BIBLIOTHÈQUE DE
L'ÉCOLE MODERNE APPEL AUX PARENTS par C. FREINET Textes rassemblés et présentés par E. FREINET EDITIONS DE L'ÉCOLE
MODERNE c 1969, Coopérative de l'Enseignement
Laïc Cannes |
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TABLE DES CHAPITRES
-
Elargir votre horizon
pédagogique
-
Pour une puissante
organisation unique de parents prolétariens
-
Formez des ligues de
parents prolétariens
-
Premier discours à des parents sur la pédagogie nouvelle
prolétarienne
-
Ne tirez pas sur le
lampiste-éducateur
TROISIÈME PARTIE (Pages
aux parents)
-
D'abord, bien poser les
problèmes d'une éducation simple et naturelle
- L'école traditionnelle a
vécu
-
L'école à la rencontre
de la vie
-
Pour l'organisation et l'activité d'une commission de parents Ecole
Moderne
Les relations de
l'Ecole avec les parents d'élèves qui aujourd'hui paraissent comme une audacieuse
nouveauté se sont inscrites tout naturellement dans les structures de la Pédagogie Freinet.
Dès l'instant que, dans son école de Bar-sur-Loup, Freinet instaurait l'Ecole
Ouverte sur le milieu social, les parents apparaissaient au premier plan d'un
enseignement de plein vent dans lequel, par la force des choses, ils étaient
intégrés : les textes libres, les enquêtes, la coopérative scolaire, les
correspondances interscolaires, les classes-promenades, les sorties hors du village
créaient inévitablement une interpénétration des familles et de l'école. C'est ainsi
que, jour après jour, s'instaurait l'Ecole du Peuple.
Tous les disciples de
Freinet créèrent à leur tour des écoles semblables à celle de Bar-sur-Loup d'autant
plus et d'autant mieux que les adhérents de l'Imprimerie à l'Ecole
étaient, dans la grande majorité, des instituteurs de village, vivant dans des
conditions économiques et humaines identiques. Cependant, les mêmes initiatives
animèrent les écoles de ville créant ainsi un lien permanent entre l'école et la
classe ouvrière et tout le monde du travail. Ces réalités placèrent, à l'avant-garde,
les promoteurs de la Pédagogie Freinet qui, tout spécialement devaient prendre leurs
responsabilités dans les années qui précédèrent la montée du fascisme international
(1933-1936).
C'est pendant cette
période qu'allaient s'aggravant les contradictions économiques du capitalisme sur le
plan international et national : le chômage, les diminutions de salaire, la misère
au foyer donnaient à l'école du peuple les visages de la privation, de l'aliénation
permanente. Inévitablement, les revendications de l'Ecole devaient s'intégrer aux
revendications de la classe travailleuse pour arracher dans la même protestation et dans
les mêmes luttes, les améliorations élémentaires qu'exigent le droit de vivre et la
dignité.
C'est dans ces
circonstances historiques que Freinet écrivit ses appels aux parents - que nous
reproduisons ici et qui aboutirent un moment à la création de la LIGUE DES PARENTS. En
même temps il tentait de constituer LA FÉDÉRATION DE L'ENFANCE OUVRIÈRE ET
PAYSANNE. Cette Fédération « en dehors de tout sectarisme de chapelle et de
parti (devait) grouper toutes les associations d'enfants, toutes les ligues scolaires, et
post-scolaires intéressant l'adolescence et la jeunesse. »
Ces courageuses et
nécessaires initiatives neurent pas le succès escompté : les organismes
syndicaux et politiques, s'en tenant à des mots d'ordre strictement revendicatifs des
masses ouvrières, ne prirent pas en considération les problèmes cuisants de l'Ecole du
Peuple, éternelle sacrifiée d'un militantisme à courte vue.
L'Histoire marche
lentement dans les périodes d'incertitude sociale et politique si bien que nous
retrouvons aujourd'hui le même marasme et la même confusion aggravés par l'acuité des
protestations revendicatives de la jeunesse.
Les écrits de Freinet
que nous réunissons ici, retrouvent de ce fait, une étonnante actualité.
Cependant, lisant ces
appels pressants en faveur de la création immédiate des associations de parents, maints
lecteurs seront tentés de leur attribuer seulement une importance historique, aujourd'hui
à reléguer dans un passé révolu. Il semblerait, en effet, selon les apparences, que la
condition prolétarienne soit en partie liquidée, du moins, dans ses aspects paupéristes
les plus marquants. C'est même avec quelque raison que l'on peut parler, parfois, de
« l'embourgeoisement de la classe ouvrière ». Mais c'est là un aspect plus
spécialement politique qui ne change en rien les difficultés d'installation et de
fonctionnement de l'Ecole du Peuple.
Ce n'est pas parce que
des municipalités ont créé des écoles-palais toujours inadaptées au travail scolaire,
malgré leur confort apparent, que la situation de l'école a marqué des progrès. Les
enfants y sont plus que jamais prisonniers, compressés, traqués par une discipline de
plus en plus coercitive, par une pédagogie scolastique par nécessité. L'apparition de
ce qu'il est convenu d'appeler « les maladies scolaires » (dyslexie,
scolastisme, phobies scolaires, domestication, etc ... ) montre que la situation de
l'école s'est, au contraire, considérablement aggravée au point de vue de l'équilibre
moral et mental de l'enfant. Et, par les mêmes processus d'aliénation, la situation des
enseignants s'est compliquée d'autant.
