MUSIQUE
Premières créations musicales en classe
de ville
Mon C.M.2 loge
(avec trois autres classes) au 2° et dernier étage d'une école de la banlieue
parisienne constituée de 20 classes. Les enfants sont ceux des cités H.L.M. Sur 29 enfants, 5 ont 12 ans, 14 ont 11 ans, les autres
10 ans. Ils ont tous reçu avant cette année un enseignement traditionnel.
Au départ, peu de créations, beaucoup de stéréotypes, de blocages.
On a déjà entendu
de la musique d'enfants par les disques de l'I.C.E.M.,
comme ça, quand ils arrivent. Mais nous, on ne peut pas en faire : avec
tout ce boucan, les classes voisines, celles du dessous vont rouspéter
et puis, nous n'avons pas d'instruments : et puis on ne sait pas faire
de musique si l'on n'a pas «appris».
Au mois
d'avril, de retour de classe
de neige, pour un montage audiovisuel, il a fallu trouver un signal pour
les changements de diapositives.
On cherche,
on tape sur tout ce que l'on trouve dans la classe. Le choix se fait sur
une règle en métal suspendue que l'on frappe.
Le lendemain,
floraison de carillons. Toutes
les règles en fer y passent. On essaie aussi tout un bric-à-brac (moteur
de solex d'un précédent exposé, tringle de fer, bâton, boîtes pleines
que l'on secoue, boîtes vides que l'on frappe, la poubelle ...) On déniche
ainsi une vingtaine d'instruments. Tous rassemblés au milieu de la classe,
on se lance seul ou par petits groupes, puis tous ensemble. C'est la cacophonie,
on s'en donne à coeur joie...
« Arrêtez dit
Bruno. Toi, tu vas faire ça, vous comme ça et moi ça» et on le fait.
On décide de
s'enregistrer, c'est la première plage du disque.
Ensuite on
invente de nouvelles choses. Bruno se met à chanter. Bientôt on s'organise,
parce que tous ensemble, n'importe comment, ça fait trop fouillis. Alors
on sera chef d'orchestre chacun son tour. Chef d'orchestre, c'est mettre
d'accord tout le monde et aider à faire joue: ce qui a été prévu. Ça donne
une musique d'Afrique (2° plage).
On arrête pour ce soir.
Le lendemain
matin, on continue. On essaie
tout un tas de trucs collectivement : nouveaux instruments apportés, voix
(plage 3), rires, Bruno déguise sa voix. On redécouvre le larsen (plage
4). On fait une musique en utilisant tout cela (rires, voix, percussions)
c'est la plage 5.
Quelques jours
plus tard, un atelier musique est installé dans un coin de la classe.
Dans un petit espace entre le mur du fond et l'armoire, on a rassemblé
tous nos instruments de façon pratique, disposé les carillons par sonorité.
On y va faire de la musique seul ou par 2 ou 3, quand on veut. Tout le
monde écoute. Avec le magnéto, on s'enregistre (plage 6 et plage 1 face
2). Ça y est, on a notre atelier musique !
LES MONSTRES
Dans l'école,
une fois par semaine, les enfants se répartissent en clubs. Je suis responsable
du club danse. Une trentaine d'enfants participe à cette activité dont
la moitié sont de ma classe (et le noyau du club) ; parmi les autres,
certains de mes anciens élèves de l'an dernier dont Catherine, prolifique
en chansons et trucages ou bruitages magnétiques.
Un jour, pas
d'électricité, pas d'électrophone.
Les enfants
décident de faire leur musique eux-mêmes ils veulent inventer une histoire,
en faire l'illustration musicale et l'enregistrer.
Plusieurs tentatives
ont lieu qui ont plus ou moins de succès. Essais avec la voix, avec percussions.
Catherine change de vitesse pour l'écoute. Ça fait peur. Naît ainsi l'histoire
des monstres.
On organise
un peu tout ça. L'atelier musique de ma classe va servir, mais la technique
des voix est déjà très avancée. On rajoutera pour l'occasion un seau d'eau
et des gobelets.
Au fur et à
mesure que l'histoire avance, la musique est élaborée par tâtonnements
successifs. Quand c'est au point, que cela plaît à tous, on enregistre.
L'enregistrement terminé a demandé 3 heures de travail en plusieurs séances.
PRÉSENTATION FACE 1
Premier
jour
Après avoir
déniché une vingtaine d'instruments (règle en fer, boîtes, moteurs de
solex) tous rassemblés au centre de la classe, on se lance seul ou par
petit groupe, puis tous ensemble.
1- PERCUSSIONS
: 1er essai un peu organisé. 5 ou 6 tapent sur des boîtes et des objets
métalliques.
2- MUSIQUE
D'AFRIQUE : Bruno s'est mis à chanter. 1° morceau avec chef d'orchestre.
Toute la classe participe
Deuxième
Jour
3- VOIX
DÉGUISÉE : Bruno a trouvé que l'on pouvait déguiser sa voix - toute la
classe l'accompagne.
