Bibliothèque de lEcole Moderne N°16 DESSINS ET PEINTURES DENFANTS par Elise FREINET |
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TABLE
DES MATIÈRES 1.
- MESSAGE CULTUREL DE L'ENFANT 3.
- D'ABORD
DES SOLUTIONS PRATIQUES 4.
- DESSINER ET PEINDRE SONT OEUVRES
COMPLÉMENTAIRES 5.
- L'IMPORTANCE
DU GRAPHISME 6. - CHASSONS LE POMPIER 7.
- L'UNITÉ
GRAPHIQUE 8.
- DE LA COULEUR 9. - FUYONS LE RÉALISME OBJECTIF 10. - QUELQUES CONSEILS PRATIQUES POUR HATER LES RÉUSSITES EN DESSIN |
Le dessin
et la peinture d'enfants sont devenus exercices courants dans la vie scolaire. Le mérite
en revient en grande partie aux initiatives généreuses de notre Ecole Moderne qui,
depuis quelques trente-cinq ans, a. mené le bon combat en faveur de l'expression libre de
l'enfant. Car c'est bien l'expression libre qui nous a conduits à une inspiration
originale du dessin d'enfant, brisant tous liens avec l'exercice de copie d'objets et de
modèles qui contre toute évidence se maintient pourtant encore dans certaines écoles
traditionnelles. C'est parce que nous avons fait entrer en ligne de compte la
personnalité affective de l'enfant que nous avons instauré une pédagogie efficiente du
dessin à l'Ecole ; plus encore, que nous avons suscité des valeurs nouvelles qui
sont en passe d'être incluses dans le patrimoine culturel et d'y apporter des forces
neuves dont il faudra bien, un jour, tenir compte.
Il nous faut donc prendre conscience d'une sorte de mission artistique appelée à dépasser la simple tâche professionnelle dépendante des programmes, pour nous faire accéder à une responsabilité spirituelle contractée avec la prise en charge de l'âme de l'enfant.
Qu'on ne
voie ici aucune prétention à une culture qui serait comme une revanche sur notre
vocation primaire et ses obligations mesquines du lire, écrire, compter. Nous
savons très bien qu'à tous ses niveaux la vie est fabuleuse pour qui sait en sentir la
densité et tout spécialement au niveau de l'âme enfantine toujours frappée
d'étonnement devant les miracles de la création. je crois que pour situer nos démarches
dans le monde de la pédagogie et en présenter la portée dans le vaste champ de la culture,
il nous faut d'abord préciser à nos yeux ce mot prestigieux qui reste, disons-le
tout de suite, à la mesure de nos bonnes volontés.
Nous ne
parlons pas, bien sûr, d'une culture, somme de savoir, dépendante d'une mémoire
comblée d'un acquis sans cesse à la portée de toute question, pour honorer des
« quitte ou double » devenus à la mode des radios et télévisions.
Nous ne
parlons pas non plus d'une documentation humaine encyclopédique, en liaison permanente
avec la personnalité et permettant de trouver dans le passé et le présent une filiation
à des créations loyales. Cette culture n'est pas à la portée des humbles primaires que
nous sommes. Elle est la marque d'esprits exceptionnels qui dominent les faits d'une
hauteur comme un peu visionnaire, celle des génies : savants, artistes ou poètes.
Nous
prenons, nous, le mot culture comme un savoir-faire consommé ; une technique
intelligente d'un art, serait-il le plus modeste : celui du berger sculptant les
colliers de « brandons », celui de la lavandière coulant sa lessive
éblouissante, du faucheur taillant le blé dans le bon biais, de l'enfant ayant affirmé
sa facture picturale. Ces mille manières d'honorer la création personnelle sont
significatives d'un état d'exister. C'est ainsi que l'on peut parler de la culture des
nègres, de celle des esquimaux ou des indiens, de tous les peuples appelés sauvages,
parce que nourris de forces primordiales.
Nos
pratiques de libre expression ont mis à jour, une façon d'exister de l'enfance. C'est un
événement gros de conséquences.
Jusqu'ici,
l'adulte s'ingéniait à discerner la, façon d'exister de l'enfant à l'aide de canons
adultes ; la psychologie de l'enfant est en réalité une projection de la
psychologie adulte dans le monde de l'enfance. Le comportement de l'enfant y est toujours
évalué par rapport au comportement de l'adulte. Si bien que l'on n'aboutit ainsi
qu'à un compromis entre deux façons de vivre et qui ne peut signifier aucune
authenticité d'enfance.
Par la
libre expression, nous apportons, nous, des faits de grande vérité sur le comportement
enfantin : c'est l'enfant vu par lui-même. Tout reste à dire sur ce monde neuf qui
n'éclôt au grand jour que sur les exclusives dé marches fondamentales de la
spontanéité. Quelles que soient la défiance ou les réserves qu'un esprit
rationaliste puisse faire sur ces éclosions spontanées, il n'en reste pas moins que
cette façon d'exister de l'enfance sera l'assise sûre sur laquelle se construira la
personnalité. Elle mérite donc d'être considérée pour elle-même, évaluée par ses
richesses propres, appréciée comme acquis de base préparant l'avenir de l'individu.
L'art
enfantin qui apparaît aux yeux du profane comme une activité gratuite et subsidiaire,
est pour l'éducateur oeuvre vive qui porte en elle des valeurs de sensibilité et
d'intelligence, susceptibles d'éclairer notre connaissance de l'enfant d'un jour nouveau.
Essayons de déterminer sous quel angle cet art mérite d'être envisagé pour que
justification soit donnée de sa réalité.
Un art authentique est toujours valable
On croit en général qu'il y a une sorte de hiérarchie de l'art
dans laquelle l'art des primitifs et l'art enfantin seraient les tout premiers échelons.
Ce serait établir en somme une hiérarchie chronologique supposant un progrès dans l'art
au fur et à mesure de la montée vers les civilisations modernes.
Or, on ne
peut parler de progrès en art car il est un état de vivre et non une expression qui se
perfectionne au cours des siècles. Un masque de roi nègre sculpté par un artisan d'IFE
a autant d'expression que les visages des bas-reliefs égyptiens ou que les portraits
signés de la main de RUBENS ou que les figures pures enlevées d'un trait, sans bavure,
par notre Alain GÉRARD. Les uns et les autres signifient des instants de sincérité
spontanée ; il faut les prendre tels qu'ils sont pour les messages qu'ils apportent.
La vraisemblance n'est pas un critère de culture
Or ces oeuvres n'ont aucun souci de vraisemblance. Elles n'ont
pas été créées dans une soumission absolue à la réalité, mais sont au contraire,
oeuvres inventées, sorties de l'imagination et des mains habiles de l'artiste :
elles sont là pour honorer un instant de vie et non pour représenter un modèle dans ses
détails les plus précis. Il n'y a guère que les Grands de ce monde qui ont au cours des
siècles demandé peut-être la fidélité au modèle et encore, il ne fait pas de doute,
qu'ils ont accepté que l'image de leur personne soit embellie d'attraits qui n'étaient
pas les leurs. Au demeurant, ils le savaient bien, ce qui comptait par-dessus tout,
c'était la facture de l'artiste, la marque de son génie, beaucoup plus importantes que
la fidélité objective au modèle. Les portraits de RUBENS, de VAN DYCK, de GOYA, de
DAVID sont significatifs du talent de ces Maîtres et non des personnages représentés.
Les débuts
du siècle sous les audaces de KANDINSKY et des cubistes, en réaction contre un réalisme
trop fidèle à l'objet, nous ont familiarisé avec un non-conformisme de la ressemblance.
Les Demoiselles d'Avignon (1906) de PICASSO, ont été comme une sorte de manifeste
de la totale liberté de l'artiste. Le réel et l'irréel s'y donnent la réplique ;
la couleur plate y supplante le modelé et la composition abandonne résolument l'idée de
plans et de profondeur du tableau. Dès ces démarches ostensiblement protestataires dont
BRAQUE, PICASSO, JUAN GRIS ont été les promoteurs les plus passionnés, dès ces
créations indifférentes à la forme et à la couleur de l'objet, un réalisme nouveau
était né. Il ne se souciait plus ce réalisme, d'observation objective, expérimentale,
impersonnelle dans laquelle l'artiste n'avait pas d'opinion : il revendiquait au
contraire une prise de position en face de la réalité, l'expression d'émotions
personnelles.
Nos enfants
vivent ce réalisme de l'affectivité tout naturellement, ce qui compte c'est leur
manière de dire les choses par les moyens qui sont les leurs. On ne voit pas pourquoi on
leur en ferait grief quand on louerait par ailleurs l'indépendance au modèle de
l'artiste adulte. On pourrait très bien au contraire créer un quotient de valeur
relevant simplement de la puissance expressive de luvre et de son
originalité.
A une
époque où l'art non figuratif pèse de façon si décisive sur la peinture actuelle, il
est pour le moins abusif de voir les professeurs s'en tenir encore aux vieilles
balançoires de la fidélité au modèle. Et quel modèle ! Un livre cocasse serait
à écrire sur les sujets de dessin proposés à travers le monde lors des concours ou des
examens, à seule fin de mettre en évidence le comportement des lignes par rapport à une
ligne d'horizon toute conventionnelle, ou le départage des ombres et de la lumière, ou
la fidélité au ton local, etc... etc...
Il va de
soi qu'un enseignement aussi limitatif des possibilités de l'enfant, aussi soumis au
critère de la vraisemblance absolue ne laisse aucune part à la spontanéité.
La spontanéité démarche première de la vie
« Le génie, écrivait DERAIN, serait une constante
spontanéité ».
Cet aphorisme d'un spécialiste qui a au moins le mérite de s'y
connaître en la matière, revalorise une spontanéité dont on a beaucoup dit et médit.
Un rationalisme à courte vue élimine de tout acte sérieux les tendances spontanées qui
en sont pourtant le moteur initial. La vie dans les réactions les plus primitives de la
cellule, n'a d'autres démarches que la spontanéité et tout l'enseignement de PAVLOV sur
les réflexes conditionnés ne saurait se concevoir sans le jeu d'une spontanéité
initiale si souvent soulignée par le Maître.
Il semble que les démarches de la vie mentale soient identiques à celles de la vie organique. Si la spontanéité ne venait au secours de l'enfant, toute éducation serait impensable. Les démarches spontanées sont perfectibles et c'est par leur jeu que s'établit le tâtonnement expérimental dont FREINET a fait la base d'une psychologie de mouvement et de l'apprentissage à vivre.
Le tâtonnement expérimental est valable pour toute la vie
C'est par tâtonnement que l'enfant apprend à marcher, à
parler, à travailler, à dessiner. Nos éducatrices maternelles savent très bien que
l'enfant monte progressivement des traits informes et accidentels au dessin motivé - Les genèses
diverses établies par FREINET démontrent ce processus de perfectionnement
pour ainsi dire naturel qui est conséquence d'une loi simple : un acte réussi
tend à être renouvelé et dépassé pour asseoir une technique de vie sûre sur
laquelle en toutes circonstances l'individu peut compter.
Comme la
maman laisse l'enfant se livrer à ses tâtonnements perfectibles pour monter vers le
langage, la marche, les premiers actes de travail, l'éducatrice laisse l'élève
tâtonner pour arriver au dessin intentionnel, porteur d'émotions et d'expression
plastique.
L'enfant
est l'acteur de son éducation, de sa formation
C'est donc
l'enfant qui, dans l'apprentissage de la vie, est l'acteur essentiel des démarches
éducatives. La libre expression est la pédagogie la plus sûre pour faire des intérêts
profonds de l'enfant la base d'une acquisition personnelle et d'une formation
d'expérience.
Dans le
dessin qui nous occupe ici, l'enfant décide lui-même du jeu de son crayon ou de son
pinceau et des sujets à traiter. Il donne libre cours à ses initiatives intellectuelles
affectives et manuelles et c'est pourquoi très vite, il se crée un style personnel
qui est sa marque propre.
Le style est la marque de l'enfant
De quoi est fait le style de chaque enfant ? On ne saurait
l'évaluer sans être présent à toutes les créations successives qui affirment une
personnalité. Il est difficile de caractériser le style des dessins d'un enfant par
l'analyse des éléments qui en sont la constante. Mais, sans le préciser, on sent le
style de chaque gamin de la maternelle, comme le style de l'élève de fin d'études.
C'est par une intuition globale qu'on en sent les caractéristiques. Les tout-petits
savent discerner sans se tromper, à qui appartiennent les dessins de la classe, alors que
parfois la maîtresse hésite à leur trouver un auteur.