Les solutions à ces
maux devenus endémiques ce sont encore et toujours celles de la rénovation de
l'enseignement par les techniques libératrices que Freinet a inlassablement proposées au
long de sa vocation militante. C'est donc dans une exigence de priorité, à une heure où va
s'affirmant de façon dramatique l'impuissance des parents face à une école qui prépare
à jet continu des inadaptés sociaux et scolaires, que nous redonnons ces écrits de
Freinet tout spécialement publiés pour les parents.
Les plus dynamiques
d'entre nos militants y puiseront enseignement et élan pour une action qui, déjà
mûrie, peut apporter des solutions immédiates au problème toujours pendant de l'Ecole Ouverte.
C'est en 1951 que
Freinet écrivit ses Pages aux Parents que
nous avons réunies dans la seconde partie de la brochure. Vous y trouverez les raisons
multiples susceptibles de convaincre les parents d'élèves de la nécessité de la
rénovation et de la démocratisation de l'enseignement, qui exigent un élargissement
indispensable de l'Ecole vers la vie sociale, afin d'accorder au rythme de la vie des
travailleurs, les processus éducatifs. Ainsi sera réalisé un front de défense de
l'Ecole, de revendications permanentes dont les éducateurs seront les animateurs les
mieux informés et les plus efficaces.
Dans chaque Educateur, une page
aux parents était incluse. Les unes après les autres, elles alimentaient une action
militante de base qui, dans l'Ecole et hors de l'Ecole s'efforçait de donner à la
fonction éducative une place lentement gagnée dans le complexe social et culturel :
la libération de l'Ecole et la libération des travailleurs vont de pair car elles sont
deux aspects d'un même problème.
Nous reprenons
aujourd'hui les écrits de Freinet qui exigent les mêmes solutions à apporter aux mêmes
revendications et aux mêmes droits civiques dont mai 68 a souligné l'urgence et
l'inéluctable processus. Seule l'Education dans la vie
et par la vie préparera en l'enfant l'homme de demain fort de ses mains, de son
esprit, de sa foi dans un monde nouveau qui reste son but et son espérance.
E. F.
1933-1939
Il est urgent de
redonner à nos préoccupations pédagogiques leur vraie place sociale place d'honneur
certes, dans un régime qui servirait l'enfant et le peuple, place de combat dans un
régime d'exploitation, intéressant l'enfant, les parents, les éducateurs à une tâche
dont ils doivent sentir toute la portée émancipatrice pour être mieux préparés à
mener cette lutte urgente sur tous les terrains : social, syndical, politique.
Habituons donc les
parents à donner à la fonction scolaire en régime capitaliste la place exacte qui lui
revient.
C. FREINET
L'Educateur Prolétarien
Juillet 1933.
ELARGIR NOTRE HORIZON
PEDAGOGIQUE
Nous avons maintes fois
indiqué quel sens élargi nous donnions à la notion d'éducateur. Nous nous sommes
appliqués à montrer comment la pédagogie populaire est conditionnée d'une façon
primordiale par l'organisation sociale, économique et politique. Les événements
actuels, l'aggravation accélérée des conditions de vie des enfants ouvriers et paysans,
l'aggravation cynique des conditions de travail des instituteurs : classes
surchargées, crédits réduits, traitements rognés, tout cela donne un sens nouveau aux
luttes pour la rénovation pédagogique de l'école populaire.
Nous avons prouvé que,
de ce fait, notre action pédagogique, pour être complète et efficace, ne pouvait se
maintenir comme par le passé sur le strict domaine scolaire. Conscients des nécessités
historiques qui s'imposent aux lutteurs prolétariens, nous devons examiner sans
apriorisme les déterminants directs ou indirects de notre effort pédagogique, de nos
succès, de nos échecs, et lutter dans la mesure du possible pour influer socialement sur
ces conditions déterminantes. Cette action pour ainsi dire extra-scolaire peut et doit se
faire sur le plan syndical et politique. Mais il y a une action que nous avons trop
négligée jusqu'à ce jour, que les associations elles-mêmes auxquelles nous nous
rattachons - organiquement ou idéologiquement - ont négligé aussi : l'action
auprès des parents.
Il y a quelques notions
essentielles qu'il serait urgent de propager et de préciser parmi les parents
prolétariens.
On sait comment les
éducateurs bourgeois ont prétendu pendant longtemps soustraire l'école populaire aux
luttes auxquelles participent inévitablement les parents. L'école, disent-ils, doit
rester l'asile de paix, de concorde et de collaboration, l'îlot de justice qui sera, pour
l'enfant familialement et socialement brimé, un refuge salutaire.
Ceci, c'est la
théorie.
La lutte des classes ne
se manifeste pas seulement à l'école par les dogmes que la bourgeoisie nous contraint
d'enseigner, par les contre-vérités qu'elle nous enjoint d'opposer aux vérités que
nous devinons ou que nous connaissons. Elle est, matériellement. Elle naît de la misère
des parents, de la fatigue de la mère au cours de l'enfantement, de son épuisement au
cours de l'allaitement, de la vie dans les taudis, de la privation d'air et de soleil, de
la mauvaise alimentation même lorsqu'elle est apparemment abondante et suffisante - du
travail prématuré imposé à l'enfant et qui gêne brutalement son processus évolutif.
