LA TECHNIQUE
NOUVELLE
Il
ne suffit pas de montrer aux éducateurs les vices graves de la technique
traditionnelle, ni môme de crier : « Plus de manuels scolaires ! ».
Il faut, par une technique suffisamment étudiée et expérimentée, rendre
effectives les nouvelles méthodes de travail. Or, nous avons donné les
fondements de cette technique : partir des besoins et des aspirations
de l'enfant, entretenir et renforcer sans cesse cet élan vital dont
nous attendons tout, réaliser une éducation qui cesse d'être formation
extérieure pour devenir élévation personnelle au sein de la communauté
harmonieuse. Pour l'ancienne technique, les prêches, qu'ils fussent
écrits ou oraux, pouvaient suffire ; pour notre technique, ce qui
importe c'est d'une part la création et la mise au point des outils
de travail, d'autre part l'organisation rationnelle de l'activité dans
une communauté éducative.
C'est
ce double problème que nous nous sommes attachés à résoudre. Et nous
y sommes presque totalement parvenus. Nous allons donc, en vous présentant
et la vie de la classe et l'utilisation scolaire des nouveaux outils
de travail, donner toutes indications pratiques qui permettent aux éducateurs,
dans quelque situation qu'ils se trouvent, de s'orienter sur la nouvelle
voie. Après les quelques efforts indispensables pour s'arracher à la
routine, ils se trouveront en possession d'une technique qui les satisfera
totalement, qui satisfera dans la plus grande mesure possible parents
et inspecteurs, qui permettra même la préparation aux divers examens
que nous impose le régime. Et chose qui compte plus encore que ces satisfactions
extérieures, cette nouvelle conception du travail scolaire redonnera
intérêt et vie à l'effort quotidien ; la passivité et même le dégoût
feront place à l'enthousiasme. Ce sera, pour les éducateurs eux-mêmes,
une sorte de régénération professionnelle.
Nous
n'omettrons cependant point de signaler les obstacles graves et parfois
insurmontables qui nous viennent de la conception mineure en régime
capitaliste du rôle de l'éducation ; nous dirons comment le milieu
social, comment l'exploitation et la misère sont à l'origine de tant
d'échecs complaisamment attribués jusqu'à ce jour à des insuffisances
pédagogiques. Nous apprendrons ainsi aux éducateurs eux-mêmes à mieux
mesurer leurs possibilités, à identifier les difficultés rencontrées,
à calculer la portée de leurs réactions - besogne de loyauté et de vérité
qui nous évitera de nous battre éternellement contre les moulins à vent,
mais qui nous apprendra à mieux voir, à mieux juger et à agir ensuite
vigoureusement.
A l'Ecole Enfantine et Maternelle
L'école
enfantine et l'école maternelle ont fait, en France, des progrès considérables
depuis le début du siècle - on y a appris à considérer les enfants en
enfants, à leur donner de l'air, du mouvement, des jeux. Au point de
vue éducatif, on a hardiment emprunté à Mme Montessori et à Decroly.
L’apprentissage de la lecture et de l'écriture a lui-même bénéficié
largement de l’enseignement de ces maîtres. Il a cessé d’être stérilement
prématuré et nombreuses sont les écoles qui s'essaient maintenant à
la lecture globale.
Nous verrons le complément merveilleux que notre
technique peut apporter aux pratiques montessoriennes ou decrolyennes.
Nous ne pouvons cependant omettre de signaler que les écoles maternelles
sont relativement peu nombreuses en France. Il existe des milliers et
des milliers d'écoles de village, à une ou plusieurs classes, où l'école
enfantine n’est que le premier échelon de l'enseignement primaire. Quelles
que soient les velléités novatrices des éducateurs dans ces classes,
la technique des manuels scolaires domine le premier enseignement. La
pratique de la méthode Montessori même considérablement amenuisée est
impossible dans ces classes ; la méthode globale donne beaucoup
trop de travail à l'éducateur et reste pratiquement impossible.
***
Mais,
dira-t-on peut-être, il existe aujourd'hui des syllabaires et des livres
de lecture admirablement présentés, qui sont une joie pour les yeux
et où les difficultés attentivement graduées, cessent de rebuter nos
jeunes écoliers.
Quel
que soit le soin apporté par les auteurs et les éditeurs à la présentation
de ces livres, il n'en reste pas moins que ceux-ci portent en eux -
plus encore que les manuels des degrés suivants - toutes les tares que
nous avons dénoncées.
Quelle
joie pour l'enfant lorsque, au seuil de l'école, on lui donne ce « premier
livre » qui est à ses yeux l'échelon initial de ce savoir mystérieux !
Il le parcourt avidement et globalement. Il en examine de son mieux,
malgré le maître parfois, toutes les illustrations. Avant la fin de
la semaine ce livre n'a plus pour lui aucun secret, pas même celui de
ces hiéroglyphes noir sur blanc qu'il n'a plus maintenant le « désir »
de connaître. Puis ce syllabaire, fripé et écorné, sali d'avoir été
traîné sur les tables de cuisine, oublié parfois tout un jour sur une
pierre du chemin, sera bien vite une brochure sans couleur, sans vie
ni attrait, tout juste suffisante pour la « leçon » quotidienne.
L'intérêt
de l'enfant pour ce don de joyeux avènement n'aura été qu'un feu de
paille que l'école ne saura peut-être jamais ranimer.
Quelle est d'ailleurs la valeur spécifique de ces
syllabaires ?
Il
est passé le temps où l'on mettait, entre les mains des enfants, le
vrai syllabaire nu : a e i o u - ba be bi bo bu...
Ce
serait cependant une erreur de croire que les syllabaires actuels soient
essentiellement différents de leurs ancêtres et qu'ils aient évolué
autrement que par leur forme ou leur présentation, typographique.
« En
lecture, la majorité des méthodes sont dominées par la préoccupation
de faire connaître d'abord, et le plus vite possible, les éléments représentés
par les lettres ou les sons, de manière à permettre à l'enfant de les
réunir pour aboutir à la lecture de toutes les combinaisons possibles.
-
Dans les meilleures d'entre elles, on fait appel à l'intérêt, en choisissant
judicieusement des mots où se trouvent les sons représentés et en s'efforçant
ainsi d'attirer l'attention de l’élève sur le son qu'on veut isoler ;
c'est un procédé dit analytique synthétique, qui est certes un
grand progrès sur le système alphabétique pur d'autrefois. Mais en dernière
analyse, il est certain qu'il est surtout dominé par la préoccupation
de suivre un ordre déterminé dans l'étude des sons, en allant des sons
représentés par une lettre aux sons représentés par deux ou plusieurs
lettres, puis à la lecture de plusieurs sons associés en mots, et enfin
à celle des phrases et que les exercices d'application sont basés
sur cette préoccupation ; on ne passe à un élément nouveau
que lorsque les éléments précédents sont connus. L'enfant ne peut lire
un texte donné que s'il a parcouru les étapes antérieures. Aussi l'élève
qui s'absente pour une cause quelconque a-t-il bien de la peine, s'il
y parvient, à se mettre au niveau de ses condisciples » (1).
De
l'avis même du Dr Decroly « on peut affirmer aujourd'hui que le
procédé habituel d'enseignement de la lecture par la voie phonétique
auditive, en procédant par l'étude des syllabes et des sons pour arriver
à une généralisation, ne se défend pas au point de vue psychologique »
(2).
(1) Dr Decroly : La fonction de globalisation
et l'enseignement. Revue de I'Enseignement, N° du 29 janvier 1928).
(2)
G. Bon : Essai d'application de la méthode Decroly dans l'Enseignement
Primaire. (Office de Publicité, Bruxelles, 1924).
LECTURE GLOBALE
A cette conception
désuète de l'apprentissage de la lecture, les pédagogues contemporains
ont substitué une méthode basée sur ce qu'ils appellent la « vision
syncrétique » de l'enfant, c'est-à-dire la tendance qu'il a avoir
un ensemble, un tout avant d'en étudier les détails.
« La
mère, dit le Dr Decroly, sans avoir recours a aucune méthode consacrée,
avec l'aide de l'entourage de l'enfant, apprend à celui-ci toutes les
difficultés de la langue ; sans songer ni à analyser ni à sérier
les exercices, elle se fait peu à peu comprendre et imiter. Si ce miracle
de l'acquisition du langage par le procédé maternel - qui n'a rien de
formel ni de consciemment logique, mais qui est logique quand même –
si ce miracle était mieux connu des éducateurs, ils verraient probablement
plus clair dans tout le problème que nous abordons ici. Le procédé de
la mère est un procédé global (syncrétique ou schématique suivant les
amateurs) » (Dr Decroly : L'application de la fonction globale
dans l'enseignement. (Revue de l'Enseignement, N° du 25 mars 1928).
Se basant
sur ce « pouvoir syncrétique » ou, pour parler moins scientifiquement,
sur le « pouvoir de globalisation », le Dr Decroly a conclu
à la nécessité de commencer directement l'apprentissage de la lecture
par la phrase, pourvu que celle-ci « exprime une idée connue de
l'enfant ».
Nous ne dirons
pas ici les fondements psychologiques d'une telle méthode, aujourd'hui
universellement appréciée. Nous renvoyons le lecteur aux divers ouvrages
du Dr Decroly et de ses collaborateurs (« Revue Scientifique »,
mars 1906 ‑ Mlle Hamaïde : La Méthode Decroly (Delachaux
et Niestlé. édit.) – Dalhern : Contribution à l'Introduction de
la Méthode Decroly à l'Ecole Primaire. (Lamertin, édit., Bruxelles)
- G. Boon, op. cit.)
Nous nous
proposons seulement d'en étudier la réalisation pratique à l'école primaire,
d’en critiquer certaines insuffisances, et de montrer comment nous pouvons,
logiquement, porter cette méthode naturelle jusqu'à, ses limites extrêmes
de simplicité.
La théorie
de la lecture globale nous paraît excellente ; mais la pratique
en a été trop souvent encore asservie aux vieilles routines.
Le Dr Decroly
connaît l'importance primordiale de l'intérêt pour l'acquisition de
la lecture. Mais il admet trop facilement le divorce entre l'école et
la vie puisqu'il croit à la nécessité « d'éveiller » l'intérêt,
comme si celui-ci n'existait pas hors de la classe.
Eveiller
l'intérêt par des leçons d'observation plus ou moins académiques, terminées
par l'écriture de quelques phrases sans vie, trop souvent indifférentes
à l'esprit de l'enfant, ne saurait nous satisfaire, car de nombreux
éducateurs, dans la hâte qui caractérise l'école actuelle, n'iront même
pas, ou du moins pas toujours, jusqu'à l'observation véritable. Ils
s'arrêteront à l'observation d'images sous lesquelles on aura placé
à l'avance la phrase étiquette, procédé plus commode et répondant mieux
aux habitudes d'ordre et de préparation méthodique en honneur dans nos
classes.
Je sais bien
que le Dr Decroly condamne cet emploi exagéré des images : « L'image
ne suffira pas non plus, dit-il ; et il importe de le répéter,
malgré la grande utilité des images, elles ne sont qu'un pis aller,
qu'une aide et demandent à être préparées par des réalités, par des
activités vécues, sans quoi, comme les mots, elles anticipent et nuisent
à la formation des idées nettes et coordonnées ; elles nuisent,
comme les mots, surtout par les occasions qu'elles enlèvent d'agir,
d'expérimenter, de réaliser... »
La nécessité de préparer à l'avance fiches et étiquettes
pour la lecture globale suppose que l'objet d'observation ou l’image
ont été déterminés à l'avance par l'éducateur, que les phrases ont été
établies sans tenir un compte exact du besoin d'expression des enfants
au moment de la leçon. Les phrases à lire peuvent dès lors avoir quelque
intérêt, mais il est certain aussi qu'elles ne peuvent être l'expression
véritable des enfants. La lecture globale ainsi comprise, tout en
étant un, progrès considérable sur les méthodes antérieures, reste cependant,
et par suite surtout des nécessités matérielles, esclave du travail
préétabli par le maître. Elle ne saurait donc réaliser les conditions
d'intérêt requises pour un enseignement psychologiquement idéal.
***
LES SYLLABAIRES BASÉS SUR L’ÉTUDE GLOBALE
Les
difficultés d'application de la méthode globale dans les classes maternelles
et surtout dans les sections enfantines des classes à plusieurs cours,
devaient naturellement donner naissance à des syllabaires, conçus selon
la méthode globale, et prétendant rendre pratique dans nos classes l'application
de cette méthode.
Malgré
le soin apporté par les auteurs pour classer images et phrases par centres
d'intérêt, nous sommes là encore en présence de manuels auxquels nous
faisons les griefs capitaux :
-
d'être des manuels
-
de ne pas répondre au besoin
d'expression des enfants ;
-
d’être basés sur l’explication
d’images plus que sur l’activité enfantine, de se juxtaposer à la vie
de l’enfant au lieu de l'amplifier et de l’élever.
Les
auteurs de syllabaires nous objectent qu'il y a cependant une progression
à suivre et que ce n'est pas faciliter l'acquisition que d'accumuler
simultanément sous les yeux des enfants, toutes les difficultés de notre
langue. Et, opérant ainsi une sorte de compromis entre les méthodes
analytiques, synthétiques et les méthodes globales, ils présentent à
l'enfant des mots simples :
le rata, le rôti, la morue
auxquels
font pendant des phrases... enfantines :
Toto rame,
Marie a ri,
La mule remue,
La
tomate mûrira,
Le
rôti attire le rat,
Marie
ira à la rue,
Riri
tuera le rat (1).
(1)
Delaunay, Fontaine et Raffin : La Lecture joyeuse. (Editions de
l'Enseignement, Marseille).
Il
y a une gravure explicative, pour Toto rame. Quand aux autres phrases,
le maître essaiera, par quelque histoire hâtive, de les rattacher à
la vie enfantine. Il ne réussira pas toujours à en faire comprendre
parfaitement le sens et quelque élève ne manquera pas de demander :
« Pourquoi la mule remue la tomate ?.. »
C'est
que le livre n'est pas parvenu à toucher le fond de l'être. Sa simplicité,
toute apparente, n'est obtenue qu'aux dépens de la compréhension du
langage et du développement de la pensée. Elle est basée sur une progression
toute formelle qui ne correspond nullement à une conquête
véritable. L'enfant n’apprend rien que quelques syllabes - au prix d'un
abêtissement ; car nous estimons qu'il y a abêtissement toutes
les fois qu'on force l'enfant à lire quelque chose qu'il ne comprend
pas et qu'il ne sent pas.
Allons-nous
donc, sous prétexte de rendre le plus rapide possible l'acquisition
de la lecture, nous contenter de présenter sous une forme nouvelle les
vieilles erreurs ? Sous prétexte de graduer les difficultés, de
développer l’intelligence, tiendrons-nous longtemps encore les enfants
le nez penché sur des pages sans vie et ne trouverons-nous rien de mieux
que de pratiquer éternellement avec les tout petits l’éducation nettement
autoritaire et oppressive que nous condamnons pour leurs aînés ?
Nous
nous efforçons justement, se récrieront les auteurs de manuels, de rendre
la lecture agréable. Delaunay, Lafosse et Raffin n'intitulent-ils pas
leurs syllabaires « La lecture Joyeuse » ?
Hélas !
Ils ressemblent au geôlier qui porterait des fleurs dans la cellule
d'un condamné et, qui parlerait alors, libérément, de Prison Joyeuse.
Ce que désire le condamné, c'est le soleil, la liberté et la vie.
Illustrez
vos syllabaires, mais vous ne parviendrez pas à changer la méthode qui
est mauvaise, parce que retardataire et oppressive. Nous ne disons pas
que les fleurs - nous voulons dire : les illustrations - soient
inutiles. Lorsqu'elles sont de jolies fleurs, naïves et claires, comme
celles de notre ami Rossi, elles mettent certes de la joie à l'âme des
condamnés, quel que soit le texte d'ailleurs. Ce que l'enfant demande,
c'est le soleil intérieur, l'air, la vie. Et vos méthodes ne
peuvent les lui donner.
Nous
serions tentés de conclure, comme Sanderson (1) : « Créer
une méthode qui vise à rendre l'étude aisée, c'est perdre son temps... »
1 H.Wells, op. cit
***
La technique nouvelle
S'EXPRIMER
La
pédagogie contemporaine, ayant reconnu la puissance fondamentale de
l'intérêt, s'est engagée timidement dans la nouvelle voie. Elle a essayé,
par l'extérieur, d'éveiller l'attention de l'enfant, mais comme si celui-ci
n'était pas capable par sa nature, de se donner tout entier à une tâche.
Aussi
n’a-t-elle pas été exigeante sur la qualité de cet intérêt. Elle a fait
cette constatation superficielle qu'il faut peu de chose pour captiver
l'enfant : des exercices courts, de fréquents changements d'activité
suffisent à maintenir l'application au travail. Les partisans de vieilles
méthodes de syllabation nous diront même que l'enfant s'amuse parfois
de la nudité des lettres ou des syllabes et qu'il ne lui déplaît pas
d'entendre sa voix, mêlée à d'autres voix, psalmodier mollement le texte
de la leçon.
Nous
devons ici faire une distinction capitale qu'il ne faudra jamais négliger
quand nous parlerons d'intérêt par l’Imprimerie à l'école.
L'intérêt,
spécifiquement scolaire, obtenu au moyen des méthodes d'enseignement
aujourd'hui existantes - qu'elles soient basées sur la lecture méthodique
des manuels ou la manipulation de cartons préparés à l'avance - est
toujours un intérêt superficiel, qui n'est pas inhérent à la personnalité
enfantine et ne prend pas ses racines au plus profond de l'individu.
« Lorsqu'il
est nécessaire de créer l'intérêt autour d'un objet ou d'une
idée, c'est justement que cette idée ou cet objet en manquent pour l'enfant,
Au surplus, on n'a pas réellement rendu intéressantes des choses qui
ne l'étaient pas. On a simplement fait appel à l'amour du plaisir. On
a excité l’enfant dans une certaine direction avec l'espoir que, d'une
manière ou d'une autre, il s'assimilerait, durant cette période d'excitation,
des matériaux qui n'ont rien d'attrayant pour lui. Or, il y a deux types
de plaisir. Il y a celui qui accompagne l'activité. On le retrouve
partout où le moi s'exprime pleinement. C'est l'énergie qui se déploie
en prenant conscience d'elle-même. Cette sorte de plaisir est toujours
absorbée par l’activité elle-même. Elle n'a pas dans la conscience une
existence indépendante. C'est le type de plaisir qui accompagne un intérêt
légitime. Il est produit par les besoins de l'organisme. L'autre
espèce de plaisir provient d'un contact. Il est le produit de notre
réceptivité. Il est suscité par l'extérieur, Nous prenons de l'intérêt,
nous obtenons du plaisir, disons-nous ! Ce type de plaisir peut
être isolé de ses concomitants. Il existe par lui-même dans la conscience
comme plaisir et non pas comme plaisir d'agir.
Quand
les objets sont rendus intéressants par l'éducateur c'est ce second
type de plaisir qui entre en jeu. ()n a profité de ce que l'excitation
d'un certain organe s'accompagne d'une certaine somme de plaisir, Ce
dernier est utilisé pour couvrir le fossé qui sépare le moi actif d'un
certain, objet manquant d'intérêt pour lui. Ici encore, le résultat
obtenu est une division d'énergie du moi.
...
Mais quand on reconnaît l'existence chez l'enfant de pouvoirs qui ne
demandent dent qu'à se développer, s'offrant à nous comme points d'appui
pour que nous en assurions le fonctionnement normal et que nous les
disciplinions, alors nous possédons une base solide pour édifier notre
oeuvre d'éducation. L’effort surgit normalement lorsqu'on tente de
donner libre carrière à ces pouvoirs pour en assurer la croissance et
l'épanouissement. Et en agissant ainsi, d'une manière adéquate,
sur ces impressions, on obtient ce sérieux, cette attention, cette concentration
du moi vers un but défini. qui produisent l'habitude solide et permanente
de mettre sa personnalité tout entière au service de fins élevées. Mais
cet effet ne dégénère jamais en corvée, en une tension nerveuse préjudiciable
et vaine, parce que l'intérêt le pénètre, parce que le moi s'y donne
intégralement » (Dewey : L'Ecole et l'Enfant, op. cit.).
Telle
est bien, dans la recherche de notre méthode nouvelle, notre constante
préoccupation : exploiter, pour nos fins éducatives,
le besoin de curiosité et d'activité qui est en tout être vivant ;
amener au jour les pensées intimes de nos élèves, les exprimer, les
classer, pour les fixer enfin par l'imprimerie avant de les utiliser
pour le travail scolaire. Nous serons certains alors que notre enseignement
tracera un sillon, car tout l'individu sera tendu vers ce but :
s'exprimer, lire l'expression imprimée, et s'épanouir.