4- VOIX ET
LARSEN : essai avec la voix Le chef d'orchestre dirige et fait les effets
larsen redécouverts auparavant.
5-RIRES, VOIX,
PERCUSSIONS : synthèse de différentes recherches effectuées. Bruno improvise
sous la direction chef d'orchestre qui règle la présence des différentes
percussions des rires, des voix...
6- GUITARE
ET PERCUSSIONS : (enregistré après l'installation de l'atelier).
3exécutants : guitare, boîte
en fer, carillon qui se répondent
FACE 2
1- LE BATEAU
MYSTÉRIEUX : par 3 enfants en atelier musique Les grincements viennent
de la boîte sur laquelle était assis l'enfant qui, d'abord surpris, l'a
utilisée. Voix déguisée. Percussioniste.
2- LES MONSTRES
: créé par une trentaine d'enfants de réaliser l'illustration musicale
pour un jeu dramatique dansé.
instruments
: voix - percussions - eau.
Écoute à une vitesse inférieure de moitié
à la vitesse enregistrement
L’HISTOIRE DES MONSTRES
Dans un pays
ou une planète mystérieuse, se trouve une caverne. Dans le fond de cette
caverne des monstres grouillent
Des explorateurs découvrent la caverne, la
visitent. ! Des monstres attaquent, capturent les explorateurs un explorateur
a le temps de se cacher.
Surgit la sorcière,
la maîtresse des monstres.
Jetant un sort
à chacun des explorateurs capturés, elle les transforme à leur tour en
monstre. Le quatrième explorateur bondit sur la sorcière et après une
bataille réussit à prendre la baguette magique.
Alors, il libère
tous les monstres du mauvais sort un par un, ils reprennent tous forme
humaine.
J Charbonnier
École Victor-Hugo 94 - Vitry-sur-Seine
Créations
sonores en classe de ville
La prophétie
d'Alphonse Allais se réalise : les villes vont à la campagne, ou plutôt
mangent la campagne. Elles grossissent presque comme les arbres, chaque
année apportant son nouveau cercle d'H.L.M.
ou son nouveau boulevard périphérique. Et dans les clairières des forêts
d'immeubles surgissent des tas de cubes pleins de vitres : des grosses
écoles, toujours insuffisantes.
On n'a pas
encore appliqué le corollaire scolaire des réformes du Ministre Alphonse
Allais : bâtir ou transférer les classes de ville à la campagne.
Les conditions
de vie des enfants, la qualité des matériaux, de l'architecture, de l'organisation
pédagogique des écoles, sont telles que nous n'avons quasiment pas d'enregistrement
de musique venant de ces classes. Comme le disait Jean-Jacques Charbonnier
: « Je n'ai les enfants qu'un an dans ma classe. Avec les C.M.1 ou les
C.M.2, il faut attendre le troisième trimestre d'école pour que nous puissions
faire de la musique»... C'est d'un «troisième trimestre» qu'est issu ce
disque. Nous avions tous les renseignements, du premier au dernier. J'ai
été étonné du niveau d'écoute des enfants, dès le départ : il faut croire
que les créations sonores n'étaient pas nouvelles pour eux, qu'ils avaient
déjà expérimenté « sauvagement» malgré leur environnement assez peu favorable.
Ils se sont donné un chef, se sont groupés comme dans un grand orchestre
(c'est normal puisqu'ils travaillaient tous ensemble !) par spécialité
: les percussions, les voix..., se sont écoutés après chaque séquence.
Et ont discuté de ce qu'ils avaient fait.
Nous avons,
sur la première face, tous les premiers enregistrements, réalisés dans
un temps très court. Les progrès de l'écoute, des recherches, des effets
d'ensemble, sont étonnants, vous en conviendrez !
C'est la première
fois que nous mettons les premières productions dans un disque. Pour certains,
ça peut paraître du gaspillage... surtout pour des adultes. Car les enfants
qui ont entendu celles-ci ont eu envie de faire de la musique comme leurs
camarades de Vitry. Évidemment, le problème du niveau de réussite est
posé : je veux dire le niveau de réussite permettant la publication d'un
travail.
Mais qu'est-ce
qu'une réussite? Pour qui est-elle une réussite? On retombe en quelque
sorte sur les critères du «beau».
Sans entrer
dans ce débat - éternel - nous pouvons dire que si, nous, éducateurs,
nous savions ouvrir les yeux et les oreilles sur des départs, nous offririons
aux enfants davantage de trajets possibles.
Les enfants
de Jean-Jacques sont partis. Ils partent devant nous. Écoutons-les. Maintenant
tournons le disque.
Les voilà quelque
temps plus tard. Oh ! pas longtemps, puisqu'ils
ont débuté en mai. Le style a évolué. La maîtrise a augmenté. Pour la
musique du jeu dramatique, il a fallu bâtir séquence après séquence, écouter,
réécouter, expérimenter les effets du ralentissement de la vitesse, les
effets de déplacement du micro... pour aboutir à cette atmosphère, à ces
sons qui rappellent le théâtre Nô ou les litanies des moines thibétains. Et le résultat vaut la peine.
J.L. Maudrin
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