C'est de ces conditions de vie, de travail et de lutte que naît une partie non
négligeable des graves obstacles que l'éducation nouvelle prolétarienne rencontre sur
sa route.
Ajoutez-y les pratiques
autoritaires et oppressives dans la famille et à l'école, pratiques filles d'un régime
d'essence autoritaire et oppressive, et vous aurez les éléments déterminants de cette
éducation de classe que nous nous appliquons à dénoncer.
Que nous essayions de
faire acquérir aux paysans et aux ouvriers cette notion indéniable d'école de classe,
et nous les aiderons ainsi à résister victorieusement aux manuvres hypocrites d'un
régime qui feint de s'intéresser à l'éducation du peuple.
On rapprochera aussi,
du même coup, parents et éducateurs qui seront amenés à lutter de concert sur les
véritables terrains propices : de nos jours, si un enfant ne progresse pas, s'il ne
réussit pas aux examens, l'instituteur seul en porte la responsabilité et l'on sait
toutes les hostilités sourdes ou violentes qui naissent de ces conflits. Nous apprendrons
aux parents à considérer avec plus d'équité les possibilités éducatives des
instituteurs, à admettre l'importance décisive des conditions de classe que nous avons
dénoncées. Conscients les uns et les autres des maux qui entravent l'éducation des
enfants, parents et éducateurs, participant à une sorte de front unique, sauront s'unir,
se comprendre et collaborer effectivement pour un véritable renouveau pédagogique.
Cette constatation est,
à notre avis, primordiale pour abaisser les obstacles nés du verbalisme scolastique,
pour rendre possible et permanente l'harmonie des efforts éducatifs. Il ne faudrait pas
pourtant en exagérer le pessimisme et en conclure que, dans les conditions aggravées de
la lutte des classes, l'école ne peut pas faire mieux que de tromper et d'asservir les
jeunes générations. Même dans les conditions actuelles, l'union des parents ouvriers et
paysans et des maîtres prolétariens pourrait beaucoup pour une rénovation pédagogique
socialement précieuse.
Cette rénovation est
urgente et nécessaire, car l'instruction telle qu'elle se donne encore dans de si
nombreuses écoles est peut-être plus dangereuse qu'utile pour l'avenir du peuple. Elle
est un outil que le capitalisme a domestiqué pour l'exploitation renforcée des
travailleurs.
Il s'est bien
définitivement évanoui le rêve presque enfantin des grands penseurs qui, il y a un
demi-siècle, pensaient avec Victor Hugo que : « Tout enfant qu'on enseigne est
un homme qu'on gagne ».
Nous pourrions presque,
hélas ! aujourd'hui retourner l'affirmation et reconnaître que tout enfant qui,
grâce à l'instruction primaire est pris idéologiquement et matériellement dans
l'engrenage capitaliste est un homme qu'on perd.
Il faut faire devant
les parents ouvriers ce procès de l'éducation traditionnelle: montrer l'inutilité,
sinon la nocivité au point de vue humain de l'acquisition et de la formation
capitalistes; rappeler la valeur supérieure de diverses personnalités illettrées dans
les villages d'autrefois, distinguer l'instruction, l'acquisition, de la formation, de
l'élévation, de l'harmonisation des individus au sein d'une société logiquement
organisée ; dénoncer surtout l'asservissement de l'esprit qui naît inévitablement
des pratiques pédagogiques actuelles. Plus que jamais la vie active et puissante
nécessite de la décision, de la volonté, de l'audace, un esprit curieux et clair. C'est
cet élan du jeune vers la vie, ce débordement d'amour, d'activité, de dévouement,
d'héroïsme qu'il faut à tout prix sauvegarder et renforcer en contrebattant les forces
statiques et réactionnaires qui guident et orientent une éducation ennemie de la vie, du
mouvement en avant, et de la lutte.
Nous montrerons
comment, par les techniques que nous recommandons, et dans le cadre même du régime, nous
donnons un sens nouveau à l'école et à l'éducation, comment nous préparons
pratiquement les enfants à l'effort autonome et à la lutte, comment, en servant
généreusement la destinée humaine, nous prétendons uvrer pour l'action
révolutionnaire qui en est le moyen, restant ainsi, tout à la fois dans la plus pure des
traditions pédagogiques et dans la réalité quotidienne que nous voulons influencer.
Il faut enfin
pénétrer le peuple de cette vérité que la fonction d'éducation n'est pas
foncièrement ni exclusivement scolaire. L'école n'est qu'un rouage mineur en régime
capitaliste - dans le processus social et politique de formation humaine.
L'instituteur n'est pas
un démiurge dans sa classe : il ne peut qu'aider la vie à s'épanouir et à
s'affirmer. Il faut, en matérialistes, et sans négliger l'influence personnelle de
l'éducateur, comprendre que celle-ci est déterminée d'abord
par la complexion physique et psychique des enfants, dominée elle-même par les
conditions de travail et de vie nées du capitalisme.
Sont déterminantes
aussi les conditions dans lesquelles est contraint de travailler l'éducateur. Nous devons
affirmer sans cesse notre impuissance à faire une besogne acceptable dans des locaux
insalubres, mal aérés, exigus, avec un matériel rudimentaire et des classes
scandaleusement surchargées.
