BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE MODERNE N°25 -
1964 ***** LES INVARIANTS PEDAGOGIQUES C. FREINET EDITIONS DE L'ECOLE MODERNE FRANCAISE CANNES |
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TABLE DES MATIÈRES La nature de l'enfant |
« Voici les lois de la vie ; on ne
peut pas les ignorer ; et il faut agir en conformité de ces lois ; c'est dans
ce but que nous les indiquons, ajoutées aux Droits de lHomme, qui sont communs à lHumanité ». MARIA MONTESSORI « L'esprit absorbant de l'enfant » (Desclée De Brouwer Editeurs) Mais
un changement aussi radical de méthode constitue en éducation une véritable révolution
qui nécessite une formation spéciale des éducateurs nouveaux et la rééducation de
ceux qui ont été pendant longtemps asservis à la scolastique. En
attendant que les organismes officiels prennent en charge cette rééducation
indispensable, force nous est de répondre par des moyens de fortune à la demande
croissante d'éducateurs de tous degrés qui désirent s'engager dans nos techniques. Nous
avions entrepris d'écrire à leur intention un guide succinct : Comment démarrer
? qui, croyons-nous, pourrait suffire pour les premiers essais. Nous
nous sommes rendu compte alors que les conseils techniques que nous apportions risquaient
non seulement d'être insuffisants, mais d'égarer et de décourager les nouveaux venus si
nous ne les complétions par des directives plus précises pour ce qui concerne
l'utilisation pédagogique de ces techniques et l'esprit de notre enseignement. Il
nous fallait alors inciter nos lecteurs à reconsidérer un certain nombre de notions et
de pratiques psychologiques, pédagogiques, techniques et sociales qu'on tient
communément comme admises dans les milieux scolaires et que la tradition interdit de
mettre en doute parce qu'elles sont les fondements mêmes de tout l'édifice scolastique. C'est
une nouvelle gamme des valeurs scolaires que nous voudrions ici nous appliquer à
établir, sans autre parti pris que nos préoccupations de recherche de la vérité, à la
lumière de l'expérience et du bon sens. Sur
la base de ces principes que nous tiendrons pour invariants, donc inattaquables et sûrs,
nous voudrions réaliser une sorte de Code pédagogique avec : -feu
vert pour les pratiques conformes à ces invariants, dans lesquels les éducateurs peuvent
s'engager sans appréhension parce qu'ils y sont assurés d'une réconfortante
réussite ; -feu
rouge pour les pratiques non conformes à ces invariants et qu'il faut donc proscrire le
plus tôt possible ; -feu
orange et clignotant pour les pratiques qui, dans certaines circonstances peuvent être
bénéfiques, mais qui risquent aussi d'être dangereuses, et vers lesquelles il ne faudra
vous avancer qu'avec prudence dans l'espoir de bientôt les dépasser. C'est
en fonction de ces indications méthodologiques que nous donnerons alors les conseils plus
spécifiquement techniques qui vous permettront d'aboutir avec un minimum de tâtonnements
et de risques. ________ P.S.
« Si l'on consulte un ouvrage classique de psychologie générale, écrit le
Dr Viard, dans « La vie collective », n°336-337, on y trouve des
descriptions parfaites d'un nombre impressionnant de manifestations psychiques ; et
leur liste est loin d'être épuisée. Il se dégage de ces travaux consciencieux,
minutieux, abondants, le sentiment que la psychologie est quelque chose de très
compliqué et que, pour devenir un fin psychologue, il faut de nombreuses années de
pratique, sans jamais être sûr, dans beaucoup de circonstances, de la valeur des
jugements qu'on porte sur autrui. « Nous avons pensé qu'après l'analyse
détaillée des phénomènes psychologiques, il serait peut-être possible de trouver
entre eux et les individus un lien constant, invariant, qui leur conférerait en même
temps, un caractère d'universalité... « La
définition de l'Invariant est contenue dans le mot lui-même. C'est tout ce qui ne varie
pas et ne peut pas varier, sous n'importe quelle latitude, chez n'importe quel peuple. « L'Invariant
constitue la base la plus solide. Il évite bien des déceptions et des erreurs ».
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Les invariants pédagogiques I. La nature de l'enfant INVARIANT
n°1 : L'enfant
est de la même nature que nous. Il
est comme un arbre qui n'a pas encore achevé sa croissance mais qui se nourrit, grandit
et se défend exactement comme l'arbre adulte. L'enfant se nourrit, sent, souffre, cherche
et se défend exactement comme vous, avec seulement des rythmes différents qui viennent
de sa faiblesse organique, de son ignorance, de son inexpérience, et aussi de son
incommensurable potentiel de vie, dangereusement atteint souvent chez les adultes.
L'enfant agit et réagit en conséquence, et vit, exactement selon les mêmes principes
que vous. Il n'y a pas entre vous et lui une différence de nature mais seulement une
différence de degré. En
conséquence : Avant
de juger un enfant ou de le sanctionner posez-vous seulement la question : Si
j'étais à sa place comment pourrais-je réagir ? Et comment agissons-nous quand
nous étions comme lui ? Conformez-vous
loyalement à ce test : Avez-vous
fait effort pour vous imprégner de cet invariant ?
[vert] Reconnaissez-vous
cet invariant tout en hésitant à vous y conformer ?
[orange] Dans
votre comportement, considérez-vous souvent encore l'enfant
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INVARIANT n° 2 : Etre
plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres. Vous
êtes grand de taille et, de ce seul fait, vous avez tendance à considérer comme
inférieurs ceux qui sont au-dessous de vous. C'est une sorte de sensation, disons
physiologique qui est à l'opposé de la sensation du vide vertigineux lorsqu'on est au
balcon d'un 8e ou sur un pic surplombant la vallée. C'est dire que tout le
monde éprouve cette sensation. Il faut en prendre conscience et vous en défendre parce
qu'elle vous trouble et vous égare. Vous
êtes plus grand que vos élèves. Cela ne vous suffit pas encore. Il faut que vous
montiez sur une estrade pour assurer votre supériorité. Ce
sont là des impressions, des sentiments qui handicapent beaucoup plus qu'on ne croit tous
les candidats à la pédagogie moderne. C'est
pour vous engager à vous défaire de ce vertige que nous préconisons dès l'abord un
certain nombre de gestes symboliques et pourtant déterminants de l'évolution
indispensable. -Supprimez
l'estrade : Vous serez, du coup, au niveau des enfants. Vous les verrez avec des
yeux, non de pédagogues et de chefs, mais avec des yeux d'hommes et d'enfants, et vous
réduirez tout de suite de ce fait, l'écart dangereux qui existe, dans les classes
traditionnelles, entre l'élève et le maître. -Si,
pour des raisons administratives, vous ne pouvez enlever l'estrade pour en faire par
exemple une table d'exposition et de travail, nous vous recommandons du moins de
détrôner le bureau du maître, de le mettre au niveau des enfants, à un endroit où il
ne gêne pas, et pas forcément devant les enfants. L'estrade
et la chaire sont des éléments indispensables de la pédagogie traditionnelle où le
verbiage est roi, avec les leçons, les explications, les interrogations qu'on pratique
effectivement avec d'autant plus d'autorité et d'efficience qu'on n'est pas au niveau de
ceux qui écoutent. Ajoutons
que la position de lutte entre maîtres et élèves nécessite pour la surveillance,
l'autorité et la discipline cette surélévation matérielle et symbolique. Mettez-vous
au niveau de vos élèves. Vous pénétrez de plain-pied dans la pédagogie moderne. Vous
serez amené vous-mêmes à réfléchir et à commencer la reconsidération de vos
attitudes et de votre comportement pédagogique. Test : Enlever
l'estrade avec toutes les conséquences pédagogiques que
ce geste comporte.