Le style
s'affirme par l'arabesque, la mise en page, les types de personnages ou d'animaux, la
palette, par tous les impondérables de sensibilité dont la constance va signifiant une
individualité.
Le modèle imposé tue les valeurs de sensibilité
et d'imagination de la personnalité enfantine
Nous voilà loin du modèle, imposé à toute une classe, livré
à une observation de surface que l'enfant accorde par obligation sans que jamais sa
sensibilité soit engagée.
Le modèle
est toujours limitatif : il ne représente qu'un seul objet alors que l'enfant est
curieux de tout l'univers et qu'il a tant à exprimer. Le modèle ne représente qu'une
anecdote dans la page, pourrait-on dire, alors que c'est tout un monde que l'enfant peut
imaginer. Et en réalité, chaque dessin d'enfant est révélateur d'un milieu social.
Dans nos écoles publiques, c'est le peuple qui revit dans les scènes dessinées :
le travail, la pauvreté, les grands et petits événements de la vie quotidienne y
signifient une classe sociale dans ses limitations, ses drames et aussi ses élans. Par le
simple dessin d'enfant on pourrait réunir une documentation d'une valeur humaine sans
égale.
Le dessin spontané source de jeux dramatiques et de
contes enfantins
Mais au delà du réalisme social, le dessin d'enfant est un témoin sans égal des possibilités intrinsèques
de la personnalité de l'enfant. Il tient comme en filigrane les valeurs de sensibilité
et d'imagination qui nous font accéder dans un monde fabuleux qui est poésie, drame,
aventure.
Nous savons
quelles richesses, nos classes d'Ecole Moderne, ont tiré de dessins d'enfants commentés,
pour notre littérature enfantine et pour notre théâtre d'enfants. Nos albums, notre
gerbe mettent à jour une pensée neuve à la dimension de l'enfant et ils sont
pour lui le meilleur et le plus précieux des livres de lecture.
On ferait
un recueil des jeux dramatiques, des décors, des costumes créés de toute pièce par une
affectivité joyeuse, une imagination amplifiant la réalité de toutes les vertus de
l'espérance.
L'art enfantin ne postule pas pour la beauté mais pour le
triomphe de la vie
Nous savons bien que la grande majorité des enseignants ont de
la peine à se familiariser avec le monde créé par l'enfant, monde plus proche du
grotesque que de la beauté classique si rassurante. C'est en effet au nom de la beauté
que l'on condamne sans appel, les figures parfois délirantes des dessins d'enfants.
Les esprits timorés vont même jusqu'à regretter que l'on donne libre cours à une
imagination débordante dangereuse pour l'équilibre moral de l'enfant. Ne va-t-on pas par
ce chemin de laisser-aller fausser le jugement de l'enfant ?
La pratique
montre que ces craintes sont superflues.
Ces
créations quelquefois un peu hallucinantes que l'on dirait sorties d'un ésotérisme
redoutable, ont leur signification et apportent par leur profusion une valeur de genèse
qui n'est pas uniquement fantastique. Elle témoigne d'un monde en gestation, riche de
potentialités et qui contient en promesse un devenir qui s'en ira progressivement vers
des formes plus classiques. Ce n'est là qu'une étape de l'apprentissage et de
l'acquisition, étape qui contient en puissance une richesse que l'on ne saurait sous
estimer et encore moins considérer comme le résultat d'une maladresse manuelle et d'une
erreur d'optique.
C'est ce
monde prodigieux, fertilisé de forces instinctives que l'artiste adulte prend en
considération. « Je n'attends rien de ma réflexion, dit TANGUY, mais je
suis sûr de mes réflexes ». La vraie richesse de l'artiste est, comme dirait
Raymond QUENEAU, « potentielle ».
En
conclusion
Nous allons
terminer là ces réflexions sur les points principaux sur lesquels s'affrontent les
opinions pour ou contre un art enfantin de totale sincérité et de totale liberté -
Aussi bien dans tous les débats, c'est la mise à l'épreuve des arguments par la
pratique qui sanctionne les idées et les vivifie par les faits. Notre expérience commune
déjà longue a porté ses fruits et devient aujourd'hui pédagogie efficiente et
militante. Nous apportons sans fin, localement, nationalement, internationalement, des
expositions d'Art Enfantin qui font la preuve devant le grand public des pouvoirs
créateurs de l'enfant. - Nous n'avons plus de plaidoyer à faire, mais simplement nous
pouvons dire : Venez et regardez. Le message de l'enfant s'offre à vous dans
toute son ingénuité, dans toute sa loyauté. A vous de dire s'il mérite d'être
entendu.
Très
souvent, des débutants dans les Techniques Freinet nous demandent un cours de dessin.
L'expression
« Cours de Dessin » semble donner au maître la direction effective de ce
qu'on appelle encore trop souvent « l'exercice de dessin ». Le maître expose,
explique, corrige. L'enfant écoute, et s'évertue à appliquer les règles apprises.
Cette
attitude scolastique de l'instructeur et de l'élève, nous voulons la dénoncer au seuil
de ces entretiens. Il n'y a pas dans nos Ecoles Modernes un adulte qui dirige et un enfant
qui obéit ; il y a simplement des enfants qui expérimentent et un maître qui les
suit pour mettre si possible à profit ces expériences spontanées et en déduire si l'on
veut, une sorte de théorie du dessin libre applicable à la grande majorité des élèves
de toutes écoles.
Le premier
rôle revient donc à l'enfant. C'est lui qui improvise, c'est lui qui module et compose
et tout naturellement, l'attitude du maître devient dépendante de celle de l'enfant.
N'est-ce
pas trop risquer ? Car enfin, l'enfant ne sait rien et a tout à apprendre.
- Il ne
sait pas dessiner, c'est-à-dire, reproduire les surfaces, les volumes, la couleur de
l'exacte réalité.
- Il ne
sait pas par une comparaison objective et rationnelle de ses graphismes et des objets qui
conditionnent ces graphismes, corriger ses erreurs. Aussi bien, l'exactitude est pour lui
subsidiaire.
- Dessiner
ce n'est pas pour l'enfant reproduire la réalité, mais plutôt manier des symboles de
réalité dans des constructions toutes subjectives. Les commentaires de dessins, donnés
a posteriori, par leurs jeunes auteurs font la preuve du monde fabuleux qui gravite autour
des dessins d'enfants.
Quelle
piste faut-il suivre ?
- celle du
cueilleur d'images qui toujours trop embrasse. et fait mal son bouquet ?
- ou celle
de la règle exacte venue de la leçon de chose et qui exige que le dessin soit d'abord et
surtout l'objet reconnaissable et si possible juste.
L'Educateur
reste perplexe.
Cette facilité de l'enfant à faire surgit de la pointe de son crayon une réalité incohérente et fantastique, lui donne quelques appréhensions.
La leçon
de choses basée sur l'observation méthodique, serait tellement plus rassurante.
En fait, même si le maître impose la
leçon-de-dessin-leçon-de-choses, c'est quand même le graphisme qui triomphe sur les
marges des cahiers, les murs du W. C. ou de la cour ou sur la chaussée, noire et lisse
comme un tableau noir sans fin.
Le
graphisme triomphe, simplement, parce que l'enfant a du plaisir à dessiner. Tout bébé
il jargonnait pour le plaisir de faire sortir des sons de sa gorge ; aujourd'hui, il
dessine pour cette joie toujours nouvelle de délivrer des bonshommes de son crayon. Ce
plaisir ,initial, c'est le moteur essentiel de toute éducation naturelle et en
définitive, l'enfant, comme l'eau, coule où il veut.
L'éducateur
n'est là que pour constater le dynamisme du courant, pour en éviter si possible le
gaspillage et conserver son potentiel ascendant dans des démarches de plus en plus
parfaites.
On voit de
suite que le rôle du maître est signé de prudence et de doigté. Il est facile de
rester prudent. Il est moins aisé d'avoir du doigté car le doigté suppose la CULTURE.
Certes si le maître était informé, des prodigieuses images de l'immense patrimoine
artistique, il serait moins troublé par les symboles graphiques de ses élèves. Il
aurait même un secret plaisir à établir des comparaisons entre les décorateurs de
grottes, les graveurs de galets, ou les inventions de nos cubistes ou de nos surréalistes
modernes. La CULTURE, cette griserie du savoir, tempérerait les rigueurs de la logique et
de l'exactitude.
Nous ne
sommes pas hélas ! des gens de culture et c'est avec notre propre ignorance que nous
devrons aborder le problème de l'éducation artistique de l'enfant, problème qui
dépasse , on le pressent, le contenu de la petite leçon de dessin.
Si
handicapés au départ jusqu'où pourrons-nous aller ?
La
pratique, comme toujours, nous enseignera.
D'ABORD DES
SOLUTIONS PRATIQUES
Nous
connaissons tous les difficultés qui, dans nos écoles pauvres et par surcroît
surchargées, limitent l'expression libre de l'enfant par le dessin et surtout la
peinture.
Trois
facteurs sont au départ indispensables.
1. - Avoir
tous les matériaux nécessaires : papier convenable, crayons et craies de couleur,
pinceaux, couleurs préparées et espace pour faire sécher et ranger les oeuvres
réalisées..
2.- Avoir
une place suffisante pour que les enfants puissent sur surface plane ou sur chevalet et
sans gêne, réaliser leurs travaux.
3. - Avoir
la possibilité de disposer devant soi d'assez de temps pour que le thème pressenti
prenne forme sur le papier par le dessin d'abord, et si possible soit mis en marche avec
la couleur.
Nous savons
que dans la majorité de nos écoles, ces conditions primaires sont difficilement
réalisables. Il faudra donc, avec obstination, chercher des compromis.
I.
- LES MATÉRIAUX
Même si
nous ne sommes pas très sûrs de pouvoir obtenir des résultats valables, faisons notre
possible pour mettre toujours à la portée de l'enfant du papier découpé de
divers formats (vieux cahiers, papiers peints - (échantillons) - papier d'épicerie ou de
boucherie et bien sûr aussi du papier à dessin que peut-être la CEL pourrait fournir
aux meilleurs prix possibles.
Des CRAYONS
divers, noirs et de couleurs et quelques stylos-billes.
PAS DE
GOMME.
Des CRAIES,
blanches et de couleurs pour réaliser les dessins au tableau noir et sur les papiers
grand format et les murs lorsqu'on se sentira assez fort pour créer des fresques.
Des
PINCEAUX. Ils sont très chers et devront toujours être très surveillés, mis à sécher
poils en haut dans une boite ou l'habituel bocal à eau. Les bricoleurs pourront, comme on
l'avait enseigné dans un numéro de La Gerbe, faire eux-mêmes des pinceaux avec
des stylos-billes usagers et des poils de vaches ou des cheveux. On peut même pour les
gros plans peindre avec un porte plume dont la plume est habilement recouverte de coton
hydrophile fixé avec un fil, aussi bien, on peut peindre avec ses doigts. C'est
l'inspiration et la flamme qui importent.
Les
COULEURS. Toutes les couleurs peuvent être mises à l'épreuve niais celles qui sont les
plus malléables, les plus éclatantes et aussi les moins chères sont les couleurs en
poudre C.E.L., livrées avec mode d'emploi. Il faut prévoir boîtes de conserves
(nescafé, par exemple), ou mieux verres ou pots à yaourt, pots en matière plastique.
Chaque pot doit avoir son pinceau et le conserver pendant toute la séance de peinture. Le
mélange des pinceaux entraîne disputes, gâchis et déceptions.
OÙ RANGER
TOUT OE MATÉRIEL ? - Le plus simple est de le disposer dans une simple cagette à
fruits qui permet un rangement très pratique et transportable. Elle pourra être
recouverte d'un contreplaqué ou d'un carton rigide et rangé au bas d'une armoire ou de
la bibliothèque.
DES
SÉCHOIRS. - Simples fils de nylon tendus avec pinces en matière plastique pour les
dessins ou étagères pour faire sécher à plat les oeuvres encore humides de couleur.
UN GRAND
CARTON - à plusieurs cases - que l'on peut facilement réaliser avec du carton ondulé
très rigide sur ses 2 faces et que l'on peut disposer sur un chevalet. On peut ainsi tout
à son aise classer, feuilleter, choisir. Et si le carton est embelli de beaux graphismes
et de belles couleurs, le chevalet passé au brou de noix et si toutefois nous trouvons un
coin pour l'installer, il mettra dans notre classe une note originale. Sinon, faute de
chevalet nous logerons le carton dans le dos d'une armoire.