Les instituteurs ne
sont que des ouvriers, et, comme nos camarades, nous sommes incapables de réaliser des
constructions solides si on ne nous livre qu'une matière première gravement déficiente,
si on ne nous permet pas, ni matériellement ni pédagogiquement de brasser librement nos
matériaux, si on arrête enfin notre essai de construction avant même que nous en ayons
assuré les fondations. Nous sommes comme le paysan à qui on ordonnerait de faire pousser
graines et fruits dans un champ rocailleux, sec et sombre, sans engrais, et avec des
semences non adaptées ni au terrain ni au climat. L'échec presque total est inévitable.
Dans quelle mesure
aussi l'éducation péri-scolaire aide-t-elle ou contrarie-t-elle l'action de
l'école ? Il faut, là, et de toute nécessité, considérer l'influence de la
famille en régime capitaliste, l'influence de toutes les forces obscurantistes
conjuguées pour le maintien d'un ordre social inique : le cinéma, la radio, la
presse - avec ses journaux pour enfants et ses bourreurs de crânes pour adultes - ses
livres à bas prix et ses revues malsaines, l'église et toutes ces oeuvres soi-disant
philanthropiques dont elle est le bénéficiaire.
Combien réduite est
l'action de l'école dans ce complexe processus social au service de l'exploitation
humaine ! Qu'on s'étonne alors de l'échec lamentable de l'éducation populaire en
régime capitaliste.
Seraient-ce là des
questions trop ardues, inaccessibles aux parents ouvriers et paysans ?
On l'a cru longtemps et
cette pensée est née de notre présomptueuse déformation professionnelle. Ce n'est pas
sans dommage que nous avons subi jusqu'à vingt ans, renforcée à l'école normale, cette
même influence réactionnaire que nous dénonçons aujourd'hui. L'habitude ensuite de la
routinière besogne scolastique nous a souvent, hélas ! marqués irrémédiablement
et nous devenons inaptes à comprendre les vérités élémentaires, éblouissantes
d'évidence.
Les ouvriers et parents
incultes, eux, n'ont subi - et pas tous - que quelques années de classe. Instinctivement,
et parfois, consciemment, ils accusent, l'école de ne les avoir point préparés à la
vie de les avoir inutilement bourrés d'un savoir verbal sans amorcer la besogne de
formation dont ils sentent la nécessité et à laquelle ils ont souvent eux-mêmes
pourvu. Et ils comprennent d'emblée et notre critique, de l'éducation traditionnelle, et
l'intérêt et la portée des techniques nouvelles que nous recommandons.
Est-ce outrecuidance de
la part d'éducateurs qui se croient seuls capables et autorisés pour régler
magistralement la formation nouvelle ; est-ce hésitation d'un mouvement né dans la
bourgeoisie et dont les initiateurs pressentent tous les dangers sociaux qu'il y a à
aller franchement et totalement au peuple et à pousser à leur limite normale les
enseignements logiques de leurs efforts ? Toujours est-il que, jusqu'à ce jour, on a
totalement négligé cette besogne de préparation des parents prolétariens dans le sens
de l'éducation nouvelle.
Habituons donc les
parents prolétariens à donner à la fonction scolaire en régime capitaliste la place
exacte qui lui revient: ils comprendront mieux alors comment, dans quel sens, et avec
quelle ampleur devrait se développer l'action de tous les partisans de la libération
pédagogique au service de la libération prolétarienne.
D'abord, lutter contre
un régime qui contrarie, dans toutes ses manifestations, la haute conception que se font
de l'éducation tous ceux qui ont conscience des destinées humaines que nous devons
servir; travailler activement à la disparition du mensonge social et de l'exploitation
criminelle ; uvrer pour l'avènement d'un régime dont la raison d'être soit
cette harmonie individuelle et sociale qui sera le fondement inébranlable de nos
efforts ; dénoncer le fascisme qui rend chaque jour plus difficile la saine action
pédagogique en aggravant les conditions de travail des élèves, de leurs parents, de
leurs éducateurs ; mettre à nu le mensonge d'une politique qui, verbalement,
prétend parfois servir l'éducation, et qui, pratiquement, ne fait que la
contrecarrer ; soustraire le plus possible les enfants au cléricalisme (Aujourd'hui
à la télévision), aux journaux bourgeois, au cinéma mercantile, aux organisations
réactionnaires scoutistes ou sportives ; élever les enfants au sein de leur classe
dont ils comprendront et les luttes et la destinée, recommander les journaux
prolétariens, les organisations prolétariennes d'enfants, soutenir les associations qui
uvrent pour le perfectionnement éducatif du cinéma.
Dans ce cadre d'action
et de réalisations, fertilisé au maximum par la puissante action ouvrière, il serait
possible d'instaurer à l'école une éducation nouvelle libératrice qui ferait des
enfants du peuple non pas des serfs et des valets, mais des hommes, des lutteurs, des
constructeurs, capables de marcher hardiment sur les routes de l'avenir.
A nous, éducateurs
prolétariens, de poursuivre cette oeuvre d'éclaircissement pour la réalisation
pédagogique de nos rêves d'éducation nouvelle.
POUR UNE PUISSANTE ORGANISATION
UNIQUE DE PARENTS
PROLETARIENS
Les yeux s'ouvrent ;
l'école neutre laisse tomber son masque d'hypocrisie pour se mettre toujours davantage au
service du régime. Le barrage culturel qu'elle constituait aux aspirations indécises des
travailleurs perd peu à peu de son efficacité et s'annonce, brutale, la nécessité de
classe de mettre cette école au service du régime, contre les travailleurs eux-mêmes.