Les
« bons » maîtres nous objecteront peut-être qu'ils savent
aussi faire parler l'enfant pour rechercher cette base féconde de leur
enseignement. Mais sont-ils arrivés à cristalliser la pensée, le langage
enfantin en une lecture imprimée de forme définitive ? Et ne sont-ils
pas toujours contraints de faire lire exclusivement, en caractères
imprimés, ce que des adultes ont pensé, exprimé, imprimé ? Cette
pratique est cause d'une dissociation du moi, d'un divorce irréductible
entre les diverses activités scolaires, tares excessivement préjudiciables
à l'élévation intellectuelle et morale de l'individu, et au rythme de
l'éducation.
***
Et
vous, les mamans, vous donnez-vous beaucoup de peine pour apprendre
à parler à votre enfant ?
Il
ne vous semble pas... Il a dit un jour : pa !... pa !
et le voilà qui parle presque couramment maintenant. Et if n'a fallu
pour cela ni leçon scolastique, ni aucun effort apparent ou systématique.
Il s'est « élevé » lentement parce qu'il éprouvait le besoin
de s'exprimer, parce qu'aussi la mère n'a pas commis la maladresse
de faire cesser le gazouillis de l'enfant et de le remplacer par un
apprentissage « méthodique » et « scientifiquement »
gradué. L'enfant parlait ; sa maman l'a seulement aidé à s'exprimer
correctement.
D'instinct
toutes les mères procèdent ainsi, et cela leur réussit fort bien, puisque
tous les enfants apprennent à parler avec une rapidité incroyable. Pensez
pourtant à ce que représente d'efforts l'acquisition du mécanisme complet
du langage ; pensez au nombre de mots qu’apprend l’enfant, à la
souplesse qu'acquiert bien vite son expression : activité cérébrale,
activité visuelle, activité physique, tout est mis en branle. Il suffit
d'ailleurs de voir parler un jeune enfant pour comprendre à quel point
cet effort accapare tout son être. Inutile de le stimuler : dans
sa soif d’apprendre et de connaître, il semble invincible.
Il
est maintenant un petit écolier de cinq ans. Il possède presque le monde
et la sûreté de ses conquêtes est toujours émouvante.
Pour
lui apprendre à lire, pour lui enseigner une technique considérablement
moins compliquée que celle du langage, il faut à l'instituteur des mois
entiers d’efforts scolaires. Ce qui est plus grave encore, c'est que
l'enfant qui, jusqu'à ce jour, avait tout appris en vivant, se
voit contraint à une activité anormale dont il ne voit d'ailleurs plus
le but et qui, bien souvent, réprime en lui tout besoin d'expression
ou de curiosité.
« Les
pédagogues sont passés par là ! diraient des parents malveillants,
et ils ont compliqué comme à plaisir ce qui est pourtant simple et naturel ».
C'est
que l'apprentissage de la lecture se ressent encore des temps magiques
où écriture et lecture étaient l'apanage exclusif de quelques privilégiés.
Le prestige du « savant » nécessitait alors un apprentissage
fort long que seuls des « élus » pouvaient mener à bien. Les
initiés semblaient dire à leurs élèves : « Ah ! vous
voulez apprendre à lire ?... Mais c'est excessivement long et difficile,
savez-vous !... » Et ils ont, effectivement, accumulé les
obstacles de telle sorte que des enfants qui étaient parvenus sans efforts
‑ en jouant et en vivant - à parler correctement une langue riche
sont parfois incapables d'apprendre à lire et à écrire quelques centaines
de mots. Témoins de l'aridité de leurs efforts, les instituteurs se
sont persuadés à leur tour que l'acquisition de la lecture était chose
exceptionnellement difficile, et cette déformation professionnelle les
a souvent empêché de se lancer dans des voies plus naturelles et plus
accessibles.
Pour
l'enfant de cinq-six ans, déjà développé et éduqué, la technique de
l'écriture et de la lecture est évidemment plus facile à acquérir que
ne l'est celle du langage au cours des premières années. Il n'y a donc
plus de raison pour que cet apprentissage ne soit excessivement plus
rapide, et cela, sans recours aux ruses inventées par les pédagogues,
aux contraintes et aux punitions.
Tous
les procédés contemporains, d'inspiration ludique, sont également inutiles,
ou du moins non essentiels pour l'apprentissage de la lecture. Que des
pédagogues inventent des jeux pour distraire l'enfant tout en éduquant
ses sens et son raisonnement, passe encore. Mais il ne faudrait plus
laisser croire que tous ces chemins détournés soient indispensables
à l’acquisition de la lecture. L'enfant a appris à parler, répétons-le,
en vivant - et le jeu n'était qu'une manifestation naturelle de sa vie
puissamment riche. Il doit de même apprendre à lire et à écrire en vivant,
donc sans efforts dissociant sa personnalité, par sa seule volonté d'élévation
et d'enrichissement.
***
S’IMPRIMER
Abandonnons
délibérément l’exemple des pédagogues, et imitons les mamans !
Nos élèves de cinq ans entrent en classe. Faut-il
que, sur le seuil, disparaissent leur activité et leur besoin d'expansion ?
Ce serait nous priver du principal levier éducatif : le désir d'apprendre
et de s'élever, le besoin de vivre. « Notre seul mobile étant d'obéir
à des principes de vie et de croissance nous cherchons à discerner,
dès l'abord, les intérêts individuels, et nous nous emparons de ceux
qui offrent pour tous le maximum d'éducation et de développement »
(Audernars et Lafendel : La Maison des Petits, 1 vol. (Delachaux
et Niestlé, Neufchâtel).).
Ne
parlons pas de « leçon » ; mêlons-nous à nos élèves ;
parlons tous ensemble, sans but bien défini d'abord, pour une sorte
de sondage, car il s'agit de mettre au jour l'idée qui peut, actuellement,
les intéresser tous. Nul besoin, pour cela, de grands talents ni d'inépuisables
ressources de conteur. S'il faut presque du génie pour intéresser profondément,
de l'extérieur, des petits enfants, il est par contre bien facile de
toucher leur âme si on a su les mettre en confiance et entretenir leur
besoin d'expression.
Nous
écoutons donc : nous réprimons l'impétuosité de ce conteur qui
voudrait accaparer notre public ; nous encourageons tel nouveau
venu qui parle en rougissant d'abord, puis se rassure et s'anime...
Les histoires abondent : « Ma lapine a fait des petits lapins ».
« J'ai trouvé des hannetons en cueillant la fleur d'oranger »,
« Hier soir j'ai joué au cheval, j'ai mangé des cerises ».
Un
intérêt un peu plus général se dessine cependant en faveur de l'une
d'elles :
Le
petit Louis, dont le père est rétameur, est allé en tournée au Loup
pour trois jours. La nuit, il couchait dans la voiture, son frère dormait
dans la remise près de Belle la mule... Louis avait une paillasse..
Il dort si bien dans sa roulotte !
Et
ce petit timide, qui n'aurait pas même osé lire à haute voix, ne s'arrêterait
plus de parler. Il redresse fièrement la tête, ses yeux brillent...
-
Oui, oui ! Ecrivons « ça » de Louis ! disent les
petits compagnons.
Voici
maintenant le vrai travail de l'instituteur. La maman apprend le langage
à son enfant. L'instituteur doit enseigner à ses élèves à parler le
plus correctement possible, puis à exprimer leurs idées par l'écriture,
à lire enfin, dans les livres, la pensée des autres.
Choisissons
tous ensemble le contenu du texte. Il s'agit de transcrire le récit
de Louis le plus fidèlement possible, et en bon français, naturellement.
L'art de l'éducateur consiste surtout à parvenir à cette transcription
sans modifier la pensée de l'enfant. C'est là une nécessité essentielle :
si, sous prétexte de graduation ou pour tout autre raison qui nous est
personnelle, nous modifions cette pensée, nous plaçons l'enfant dans
cette regrettable alternative : ou bien ne plus s'intéresser de
tout son être au texte élaboré, ou bien, négligeant les modifications
apportées, donner aux mots une signification tout à fait personnelle,
parfois différente de leur valeur éthymologigue.
Le
texte suivant est maintenant au tableau noir :
« eugène
et Louis sont
allés au Loup. Louis
couchait dans la voiture
eugène dormait dans la
remise près de la mule belle. »
Ne
nous préoccupons pas de savoir si ce texte contient des mots trop difficiles.
Les élèves les ont prononcés ; s'ils ne savent pas les lire, nous
les y aideront, imitant en cela les mamans. Et ce sera là la lecture
globale idéale, celle qui consiste à s'imprégner l'esprit des formes
graphiques de pensées qui nous sont personnelles, que du moins nous
sentons et vivons intensément.
Nous
lisons donc globalement d'abord : les élèves les plus avancés identifient
déjà les syllabes et rectifient les erreurs de souvenir des débutants.
Cette lecture ne demande aucun effort, et elle doit d'ailleurs être
faite sans effort. Il s'agit seulement de photographier la forme et
la contexture des mots et des phrases. L'intérêt naturel et normal qui
a donné jour à notre texte suffit pour que cette opération soit réalisée
dans des conditions optimum.
Epelons
ensuite les lettres, faisons « deviner » quelques syllabes,
retrouver des mots, mais sans obstination. N'essayons pas d'utiliser
un raisonnement au-dessus de cet âge pour donner à l'enfant quelques
idées « logiques » sur la langue. Ne nous impatientons pas
parce que tel son, à notre gré, devrait être connu de nos élèves. Continuons
nos exercices vivants, aidons les enfants à se reconnaître dans cette
traduction de pensées : ils liront demain sans effort ni hésitation
ce que nous aurions peiné en vain à leur inculquer aujourd'hui.
La
composition et l'impression de ce texte seront le complément naturel
de notre travail préparatoire.
Nous
désignons cinq compositeurs, dont les deux principaux intéressés :
Eugène et Louis. Chaque compositeur lit globalement,. puis épèle sa
ligne, sans oublier les « petits blancs » qui séparent les
mots. Si, parfois, nous ne savons pas départager deux élèves qui demandent
à composer avec une égale insistance, nous les faisons lire, et l'honneur
de composer échoit au concurrent le plus avancé. Il faut voir alors
cette lutte : rouge aux joues, corps penché en ayant. On y va vraiment
de tout son être.
La
tâche répartie, laissons les enfants travailler en paix. Ils ont à leur
disposition une police de caractère corps 36, rangés dans une casse
spéciale ; ils disposent eux-mêmes les caractères dans le composteur,
traduisant ainsi mécaniquement, matériellement, le texte manuscrit en
cliché d'imprimerie.
Inutile de surveiller : tous s'entr’aident de
leur mieux pour bâtir une ligne parfaite, et il n'y a pas d'exemple
d'élève se rebutant devant les c4fficultés ou l'insuccès. Nous constatons
à ce travail cette même obstination patiente qui caractérise les enfants
occupés à un jeu constructeur ; preuve certaine que cette technique,
ignorée jusqu'à ce jour, est pourtant bien à la mesure de nos jeunes
élèves.
Il
faut voir sans doute dans leur intérêt profond pour leur matériel la
raison essentielle du soin apporté au classement et à la conservation
des caractères. Ce matériel est comme sacré : depuis deux ans que
nous l'utilises, il ne s'est pas perdu un seul caractère, malgré la
présence dans notre classe d'éléments anormaux, voire kleptomanes.
Des
enfants de 5-6 ans arrivent très vite à composer sans une faute une
ligne de 15, 20 caractères. Et quelle satisfaction quand on a réussi
ce travail parfait !
Egalisation
rapide, disposition sur la presse ne demandent que quelques secondes
et peuvent d'ailleurs être effectuées par un élève du Cours Elémentaire.
Tirage ! Les petits eux-mêmes occupent toutes
les fonctions : encrage, présentation de la feuille, impression,
alignement des imprimés... Nouveau travail manuel propre, ordonné, sérieux,
ayant un but précis : le tirage du texte précédemment pensé, parlé,
écrit, lu, composé... Travail toujours réclamé comme une faveur inappréciable,
plus prisé même que les jeux de récréation, puisque l'équipe à l'imprimerie,
sans se soucier de l'heure de sortie, achève son travail avec le même
sérieux et la même application.
Pendant
que les cinq compositeurs travaillent à la table d'imprimerie, les autres
élèves du même degré copient sur un cahier ou sur une feuille de papier
le texte au tableau noir. Cette copie est considérée par nous comme
la base de notre enseignement de l'écriture, Le débutant qui sait à
peine tenir un crayon s'y essaye ; il ne réussira les premiers
jours qu'un barbouillage informe qu'il complètera d'ailleurs heureusement
par quelque dessin suggestif. Les exercices, systématiques d'écriture
ne seront que l'accessoire, que l'entraînement ayant pour but l'écriture
lisible du texte choisi.
Les
résultats que nous avons obtenus sans effort avec cette méthode nous
montrent qu'elle vaut bien toutes les autres pour là rapidité de l'acquisition
et qu'elle les dépasse considérablement par le naturel et la logique
de son évolution.
Le
dessin libre est, à ce degré, le complément indispensable de notre méthode
d'expression, de lecture et d'écriture. Par le dessin, chaque enfant
revit le récit élaboré en commun ; et, chose merveilleuse, il le
complète, l'adapte à sa personnalité, se l'approprie intimement. Il
ne lui suffira pas de dessiner « Louis dans la voiture »,
il attellera son âne à lui à la place de la mule Belle ; la maison
voisine sera sa maison, son chien en gardera l'entrée. Peut-être compliquera-t-il
l'épisode de quelque drame particulier qui donnera à son dessin une
expression complète de sa propre personnalité.
Nous
avons su toucher l'enfant ; nous avons trouvé le chemin qui mène
à son âme ; il nous suffit dès lors de permettre, de rendre possible
le travail subséquent.
Les
occupations de découpage et de collage acquièrent aussi une raison d'être.
Le tirage terminé, les élèves illustreront, par découpage et collage,
la feuille cartonnée qui sera la page quotidienne de leur livre de vie.
Ils évoqueront aujourd'hui la roulotte et le cheval à côté de la maison,
sous l’œil bienveillant d'une lune monumentale. Ils colleront ensuite
sur cette feuille les lignes imprimées, constituant ainsi, au jour le
jour, le plus merveilleux et le plus profitable des livres de vie, réalisant
la lecture globale idéale, expression même de la. vie de l'enfant.
Tous
les éducateurs apprécieront l'originalité et la valeur pédagogique d'un
tel livre et sa supériorité certaine sur tous les syllabaires existants.
Nous
pouvons d'ailleurs, par l'imprimerie, compléter encore l'illustration
de notre livre de vie.
Nos
élèves découpent du carton très mince, qu'ils collent sur une planchette.
Avec la pointe d'une épingle on grave les détails supplémentaires. Et
voilà un véritable cliché, entièrement œuvre des enfants, que nous pouvons
tirer avec notre imprimerie en 20, 30, 50 exemplaires. Qu’on juge de
la joie des petits ouvriers reproduisant ainsi à volonté leurs conceptions
savoureuses. Ces clichés peuvent être tirés en couleurs diverses puis
coloriés, piqués, découpés. Il y a là une source d'activité motivée
extraordinairement riche et féconde.
Nous
ne nous interdisons pas d'ailleurs de compléter nos illustrations par
l'emploi de la pâte à polycopie ou du limographe, qui sont cependant
beaucoup moins à la portée des enfants que notre pratique de l'imprimerie.
Nous tenons à préciser que cette méthode, expérimentée
dans une classe de 42 élèves de 5 à 9 ans, peut être employée dans n'importe
quelle classe, si chargée soit-elle. Elle ne nécessite nullement un
supplément de travail pour le maître ni pour l'école un supplément de
dépense, la suppression des syllabaires libérant un crédit important
qui sera affecté en partie à l'imprimerie.
***
AVANTAGE DE CETTE METHODE
Surtout,
ne dites pas dédaigneusement : nouveauté... travail satisfaisant
le besoin d'activité des enfants !...
Nouveauté
. Après deux ans de travail à l'imprimerie non élèves sont familiarisés
avec leur matériel autant qu'ils pourraient l'être avec un syllabaire.
Et pourtant, c'est vraiment, à chaque séance, la même joyeuse application.
Satisfaction du besoin d'activité ! N'est-ce
pas une incontestable qualité de ce matériel ? Les pédagogues ont
signalé depuis longtemps l’intérêt pédagogique du classement de caractères
d'imprimerie. Nous avons donné à cette occupation un sens profond, essentiellement
éducatif qu'il est nécessaire de montrer ici :
En
composant, l'enfant ne fait pas qu'assembler des caractères comme il
assemblerait des chiffres pour obtenir un nombre quelconque. En composant
l’enfant crée un peu de vie, et surtout une portion de sa vie
à lui. Ce composteur qu'il vient de remplir, et dont il corrige
maintenant les fautes, contient une partie vivante de ce texte qui l'a
intéressé. Et ce n'est pas là une besogne vaine : On imprimera
ensuite ; l'enfant verra sortir de ce bloc magique, avec un étonnement
toujours renouvelé, quelques jolies lignes d'écriture qui seront entièrement
son œuvre et qu'il lira avec avidité.
Je
ne m'abuse point : malgré les difficultés de la composition, malgré
les ennuis divers qui peuvent survenir : caractères mal placés
dans le composteur, ligne tombant au moment de l'achèvement, erreur
de ligne, etc..., malgré la perfection demandée - ou est-ce peut-être
à cause de cela ? - ce travail de composition à l'imprimerie exerce
une attirance incroyable.
Et
surtout, ne vous impatientez pas et ne venez pas au secours du compositeur
pour terminer, en deux tours de mains, ce travail si délicat pour l'enfant :
celui-ci interprèterait votre intention généreuse comme une offense
véritable, et il en pleurerait de dépit. Il veut faire ce travail .
Il coordonne de son mieux ses connaissances et ses mouvements ;
il y passera trente minutes peut-être, mais quel profit aussi et quelle
joie ! Il faudrait voir l'élève triomphant apporter lui-même le
composteur sur la presse, en le tenant soigneusement dans ses petites
mains refermées... Il a terminé. il rejoint sa place en sautillant.
Les
progrès sont naturellement rapides.
Cet
enfant ne connaît encore que quelques signes, mais il a voulu composer.
Il cherche la lettre S. Il va du tableau à la casse, de la casse au
tableau ; il compare, il demande à ses collaborateurs plus avancés,
à son instituteur parfois. Et la lettre S sera bien définitivement connue.
Chaque séance de composition fait ainsi constater des progrès très sensibles
en épellation et en lecture.
Nul pédagogue n'a pu d'ailleurs, jusqu'à ce jour,
nier qu'une activité scolaire ainsi comprise ne soit éminemment éducative.
On nous a
seulement objecté : « Que vous donniez ainsi aux enfants le
désir et le goût de le, lecture, cela est certain. Mais, n'ajoutez »vous
pas, aux difficultés ordinaires de la lecture, l'écueil d'une lecture
à l'envers des caractères d'imprimerie ? » Critique certainement
fondée qui ne saurait cependant nous arrêter. Une difficulté est dangereuse
à semer sous les pas des enfants quand ceux-ci ne peuvent pas la surmonter.
Mais venez visiter nos petits écoliers au travail et vous verrez s'ils
donnent l'impression de faire une besogne excédent leurs forces; voua
verrez s'ils s'endorment comme devant vos manuels. S'il y a difficulté,
tant mieux, dirais-je, puisque nos élèves sont heureux de faire effort
pour réaliser le but qu'ils se sont assigné.
Cette difficulté est d'ailleurs très rapidement vaincue,
sauf pour les lettres interchangeables b d, p q, é è, sur lesquelles
on hésitera jusqu'à un âge assez avancé, malgré les procédés correctifs
que nous avons imaginés. Mais l'expérience nous a montré que cette hésitation
n'a aucune influence dangereuse sur l'apprentissage de la lecture. Tous
les débutants et avec n’importe quelle méthodes ne confondent-ils pas
longtemps ces lettres ? Cette confusion est corrigée chez nous,
et dans une très large mesure, par l'entraînement à la vision globale,
En pratique, l'élève qui hésite devant b, d, p. q, lues isolément, ne
commet jamais semblable erreur dans la lecture des mots et des phrases.
***
Si, au bout de quelques semaines de cet exercice,
un pédagogue soucieux de la « forme graduée » en tout enseignement,
si un inspecteur, dérouté par un contrôle apparemment plus difficile,
venaient nous dire :
- Où en sont
vos débutants ? A quelle syllabe ?
Nous répondrions
que nous n'en savons rien.
Demandez
à la mère :
- Que sait
dire votre enfant ? Où en est-il en langage ?
- Ma foi, vous répondra-t-elle, il y a des mots qu'il
prononce convenablement, d'autres qu'il essaye d'articuler. Avec mon
aide il en baragouine quelques autres. Mais il commence à se faire comprendre
- du moins je le comprends et je suis satisfaite. Voyez comme il est
heureux aussi de pouvoir parler tout au long du jour ! Il n'arrêterait
pas... D’un mois à l’autre Il fait des progrès incroyables… Bientôt
il parlera couramment...