[vert] Mettre
le bureau au niveau des élèves.
[orange] Laisser
l'estrade avec son usage traditionnel.
[rouge] Je
ne peux résister au plaisir de vous citer ce passage dans Intermezzo de Giraudoux, comédie écrite en 1933. Nous
lisons : (Isabelle
et ses élèves sont en classe-promenade lorsque survient l'Inspecteur Primaire...) -L'INSPECTEUR
: Entrez les élèves... (Elles rient). Pourquoi rient-elles ? -ISABELLE:
C'est que vous dites : Entrez, et qu'il n'y a pas de porte. -L'I.P. :
Cette pédagogie de grand air est stupide, le vocabulaire des inspecteurs Y perd la
moitié de sa forme... (chuchotements). Silence, là-bas ! Mademoiselle vos
élèves sont insupportables ! -ISABELLE :
Comment les punirais-je ? Avec ces classes de plein-air, il ne subsiste presque aucun
motif de punir. Tout ce qui est faute dans les classes devient ici initiative et
intelligence. Punir une élève qui regarde au plafond ? Regardez-le, ce plafond !
-L'I.P. :
Justement ! Le plafond dans l'enseignement doit être compris de façon à faire
ressortir la taille de l'adulte vis-à-vis de la taille de l'enfant. Un maître qui adopte
le plein air avoue qu'il est plus petit que l'arbre, moins corpulent que le buf,
moins mobile que l'abeille et sacrifie ainsi la meilleure preuve de sa dignité. » * |
INVARIANT n° 3 : Le
comportement scolaire d'un enfant est fonction de son état physiologique, organique et
constitutionnel. On a
tendance à considérer sans humanité que l'enfant qui travaille mal ou se comporte de
façon répréhensible le fait intentionnellement et par malignité. Certes
de telles habitudes sont parfois prises, et nous en supportons les conséquences, ce qui
ne veut pas dire que l'enfant soit totalement
responsable des tares qui se manifestent en lui. N'oubliez
pas que vous mêmes travaillez avec déficience quand vous avez mal à la tête, mal aux
dents, ou que vous avez mal digéré, ou que vous avez faim (ventre affamé n'a pas
d'oreille). Vous vous énervez plus facilement quand vous avez échoué dans un travail,
que vous vous êtes disputé avec un adversaire plus fort que vous ou que vous n'avez pas
pu réaliser un projet qui vous tenait à cur. Les
enfants sont tout simplement comme vous. En face des déficiences de comportement que vous
constatez, essayez de vous demander s'il n'y a pas des causes de santé, d'équilibre, de
difficultés de milieu qu'il y aurait d'abord à revoir. Vous
essaierez de les corriger. Si vous ne le pouvez pas, vous agirez du moins avec beaucoup
plus de raison et d'humanité, et vous améliorez du coup le climat de votre classe. Test : Vous
vous appliquez à rechercher les raisons psychologiques, Vous
n'y avez encore réussi que très relativement.
[orange] Vous
réagissez encore en pédagogue traditionnel sans tenir compte |
II. Les réactions de l'enfant INVARIANT
n° 4 : Nul
l'enfant pas plus que l'adulte n'aime être commandé d'autorité. Il y
a là une sorte de réflexe tout à la fois physiologique et psychologique. Quand
vous vous aventurez dans un chemin, c'est que « tout compte fait » vous jugez
bon d'y aller. Si vous n'êtes pas sûr que ce soit une bonne direction, vous tâtonnez,
vous avancez timidement, ou vous rebroussez chemin pour repartir ensuite. Mais si
quelqu'un vous pousse, vous avez le même réflexe que lorsque, prêt à plonger au bord
du bassin, une main suspecte vous fait perdre l'équilibre. Instinctivement,
mécaniquement, vous faites l'effort inverse pour résister à la poussée et rétablir
votre équilibre. Cette
loi est générale. Elle ne souffre pas d'exception ni au point de vue physiologique, ni
pour notre comportement moral, social ou intellectuel. Nous
sommes tous ainsi, et c'est pourquoi tout geste, tout commandement d'autorité entraîne
une opposition comme automatique de celui qui les subit : il rougit, ou il amorce un
geste de résistance peut-être vite réprimé, ou bien il est troublé dans le
déroulement de ses pensées et de ses sentiments. Il
en résulte que, par principe tout commandement dautorité est toujours une erreur. On
dira que l'enfant n'est pas suffisamment expérimenté et qu'il nous faut bien l'orienter
et le pousser parfois là où il ne voudrait pas aller. L'erreur n'en subsiste pas moins.
A nous de chercher une pédagogie dans laquelle l'enfant choisit au maximum la direction
où il doit aller et où l'adulte commande le moins possible d'autorité. C'est
ce que s'efforce de faire notre pédagogie en donnant au maximum la parole à l'enfant, en
lui laissant individuellement et coopérativement, une initiative maximum dans le cadre de
la communauté, en s'évertuant à l'entraîner plus qu'à le diriger. Lorsque
nous préparons notre Plan de travail, nous présentons à la classe 3, 4 thèmes que les
enfants, ou les équipes vont étudier. Pour
la répartition des thèmes il y a deux façons d'agir : l'autoritaire, habituelle à
l'Ecole traditionnelle qui commande : Thème n°1
X Aucun
des enfants ne sera satisfait. Au
lieu de cela nous disons : voilà trois thèmes à traiter. Choisissez chacun celui
qui vous intéresse. On attribue les thèmes selon la demande. Les derniers prennent
forcément le thème qui reste. La
part de choix, en l'occurrence, a été fort limitée. Mais les enfants n'ont pas été
poussés autoritairement. Ils sont satisfaits. Si nous imposons un texte à l'enfant, il y
aura automatiquement opposition. Offrons la liberté de choix et tout rentrera dans
l'ordre. Oui
mais, nous dira-t-on s'il n'y a plus d'autorité ! C'est une autre question que nous
résolvons d'une façon satisfaisante. Commander
d'autorité est une erreur. Eviter l'erreur sera toujours salutaire. Test : Vous
avez prévu dans votre classe une pédagogie sans Vous
cherchez une solution mitigée avec un reste d'autorité Vous
préférez encore commander d'autorité en toutes circonstances.
[rouge] |
INVARIANT n° 5 : qui
découle du précédent : Nul
n'aime s'aligner, parce que s'aligner, c'est obéir passivement à un ordre extérieur. Il
est des jeux ou des travaux collectifs, le sport par exemple, où l'alignement est
ressenti comme une nécessité et ne pose donc aucun problème. Il
est des cas aussi où cet alignement est comme une nécessité administrative ou
technique, exigée par une autorité qui nous dépasse, et dont nous sommes victimes aussi
bien que les enfants. Il en est ainsi notamment de la nécessité où nous sommes par
suite de l'organisation sociale actuelle de respecter strictement l'heure des repas dans
la famille ou à la cantine l'heure d'entrée et de sortie de classe, la discipline des
queues qui sont hélas ! une invention des temps de pénurie. Il
suffit dans ces cas d'expliquer aux enfants si le train passe à 6 h du matin, force nous
est de partir de la maison à 5 h 30 si nous ne voulons pas arriver trop tard. On
pourrait dire que cette discipline n'est que très peu perturbante et qu'elle ne modifie
pas forcément les relations maîtres-élèves, à condition que le maître ne s'attribue
pas des passe-droits du fait de sa fonction. L'obligation
dangereuse c'est celle qui apparaît aux enfants comme superflue, comme signe d'un malin
plaisir de l'adulte de prouver sa souveraine autorité en montrant que ses commandements
doivent déclencher un réflexe de passive obéissance qui est abêtissement. La
discipline militaire est le type de cette erreur insupportable pour ceux qui sont dans le
rang, et qui régit autoritairement tous les rapports entre simples soldats et gradés. La
preuve que cette discipline est à l'opposé des règles de vie et d'action et qu'elle
n'est faite que pour renforcer la brutale autorité, c'est qu'elle s'atténue jusqu'à
disparaître parfois en période active ou durant les guerres. Cette forme extérieure de
discipline disparaissait presque totalement pendant la guerre pour les hommes au front.