Dans la période
ascendante du capitalisme, quand le régime s'appuyait sur les forces populaires les plus
évoluées, dont il n'était pas encore menacé, l'école a été favorisée socialement;
des constructions nouvelles se sont élevées dans les villes et à la campagne, les
programmes ont été hardiment progressistes et anticléricaux. A la fin de la guerre
encore, la Ligue Internationale pour l'Education Nouvelle a cru un instant qu'elle allait
réaliser pacifiquement la régénération de l'école populaire en régime capitaliste.
Mais on a vu le
danger ; on a compris à quel point les principes d'éducation nouvelle étaient en
contradiction avec les nécessités autoritaires et oppressives de la société actuelle
et on a mis un brutal holà à cette progression. Les pays fascistes ont résolument mis
au pas l'école domestiquée. La France elle-même s'engage trop vite à notre gré,
certes, sur la même voie et nous avons dit comment l'accentuation de la misère
ouvrière, la diminution catastrophique des crédits pour l'entretien et la construction
de locaux, la surcharge scandaleuse des classes, et l'offensive générale contre les
instituteurs d'avant-garde sont les manifestations certaines de ce pré-fascisme contre
lequel, jusqu'à ce jour, les travailleurs ont, avec quelque succès, protesté.
Mais, en même temps
que cette offensive directe, et pour ainsi dire matérielle, contre l'école populaire, se
poursuit une autre offensive autrement insidieuse et dangereuse, menée non pas par l'Etat
lui-même, mais par toutes les forces réactionnaires, -
Eglise comprise - intéressées au renforcement de l'autorité de la classe
actuellement au pouvoir : on organise de l'extérieur, les enfants, pour les
endoctriner. Patronages, boy-scouts, jeunesses ouvrières catholiques répandent parmi les
enfants du peuple cette idéologie de paix sociale et collaboration des classes dont les
événements ont révélé la fragile tromperie. A l'intérieur de l'école, on tente
d'influencer directement l'éducation par l'organisation d'associations de parents qui
ont, naturellement, un droit de regard et un droit de critique.
Malheureusement, les
associations de parents actuellement constituées sont toutes des associations d'esprit
réactionnaire groupant une infime minorité, qui s'arroge pourtant le droit de parler au
nom de la masse. Les 90% des parents, qui sont des parents prolétariens, ne sont
nullement organisés, ne peuvent faire entendre leur voix et subissent, en définitive,
passivement la loi d'une poignée de réactionnaires.
Il faut absolument que
cesse cet état de fait et que prennent conscience de leurs droits et de leurs devoirs les
masses imposantes de parents prolétariens.
Il faut d'abord que le
peuple s'intéresse davantage à la véritable éducation de ses enfants, qu'on lui
explique et qu'il comprenne la portée et le sens de l'éducation prolétarienne que nous
voulons opposer à l'éducation traditionnelle et que, les comprenant, il s'efforce de
faire triompher nos principes.
Nous avons de nombreux
camarades militant dans les associations syndicales diverses ainsi que dans les partis
politiques prolétariens. Ils sont certainement en mesure d'apporter sur l'effort
pédagogique nouveau toutes précisions utiles. Mais il est nécessaire pour cela que
soient constituées partout, à la ville comme dans les villages, des Ligues de Parents
Prolétariens, qui grouperont les grandes. masses de pères de famille, interviendront
directement pour faire respecter les droits de leurs enfants, engageront la défense des
éducateurs inquiétés à cause de leur dévouement à la cause populaire et prendront
toutes mesures susceptibles d'assurer l'épanouissement de l'éducation libératrice.
Le
constitution de ces Ligues de Parents sera, pensons-nous, facilitée si nous
tâchons de préciser les raisons qui les motivent et le sens dans lequel devra s'exercer
leur action. C'est dans ce but que nous soumettons le projet suivant auquel les Ligues
naissantes pourront certainement se référer pour viriliser leur action.
A. - Revendications
extra-scolaires et péri-scolaires
Nous rappelons notre
point de vue pédagogique plusieurs fois énoncé: la fonction éducative n'est nullement
cantonnée entre les murs de l'école; elle est souverainement conditionnée au contraire,
par la situation sociale, économique, et donc physiologique, des enfants.
Toutes les uvres
qui tendent à redonner aux enfants, le maximum de vitalité dans le calme et l'harmonie,
doivent attirer en tout premier lieu l'attention des parents prolétariens.
I. Les enfants ouvriers
sont toujours à l'étroit dans les taudis ou les ruelles. Il leur faut :
- des terrains de jeux
pour l'été;
- des salles de jeux
pour l'hiver;
- des salles de
réunion et des bibliothèques de lecture.
2. En cette période de
crise plus spécialement, les enfants sont rarement nourris convenablement.
Une revendication
minimum est l'ouverture de cantines gratuites pour les repas de midi.
3. Les enfants ne
peuvent bien travailler que s'ils respirent convenablement.
Il faut absolument
demander la fermeture des locaux scolaires insalubres et l'ouverture de salles de classes
spacieuses et ensoleillées.
4. L'instituteur ne
peut s'occuper utilement des enfants que si ceux-ci ne sont pas trop nombreux.