2. - UNE
PLACE SUFFISANTE pour permettre à chaque enfant de dessiner est certainement possible
quand il ne s'agit que de manier les crayons ou le stylo-bille. Quand il s'agira de
peindre, le problème sera beaucoup plus compliqué. Il faut ici en effet la place
centrale pour ranger tous les petits pots de couleur, chacun contenant son pinceau. Il va
sans dire que dans les classes compressées il n'y a aucune installation possible. Mais
peut-être dans l'espace réservé au maître pourrait-on s'installer à même le parquet
comme le font très souvent les petits de l'Ecole Freinet, par simple plaisir de se
détendre ou de changer de position pour travailler.
Faute de
place sur le parquet, peut-être pourrait-on s'organiser dehors, dans le couloir ou dans
un coin de préau. Et là où existe une cantine, sur les tables où les enfants prennent
leur déjeuner.
De toutes
façons dans la majorité des cas, il faudra certainement faire preuve d'initiative pour
que le temps prévu par l'horaire et les activités dirigées puisse être employé le
plus utilement possible.
Vu
l'effectif des classes, il est indispensable de prévoir une organisation très
méticuleuse pour les leçons de dessin et de peinture.
QUAND DESSINER ?
Dessiner
devrait être un exercice aussi général que parler, raconter, penser, chanter ou danser.
C'est dire que loin de réprimander l'enfant à cause de ce penchant qu'il a à
« gribouiller » tout en écoutant le maître ou ses camarades exposant des
sujets divers, on devrait le laisser librement chercher et parfaire son expression
graphique. Le plus simple est de demander aux enfants s'ils voudraient avoir un cahier de
dessin. Ceux qui s'enchanteraient de l'innovation disposeraient alors d'un simple cahier
d'écolier qui, page après page, éveillerait le goût du dessin et bientôt le plaisir
de dessiner. Alors, de lui-même l'enfant solutionnerait son propre problème. Le maître
y trouverait occasion de déceler de suite les aptitudes réelles de l'enfant doué
susceptible de devenir le poulain de la classe, entraînant derrière lui la masse
indécise mieux que ne pourrait le faire le maître très souvent peu instruit de ses
responsabilités dans ce domaine un peu troublant de l'expression graphique.
DESSINER ET PEINDRE
DESSIN
ET COULEUR
Il n'y a
pas à vrai dire de progression pédagogique,dans la réalisation de l'oeuvre picturale.
Nous avons dit : « le dessin est l'ossature du tableau... et donc il doit être
cultivé pour lui-même ». Cela ne veut pas dire, loin de là, que la couleur ne
soit qu'un aspect second de l'action du peintre et qu'elle doive exactement s'encastrer
dans les espaces délimités par la ligne.
On peut
constater simplement que les plus grands parmi les grands Maîtres sont ceux qui d'abord
ont su créer une arabesque personnelle. RUBENS, par exemple, le plus sensuel des
coloristes, le plus prodigieux des lyriques, ne maintient ses symphonies que par
l'arabesque solide - donc le dessin - qui les charpente. Ce sens général de l'oeuvre -
en profondeur humaine et philosophique - il l'avait puisé d'ailleurs chez tous les grands
de la Renaissance italienne dont les toiles immenses (LE TITIEN - TINTORET - VERONÈSE -
MICHEL ANGE) n'ont été réalisables que par l'armature impeccable d'un dessin
irréprochable.
Mais plus
près de nous, CÉZANNE, cet inventeur de l'Art Moderne - sans le savoir - donna à la
couleur un quotient d'expression tel qu'il en fit la valeur déterminante de tout son
génie : « quand la couleur est à sa richesse, écrivait-il, la forme est à
sa plénitude. » C'est cette garantie acquise par ses infinis tâtonnements qui le
sauvèrent du désespoir, lui qui ne sut jamais dessiner.
Nous ne
partirons d'aucune pétition de principe. Nous laisserons simplement l'enfant user du
crayon et du pinceau pour exprimer ses élans, persuadés que nous sommes que -
progressivement - par réajustement de ses tentatives, par expérience tâtonnée il
arrivera à porter l'accent sur le moyen d'expression qui lui convient le mieux.
Nous
considérerons simplement au départ que dessiner est un acte plus spontané, plus rapide,
plus fulgurant que peindre. Il ne demande par surcroît qu'un matériel infime et une
place très limitée. Comme par ailleurs, le langage universel du dessin peut en un
minimum de temps, signifier beaucoup, il est donc naturel que nous lui donnions une place
de premier plan dans notre école primaire surchargée.
Nous départagerons au départ :
a) Les
enfants qui déjà savent user de la couleur avec assez de doigté pour avoir « une
palette ».
b) Les
enfants pour qui peindre est encore expérience à découvrir.
a) CEUX QUI
ONT UNE PALETTE. - De très bonne heure, certains enfants ont l'intuition de la palette,
c'est-à-dire d'un choix de couleurs plus subtil que le simple usage des couleurs
fondamentales. Déjà, par eux-mêmes, ils inventent des mélanges, les juxtaposent, les
fondent pour créer une unité picturale. Couleur et dessin s'amalgament, se complètent
et nul ne soupçonne « la couture qui les a joints ». L'enfant fonce en avant,
sûr de lui, impatient de réussite. Nous n'avons rien à lui apprendre car mieux que
nous, il sait suivre la bonne veine. Laissons-le aller.
b) LENFANT
QUI N'A PAS DE PALETTE n'est pas forcément, « pas doué pour la peinture ».
Simplement, il na pas su faire démarrer ensemble dessin et couleur. Sa joie est
restée linéaire et intellectuelle si l'on peut dire. Il ira même approfondissant ce
goût pour la ligne expressive et deviendra très tôt un caricaturiste, se taillant un
succès par ce moyen d'expression convenable ; il aura tendance à
sous-estimer la couleur. Nous avons tous dans nos classes des élèves caricaturistes
incisifs et frondeurs, difficiles à orienter vers le sens du tableau mais qui ont au
moins l'avantage de nous arrêter sur le pouvoir d'expression prodigieux du dessin se
suffisant lui-même.
L'ENFANT
QUI NE SAIT PAS DESSINER est évidemment le cas le plus désolant. Non seulement il ne
sait pas dessiner, mais encore il ne veut pas dessiner. Alors que le tout jeune enfant (de
4 à 6 ans) n'a aucune appréhension devant la feuille blanche où, il essaye son crayon
pour la première fois, l'enfant de 9 à 13 ans est dominé par un complexe d'échecs qui
lui fait redouter l'expression par le dessin.
Ce cas de refus obstiné à dessiner heureusement très
rare - est certainement le plus difficile à résoudre. Relativement plus éducable est
l'adolescent au dessin pompier, habituel de la copie. S'il dessine pompier, c'est
du moins par goût - ou plutôt par faute de goût et par plaisir - un plaisir est
toujours susceptible d'élargir une expérience.
LE DESSIN TEST
Nous avons,
incontestablement, avantage à déceler les aptitudes de nos élèves ; ne serait-ce
que pour éviter le gaspillage des dons innés.
Comment
nous renseigner pour tous les éléments de cette classe comble ?
Le plus
simple est de laisser aller les choses : les enfants dessineront librement, sur petit
format pour commencer ½ feuille ou feuille de cahier. En passant entre les bancs,
nous surprendrons leur comportement ; nous les interrogerons sur le contenu graphique
de leurs travaux et si possible nous consignerons les commentaires ou les réflexions
originales des dessins les plus marquants.
Nous serons
souvent très embarrassés pour saisir même globablement le sens d'un dessin d'enfant.
Tant d'impondérables nous échappent et nous avons si peu de confiance en nos
possibilités !
La pratique
nous formera. Peu à peu, nous découvrirons des détails révélateurs de la
personnalité enfantine et de ses aptitudes. Nous apprendrons ainsi que, d'une manière
générale, un dessin touffu, aux graphismes réalisés avec rapidité, commentés avec
volubilité, témoigne d'une nature riche qui, inévitablement, découvrira des, voies
nouvelles. Les enfants qui sont ainsi spontanément créateurs, doivent devenir tout
naturellement chefs d'équipe et entraîneurs - ainsi la responsabilité du Maître se
trouvera allégée.
Par contre,
des graphismes pauvres, isolés, vides, se promenant dans la page sans liens, sans que
l'enfant improvise à leur sujet la trâme affective qui les relie, nous fera comprendre
que l'élève qui en est l'auteur, n'a pas au départ un état d'esprit favorable à un
bon démarrage. Il n'est pas « ouvert » : il n'a pas compris encore que
le graphisme est un facteur de libération imaginative et affective et que par lui, la
liberté est sans limite.
Nous
verrons progressivement quels heureux effets peuvent surgir du simple trait promené sur
la page blanche. Disons dès à présent que le dessin est l'ossature de l'oeuvre d'art et
donc qu'il doit tout au début être pris en considération et cultivé pour lui-même.
On ne peut pas dire que la peinture parachève le dessin. L'un, l'autre peuvent se fondre pour donner une impression majeure de la réalité subjective et objective. Mais ce sont là des valeurs impondérables que nous sentirons chemin faisant. Pour l'instant, nous nous essayerons à user de la couleur, comme nous pouvons, comme nous sentons.
Hélas !
peindre sur un grand papier, avec de vraies couleurs sera un privilège réservé à
quelques élèves seulement de la classe surchargée. Faute de place, il faudra prévoir,
c'est urgent, une organisation de travail par équipe et s'arranger pour que chaque
équipe ait au moins une séance de peinture par semaine. Nos écoles modernes ont
suffisamment de souplesse dans leur emploi du temps pour permettre un roulement
judicieusement prévu et qui donnerait à l'enfant le besoin d'user également de la ligne
et de la couleur pour signifier sa vérité.
PRATIQUE
Nous
résumons donc l'aspect pratique du problème :
1°)
Préparer de suite le matériel qui permettra la mise en marche.
2°) Créer
l'atmosphère du dessin libre et de la peinture par le dessin à jet continu et la
peinture par équipe.
3°)
Laisser aller l'enfant, sans directives ni règles, dans la voie toujours ouverte de la
joie créatrice.
4°) Si
possible exposer dès le début dans la salle de classe, des oeuvres suggestives sorties
de nos cartons, (si déjà nous avons un passé) ou prêtées par des camarades du
département ou par la C. E. L. qui toujours fera le maximum pour vous satisfaire.
Ainsi tout au départ, l'ambiance sera créée.
Cependant
un dessin peut se limiter à un exclusif graphisme, auquel l'enfant reste fidèle et qui
condense une joie secrète qui va loin en profondeur. C'est ainsi que très tôt nous
avons des enfants spécialistes de chevaux, de chiens, de « têtes », de
personnages, d'oiseaux. Il ne manque ici qu'un coup de pouce pour élargir le champ de la
conscience en prenant pour point de départ le thème initial privilégié : cheval,
homme, chien ou oiseau. L'influence d'un enfant prolixe en commentaires y suffira dans la
majorité des cas et on aura tôt fait de créer un décor au graphisme isolé.
NE JAMAIS DESSINER A VIDE
La leçon
de dessin à heure fixe expose au danger de pauvreté d'invention. Il se peut en effet
qu'à l'instant imposé par l'horaire l'enfant n'ait plus rien à dire, reste muet ou
s'abandonne au « n'importequisme ».
Le cahier
de dessin qui, lui, recueille à tout instant l'improvisation peut être ici d'un grand
secours. Le feuilletant, l'enfant y retrouve la trace de ses émotions, de ses réussites
et sur un thème favori, il aura tôt fait de repartir vers une expression plus mûrie et
plus riche.
Pour
entraîner les hésitants, on fera dessiner sur les tableaux noirs les
« poulains » à l'esprit fertile. Ainsi des perspectives seront ouvertes à
l'ensemble de la classe et des thèmes communs peuvent s'improviser, s'élargir, par
réaction en chaîne et créer cette atmosphère collective qui imprègne chaque
personnalité.
Revenons donc à la pratique.
PRATIQUE
Pour faire
naître et entretenir une atmosphère de création à jet continu
I°) Faire
du dessin libre, en toutes occasions, un exercice légitime. L'enfant peut dessiner en
écoutant un exposé, pendant la lecture de ses, camarades, quand il a fini un devoir ou
pris de lavance dans un travail. Il ne faut pas croire que lélève condamné
aux bras croisés, au regard fixe soit plus attentif que celui qui
« gribouille » tout en prêtant loreille aux événements de la classe.