Elle avait totalement disparu durant la clandestinité et les maquis, et pourtant, ces
soldats sans uniforme et sans discipline extérieure ont su respecter la plus efficiente
des disciplines, celle de l'action. Il
en est de même pour l'Ecole. Il y
a une certaine discipline nécessitée par la cohabitation dans des groupes plus ou moins
bien organisés. Les enfants la comprennent, l'acceptent, la pratiquent, l'organisent
eux-mêmes s'ils en sentent la nécessité. C'est cette discipline qu'il faut rechercher. Mais
il faut bannir tous alignements dont l'enfant ne sent pas la nécessité et qui peuvent
être réalisés par l'organisation coopérative : ordre pour l'entrée en classe,
silence durant le travail, etc... Il
peut y avoir ordre et discipline sans l'autorité abêtissante dont les alignements dans
la cour, les coups de sifflet et les bras croisés sont le symbole. Test : Supprimer
l'autorité brutale qui exige tous alignements superflus, Essais
d'organisation de la discipline avec un minimum de En
être resté aux ordres autoritaires, à l'alignement,
|
INVARIANT n° 6 : découlant
des précédents : Nul
n'aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît
pas particulièrement. C'est la contrainte qui est paralysante. Le
premier mouvement de l'enfant ou de l'adulte à qui on commande d'autorité: Fais
cela ! est de dire automatiquement : non ! Là,
réside partiellement au moins, l'explication de cette période d'opposition qu'on note
chez les enfants de 7 à 9 ans. C'est l'âge où l'adulte, sous le prétexte de
discipliner l'enfant, tient à marquer son autorité par le commandement brutal qui incite
ou oblige à cette obéissance passive que trop de parents ou de maîtres croient
indispensable à toute éducation virile. Alors se livre une sorte de combat entre l'enfant qui veut expérimenter et vivre dans le sens de ses besoins et l'adulte qui veut le plier à l'obéissance. L'opposition systématique est une phase de cette lutte. L'enfant se pliera ensuite, s'il se discipline. Il y a ceux qui n'acceptent pas cette autorité brutale et qui seront les insoumis, les fortes têtes, les inadaptés, avec toutes les complications individuelles et sociales qui en découlent. Il résulte de cette opposition que certaines activités - les scolaires plus particulièrement - se recouvrent d'une sorte de voile maléfique, parce qu'elles sont commandées. On désapprend ainsi le travail ; ainsi naissent des phobies, des anorexies et des complexes graves qu'une bonne pédagogie éviterait. Test: S'abstenir
de tout commandement strictement autoritaire. Réduire
progressivement le commandement, supprimer En
rester à la forme habituelle de discipline et de commandement, |
INVARIANT n° 7 : découlant
des précédents : Chacun
aime choisir son travail, même si ce choix n'est pas avantageux. Donnez
un bonbon à un enfant. Il sera satisfait certes, mais n'en regardera pas moins avec envie
le restant de la boîte. Présentez-lui la boîte pour qu'il choisisse. Il sera beaucoup
plus satisfait, même si son choix n'est pas avantageux. Là
aussi c'est la liberté qui colore de rouge, d'orange ou de vert la décision à
intervenir. Nous
avons dit déjà comment pour la préparation du travail nous donnons aux enfants le choix
des thèmes au lieu d'en faire d'autorité la distribution. Cet
invariant est une des raisons qui font le succès de nos fichiers auto-correctifs et de
nos bandes enseignantes. Avec le manuel de calcul, l'enfant n'a aucune latitude. Les
exercices à faire sont imposés par le livre ou par le maître. L'enfant n'a qu'à
s'aligner sans rien dire. Donnez
aux enfants la liberté de choisir leur travail, de décider du moment et du rythme de ce
travail et tout sera changé. Imposez
aux élèves un texte à lire et à étudier. Ils n'y ont ni appétit ni enthousiasme.
Laissez-leur la liberté de choisir comme nous le faisons par le texte libre, le travail
se fera alors dans un climat beaucoup plus favorable. Ce
principe, valable pour tous les individus, motive la survivance en France de l'artisanat.
Au travail imposé à l'usine, l'ouvrier préfère son activité d'artisan, qu'il pratique
à l'heure et au rythme qui lui convient, même si ce choix lui vaut des journées plus
longues et plus fatigantes. Test : S'organiser
et prévoir des techniques telles que l'enfant ait toujours Expérimenter
ce choix libre au moins en français et en calcul.
[orange] Pratiquer
presque intégralement des travaux pour le choix desquels |
INVARIANT n° 8 : découlant
des précédents : Nul
n'aime tourner à vide, agir en robot, c'est-à-dire faire des actes, se plier à des
pensées qui sont inscrites dans des mécaniques auxquelles il ne participe pas. Qu'un
enfant tourne les pédales d'un vélo sur cale, il s'en lassera vite, alors qu'il ira au
bout du monde sur son vélo qui roule pour du bon. Nous
verrons, dans les chapitres suivants, où peut nous mener le feu vert qui nous ouvre la
voie vers le travail vivant et l'action. Nous
aurions là à faire le procès de tous les exercices scolaires qui fonctionnent sur cale,
pour rien ou en tous cas pour des buts qui ne sont pas les nôtres. Feu
rouge pour les exercices divers qui n'ont
d'autre but que de se couvrir éventuellement d'encre rouge. Feu
rouge pour l'étude mécanique et par cur de textes ou de récitations qu'on ne
comprend pas. Feu
rouge pour les devoirs de rédaction dont le seul lecteur sera le maître et qui ne
répondent à aucun des impératifs naturels d'expression et de communication. Mais
nous aurons la plupart du temps à envisager des feux orange et des clignotants. Dans
les conditions actuelles de travail scolaire, il sera pendant longtemps difficile de
substituer au travail scolastique les activités motivées qui sont la raison d'être de
notre pédagogie. On
sera alors obligé de s'accommoder bien souvent de ce qui est, de l'adapter au mieux à
nos techniques, et de créer, dans cet ensemble condamné des éléments de liberté et de
progrès. Un
des éléments auquel, contrairement à ce que prétendent les psychologues, nous ne
donnerons pas le feu vert mais un simple orange et clignotant, c'est le jeu, qui n'est pas
une activité naturelle mais seulement un ersatz du travail. Test : Valable
toute activité qui a sa raison d'être dans le comportement Activités
qui donnent parfois une illusion de liberté et de motivation, Devoirs
scolastiques imposés.
