Souvent, j'ai profité de l'expérience de la vie des enfants. Et j'ai beaucoup appris à leur contact, m'enrichissant de leurs enseignements. Au cours d'une promenade, je suis émerveillée de les voir capturer des lamprions que je n'ai jamais vus et que je veux rapporter en classe. « Madame, c'est inutile, les lamprions ne peuvent vivre que dans la rivière ». C'était vrai; comme les nénuphars, ils mouraient dès qu'on les transportait en classe et qu'on les mettait en bocal. Un autre jour, avec un étonnement admiratif (un des moments les plus émouvants de ma carrière) j'ai compris combien la création artistique était plus bénéfique pour l'enfant que pour moi. En montrant une reproduction d'un tableau de Picasso où je ne voyais rien, un enfant de sept ans s'écria : « C'est une femme qui pleure. Comment, Madame, vous ne voyez pas ses larmes, son mouchoir, ses doigts ! » Ensemble, sans parler, souvent, nous avons affiné notre sensibilité. J'ai gardé le souvenir inoubliable de peintures représentant des peupliers au bord de l'eau, si délicates, si douces de coloris, aux taches si légères, véritable symbole du printemps naissant dans la vallée que nous venions de visiter en classe - promenade. La plus belle avait été exécutée par un petit leucémique qui devait mourir quelques semaines plus tard. Les classes - promenades étaient du reste les moments où nous étions le plus près les uns des autres. Dès qu'il fait soleil, on me les réclame, au nom de ceux qui viennent d'ailleurs, et qui soupçonnent à entendre parler leurs camarades, des joies inégalables et mystérieuses. Sans prendre de notes, il nous suffit de nous abandonner au vent, au soleil, à la nature, de regarder, d'écouter, de sentir, de rêver aussi. |
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Sortie de ma classe, il m'a fallu aller plus loin sur le chemin de l'éducation artistique. Les enfants m'ont poussée à lire, aimer, comprendre les poètes modernes que j'ignorais totalement, je l'avoue ; ils m'ont poussée à m'intéresser aux peintres modernes. En visitant les musées, j'ai compris qu'un courant s'établit entre l'individu et l'oeuvre originale de l'artiste. Aux vacances dernières, j'ai visité la Hollande, ses riches musées où les oeuvres de Van Gogh sont si nombreuses. En lisant au retour sa vie émouvante écrite par Perruchot, je retrouvais par moment l'expérience vécue par les enfants, à savoir qu'une couleur n'a pas la même valeur selon qu ' elle voisine telle ou telle autre couleur. En lisant Lautrec du même auteur, j'avais été impressionnée par le nombre prodigieux de dessins produits par cet artiste et je ne pouvais m'empêcher de faire un rapprochement avec certains de mes élèves qui arrivent à de si belles formes à force de tâtonnements répétés, suscités par un besoin de l'être. Bien entendu, mes enfants ont profité de cette éducation artistique. Alain, mon fils, maintenant au seuil de la jeunesse, dessine et peint toujours pour se délasser d'un travail de classe souvent fastidieux. Il est heureux de venir dans ma classe où il se replonge dans cette ambiance de création. |
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Arrivée à quelques semaines du terme de ma carrière, je me demande ce qui pourra rester de plus de dix ans de si intense création ? Déjà, les offrandes de la fête des Mères : assiettes, bibelots, dessins, ont une place d'honneur dans chaque famille et sont montrés avec fierté aux visiteurs. Mais, quand s'éteindra la flamme, d'ici quelques années, quelqu'un demandera-t-il aux enfants : « Comment, vous ne faites plus ces beaux dessins dont on parlait chaque année dans Centre Presse et dans d'autres journaux, quand vos oeuvres se mêlaient à celles des artistes régionaux ? » Et, bien plus tard, quand mes élèves seront devenus des hommes, pères de famille à leur tour, ne rappelleront-ils pas à leurs enfants ces heures de création joyeuse d'où sont sorties tant de belles images ? - « Moi, quand j'allais à l'école, je faisais des peintures si belles, que jamais vous pourrez en faire de semblables... » Un petit événement est venu me montrer que mon enseignement avait sans doute fini par s'imposer. Pendant les vacances de Pâques, j'ai reçu une douzaine de numéros du Coopérateur, organe national des Coopératives ; ce numéro consacré au printemps, reproduisait en couleurs deux de nos magnifiques peintures que nous avions oubliées : aboutissement symbolique et si riche du travail créateur de deux enfants particulièrement déshérités. - Monsieur Barthot, vous savez dans le Coopérateur : il y a deux dessins de Saint-Benoît ; c'est Freinet qui les a envoyés. C'est une mère de famille qui a parlé. Elle a dit familièrement Freinet, comme s'il s'agissait de quelqu'un que tout, le monde connaît. Et ce sera ma récompense d'avoir fait connaître à une population difficile, malveillante, presque hostile - qui, toute entière réclamait, il y a dix ans au recteur de l'Université de Poitiers, le « retour aux anciens programmes » que de « simples instituteurs » s'étaient permis de changer - le nom même de ce simple instituteur promoteur de notre grande et noble Ecole Moderne. Et cela par le chemin de l'Art. Mme BARTHOT |