Il faut exiger le
dédoublement des classes surchargées.
5. L'éducation est
avant tout paix, calme et harmonie.
L'instituteur ne peut
s'y donner totalement que si sa situation matérielle est normalement assurée et s'il a,
d'autre part, une grande liberté dans sa classe.
Les parents
prolétariens devront soutenir sans réserve les éducateurs populaires dans leur lutte
revendicative.
B. - Revendications
scolaires
Les associations de
parents ont incontestablement un droit de regard sur l'éducation donnée aux enfants.
Pour qu'elles puissent
agir de façon utile, il est indispensable que les parents prolétariens aient quelques
notions sur les différences qui opposent aujourd'hui l'éducation prolétarienne à
l'éducation bourgeoise traditionnelle.
Sans aller bien avant
dans l'étude de cette différenciation, nous voudrions en indiquer cependant les points
essentiels :
1°. La discipline.
- Trop de parents, despotes dans leur famille, sont encore persuadés qu'il ne saurait
y avoir d'éducation sans discipline brutalement autoritaire.
C'est justement le
régime, qui ne peut vivre que tant que cette idéologie oppressive est admise par la
grande masse, qui entretient cette croyance absolument dénoncée par les faits.
Faire appel aux forces
créatrices de l'enfant, à ses tendances innées vers l'ordre et l'harmonie, organiser
l'école communautaire, coopérative, qui sera dans une certaine mesure l'embryon de la
société socialiste de demain, c'est préparer des citoyens capables de lutter
victorieusement contre les forces oppressives sous quelque forme qu'elles s'imposent.
En conséquence, les
Parents Prolétariens s'élèvent radicalement contre :
les punitions ;
les châtiments
corporels ;
les pensums et les
retenues ;
l'autorité despotique
du maître ;
Demandent la
transformation de l'école en Communautés de travail à forme coopérative, avec la
collaboration des parents eux-mêmes et dans lesquelles on fera au maximum appel aux
forces créatrices des individus.
2°. L'acquisition.
- L'acquisition désordonnée et accélérée des connaissances est une des formes de
l'abrutissement capitaliste. L'enfant doit apprendre toujours plus de choses, surcharger
sa mémoire, user inutilement son appétit et sa curiosité - tout cela au détriment de
la formation profonde des individus.
Il fut un temps, du
moins, où cette instruction, où les diplômes, donnaient à ceux qui pouvaient les
conquérir quelques prérogatives sociales. Les étudiants sont aujourd'hui sans
place ; les chômeurs intellectuels meurent de faim bien mieux que les ignorants.
Preuve certaine que
l'éducation a été faussée.
Les Parents
prolétariens s'élèvent contre le gavage intellectuel des enfants ;
Protestent contre les
devoirs à la maison, contre les leçons à apprendre par coeur, contre le bourrage pour
les examens ;
Demandent des pratiques
éducatives mieux conformes aux besoins des individus et susceptibles de renforcer leurs
possibilités vitales.
3°. L'éducation
dans la vie et par la vie :
L'éducation
traditionnelle a peur de la vie, elle se cantonne dans des livres neutralisés et
partiaux ; elle tend à faire des enfants d'éternels écoliers et non de futurs
travailleurs susceptibles de considérer avec intelligence et décision les tâches qui
leur incombent.
Les parents
prolétariens :
- s'élèvent contre
l'enseignement livresque, hors de la vie ;
- demandent un
enseignement mêlé à l'effort des hommes, au travail, ayant sa base même dans le
travail prolétarien.
4°. Contre le
dogmatisme et le bourrage de crânes. Pour une éducation d'honnêteté et de vérité.
L'école traditionnelle
n'a pas pour but, comme on l'a longtemps affirmé, d'ouvrir des yeux et de former des
esprits, mais seulement de préparer les dociles serviteurs nécessaires au capitalisme.
Elle impose des
connaissances non comprises, non désirées par les enfants ; elle enseigne des
croyances que l'enfant n'est nullement autorisé ou exercé à discuter : dogme de
l'obéissance, dogme de la Patrie, dogme de la famille, dogme de la défense armée, de la
guerre, etc.
Elle interdit
l'introduction à l'école des notions les plus élémentaires de la vie
prolétarienne ; elle voudrait cacher aux enfants les tares graves de la société
qui dispose aujourd'hui du pouvoir.
Les parents
prolétariens demandent avant tout une éducation d'honnêteté et de vérité :
Ils se refusent à
laisser enseigner à leurs enfants des notions contraires à la réalité des faits ;
ils veulent que l'enfant devienne non pas un perroquet, mais un être libre, possédant un
sens critique aigu, capable de s'orienter lui-même dans la vie, sans attendre des
directives et des mots d'ordre.
Il demandent que, dans
la limite de cette large vérité, les éducateurs soient laissés totalement libres dans
le choix des méthodes susceptibles de permettre aux enfants de devenir au maximum des
hommes.
C. . L'éducation des
enfants hors de l'école
L'éducation qui est
donnée par l'école n'est qu'une portion de la complexe formation humaine que devrait
garantir toute société rationnellement constituée.
L'influence du milieu
ambiant a une immense importance et les parents prolétariens devront s'en préoccuper
tout spécialement :
1°. Lectures :
condamnation des journaux et livres nocifs. Recommandation des revues et journaux qui
répondent mieux à nos buts éducatifs.