Nous vous
dirons de même avec cette assurance et cette confiante certitude :
- Nos élèves
connaissent presque toutes les lettres de l'alphabet (que nous importe
qu'ils ignorent encore les quelques lettres rarement employées). Les
syllabes difficiles ? Ils commencent à savoir les lire : cela
dépend de leur disposition dans les mots ? Il y en a un grand nombre
qu'ils connaissent et lisent sans erreur ; d’autres que nous sommes
obligés de leur lire en entier pour qu'ils les répètent... Et cela dépend
encore des individus, car chacun marche à son pas.
Mais ils
commencent à comprendre ce qui est écrit. En les aidant par ci par là,
tous lisent nos textes. Nous sommes heureux d'écrire sous leur dictée
de petites histoires intéressantes et de les leur faire lire, mais ils
sont encore plus fiers que nous de lire leurs pensées. Et puis de jour
en jour, imperceptiblement, sans que nous les forcions à cette tâche,
ils liront couramment. Ils ont appris à écrire et à lire comme ils ont
appris à parler. Ils ont monté lentement, graduellement, du langage
à la lecture. Peut-être, avec d’autres méthodes accompagnées de coercition
seraient-ils arrivés aussitôt à la lecture correcte ; mais cette
acquisition aurait été faite certainement aux dépens de leur intelligence
et de leur bon sens, aux dépens de leur vie.
D'ailleurs, pour une catégorie importante d'élèves
intelligents - de ces élèves qui toujours brûlent les étapes - l’apprentissage
de la lecture est ainsi considérablement plus rapide et peut-être réduit
pratiquement à quelques semaines. La conception globale qui est à la
base de notre méthode permet à tous les autres élèves de copier et de
lire de très bonne heure des textes préparés pour les autres cours,
ce qui facilite le travail dans les classes hétérogènes.
Par
cette étude naturelle de la lecture, chaque élève, quelle que soit la
date de son arrivée en classe, ou son retard à cause des absences ou
des maladies, est entraîné immédiatement au travail commun dont il sent
d'emblée tout l'intérêt. Cet avantage n'est pas négligeable dans nos
classes rurales où les absences, pour diverses causes, désorganisent
si profondément le travail scolaire.
Nous
n'excluons pas systématiquement de notre classe tous les éléments d'intérêt
que les méthodes actuelles, anciennes ou nouvelles, ont pu y introduire.
Nous possédons de beaux livres d'images que les enfants pourront lire
individuellement ou par groupes, ou avec l'aide de quelque camarade
plus avancé. Et les syllabaires, lorsqu'ils sont suggestifs et de lecture
agréable auront leur place aussi sur les rayons dé notre petite bibliothèque.
Nous ne méconnaissons pas non plus les avantages scolaires de jeux divers
imaginés par des pédagogues contemporains. Nous louerons davantage encore
les occupations naturelles et considérablement éducatives que sont le
jardinage, l'élevage, etc...
Mais
l'école actuelle considérait ces occupations comme indispensables à
l'acquisition de la lecture. Elle en faisait l'essentiel du travail
scolaire. Nous rétablissons l'équilibre naturel en donnant le pas à
là vie des enfants et à sa traduction manuscrite, puis imprimée, grâce
à l'Imprimerie à l'Ecole. Nous sommes certains de redonner ainsi à tout
notre enseignement élémentaire une nouvelle vigueur.
Notre technique au degré élémentaire,
moyen et supérieur
Notre
technique, si elle a apporté d'immenses possibilités nouvelles d'adaptation
et de vie dans les écoles maternelles et enfantines, n'a cependant pas
eu à engager une lutte bien âpre pour justifier sa place et son objet.
Le développement et l'introduction de la méthode Montessori, de la lecture
globale de Decroly, l'abondance prédominante de matériel scolaire, l'absence
de programmes rigides et surtout d'examens permettent l'entrée pour
ainsi dire normale de notre technique à ce degré.
Il n'en est pas de même pour l'ensemble de l'école
primaire, du Cours Elémentaire au Cours Supérieur. Il s'agit là de détrôner
une technique multicentenaire, à laquelle préparent officiellement les
écoles normales, qui encourage la routine et le moindre effort, fait
vendre - et ce n'est pas là un des moindres appuis des millions de manuels
scolaires aux maisons d'éditions spécialisées ; rend possible la
discipline passive et autoritaire traditionnelle ; prépare enfin
dogmatiquement aux divers examens encyclopédiques qui barrent les portes
de notre enseignement.
Cette
technique officielle est caractérisée par J'enseignement dogmatique,
la discipline autoritaire et l'emploi des manuels scolaires pour l'acquisition
des connaissances.
Notre
rôle et notre but sont de lui substituer une technique nouvelle de travail
basée sur l'expression libre par l'Imprimerie à l'Ecole et les échanges
interscolaires et l'emploi des livres comme instruments d'étude, de
documentation et de création dans le cadre de cette technique.
C'est
la disparition des manuels scolaires actuellement existants, conçus,
écrits, réalisés pour la technique traditionnelle que nous combattons
et qui doivent être remplacés par des outils nouveaux dont nous allons
montrer la réalisation.
Notre
lutte contre les manuels scolaires va sembler à certains assez téméraire
tellement les auteurs et les éditeurs contemporains se sont appliqués
à rendre attrayante la lecture de leurs ouvrages. Adaptation du texte
à l'intérêt de l'enfant et aux nécessités scolaires, illustration riche
et suggestive, typographie se pliant à tous les caprices des auteurs...
Il semble vraiment que le manuel soit en train de parvenir au dernier
degré de richesse et de perfectionnement.'
En
face de cet effort certes appréciable nous ne devons pas nous lasser
de répéter que nous ne critiquons pas ici les livres en eux-mêmes, mais
seulement l'emploi de manuels qu'en font les éducateurs.
Des
expériences récentes poursuivies en Amérique, en Autriche et en Russie,
et suivies avec un sympathique intérêt par le monde pédagogique, nous
aideront à justifier, à ce degré, la suppression de tous manuels scolaires.
« En
Autriche, nous dit R.Dottrens (L'Education nouvelle en Autriche. (Delachaux
et Niesdé).), le livre de lecture tel que nous le connaissons a été
abandonné. Il a été remplacé par des ouvrages très courts, au contenu
varié, et qui sont utilisés un mois, deux mois, trois au maximum »,
Méthode bâtarde qui ne saurait être qu'un pis-aller. Conscients des
dangers d'asservissement et de monotonie de l'emploi des manuels, les
pédagogues autrichiens y ont paré dans une certaine mesure. Ils ont
seulement amélioré la forme et les modalités de l'emploi des manuels ;
ils n'ont pas attaqué le mal à sa racine comme nous le faisons aujourd'hui.
« Dans les pays Anglo-Saxons, écrit Mlle E.
Rion (L’Education enfantine. (Libr. Nathan, Paris), les jeunes lecteurs
reçoivent, après les syllabaires, de petits livres illustrés contenant
des récits populaires... »
Mais ce n'est vraiment qu'à Winnetka (U.S.A.) que
le grand éducateur Carleton Washburne a fait une vaste expérience montrant
tout à la fois l'avantage de la suppression, des manuels scolaires et
de l'individualisation de l’Enseignement.
« A
Winnetka, la technique d'une classe de lecture est toute différente
de celle qui sévit chez nous. Si vous entrez dans une classe des écoles
publiques de Winnetka pendant la leçon de lecture, vous trouverez chaque
enfant lisant un livre différent. Tous lisent comme dans la vie, silencieusement,
excepté l'un d'entre eux qui, près du maître, lit à haute voix. Cet
élève pourra ainsi recevoir du maître l'aide dont il a besoin personnellement,
sans obliger les autres à entendre ses erreurs, et surtout, sans faire
perdre un temps précieux au reste de la classe. Chaque élève peut, de
cette façon, lire un livre parfaitement adapté à son propre stade de
développement et à ses goûts personnels. Les exigences du programme
de lecture requièrent, pour chaque degré, la lecture intelligente de
15 livrets par an et un résultat égal à la « norme » établie
par les tests de Monroé...
« Au
lieu de remettre aux 30 élèves un exemplaire du même livre, on organise
donc une petite bibliothèque d'une trentaine de livres différents parmi
lesquels une vingtaine de livres du degré correspondant et quelques
volumes très simples traitant de géographie, d'histoire et de sciences
naturelles » (R. Buysse : L'individualisation du traitement
pédagogique, (Revue de Pédagogie).
Et
le « Dalton Plan », d'autre part, n'est-il pas aussi une technique
de travail sans manuels scolaires ?
En Russie, où un si gros effort a été fait pour la
liaison de l’école à la vie, on a senti la nécessité de sortir le plus
possible de cette technique étroite de l'emploi des manuels. « Le
livre doit être léger, intéressant, accessible, afin d'inspirer aux
enfants le désir de la lecture personnelle. Pour cela, il est nécessaire
d’avoir, dans chaque classe, plusieurs livres de lecture différents »
(Narodni Outchitel (U.R.S.S.) sept. 1927, article de 0.Plavinskïa.).
Seules
les difficultés d’un enseignement forcément individualisé dans nos écoles
publiques, et la nécessité d'enseigner le plus tôt possible la technique
de la lecture, rendaient indispensable jusqu'à ce jour l'emploi des
manuels scolaires.
Si
nous donnons aujourd'hui une solution définitive et pratique à ce problème
des manuels scolaires, nous avons voulu montrer cependant que notre
méthode est la conclusion naturelle de l'évolution des idées modernes
sur l'organisation du travail scolaire. La voie n'est ni nouvelle, ni
originale ; mais l'outil dont nous avons révélé les immenses avantages
scolaires contribuera certainement à l'évolution de la pédagogie prolétarienne.
***
BASES DE LA METHODE
« C'est dans la mesure où une idée est une projection
de tendances instinctives qu'elle est, pour l'esprit une phénomène important,
dynamique, intéressant » (J. Dewey. L'Ecole et l'Enfant, op. cit
4).
On a, jusqu'à ce jour, accordé une trop grande importance
à la valeur propre des modèles proposés aux enfants. La perception de
la pensée et de la forme littéraire ou scientifique ne sont que secondaires
en éducation. L'indispensable c'est d'atteindre et de comprendre la
pensée enfantine, de lui donner un motif d'épanouissement et d'élévation.
« Nous
conduisons l’enfant, alors que c'est lui qui doit nous conduire »,
dit le Dr Decroly. Cela devrait être une banalité, et pourtant une semblable
conception de l'éducation doit révolutionner les méthodes actuelles.
L'adaptation
de l'Enseignement à la nature de l'enfant n'est-elle pas cependant un
des grands soucis de l'Ecole actuelle ? Mais il s'agit là d'une
adaptation superficielle et seulement scolaire. On considère dans nos
classes l'enseignement adapté lorsque l'enfant parvient, bon gré, mal
gré, à ingurgiter ce qu'on lui présente, lorsqu'on a trouvé apparemment
la voie logique qui lie la pensée enfantine à la pensée adulte. Conception
statique, autoritaire, morte d'une œuvre de vie. Adapter notre enseignement
ne nous suffit plus - il nous faut toucher les tendances instinctives
dont parle Dewey, conserver à l'enfant et stimuler en lui, toutes les
énergies vitales, faire du travail scolaire un véritable enrichissement
intellectuel et moral.
Comment
y parviendrons-nous ?
Nous
ne partirons pas systématiquement de la science ou des réalisations
adultes pour descendre à l'enfant : nous prendrons le chemin inverse :
considérant l'enfant tel qu'il est, avec ses intérêts et ses besoins
particuliers, avec son raisonnement et sa logique spéciale, nous l'aiderons
à se développer ; nous organiserons et nous préparerons le milieu
et les moyens qui lui permettront de s'élever, avec notre aide, jusqu'à
la science adulte.
La
première condition est évidemment de trouver cette voie qui mène à l’âme
enfantine, de découvrir la technique qui nous permettra d'établir la
liaison nécessaire.
Peut-on
y parvenir par l'emploi systématique, des manuels scolaires préparés
par des adultes ? En littérature notamment, les meilleurs choix
de lectures peuvent-ils prétendre toucher profondément l’enfant ?
Certainement non ! Les récits apparemment les mieux adaptés ne
réussissent qu'à produire un intérêt superficiel qui est plus un amusement,
une distraction qu'une « projection d'activité ». Seules feraient
exception les pages où des adultes ont su, avec « naïveté »
raconter leur vie ou celle des enfants qui les entourent.
Mais
qu'avons-nous besoin d'aller chercher si loin des éléments qui sont
au fond de nous ? Demandons donc aux élèves de raconter leur vie
avec naturel et simplicité. Lisons ces documents qui sont vraiment l'expression
du moi personnel, dynamique, en constante évolution. Faisons plus :
mettons en relations suivies les élèves de classes éloignées les unes
des autres. Bref, organisons sur le plan du livre et du journal. une
société d'enfants qui produira elle-même sa propre littérature, qui
se perfectionnera non par l'imitation de modèles impressionnants, mais
par le travail et la vie.
Nous
entendons aussitôt des protestations. Ces pédagogues n'ont en l'enfant
aucune confiance. Ils passent leur vie à le dresser comme s'il s'agissait
d'un animal dont on ne comprend aucunement le sens des cris. Ces histoires
« puériles » : un jeu si simple où les voyageurs sont
des pierres, ce récit ému d'une joie d'enfant ; ce petit berger
regardant avec étonnement ses moutons qu'on vient de tondre ; peut-on
leur faire l'honneur de les considérer à l'école ? Fi donc !
Faisons lire à nos élèves des histoires sérieuses où évoluent de grandes
personnes qui parlent un langage parfois inintelligible... Cela seul
est digne de l'austère pédagogie !
Ecoutons pourtant ce que pense des productions enfantines
un des plus grands animateurs de l'éducation italienne, G. Lombardo
Radice ! « Encouragez les enfants à écrire librement sur ce
qui les intéresse, sans autre préoccupation que de leur fournir l'occasion
d'exprimer quelque chose qu'ils vivent, qu'ils sentent, qu'ils pensent ;
vous obtiendrez non seulement des documents extraordinairement précieux
pour l'âme enfantine, mais encore des oeuvres d'un art acquis, auxquelles
les compositions préparées suivant les anciennes recettes ne peuvent
servir que de repoussoir » (G.Lombardo Radice : Athena Fanciulla.).
Des
rédactions ? Des lettres ? nous objecteront d'autres instituteurs.
Quand nous on imposons à nos élèves de 13 ans, ils ne savent que nous
fournir des textes d'une indigence ridicule. Peut-on baser une méthode
sur un tel travail ?
L'expérience nous prouve chaque jour que les enfants
à partir de 6 ans, dès qu'ils sentent le but de leurs productions, écrivent
des rédactions et des lettres excessivement savoureuses. Du moins -
et, ce n'est pas pour nous le moindre avantage - ces rédactions et ces
lettres sont parfaitement comprises et senties par les enfants qui les
reçoivent. Cette compréhension totale est certainement une des grandes
joies et des grands avantages de la base enfantine de notre éducation.
Si, comme le dit Tolstoï, « l'intérêt de l'enfant pour une forme
d'instruction est le signe infaillible que cette forme lui convient
et répond à un de ses secrets besoins », nous sommes en toute certitude
sur la bonne voie.
***
En
nous voyant accorder à l’expression enfantine une importance de tout
premier plan en éducation, on a cru parfois que nous caressions le rêve
chimérique de soustraire nos élèves à l'influence de toutes les manifestations
intellectuelles, artistiques ou scientifiques de la civilisation actuelle.
Cela n'a jamais été dans notre idée. De même que l'enfant a besoin,
pour son éducation, de l'aide et des conseils du maître, il est nécessaire
qu'il puise largement dans les récits de toutes sortes qui sont les
monuments de l'expérience humaine.
L’intérêt, le besoin de création et d’expression constituent
l’ossature véritable de notre pédagogie. Les livres n’en sont que
des auxiliaires. Sur ce chemin de l’éducation naturelle tout est
joie et vie. Inutile désormais de secouer l'enfant, ni de le contraindre
à d'arides tâches scolaires. Son besoin d'activité, son désir de connaître,
son appétit de travail suffisent à tout pourvu qu'on lui donne la possibilité
de les satisfaire utilement.
Le
jour où, matériellement, intellectuellement et moralement, l'enfant,
libéré des entraves scolaires, pourra ainsi s'épanouir, alors, l'éducation
soulèvera vraiment le monde.
Le travail scolaire
selon la nouvelle technique
En
ce début d'année scolaire, nous reprenons notre matériel complet d’imprimerie
- d'une valeur de 350 fr.
Nous
avons changé notre police de caractères usés par une manipulation permanente
de une ou deux années (coût : 75 fr). Nous avons notre provision
de papier et couvertures (60 fr. environ). Nous complétons notre approvisionnement
pour les divers articles accessoires (encre, composteurs, etc...). Une
dépense globale de 130 à 150 fr. nous permettra donc de partir avec
un matériel en parfait ordre de marche, sans dépense supplémentaire
en cours d’année.
Nous
nous procurons. également pour chacun de nos élèves deux reliures invisibles
pour le classement des feuilles imprimées et des feuilles reçues régulièrement
de l'école correspondante - qui constitueront en fin d’année deux beaux
livres de vie (coût : deux fois 0 fr. 90 pour chaque élève).
Nous
sommes à pied d’œuvre.
***
En
juillet, nous avions rempli pour les services d'échanges coopératifs
deux fiches de correspondances : nationales et internationales.
Conformément
à notre demande, notre école a été incorporée dans une équipe de huit
classes, de niveau à peu près identique à la nôtre, mais qui, par
leur situation à la ville et à la campagne, et leur répartition dans
les diverses régions de France nous offrent un merveilleux ensemble
complémentaire de possibilités éducatives.
Une
de ces classes, celle de Praz-sur-Arly (Haute-Savoie), nous a été désignée
comme correspondante journalière. Nous en vivons la vie au jour
le jour par l’échange régulier, deux ou trois fois par semaine, d'un
stock d'imprimés. Nous savons pour l'instant qu'elle compte 30 élèves
(garçons et filles) de la haute vallée de l'Arly et que nous devrons
leur adresser un exemplaire de chacun de nos primés.
A
nos sept autres correspondants mensuels de l'équipe s'ajoutent d'autres
écoles avec lesquelles nous correspondons depuis plusieurs années et
que nous ne saurions abandonner. Au total, 25 écoles. Nous ferons pour
elles un tirage de 25 feuilles de chacun de nos textes. Ces feuilles
supplémentaires seront reliées en fin de mois sous une couverture originale
et légale pour constituer le journal scolaire de l'école de St-Paul :
Les Remparts.
Notre
tirage sera donc de : 30+25+32 pour notre école (Classe tous cours,
de 7 à 13 ans (l classe de garçons, 1 classe de filles, 1 classe enfantine).)
+ 15 pour la vente au numéro dans le village où l'abonnement à ceux
qui nous soutiennent, soit au total : 102, moyenne convenable pour
notre classe.
Nous
n'achetons aucun manuel scolaire. Nous donnons à chacun de nos élèves
deux reliures pour Livres de vie, un pour Saint-Paul et
l'autre pour Praz-sur-Arty. Pour l'instant, des livres ne sont
que deux classeurs nus : le livre est vide, comme les murs d'ailleurs.
Car nous procédons à l'inverse de l'ancienne école, laquelle accablait
les enfants de nouveautés au début de l'aimée scolaire, au moment où
la joie, l'appétit de travail, encore intacts, n'auraient nul besoin
d'être stimulés. Nos livres de vie ne sont pour nous qu'une promesse
de travail : tout au long de l'année, le facteur nous apportera
la nouveauté et la joie.
Si,
comme cela se produit trop souvent encore, la Mairie ne paie pas les
fournitures scolaires, chaque élève apportera pour chacun de ses livres
de vie, 4 fr., soit 8 fr. pour les deux. Nous aurons ainsi, pour cette
modique dépense individuelle, un budget de 256 fr. qui nous permettra
de payer nos dépenses d'imprimerie et de prévoir encore l'achat de livres
et de documents pour notre Bibliothèque de Travail ou notre Fichier
Scolaire.
Ainsi
conçue, on le voit, l'Imprimerie à l'Ecole ne nécessite pas de dépenses
supplémentaires, mais seulement un meilleur aménagement, plus productif,
de ces dépenses. Dans la période de crise que nous traversons, ces considérations
ne sont certes pas à dédaigner.
Nous
répartissons les tâches, en liaison le plus possible avec l’organisation
de notre Coopérative scolaire : surveillance de la casse d'imprimerie,
du papier, de l'ordre dans le matériel, du classement des caractères,
etc...
Nous
affectons chaque élève au soin de la correspondance avec une école :
l’un s’occupera de la correspondance régulière avec Praz-sur-Arly et
veillera à l'expédition périodique des imprimés. Il aura un ou plusieurs
suppléants. Les autres classes correspondantes auront chacune leur titulaire
qui veillera à l'expédition des journaux scolaires en fin de mois et
aura un droit de priorité pour la lecture des journaux reçus de « sa
classe », répondra aux demandes qui lui seront faites, etc... Un
suppléant pourra aussi être désigné, choisi de préférence parmi les
élèves moins âgés.
