EST fragile et fugitif le bonheur d'un enfant, mais je le sais, c'est le besoin premier de la vie : quand le grand portail de l'école s'ouvre sur la vague des tout petits qui envahit la cour, la joie elle aussi déferle vers nous, les maîtresses et la plus habile sera celle qui saura le mieux l'accueillir.

En ce matin de mai inondé de soleil, le bonheur s'est levé tôt avec Annick ronde et claire, venue de la cité à près de 3 kilomètres... Sitôt levée, elle a pourtant déjà dans sa petite main le bouquet un peu chiffonné des coquelicots qu'elle a pris le temps de cueillir « autour de la maison où il n'y a personne ». Elle est là, bien avant l’ouverture en compagnie de tant d'autres, venues de loin sur le porte-bagage des motos, sur le guidon des bicyclettes des papas, tenues par la main des mamans travaillant en ville toute la journée, ou chahutées par le car de banlieue. Peu à peu le flot grandit, et têtes brunes et blondes mêlées, visages clairs, cris joyeux et rires chantent la chanson du bonheur, Tant de bouquets de fleurs, arrondis autour des petits poings un peu crispés par la longue attente en sont le quotidien message. Leur parfum fait la nique aux émanations de chlore et d'acétone de Progil dont les hautes cheminées se dressent à quelques cents mètres de l’école. Et au-dessus des bouquets levés à bout de bras à l'instant de l'offrande, la joie des tout petits fait la nique au mauvais destin qu'une société marâtre prépare dans le secret de ses inégalités sociales et de ses coups du sort.

Pour l'instant, ils sont là tous mêlés, tous beaux, tous aimants, fraternels. Celui qui sort de la maison confortablement bourgeoise prend la main de celle qui garde sur elle une odeur de pauvreté et de misère malgré le tablier impeccable et le beau ruban noué dans la chevelure hâtivement coiffée. Chaque nation nous envoie sa graine et l'école, comme une prairie fait fleurir son parterre bigarré. En s'approchant de près, non, on ne saurait dire quelle âme sera la plus belle et quelle promesse sera la mieux tenue.

Nous savons seulement que le bonheur habite chacun d'eux et notre vocation est de le préserver, de le rendre durable dans nos propos, dans nos textes libres, dans nos dessins indéfiniment créés, dans toute notre vie quotidienne qui est inlassablement la course au bonheur de chacun.

- Et le tien, maîtresse ?

- C'est de vous connaître, c'est de vous aider, c'est de vous aimer. C'est de préserver en vous la graine du bonheur !

Mme ANDRÈS.

 

 

Télécharger le texte seul en RTF

Retour au sommaire