2°. Théâtre et
Cinéma : réalisation de scènes et de films pour enfants ; séances
spéciales fréquentes de cinéma et de théâtre pour enfants.
3°. Organisation de
jeunes : fondation dans toutes les localités d'associations de Pionniers
Prolétariens, répondant à l'esprit qui préside à la constitution des Ligues de
parents prolétariens.
Nous n'avons tracé ici
qu'un schéma de ce qui pourrait être la charte des associations de parents
prolétariens.
Nous nous adressons
maintenant aux organisations syndicales, aux partis politiques prolétariens, aux
organisations qui se réclament du peuple et, actuellement, de l'antifascisme. Nous leur
demandons de constituer dès maintenant dans toutes les localités, dans tous les
quartiers, des associations de parents prolétariens, pour la défense des buts que nous
venons d'énumérer.
Non pas vaste union
sacrée autour de l'école, mais profonde, mais encourageante unité d'action pour une des
oeuvres les plus négligées jusqu'à ce jour, et cependant les plus fécondes.
Sur ce programme
d'honnêteté, de liberté, de création et de libération, tous les parents prolétariens
peuvent et doivent s'entendre. Il s'agit de former des personnalités, de former des
hommes qui, demain, dirigeront les destinées sociales. Pour leur formation : Front
Commun.
Ces diverses
associations de parents prolétariens seraient naturellement fédérées
départementalement et nationalement avec l'appui et le contrôle des associations
prolétariennes : C.G.T. et C.G.T.U., Parti socialiste, Parti communiste,
organisations antifascistes et tous groupements qui accepteraient leur charte
constitutive.
Nous ne voudrions à
aucun prix qu'on voie dans cette initiative un but particulariste de partisan. Nous
croyons utile de rappeler que, bien avant le puissant mouvement actuel de front unique,
nous avons réalisé, depuis près de dix ans, dans notre Coopérative de l'Enseignement
Laïc, la collaboration fraternelle de plusieurs milliers d'éducateurs prolétariens de
toutes tendances politiques, montrant bien que, lorsqu'il s'agit de libération de
l'enfance, l'accord de toutes les bonnes volontés est toujours possible et facile.
Nous avons déploré
notamment la dualité qui divise le mouvement d'enfants prolétariens et nous avons aidé
de notre mieux les organisations naissantes, que ce soient des Pionniers communistes ou
ces Faucons rouges si riches d'avenir.
Il y a là une
puissante coordination des forces à mener dès aujourd'hui. Nous y convions toutes les
organisations progressistes de ce pays et notamment tous nos camarades instituteurs qui
ont conscience de la nécessité urgente de lutter contre les forces réactionnaires pour
préparer le triomphe de notre pédagogie nouvelle prolétarienne.
PARENTS PROLETARIENS
Notre appel en faveur
d'une organisation unique de Parents Prolétariens a rencontré, certes, des oppositions
systématiques et des scepticismes obstinés, mais nous a valu aussi l'adhésion et
l'appui enthousiaste de militants de divers milieux sociaux et politiques.
Nous allons tâcher de
répondre ici aux diverses objections soulevées et de donner des indications pratiques
qui permettront le lancement de notre mouvement.
Un camarade de Paris se
plaint de l'éducation militarisée à laquelle est soumis son jeune fils. Il voit la
nécessité d'une action prolétarienne pour transformer les méthodes scolastiques, mais
il est désabusé sur le sort de toutes associations et craint que la création d'une
Ligue de Parents Prolétariens ne fasse qu'ajouter à l'émiettement de nos efforts
politiques et sociaux.
En théorie, oui, les
syndicats pourraient suffire à toutes les exigences de la lutte prolétarienne. Dans la
pratique, pour la question qui nous concerne, nous nous trouvons, hélas ! devant le
néant : partis comme syndicats, ont totalement délaissé le vaste problème
scolaire et n'ont rien fait sur ce terrain pour préparer la défense prolétarienne. Le
résultat en est que les réactionnaires, à la faveur du bourrage de crânes savamment
dispensé par les journaux et les curés, parviennent presque toujours à entraîner dans
la lutte antiprolétarienne, pour la conquête de leurs buts réactionnaires, une
majorité de parents d'élèves prolétariens.
Le mouvement, dont
l'action menée contre nous à Saint-Paul (Voir Naissance d'une Pédagogie Populaire,
E. Freinet, Ed. Maspéro.) fut l'initiatrice, fait rapidement tâche d'huile. Contre
tous les instituteurs ou professeurs visés par la réaction, on ne se contente plus de la
calomnie de presse ou de l'action gouvernementale et administrative. Le Maire lui-même,
organise la grève scolaire, refuse les clefs de l'école à l'instituteur indésirable,
fait manifester les parents : affaire Boyau, affaire Le Corre, affaire toute récente
de notre camarade Labrunie... Demain, si nous n'y prenons garde, l'action se
généralisera dans toutes les communes et elles sont nombreuses - qui ont à leur tête
des élus réactionnaires ou plus ou moins sensibles à la pression patronale et
cléricale.
Les syndicats et les
partis, dira-t-on, peuvent fort bien organiser la défense sans qu'il soit nécessaire
pour cela de créer une organisation nouvelle.