Nous
avons pour chacune de nos écoles correspondantes un petit classeur portant
sur la couverture le nom et l'adresse du destinataire, le nom du titulaire
et du suppléant. L'élève responsable dépose au jour le jour dans ce
classeur les travaux imprimés ou les dessins qu'il expédiera à la fin
du mois.
Nous
préparons une liste de roulement pour la composition. Nous constituons
une première liste de « maîtres imprimeurs » chargés de faire
le tirage. Ces maîtres imprimeurs pourront s’adjoindre comme « apprentis »
les élèves qui se seront montrés capables de faire un travail soigné
et qui deviendront à leur tour maîtres imprimeurs - jusqu'à ce que chaque
élève, alternativement, puisse assurer à, tour de rôle les diverses
besognes d'imprimerie : encrage, présentation et réception des
feuilles, tirage.
Certaines
classes ont préféré constituer des équipes homogènes et permanentes
d'imprimerie qui assurent toutes les besognes. L'une et l'autre de ces
façons de procéder ont leurs avantages.
Dès
les premiers jours nous imprimons à leurs adresses les enveloppes d'expédition
pour l'année scolaire. Tout est en ordre. Notre travail normal ne sera
plus dérangé désormais par aucune grave préoccupation accessoire. Ce
qui ne signifie point que notre vie scolaire sera dépourvue d'imprévus
fréquents et éducatifs.
***
Les
éducateurs amoureux de la « forme » pourront, certes, s'ils
le désirent adapter l’imprimerie à leurs méthodes de travail. Nous pensons,
nous, que, au degré primaire surtout, notre activité doit tout entière
être basée sur les besoins fonctionnels des enfants, que « l'école
doit sortir de terre avec de la couleur locale et une sève de terroir
qui la rende forte » (F.Dubois : Les Barrières), que la vie
de l'enfant au milieu de l'intense vie sociale doit être le moteur essentiel
et la motivation capitale de notre effort éducatif.
Nous
plongeons d'une part dans le terrain ferme, actif et fécond de la vie
et des intérêts enfantins pour nous élever puissamment jusqu'aux acquisitions
prévues aux programmes auxquelles nous redonnons un sens créateur et
éducatif.
On
comprendra cette rénovation par l'exposé que nous allons faire de la
vie d'une classe vivifiée par notre technique.
A
la base de cette technique se trouve donc l'expression libre de l’enfant
par le langage, la rédaction et le dessin - la matérialisation graphique
de cette expression par l'imprimerie - et la divulgation, par nos journaux
et nos échanges, de la pensée enfantine.
Au
degré maternel, nous avons montré comment était le récit qui se transformait
la plupart du temps en imprimé. Maintenant l'enfant commence à écrire :
nous n'emploierons qu'accidentellement le texte né d'un récit oral pour
tirer le maximum de profit des rédactions libres. Notre technique est
cependant extraordinairement souple : l'essentiel est que le texte
choisi et imprimé réponde au maximum aux préoccupations dominantes de
la classe, quels que soient les moyens par lesquels on l'a obtenu.
***
Les
enfants entrent en classe.
Pendant que s'accomplissent les diverses petites
besognes matérielles communes à toutes les classes et que nous avons
confiées aux responsables désignés par la Coopérative, les élèves qui
ont composé la veille vont reclasser les caractères. Cette besogne qui
s’exécute sans bruit et qui n'empêche pas ceux qui s'y emploient d'écouter
attentivement, peut se continuer pendant le début du travail scolaire.
Nous
faisons débuter notre classe par un quart d'heure à 20 minutes de lecture
expressive.
Les
élèves désignés par une liste de roulement ont préparé la veille au
soir une lecture de leur choix : texte puisé dans un livre de la
Bibliothèque de Travail ou la plupart du temps dans le journal scolaire
reçu de l'école correspondante.
Pendant
ce temps, les autres élèves sont autorisés à dessiner, soit sur leur
cahier du jour, soit sur une feuille spéciale. Nous avons constaté en
effet que le dessin libre n'empêche nullement l’enfant d'écouter la
lecture du texte. Ah ! certes, si le lecteur est par trop malhabile,
si son choix est manifestement défectueux, rien d'étonnant que les esprits
se détachent de cette lecture pour se concentrer sur le dessin, expression
psychique de l'individu. Mais si, au contraire, l'enfant sait intéresser,
des têtes se lèvent brusquement, des yeux s'allument, des questions
ou des appréciations jaillissent.
Au
point de vue formel, cette technique si libérale semble bien insuffisante.
Pratiquement, elle est la seule capable de permettre à toutes les énergies
de se mobiliser dans le sens des nécessités dominantes : le petit
lecteur s'applique à la lecture, et ce court exercice vaut plus que
des heures de lecture passive ; les autres en font leur profit
tout en commençant leur tâche journalière par cette expression idéale,
le dessin, qui avec le chant est la plus naturelle et la plus complète
des libérations psychiques.
Les
programmes et les horaires recommandent, au début de la classe, une
leçon de morale.
Il
nous est impossible de moraliser à l'ancienne mode du moment que nous
sommes d'une part persuadés de l'inutilité de nos prêches, et que nous
voulons d'autre part redonner à l'enfant la suprématie active dans la
classe.
La
morale est plus une résultante qu’un moyen : elle est la résultante
de l'activité sociale et scolaire, de l'organisation du travail commun,
de la vie coopérative, En donnant le premier plan à ces préoccupations
diverses nous donnons les meilleures de s leçons de morale.
Dirons-nous aussi à quel point la libération psychique
née de l'expression libre est moralisatrice ; comment, par l'activité
scolaire, nous réduisons presque tous les défauts que masquait seulement
la morale traditionnelle, et à quel point la disparition de toute tyrannie
autoritaire peut améliorer les rapports entre individus ? La place
nous manque pour insister sur ces faits pourtant essentiels que ne veulent
d'ailleurs pas reconnaître les adultes déformés par la scolastique et
pour lesquels il ne saurait y avoir de progrès sans moralisation.
Nous
moralisons donc à notre façon.
a)
Il arrive assez souvent que des conversations et discussions qui accompagnent
l'entrée en classe, de la lecture des journaux scolaires, des lettres
reçues des correspondants résulte une sorte d'enseignement moral. Sans
insister autrement nous le formulons en une ou deux phrases de morale
positive et suggestive.
On
a parlé d'un acte de brutalité envers un animal, nous écrivons au tableau :
« Je
suis bon et gentil avec les animaux. »
b)
Si rien de saillant ne ressort, nous écrivons simplement une formule
suggestive préparée d'avance, la même pendant une semaine :
« Mon
banc et ma classe sont très propres. »
« Je
rends service à mes voisins. »
« Je
dis toujours la vérité.3
Ce
sont là des formules, de suggestion rédigées selon les indications de
Coué. L'essentiel est de les formuler positivement, énergétiquement,
en s'abstenant de toute négation inhibitrice, pour marcher de l'avant.
La
formule, écrite au tableau, est répétée par tous les élèves. C'est cette
répétition qui produit son effet moralisateur. Elle est, en même temps,
copiée sur le cahier pendant que je jette un coup d’œil sur les diverses
tâches.
Il
est 8 h. 20 environ. Nous passons à la préparation du texte journalier.
Ce
texte peut être obtenu de différentes manières, selon la classe, le
milieu, le niveau des élèves, pourvu qu'il soit toujours l'expression
des enfants eux-mêmes, à l'exclusion de toute composition méthodique
imposée par des adultes.
1°
Rédaction collective en classe :
« Presque tous les élèves, dit notre ami René Daniel
(R. Daniel : Choix des Centres d'intérêt et rédaction des textes
destinés à « l’Imprimerie à l’Ecole ». Bulletin de l’Imprimerie
à l’Ecole, N°11, février 1928.) arrivent en classe avec une gerbe « d’observationse » :
« M’sieu, on tire des pierres... le Docteur est à Trévignon...
On a téléphoné, etc... »
Les
enfants vous lancent sur plusieurs pistes. En tenant compte de la fréquence
de certaines d'entre elles pour éviter de trop les répéter, vous en
choisissez vite une et vous vous y engagez résolument ; bien rare
si toute la meute ne vous suit pas et ne participe activement à la poursuite.
Tous aboient : « Moi aussi j'ai... j'avais vu... j'avais été...
- non... - si, si... – j’ai entendu... »
Avec
un crayon ou un bâton de craie, ces exclamations qui fusent de toutes
parts sont recueillies, classées. Quelques instants, après les enfants
étonnés s’écrient : « On a fait une lecture... Aujourd'hui,
on n'a pas été longtemps à faire une lecture ! » Et chacun
de répéter, en lisant, les morceaux de phrases jaillis d’eux-mêmes à
leur arrivée en classe.
-
Qui a fait cette lecture ? demandent les uns.
-
Tout le monde ! répondent d'autres !
Et
des textes comme celui-ci sont, pour les auteurs comme pour leurs correspondants,
d'un intérêt certain :
QUI
A VU LE RENARD ?
« J'ai
vu un renard ; il était tout noir. - Moi aussi : il a des
yeux bleus. - Il a une longue queue, un museau pointu, des oreilles
dressées. Je voyais ses dents. Il s'est sauvé dans son trou. Niellac
dit que c'est un conte. - Non, non, dit François, je l'ai vu, je me
suis caché derrière un talus. Nous avons peur ; nous faisons un
grand détour pour venir à l’école. »
R.Daniel
a bien raison de dire : « Notre programme, c'est « la
vie » et nous y sommes en plein. Le vent qui hurle à nos portes,
la rue qui gronde ou resplendit, les champs, la route que nous arpentons
chaque jour, les animaux, nos parents, nos travaux et nos jeux... ça
n'est pas dans les « programmes » ?
« Dans
notre C.E., nous disons largement des exclamations. Elles mettent de
la joie dans la lecture des textes imprimés. Elles provoquent une lecture
mimique parfois très expressive. « Aïa ! Aïa ! »
nous croyons encore entendre le vacher.
Chaque
fois que cela est possible, nous présentons le texte sous la forme d'un
dialogue ; quand une discussion met aux prises des élèves, nous
notons rapidement les interventions des uns et des autres et la lecture
est rédigée. Nous essayons de reconstituer les scènes : gestes,
paroles, Nous parvenons à les revivre pleinement.
LA TAUPE
« Arsène,
une taupe, une taupe ! » J'ai sauté sur la taupe ; je
l'ai attrapée avec les mains. Arsène essayait de la tuer avec une pierre
pointue. Elle criait : « cui, cui ! » Son
museau saignait. Elle était encore vivante. Elle m'a mordu deux fois.
Je disais : « Je n'ai pas besoin de pièges pour prendre les
taupes. Elle était chaude. Je l'ai vendue 1 franc. »
***
Mais
tout cela entraîne beaucoup de bruit... et nous amène du désordre...
« L'instituteur, dit Tolstoï, n'aime pas le bruit quand on parle,
le mouvement, la gaîté des enfants, tout ce dont ils ont besoin pour
s'instruire vraiment ; et dans les écoles qu'on bâtit comme
des prisons, les questions sont interdites, et les conversations et
les mouvements. »
C'est bien là le principal effort que nous demanderons
aux éducateurs . Ce travail de collaboration constante avec les élèves
supposé une conception nouvelle des rapports scolaires. L'emploi des
manuels qui ne nécessite aucun vivant effort de création peut s'accommoder
d'un autoritarisme désuet qui va de pair avec la passivité et l'indifférence.
Mais, si nous voulons mettre au jour les pensées enfantines, si nous
voulons exprimer dans toute sa fraîcheur et sa spontanéité la vie même
de l'enfant, il est indispensable que nous participions à cette vie,
que nous nous soumettions aussi aux règles de la société enfantine,
que nous vivions, parlions, travaillions avec nos élèves, que nous sachions
rire avec eux, nous étonner comme eux, nous mettre à leur mesure - condition
indispensable, d'ailleurs, pour qu'il y ait entre l'instituteur et ses
élèves la compréhension totale qui, seule, permet, une véritable éducation.
Lorsque
l'ambiance est créée, les éléments abondent. Il nous suffit alors de
traduire en bon français les phrases des élèves en respectant le plus
possible la syntaxe. Qu'importe si le même mot est répété plusieurs
fois ! Ecrivons d'abord si cette répétition est nécessaire à la
parfaite intelligence du texte nous la conserverons. Sinon, nous montrerons
l'emploi des pronoms et des tournures plus expressives. Parfois même,
prudemment, nous introduirons dans le texte quelque expression, quelque
mot nouveaux, à condition que l'enfant comprenne l'utilité de cette
modification.
La
vie enfantine est tellement riche que nos textes ne souffrent jamais
d'indigence. Le problème n'est jamais, pour nous, « comment remplir
cette page ? » mais bien : « comment dire en 12
ou 15 lignes, comment exprimer avec le matériel dont nous disposons,
l'essentiel des idées nombreuses qui nous assaillent ? »
Et alors s'impose à nous la nécessité de choisir. Nous avons dit déjà
quels seront, pour ce choix, nos critériums. Mais tout ce travail nécessite
une nouvelle attitude de l'éducateur, sur laquelle nous devons insister :
Nous ne sommes plus les demi-dieux infaillibles qui se croiraient déshonorés
s’ils montraient à leurs élèves leurs faiblesses ou leurs erreurs. Dans
cette collaboration loyale, nous devons marcher, sans nul souci
d'amour propre, vers la perfection éducative. Et nos tâtonnements eux-mêmes
y contribueront.
***
Si
notre méthode d'enseignement répond presque toujours parfaitement à
l'esprit des Instructions ministérielles relatives au Nouveau Plan
d'Etudes (20 juin 1923), nous nous séparons totalement de ses conceptions
pour ce qui concerne la rédaction libre.
« La
véritable rédaction, disent ces Instructions, n’apparaîtra qu'au cours
supérieur, c'est-à-dire vers 12 ans... A 10 ans l'enfant se bornera
à la construction d'un paragraphe... Il ne saurait être question
de faire composer, à des enfants de 7 ans, de véritables rédactions ».
La voilà bien, la manie pédagogique qui, sous prétexte
de « graduer » les difficultés, veut imposer silence à l'enfant !
Ces pédagogues agissent comme la maman qui interdirait à son enfant
de gazouiller tout au long du jour et lui prescrirait, à heure fixe,
la prononciation de quelques phrases préparées d'avance, à l’exclusion
de toute manifestation personnelle. « Si nous n'avons pas encore
obtenu, dans l'enseignement du français, tous les résultats que nous
souhaitons, c'est peut-être parce que, trop ambitieux, nous avons eu
le tort de faire commencer trop tôt les exercices de rédaction »
(Instructions Ministérielles relatives au Nouveau plan d'Etudes (20
juin 1923). journal Officiel français.). Ne serait-ce pas au contraire
pour la raison inverse ? Ce que les rédacteurs des I.M. disent des élèves
du Cours supérieur ne serait-il donc plus vrai pour
les petits débutants ?
« Fournir
aux enfants des idées et des expressions toutes faites, c'est refouler
leurs pensées personnelles, dont
nous avons le devoir de favoriser l'éclosion c'est stériliser leur esprit
que nous avons le devoir de féconder.
D'une
manière générale, toute méthode est mauvaise si elle n’inspire pas à
l'enfant le désir de traduire ses impressions et de chercher, pour cette
traduction, l'expression adéquate. Toute méthode est bonne si elle
lui inspire ce double désir. Elle est parfaite si ce désir croît
chez l'écolier jusqu'à la passion ou l’enthousiasme » (J.Dewey :
Comment nous pensons (Traduction Decroly). - Flammarion, 1925.).
Pour parvenir à ce résultat, pour conserver à l’enfant
« l'étincelle sacrée de l’étonnement, attiser la flamme qui brûle
déjà, et cultiver l’esprit de curiosité », pour suivre aussi la
méthode naturelle qui réussit si merveilleusement aux mères, nous commençons
la rédaction dès le plus jeune âge, avant même que l'entant sache écrire.
Les textes obtenus des enfants de 5, 6 ans selon
la méthode que nous avons décrite au chapitre précédent ne sont-ils
pas déjà, en effet, des « rédactions orales » ? Et ne
pourrions-nous pas appeler rédactions aussi ces dessins libres par lesquels
nos mêmes élèves expriment d'une façon inattendue, leur moi conscient
ou subconscient ?
L'étape qui mène à l’expression écrite est bien vite
franchie. Un soir, un enfant de six ans, qui commence à peine à écrire,
part en disant : « Monsieur, ce soir je fais une rédaction ».
Et, effectivement, le soir même, cédant à son besoin
de s'exprimer par la plume, il nous écrit son rêve : « je
rvé ce jété allé moji, jéte suun batou, la bato a haviré, jé crié osecou
ilé ve nu bocou de mode ».
Il
orthographie à sa façon, certes, mais la traduction nous en sera facile :
« J'ai
rêvé que j'étais allé à Mougins. J'étais sur un bateau. La bateau a
chaviré.. J'ai crié, au secours. Il est venu beaucoup de monde ».
L'écriture d'un enfant non encore initié aux conventions
grammaticales n'est cependant pas anarchique ; elle obéit à des
lois qu'il nous sera facile de découvrir et qui permettront aux instituteurs
de lire sans effort les rédaction des débutants. Le jour où l’enfant
a pu se faire comprendre par la plume, il sent lui même qu'une période
décisive est révolue : il possède maintenant l’expression écrite,
et il est fier de cet enrichissement.
« L'enfant,
nous disent encore les Instructions Ministérielles, ne peut rédiger
que lorsqu'il possède non seulement une assez riche collection d'idées,
mais une assez riche collection d'expressions »
Une riche collection d'idées ! Il suffit de
regarder vivre les enfants pour se convaincre de leur fertile originalité.
Leur
collection d'expression n’est certes pas encore bien fournie ;
elle leur permet cependant de se faire comprendre parfaitement par leur
entourage. Et cet acquis va s'enrichissant chaque jour.
Objectera-t-on que l'enfant qui ne possède encore
que quelques éléments d'écriture est obligé de vaincre trop de difficultés
pour s'exprimer. Cela serait vrai si, comme le fait l'ancienne école,
nous accordions une importance exagérée à la forme au détriment du fond
et si nous exigions une demi-perfection orthographique, L'essentiel
n’est-il pas que l'enfant vive et s'exprime ? Le voit-on souvent
se rebuter devant les difficultés du langage et se taire plutôt que
de poursuivre son intrépide bavardage ? Il a besoin de s'expliquer,
de prolonger, d'élargir son moi par les gestes et la parole ; si
le langage adulte est trop difficile, il s'en créera un spécial à sa
mesure, il construira, au besoin des mots nouveaux, d’une logique grammaticale
étonnante, mais il s’exprimera. A nous, parents et éducateurs, de nous
ingénier à le comprendre pour l'aider dans son élévation.
Si nous savons donner à l’enfant le même désir puissant
de s'exprimer par la plume ou le crayon, il écrira avec une égale facilité.
A nous maintenant de faire effort pour lire son orthographe spéciale,
en demandant au besoin des précisions sur les mots que nous ne pouvons...
deviner. Si, bien ou mal, nous sommes parvenus à lire cette rédaction,
si l'enfant a senti que, par l’écriture, il pouvait désormais transmettre
ses pensées, alors le miracle est accompli : la seule chose qui
importe a été réalisée : l’enfant s’est fait comprendre ;
il peut, dès lors, écrire des rédactions tous les jours. Il ira en se
perfectionnant comme il perfectionne et enrichit chaque jour son langage.
Populo
raconte (Revue de l'Enseignement primaire, 38e année, N°29)
comment son fils, invité à écrire à son grand-père, prit cette demande
au sérieux et traça ces mots qu'il était à peine capable de lire :
« Chr
gran pèr, je tm de tout mon qr. »
« Ma
petite fille m’écrit, elle m'écrit tout seule et personne ne l'aide.
J'ai donc reçu d'elle une lettre dont j'extrais ce qui suit : « Nonnoncle
et tantante on coucher sé nous pacheque il était fatiguer, il est maigre.
Ici nous somme tout en rumer et surtou Nonon. Maman aussi boquout et
Ganga aussi, j'ai perdu une dan et Gaby trois dans. Mon cher Grand père,
je tan brache de tout mon coeur. Gisèle. »
Certes, il y a des fautes. C'est délicieux. Gisèle
n'a que six ans, Quand nous la marierons, elle sera en paix avec la
grammaire. En attendant, elle m'apprend que nononcle est « fatiguer »,
Qu'on est « enrumer » à la maison, qu'une de ses « dans »
de lait est tombée, que son frère Gaby en a perdu trois. Dame, il a
un an de plus. C'est presque un savant.
Ce que j'ai voulu, par ces deux histoires, c’est vous
montrer que mes enfants et mes petits enfants ne sont pas arrêtés dans
leurs essais... littéraires par des hésitations orthographiques. Ils
écrivent comme ils parlent. Ils font des fautes en parlant ; ils
font des fautes en écrivant. Les grands-pères sont toujours contents.
A l’école, ô mes amis, c’est une autre affaire :
« je ne sais pas, moi ! » Et ils ne savent pas en effet.
