Vers une formule unitaire de la libre expression de l'enfant
CETTE revue dans laquelle les forces intuitives de l'enfant donnent la réplique
à la conscience des maîtres, nous est de plus en plus nécessaire.
Elle nous apporte la preuve qu'il est un monde de vérité - dans lequel il n'est
pas toujours facile d'entrer - qui nous donne la mesure de nos rêves et
de nos aptitudes à les réaliser, qui nous redonne confiance dans les valeurs
de notre vocation enseignante. Au milieu du désarroi d'un monde anarchiquement
et outrancièrement mécanisé, nous restons « les jardiniers des âmes »
et les fleurs que nous faisons s'épanouir, embellissent nos enfants et
nous-mêmes de toutes les vertus des choses pures.
Cette prise de conscience de nos responsabilités du moment, dans ce qu'elles
ont de plus essentiel et de plus large, nous oblige à repenser, une fois
de plus, le contenu de notre revue, à la rendre plus ouverte et plus accueillante
à toutes les formes de la pensée créatrice de l'enfant. C'est dire que
nous allons opter pour une formule nouvelle de notre Art Enfantin,
formule mieux à même de signifier une culture, dans ce lieu de rencontre
idéal du maître et de l'enfant qu'est l'Education.
Nous parlons de culture et je ne crois pas que le mot dépasse ici nos
pensées et nos pouvoirs. Il est là pour signifier nos actes vrais, notre
savoir-faire, notre acquis dans un monde qui est le nôtre, notre certitude
d'être dans la bonne voie, toujours en marche vers un mieux faire qui
exalte la vie. Il nous importe peu d'apprendre beaucoup, d'amasser des
connaissances dont nous n'aurons que faire, mais il nous importe au plus
haut point d'honorer l'actualité des êtres qui nous sont confiés, même
si nous devons pour cela dénoncer le passé et sa culture, aller de l'avant
sans le secours des valeurs que nous jugeons dépassées, mus par « la
force qui permet de se développer à partir de soi-même, d'une façon personnelle »
(Nietzsche).
Et c'est bien là tout le sens de notre culture qui se confond avec les démarches
mêmes de notre pédagogie d'Ecole Moderne. Nous retrouverons donc dans
notre revue toutes les valeurs que nos méthodes de libre expression libèrent :
dessin, peinture, musique, poésie, conte, danse, jeux dramatiques.
Il nous appartient seulement de nous armer de courage pour triompher des difficultés
paralysantes de la vie scolaire en resserrant la chaîne des bonnes volontés,
en joignant les créations les plus originales de nos classes à la gerbe
commune ; en faisant part aux autres de nos trouvailles pour qu'elles
soient revalorisées par la grande expérience collective.
Ce sont là démarches naturelles qui garantiront la richesse de notre revue et
sa portée éducative. Ce sont là actes d'amitié et de dignité qui honorent
la valeur de nos vocations.
Elise
FREINET
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