L'échange est une motivation du plus grand intérêt. Une année, j'avais trois grands enfants de 13 ans qui préparaient le Certificat d'Etudes. Ils n'avaient guère le temps de peindre et il me semblait que cette activité ne les intéressait plus. Il nous a fallu envoyer un colis aux correspondants qui étaient débutants dans le domaine artistique. - « Si nous leur envoyions des peintures pour leur donner envie de peindre à leur tour ? » Les candidats au C.E.P. se mettent au travail ; avec une patience et une minutie exemplaires, ils représentent pour les amis lointains leur village montagnard protégé par sa forêt d'épicéas. Peut-être y restèrent-ils un mois, en employant chaque minute de liberté. On y voit toutes les ruelles qui courent de maison en maison ; dans chaque ruelle, chaque pavé ; chaque « tavaillon » de chaque toit ; les arbres de la forêt sagement alignés, les champs bien délimités, les pierres dans les champs, les fleurs toutes pures et nettes côte à côte dans les prés. - Pompier ? non, frais, naïf. « La réalité d'un objet, ce sont les rapports humains qu'on entretient avec lui » (Soulages). Les enfants habitués à l'expression libre ne représenteront jamais une autre réalité que celle qui les comble, ne tomberont jamais dans le formalisme pictural comme ils ne tomberont plus dans les clichés en rédaction. Il m'arrive de recevoir des enfants venant de classes où on ne parle pas, où on ne dessine pas. Cela s'est déjà produit cinq fois ces dernières années : Mireille 8 ans ½, Robert 7 ans, Freddy 7 ans, Patrick 7 ans, Serge 5 ans. Ces enfants n'ont rien à dire, ne savent rien dire, n'ont rien à dessiner, ne savent rien dessiner (seul, Serge 5 ans, savait dessiner mais non peindre, il venait d'une classe enfantine) ; leur acquis est nul, ils savent écrire des phrases du livre de lecture, réciter d'un ton niais des récitations dont ils ignorent absolument le sens, refaire les graphismes pauvres que la maîtresse avait sans doute l'habitude de dessiner au tableau. A l'âge le plus prometteur, l'école brise chez l'enfant toutes ses possibilités de création. Pour corriger au plus vite un tel état de fait, je fais dessiner beaucoup ces enfants prisonniers de la scolastique et tout se normalise bientôt. Oui, mais le temps consacré au dessin, comment le prendre dans un horaire si mesuré ? Voici comment je résouds le problème : - Le matin, pendant une demi-heure, les enfants parlent, lisent, racontent ou chantent. Ils dessinent en même temps. Sur leur cahier « du jour », ils ont l'habitude de dessiner dans les fonds de pages avec le crayon ou les stylos : c'est très utile pour ceux qui terminent cinq minutes avant l'heure, ou ceux qui se disent fatigués vers trois heures.
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Enfin, en rentrant de la récréation du soir, c'est-à-dire de 3 h 1/2 , à 4 h ½, les enfants s'occupent tous à des travaux manuels (imprimerie, argile, dessin, broderie et peinture). C'est l'heure la plus agréable de la journée ; c'est aussi l'heure où ils ne sont pas obligés au silence ; et c'est le moment où ils inventent leurs plus jolis airs ou leurs plus jolies chansons. La journée scolaire est terminée, nos obligations sont remplies. Nous sommes entre nous, pleins de liberté et d'amitié, et nous savons que la vie est belle. J. MOUNIER Ecole mixte de Pralognan-la Croix (Savoie). |
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