S'ils s’avisaient d'écrire : « nonnoncle, tantante, dan, boquout
fatiguer », le maître ou la maîtresse en ferait une maladie. Il
se croirait perdu, déshonoré. Aussi, pendant que l'enfant écrit, il
se penche sur lui, et, angoissé, il s'arrache les cheveux alors que
les « dan » tombent. Les observations se succèdent ;
« dans » prend un te, et, comme ce mot est au pluriel, il
prend un s à la fin. Les reproches s’ajoutent aux observations et n’ajoutent
rien à la clarté. L'enfant pleurnichant dit : « Comment que
ça s’écrit ? » Il est prêt à mettre ce qu'il vous plaira.
Pauvre petit ! Voulez-vous un s ? En voulez-vous deux ?
Surtout ne vous mettez point en colère. Car l'écolier, en présence de
l’obstination d'un mot si capricieusement difficile à accommoder, lâchera
la plume en disant : « Je ne sais pas, moi. »
Donner
confiance à l'enfant, pour qu'il s'exprime : surtout, obtenir à
l’école qu'il parle et qu'il écrive n'est-ce pas la plus essentielle
des victoires pédagogiques ? Ne répétons-nous pas volontiers que
« c'est en forgeant qu'on devient forgeron » ? Non, l'enfant
n’est embarrasse par son écriture que s'il sait que vous accordez une
plus grande importance à la forme qu'à l'expression ; tout comme
il est intimidé , pour parler devant des messieurs qui exigent de lui
un langage impeccable. Mais s'il est libre d'écrire comme il parle,
il n'est nullement arrêté par des difficultés orthographiques, et, après
une rédaction de trois lignes il vous apportera aussi bien un récit
d'une page si le sujet qu'il a choisi librement l’a enthousiasmé.
Dans
une classe entraînée à ce genre de travail, les rédactions individuelles
abondent. Nous ne donnons aucun « devoir » le soir. Mais,
spontanément, nos élèves nous racontent leur vie. Les uns nous écrivent
deux, même trois rédactions ; d'autres n'écrivent rien, et il ne
donnent jamais comme raison qu'ils n'ont pas su. S’ils n'ont pas fait
de rédaction c'est tout simplement qu'ils n’en ont pas senti le besoin
pressant. Mais ils écriront plus longuement une autre fois. Toujours
est-il que, au cours de l'année, on nous a apporté un nombre impressionnant
de rédactions : 15 à 20 par semaine. Même un soir de fête locale,
contre toute attente, il s'est trouvé plusieurs élèves qui, leur joyeuse
journée terminée, ont écrit une rédaction. Et Lucien tout en mangeant
des cerises, s'écrie tout à coup : « Ah tiens ! Je vais
faire une rédaction sur ça ! »
Et
n'est-elle pas touchante cette pensée de petite fille que nous raconte
un imprimé de l'école de Daoulas (Finistère) :
LA PETITE MAITRESSE
« Liliane est malade. Elle nous a fait porter une
histoire pour qu'on l’imprime. La voici :
« Aujourd'hui, je m’ennuyais, Denise était partie,
elle avait laissé son sac dans ma chambre : Nini me dit :
Jouons école ! -Ah, oui ! C'était à moi le sac pour jouer.
Nini est allée chercher son livre et son ardoise, elle a écrit sur un
papier : i, a, o, e, é, è. Elle il me dit : Tout à l’heure
tu vas faire ça, n'est-ce-pas ? »
Lillane.
« Nini
a cinq ans. Elle vient à l'école depuis Pâques seulement. Elle ne sait
pas lire. Quand même c'est elle qui fait la petite maîtresse. Nous avons
bien ri. »
***
C'est
entendu, nous dira-t-on : vous avez donné à l'enfant le désir de
s'exprimer en motivant son effort. Mais en faisant ainsi passer au second
plan l'exactitude orthographique et syntaxique, êtes-vous sûr que les
élèves feront suffisamment de progrès et qu'ils ne se complairont pas
paresseusement dans leurs habitudes rudimentaires ?
Mais voit-on des enfants normaux s'obstiner à ne pas
améliorer leur langage embryonnaire des premières années ? L'enfant
écoute parler, il lit, et, naturellement, il s'efforcera à parler,
à lire et à écrire comme ses modèles, surtout s'il est amené à se rendre
compte que la perfection grammaticale et orthographique est indispensable
pour se faire comprendre totalement.
Seules
nos méthodes scolaires ont engendré la paresse des élèves. Dans des
conditions normales, l'enfant sain suit au contraire et sans
cesse la voie de l'effort physique et intellectuel pour un plus grand
enrichissement.
***
Avec des élèves plus âgés, d'un C.M. ou supérieur,
les rédactions peuvent déjà prendre une tournure moins subjective et
plus documentaire. Cette évolution pourrait être plus nettement marquée
dans une classe homogène de ce degré. Dans notre classe à plusieurs
cours nous avons toujours préféré le texte subjectif qui crée dans la
classe une atmosphère de vie commune et de collaboration.
A
cet effet, la classe reste un tout, une sorte d'unité affective pour
ce qui concerne la rédaction et le choix des textes. Au début de l'année
seulement nous faisons rédiger une texte séparé aux élèves débutants,
texte qu'ils composent avec une casse spéciale et qui est ensuite tiré
séparément ou "joint à l'imprimé des grands.
Mais
nous faisons texte unique pour le C. E. et le C. M.
On
pourrait croire qu'en procédant ainsi, les grands seuls rédigeront,
les jeunes se contentant de suivre. L'expérience a montré au contraire
que le texte est rarement choisi pour sa valeur littéraire, mais presque
toujours pour son contenu vivant. Et ce contenu vivant, cette capacité
de sentir intimement le pouls de la classe ou du village, les plus jeunes
enfants la possèdent au moins autant, sinon plus que leurs aînés souvent
déformés déjà par la scolastique.
Puérilité
pour nos grands élèves ?
L'expérience encore a montré que non et que ceux-ci se
passionnent tout autant par des textes d'enfants de 9 ans que pour les
leurs propres. Cela serait, oui, si tout notre travail était concrétisé
par ce texte. Mais celui-ci n'est que le ferment affectif, que l'élément
vital qui va nous permettre d'animer toute notre classe.
Nous
ne disons pas qu'il ne puisse pas y avoir d'avantage à une autre conception
du travail scolaire. Nous préférons, nous, garder à la classe cette
unité psychique qui nous aidera à centrer harmonieusement notre effort.
Nous
verrons comment, grâce à la polycopie ou à la machine à écrire notamment,
un C.M. ou un C.S. peuvent compléter et mettre à leur mesure technique
ces textes enfantins.
***
Si
un événement exceptionnel invite à la rédaction collective d'un texte,
on se met à la besogne. Cela arrive assez. fréquemment avec de jeunes
enfants, plus rarement dans nos classes de niveau plus élevé.
Nous
sommes habituellement en présence d'un nombre variable de rédactions
libres ou de rédactions de groupes obtenues comme nous l'indiquerons
plus loin.
Chaque auteur vient donc, en tête de la classe, lire
sa rédaction. C'est là un exercice d’une portée pédagogique insoupçonnée.
C'est plus que le meilleur des exercices : c'est l'aboutissement
des efforts de l'enfant pour extérioriser sa
personnalité et élargir son champ d'action. Inutile de
dire : Applique-toi à la lecture, lis couramment, donne une bonne
intonation. Le jeune auteur se rend très vite compte de ces nécessités
pour la mise en valeur de son oeuvre. S'il ne lit pas couramment, il
apprend parfois son texte par cœur ; il en accompagne la lecture
de gestes expressifs. Il rougit comme sous l'effet d'un effort sans
précédent.
S'il
sent une réaction prometteuse de son auditoire, il s'en retourne fièrement
à sa place, plein d'espoir.
Nous
inscrivons au tableau le titre. de chaque rédaction, puis nous passons
au vote (il arrive parfois que le nombre de rédactions est tellement
grand qu'on doit ajourner au lendemain la lecture d'une partie d'entre
elles).
Le
vote se fait à main levée, à la majorité absolue de tous les élèves
au premier tour, à la majorité relative au second tour.
Et
qu'on ne croie pas qu'il s'agit là d'une simple singerie diplomatique.
Si nous procédons ainsi, c'est que nous avons reconnu à l'usage que
cette façon de procéder est seule capable de déceler avec sûreté le
véritable centre d'intérêt de la journée.
L'instituteur
pourrait certes, comme l'ont tenté quelques camarades, ramasser les
copies qu'il lirait le soir à tête reposée pour apporter le lendemain,
et l'offrir à ses élèves, le texte qui lui paraît le meilleur. il s'étonnerait
peut-être au début en constatant que bien souvent, ce texte n'éveillerait
pas plus d'intérêt que les habituelles pages de manuels.
L'instituteur
devrait-il alors décider sur le champ pour l'imposer à la classe, le
texte qui lui paraît répondre le mieux à, l'ensemble de nécessités scolaires
et pédagogiques du jour ? L'expérience nous prouve encore, avec
certitude, que cinq fois sur dix le choix de l'instituteur ne satisferait
pas les enfants.
Nous
avons naturellement le droit de vote. Or, il arrive fréquemment que
nos favoris mordent la poussière. Et cela ne saurait nous étonner. Malgré
la révolution pédagogique que nous avons accomplie, nous ne voyons pas
encore la vie avec les yeux d’enfants, nous ne vibrons pas au même rythme
que nos élèves et nous risquerions encore de nous tromper bien souvent
sur leurs besoins.
Il
n'y a qu'un moyen infaillible pour éviter cette erreur capitale qui
nous ferait passer à côté de l'intérêt fonctionnel : s’en remettre
totalement aux enfants pour le choix du texte. Cela nous est parfois
pénible : tel sujet cadrerait si bien avec nos propres préoccupations,
il susciterait tant de possibilités documentaires alors que nous semble
si insignifiant le choix obstiné de nos élèves. Qu'y faire pourtant ?
Contrecarrer les besoins intimes des enfants et susciter à nouveau toutes,
ces attitudes inhibitrices d'activité et de vie, ou suivre hardiment
le courant impétueux.'
Notre
choix est fait ; nous ne l'avons jamais regretté.
Mais
ce vote, dira-t-on. encore, tout comme tant de votes démocratiques,
n’est pas totalement libre. Des considérations étrangères à la valeur
du texte entrent en jeu ;... on votera parfois plus pour l'auteur
que pour son travail,...
Préoccupation
bien digne d'adultes déformés par ce souci exclusif de fausse camaraderie.
Chez les enfants, à de rares exceptions près, c'est la vie qui domine.
Un texte est presque toujours demandé, quelle que soit la personnalité
de son auteur, s'il exprime vraiment un « moment » de la collectivité.
Par contre, lorsque l'intérêt est moins rigoureusement impératif, la
camaraderie peut jouer dans une large mesure. Et c'est fort bien. Qu'un
mauvais camarade se voie refuser un texte pour la rédaction duquel
il s'était tant donné, lui sera une des meilleures leçons que dispense
la vie.
Ce
que nous pouvons dire toutefois, c'est que, dans la pratique, le choix
qui résulte de ce vote répond dans l'ensemble aux besoins des enfants,
bien mieux en tous cas qu'un choix opéré par l'éducateur lui-même.
La
foule, dira-t-on encore, est souvent illogique. Les meilleurs élèves
emporteront toujours les suffrages; les autres, découragés, suivront
passivement.
C'est
ainsi, en effet, que les faits se passeraient avec des adultes déformés
par la charme de la littérature. Les enfants eux, vont plus directement
à l'idée. Et notre pratique montre encore surabondamment qu'un texte
est choisi bien plus pour son contenu actif, vivant et humain, que pour
1es formes d'expression et d'extériorisation. C'est pourquoi d'ailleurs
des élèves « forts en rédaction » selon les critères de l'ancienne
école, se voient si souvent préférer un jeune ignorant, salis aucune
technique scolastique d'aucune sorte mais qui, tout comme les bardes
illettrés de nos villages d'autrefois, sent les besoins obscurs de la
masse et apparaît, comme le porte-parole instinctif de la communauté.
Et
s'il y en a qui ne présentent jamais de rédaction ?
La
motivation née de l'imprimerie et des échanges interscolaires est pratiquement
si puissante qu'aucun enfant normal n'y résiste. Ah ! certes,
tous n'ont pas la même, loquacité : de même que les uns parlent
beaucoup et sans raison parfois, d'autres sont concentrés et mesurés.
Il en est de même pour la rédaction : les uns éprouvent le besoin
d'écrire un texte par jour ou même plusieurs ; d’autres au contraire
mûrissent longtemps leur pensée avant de la confier au papier. Mais
il serait erroné de croire qu'obliger ceux-ci à des rédactions périodiques
améliorerait leur nature et modifierait leurs aptitudes. On ne parviendrait
qu'à les refouler davantage encore et à leur donner un peu plus cette
répulsion instinctive pour la rédaction.
Nous
respectons, au contraire, ce rythme particulier, Mais un beau jour,
sous l’effet d'un besoin puissant, l'enfant apportera une rédaction
qui sera la plus personnelle et la plus intime des extériorisations.
L'effort que nécessitera la lecture, de l’œuvre, l'émotion qui accompagne
le vote, le triomphe, la joie de voir son oeuvre précieuse imprimée
et divulguée, tous ces éléments, ne se rencontreraient-ils que deux
fois par an, ont plus d'importance et de portée éducative que les rédactions
que vous auriez pu imposer deux fois par semaine.
Le
fait essentiel est là et la pratique de cette technique dans plusieurs
centaines de classes en prouve la supériorité, incontestable :
par ces procédés nous mettons à jour avec sûreté le texte qui répond
le mieux aux besoins fonctionnels et aux désirs psychiques de la majorité
de la classe.
Cette
pratique n'est cependant pas obligatoire. Il y a celle de notre ami
Roger (Nord) qui laisse les enfants entièrement libres de rédiger,
de composer et d’imprimer lorsque bon leur semble, individuellement
ou par groupes - technique presque idéale qui, malheureusement, s’accommode
mal à notre avis, des nécessités pédagogiques dans notre école actuelle.
Il
y a les partisans du travail par groupes selon la méthode Cousinet,
qui conçoivent, rédigent et impriment par groupes et ne soumettent les
textes à leurs camarades que lorsqu'ils ont acquis leur forme définitive.
Nous
préférons, quant à nous, une technique moins idéale souvent, mais qui
vivifie et anime toute la classe et contribue à la puissante harmonisation
de notre activité.
***
Le
texte est donc choisi. Cette besogne nous a demandé de 10 à 20 minutes
salon l'abondance des travaux. Il s'agit maintenant de donner au texte
choisi sa forme parfaite et définitive.
Si
nous avions affaire à des enfants parlant un français déjà très pur,
nous pourrions être souvent en face de textes à peu près parfaits. Dans
la pratique, dans les campagnes surtout, notre besogne est compliquée
par les patois, les dialectes de travailleurs étrangers qui se mêlent
étrangement aux premières notions de français.
Il
en résulte dont que les textes choisis nécessitent presque toujours
une mise au point syntaxique et orthographique.
Si
l'auteur est un élève du cours moyen il ira lui-même copier son texte
au tableau, sous la surveillance et la collaboration active de tous
les enfants, (excellent exercice pour l’intéressé). Avec des enfants
plus jeunes, l'instituteur peut se charger de cette besogne.
Il
ne s'agit d'ailleurs là, nous l'avons dit, que d'une mise au point syntaxique
et orthographique, sans modifier en rien le contenu et le sens du texte.
Quelques précisions peuvent être certes apportées par ci par là par
l'ensemble de la classe, avec l'assentiment de l'auteur. L'essentiel
c'est que nous restions en présence d'une oeuvre d'enfant exprimant
dans toute son originalité la pensée enfantine.
Cette
mise au point est, on le conçoit, d'un grand intérêt pédagogique :
elle montre aux enfants les phases diverses de la construction grammaticale
et littéraire, elle fait vivre devant eux les mots et les phrases, les
rend sensible à l'harmonie constructive du tout et les familiarise avec
les diverses notions syntaxiques dont l'école ne donne la plupart du
temps qu'une idée superficielle et formelle.
Le
texte est maintenant prêt.
Nous
désignons, par notre liste, les élèves compositeurs. Nous donnons à
chacun son travail précis, une ligne, deux lignes, un paragraphe.
Ils
vont à leur besogne et la classe continue son travail.
***
C'est.
ici que l'affaire bifurque et se complique.
Nous avons
trouvé le centre d'intérêt susceptible d'intéresser au maximum notre
classe, centre d'intérêt qui n'est d'ailleurs pas rigide et exclusif,
d'autres intérêts secondaires révélés au cours de la discussion pouvant
s'y greffer utilement aux divers degrés.
Les avantages de notre technique ne sont alors qu'amorcés.
Si, en effet, nous nous contentions maintenant de composer et d'imprimer
ce texte d'une part pour continuer d'autre part, dans sa forme scolastique
traditionnelle, notre travail ; si nous reprenions les manuels
pour la grammaire, le calcul, la géographie, les sciences, nous n'aurions
fait que produire dans notre classe une lueur de vie trop tôt éclipsée,
nous aurions suscité des espoirs qui, en définitive ne rendraient que
plus difficile l'accoutumance aux pratiques dogmatiques imposées ;
nous aurions toujours d'une part cette activité fonctionnelle à laquelle
on se donne corps et âme et dont les possibilités seraient infinies,
et d'autre part la scolastique rebutante et morte, inhibitrice des énergies
vitales - contradiction qui ne peut être que provisoire, et qui doit
nécessairement se terminer par le triomphe de l'une ou l'autre technique,
par la victoire ou la défaite de l'activité et de la vie.
Et c'est là le nœud essentiel de notre technique.
Comment allons-nous, pratiquement, exploiter pédagogiquement cet intérêt
vital ainsi suscité pour que les avantages incontestables de notre activité
créatrice puissent vivifier les diverses disciplines.
Nous
allons indiquer ce que nous avons réalisé dans notre classe, et qu'ont
pu réaliser d'autres camarades grâce au matériel coopératif que nous
avons conçu et créé. Nous ne cacherons pas certains insuccès, certaines
impuissances qui ne feront d'ailleurs que mettre en lumière l'apport
considérable de notre technique au problème difficile de l’école prolétarienne
vivante et génétique.
***
Il est 8h40 ou 9h. environ. Un groupe d'élèves compose.
Il s'agit de donner immédiatement leur tache aux diverses divisions.
Nous
jetons, tous ensemble, un coup d’œil sur le texte journalier ;
nous faisons, si nécessaire, quelque rapide observation et nous inscrivons
au tableau pour chaque division, un petit exercice de grammaire se rapportant
au texte et qui s'encastre cependant dans notre schéma global d'études ;
le verbe surtout, élément actif de la phrase, a besoin d'être connu
au maximum. Aussi faisons-nous de nombreux exercices de conjugaison
en partant toujours des idées et des formes dominantes dans le
texte. Les petits pourront être occupés à un exercice de reconnaissance.
de noms, de verbes, etc...
Nos
enfants ont tous, alors, du travail pour 15 à 30 minutes :
-
Copier sur leur cahier le texte choisi. Cette copie est faite généralement
par tous les élèves. Exceptionnellement les grands pourront y substituer
d'autres activités que nous allons mentionner.
-
Illustrer ce texte sur le cahier ou sur une feuille spéciale, les meilleures
illustrations devant être ou polycopiées ou gravées au lino pour accompagner
notre page imprimée.
Nous
accordons à cette illustration une grande importance psychique. Le dessin
est, avant tout, expression profonde de l'être. Le dessin libre, non
asservi ni à la forme ni même à la pensée qui constitue le centre d'intérêt
fond en une même oeuvre les potentialités diverses, harmonise l'effort,
donne aux enfants l'occasion de se réaliser pour repartir avec allant
pour la conquête des diverses disciplines.
-
Travail de grammaire.
Et,
effectivement après cette mise en train en apparence longue et laborieuse
la ruche se passionne maintenant à un travail où chacun met encore le
meilleur de lui-même, sans surveillance spéciale ni sanction. L'expérience
nous a prouvé notamment que la copie du texte est toujours faite avec
plus d'application que les copies interminables qu'on impose dans les
écoles. De très bonne heure, les enfants parviennent dans cette tâche
à une perfection calligraphique et. orthographique remarquables.
Nous
allons mettre à profit ce répit pour préparer des travaux de calcul
se rapportant à notre centre d'intérêt.
Tâche
excessivement délicate, une des plus difficiles qui se présentent à
nous, pour laquelle nous avons longtemps tâtonné avant d'être à pied
d’œuvre pour les réalisations qui permettront un profond renouvellement
dans la discipline arithmétique : un centre d'intérêt est là: il
faut, sur le champ, instantanément, présenter aux enfants les calculs,
les recherches, les problèmes qui s'y rapportent tout en encastrant
notre activité journalière dans le processus d'acquisition nécessité
par les programmes.