Au contraire. Lobservation prouve que ce qui prime chez lenfant, cest la
besoin dactivité. Limmobilité le désarçonne. Il a besoin doccuper ce
surcroît de vie, et sans cesse agite ses mains, ses pieds, dans linstabilité du
silence imposé.
2°) Pour
éviter que ces improvisations fugitives soient vouées à la corbeille à papier, donner
à chaque enfant un cahier de brouillon de 100 pages. Il lachètera avec plaisir et
bien vite une compétition sétablira, des impressions séchangeront et
lhumble cahier pourra devenir une mine de richesse intérieures dont la
littérature, la poésie, les jeux dramatiques pourront tirer profit.
3°) Il va
sans dire que la leçon de dessin sera favorisée par ces pratiques quotidiennes.
Lenfant aura vite fait de transcrire sur le plus grand format le dessin des derniers
jours qui lui a été le plus sympathique et alors plus aisément il sen ira vers
les pots de couleurs pour parfaire son uvre.
4°) Car
dès ces premiers jours de rentrée, les enfants doivent user de la couleur, peindre avec
joie.
5°) Et
ceux qui nont pas pu sapprocher de la table de painture faute de place ?
Ils sessayeront à parfaire leurs graphismes sous langle de ce sens décoratif
qui reste le meilleur facteur de lArt Moderne. On peut par simples détails
décoratifs faire vivre intensément un dessin, lui donner densité et profondeur.
L'oeuvre de Picasso et plus encore celle de Matisse en portent témoignage et
enseignement.
Nous avons
dit que dans le tableau le dessin et la couleur n'étaient pas chacun signifiés par un
quotient de valeur intrinsèque, mais au contraire, qu'ils s'épaulaient, se pénétraient
l'un l'autre pour exprimer l'oeuvre d'art.
Nous avons
constaté cependant que le dessin avait une signification générale, un sens complet qui
le faisait se suffire à lui-même. A l'aube de l'art, le dessin a été la trace
première du rêve de l'homme inscrit sur les parois des grottes et à chaque grande
époque, il a donné la mesure du génie des plus grands.
Nous
soulignerons donc, au début de ces causeries pratiques, l'importance du graphisme.
LE CONTENU GRAPHIQUE
Le dessin
c'est un trait qui court. Le trait peut être gauche, hésitant, ou sûr et ferme, souple
et nuancé, et par sa seule facture déceler le talent. Indépendamment de la réalité
qu'il représente (objets, personnages, paysages, motifs décoratifs), le trait, par ses
caractéristiques, bonnes ou mauvaises, peut déjà signifier la valeur du dessinateur. Il
devient la ligne évocatrice de sûreté, de densité, d'élégance. On parle
couramment pour nos modernes de la ligne de Dufy, de Braque, de Matisse, de Rouault. Dans
nos écoles-artistes nous savons et les enfants savent mieux encore reconnaitre la ligne
de chaque élève de la classe. La ligne est la marque de la personnalité. Nous avons
donc le devoir de la respecter. D'où l'attitude de prudence de l'éducateur.
NE PAS CORRIGER LES DESSINS D'ENFANTS
Cependant,
dira-t-on, n'est-ce pas une obligation morale du maitre de redresser les erreurs ? On
corrige bien les fautes de français dans le texte libre, pourquoi ne
corrigerait-on pas les fautes de dessin ? Les professeurs de dessin avec leurs
inlassables corrections arrivent tout de même à apprendre à dessiner.
C'est
exact : les professeurs de dessin apprennent à dessiner, même très fidèlement,
très consciencieusement mais combien d'artistes sont sortis de leurs mains
PICASSO,
fil de professeur de dessin, n'a connu la notoriété que parce qu'il a volontairement failli
à ce don de dessinateur qui fut son premier mérite. C'est en se soustrayant aux
disciplines strictes de l'objectivité pour entrer dans le domaine sans frontière de la
fantaisie qu'il a mis à l'épreuve ses prodigieuses facultés d'invention et donné au
monde la plus étonnante signification de la liberté.
Nos enfants
arrivent aux mêmes conclusions que Picasso. Ils adoptent la même attitude d'invention à
jet continu, peut-être avec plus de facilité et de bonheur, car eux n'ont rien à
oublier parce qu'ils n'ont rien appris.
Bref, le
moment n'est pas venu de dire si PICASSO a eu tort ou raison de prôner avec une si totale
désinvolture le respect du point de vue personnel. Constatons en ce qui nous concerne,
que l'enfant est beaucoup plus apte à suivre les leçons de Picasso que celles des
professeurs de dessins qui, du reste, ne lui sont pas dispensées à notre niveau
primaire. Quelle richesse d'ailleurs gagneraient-ils à savoir dessiner les pauvres choses
qu'un programme d'indigence impose à leurs initiatives.
Nous
préférons la leçon de PICASSO, plus ample, plus humaine plus facile aussi, car
n'oublions pas que les 9/10 des instituteurs, pour ne pas dire plus, sont inaptes à
dessiner et ce triste résultat donne assez la mesure de l'efficience de l'enseignement
des professeurs de dessin qui les ont formés ou plutôt déformés.
Cependant
nous ne disons pas que par d'autres chemins, par conseils, par suggestions, voir même
corrections, on n'arrive pas à former des tempéraments. Il y a certes de très louables
résultats obtenus dans les cours de dessin. Mais les élèves sont un peu comme l'infirme
habitué à ses béquilles. Il ne sait plus se passer de ces conseils et directives
autorisées et voler de ses propres ailes.
Dans les
contingences péjoratives de nos écoles publiques, nous voyons au contraire, nos
oisillons ouvrir leurs ailes sans appréhension et partir à la conquête des plus belles
images. C'est la preuve que la confiance que nous leur faisons est une bonne action et
qu'elle est aussi une bonne méthode.
A
LA RECHERCHE. DU GRAPHISME ORIGINAL
Qu'est-ce
qu'un graphisme original ?
C'est un
graphisme qui différe de l'exacte réalité et qui supplée à cette exactitude par des
qualités nouvelles, inédites de l'oeuvre personnelle.
Les têtes
de chevaux gravées sur les grottes de Cueva de Los Casares (Espagne) entre le
Périgordien et le Magdalénien, ont le même « chic » que ceux de nos enfants
animaliers et la même écriture stylisée significative de grande maitrise. On peut
établir des comparaisons semblables entre le jeune Bouquetin d'Angle-sur-L'Anglin
(Charente) Magdalénien III et les petites chèvres modelées par les doigts de notre
petit Kiki de l'Ecole Freinet - (6 ans) -. Ce sont là des oeuvres originales et
similaires.
Le dessin
original est l'antithèse et lantidote du pompier. Nous reviendrons
spécialement sur le pompier et sur la valeur du détail original (p. 50).
LE THÈME
Nous avons
évoqué le contenu du dessin en tenant compte exclusivement de la signification de la
ligne. Mais le sujet n'est-il pas au premier chef le facteur essentiel du contenu ?
Évidemment non. Comme pour toute expression humaine, le sujet ne vaut que par le
langage qui le signifie.Un sujet n'a jamais déterminé un bon roman, si le style n'en a
judicieusement permis l'analyse, exprimé les situations et exalté les passions. Il en
est de même en poésie, en art dramatique et en art décoratif ou pictural.
Les thèmes
rustiques des Frères Le Nain ou de Millet ne sont supérieurs à
ceux de Fougeron que par la marque définitive de leur écriture picturale. Cette
écriture est le cachet même de la personnalité, du talent.
Dire que le
sujet ne détermine pas la valeur d'une oeuvre ne veut pas dire cependant qu'il soit
forcément subsidiaire. Chaque grande époque a eu ses thèmes déterminants : la
bête sauvage des grottes préhistoriques ; la vie de jésus chez les primitifs des
XIIIe et XIVe siècles et de la Renaissance ; la pompe royale
des XVIIe le et XVIIIe siècles ; les légendes mythologiques,
la Nature, la vie sociale et politique, les portraits ont été les prétextes favorables
à une inspiration de qualité de tous les grands Maîtres au cours de l'Histoire de
l'Art. Mais ces mêmes thèmes ont été aussi discrédités par l'indigence et le
pompier. Nous en voulons pour preuve, tous les fades portraits des saints qui ornent - si
l'on peut dire - les innombrables églises et chapelles, pour ce qui regarde l'art sacré.
Quoi qu'il
en soit et quels que soient les risques, le sujet reste pour l'enfant, le prétexte à
dessiner. Tous les aspects de la réalité le sollicitent et tout spécialement le milieu
social dont il est partie intégrante : la Nature ou la cité, le travail sous tous
ses aspects, la vie dans la rue, les incidents quotidiens, les bêtes, les choses, les
hommes, et aussi les rêves, symboles d'une vie intérieure qui toujours chevauche sur
deux mondes, celui de la réalité extérieure et de la sensibilité intérieure.
Nous ne
ferons donc aucune discrimination au départ. D'autant plus que notre époque Moderne
continue à nous habituer à une liberté sans contrôle qui met parfois son point
d'honneur à rejeter de son expression tout objet reconnaissable. Le surréalisme est
en pleine expansion et les arguments qui le justifient ne sont pas sans valeur, il faut le
reconnaître. Ce n'est jamais sans choc en retour que l'on tente de juguler ce ferment de
pensée et de vie qu'est la liberté.
Elle sera
le pain de nos enfants-artistes, même dans le carcan des classes surpeuplées. Nous
laisserons donc nos élèves dessiner ce qui leur plait et dans la forme qui leur est
personnelle. Le difficile sera de découvrir cette forme personnelle si vite compromise
par la suggestion des dessins d'aventures qui sont l'essentiel des journaux d'enfants.
POUR NOUS
RÉSUMER
1°
Noublions pas, de nous intéresser, chaque jour au cahier de dessins libres de chaque
enfant. Un coup d'oeil est si vite donné !
Demandons
à chaque élève d'inscrire le titre de chacun, de ses dessins.
Notons les graphismes qui réapparaissent le plus souvent et qui
témoignent d'une habileté, d'un brio personnel.
Notons
aussi les enrichissements dont ils sont progressivement nourris et soulignons-les au
passage d'un trait rouge. Ils seront le levain de l'avenir, l'étincelle qui nous fera
comprendre, le sens réel de l'art enfantin.
2°
Tâchons de nous procurer des reproductions d'oeuvres de Maîtres, susceptibles de faire
sentir, d'un coup d'oeil à l'enfant qu'il est dans la bonne voie.
3° A la
séance de peinture exigeons quau départ le dessin soit très lisible et arrangeons-nous
pour que les graphismes les plus personnels centrent le dessin à peindre et donnent au
début, une impulsion affective qui aura son influence sur le choix de la couleur et ses
harmonies.
QUEST-CE
QUE LE POMPIER ?
Littéralement,
le pompier est celui qui fabrique des pompes. Tout comme « le piston qui fait
marcher les machines », la pompe est synonyme d'automatisme et de banalité.
Peut-être faut-il y ajouter par surcroît, une sorte d'emphase, de grandiloquence qui
s'est attachée, par la suite - à tort ou à raison - aux exercices pourtant fort
méritoires de la corporation des pompiers. Casqués et rutilants, environnés de flammes,
on les voyait apparaître aux fenêtres des immeubles embrasés, portant dans leurs bras
la créature arrachée in extremis aux flammes. Les pompiers ont été les
premières victimes de cette image tragique, indéfiniment répétée dans le mélo
populaire. Tout ce qui est banal, vulgaire, déjà vu, tout ce qui est boursouflé,
prétentieux et sans style, est pompier.
L'un des
avantages du pompier est de s'identifier parfois avec le réalisme. Un mauvais réalisme,
certes, le plus servile et le plus pauvre, mais qui néanmoins fait illusion et séduit
les esprits sans culture. La forme la plus expressive du pompier nous est fournie par les
chromos de bazar qui ont été au début du siècle le premier effort vers un art
populaire. Il était à l'époque l'un des aspects du bien-être et du confort des petits
fonctionnaires et des artisans installant leur « chez-soi ». Des natures
mortes, les figures allégoriques des quatre saisons, des marines, des images saintes,
hautes en couleurs sous leur vernis glacé qui imitait la vitre, étaient les thèmes
courants d'une fabrication à grand tirage offrant par surcroît un cadre doré pour un
prix dérisoire.
