfants eux-mêmes seront voués à l'échec.

Un éducateur véritable a-t-il le droit d'être neutre ? Ne doit-il pas obligatoirement faire des choix en accord avec la Déclaration des Droits des Enfants sur laquelle doit se fonder son action éducative ?

L'enfant « doit être élevé dans un esprit de tolérance, d'amitié entre les peuples, de Paix et de Fraternité Universelle, et dans le sentiment qu'il lui appartient de consacrer son énergie et ses talents au service de ses semblables ».

En montrant en classe et au dehors, son ferme attachement à la Démocratie, à la Paix, à la justice, à la Libération économique de l'Homme, à l'amitié entre les peuples, l'éducateur se trouvera dans sa juste ligne de vie et son action sera conforme à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui stipule dans son article 26 :

« L'Education doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales. »

En donnant aux enfants la liberté d'expression, en respectant les opinions de chacun, en dialoguant avec tous une manière authentique, nous serons fidèles à la voie riche d'humanisme que nous traçait Jean Rostand.

« Former les esprits sans les conformer,
les enrichir sans les endoctriner,
les armer sans les enrôler,
leur communiquer une force dont
ils puissent faire leur force,
les séduire au vrai
pour les amener à leur propre vérité
leur donner le meilleur de soi
sans attendre ce salaire qu'est la ressemblance... »

Jean LE GAL