[rouge] |
INVARIANT n° 9 : qui
tire la conclusion des précédents : Il
nous faut motiver le travail. Dans
un de mes Dits de Mathieu (Les Dits de Mathieu par C. FREINET : I vol.
aux Ed. Delachaux et Niestlé, Paris.) j'ai donné un exemple que je crois devoir
reproduire ici de la différence foncière qu'il y a entre le travail de soldat, sans
motivation et sans but, auquel on ne donne que le strict minimum de son activité, juste
assez pour éviter les sanctions, et le travail puissamment motivé, intégré à l'être
dans son milieu, que nous disons Travail de fiancé. LE TRAVAIL QUI ILLUMINE Eh
oui ! Il existe certes des bêches et des charrues, et des outils mécaniques
autrement perfectionnés qui vous remuent le sol et vous sèment les graines sans que vous
ayez à vous mesurer avec l'aridité de la glèbe. Mais j'aime, moi, quand je prépare un
semis, tamiser la terre de mes mains et trier amoureusement les pierres, comme l'on
adoucit le lit douillet d'un bébé. C'est
ainsi ; un travail même peut être corvée ou libération. Ce n'est pas une question
de nouveauté mais d'illumination et de fécondité. Vous
connaissez lhistoire des « pluches » au régiment ? Il y a un art -
dont l'Ecole a fait une tradition - pour opérer le plus lentement possible, sans
cependant s'arrêter de travailler. C'est du stakhanovisme à l'envers. Et quand il s'agit
de prendre le balai pour débarrasser les pluches,
c'est pire encore : tous les hommes sont manchots. C'est parfois le caporal lui-même
qui doit s'appuyer la corvée. Le
soldat part en permission voir sa jeune femme. Faire la soupe, éplucher les pommes de
terre, balayer même, tout cela devient un plaisir dont il réclame le privilège. La
corvée du matin est devenue une récompense ! Il
en est de même à l'école, où certains travaux usés par la tradition seront, demain,
recherchés à l'égal d'activités nouvelles que vous croyiez exclusives. Ne cherchez pas
la nouveauté ; la mécanique la plus perfectionnée lasse elle-même si elle ne sert pas
les besoins profonds de l'individu. Dans le lot toujours croissant des activités qu'on
vous offre, choisissez d'abord celles qui illuminent votre vie, celles qui donnent soif de
croissance et de connaissances, celles qui font briller le soleil. Editez un journal pour
pratiquer la correspondance, recueillez et classez des documents, organisez l'expérience
tâtonnée qui sera la première étape de la culture scientifique. Laissez les jeunes
fleurs s'épanouir, même si les mouille parfois la rosée. Tout
le reste vous sera donné par surcroît. * Ce
que nous avons apporté de nouveau à la pédagogie, c'est cette possibilité technique de
faire effectivement dans nos classes du travail vivant, du travail de fiancé. Lorsque
l'enfant écrit avec plaisir un texte libre pour son journal ou ses correspondants, feu
vert. Lorsqu'il
écrit une lettre à son correspondant, feu vert. Lorsqu'il
imprime, lorsqu'il dessine et peint, lorsqu'il fait des expériences ou prépare des
conférences, feu vert. Les
enfants comprendront vite quelles sont les activités motivées et celles qui ne sont là
qu'en fonction de l'Ecole. Test : Activités
motivées auxquelles les enfants se donnent totalement.
[vert] Activités
mitigées qu'on essaie d'influencer par un nouvel esprit.
[orange] Travail
ordinaire.
[rouge] |
INVARIANT n° 10 : Plus
de scolastique. La
scolastique, c'est une règle de travail et de vie particulière à l'Ecole et qui n'est
pas valable hors de l'Ecole, dans les diverses circonstances de la vie auxquelles elles ne
sauraient donc préparer. Nous
vous proposons un moyen simple de détection de la scolastique. Si
vous voulez savoir dans quelle mesure une forme de travail est scolastique et si donc vous
devez lui appliquer le feu orange ou le feu rouge, posez-vous les questions
suivantes : -Si
on m'obligeait à faire ce travail, le ferais-je volontiers et avec efficience ? -Si
j'étais à la place de cet élève, travaillerais-je avec plus d'enthousiasme et
d'application ? -Si
je laissais ouvertes les portes de la classe avec liberté totale de sortir quand on le
désire, les enfants resteraient-ils à leur travail ou se sauveraient-ils vers d'autres
activités ? Test : Travaux
que nous ferions nous-mêmes avec intérêt, Travaux
plus ou moins marqués d'école moderne, Travaux
scolastiques traditionnels.
[rouge] INVARIANT
n° 10 bis : Tout
individu veut réussir. L'échec est inhibiteur, destructeur de l'allant et de
l'enthousiasme. Nous
insistons tout particulièrement sur cet invariant, car toute la technique de l'Ecole
traditionnelle est basée sur l'échec. Les
premiers de la classe réussissent certes parce qu'ils ont des aptitudes particulières,
mais aussi parce qu'ils ont toujours de bonnes notes, des Bien et des Très bien, et
qu'ils réussissent aux examens. Mais
l'Ecole accable les autres sous l'avalanche des échecs : excès de rouge dans les
devoirs, mauvaises notes, « à refaire », cahiers mal tenus... Les
observations ne laissent que très rarement à l'enfant le réconfort d'une réussite. Ils
se découragent et cherchent dans d'autres voies - répréhensibles - d'autres réussites.
Faites
toujours réussir vos enfants. Le tonus de l'enseignement en sera du coup très
notablement réhabilité. Mais,
vous diront parents et éducateurs, on ne peut tout de même pas mettre une bonne note à
un travail insuffisant, ou féliciter un élève pour un cahier mal tenu. Oui,
mais nous pouvons pratiquer une pédagogie qui permette aux enfants de réussir, de
présenter des travaux faits avec amour, de réaliser des peintures ou des céramiques qui
sont des chefs-duvre, de faire des conférences applaudies par les auditeurs. C'est
toute la formule de l'Ecole qu'il nous faut changer, et le rôle aussi de l'éducateur
qui, au lieu d'être un censeur exclusif saura promouvoir son rôle éminemment
aidant : Test : Pour
une pédagogie de la réussite.
[vert] Effort
pour éviter l'échec.
[orange] Pédagogie
de l'échec.
[rouge] INVARIANT n° 10 ter: Ce
n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, mais le travail. Nous
allons à contre-courant de la psychologie et de la pédagogie contemporaine en affirmant
cet invariant de la primauté du travail (Voir notamment : L'Education du Travail,
par C. FREINET Ed. Delachaux et Niestlé, Paris.). L'erreur
commence à l'Ecole maternelle, qui a, de ce point de vue, contaminé les familles :
il n'y a qu'à jeter un coup d'il sur les catalogues des grandes maisons d'édition
pour se convaincre que le jeu y est roi, qu'on n'y présente aucun outil de travail mais
une infinité de jeux. On a
pris l'habitude également dans les familles de ne plus faire travailler les enfants. Ils
sont les rois fainéants auxquels on offre exclusivement des jeux. Aux
autres degrés, par la force des choses, la pédagogie a moins généralement recours aux
jeux, mais on n'en a pas pour autant accepté le principe du travail. L'Ecole
primaire et le second degré aussi sont le domaine des devoirs et exercices imposés, qui
présentent tout au plus un intérêt superficiel mais qui ne répondent nullement à
notre définition du travail naturel, motivé et exhaustif dont on ne dira jamais assez
les vertus. Notre
pédagogie est justement une pédagogie du travail. Notre originalité c'est d'avoir
créé, expérimenté, diffusé des outils et des techniques de travail dont la pratique
transforme profondément nos classes. Test : Réalisation
maximum d'une école du travail.
[vert] Mélange
de devoirs et de travail.
[orange] Pas
encore de vrai travail.
