"Et aussi existait déjà depuis le printemps 1950 une nouvel collection : /Albums d'enfants/. C'était une publication en couleur ! Parfois même avec cinq ou six couleurs, tirées en lithographie par la C.E.L. elle-même. Il avait fallu creuser le sol de l'atelier pour faire entrer la machine énorme, lourde, lente, où l'on plaçait les pierres sur lesquelles les dessins des enfants et leurs textes avaient été décalqués directement par un technicien du métier. Cette collection vivait sous forme de souscription coopérative. Nous tirions pour le nombre de souscripteurs et chacun recevait l'album quasi au prix coûtant C'est que les numéros étaient différents de format, de genre et en nombre de pages nous respections scrupuleusement l'album original réalisé dans une classe. Cet exemple est unique dans l'édition Pour nos écoles c'était incomparable Mais pour les libraires, des albums format d'importance et de prix différent cela ne faisait pas une édition ni une collection. Le premier numéro fut /LE PETIT NUAGE CHANTAIT /lancé comme un ballon d'essai. La souscription démarra avec /LE PETIT BONHOMME DÉGOURDI /en mai 1950. Près de 35 titres ont paru : parmi eux, le célèbre PETIT /CHAT QUI NE VEUT PAS MOURIR /que la Guilde du Livre de Lausanne reprit et aussi /LE CUEILLEUR D' ÉTOILES /dont J. PREVERT disait qu'il ne « se consolerait jamais de ne pas l'avoir écrit ! ».
Art enfantin et Créations n°86
"Les albums d'enfants de la CEL J'ai évoqué cette aventure éditoriale dans le tome 2 de " Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps " (pp. 143-144). Je peux ajouter quelques détails puisque j'étais aux côtés de Freinet de 50 à 52. Depuis longtemps déjà, la CEL publiait des histoires écrites et illustrées par des enfants, en noir et blanc dans les brochures Enfantines, plus tard parfois en linogravures en deux couleurs dans La Gerbe. Car l'impression se faisait alors en tirage typographique et les clichés d'illustrations d'enfants étaient généralement des gravures sur lino. Quand une classe avait envoyé à Freinet un tirage en deux couleurs, sans joindre les clichés sur lino, il fallait les recopier pour La Gerbe. J'ai parfois participé à ce travail artisanal, mais c'était Maurice Menusan qui l'exécutait le plus souvent, depuis qu'il travaillait au secrétariat de Freinet. Freinet et Elise auraient voulu aller plus loin, avec l'édition de véritables albums peints par les enfants, mais la reproduction photographique en quadrichromie était encore très coûteuse et réservée à des éditions de luxe ou des revues à grand tirage. L'opportunité s'offrit à Freinet quand l'imprimeur cannois Robaudy, spécialisé dans les affiches et dépliants en couleurs, abandonna la lithographie pour la quadrichromie et vendit d'occasion une presse de lithogravure. La CEL racheta le matériel et embaucha les deux ouvriers qui l'utilisaient : le dessinateur lithographe qui reportait sur pierre les originaux qu'on lui confiait (autant de pierres que de couleurs de tirage, pas obligatoirement les trois couleurs primaires et le noir, comme en quadrichromie) et l'imprimeur qui effectuait les tirages, feuille à feuille (autant de tirage qu'il y avait de couleurs d'impression). Je n'ai pas assisté au tout premier tirage du printemps 50 : l'album Le Petit Chat au bain de mer (de la classe de Paul Le Bohec), mais quand je suis venu à Vence et à Cannes, je me suis intéressé de près au travail de la lithographie que j'avais étudié en théorie aux Beaux-Arts, car c'était, avec la gravure, le moyen utilisé par les artistes pour multiplier les exemplaires de leurs créations. Je m'y intéressais d'autant plus qu'en attendant la finition de ma future chambre, j'ai logé quelques mois dans un réduit de l'ancienne CEL situé à l'étage du petit atelier de litho. C'était très artisanal et Freinet préférait, pour diminuer le temps de travail, que le dessinateur prenne quelques libertés dans la reproduction des nuances. En effet, cela se traduisait par des pointillés plus ou moins gros et rapprochés pour densifier chaque couleur ou chaque mélange, par superposition des tirages successifs de chaque couleur retenue. Sans exiger la virtuosité indispensable pour les plus grands artistes du XIXe et de la première moitié du XXe, le travail était pourtant rigoureusement le même pour les affiches de spectacle ou de tourisme, les planches didactiques murales, utilisées dans beaucoup de classes pour le vocabulaire, l'histoire, la géographie ou les sciences, et même pour des étiquettes de produits alimentaires. Et maintenant pour des albums d'enfants. Freinet utilisa la litho en 1950-51 pour son livre en grand format " La Méthode naturelle de Dessin ". Par souscription, la CEL édita chaque année quelques albums d'enfants, de formats différents selon les originaux, et les Enfantines furent illustrées en lithographie, dans un format supérieur à l'édition précédente en NB. Mais la rentabilité de ces éditions, malgré leur succès auprès des militants, obligea à adopter un système moins artisanal. A partir de 1952, la lithographie fut abandonnée pour un système plus rapide et moins coûteux. C'est l'imprimeur Robaudy qui effectua désormais les reproductions par quadrichromie et les tirages sur ses grandes presses. Peut-être le lancement de la revue " L'Art enfantin " en 1959 accéléra-t-il la disparition des petits albums à trop faible tirage. L'édition en fut stoppée en 1960."
Michel Barré