Si
nos classes étaient les domaines de paix que nous rêvons, ou les enfants
oeuvreraient librement selon les lignes de leurs intérêts dominants
et de leurs possibilités, nous attendrions patiemment. La vie enseigne
plus sûrement et plus profondément que le livre ou les fiches. Mais
elle n'enseigne pas au gré des hommes ni au gré des programmes et, pour
la discipline, qui nous occupe, elle risquerait souvent hélas !
de mécontenter nos critiques et nos juges.
Force
nous a donc été de trouver un moyen terme entre l'école idéale et les
obligations qui nous sont imposées. Ce moyen terme c'est le fichier
de calcul que nous avons imaginé et dont nous avons commencé la
réalisation.
Au Cours Préparatoire, nous ne sommes pas encore talonnés
par les programmes et les examens. Nous pouvons là, pour peu que les
inspecteurs soient compréhensifs et accommodants, faire une besogne
profonde d'initiation mathématique par la vie véritable : mesures
diverses en classe ou hors de classe, pesées (d'animaux que la Coopérative
élève), calculs simples sur les sujets qui nous intéressent, et, pour
les cas où cette initiation vivante ne nous paraît pas possible, par
notre Initiateur Mathématique Camescasse.
Grâce
à ces diverses techniques simples et vivantes, l'enfant peut et doit
acquérir sans dogmatisme les notions d'addition et de soustraction et
la pratique de ces opérations. Il acquerra de même le sens de
la multiplication et de la division. Mais la technique de ces opérations
est plus compliquée et demande déjà, à cet âge, des exercices
formels et répétés. Ces exercices sont parfois distribués et imposés
au hasard, sans qu'une attention suffisante soit accordée à la
gradation nécessaire pour vaincre avec le moins de peine possible les
difficultés multiples.
Nous sommes sur le point d'éditer (sur fiches et
en livret) les travaux précieux réalisés en Amérique par Washburne,
de Winetka. Après une enquête approfondie menée sur de nombreux enfants,
Washburne a pour ainsi dire taylorisé les efforts nécessaires pour se
rendre maîtres de cette technique.
Avec
cet outil, plus d'exercices inutiles, plus d'erreurs pédagogiques accumulant
les difficultés, mais une montée régulière et permanente vers la maîtrise
arithmétique.
Nous
ne préconisons d'ailleurs pas l'emploi à dose massive de ce fichier
qui sera utilisé en même temps que notre véritable fichier de calcul.
Seulement les enfants qui sentent la nécessité d'acquérir cette technique
auront à leur disposition un outil à peu près parfait.
Car
notre fichier de calcul a des assises pédagogiques bien plus sûres et
des possibilités autrement éducatives. Il tend à rendre vraiment pratique
l'étude mathématique liée à la vie et aux intérêts dominants des enfants.
Le
fait suivant n'est plus aujourd'hui un secret pour personne : si
l'enfant ne comprend ni le sens ni la portée des problèmes que vous
lui posez ; si ceux-ci ne sont pour lui que des exercices formels
qu'il tente de résoudre formellement, non pas avec son intelligence
et son cœur, mais avec sa mémoire, l'école travaille pour ainsi dire
à vide et les résultats pratiques obtenus sont toujours disproportionnés
à la somme de peines et d'efforts que se sont imposes maîtres et élève.
Qu'un jour, au contraire, un événement social ou scolaire fasse sentir
aux enfants la nécessité de certains calculs, que soit puissamment motivée
leur activité, ils pourront approfondir en quelques minutes ce que des
heures de leçons n'avaient pu leur faire comprendre ; ils apprendront,
avidement, dans un laps de temps étonnamment court tout ce que votre
habileté n'avait su obtenir d'eux. C'est le triomphe scolaire de l'intérêt
génétique, de la vie qui, seule, réalise et construit, par des voies
souvent encore mystérieuse.
C'est
à ces forces nouvelles que nous faisons appel.
Mais
il ne suffit pas de prêcher cette nécessité aux éducateurs, encore faut-il
leur en rendre possible la pratique. Ce que l'Imprimerie à l'Ecole a
réalisé dans ce sens pour la rédaction et la lecture, notre fichier
de calcul le réalisera pour l'acquisition mathématique.
***
Un
centre d'intérêt nous a donc été révélé par la rédaction libre telle
que nous l'avons pratiquée. Ce centre d'intérêt n'est pas forcément
étroit et rigide, Ce n'est pas parce que notre texte parle aujourd’hui
d'une carriole que nous n'accepterons que les intérêts se rapportant
directement à la carriole. Ce serait là une conception scolastique et
étriquée de notre idée des centres d'intérêt.
Nous
suivons l'intérêt de l'enfant. Au cours de la mise au point collective,
au cours des discussions qui accompagnent souvent cette mise au point,
des pistes diverses et multiples surgissent, plus objectives avec de
jeunes enfants, plus scientifiques, plus savantes déjà avec nos grands
élèves.
Des
questions sont posées. Nous cherchons les documents dans notre fichier,
dans les livres de la Bibliothèque de Travail. Si les réponses ne satisfont
pas. encore totalement notre curiosité, nous préparons des demandes
à nos correspondants ; nous déléguons peut-être un ou deux élèves
qui vont se renseigner sur place dans un atelier du village, auprès
d’un artisan on d'un commerçant.
Il peut en résulter une certaine déviation de la
ligne initiale du centre d'intérêt. Des calculs d'un certain ordre peuvent
apparaître comme passionnant tout spécialement nos enfants. Voilà la
voie idéale dans laquelle nous devons, sans hésitation, nous engager.
Nous
avons parlé de recherches de documents.
Nous
avons, en effet, prévu dans notre fichier des Fiches documentaires :
les unes sont imprimées à l'avance et donnent les indications
immuables dont nous avons besoin pour nos différents calculs. D’autres
en blanc, ou munies de questionnaires, guideront les recherches des
élèves.
L'essentiel
est que nous puissions avec profit puiser dans ces fiches pour y trouver
les renseignements sûrs dont nous avons besoin, ou les indications pratiques
pour nous les procurer.
S'il
s'agit de carrioles par exemple, nous devons y trouver : comme
permanentes, toutes les indications concernant les roues, leur diamètre,
leur circonférence, la résistance des bois et, des métaux, le calcul
du centre de gravité – comme modifiables, selon les régions : charge
maxima de tel ou tel véhicule, force déployée par les chevaux attelés
de telle ou telle façon, prix des véhicules et des chevaux, prix et
poids globaux des charretées de divers produits, etc...
Nous
sommes maintenant munis de documents précis, adaptés au milieu et à
la vie, tirés de la vie, qui font au maximum corps avec les élèves.
Il nous reste à susciter et à faciliter les calculs correspondants.
***
Munis
de ces documents, nous avons à résoudre une difficulté essentielle qui
peut se présenter sous deux formes connexes : il faut que, nous
soyons en mesure maintenant de bâtir des problèmes qui possèdent les
qualités pédagogiques suivantes : ils doivent répondre aux nécessités
du programme, pousser à l'étude de questions qui correspondant au niveau
des enfants, n'être donc ni trop faciles, ni trop difficiles, avoir
un but et un sens.
Ces
problèmes de plus, doivent pouvoir être établis par les enfants eux-mêmes.
A défaut le maître pourra s'y employer, cette deuxième alternative n'étant
qu'un pis-aller.
Nous avons rendu cette pratique possible par ce que nous
appelons nos fiches mères qui indiquent les modèles de problèmes pouvant
être établis dans tel et tel sens, par tel ou tel degré, pour un centre
d'intérêt donné. Dans l'établissement de ces fiches réside le point
délicat de notre fichier.
Muni
de ces documents, un de nos grands élèves va collaborer avec les élèves
du C.P. et C.E. 1re année pour l'établissement d'un problème
lié au centre d'intérêt.
Nous
procédons de même à la préparation d'un problème par le C.E. 2e
année. Nous nous mettons ensuite au même travail pour le C.M. et S.
Toutes les fois que c'est possible, nous donnons un problème
commun au C.E.2e année et au C.N. et S. en ménageant, pour
ces derniers, quelques difficultés supplémentaires.
Nous attirons l'attention sur l'importance pédagogique
de cet effort de préparation des problèmes, souvent aussi profitable
que 1a résolution elle-même. Les quelques ennuis de préparation et de
recherche, les imperfections techniques parfois, les erreurs - que nous
corrigerons en commun ‑ contribuent à donner à l'enseignement
mathématique un sens nouveau, à le rattacher à la vie, à y faire prédominer
l'intérêt, la recherche personnelle et l'effort intelligent de création.
Nos élèves sont maintenant au travail. Quand ils auront
résolu le problème établi, ils pourront aller chercher dans nos fiches
d'exercices des problèmes se rapportant au même centre d'intérêt
correspondant à leur niveau, et dont ils entreprendront librement la
résolution.
Cette
activité nous a menés aux environs de 9h.15 - 9h30 selon les jours.
Pendant que les uns terminent peut-être leur travail
de grammaire, que d'autres font leurs exercices de calcul, que les compositeurs
achèvent leur besogne qui ne les a pas empêchés d'ailleurs de suivre
la vie de la classe, l'instituteur est libre maintenant pour faire lire
le texte au tableau en surveillant individuellement le travail des élèves.
Il
lui restera même le temps de préparer le travail subséquent de la manière
suivante :
Notre
fichier scolaire. (Fichier Scolaire Coopératif : 400 fiches
carton 13,5x21 imprimées et 100 fiches carton nues avec classeur. (Se
fait également sur papier). Ed. de l'Imprimerie à I'Ecole.) est classé
selon la méthode décimale qui nous permet de trouver instantanément
toutes les fiches se rapportant au centre d'intérêt étudié. Nous recherchons
ces fiches, aidés peut-être dans cette besogne par quelque grand élève
soigneux et consciencieux. Et nous avons maintenant à notre disposition
15, 20, 30 fiches se rapportant à ce centre d'intérêts et dont l'étude
va étrangement élargir notre horizon culturel, répondre merveilleusement
à notre soif de connaissance, à cet enrichissement qui est une des raisons
d'être de l'école.
Nous avons là, en effet, des documents pour tous les
goûts : des vues historiques ou géographiques, des textes de grands
écrivains, d'enquêtes de correspondants, des relations anecdotiques
se rapportant à des films que nous projetterons des textes de disques
que nous allons auditionner, des modèles divers de travaux manuels.
Vous
sentez là le nœud de notre travail : par l'imprimerie nous avons
permis aux besoins fonctionnels de se révéler, à la vie de s'affirmer
dans son entière et complexe originalité. Nous avons maintenant de quoi
nourrir, dans tous les sens, cet appétit que nous avons au entretenir
et motiver.
Tout
cela sans dogmatisme. La pédagogie ancienne établissait d'avance, présentait
et imposait les études diverses prévues au programme, en essayant d'intéresser
superficiellement les patients.
Nous
suivons, nous, le chemin inverse nous conservons à l'enfant, intégralement,
son appétit de savoir. Nous lui présentons les outils, les documents,
les techniques qui lui permettront d'assouvir cet appétit.
On
voit aussi que nous ne rétrécissons pas sur elle-même la vie enfantine.
On nous ferait plutôt le reproche contraire, celui de lui offrir trop
d'aliments, de lui ouvrir à la fois trop de portes, d'élargir prématurément
son horizon, au risque de le voir papillonner entre des activités mal
coordonnées. Danger véritable pour l'élève passif de l'ancienne école,
illusoire pour des enfants qui savent ce qu'ils veulent et le veulent
puissamment, avec une décision et une obstination parfois brutales qui
nous étonneraient.
« Enseigner
peu mais bien », disait la vieille école, habituée au travail imposé
dont on se délivre dès que cesse l'obligation. Ouvrir le maximum de
richesses pour que l'enfant y puise son miel, non pas au hasard des
rencontres, mais selon les nécessités vitales du puissant intérêt générateur
d'activité qui caractérise notre technique.
Ces
fiches donc, nous les mettons sous transparent dans nos liseuses spéciales
(Liseuses métal face rhodoïd, format 13,5/21 ou 21/27. (Voir notre tarif).
Les plus intéressantes sont immédiatement exposées au mur, ou à l'emplacement
réservé pour l'observation si possible. Aux moments libres, dès qu'un
travail est fini, en rentrant ou en sortant, pendant les récréations
peut-être, les enfants les examinent. C'est comme une sorte de décoration
mobile qui a animé les murs des éléments répondants à notre intérêt,
une atmosphère nouvelle qui imprègne la classe, comme le prolongement
naturel de nos recherches, la vie qui a mis bas jusqu'à la décoration
traditionnelle de nos classes.
Ces
fiches seront ensuite étudiées plus attentivement aux moments de travail
libre dont nous allons parler. L'instituteur petit accidentellement
lire celles de ces fiches qui répondent le mieux aux questions que nous
nous étions naturellement posées au cours de notre travail antérieur,
qui complètent notre effort, qui instruisent d'une manière idéale et
éminemment profitable.
Cette
activité nous, mène jusqu'à 9h45, heure de la récréation. Déjà, diront
certains élèves qui resteront d'ailleurs en classe pour terminer leur
travail. Déjà ! dira aussi l'éducateur.
Comment,
diront quelques camarades, peut~on faire en deux heures tout ce que
vous venez ainsi d'énumérer ?
Ah ! certes, notre classe ne ressemble point
aux classes habituelles où le maître assis surveille ses élèves tous
occupés à une tâche monotone. Notre classe est une ruche au travail,
où la besogne, collective dans sa ligne générale reste éminemment souple
pour se mettre au rythme de chaque élève : celui qui a vite terminé
sa copie pourra se plonger longtemps peut-être dans l'exécution de ce
dessin ; un tel qui a rapidement liquidé la grammaire, s'attardera
au calcul ou contemplera nos fiches. Nous n'affirmons pas qu'il n'y
ait parfois, apparemment, un peu de temps perdu : l'inspecteur
dérouté appellera ainsi la minute employée par l'élève à lire une fiche
qui lui apporte un incontestable enrichissement ; il ne s'émeut
point au spectacle de ces enfants qui piétinent en attendant les autres,
s'amusent ou rêvent à leur vie que l'école néglige, mais qui restent
sagement assis et se taisent.
Les
travaux chez nous s'exécutent rapidement. Comme dans la vie : on
fait consciencieusement la besogne qu'on s'est tracée, mais on la fait
le plus vite possible pour s'occuper ailleurs. C'est ici à qui travaille
le plus, à qui acquiert le plus. Cette nouvelle atmosphère scolaire
compense, et au-delà, les quelques petite inconvénients nés des nécessités
parfois difficiles du travail en commun.
Et l'éducateur ? Nous lui demandons, certes, davantage,
mais nous le délivrons de l'ennui et de la routine ; nous lui redonnons
de l'intérêt et de la vie. Tout comme l'enfant, il ne mesure plus sa
peine ; il oublie de s'asseoir et de rêver passivement au moment
où il sera libre lui aussi. Il travaille ; il vit ! Il vit
au milieu des enfants à un rythme et avec une intensité qu'il n'avait
jamais connus. Il reprend goût à la pédagogie et à l'école. Et, spontanément,
il se donne tout entier à son travail.
Si
même notre technique avait de graves défauts, nous pensons qu'ils seraient
largement atténués par ce dynamisme nouveau dont nous animons l'éducateur,
par cette joie collective de l'effort, par cette idéalisation du travail
créateur et régénérateur.
Ce
ne sont point là, des affirmations. Si la place ne nous était mesurés,
nous pourrions donner ici par dizaines des attestations enthousiastes
et émouvantes de ces adhérents à qui l'Imprimerie à l'Ecole a apporté
une raison de se dévouer à leur tâche, une raison de vivre. Cette conquête
est pour nous la meilleure des récompenses, la preuve incontestable
de l'excellence de notre technique.
***
Il
faut que nous mentionnons ici l'avantage pédagogique de l'emploi d'une
machine à écrire, pour le degré moyen et supérieur surtout.
Parmi les rédactions écartées, il y en a un certain
nombre qui seraient d'un grand intérêt pour nos correspondants et qu'il
est regrettable de laisser perdre. Dans la plupart des classes l'auteur
copie ces documents sur un cahier spécial qui sera communiqué aux camarades
éloignés. Mais la copie n'est faite ici qu'à un exemplaire, alors que
la machine a écrire donnera au. papier carbone sept à huit copies bien
plus élégantes et définitives dans leur forme.
Avec
de grands élèves, on a assez fréquemment des textes plus spécialement
documentaires, qui comme tels justement, parce que trop froids, ont
été écartés par la ruasse des élèves. L'auteur les tape à la machine,
sur fiche, à plusieurs exemplaires. Il garde un de ces exemplaires dans
son livre de vie, les autres exemplaires pouvant être adressés aux correspondants
ou distribués aux autres élèves de la même division.
Même
utilisation pour l'histoire : Les enfants écrivent des textes d'une
portée historique incontestable ; !le recherchent dans les livres
des documents éparpillés qui gagneraient à être réunis sur fiche et
ajoutés à la chronologie mobile d'histoire de France.
Si
nous ajoutons que la machine à écrire a, comme l'imprimerie, un puissant
attrait, qu'elle apporte une sorte de motivation précieuse à l'effort
enfantin, on comprendra que nous recommandions à tous nos camarades
qui le peuvent, d'acquérir, pour la mettre, comme l'imprimerie à l'Ecole,
au service des enfants, une machine à écrire. Nous avions trouvé, en
occasion, et pour le prix abordable de 2 à 300 fr., des machines à barillet,
marque Mignon ou Génia, pratiques parce que très solides,
d'apprentissage très rapides. Quelques camarades ont trouvé pour 2 ou
300 fr. également, de vieilles machines à clavier qui leur donnent satisfaction.
***
Récréation. Le texte est composé. Il est déjà prêt sur
la presse. Si tout n'est pas entièrement au point, les responsables
terminent, car ils sacrifient volontiers à cette besogne quelques minutes
de leur recréation.
***
Dix
heures. Le travail reprend. Jusqu'à 11 heures, notre activité sera une
des plus fécondes de la journée.
Il
s'agit d'abord d'illustrer, avec un cliché linoléum ou à la polycopie,
le texte prêt à être imprimé. Nous examinons les dessins libres produits
dans la matinée, Nous faisons si possible les enfants juges de ceux
qui méritent d'être reproduits. Et l'auteur se met à graver ou à repasser
son dessin à l'encre spéciale, Ce travail sera terminé si nécessaire,
à 11h. ou avant la rentrée de 13h.
Nous
corrigeons ensuite rapidement les exercices de grammaire donnés le matin,
puis nous passons au véritable travail grammatical, nouveauté profonde
inaugurée et permise par notre technique.
« On
n'enseigne pas la langue en l'expliquant, mais en la vivant »,
disait J.Ligthart. L'ancienne école ne comprenait la grammaire que comme
une explication et une analyse apparemment scientifiques. Nous construisons,
nous, une langue vivante et souple, et c'est dans l’enthousiasme de
cette construction que les enfants acquièrent, subconsciemment d'abord,
formellement ensuite, les principales notions grammaticales.
Ce
faisant, nous restons totalement dans l’esprit des Instructions ministérielles
Françaises de 1923 :
« De
même qu'il doit être simple, disent ces Instructions, l'enseignement
grammatical doit être concret. Le maître doit partir des textes placés
sous les yeux des enfants pour leur faire comprendre la fonction habituelle
du nom, de l'article, de l'adjectif, du pronom et du verbe. Il ne
s'agit pas de formuler des définitions abstraites dont une connaissance
plus approfondie de la langue ferait vite apparaître le caractère artificiel.
Il s'agit d'amener les enfants, par la pratique du langage parlé
ou écrit, à classer avec une suffisante précision les formes verbales
sous les rubriques que les grammairiens ont imaginées pour mettre un
peu d'ordre dans le chaos des réalités linguistiques ».
C'est
la condamnation formelle du procédé grammatical qui consistait à « apprendre
les mots puis les principes grammaticaux sous forme de règles et finir
par la syntaxe pour arriver à parler et à écrire (Dr Decroly :
Revue de l'Enseignement, n° du 29 janvier 1928.).
« Le
procédé grammatical est, en effet, le procédé classique préféré par
beaucoup de professeurs. Ce qui semble cependant établi par la pratique,
c'est qu'il est un moyen peu sûr pour faire acquérir le maniement de
la langue usuelle et qui, lorsqu'il y réussit, on ne peut affirmer que
d'autres facteurs n'y aient contribué pour une part plus ou moins large.
Ce qui est évident, c’est que peu de cerveaux s'y adaptent avec facilité
et que beaucoup ont, à, cause de lui, un dégoût pour l'étude (Dr Decroly :
L'application de la fonction globale dans l’enseignement, (N° du 25
mars de la Revue de l'Enseignement.).