Nous
retrouvons le pompier, hélas ! dans presque toutes les oeuvres de nos adolescents,
surtout chez ceux qui se sont formés par la copie d'images. La majorité de nos manuels
scolaires ont des illustrations situées sous le signe du pompier. Avec ou sans couleurs,
la banalité la plus plate, fleurit à chaque page. L'enfant s'y laisse prendre, en fait
même ses modèles et y puise son inspiration. Les journaux d'enfants aux placards criards
tirés à des millions d'exemplaires grâce à des flancs internationaux ne font
qu'accentuer cette influence du mauvais goût sur la sensibilité adolescente. Rien ne
vient corriger ce triste état de fait car l'enfant du peuple, surtout le petit paysan
perdu dans sa province ignorera toujours que peuvent exister de belles images réalisées
par de Grands Maîtres. »Le Petit Echo de la Mode », les almanachs ou
le catalogue de Manufrance, continueront longtemps encore à proposer à la curiosité
enfantine les aspects les plus regrettables du pompier. Ce n'est que par nos pratiques de
dessin libre et par un début d'initiation artistique que nos élèves pourront sortir de
cette atmosphère de banalité si paralysante et destructive d'invention personnelle.
Mais, le
plus grand obstacle que nous rencontrerons ne viendra pas, croyons-nous, de l'enfant. Pour
peu qu'on lui propose des oeuvres originales, pour peu qu'on éduque sa sensibilité, il
saura rejeter les modèles dont il faisait ses délices et se lancer avec audace dans la
création personnelle. Le plus grand obstacle viendra surtout de l'attitude du maître.
L'instituteur n'a jamais eu, à vrai dire, de contacts avec lArt. Sa formation
intellectuelle a surtout été scolastique quelles que soient les apparences de libre
activité des cours qu'il a suivis. Le dessin - d'après nature, décoratif ou technique -
n'a fait qu'effleurer sa sensibilité. Il acceptait avec les critiques habituelles du
professeur, prêt même mettre une sorte de
point d'honneur à « être nul en dessin ». Pour ce que ça compte dans la
vie ! Plus tard, il est certes arrivé à notre jeune instituteur de visiter des
musées. Mais toutes les oeuvres ne sont-elles pas ici décrétées remarquables et
l'essentiel n'est-il pas d'en retenir le titre pour le citer le cas échéant !
D'ailleurs comment juger ? S'il lui arrive de s'arrêter au Louvre devant les grandes
toiles relatant le mariage de Marie de Médicis, et tout spécialement devant celle
du débarquement de la reine, comment Réagira-t-il en face des Sirènes du premier plan
qui en sont le détail le plus étonnant ? Sans nul doute il trouvera regrettable que
le mythe soit mêlé ici à l'histoire et toute cette substance intime de la vie qui
ruiselle sur la ligne ondulante de ces corps somptueux de femmes, cette autorité du
Maître recréant un ordre nouveau, seront pour lui lettre morte.
Sans s'en
douter, le primaire ainsi handicapé par son manque de culture est plus encore que
l'enfant, la victime du pompier. Il jugera avec sympathie une oeuvre « bien
rendue », car pour lui, la peinture égale l'exacte réalité. Or l'art n'est pas la
réalité : il est la réalité recréée par un tempérament. Dans cette seconde
création, c'est le facteur sensible ou imaginatif de l'artiste, sa marque personnelle qui
a le plus gros coefficient. La culture ne reproche pas comme une faute grave de Rubens, de
donner des Sirènes en cortège à Marie de Médicis. Elle lui fait au contraire un éloge
de disposer de son invention pour atteindre ce pathétique de la Nature qui éclate dans
son oeuvre prodigieux. Elle justifie de même chez les grands Maîtres de la Renaissance
Italienne, l'intrusion des éléments profanes aux thèmes sacrés dé l'Evangile et elle
fait un mérite à Picasso d'être de tous les temps et jamais semblable à lui-même...
Ce faisant, la culture est-elle inconséquente ? C'est là un sujet qui dépasse nos
soucis actuels, mais qui nous fait tout de même comprendre que la liberté est intégrée
à lArt comme la lumière au soleil. C'est cette liberté personnelle faite
d'invention, de savoir, de sensibilité individuels que nous devons au premier chef
susciter et respecter chez l'enfant.
Au delà de
la vraisemblance, une autre notion vient compliquer les choses, c'est la notion du beau.
Nous savons plus ou moins consciemment ce que c'est que le beau : une belle image
de la nature, une belle créature, nous émeuvent et nous séduisent sans que nous
sachions en analyser les impondérables qui les rendent définitives. Et de fait, nous
n'avons rien à ajouter à la nature définitive.Le bel arbre que nous pourrions
prendre pour modèle sera toujours plus beau, plus équilibré, plus vivant dans ses
fibres vives que dans la copie approchante que nous pourrions en faire avec notre meilleur
bonne volonté. Mais ce que nous pouvons traduire et qui n'est pas dans l'arbre réel,
c'est un aspect fugitif de l'arbre, une expression, une sensation, quelque chose de
sanctifié par notre moi intraduisible. C'est l'arbre recréé par notre intimité ;
c'est l'arbre qui nous appartient à 'l'instant où nous l'aimons. Chacun a sa manière
d'aimer le bel arbre. Celle de Claude le Lorrain, par exemple, et celle de Corot. Les
arbres de Claude nourris de sève drue, alourdis de feuillages sombres cernés de
soleil ; les arbres de Corot presque crépusculaires, d'une transparence aérienne si
allégée qu'elle est un défi à ligne et à la lumière colorée. Pourtant, ils sont
peut-être inspirés par les mêmes essences forestières : la rencontre du monde
objectif et du coeur, n'est pas située chez ces deux grands au même lieu émotionnel.
Nous
pouvons donc admettre que chacun de nous sa vision, sa manière de sentir et de penser le
bel arbre. C'est cette vision personnelle qui nous préserve du pompier.
COMMENT
ÉVITER LE POMPIER?
Le
contraire du pompier est l'original, l'inédit chargé d'affectivité neuve, et qui par
cet angle de vision nouvelle étonne et retient, dont déjà nous avons parlé (p. 40)
Prenons un
exemple simple : la maison dont les adolescents peu entraînés au dessin font leurs
délices : traits à la règle, toit en pente, portes et fenêtres à l'équerre,
persiennes, bordure du trottoir. C'est le pompier par excellence.
Mais faites
entrer l'originalité dans cette géométrie primaire : détruisez les proportions
classiques du toit, des murs, de la longueur ; inventez des ouvertures modernes.
Faites intervenir la courbe ; les enjolivements sobres qui sont particuliers à
l'architecture actuelle et vous obtiendrez une image nouvelle de la maison qui a rompu
avec la sèche tradition ? C'est votre maison, à vous.
Il s'ensuit
que le détail original est pour ainsi dire l'antidote du pompier. Partons à la recherche
et pour cela donnons libre cours à la sensibilité de l'enfant.
PRATIQUE
Faites
dessiner un arbre, une maison, un personnage, un animal à un adolescent et à un tout
petit de la maternelle. Comparez les graphismes et sentez combien la Fantaisie est
infiniment plus expressive que l'objectivité. Il y a mille façons d'apporter de
l'originalité dans ces éléments. Nos collections sur la genèse des arbres, des bêtes,
des maisons, de l'homme, etc... en sont une démonstration. De ces improvisations
inédites peut sortir un art très original qui serait la réplique à jet continu de
l'Art primitif du passé et de celui des races ou peuplades dites sauvages.
PARTONS A LA RECHERCHE DES DÉTAILS ORIGINAUX
Tous les
graphismes des enfants de 4 à 8 ans sont originaux. Quelques-uns cependant s'imposent par
une expression, une signification que nous ne savons pas toujours analyser : ils nous
surprennent, éveillent des résonances neuves en nous - pour tout dire, ne ressemblent à
rien et expriment beaucoup...
I.
Soulignons-les. Et si nous avons conservé l'habitude du cahier individuel, marquons-les
d'un trait rouge.
2. Si nous
en avons la possibilité, reproduisons-les dès que l'enfant peut répéter ce graphisme
sans le trahir. Passons alors de belles couleurs pour le rehausser et le faire chanter.
3. A
l'instant des heures creuses partons à la chasse de nos plus beaux graphismes.
Juxtaposons-les sur une page sans souci de vraisemblance et de perspective.
Nous serons alors étonnés de la richesse de l'oeuvre ainsi obtenue. Usons alors librement de la couleur en faisant très attention de respecter cette pureté des contours qui donne toute sa valeur à l'oeuvre originale. Cette recherche systématique du graphisme original nous mettra définitivement à l'abri du pompier.
Il va sans
dire que ces procédés vaguement didactiques ne sont là que pour l'initiation des
enfants hésitants et des maîtres. Les enfants doués n'ont pas besoin de s'attarder dans
l'analyse de leurs productions, ni de les recréer dans une composition quelque peu
arbitraire. Ils vont d'un jet vers la composition globale qui incontestablement est
originale et centrée par une mise en page irréprochable. Pour ces enfants pétris
d'instincts majeurs, il faut se garder d'intervenir. Les dessins de lEcole de Pitoa au
coeur du Cameroun n'ont pas besoins de conseils. Quand leurs dessins arrivent dans nos
expositions, il nous faut regretter le savoir acquis pas nos petits civilisés.
CULTURE ARTISTIQUE
C'est par un long commerce avec les oeuvres de valeur des grands
Maîtres comme avec les dessins d'enfants que nous nous mettrons résolument à l'abri du
Pompier. Il faut donc que nous fassions un petit sacrifice pour garnir notre bibliothèque
de collections de reproductions d'oeuvres, d'ouvrages de critique - cette critique étant
le plus possible allégée car elle risque de nous cacher le fil de la sensibilité
première.
Nous avons
parlé de façon très générale de l'originalité, de la personnalité graphique,
c'est-à-dire du style du dessin d'enfant. Par le contact que nous avons pu avoir avec des
oeuvres d'enfants doués, par des expositions actuelles, par des livres d'Art, nous avons
pris conscience du contenu global de lArt Moderne qui est par excellence celui de
l'enfant.
L'Art
Moderne est l'Art de la liberté, de l'innovation à jet continu et qui donne à la
personnalité son plus grand coefficient. L'Art Moderne est fatalement fait d'audace et
semble rompre, du moins en apparence avec la tradition. On nous a dit certes que Picasso,
le plus tapageur des grands Modernes, est de tous les temps, mais chacun sait que son
talent ressort davantage de la dent de scie que de la courbe et quand il est Moderne, il
ne s'apparente à personne, quelquefois pas même à lui-même. « Au fond, dit
Picasso, tout ne tient qu'à soi. C'est un soleil dans le ventre aux mille rayons. Le
reste n'est rien. »
On ne peut
dire mieux la toute puissance de l'artiste face à ce « reste » qui
représente le présent et le passé et qui est dense de toute l'histoire. En fait
l'artiste n'a pas l'indépendance que la boutade de Picasso semble supposer. S'il n'a pas
forcément des comptes à rendre à la société, il est du moins partie intégrante de
cette société, et s'il veut trouver dans son milieu des échos à ses émotions, il doit
inévitablement parler un langage qui soit compréhensible aux humains. Celui qui met son
point d'honneur à ne rien signifier, celui qui détruit sans reconstruire ne préparé
pas de lendemains. PICASSO l'a bien pressenti qui sait rester assez lucide et assez
prudent pour prendre des contacts à la fois avec le réalisme et le surréalisme.
Plus
conséquent est Matisse. La liberté qu'il revendique reste toujours créatrice et dans le
sens de la communion avec les hommes. Certes, il proclame sa volonté « d'organiser
lui-même son cerveau », mais il est soucieux d'abord de l'adhésion du spectateur.
C'est par ce souci d'influence qu'il est devenu la personnalité la plus marquante du
Fauvisme qui engagea la fin du XIXe siècle et peu à peu séduisit le monde
entier dans la première moitié du XXe.
D'où vient
le charme de cette sorte d'envoûtement que suscita Matisse ?
La bourse
des valeurs certes n'y est pas étrangère, mais tant de gens aiment passionnément
Matisse qui sont indifférents aux grandes transactions internationales ! On a mis
l'accent sur le parti pris de la couleur éclatante, de l'effet lumineux et chantant du
plein air par opposition à la demi-obscurité de l'atelier qui retint le Maître trop
longtemps prisonnier ! Déjà les impressionnistes avaient avant lui lancé le
ralliement de la pleine lumière et du plein vent. Ce qu'il y a surtout, chez Matisse,
c'est la solide construction qui charpente ses oeuvres, la sûreté de l'arabesque qui se
soude à la palette de seconde venue. En apparence, la couleur crée sa propre discipline
mais il y a, en dessous, l'ossature constructive d'un dessin irréprochable.