[rouge]
|
III. Les techniques éducatives
INVARIANT
n° 11 : La voie normale de l'acquisition n'est nullement l'observation, l'explication et la démonstration, processus essentiel de l'Ecole, mais le Tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle (Essai de psychologie appliquée à l'Education, par C. FREINET Ed. de l'E.M.F.). L'Ecole
traditionnelle opère exclusivement par explications. Les expériences, lorsqu'on en fait,
n'interviennent que comme complément de démonstration. Or,
l'explication, même aidée par la démonstration n'apporte qu'une acquisition
superficielle et formelle, qui n'est jamais enracinée dans la vie de l'individu dans son
milieu. Elle est comme ces rejets qui poussent prématurément sur un arbre qu'on a mis en
terre et qui donnent un instant l'illusion de la vie. Mais les racines, non encore
adaptées au milieu n'apportent pas la sève indispensable et la plante se dessèche,
faute de nourriture substantielle. C'est
malheureusement cette acquisition de surface que recouvre le vernis des mots, que
recherche l'Ecole actuelle et que contrôlent les examens. On
sent de plus en plus la vanité de cette superficialité et l'on prône un peu partout,
mais tout spécialement hors de l'enseignement la culture profonde qui prépare les
chercheurs intelligents et efficients. Il
apparaît que, pour une véritable culture c'est le tâtonnement expérimental, tel
que nous l'avons exposé dans notre livre Essai de psychologie sensible, qui est la
voie royale, base de notre pédagogie. Les Travaux
Scientifiques Expérimentaux sont la première reconnaissance officielle de ce
processus universel. Test : Pour
une éducation fondée sur l'expérience et la vie, Pour
l'introduction de plus en plus pratique de On
n'a pas encore modifié la pratique habituelle scolastique
|
INVARIANT n° 12 : La mémoire, dont l'Ecole fait tant de cas, n'est valable et précieuse que lorsqu'elle est intégrée au Tâtonnement expérimental, lorsqu'elle est vraiment au service de la vie. Dans
le cas contraire, elle ne joue l'effet que d'une bande magnétique qui enregistre des mots
pour les restituer à la demande, sans qu'il y ait le moindre processus intelligent
d'intégration à la vie mentale. « Savoir par cur n'est pas savoir »
disait déjà Montaigne qui avait alors fulminé contre cette habitude des scolastiques
d'imposer les connaissances comme qui verserait dans un entonnoir. Une bonne mémoire est
évidemment précieuse. On a conclu alors que pour avoir cette bonne mémoire, il fallait
exercer sans cesse cette faculté comme si elle était un véhicule essentiel de la
connaissance. Mais
contrairement à la croyance générale des scolastiques, la mémoire ne se cultive pas
par l'exercice. On peut, par ce biais, acquérir certains procédés mnémotechniques qui
font illusion. L'usage mécanique de la mémoire tend au contraire à la fatiguer et à
l'épuiser. C'est ce qui arrive avec notre jeunesse malmenée. Malheureusement, tout
l'enseignement scolastique est fondé sur la mémoire, et les examens mesurent
exclusivement les acquisitions de mémoire. Test : Donner
un enseignement vivant où la mémoire Pour
un enseignement où la mémoire a encore Pour
une éducation et une motivation de mémoire.
[rouge]
|
INVARIANT n° 13 : Les acquisitions ne se font pas comme l'on croit parfois, par l'étude des règles et des lois, mais par l'expérience. Etudier d'abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c'est placer la charrue devant les bufs. Les
règles et les lois sont le fruit de l'expérience, sinon elles ne sont que des formules
sans valeur. Test : Pour
un travail vivant expérimental. Expériences
mais étude simultanée de certaines règles Enseignement
classique a base de règles et de principes INVARIANT n° 14 : L'intelligence n'est pas, comme l'enseigne la scolastique, une faculté spécifique fonctionnant comme en circuit fermé, indépendamment des autres éléments vitaux de l'individu. On
dit : cet enfant est, ou n'est pas intelligent. Or, l'intelligence n'existe pas en
soi : elle est comme l'émanation complexe des possibilités les plus éminentes de
l'individu. Si
l'intelligence n'existe pas en soi, il n'y a pas une méthode spéciale de culture de
cette intelligence. Elle est, comme la santé, une synthèse d'éléments intimement liés
sur lesquels nous aurons à agir favorablement. Nous
avons expliqué dans notre Essai de psychologie sensible que l'intelligence est la
perméabilité à l'expérience. Plus l'individu est sensible à ces expériences, plus
les expériences réussies marquent dans son comportement, plus il progresse rapidement. C'est
en généralisant, en classe et hors de classe, la pratique du tâtonnement expérimental,
en la rendant possible et efficiente qu'on éduque en définitive l'intelligence. Test : Processus
intensif de tâtonnement expérimental Intensification
progressive du tâtonnement expérimental Conception
encore classique de l'intelligence par des
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INVARIANT n° 15 : L'Ecole ne cultive qu'une forme abstraite d'intelligence, qui agit, hors de la réalité vivante, par le truchement de mots et d'idées fixées par la mémoire. Les
individus chez qui on a hypertrophié cette forme d'intelligence seront capables de
discourir avec virtuosité sur tous sujets appris, ce qui ne les empêche pas d'être
parfois inintelligents pour tout ce qui touche à la vie et l'adaptation au milieu Il y
a bien d'autres formes d'intelligence, variables selon les incidences du tâtonnement
expérimental qui leur a servi de base : -l'intelligence
des mains qui vient des vertus avec lesquelles on agit sur le milieu pour le transformer
et le dominer ; -l'intelligence
artistique ; -l'intelligence
sensible qui développe le bon sens ; -l'intelligence
spéculative qui fait le génie des chercheurs scientifiques et des grands maîtres du
commerce et de l'industrie ; -
l'intelligence politique et sociale qui forme les hommes d'action et les manieurs de
foules. Le
peuple a toujours honoré ces formes diverses d'intelligence. Elles nous ont valu les
génies artistiques, les hommes dévoués jusqu'au sacrifice, les inventeurs et les sages,
qui, très souvent, avaient échoué à l'Ecole parce que rebelles à ses enseignements
traditionnels. La
société actuelle a un tel besoin de cadres polyvalents, de chercheurs et de créateurs,
qu'une tendance très nette se manifeste souvent hors de l'Université pour la culture de
ces formes diverses d'intelligence. Notre
pédagogie y pourvoie, et en ce domaine, elle est encore en audacieuse avant-garde. La
partie est pourtant loin d'être gagnée. Les « intellectuels » défendent et
défendront encore longtemps leurs privilèges, authentifiés par les examens et les
parchemins. Test : Si,
par des techniques adéquates vous cultivez au maximum Si
la culture de ces possibilités complémentaires ne se fait Si
vous vous contentez encore de la culture de l'intelligence scolaire.
[rouge] |
INVARIANT n° 16 : L'enfant
n'aime pas écouter une leçon ex cathedra.
Ce
n'est pas spécialement par distraction ou paresse. Pour les raisons que nous avons déjà
données, l'enfant et l'homme n'aiment pas écouter ce qu'ils n'ont pas sollicité et dont
ils ne sentent pas le besoin vivant. C'est ce qui explique le faible rendement de ces
leçons et tous les artifices que les éducateurs ont dû inventer pour obliger les
enfants à se plier aux leçons magistrales. Et
pourtant dira-t-on, il faut bien que l'enfant apprennent et comprennent ce qu'il ne sait
pas et que donc le maître doit lui enseigner. Mais peut-être y a-t-il d'autres voies
pour cet enseignement ? Nos
techniques apportent des solutions diverses à ces problèmes. Il y en a notamment une que
nous recommandons. Si
vous expliquez d'autorité par la leçon, nul n'écoute. Mais organisez votre travail de
telle façonb que l'enfant commence par agir lui-même, par expérimenter, par enquêter,
par lire, par choisir et classer des documents. Il vous posera alors des questions qui
l'ont plus ou moins intrigué. Vous répondez à ces questions : ce sera ce que nous
appelons la leçon a posteriori. Test : Vous
commencez, pour toutes les disciplines par l'expérience Vous
tâchez de rendre la leçon intéressante mais elle reste la leçon.
[orange] Vous
n'avez pas dépassé le stade de la leçon ex cathedra.