Les études sur la stylistique et sur la grammaire
elle-même par Bailly, de Saussure, Séchehaie, Brunot et d'autres, ont
bien montré l'impuissance où l'on est d'atteindre, par le travail grammatical
habituel la structure des formes verbales les plus courantes et les
plus intéressantes. »
Nous
allons même plus loin. Nous savons que l'enfant apprend normalement
et naturellement à parler une langue parfaite sans aucune leçon scolastique,
sans même la moindre remarque sur la structure de cette langue. Son
esprit d'imitation, son vivant besoin de perfection y suffisent. Nous
sommes persuadés de même que l'enfant peut et doit arriver à écrire
une langue parfaite par le seul exercice vivant de cette langue, sans
aucune leçon scolastique. Et ce n'est que pour satisfaire aux programmes
et aux inspecteurs que nous enseignerons aux enfants à distinguer la
nature et la fonction des mots employés, à analyser les parties du discours,
certains que nous sommes que cette connaissance ne leur apportera aucune
facilité nouvelle pour écrire sans erreur. C'est peut-être même le contraire
qui se produira ; pour la majorité de nos élèves destinés à rester
ouvriers et paysans, la possession subconsciente et comme instinctive
de la langue, serait plus précieuse qu'une demi-connaissance formelle
qui amène souvent l'hésitation, le trouble et le doute dans la pratique
de l'écriture.
Nous
suivrons donc le conseil de Tolstoï :
« Ecartez
les définitions grammaticales et syntaxiques, les subdivisions des parties
et des formes du discours et les règles générales, mais obligez l'élève
à faire usage des formes du discours, sans les lui nommer, principalement,
à lire le plus possible en comprenant ce qu'il dit, et à écrire quelque
chose de son invention » (Cité par Ch.L.Baudoin : Tolstoï
éducateur (Delachaux, éd.)).
Nous
ne pouvons pas entrer ici dans le détail de cette technique de l'initiation
grammaticale, technique qui a fait l'objet d’une série d'articles parus
dans l'Imprimerie à l’Ecole (année 1931-1932) sous le titre :
Grammaire Française en quatre pages par l'Imprimerie à l’Ecole. Nous
nous contenterons de donner la ligne générale de notre technique et
les recommandations qui vous permettront de tirer de nos textes le maximum
de profit grammatical et syntaxique.
Le
principal devoir de grammaire, et le plus profitable, est la rédaction,
individuelle, par groupes, ou en collaboration avec le maître, pourvu
que cette rédaction ne soit pas un devoir mais bien l'expression d'une
pensée qui a besoin de jaillir.
Commençons
par bien examiner le texte au tableau, démontons-le en quelque sorte
devant les enfants pour en montrer la structure génétique, arrêtons-nous
sur la fonction des mots, sur leur rôle dans le discours, sur les conséquences
orthographiques de ces fonctions.
Nous
faisons cet examen chaque jour sur le texte choisi et nous trouvons
que c'est là un des exercices les plus intéressants au point de vue
grammatical et des plus profitables.
Dans
les Cours élémentaire, moyen et supérieur, puisqu'il faut un minimum
de grammaire formelle, donnez à conjuguer aux temps usuels, accidentellement
à quelques temps plus exclusivement scolastiques, quelques verbes et
expressions tirés du texte. Le verbe, surtout en français, a des formes
tellement variables et baroques qu'il n'est pas inutile, pour l'orthographe
en particulier, d'en montrer toute l'année les difficultés. Mais que
ce travail n'ait jamais la forme d'une conjugaison morte, qu'il soit
toujours basé sur l'intérêt du jour et se présente à l'esprit de l'enfant
comme une nécessité.
Cela ne nous empêche pas de suivre l'ordre des leçons
d'un manuel pour ce minimum d'acquisition formelle, pourvu que celle-ci
passe toujours au second plan et que s'affirme la conquête vivante de
la langue.
Nous
faisons ainsi leçon de grammaire deux fois par semaine et leçon de vocales
trois autres jours.
Mais
pour ce qui concerne l'acquisition du vocabulaire, nous avons réalisé
le même changement radical d'orientation.
L'école
avait, jusqu'à ce jour, la prétention d'enseigner des mots aux enfants,
sans se préoccuper du besoin que ceux-ci pouvaient en avoir, ni de l'usage
qu'ils en feraient. Nous avons pensé qu'il est au moins inutile d'enseigner
mécaniquement des théories de mots nouveaux et nous avons complètement
banni de notre classe ce genre d'exercices de vocabulaire. Seuls sont
nécessaires à l'enfant, seuls sont pour lui un enrichissement les mots
dont il connaît, dont il désire du moins l'emploi, parce que ces mots
s'intègrent aussitôt dans sa vie et s'incorporent à sa personnalité.
Est-ce
à dire que nous nous abstiendrons systématiquement d'enseigner tous
mots nouveaux ? Nous voyons sur deux plans notre tâche d'apprentissage
du vocabulaire. L'enfant qui nous arrive connaît déjà un nombre considérable
de mots. Qu'il les connaisse en patois, en italien ou en français, peu
importe. Notre devoir n'est-il pas de partir de cet acquis pour traduire
en bon français les éléments familiers ? Ce sera justement l'objet
de nos travaux de rédaction - individuelle et collective.
La
première conséquence de cette orientation nouvelle, basée sur l'expression
enfantine, de notre travail scolaire, est que nos imprimés sont toujours
parfaitement à la mesure de nos classes. Ils sont du même coup compréhensibles
aussi par tous les enfants de même niveau, qui les recevront. Seuls
quelques mots techniques ou locaux nécessitent parfois une explication.
Hors cela, nous n'avons presque jamais rien à ajouter aux imprimés d'échange ;
toute lecture expliquée devient superflue. Habituer l'enfant à utiliser
correctement les nombreux mots qu'il possède, n'est-ce pas le vrai fondement
du vocabulaire ?
Nous
cherchons cependant à agrandir ce fonds primitif. La vie elle-même se
charge de cet enrichissement. L'enfant ne souffre pas un piétinement
grammatical. Lorsque, son rayonnement social s'étendant, il sent la
nécessité de mots nouveaux, il ne se rebute jamais et sait au besoin
faire le grammairien créateur. Notre tâche est justement de l'aider
à ce moment-là pour qu'il ne fasse pas fausse route et n'attribue pas
aux mots une signification erronée qu'il serait ensuite difficile de
corriger.
Enfin
les lectures libres sur nos livres de bibliothèques accroissent chaque
jour le vocabulaire de nos élèves, nous dispensant de tous exercices
méthodiques.
De
ce fait, nous intitulons nos exercices de vocabulaire chasse aux
mots. Ils n'ont point pour but d'enseigner des mots nouveaux, mais
d'organiser de préférence les connaissances actuelles, de créer des
groupes selon certaines caractéristiques de façon à, préciser la structure
et l'emploi des mots connus : terminaisons, racines, consonnes doubles,
formation du pluriel, etc... Nous nous abstenons toujours dans ce travail
de prononcer nous-mêmes des mots nouveaux. Nous ne faisons que classer
1es connaissances qu'a enseignées la vie scolaire ou sociale.
Préoccupation
peu ambitieuse certes, qui est du moins à la mesure de nos élèves et
dont on ne saurait contester la grande valeur pédagogique. Elle s'harmonise
sans réserve avec l'idée qui guide nos efforts ; partir de l'enfant,
l'aider à enrichir sa personnalité et non plus dispenser du haut de
notre suffisance adulte des richesses verbales qui ne parviennent jamais
jusqu'à l'âme de nos enfants.
Ce
travail de grammaire ou de vocabulaire, suivi, si nécessaire, d'une
courte copie de formule grammaticale, ou plus rarement d'un rapide exercice
vivant, nous a menés aux environs de 10h.30.
Notre
emploi du temps prévoit alors calcul, alternativement pour les différents
cours : initiation mathématique pour les plus jeunes (cubes camescasses
ou jeux divers, ou fiches auto-correctives) - exercices collectifs pour
le C.E. ou travail également sur fiches auto-correctives.
Ces fiches auto-correctives sont particulièrement
précieuses dans nos classes à: plusieurs cours. Notre fichier de calcul
dont nous avons parlé en comportera un certain nombre. Mais chaque instituteur
peut s’en constituer très facilement des séries graduées, depuis les
opérations les plus simples jusqu'aux problèmes du certificat d'étude ::
on prend un livre du maître de calcul, on découpe les demandes et les
réponses qu'on colle séparément sur des fiches 10,5X13,5 de couleur
différente. On place les demandes dans une boîte, les réponses dans
l'autre, et on numérote chaque fiche (Nous pouvons livrer du carton
souple spécial pour ces fiches ainsi que des classeurs spéciaux (voir
tarif).).
L'enfant
va librement prendre la demande, la copie sur un cahier spécial ,ou
sur un cahier journalier, il fait l’exercice puis va librement contrôler
sur la réponse.
Pour
le travail du soir, il arrive fréquemment que des élèves emportent librement
plusieurs fiches. Ils contrôlent librement leur travail le lendemain
matin.
Cette
activité a pour elle l'attrait de la liberté ; elle met en jeu
en même temps une sorte d'esprit de compétition, avec soi-même d'abord,
avec les autres ensuite. Dans une classe bien entraînée au travail sérieux,
les tricheries sont moins rares qu'on ne croit puisqu'il n'y a pas obligation.
Une surveillance discrète de l’instituteur, quelques conseils, judicieusement
distribués donnent à cette technique le maximum d'attrait et de rendement.
La
correction des problèmes conçus, réalisés et résolus le matin selon
la technique indiquée, nous demande, à chaque cours, un temps parfois
assez, long, par suite de la nécessite ou nous sommes de donner souvent
encore des explications, de poser peut-être quelques problèmes rapides
dont la nécessité se fait sentir, de donner des explications sur les
points spéciaux non parfaitement assimilés.
Mais
nous ne faisons pas de leçons de calcul : nous avons abandonné
totalement l'exposé dogmatique, apparemment ordonné logiquement, faisant
partie d'un tout dont l'élève ne sent point l’enchaînement. Notre véritable
leçon de calcul c'est le travail que nous faisons le matin quand nous
tirons, du centre d'intérêt, les études de la journée. Nos leçons sont
toujours essentiellement pratiques, génétiques et vivantes. Comme pour
la grammaire, ce n'est point la règle qui les suscite et les prépare.
La vie les fait naître : la règle n'en est que la conclusion et
l'aboutissement critique.
Avant
11 heures, nous faisons, quelques minutes de calcul rapide, et voilà
une matinée bien remplie. Nos enfants peuvent partir ânonner leur catéchisme.
***
Les
élèves qui, soit qu'ils soient classés par équipes, suit désignés par
une liste de roulement, doivent imprimer s'arrangent pour que tout soit
prêt avant la rentrée de 13 heures. L'instituteur peut, discrètement,
donner un coup d’œil à l’installation.
Si
un cliché, est joint au texte, l'auteur aura, s'il le faut, travaillé
après onze heures pour le terminer (et cela ne lui coûte pas beaucoup,
tellement a d'attrait ce travail). S'il s'agit de la polycopie d'un
dessin, l'original établi avant onze heures aura séché et sera prêt
à être reporté sur la Géline.
De
sorte qu'à 13. heures, pendant que la classe recommence, l'imprimerie
fonctionne aussitôt, mettant ainsi à profit les minutes de mise en train
ainsi que les 10 à 15 minutes que nous consacrons ordinairement à l'audition
de quelques disques de la discothèque, avec, lorsque c'est possible,
répétition d'un chant en partant du disque.
Nous
avons ensuite organisé cette première heure de l'après-midi de façon
originale et un peu osée, peut-être - que tous nos camarades ne voudront
pas imiter. De 13h.15 à 14h. 15, nous avons prévu 3 périodes de 20 minutes,
ou, parfois, deux périodes de 30 minutes au cours desquelles une division
part sous le préau attenant à la salle de classe ou dans la cour, devant
les fenêtres, faire du travail libre.
Individuellement
ou par groupes, les enfants doivent se consacrer à ce qui les intéresse.
Nous surveillons seulement s'ils travaillent et sommes heureux ,quand
nous les voyons se passionner à une besogne quelle qu'elle soit.
Ce travail n'est d'ailleurs pas quelconque :
par notre centre d'intérêt du matin, nous avons tracé une ligne, réuni
des énergies qui ne demandent qu'à s'employer ; par nos recherches
de calcul adaptées à ce centre d'intérêt, par la mise au jour de documents
de notre fichier s'y rapportant, nous avons motivé bien des activités.
Restent encore l'histoire, la géographie, les sciences, etc...
Dans
la. pratique, j'envoie au travail libre notre première division, de
13 h. 15 à 13 h. 40, pendant que je m'occupe plus spécialement des deux
autres divisions auxquelles je fais alternativement du calcul et du
vocabulaire, concrets le plus possible.
Pendant
ce temps, que font les grands au travail libre ? Ces possibilités
sont illimitées, mais nous allons donner un aperçu cependant des occupations
choisies : travail manuel artistique, découpage et coloration de
contre-plaqué notamment - examen des fiches mises à leur disposition
et répondant à notre centre d'intérêt - rédaction collective, par groupes
d'affinités, et se rapportant soit à un sujet choisi d'avance ou spontanément
imposé, soit au compte-rendu de l'examen des fiches et documents divers
- étude d'un animal, d'une plante apportée par les élèves, expériences
de physique et de chimie exécutées par les enfants eux-mêmes, d'après
des fiches établies d'avance et dont nous reparlerons, avec un matériel
adéquat à cette utilisation, travaux d'histoire ou de géographie avec
recherche de documents dans les divers livres de la Bibliothèque de
Travail.
Je
surveille, de loin en loin, en ouvrant de temps en temps la porte. Mais
il est rare que j'aie à intervenir autrement que pour donner parfois
un conseil ou un renseignement.
Il
est certain que le préau ou la cour ne se prêtent pas merveilleusement
à ce travail libre, surtout lorsqu'il fait froid. Le rêve serait d'avoir,
attenants à la salle de classe, une ou plusieurs pièces de travail libre,
où seraient mis à la disposition des enfants, fiches, Bibliothèque de
Travail, instruments de physique, de chimie, de mesure, etc..., outils
pour le travail manuel, avec tables et bancs. Certains collègues qui
peuvent disposer d'une pièce inutilisée près de leur classe pourraient
lui donner cette affectation.
Mais,
même dans de mauvaises conditions, nous recommandons la pratique, sinon
journalière, du moins fréquente de ce travail libre : à ces moments-là
l'enfant sent que 1'école est à lui, hors de la tyrannie du maître ;
il peut mieux affirmer ses tendances, travailler à son rythme. Il en
emporte toujours un extraordinaire potentiel de vie, un encouragement
a se donner ensuite à des besognes plus rebutantes.
Les
inspecteurs - et certains collègues - craignent naturellement que hors
de la surveillance permanente de l'instituteur, les enfants ne perdent
leur temps ou fassent des sottises. Et cela serait dans les classes
traditionnelles. Mais nous avons, chez nous, soulevé tant d'intérêts,
aiguisé tant de curiosité, ouvert tant de portes, que les enfants sentent
tous la nécessité de se donner intimement à une tâche. Dans la pratique,
malgré ces inconvénients nés surtout du manque d'installation matérielle
convenable, nous n'avons jamais eu qu'à nous louer de ces moments de
travail libre. Nous y gagnions, de plus, la possibilité d'alléger momentanément
notre classe formelle et de pouvoir nous consacrer plus entièrement
aux divisions qui restent.
***
A
13h40, changement d'équipe. Deux ou trois minutes de va-et-vient. Une
des divisions restantes, les deux mêmes suivant le nombre d'élèves et
l'emploi du temps prévu, partent au travail libre.
Leurs
occupations sont ordinairement moins complexes que celles des grands :
rédaction individuelle ou collective, dessin à grande échelle, modelage,
découpage, lecture souvent de livres aimés de la Bibliothèque de Travail
ou de journaux scolaires d'échanges, exercices de mesure dans la cour
ou même aux abords, pesées effectives avec balances, petites expériences
physiques, parfois enquêtes dans le village comme suite à des questions
posées en classe. (Un système de fiches préparées d'avance aide les
enfants à choisir leurs occupations).
Pendant ce temps, avec les grands, nous corrigeons
les problèmes du soir (si nous avons été obligés d'en donner) ;
nous donnons quelques explications arithmétiques ce qu'on pourrait appeler
des leçons nous faisons quelques exercices d'application, ou bien nous
procédons, vers la fin de l'année surtout, à quelques dictée s avec
questions.
Vers 14 heures, nous envoyons quelques instants les
tout petits en travail libre, s’ils n'y sont déjà. Ils lisent surtout
des livres de la Bibliothèque de Travail, rédigent de petits textes,
ou dessinent, ou mesurent.
Vers
14h15, séance collective de lecture. Les imprimeurs ont terminé leur
besogne. Chaque élève a reçu sa feuille imprimée qu'il incorpore à son
livre de vie. On lit, silencieusement, des yeux, le texte imprimé. Quelques
élèves le lisent à haute voix avec la meilleure intonation possible.
Si
nous avons une fiche du fichier scolaire se rapportant à ce centre d'intérêt,
nous en donnons un exemplaire à chaque élève. Cette page, la plupart
du temps écrite par un grand écrivain, vient donc se juxtaposer à la
feuille imprimée en classe. Nous la lisons de même, mentalement d'abord,
puis à haute voix après avoir donné les explications qui s'imposent.
Si
nous n'avons pas de fiche semblable à distribuer, nous avons du moins
dans le fichier ou dans la Bibliothèque de Travail, des documents graphiques
se rapportant à notre sujet. Des enfants les lisent à leurs camarades,
à tour de rôle.
Et
on voit la portée profonde de la lecture de tels documents : ce
n'est plus la pensée adulte qui vient s'imposer anarchiquement à l'esprit
des enfants ; c'est la science et l'expérience adultes qui sont
appelées par la curiosité naturelle de nos élèves pour nous apporter
les connaissances que nous désirons, pour enrichir nos personnalités,
pour aider à notre épanouissement harmonieux dans le sens des intérêts
dominants révélés par notre activité précédente.
On
comprend alors qu’une telle lecture, si puissamment motivée, ne soit
plus un exercice scolastique passif et mort, mais une action vivante
à laquelle on se donne au maximum et qui est bien plus profitable à
tous points de vue que les rituelles leçons de lecture.
Ce
n'est pas tout : nous prenons ensuite le livre de vie de nos correspondants
de Praz-sur-Arly. Le facteur nous a apporté le matin un stock d'imprimés
de cette école : nous en donnons un exemplaire à chaque élève,
qui la lit mentalement avec avidité, en manifestant bruyamment parfois
les sentiments complexes que lui apporte la feuille imprimée. Minute
émouvante, où l'intérêt est à son comble, tant nos élèves vivent intimement
avec leurs camarades. Et le plus petit détail familier est celui parfois
qui les réjouit le plue. Quelques élèves lisent à haute voix, on discute,
on extériorise des projets, on cherche encore quelques documents...
L'heure de la récréation arrive à la surprise des enfants qui ont passé
de la façon la plus vivante ces heures, si mornes dans la plupart des
classes.
Cette
demi-heure de lecture, peut d'ailleurs être parfois distraite de sa
destination pour être consacrée à d'autres besognes moins classiques
mais plus vivantes encore.
Deux
fois par mois environ, nos correspondants nous envoient des lettres
personnelles auxquelles il nous faut répondre. Chacun de nos élèves
a choisi dans la classe correspondante un élève dont il reçoit les lettres
et à qui il répond. Si un garçon peut correspondre avec une fillette,
comme cela arrivait dans nos échanges avec l'école mixte de Praz-sur-Arly,
c'est plus passionnant encore.
Non
pas que ces lettres ajoutent quelques documents nouveaux à ceux qui
nous arrivent par les imprimée, mais la lettre est une lettre, un écrit
intime qui vous est spécialement destiné, auquel on répond aussi intimement,
en employant quelques mots d'amitié qui transportent et éduquent.
On joint à la lettre des images, des photos, des
nouvelles de toute la famille. Périodiquement, une fois par mois en
moyenne, on échange des colis expédiés par gare, solidement emballés
et ficelés, portés au train avec une émouvante amitié. Ces colis :
nous expédions des kakis, des figues, du raisin, des bouteilles de bon
vin, des branches d'olivier, tout ce qui peut faire plaisir à nos correspondants
Ceux-ci, dans la neige de leur haute montagne des Alpes n'ont aucun
fruit à nous offrir, mais ils fabriquent à notre intention des luges,
des skis, des bobsleighs, que nous recevons avec une joie indicible.
Et si un jour nous trouvons dans le colis un pain de montagne ou quelques
noisettes, rien au monde ne nous semble aussi délicieux. Pour leurs
correspondants, nos élèves se dépossèdent généreusement de leur couteau,
de leur sifflet, ou de jouets divers tout aussi précieux.
Les
envois de cartes postales, de photos de famille complètent cet échange.
A tel point que, en fin d'année, ce sont de vraies amitiés qui se sont
liées, resserrées parfois par des visites personnelles. Il faut croire
en tous cas que l'influence psychique de ces échanges est bien profonde
puisqu'à des années de distance, nos élèves se souviennent encore du
nom, de l’âge, des habitudes de leurs correspondants.
L'échange
dont nous venons de parler ne se limite d'ailleurs pas à notre école
correspondante de Praz-sur-Arly. Nous correspondons, nous l'avons dit,
avec une vingtaine d'autres écoles, des diverses régions de France.