Si nous
insistons ici sur ces deux cas de Picasso et Matisse, c'est parce qu'ils sont certainement
les plus connus des grands Modernes et aussi parce qu'ils représentent deux aspects de
cette liberté totale que nous revendiquons pour l'enfant. Une liberté qui ne saurait
être relâchement ni désinvolture, niais bien, discipline acceptée.
C'est une
discipline que l'enfant doué invente tout naturellement par expérience tâtonnée. Nous
la retrouvons dans tous les dessins d'Alain Gérard. L'unité graphique y est si
définitive que la ligne se passe de la couleur. Alain sent cela d'instinct jamais ou
très rarement il use de la couleur. Pour faire quelquefois comme les autres, il use des
crayons à l'eau qui lui laissent l'entier contrôle de la main et ménagent de prudents
effets toujours respectueux du graphisme.
Le sens
intime de l'unité graphique marque une étape décisive pour l'enfant. La mise en page
devient alors presque automatiquement bonne. Elle suppose à la fois la sensation de la
ligne et celle des masses. Des détails plus grands prennent une importance de premier
plan ; d'autres plus petits - par raison psychologique ou d'opportunité - sont
hiérarchisés dans un plan d'ensemble et disposés de façon à remplir les vides. Les
dessins d'Alain Gérard montrent bien cette hiérarchie des valeurs créées sans nuire à
l'unité graphique. Ce ne sont pas des éléments évoluant in a parte, mais des
ensembles soumis à une discipline collective à la manière d'un ballet. Chez Alain
Gérard, il arrive très souvent qu'un bonhomme soit sans tête ou, ait une tête coupée
en deux par le bord de la page. Ces incidents qui gêneraient la majorité des enfants lui
sont devenus indifférents. A choisir entre le vide qui ferait un trou dans la ligne
d'ensemble et l'amputation il n'hésite pas. Il sait que ce qui compte c'est le morceau
royal qui se taille partout où la fantaisie d'un enfant est présente.
QUELQUES PRÉCAUTIONS A PRENDRE
Pour
permettre chez l'enfant l'éclosion de ce sens de la mise en page, il est nécessaire de
lui proposer des surfaces proportionnées à sa fertilité inventive. Un trop petit format
limite les mouvements de la main et l'invention. Un format trop grand paralyse. L'enfant
s'y sent un peu perdu. Inévitablement de grands vides s'imposent. L'arabesque disparaît.
Il est à noter que nos meilleures écoles artistes - celle des Costes Gozon (Aveyron),
celle de St-Benoît (Vienne), pour en citer deux des plus anciennes restent fidèles aux
petits formats. L'intimité qu'ils peuvent y créer leur est indispensable. Les petits de
la maternelle réalisent plus facilement des dessins à plus grande échelle. Cela
provient, pensons-nous, de l'habitude des graffiti sur les murs, la chaussée, le tableau
noir. A l'Ecole Freinet pour faciliter les grands dessins nous laissons les enfants
chercher leurs thèmes au tableau noir. Ils s'y sentent à l'aise, effacent, s'éloignent
pour juger de l'effet et sûrs de leur sujet, ils le transcrivent avec facilité sur le
papier grand format à la craie de couleur. Il arrive tout aussi bien d'ailleurs que sur
la feuille, le dessin inventé au tableau se retrouve étrangement rétréci. Sans
difficulté aucune, les enfants dessinent à très grande échelle pour les fresques qui
utilisent de vastes espaces Mais ici encore, il faut le reconnaître, ce sont les tout
petits qui réussissent le mieux et les plus belles peintures murales de notre Ecole sont
celles de nos petits artistes de l'enfantine.
PEUT-ON
DONNER UNE UNITÉ GRAPHIQUE DANS LE POMPIER ?
Evidemment
oui. Un enfant qui dessine pompier est presque toujours un enfant très doué. La
technique employée a été mauvaise mais l'aptitude profonde de l'enfant à disposer de
la ligne demeure bonne.
Nous
recevons quantité de dessins réalisés par des enfants qui incontestablement dessinent
bien. Ils se sont formés par la copie d'oeuvres qui sont sans valeur et dessiner juste a
été leur principal souci. Il est d'autant plus difficile de remonter la pente que d'une
manière générale l'entourage et tout spécialement le maître apportent leurs louanges
à ces fadeurs qui ont lavantage de « faire vrai ».
Pour
essayer de contrebalancer ce penchant invétéré pour le pompier « vrai »
nous donnerons quelques reproductions d'oeuvres de Maîtres d'une mise en page simple et
définitive.
PRATIQUE
Sur le
tableau noir, les enfants à temps perdu, peuvent s'entraîner à construire un ensemble
graphique susceptible de donner la réplique aux oeuvres de Maîtres que nous proposons.
Ceci toujours n'étant conseillé qu'aux enfants de 10 à 14 ans qui sont à la recherche
d'une écriture personnelle.
Nous
conseillons aussi aux maîtres de faire parcourir à leurs grands élèves des brochures
spécialement consacrées à Matisse, Picasso, Braque, Léger. Ils auront d'emblée la
sensation de l'unité graphique qui nous occupe aujourd'hui.
L'unité
graphique avons-nous dit, est comme l'ossature d'une oeuvre, elle en détermine le rythme
et la densité ; elle dénote chez l'artiste un parti-pris de simplification et
reconstruction du monde. Sans un dessin solide et décisif, le tableau perd l'essentiel du
facteur personnel.
Car la
couleur, qui elle aussi, est un langage ne se pose pas n'importe où et n'importe comment,
du moins chez l'artiste qui sait rester un penseur et un créateur au sens de l'invention
socialisée, partagée avec le plus grand nombre.
Il va sans
dire que l'artiste fait ce qu'il veut de la couleur. Mais dès l'instant qu'il la sépare
de sa création intellectuelle exprimée par le dessin, il s'en va, sur le plan humain
vers un appauvrissement de ses moyens d'expression. Il faudrait tout un livre pour faire
la preuve que chaque fois que la couleur revendique son indépendance vis-à-vis du
dessin, elle devient nébuleuse, inconsistante, feu d'artifice qui ne dure que ce que dure
l'illusion.
Nous savons
bien, que lArt abstrait prétend à toutes les expériences à toutes les audaces et
que la couleur joue dans ces tentatives ce que l'on pourrait appeler un support
philosophique, qui sur les ailes d'une logique arbitraire, peut tout justifier. Cependant,
la vie a des exigences et lorsque l'âme se pose sur les beaux spectacles du monde, elle
doit y puiser sa nourriture profonde qui répond à ses besoins les plus impérieux comme
les plus ténus. C'est-à-dire qu'en touchant la subtilité des choses, il faut aussi
toucher du solide et adhérer au réel par toutes les fibres de son être. Ceci n'empêche
pas les expériences et l'invention. Les artistes qui ont magnifié l'aventure humaine de
leurs créations ont eu chacun leur manière d'aimer la vie et de nous la redonner dense
de leur drame passionné. La richesse n'est pas dans la multiplicité des inventions mais
dans leur conséquence vis-à-vis du destin de l'homme. A notre niveau primaire où les
actes se doivent d'être essentiels, méfions-nous de la facilité d'une critique d'art
qui justifie tout parce qu'elle souvent n'a rien à glorifier.
Nous
resterons donc, humblement, à l'école de la réalité, ce livre ouvert de la Nature,
inouïe de certitudes, de perspectives et de rêve. Et si nous devions choisir un Maître
qui puisse nous guider dans cette voie de la sincérité qui est la nôtre, c'est sur les
traces du grand et probe Cézanne que nous marcherions : « Quand ta couleur
est à sa richesse, la forme est à sa plénitude », ce qui prouve
indissolublement que les deux sont inseparables pour rejoindre les grandes et nobles
synthèses de la vie.
La leçon
de Cézanne nous la dirons à nos enfants, si toutefois ils ne nous avaient déjà
devancés dans cette voie de la certitude, sous cette forme simple qui coupe court à
toute explication suspecte.
« La
couleur et le dessin doivent se donner la main ».
Mais au
risque de nous répéter plus qu'il n'est utile, redisons que c'est le dessin que tout
naturellement nous mettrons le premier parce que toute construction obéit à un plan
d'ensemble dans la création, plan pour lequel le signe, la ligne simplificatrice posent
des jalons définitifs. Et c'est incontestablement à cette logique de base que répond
l'intuition de l'enfant quand il inscrit sur la chaussée, le mur nu ou sur la page
blanche, la certitude de ses graffiti.
Il en va
tout autrement quand la couleur seule sert de truchement. L'enfant en proie aux couleurs
est incapable de mettre dans son cerveau et ses gestes une décision susceptible
d'orienter ses démarches : il va d'une couleur à l'autre, les mélange, les
superpose, les noie dans des mares cruelles qui ensevelissent tous ses espoirs de
« faire un beau dessin ».
Et en
effet, une simple juxtaposition de taches colorées ne réalise pas un tableau, même si
elles sont comme l'on dit « orchestrées », même si intentionnellement elles
prétendent être un langage de l'incommuniquable réalité... Rien ne sort jamais de
rien. On peut certes faire un saut dans l'inconnu, ce qui est une forme de la recherche,
mais toujours cette recherche se justifie par des antécédents historiques. Le présent
est un aboutissement et un départ ; entre le passé et l'avenir il est l'immense, la
splendide réalité du moment vécu.
Nous
voulons retrouver ce moment vécu toujours prétexte à nous éduquer et à nous
émouvoir. Nous continuerons à jouir de la fantastique symphonie des couleurs incluses
dans le satin des corolles, l'épiderme des fruits, la densité des paysages, le visage
pathétique des êtres, mais nous savons qu'elle n'est qu'un aspect de l'éternité de la
réalité insondable, qu'elle nous est proposée pour glorifier notre joie de vivre.
Gloire aux impressionnistes qui ont fait la preuve que l'amour et l'émotion
étaient aussi partie intégrante du monde et que l'atmosphère et le climat ne sont que
les instants les plus pathétiques de l'étonnante création.
Nous sommes
en apparence un peu loin de nos soucis pédagogiques et de ce que si pauvrement, on
appelle « l'enseignement du dessin ». Non, nous le savons bien, rien de
grand ne se fait si notre coeur n'est pas engagé et comprendre en totalité, c'est la
même chose qu'aimer.
PRATIQUE
Faites un
effort pour dessiner et peindre le plus possible.
Puisez dans
vos réserves de dessins pour varier l'inspiration des enfants.
Faites
dessiner au tableau, puis à la craie de couleur sur grands formats.
Ne donnez
pas des feuilles standards les mêmes pour toute la classe de manière à laisser plus
d'initiative aux enfants.
Préparez
vos couleurs à l'avance. Faites-des mélanges avec le blanc de manière à avoir une
palette moins crue. La couleur préparée à l'avance est toujours plus fine et moelleuse.
Créez une
atmosphère pour les enfants qui dessinnent
Et
sacrifiez un peu de temps pédagogique des strictes disciplines à la grande et belle
cause de l'Art Enfantin. Maitres et enfants y trouveront leur compte.
FUYONS LE RÉALISME
OBJECTIF
NOTION
DE LA LIBERTÉ. - Nous avons dans nos causeries évoqué à chaque page, les exigences
de la liberté de l'Artiste, liberté proclamée en termes parfois véhéments au long de
l'étonnante aventure de lArt Moderne dans laquelle l'enfant se trouve inclus.
Il serait
cependant erroné de croire que la notion de liberté est spécifiquement moderne et que,
IMPRESSIONNISTES et FAUVES en ont brandi le drapeau pour la première fois. En
fait, au cours de cette immense épopée picturale qui, de la préhistoire à lArt
Moderne, a magnifié le destin de l'homme, c'est toujours le tempérament de
l'Artiste qui a donné la mesure de la valeur de sa création. Et le tempérament c'est
d'abord la mesure de sa propre vérité et donc de sa liberté.
Il est
d'ailleurs curieux de voir quel rôle prépondérant a joué l'autodidactie dans ces
grands chapitres de l'Histoire que sont les époques d'Art.