[rouge] INVARIANT n° 17 : L'enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel. Ce
qui fatigue, les enfants comme les adultes, c'est l'effort contre nature, qu'on fait parce
qu'on y est contraint. La
scolastique est si bien habituée à ses erreurs qu'il est admis officiellement que le
jeune enfant ne peut pas travailler plus de quarante minutes et qu'il faut après dans
toutes les classes 10 minutes de récréation. Or,
nous constatons expérimentalement - et cette constatation ne souffre que fort peu
d'exceptions - que cette règle scolastique est fausse : lorsqu'il est occupé à un
travail vivant qui répond à ses besoins, l'enfant ne se fatigue absolument pas et il
peut s'y appliquer pendant deux ou trois heures, davantage même si n'intervenaient les
besoins physiques naturels. A
l'Ecole Freinet, les enfants travaillent sans interruption de 8 h 30 à 11 h 30, et très
normalement. La
fatigue des enfants est le test qui permet de déceler la qualité d'une pédagogie. Test : L'enfant
peut travailler plusieurs heures sans fatigue.
[vert] L'enfant
se fatigue parfois, ce qui nécessite détente et repos.
[orange] On
est obligé de pratiquer les récréations.
[rouge] |
INVARIANT n° 18 : Personne, ni enfant ni adulte, n'aime le contrôle et la sanction qui sont toujours considérés comme une atteinte à sa dignité, surtout lorsqu'ils s'exercent en public. Il
n'y a qu'à vous rappeler dans quel état d'opposition souvent malveillante vous place le
contrôle d'un gendarme, même si vous êtes en faute. De
ce point de vue, la correction des devoirs et des exercices et la récitation des
résumés sont toujours une raison de trouble et d'opposition de l'enfant. Cela
est incontestable. On
dit volontiers que c'est un mal nécessaire et qu'il faut bien qu'on ordonne et qu'on
contrôle : la réaction argumente toujours ainsi lorsque en face d'initiatives
révolutionnaires, elle entend défendre la tradition et ses privilèges. Et pourtant, si
nous trouvions la possibilité de supprimer ces pratiques perturbantes, la pédagogie
ferait un pas encourageant. Ce
ne sont pas tant les corrections en elles-mêmes qu'il nous faut abandonner mais bien
plutôt modifier l'attitude du maître vis-à-vis du travail de l'enfant. A
l'Eco1e traditionnelle l'enfant est, en principe, toujours fautif. Le maître a tendance
à voir dans les travaux de ses élèves non ce qui est bien mais ce qui est, selon lui,
condamnable. Il ressemble en cela aux gendarmes qui sont toujours à la recherche des
délinquants. Cette
situation d'infériorité et de faute est essentiellement avilissante. Elle est
certainement une des causes principales des échecs scolaires et de l'aversion que
l'enfant éprouve de bonne heure pour les choses d'école. Et
pourtant, dira-t-on, il faut bien qu'on corrige les défauts et les faiblesses des
enfants, sinon ils ne feront jamais effort pour s'améliorer. La
maman ne gronde jamais son enfant parce qu'il a mal prononcé un mot ou qu'il est tombé
lors de ses premiers pas. Elle sait, intuitivement, que l'enfant, par nature, fait tout
son possible pour réussir car l'échec le déséquilibre. S'il a fauté c'est qu'il n'a
pas pu faire autrement. Notre rôle d'éducateur est semblable : non corriger mais
aider à réussir et à dépasser les erreurs. L'attitude
aidante est la seule valable en pédagogie. Mais elle suppose évidemment qu'on a
reconsidéré les techniques de travail, que les méthodes naturelles ont fait place à la
scolastique et que les enfants travaillent de leur plein gré, sans l'autorité du
maître. Intéresser
l'enfant à son travail et à sa vie d'enfant reste donc le premier des objectifs de
l'Eco1e Moderne. On peut voir, dans nos divers écrits, dans nos classes et dans nos
expositions, dans quelque mesure nous avons amorcé cette révolution pédagogique. Test : Vous
avez supprimé les corrections à l'encre rouge, Vous
n'êtes encore qu'à mi-chemin de cette conquête.
[orange] Vous
en restez encore aux vieux principes de correction et de sanctions.
[rouge] |
INVARIANT n° 19 : Les notes et les classements sont toujours une erreur. La
note est l'appréciation, par un adulte, du travail de l'enfant. Elle serait valable si
elle était objective et juste. Elle peut l'être, partiellement du moins quand il s'agit
d'acquisitions simples, de la technique des quatre opérations par exemple. Mais pour le
travail plus complexe où l'intelligence, la compréhension, les notions même de
comportement entrent en ligne de compte, toute mesure systématique est défaillante. Il
ne faut pas s'étonner si, à ce niveau, les notes peuvent varier du simple au double
selon les examinateurs, ce qui n'empêche pas d'user imperturbablement des demis ou des
quarts, comme si on suivait au chronomètre. Que
dire alors des classements établis sur la base de ces notes fausses, et comment décider
qu'un tel élève passe avant celui qui le suit avec quelques centièmes de points
d'avance. C'est
là, manifestement, la plus fausse des mathématiques, la plus inhumaine des statistiques.
Professeurs et parents y tiennent pourtant parce que dans les données actuelles de
l'école, avec des enfants qui n'ont pas envie de travailler, les notes et les classements
restent encore le moyen le plus efficace de sanction et d'émulation. Mais ce moyen a une
contrepartie gravement dangereuse : -Comme
il s'agit de noter, et avec un minimum d'erreurs, on s'en tient en pédagogie à ce qui
est mesurab1e. Un exercice, un calcul, un problème, la répétition d'un cours, tout cela
peut effectivement entraîner une note acceptable. Mais la compréhension, les fonctions
d'intelligence, la création, l'invention, le sens artistique, scientifique, historique,
ne peuvent pas être notés. Alors on les réduit au minimum, à l'Ecole, et on les
supprime de la compétition. Ils n'entrent que faiblement en compte dans les examens et
concours. Voilà
la situation actuelle. Nous
y pallions : -en
donnant aux enfants le goût et le besoin de travail ; en créant une saine
émulation par la compétition coopérative et sociale ; -en
mettant au point un système de graphiques et de brevets qui remplaceront un jour prochain
l'usage abusif des notes et des classements. (Nous
notons avec satisfaction que les récentes circulaires ministérielles des classes de
transition préconisent justement la suppression des notes et du classement). Test : Vous
avez supprimé notes et classements que vous remplacez
par les formes nouvelles de travail.
[vert] Vous
remplacez précautionneusement notes et classement Vous
restez fidèles à l'ancienne tradition.
[rouge] |
INVARIANT n° 20 : Parlez
le moins possible. Nous
avons beau faire, la vieille pédagogie nous a si bien marqués que nous avons toujours tendance à parler, à expliquer, à démontrer,
quand rien ne va plus. Ménagez
votre organe vocal habitué à surmonter tous les bruits, jusqu'à l'usure. N'expliquez
pas à tout propos : cela ne sert à rien. Moins vous parlez, plus vous agissez. Celui
qui travaille consciencieusement ne parle pas. Mais ce changement dans votre comportement
et votre action suppose que vous avez conscience de notre Invariant n°13. On se forme,
non par l'explication et la démonstration, mais par l'action et le tâtonnement
expérimental. Il suppose aussi que vous avez la maîtrise du matériel et des techniques
qui permettent une pédagogie plus efficiente. Test : Vous
êtes organisés pour travailler ; Vous
vous efforcez de moins parler mais vous n'avez pas Vous
vous en tenez de préférence aux vertus du langage explicatif.
[rouge] INVARIANT n° 21 : L'enfant
n'aime pas le travail de troupeau auquel l'individu doit se plier comme un robot. Il aime C'est
la condamnation définitive des pratiques scolastiques, où tous les enfants font, au
même moment, exactement la même chose. On a beau classer les élèves par divisions ou
par cours, ils n'ont jamais les mêmes besoins ni les mêmes aptitudes et il est
profondément irrationnel de prétendre les faire tous avancer au même pas. Les uns
s'énervent parce qu'ils piétinent alors qu'ils voudraient et pourraient aller plus vite.