Les journaux mensuels que nous en recevons nous apportent des questions,
des demandes de documents. L'élève qui a la charge de cette école doit
y répondre, avec l'aide si nécessaire de ses camarades. Il en reçoit
peut-être un jour un gros colis de pommes qu'il partage avec toute la
classe, et je vous prie de juger de l'inoubliable aventure de l'arrivée,
un jour, par la poste, d'un beau paquet de crêpes bretonnes, fines et
dentelées, sucrées, beurrées, délicieuses. Chacun de nous en mangea
un morceau et Castelli, l'heureux destinataire, porta une crêpe entière
pour faire goûter à ses parents et à ses sœurs.
Je
me surprends ici à dire nous fréquemment en parlant de cette activité.
C'est que, à vrai dire, l'instituteur prend à cet échange sa part de
curiosité et de joie. Et je, vous assure que, en mangeant les bonnes
pommes de Domfessel, les châtaignes de Pontarion, en buvant le vin de
Suris, en savourant les crêpes de Trégunc ou de Lannéanou, je me sentais
une âne d'enfant, je participais entièrement à la joie
commune, je prenais un bain profond de nouvelle pédagogie ; l’école
enfin avait pour moi aussi un sens nouveau et un attrait dont l'influence
vitale ne saurait être sous-estimée.
Il
y a, tous les mois aussi, les journaux à agrafer et à expédier. Encore
quelques minutes perdues, mais récupérées au centuple par cette activité
extraordinairement dynamique, dont on ne soupçonne pas l'intensité si
on n'en a pas été témoin, par cette concentration de vie et de joie
autour de préoccupations essentielles qui sont la meilleure des éducations.
Nos
lecteurs comprennent maintenant l'importance et la portée de ces échanges
interscolaires. Nous croyons utile cependant de rappeler encore une
fois la part essentielle et prépondérante qui revient à l’imprimerie.
On
pourrait être tenté de croire en effet que lettres et colis peuvent
tout aussi bien être échangés entre écoles ne possédant pas l'imprimerie.
N'y a-t-il pas même des organisations nationales ou internationales
qui préconisent les échanges sur ces bases ?
Nous
pouvons, pour les avoir pratiqués avant notre expérience, en délimiter
la portée.
Certes, toute réception de lettres, de documents,
et plus encore de colis, soulèvera toujours dans une classe quelque
enthousiasme, ne serait-ce que par la perspective d'un heureux remue-ménage
qui délivre un instant de la morne atmosphère scolaire. Nous ne disons
pas d'ailleurs que ce soient là des pratiques inutiles : tout ce
qui rompt la monotonie scolaire, tout ce qui mêle l'école à la vie est,
pour nous, souhaitable. Mais nous tenons à préciser que seule notre
technique donne à ces pratiques un sens et un but éducatifs.
L'échange par lettres ne permet jamais, en effet,
à un élève, à une classe de connaître intimement la vie de ses correspondante.
La lettre, surtout avec des enfants, est trop incomplète, trop capricieuse,
trop subjective ; l'envoi et la réception en sont trop espacés ;
elle ne permet pas de suivre des correspondants.
L'imprimé,
au contraire, le journal scolaire nous apportent régulièrement, comme
automatiquement, la vie au jour le jour des autres écoles. Il ne dépend
même plus du maître ni des élèves d'arrêter ce courant de vie. On est
pris dans une organisation nouvelle du travail scolaire dont les échanges
sont un des éléments essentiels qu'on ne saurait négliger sans bouleverser
l'activité de toute la classe.
L'envoi
de lettres, de colis, cesse alors d'être ,une « distraction »,
c'est un élément de notre nouvelle vie, participant puissamment de cette
concentration d'énergie que notre technique a mobilisée autour des intérêts
dominants des enfants.
C'est cette incorporation des échanges à notre vie
scolaire qui a valu à cette pratique la permanence et l'intérêt pédagogique
qui caractérise nos correspondances. Depuis plusieurs lustres, des écoles
travaillent, ainsi, avec l'imprimerie et les échanges.. Loin d'en être
fatigués, les éducateurs eux-mêmes affirment qu'ils ne sauraient plus
aujourd'hui s'en passer, preuve certaine qu'il ne s'agit pas d'une pratique
mineure, d'un passe-temps comme tant d'autres, mais d'un élément essentiel
et harmonisateur de notre nouvelle vie (Aux camarades, qui, pour des
raisons matérielles, ne peuvent pas, pour l'instant, introduire l'imprimerie
dans leur classe, nous recommandons d'acheter une Géline et d'éditer
un journal scolaire polycopié qui leur permettra de participer à nos
échanges.).
***
Cette
activité nous a menés à la récréation.
A
15 heures, nous reprenons le travail.
La
dernière heure de la classe était la plupart du temps sacrifiée par
moi à l'ancienne pédagogie.
De 15 heures à 15h30, sciences trois fois par semaine,
géographie deux fois par semaine. Il y a un programme à voir, nous le
voyons. Il y a des notions à acquérir, nous les acquerrons tant bien
que mal, en mémorisant même, s'il le faut, quelques résumés.
De
15h.30 à 16h30, histoire trois fois par semaine, cinéma deux fois par
semaine. Pour l'histoire aussi, plus que pour les sciences encore, c'est
l'heure triste où le programme reprend ses droits. Nous allons dire
comment nous tendons à vivifier également cet enseignement indépendamment
de la besogne superficielle d'acquisition que nous sommes contraints
de faire durant ces quelques heures. Pour ne rien changer cependant
à l’atmosphère libérale de la classe nous ne donnons pas de leçons à
apprendre par cœur. L'élève se contente de lire couramment le résumé
à mémoriser. Ainsi disparaît cette hypocrisie d'un instituteur qui,
livre ouvert devant lui, contrôle et punit l'élève qui ne peut répéter
un texte livre fermé. Quant à savoir si le profit scolastique d'une
telle pratique nous paraît suffisant, nous nous ,contenterons ici de
garder notre scepticisme : sauf quelques rares exceptions, tous
les élèves de nos classes profèrent les mêmes énormités quand on les
interroge en histoire aux examens ; et l'immense majorité, d'entre
eux ont tout oublié - et tant mieux pour eux - à leur arrivée au régiment.
Nous
nous contenterons donc de nous prémunir seulement contre les échecs
aux examens, en sachant d'avance l'inutilité et la nocivité de ces pratiques..
Car
nos leçons de sciences, de géographie ou d'histoire se pratiquent différemment.
Pour les sciences notamment, nous pensons que le verbiage
devrait totalement céder le pas à l'expérimentation. Toute mémorisation
est là bien inutile, tout résumé manque son but profond s'il n'est pas
la concrétisation d'une notion vraiment acquise par l'observation et
l'expérimentation.
Pour
la chimie et la physique notamment, les leçons devraient être exclusivement
expérimentation personnelle.
Nous disons expérimentation personnelle pour bien
rappeler que ces manipulations faites par le maître lui-même, avec des
appareils compliqués, à un rythme toujours accéléré, ne diffèrent que
fort peu de la pratique qui consiste à lire dans un manuel ou à voir
au cinéma les expériences prévues, avec leurs conclusions scientifiques
- verbiage dangereusement dissociateur de la pensée saine, qui substitue
l'accessoire à l'essentiel et donne aux spectateurs une notion profondément
erronée de l'effort scientifique et de l'harmonie naturelle souveraine.
Il
n'y aura enseignement normal des sciences à l'école primaire que lorsque
l'enfant naturellement curieux, en qui nous aurons, par nos techniques,
ménagé l'élan de vie et la soif de connaître, pourra, à l'aide d'appareils
simples, à sa mesure, chercher et expérimenter lui-même, tâtonner, se
tromper, recommencer, en tenant compte certes des conseils de ses maîtres
et des renseignements des livres, mais en reconstruisant totalement
et personnellement la science. Les acquisitions seront alors moins foudroyantes,
mais on bâtira sur l'inébranlable ; on ne donnera pas de faux espoirs
nés d'une science minimisée qui n'est que la caricature de la connaissance.
Il en sera ici comme pour les mathématiques : l'élève qui aura
compris les fondements certains - et simples - de la science, qui sentira
les lois naturelles qu'il faut plier à nos exigences, sera capable
alors de s'élever, sans aucun risque d'échec, jusqu'aux notions suprêmes.
Mais
il nous faut du calme, de la confiance, et la joie de l'effort et la
satisfaction de la connaissance acquise.
Il
y faut aussi le matériel.
Le
matériel scientifique actuel est conçu et réalisé pour être manœuvré
par le maître. Nous avons lancé l'idée d'un matériel d'expérimentation
pour le travail libre des enfants, matériel dont nous étudions la composition
et la fabrication en attendant de passer à la réalisation dès que possible.
Un
système de fiches directrices permettraient aux enfants d'utiliser ce
matériel de façon logique et rationnelle et les aiderait à tirer de
leurs travaux les conclusions qui s'imposent. Nous avons déjà publié
dans l'Educateur Prolétarien quelques-unes de ces fiches.
***
La
géographie, par contre, a été totalement renouvelée par notre technique.
Car
il y a là aussi cette géographie formelle qui consiste à mémoriser des
noms et des formules pour répondre aux questions d'examen, mais qui
néglige tout le côté vivant et humain d'une science que l'école seule
s'obstine à rabaisser ainsi au niveau d'une discipline.
La
géographie, c'est la connaissance totale de notre village, de notre
contrée, de notre province, de la France, du monde - connaissance qui
a nécessairement un but humain : la meilleure utilisation sociale
de l'intercompréhension et de la coopération des individus.
Les
éléments que l'ancienne école imposait aux enfants : ces noms de
villes, de fleuves, de caps, de golfes, de pics et de cols sont justement
ceux qu'un oeil exercé trouve facilement sur une des nombreuses cartes
qui inondent aujourd'hui le commerce. L'automobiliste qui parcourt une
contrée nouvelle ne connaît aucun nom, et pourtant, grâce à sa carte
- pourvu qu'il sache la lire - il saura trouver le nom des cours d'eau
traversés, des villes rencontrées, des pics neigeux qui se profilent
à l'horizon.
La
partie humaine de la géographie est une acquisition autrement délicate
et difficile, et ce ne sont pas les cartes qui nous en apporteront l'initiation.
C'est donc avec raison que, par notre technique, nous mettons l'accent
sur ce côté spécial de l'enseignement géographique.
L'école
traditionnelle s'appliquait à reporter sur des espaces inconcevables
pour l'enfant sa soif de connaissance et elle négligeait la nature environnante,
le village et la région. Par l'imprimerie, c'est cette étude au contraire
qui est le centre permanent de notre activité éducative.
Nos correspondants veulent connaître le coin où nous
vivons. Dès le début de l'année nous en dressons le plan que nous leur
adressons ; nous étudions pour eux la superficie de notre village,
la nature de son sol, ses cours d'eau, ses cultures, le mode de vie
des habitants. Tout au cours de l'année, d'ailleurs, indirectement par
nos imprimés, s'exprimera la vie des ouvriers et des paysans, cette
vie chevillée au soi et aux possibilités naturelles.
Par
les échanges, nous élargissons naturellement notre horizon. Nous étudions,
par la vie et l'intérêt spontané la géographie véritable d'autres villages
de France ; nous confrontons les climats, les cultures, les modes de
vie. L'échange de photographies, de cartes postales, d'arbres et de
produits caractéristiques, complète cette connaissance, à tel point
que, après un au de correspondance, nos élèves connaissent comme leur
village les villages de leurs petits amis.
Ces
points d'appui absolument sûrs, jetés un peu partout sur le territoire
de la France, et même du monde, sont les assises solides d'un enseignement
géographique plus général, pour lequel nous utiliserons avec profit
les documents divers de notre Fichier Scolaire Coopératif, le cinéma,
et si possible, la caméra.
Nous
envoyons des colis, des lettres nos journaux scolaires partent régulièrement
dans les diverses directions. Les enfants aiment suivre en pensée leurs
envois où ils ont mis tant d'eux-mêmes. Il nous sera facile d'utiliser
cet intérêt comme base d'étude des régions traversées. Et ainsi, soit
directement, soit par élargissement sympathique de nos centres d'intérêt,
nous arrivons à motiver totalement notre enseignement de la géographie
qui sera alors extraordinairement vivant et profitable,
L'idéal,
n'est-ce pas que, grâce à nos techniques, nos élèves ne commettent plus
ces erreurs grossières qui caractérisent les victimes de l'enseignement
livresque, qu'ils jugent sainement et sachent profiter de leurs connaissances
pour une meilleure conduite de leur vie ; qu'ils aient appris aussi
à se servir des livres et des cartes pour découvrir ce que nous ne nous
sommes pas obstinés à leur imposer.
Si
nous affirmons que, par notre technique, nous parvenons à cet idéal,
on comprendra toute la portée pédagogique de ces Innovations.
***
Nous
serions de même en mesure de donner un enseignement historique et humain
aussi solidement fondé pédagogiquement s'il ne nous était imposé une
histoire de mots, et de dates, des guerres, des traités, dans un passé
que l'enfant ne parvient jamais à se représenter avec quelque exactitude.
Par
contre, quels précieux fondements de cette étude familière du passé,
nous permet l'imprimerie à l'Ecole !
Car
l'enfant se passionne tout spécialement aux récits de la vie d'autrefois ;
il aime entendre ses parents ou grands-parents raconter leur travaux,
leurs peines et leurs joies. Des documents divers, familiaux ou communaux
viendront d'ailleurs préciser cette connaissance que fixeront de nombreux
imprimés. Par le même processus qui nous a valu une connaissance naturelle
et intime de la géographie des divers pays, nous acquerrons des notions
historiques précieuses qui, de proche en proche, nous permettront de
nous hisser jusqu'aux grandes et amples considérations humaines.
Les
documents nombreux de noire fichier nous aideront aussi à élargir le
cercle de nos connaissances, à approfondir nos recherches, à tirer des
faits le maximum d'enseignements. Et cela, sans aucun dogmatisme, par
la vie nouvelle rendue possible par notre technique (Voir notamment
nos belles collections : Histoire du livre. Histoire du Pain. Histoire
des moyens de locomotion à traction animale.).
Tous
nos camarades poursuivent naturellement cette besogne qui ne les dispense
pas, hélas ! du bourrage systématique exigé par les programmes
et les examens.
Comme
nous ne saurions nous contenter d'idéal inaccessible, nous avons essayé
d'obvier (?) dans la mesure du possible à ce dilemme tragique qui, ici,
limitait nos innovations. Nous avons publié, dans notre fichier scolaire,
une Chronologie mobile d'histoire de France d'une conception
parfaitement originale.
Nous avons inscrit 25 années par fiches et nous avons
indiqué, en face des dates essentielles - sans oublier celles imposées
par les programmes - les événements correspondants. Nous avons réduit
au minimum le nombre de ces dates afin de laisser aux éducateurs et
aux élèves la plus grande latitude possible dans le choix de ces documents.
Nous nous sommes contentés de créer le cadre sur lequel nos élèves fixeront
les documents à acquérir.
Alors,
l'histoire, même officielle, peut être vivifiée. Des dates importantes
au point de vue humain peuvent être placées sur le même plan que les
dates de guerres ou d'avènements ; les faits locaux eux-mêmes auront
leur place à côté des grands événements historiques qu'ils ont trop
longtemps éclipsés.
Et
surtout la disposition sur fiches permet d'intercaler des fiches documentaires
se rapportant à l'histoire de la civilisation : vie des ouvriers
et des paysans, diverses techniques, industries, luttes ouvrières, etc.,
ces documents, puisés dans les livres, rédigés par les élèves ou reçus
de correspondants sont copiés et imprimés sur fiches et incorporés à
la chronologie d'histoire.
En
fin d'année nos élèves possèdent ainsi un véritable manuel qui est tout
à la fois le plus précieux des aides mémoires pour le certificat d'études
et le résumé vivant des recherches de l'année. En le feuilletant. les
siècles, les ans. réapparaissent avec leur physionomie spéciale consignée
dans les documents que nous y avons joints. Nos élèves acquièrent ainsi
la notion de recul historique en même temps qu’ils corrigent dans une
certaine mesure ce qu'avait d'incomplet et de partial l'enseignement
officiel de l’histoire.
***
Il nous resterait à indiquer l’emploi original que nous
faisons des instruments nouveaux que la science a mis à la disposition
de l'école : cinéma, camera, radio, disques, etc...
Tous
ces outils, s'ils sont seulement juxtaposés, à la vie de l'école, restent
des jouets, susceptibles de distraire l'enfant, de l'instruire parfois.
Mais ils n'ajoutent pas à la formation individuelle ; ils ne contribuent
point à cette harmonie créatrice que nous avons posée comme un des buts
à notre éducation.
Notre
technique nous a révélé les besoins profonds de nos élèves : notre
principal souci a été d'utiliser tout le matériel scolaire à la satisfaction
de ces besoins. Et ces outils nouveaux n'échappent pas à la règle.
Nous
avons fait un vaste effort pour mettre ainsi le cinéma au service de
l'enfant. Nous avons été les premiers en France, il y a près de dix
ans, à recommander hardiment l'emploi dans les écoles du Pathé-Baby,
considéré alors comme un jouet peu digne de l'austérité scolastique.
Mais nous avons recommandé le Pathé-Baby parce que lui seul nous permettait
pratiquement de constituer dans nos écoles prolétariennes des petites
cinémathèques où nous puiserions-selon nos besoins - cinémathèques élargies
et renforcées par notre Cinémathèque Coopérative, la première
en France, et qui a rendu de si grands services à des milliers d'écoles.
Grâce à ces deux initiatives la projection animée pouvait venir comme
prolongement de nos recherches dans notre fichier scolaire ou notre
Bibliothèque de Travail pour répondre de façon si suggestive aux besoins
que la curiosité naturelle des enfants avait fait naître.
Nous
avons fait mieux - Grâce à la caméra Pathé-Baby, achetée par l'école
ou par un groupe d’écoles, nous avons filmé la vie même des enfants.
Et les échanges de films ainsi obtenus ont donné la mesure de ce qu’on
pourrait attendre d'un emploi rationnel et pédagogique du cinéma scolaire.
Car nous touchons là même avec nos livres d'enfants, à un .intérêt puissant
insoupçonné jusqu’à ce jour : ces films qui sont la vie véritable
de camarades qu’on connaît, d'autre, part par nos échanges réguliers
ont toujours le maximum de succès. Même techniquement imparfaits, ils
remuent l'être profondément. Ils aident notre effort éducatif. Ils ajoutent
à nos possibilités constructives.
Nous avons réalisé dans le même sens en préconisant,
les premiers en France, l'usage pédagogique du phonographe : constitution
d'une discothèque scolaire, usage de notre discothèque circulante. L'idéal
serait, comme pour le cinéma, que le disque apporte à notre technique,
une sorte de couronnement artistique d'une portée considérable, qu'à
notre désir éducatif révélé et maintenu tout au long du jour, réponde
un beau disque qui s'adapte au souci enfantin, élargisse jusqu'à l'infini
ses préoccupations, l'élève et l'idéalise.
Si
nous n'avons pu réaliser totalement nos désirs, ce n'est pas tant notre
technique qui en est cause que la misère croissante de nos écoles (qui
ne nous permet pas d'acquérir le matériel indispensable) d'une part,
que la pauvreté pédagogique des productions cinématographiques et phonographiques
actuelles. Grâce à l'éveil que nous avons donné, un pas important a
été fait. Nous tâcherons de toujours stimuler l'effort commercial en
faveur de nos techniques (Nous venons d'éditer 3 disques scolaires pour
l'enseignement du chant. S'adresser : Pagès St Nazaire (Pyr.-O.).
Nous
ne dirons rien de la Radio, non pas qu’elle ne puisse, dans une certaine
mesure, aider également au développement de notre technique, mais parce
que, dans l'état de servitude capitaliste où elle se débat, nous ne
pouvons pas attendre, de ce mode puissant de diffusion, un service éducatif.
Quelques émissions intéressantes ont lieu ça et là. Ainsi comprises,
elles ne peuvent aider à notre technique. Les camarades pourront, s'ils
le désirent, les utiliser pour distraire quelques instants, en
se rappelant bien toutefois que distraire est justement à l'opposé
d'harmoniser.
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Il
y aurait beaucoup à dire sur l'emploi de l'imprimerie dans les Cours
Complémentaires et les Ecoles Primaires upérieures, dans
les Cours d'adultes, pour les diverses besognes extra et périscolaires
qui s'accumulent autour de l'école ; sur l'utilisation dans les
écoles d'anormaux, avec les sourds-muets, etc... Ce sera le sujet d'un
cahier spécial au cours de l'année prochaine.
Nous
consacrerons également un cahier spécial aux avantages pédagogiques,
psychiques et sociaux de l'emploi de l'imprimerie. Cette brochure étant
plus spécialement réservée à la technique de l'Imprimerie à l'Ecole
et visant à donner d'abord, à nos jeunes camarades, des indications
précises sur la conduite de la classe.
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