Les
chasseurs des Cavernes comme les anonymes constructeurs de cathédrales ont inventé leur
génie sans initiation préalable, par l'effet de leurs mains et de leur ferveur. Dans ses
fresques dAssise et Padoue, Giotto l'autodidacte préfigure déjà toute la
Renaissance, bien qu'ignorant les perspectives de sa primitive imagerie. Comme Seurat le
plus décisif et le plus éphémère des Impressionnistes. Comme Cézanne dont le
labeur solitaire et cruel justifiera, en fait tout ce qui viendra après lui. Comme le
petit enfant qui sous nos yeux résout de lui-même les grands problèmes de la création
intuitive appelée à modifier toute la psychologie dite moderne si toutefois les
psychologues savaient se mettre à l'école de la vie.
On nous
objectera certes que depuis le Quattrocento, les raisons, d'être de la peinture n'ont pas
évolué, soumises qu'elles restent à une conception assez rigoureuse de l'objectivité,
du moins jusqu'aux impressionnistes. Il serait facile de démontrer que l'Art
Renaissant aussi bien que l'Art romantique est une protestation sans trêve contre le plat
réalisme de l'objectivité unilatérale. Il n'est qu'à constater les libertés inouïes
que prennent par exemple les artistes renaissants vis-à-vis de la pensée chrétienne,
transportée parfois avec la plus déroutante désinvolture dans un paganisme irréfutable
pour conclure à la liberté de lArtiste des XVe et XVIe
siècles. Et à vrai dire, même dans l'académisme d'un David, l'on ne trouve pas de
servilité réaliste.
LES DANGERS D'UNE LIBERTÉ MAL COMPRISE
Les
conditions sociales et scolaires actuelles sont, nous le savons, néfastes à cette notion
humaine de liberté qui féconde l'imagination créatrice. L'enfant, éternel ligoté à
la maison et à l'école, n'est pas un être libre. Quand on relâche les liens qui le
maintiennent dans les limites de sa prison, il est normal que par choc en retour il
confonde bagarre et délassement. Car la bagarre est aussi mentale et morale et la vie
inemployée doit coûte que coûte trouver un exutoire.
Celui qui a
faim n'est pas libre en face du pain si l'occasion s'en présente, il le vole et le
dévore.
L'enfant
opprimé, compressé n'est pas libre de sa détente ; il explose sur le plan physique
et mental sans souci des conquences qui en résultent.
C'est dire
que nous ne pouvons demander à nos écoliers de classes surchargées de se mettre en
l'état de grâce qui conditionne l'oeuvre d'Art sans que soit ménagée autour de lui
cette atmosphère de loisirs et de rêverie que de temps en temps au moins, l'éducateur
doit lui concéder. Alors l'enfant apprendra la liberté et saura en user à bon escient.
A LA
MATERNELLE. - Il ne viendrait à l'idée d'aucune maîtresse d'arrêter la petite main
traçant des graffiti au tableau noir sous le prétexte que l'objectivité n'y est pas
respectée. Il est déplorable que l'usage de ces lamentables tampons en caoutchouc,
copies de modèles sans originalité, albums à colorier, tendent à limiter le champ de
l'invention enfantine. Mais, de plus en plus heureusement, le dessin libre devient
activité normale dans nos écoles Maternelles et Enfantines.
Tout
naturellement, l'habitude d'user de sa liberté apprend à s'en servir. C'est ainsi que
nous avons fait la démonstration toute simple de la progression et de la pérennité de
l'expression artistique dans la vie de l'enfant et de l'adolescent. Par ce chemin-là, il
n'y a pas de hiatus à l'adolescence, mais bien prise de possession de plus en plus vaste
du monde par le dessin et la peinture.
MAIS, AU
DELA DE L'ENFANTINE, cette notion de liberté va se rétrécissant au profit de
l'obligation d'acquisition. Si l'enfant a la chance de conserver le Maître compréhensif
des premières années, le danger n'est pas grand. Occasion lui sera toujours donnée de
retrouver cette liberté intime que déjà il a apprivoisée. Il en va tout autrement
quand l'enfant change de classe et se trouve soumis à l'implacable rigueur pédagogique
de l'école-caserne. Le Maître en proie aux enfants ne peut se soucier de liberté
personnelle et perdre du temps.
« Gribouiller »
apparaît souvent comme un crime contre la nécessité « d'apprendre ». Ainsi
prend fin l'élan créateur du petit enfant-artiste devenu écolier. Le hiatus de la
création artistique ne fera que s'agrandir et l'incapacité ou l'impuissance du maître
auront tôt fait de légaliser le désastre.
COMMENT SAUVEGARDER LA LIBERTE DE L'ENFANT
Nous
touchons ici à la nécessité d'une vaste réforme scolaire que l'Ecole Moderne a mise en
branle, voilà près de trente ans.
Il est
facile de constater que ce mouvement dArt enfantin dont nous sommes les défenseurs
passionnés est une des caractéristiques de notre Ecole Moderne. Il ne fleurit chez nous
que parce que le terrain favorable à l'éclosion y est préparé sans cesse et que même
dans les difficultés actuelles nous avons à coeur de préserver nos biens.
LA
CONSÉQUENCE PRATIQUE de cet état de fait est d'abord de repenser la notion de
liberté et c'est au départ qu'elle se prend le plus commodément. L'enfant neuf est
toujours libre. Faites en sorte que l'adolescent se retrouve lui-même et découvre sa
propre technique d'expression, alors, nous mettrons les bouchées doubles et l'Art
s'épanouira dans nos classes comme fleurs aux champs.
Oui, mais
comment reconnaître les graphismes significatifs de vérité ?
Il suffit
de jeter un coup d'oeil sur quelques types de chevaux, ces nobles conquêtes de notre
petit Alain Gérard et de les comparer avec le cheval pompier d'un adolescent habile
copiste pour saisir quels impondérables construisent une vérité d'enfant.
Systématiquement,
cherchez les traces de l'invention personnelle dans les dessins de vos élèves et vous
deviendrez bien vite apte à déceler et à respecter cette liberté et mieux encore à
l'encourager.
QUELQUES CONSEILS
La
surcharge des classes crée un peu partout des difficultés quasi insurmontables pour la
création artistique considérée encore comme activité de luxe inévitablement
sacrifiée aux disciplines essentielles. Et pourtant, l'enfant aimerait dessiner souvent
et le Maitre considérerait comme une échappée nécessaire ces heures de création libre
où l'élève oublie sa fonction d'élève pour rester un heureux enfant. Il faut essayer
de gagner du temps.
Nous
donnons ici non pas des directives qui supporteraient une orientation déterminée de
l'Art, mais quelques suggestions qui permettront aux enfants de 10 à 12 ans habitués aux
moulins à café et au « chapeau du Directeur » à entrer avec facilité dans
la grande liberté inventive de l'ART MODERNE.
AU-DESSOUS
DE HUIT ANS
REDISONS
UNE FOIS DE PLUS que les enfants au-dessous de 8 ans, ne recevront aucun conseil de la
part du Maitre ; le rôle de celui-ci se bornera à favoriser l'exécution soignée
du dessin de manière que la couleur ne noie pas le graphisme initial et participe à une
unité dans laquelle, selon notre expression lapidaire, « le dessin et la couleur se
donnent la main ».
AU-DESSUS
DE 10 ANS
Si les tout
petits n'ont pas d'hésitation, d'arrière-pensée paralysante, de sentiment de l'échec,
il en va tout autrement des grands de 10 à 14 ans, venus de classes traditionnelles où
la leçon d'observation conditionne le dessin, si encore la copie n'est pas la méthode
imposée par les contingences des classes surpeuplées. Essayons donc de redresser tant
soit peu la situation en tâchant de faire comprendre ce qu'est un dessin original par
opposition au dessin copié ou pauvrement réaliste ou plus grave encore : pompier.
ÉCUEILS
A ÉVITER
Trop
d'instituteurs croient encore que le dessin est le pendant de la narration qui dit par
l'image ce que le récit exprime par l'expression écrite. C'est ainsi que l'on propose
des thèmes dont le pompier le dispute à la niaiserie : le Petite Chaperon Rouge,
Cendrillon, le Bal des Cygnes, etc... Ou bien on propose un sujet comme une
rédaction : Le Laboureur, le Forgeron ; votre village, au lavoir. Ce n'est pas
que le sujet. soit spécifiquement mauvais mais l'enfant n'a pas les moyens de l'exprimer
et retombe dans le pompier : faire exact, précis avec une technique d'une
désespérante pauvreté.
Il faut
abandonner ce mauvais réalisme et découvrir une facture personnelle qui fasse intervenir
lélément primordial de l'invention et de la sensibilité de l'auteur : l'art,
redisons-le est la réalité vue à travers un tempérament. Ce qui compte, ce n'est
pas la réalité, c'est le tempérament.
Oui, mais
comment inventer ?
Simplifions
en disant : l'invention c'est d'abord l'écriture personnelle, le détail décoratif
qui enrichit le sujet en rappelant la réalité, même de façon évasive.
PRENONS UN
EXEMPLE SIMPLE : Celui de la nature morte qui sert le mieux la fantaisie. Je veux
dessiner et peindre 2 pommes, 1 poire, quelques baies, genre cerises. Les voici en I avec
un compotier (2) Si je veux faire réel, je dois poser les fruits dans le compotier et
m'évertuer à faire juste. C'est épuisant et difficile.
Je change
de tactique, pommes, poires, cerises, etc... vont devenir des sortes de jetons symboliques
que je place comme je veux dans un compotier qui ne sera, lui aussi, qu'un symbole. En
rêvant sur les éléments de ma construction, je peux réaliser des compositions
inattendues - qui bien qu'inventées sont très près de la réalité. Elles sont
enrichies non seulement des pommes, poires, cerises, feuilles, mais aussi d'éléments
décoratifs étrangers aux données du dessin. Je peux aller plus loin dans la rêverie et
l'invention et oublier la chose juste (les fruits dans le compotier) pour créer une image
originale très éloignée de la réalité, mais embellie d'éléments décoratifs
nouveaux. C'est ainsi que travaille Picasso toujours à cheval sur deux mondes, le rêve
et la réalité.
PRATIQUE.
- Nous allons donc inventer des natures mortes. Pour commencer :
I)
Préparer des données :
- 1
bouteille, 1 verre, 1 tasse à café, 1 plat et 1 poisson.
- des
poissons, 1 plateau, 1 torchon, 2 citrons, une assiette
- 1 oignon, 1 artichaut, des navets, 1 terrine, 1 torchon.
- des
gâteaux, 1 plateau, napperons, sucrier, tasse, etc...
Vous pouvez
inventer des natures mortes à l'infini en faisant appel aux objets qui vous sont
familiers et donc intégrés à votre sensibilité.
Il est
entendu que vous ne vous souciez que de l'aspect décoratif sans vous faire une obligation
de poser les objets sur une table et selon les lois de la perspective. Vous pouvez placer
un objet dans un vide et un fond suffira à le mettre en valeur sans souci de la
vraisemblance. Pas davantage vous ne vous souciez de ce qu'on appelle le « ton
local », c'est-à-dire la couleur juste de l'objet. Toute couleur, belle, franche ou
condensée en reflets divers, si elle enchante les yeux ou retient l'esprit porte avec
elle des raisons suffisantes d'être choisie.
Les dessins
(3), (4) sont d'une invention enfantine, qui donnent des effets très primaires mais qui
néanmoins sont un départ. Le dessin (5) est plus exigeant à la fois dans la mise en
page et dans la palette qui en découle. Il suffit d'évoquer dans cet ordre, d'idées les
natures mortes de Braque pour comprendre les ressources insoupçonnées que peut créer
l'invention arrivée par l'expérience à la notion d'unité sensible sans laquelle il
n'est pas d'oeuvre d'Art.
LA
PALETTE. - La peinture moderne avec ses audaces constructives nous a déracinés de la
réalité : les oeuvres des Grands Fauves : Matisse, Derain, Vlaminck, Braque,
Friez, Dufy et surtout Picasso se sont joués de la réalité comme d'une moindre
difficulté. La couleur franche, calculée, pure, en a été le souci essentiel.
Lémotion colorée ne peut être rendue qu'avec la couleur à la plus grande
puissance car c'est alors qu'elle appelle des résonances qui décident de l'unité du
tableau.
Il faut
donc choisir ses couleurs de base si l'on peut dire, et si la pomme est bleue, le visage
vert, l'arbre rouge, le gazon mauve, nous n'en serons pas choqués pour autant si la
couleur est définitive et comme l'on dit : orchestrée.