Les autres se découragent parce qu'ils ne peuvent pas suivre seuls. Une petite minorité
profite du travail ainsi aménagé. Nous avons cherché, et trouvé la possibilité de
permettre aux enfants de travailler à leur rythme, au sein d'une communauté vivante. La
notion de travail d'équipe et de travail coopératif doit être elle-même
reconsidérée. Travailler en équipe ou en coopérative ne signifie pas forcément que
chaque membre fait le même travail. L'individu doit au contraire garder au maximum sa
personnalité mais au service d'une communauté. Cette forme nouvelle de travail est,
pédagogiquement et humainement parlant, de la plus haute importance. Test : Vous
organisez la pratique intéressante du travail individuel Vous
tentez des essais de travail d'équipe.
[orange] Vous
persistez dans une organisation traditionnelle du travail.
[rouge] INVARIANT n° 22 : L'ordre et la discipline sont nécessaires en classe. On
croit trop souvent que les techniques Freinet s'accommodent volontiers d'un manque
anarchique d'organisation, et que l'expression libre est synonyme de licence et de
laisser-aller. La
réalité est exactement contraire : une classe complexe, qui doit pratiquer
simultanément des techniques diverses, et où on essaye d'éviter la brutale autorité, a
besoin de beaucoup plus d'ordre et de discipline qu'une classe traditionnelle, où manuels
et leçons sont l'essentiel outillage. Mais
il ne saurait s'agir là de cet ordre formel qui se traduit tant que le maître surveille,
par du silence et des bras croisés. Nous avons besoin d'un ordre profond inséré dans le
comportement et le travail des élèves ; d'une véritable technique de vie motivée
et voulue par les usagers eux-mêmes. Ce
ne sont pas là des mots mais des réalités possibles dans toutes les classes qui
s'orienteront vers le travail nouveau. L'ordre et la discip1ine de l'Eco1e Moderne c'est
l'organisation du travail. Pratiquez
les techniques modernes pour du travail vivant les enfants se disciplineront eux-mêmes
parce qu'ils veulent travailler et progresser selon des règles qui leur sont propres. Vous
aurez alors dans vos classes l'ordre véritable. Test : Vous
parvenez, avec des techniques complexes de travail, Le
travail n'est pas encore suffisamment organisé Les
enfants ont encore besoin de l'ordre imposé de l'extérieur.
[rouge]
|
INVARIANT n° 23 : Les
punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n'aboutissent
jamais au Pourtant,
il est des cas, nous dira-t-on, où la punition devient une nécessité, où elle est la
seule solution pour maintenir l'ordre. Et
cela est exact. Mais c'est que l'erreur a été commise avant nous, ou en dehors de nous
et que nous en supportons la triste conséquence. Quand les enfants ont été battus
fréquemment dans la famille, ils se sont forgés une technique de vie à base de coups et
de punitions. Ils sont provisoirement insensibles à toutes autres techniques de vie, et
le redressement sera parfois terriblement long et difficile. Si
les enfants sont mal nourris, mal logés, s'ils ne sont pas habitués au travail, nous
aurons fort à faire pour parvenir à un ordre fonctionnel. L'erreur a été commise hors
de nous aussi. Ce
n'est pas en emboîtant le pas à l'erreur qu'on la corrigera, c'est en uvrant pour
rendre les punitions inutiles. Observez
très loyalement un enfant qu'on punit ; étudiez vos propres réactions aux
punitions que vous avez subies. Il y a toujours un élément d'opposition, de colère, de
vengeance, parfois de haine. Il y a toujours humiliation, même si cette humiliation est
masquée sous un air de bravade, de fierté ou de rodomontade. Si
la punition est toujours une erreur, chaque fois que vous y avez recours, vous commettez
une fausse manuvre, même si en apparence tout semble entrer dans l'ordre, même si
vous n'en voyez pas tout de suite les conséquences. C'est
dans la mesure où nous intéressons les enfants au travail dans la classe, où nous
satisfaisons leur besoin de création, d'enrichissement et de vie, que la classe
s'harmonisera et que les sanctions seront inutiles. Nous
ne disons pas que ne pas punir soit une chose simple. L'ordre et la discipline sont l'aboutissement de toutes les conditions de
travail dans la classe, et ces conditions sont bien souvent encore tellement
péjoratives ! Mais
cela ne nous empêche pas de raisonner juste et de mesurer l'importance de nos erreurs,
même si nous ne pouvons pas toujours y parer. Test : Vous
avez totalement supprimé les punitions Vous
essayez de supprimer les punitions, Vous
croyez les punitions nécessaires, donc acceptables.
[rouge] INVARIANT n° 24 : La
vie nouvelle de l'Ecole suppose la coopération scolaire, c'est-à-dire la gestion par les
usagers, l'éducateur compris, de la vie et du travail scolaire. La
coopération scolaire est la conséquence des invariants ci-dessus. Si vous n'avez pas
encore conquis suffisamment de feux verts, vous hésiterez à vous en remettre totalement
à la coopération. Vous penserez que les enfants ne sont pas suffisamment expérimentés,
pas assez conscients de leurs devoirs, pas
assez « hommes » et qu'il vous faut bien manifester votre supériorité et
votre autorité. Si vous avez vraiment dépouillé le vieux maître, vous donnerez à la
coopérative scolaire le maximum de responsabilité dans l'organisation de votre classe. Mais : 1°.
Cette responsabilité ne doit pas être exclusivement économique et technique. Il ne
s'agit pas de recueillir des fonds et de les gérer, ni même de produire au bénéfice de
la coopérative. Tout cela n'est pas négligeable et constitue en somme un premier pas.
Mais ce n'est malgré tout là qu'un aspect mineur d'une coopération qu'il faut étendre
à toute la vie de la classe, surtout à l'aspect social et moral de l'organisation. Nous
en avons indiqué les techniques, notamment le journal mural et l'Assemblée générale
hebdomadaire de la Coopérative. 2°.
L'éducateur ne doit pas se contenter de voir fonctionner la Coopérative pour en
sanctionner, de l'extérieur, les faiblesses et les erreurs. Il doit s'intégrer à la
coopérative dont il tâchera d'être, avec beaucoup de compréhension et de dynamisme le
meilleur élément. Test : Vous
pratiquez cette coopération totale.
[vert] Vous
avez une coopérative pour ainsi dire surajoutée Vous
voulez conserver tout le pouvoir.
[rouge] INVARIANT n° 25 : La surcharge des classes est toujours une erreur pédagogique. S'il
s'agit seulement d'instruire les enfants, le grand nombre peut être parfois acceptable.
Il peut y avoir des techniques de travail qui permettent les acquisitions mécaniques à
une masse de 50 enfants presque aussi bien qu'à une équipe de dix. C'est
ce qu'on essaie de démontrer lorsqu'on parle des vertus possibles des techniques
audiovisuelles. Mais
l'acquisition des connaissances reste malgré tout une fonction mineure de l'Ecole. Ce qui
est par contre important, c'est la formation en l'enfant de l'homme de demain, de l'homme
moral et social, du travailleur conscient de ses droits et de ses devoirs et suffisamment
courageux pour y faire face, de l'enfant et de l'homme intelligent, chercheur, créateur,
écrivain, mathématicien, musicien, artiste. Les
qualités que ces fonctions exigent ne peuvent absolument pas s'acquérir dans un groupe
anonyme. Elles ne s'acquièrent jamais par la seule information, si majestueuse soit-elle.
Elles ne peuvent se développer que si on a la possibilité effective de travailler,
d'agir et de vivre individuellement et socialement. Dans ce domaine aussi c'est en
forgeant qu'on devient forgeron ; c'est en vivant et travaillant dans une équipe ou dans
un groupe qu'on apprend à vivre en groupe. Ces
conditions ne sont plus remplies dès que l'Ecole devient une masse anonyme et elle le
devient automatiquement au-delà de 20-25 élèves par classe. Test : Vous
avez 20-25 élèves par classe, tout vous est possible.