COMMENT
PROCEDER. - D'abord apporter beaucoup de soin à la préparation des couleurs. Elles
ne doivent pas être préparées au moment de s'en servir mais un, deux jours à l'avance,
de manière à ce que les poudres soient fondues à point et dans une quantité d'eau,
appropriée pour obtenir un beau moelleux. Les couleurs fondamentales pour belles qu'elles
soient, peuvent parfois sembler trop dures selon l'effet à obtenir. Il est facile de
comprendre que si l'on prépare : 3 rouges, 3 bleus, 3 verts, etc... en mélangeant
les couleurs entre elles ou surtout avec du blanc, il y a toutes chances d'avoir des
couleurs plus nuancées et donc qui donnent plus de doigté, de sensibilité à la
palette. Le blanc doit être la couleur la plus employée.
TOUS LES
GENRES PEUVENT ÊTRE TRAITÉS EN MODERNE
- Nous
avons parlé de la nature morte parce qu'elle représente le genre où l'invention est la
plus facile. Mais on peut de même styliser harmonieusement un paysage et en dissocier les
éléments séduisants en images juxtaposées que la couleur viendra unifier. On peut tout
représenter sous cet angle de re-création. L'oeuvre de Léger en est une preuve
typique.
Le
portrait demande évidemment au premier chef une écriture sensible. Il ne nous
viendrait pas à l'idée de laisser nos enfants ressusciter « Les
Monstres » de Picasso. Ce qui peut être à la rigueur, message philosophique
chez l'artiste-penseur ne serait chez l'enfant que besoin de laideur et dangereux penchant
à l'anormalité.
Le portrait
a un fond inévitablement et ce fond ne pourra être traité en clair-obscur, on le
devine. Un fond de portrait Moderne peut avoir autant de valeur et d'importance que le
portrait lui-même, ce qui est d'ailleurs une tradition dans la grande Renaissance
Italienne.
Nous ne
redirons jamais assez que ces conseils et réflexions sur le dessin s'adressent plus aux
maîtres qu'aux enfants. Chaque séance de dessin commence pour l'instituteur par des
interrogations
- Que leur
faire dessiner ?
- Est-ce
bien ? Est-ce mal ?
- Que
conseiller ?
- Que
critiquer ?
Inévitablement
l'embarras de l'éducateur retentit sur l'enfant et la classe piétine là où tout
naturellement elle devrait brûler les étapes dans la joie.
Aucun
conseil ne sera donné à l'enfant qui a démarré par ses propres moyens.
L'enfant
qui a mis en branle son initiative créatrice continuera à travailler librement. Point
nest besoin pour lui de faire appel à des considérations pédagogiques.
Certes, il
prendra plaisir à regarder des oeuvres d'enfants ou de Maîtres qu'il verra au passage,
sans trop s'attarder, mais l'essentiel pour lui est de garder sa propre foulée et de
déployer librement sa fantaisie créatrice dans un rythme personnel. Tout naturellement,
les enfants doués savent créer l'unité du graphisme et de la couleur et faire pencher
la balance vers le facteur le plus exigeant du moment, ligne ou palette.
Pour les
maîtres encore hésitants et pour les enfants qui « sont restés sur le
quai », (il s'agit en général d'enfants de 10 à 14 ans), il est nécessaire de
créer une atmosphère nouvelle qui prépare les impondérables de la création
artistique. Pour cela il faut :
1°) Faire
voir aux enfants des oeuvres modernes pleines de fantaisie et d'audaces dans lesquelles le
côté décoratif et fantastique a la meilleure part. En les regardant, en les
pressentant, l'enfant prisonnier d'un réalisme étriqué et banal sentira dans une sorte
d'illumination qu'il y a au-delà de la chose exacte « un univers
supplémentaire », comme disait Jarry, qui apporte une notion d'étrange, d'inédit
qui débrayera l'imagination. Sans l'imagination la vie serait invivable. Ce qui lui donne
son prix, c'est ce pouvoir de dépasser toujours l'instant vécu, l'objet réel de la vie
pratique pour accéder à un domaine où l'objet utile devient détail de luxe, propension
de la sensibilité à exiger toujours plus. Un mendiant se saisit d'un morceau de pain
ramassé dans la fange, mais quand les frères Le Nain posent la simple miche sur la
table, paysanne, elle s'auréole de gloire et signifie une bénédiction.
Les
Modernes, impressionnistes, Nabis, cubistes, surréalistes ont, par leur
imagination, - quelquefois trop débridée, il est vrai, - défendu jusqu'au paradoxe
souvent cette valeur de totale liberté de l'artiste, illustrée en gros plans dans la
« période des Monstres » de Picasso.
Certes, les
dessins de nos enfants ignorent les exagérations intellectuelles qui trop souvent sont
venues en anticipation de talents trop avantageusement commercialisés. Ce que l'enfant
pressent et sent est toujours marqué d'affective sincérité. Le rêve y inscrit ses
rythmes de façon toute naturelle, même si ces rythmes échappent à la précise
vraisemblance. On exposera dans la classe des dessins originaux, des dessins de choc,
pendant une semaine. Chaque jour l'enfant y découvrira une nouveauté, se pénétrera
d'un détail et sentira en lui s'ouvrir un angle de prise de vue étranger à la stérile
observation et qui le portera bien plus loin que les trop exactes disciplines du dessin
improprement appelé « d'après Nature », car la Nature c'est l'objet mais
c'est aussi, un oeil, une émotion, une âme. Ou bien, vous louerez, ou vous achèterez
les films fixes en couleurs de peintures d'enfants réalisés par la C. E. L. et qui
constituent de véritables expositions sur l'écran.
2°) Si
vous avez pris l'habitude du cahier de dessin libre, si vous avez laissé l'enfant
consigner, par « expérience tâtonnée » ses libres trouvailles, vous aurez
acquis tout comme eux, le sens du détail original. Vous savez que ce sont ceux qui
dénotent la fantaisie, l'invention personnelle et qui rompent avec la banalité.
POUR LES
PETITS AU-DESSOUS DE 8 ANS, nous n'aurons garde d'intervenir. Ils réalisent presque
à coup sûr des oeuvres ou du moins des détails originaux soit par maladresse manuelle,
soit par fabulation, soit par excessive sensibilité. Leurs oeuvres sont comme un monde en
genèse, un chaos d'où sortira peu à peu une sorte de loi d'équilibre qui domine des
rythmes dans une arabesque essentiellement personnelle. Et c'est cela le style.
Chaque
enfant crée le sien que reconnaissent tous les petits camarades et le maître. Nous avons
parlé de ce sceau personnel du style qui donne à toute oeuvre une valeur de premier
plan. Redisons seulement, pour conclure, que le style s'impose de façon globale à
l'instinct de l'enfant. Sans même savoir d'avance ce qu'il va dessiner, le petit de
l'enfantine a déjà inscrit en lui l'arabesque générale, les masses disciplinées du
dessin qu'il va exécuter. Tous les enfants possèdent ce don de fidélité créatrice
dont le cas d'Alain Gérard est une si typique démonstration.
Peut-être
ne saurons-nous pas analyser de quoi est fait le style de chacun de nos petits
dessinateurs. Mais ce que nous savons bien, c'est reconnaître la facture de chaque enfant
et en pressentir la richesse. C'est plus qu'il n'en faut pour aider chacun, de nos
poulains à prendre un bon départ.
DE 4 A 8
ANS, NE CORRIGEONS RIEN. - Cette notion de style échappe encore à bon nombre
de maîtres. Ils sont persuadés qu'il est bon, tout au début, de corriger les dessins
d'enfants et cela dans le sens, bien sùr, de l'objectivité. Pour eux, le dessin c'est un
aspect de la leçon d'observation. Il faut ramener les oreilles du Monsieur aux dimensions
réglementaires, éliminer les pattes supplémentaires du chien et donner des bras
proportionnés à la dame. « Sans cela, disent-ils, l'enfant risque d'avoir un
jugement faussé et devenir victime des monstres qu'il invente... » C'est comme si
on redoutait que l'enfant qui babille n'apprenne jamais à parler. La vie porte en elle
ses élans de dépassement. Un enfant normal corrige et ajuste lui-même ses conquêtes à
son monde intérieur qui est facteur de milieu géographique, physiologique et humain.
Sans insister ici sur ce côté pédagogique de la question, disons qu'il est
indispensable que nous nous familiarisions avec les insondables perspectives de l'Art
honoré chez toutes les peuplades et tous les peuples pour son message d'humanité et ses
tentatives de recherches au-delà des choses. L'ampleur de I'oeuvre d'un Picasso devenue
de plus en plus actuelle dans le monde entier, si fertile en inventions inédites, voire
même en élucubrations affirmées nous fait comprendre la légitimité des graphismes
enfantins et donne droit de cité à l'ingénuité qui les habite. Cette ingénuité, qui
n'est que la liberté qui s'ignore, deviendra le moteur de cette royale indépendance de
l'artiste qui ne s'engagera qu'à bon escient.
DE 9 A
14 ANS. RESTONS PRUDENTS. - Si le tout jeune enfant dessine spontanément sans se
soucier de son modèle, l'écolier de 9 à 14 ans déjà façonné par les leçons de
choses de l'enseignement erronné du dessin qui se veut classique, se fait un point
d'honneur d'observer la réalité et de la reproduire aussi fidèlement que possible,
d'où le pompier auquel nous voici revenus. Le pompier est l'ennemi N° 1 de l'élève du
cours Moyen. Il faut lui faire une chasse de tous les instants en cherchant
systématiquement le détail original, voire même étrange ou caricatural pour sortir
momentanément de l'impasse.
PRATIQUE
LES
TOUT-PETITS dessineront comme à l'ordinaire sans contrôle. Ils useront ensuite de la
couleur comme bon leur semble. Nous veillerons seulement à ce que le plus de netteté
possible soit apportée dans la distribution de la couleur aussi bien dans les graphismes
que dans les fonds. Beaucoup de dessins d'enfants sont gâchés par un mélange trop
brutal des couleurs. Il faut apprendre à l'enfant à être patient, et à être exigeant
dans ses réussites.
LES
GRANDS apporteront d'abord le maximum de précautions pour sortir du pompier. Un arbre
sur un fond de ciel peut faire un tableau si l'on sait faire épanouir les branches de
façon plus décorative que ne sont les branches de l'arbre objectif, si l'on sait faire
briller un feuillage dans des couleurs qui peuvent n'avoir aucune ressemblance avec celles
de la réalité. L'arbre jaune, or, rouge, bleu ou mauve peut être plus sensible que
l'arbre vert si la sensibilité de l'enfant l'a embelli de son émotion. Il n'est
d'ailleurs pas nécessaire de partir de l'objet simple. On peut certes choisir un détail
original dans une page de notre cahier de dessin mais on peut aussi construire avec simple
appui sur la réalité ou inventer de toute pièce, un thème dense dont on aura senti
l'unité.
Toutes ces
notions qui visent à revaloriser sans cesse le quotient de personnalité - et qui sont
occasion à tant de redites au long de ces pages - ouvrent la voie royale de l'art. Elles
méritent attention si l'on veut sortir des ornières depuis si longtemps creusées par
une scolastique indigente. C'est parce que nous en savons la valeur que nous les avons
répétées à lenvi pour les rendre présentes à l'esprit de nos camarades. Nous
nous en excusons. Persuadés que la chose devenue familière est créatrice d'habitude
sereine et de sécurité.
CONCLUSION
Lancez-vous
dans l'expérience !
Inventez
des formes rigoureuses et soyez exigeants pour la couleur et la facture.
Vous
réussirez !
ILLUSTRATIONS ENCART
p. 16-17.
PAYSAGE. Ecole Palente, Besançon (Doubs).
p. 32-33.
Ecole de Neublans (Jura).
p. 48-49.
Ecole Maternelle de Grésillac (Gironde).
p. 64-65.
Aérium de Clairoix (Oise).
C'est une longue et fertile
expérience qu'Élise FREINE résume dans
L'Enfant Artiste
Un album de 168 pages, illustré de nombreuses reproductions en
noir
dans le texte et de 20 hors-textes en 6 couleurs, relié pleine
toile, titre or
Oeuvre de grande valeur documentaire destinée :
AUX EDUCATEURS
AUX PARENTS
AUX AMIS DE L'ENFANCE
COMMANDE à C.E.L. Boîte Postale 282, CANNES A.M. - C.C.P. MARSEILLE 115-03