[vert] Vous
avez 30-35 élèves, vous aurez beaucoup de difficultés.
[orange] Au-delà
de ce nombre d'élèves.
[rouge] INVARIANT n° 26 : La conception actuelle des grands ensembles scolaires aboutit à l'anonymat des maîtres et des élèves ; elle est, de ce fait, toujours une erreur et une entrave. La
grande masse, lorsqu'elle n'est pas organisée au service des personnalités, lorsqu'elle
est simple juxtaposition d'individus qui ne sont unis par aucun lien, disons spirituels ou
psychiques, est toujours destructrice de ces personnalités. C'est ce qu'on a constaté de
tous temps à l'armée qui est toujours abêtissante. es
petites écoles au-dessous de 5 à 6 classes restent encore comme un village sympathique,
où les gens peuvent se connaître et vivre en fonction les uns des autres, où les
maîtres peuvent sympathiser, discuter entre eux, et suivre tous les élèves. Au-dessus
de ce nombre de classes, on tombe dans les grands ensembles, genre caserne, où l'anonymat
est général : les instituteurs ne se connaissent pas toujours entre eux ; il n'y a
en tous cas aucune pensée, aucune préoccupation communes qui les réunissent et les
unissent. Pour les enfants, c'est la caserne, plus ou moins maléfique, mais d'où
l'esprit caserne ne saurait être banni. La
construction d'écoles de 5 à 6 classes, l'éclatement des grands ensembles en unités
pédagogiques de 5 à 6 éléments, apparaissent comme des mesures indispensables à la
modernisation et au succès de l'Ecole. Test : Vous
vous trouvez dans un groupe humain de5 à 6 classes, Des
conditions spéciales vous à permettent un travail acceptable Dans
un grand ensemble-caserne et anonyme.
[rouge] INVARIANT n° 27 : On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'Ecole. Un régime autoritaire à l'Ecole ne saurait être formateur de citoyens démocrates. C'est
une chose si naturelle qu'il semble que le simple bon sens imposerait à tous cet
invariant. Les habitudes autoritaires sont, hélas ! si ancrées dans la vie des
parents et des maîtres que, dans la presque totalité des classes et des familles les
enfants restent essentiellement mineurs et soumis à l'autorité incontestable des
adultes. Le
père est syndiqué, naturellement adhérent ou même militant d'un parti politique
progressiste. Mais quand il revient dans sa famille il est trop souvent le maître qui,
comme au Moyen Age, ne souffre aucune opposition à ses ordres. Le
maître se dit tout aussi évolué socialement, syndica1ement et politiquement, mais dans
sa classe, il ne tolère pas qu'on contredise son autorité. Tout doit marcher à la
règle, si ce n'est au bâton. Et
l'on s'étonne que les enfants qui échappent un jour à cette autorité soient incapables
de se commander eux-mêmes, de réfléchir et d'agir ; qu'ils soient inaptes à
s'organiser et que leur principale préoccupation soit, maintenant et plus tard,
d'échapper à l'autorité ! Au
siècle de la démocratie, alors que tous les pays, les uns après les autres accèdent à
l'indépendance, l'Eco1e du peuple ne saurait être qu'une école démocratique
préparant, par l'exemple et par l'action, la vraie démocratie. Test : Vous
vous efforcez d'organiser la démocratie à lEcole.
[vert] Vous
faites timidement quelques essais qui n'affectent Vous
en êtes encore à l'Ecole autoritaire.
[rouge] INVARIANT n° 28 : On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux-ci devant respecter leurs maîtres est une des premières conditions de la rénovation de l'Ecole. Tel
est l'aboutissement des feux oranges et des feux verts qui jalonnent la route que nous
nous sommes appliqués à définir. C'est
à cette dignité des nouveaux rapports qui s'établiront dans nos classes, que nous
mesurerons les progrès réels que nous aurons réalisés. Le
vieux proverbe recommandé aux adultes est intégralement valable dans nos classes : « Ne
faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fassent. Faites aux autres
ce que vous voudriez qu'ils vous fassent ». Test : Vous
parvenez à réaliser cette règle dans votre classe.
[vert] Vous
vous y efforcez sans y parvenir encore intégralement.
[orange] Si
vous n'avez pas encore humanisé l'Ecole.
[rouge] INVARIANT n° 29 : L'opposition de la réaction pédagogique, élément de la réaction sociale et politique est aussi un invariant avec lequel nous aurons, hélas ! à compter sans que nous puissions nous-mêmes l'éviter ou le corriger. Telle
est la nature humaine, qu'elle s'installe égoïstement dans ce qui est et se défend,
jusqu'à l'injustice et la violence, contre quiconque prétend au nom du progrès,
troubler la quiétude des gens en place. Essayez
dans une gare, la nuit, d'entrer dans un compartiment où les voyageurs se sont installés
au mieux, occupant même les places qui ne leur sont pas destinées. C'est un concert
unanime de grognements, de protestations, d'invectives et parfois de coups. Parce
que vous aurez pris conscience de la réalité de ces trente invariants, vous voudrez
conformer à leurs enseignements l'organisation de votre travail et de votre classe. Mais
votre exemple, surtout s'il est réussi, obligera éducateurs et parents autour de vous,
à reconsidérer progressivement leur action. Et ce sera un de vos mérites d'y parvenir
lentement, à travers opposition, critiques, grognements et invectives. Si
tant des nôtres sont critiqués, dénigrés, calomniés, si on parvient parfois à
mobiliser contre eux la conjonction de l'immobilisme et du conservatisme, c'est que c'est
là aussi un invariant du progrès scolaire et social. Ne
vous en étonnez pas. Sachez d'avance qu'il faut compter avec cet invariant, qu'il est la
rançon de vos conquêtes et que les mêmes difficultés et les mêmes souffrances
jalonnent toujours la voie de ceux qui veulent aller de l'avant, parce qu'ils s'efforcent
d'être de vrais éducateurs, de généreux formateurs d'hommes. Test : Vous
êtes parvenus à dominer ces oppositions.
[vert] Vous
êtes aux prises avec ces oppositions mais Vous
rencontrez trop d'opposition pour avancer.
[rouge] |
INVARIANT n° 30 : Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c'est l'optimiste espoir en la vie. C'est
ainsi : plus l'individu est jeune et neuf, plus il éprouve le besoin d'avancer avec
témérité. Quand l'autorité brutale croit l'avoir stoppé dans son élan, le voilà qui
prend clandestinement des voies de traverse
pour dépasser les obstacles et reprendre ensuite sa marche en avant. C'est
quand, par la maladie, l'embourgeoisement, la vieillesse, ou les erreurs graves
d'éducation, on parvient à annihiler cet espoir en la vie que l'échec peut sembler
comme définitif. Cet
espoir en la vie sera, dans la suite tâtonnante des Invariants ci-dessus, le fil d'Ariane
mystérieux qui nous conduira vers notre but commun : la formation en l'enfant de lhomme
de demain. |
GRAPHIQUE
GÉNÉRAL
Si
vous voulez faire le point de votre situation d'enseignant et voir : -dans
quelle mesure vous avez dominé les obstacles qui s'opposent à votre action. -comment
vous avez su, aux feux rouges, ne pas vous contenter de stopper, mais essayé de chercher,
par des déviations et des traverses, de franchir l'obstacle pour retrouver plus loin la
voie royale ; -comment
vous vous êtes faufilés à l'occasion des clignotants et des feux orange ; -comment
vous avez franchi à une vitesse accélérée les feux verts libérateurs, vous
établirez le graphique suivant qui vous incitera à continuer avec nous la lutte pour une
école moderne toujours plus efficiente, plus libre, et plus humaine. |
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