Nous répondrons
d'abord, que de nombreuses communes où l'action contre l'école est particulièrement à
redouter, ne possèdent souvent aucun syndicat, pas même un syndicat paysan ; que
là même où il y a des syndicats ou une union de syndicats, ceux-ci ne se mobilisent
qu'au moment du danger aigu... lorsqu'il est trop tard ! Il y a tant à faire
d'ailleurs sur le plan de la défense ouvrière qu'on pare toujours au plus pressé, et
que, pratiquement, nul ne pense à l'action efficace qui pourrait être menée avec fruit
autour de l'école.
Il en est de même pour
les partis. Quand la grève est organisée contre un instituteur, il est bien trop tard
pour intervenir : les positions sont prises. C'est par une lente mais patiente action
prolétarienne qu'il faut serrer autour de l'école populaire les meilleurs éléments du
prolétariat, de façon qu'au moment décisif les parents d'élèves voient clairement
leur devoir et sachent l'accomplir.
Les partis enfin sont
forcément, dans une certaine mesure, sectaires ; et nous voudrions une vaste
association prolétarienne dans laquelle les meilleurs militants ouvriers et paysans
pourraient uvrer côte à côte pour une action qui dépasse d'ailleurs les partis
et les syndicats pour toucher au plus profond de la formation révolutionnaire des
enfants.
« Dans ma
commune, nous écrit un autre correspondant, il existe déjà un patronage laïque, et
nous essayons de faire une Fédération de Patronages du département. Y a-t-il avantage
à créer une Ligue de Parents Prolétariens, étant donné que nos patronages laïques ne
pouvant vivre sans le soutien des parents, dans mon esprit, association de parents égale
patronage ? »
Nous n'avons pas voulu
dire que rien n'ait été fait en France pour ce qui concerne les oeuvres périscolaires
de défense de l'enfance ouvrière, et il est bien possible de prévoir, sous certaines
conditions, l'assimilation de ces patronages à nos Ligues de Parents.
Mais il y a ici deux
observations essentielles que nous devons faire :
1°. Jusqu'à ce jour,
l'action de masse n'avait jamais été préconisée pour influencer les destinées
scolaires. On créait bien des patronages, mais ceux-ci n'étaient pour ainsi dire que des
associations extrascolaires d'enfants, aidées par les adultes, certes, mais extérieures
à l'école. Les parents ne se sont jamais organisés dans ces patronages pour la défense
directe de l'école.
J'entends bien que, en
cas de nécessité, les parents peuvent, par l'intermédiaire de ces patronages, être
appelés à manifester comme ils l'ont fait dans le Nord pour soutenir notre ami Roger.
Mais là encore il ne s'agit que de mesures extrêmes, qui arrivent, elles aussi, toujours
trop tard.
On peut dire, il est
vrai, à la décharge des patronages que, dans la majorité des cas, les parents
réactionnaires gardaient la même réserve vis-à-vis de l'école.
Les choses ont changé
depuis deux ans, depuis Saint-Paul : l'action de masse est commencée, et ce n'est
pas nous, hélas ! qui en avons eu l'initiative. Il ne suffit plus d'organiser des
patronages qui recueillent et endoctrinent les enfants hors de l'école.
Il s'agit maintenant de
partir, s'il le faut, à l'assaut de l'école fermée par les autorités réactionnaires,
d'y conduire héroïquement les enfants entre des haies de gendarmes et de manifestants,
de faire un rempart défensif aux instituteurs menacés, de comprendre et de soutenir les
efforts libérateurs sur le terrain pédagogique.
Là est le véritable
but des Ligues de Parents Prolétariens.
Certes, comme le
suggère un autre correspondant, ces Ligues pourront, et devront, organiser des
patronages, soutenir les groupes de Pionniers et de Faucons Rouges, participer aux fêtes
scolaires, organiser des camps de vacances, envoyer dans des préventoriums des enfants
nécessiteux.
Mais, et nous attirons
tout particulièrement l'attention sur ce point : ces soucis, qui constituent
l'essentiel des patronages actuels, ne doivent être que l'accessoire pour les Ligues de
Parents, l'essentiel étant l'action de masse de tous les parents prolétaires pour la
défense de l'école et de ses maîtres menacés.
A condition donc que
les Patronages Laïques acceptent ce changement de front - et ils ne peuvent l'accepter
que s'ils se sont, au préalable, débarrassés de toute direction petite-bourgeoise - ils
pourront remplacer nos Ligues de Parents. Dans le cas contraire, constituer des Ligues de
Parents qui feront uvre originale pour la défense active ci-dessus indiquée, et
qui pourront d'ailleurs, par la suite, s'entendre avec les Patronages pour l'organisation
des oeuvres post-scolaires recommandables ;
On le voit, il ne
s'agit pas de double emploi. Il faut créer des organismes qui n'existent nulle part, pour
une action urgente de défense que nul n'a encore prévue.
2°. Nos Ligues
perdraient également tout leur sens si on passait sous silence les buts de défense
pédagogique que nous avons préconisés.
C'était pourtant ce
qui avait tenté des camarades qui, désirant passer notre appel dans un journal local
d'un parti prolétarien, n'en ont retenu que ce qui touche exclusivement à la défense
matérielle de l'école et de ses maîtres.
C'est à notre avis une
lourde faute, car des dirigeants réactionnaires pourront démagogiquement en faire
autant, ce qui ne les empêchera pas de soulever les parents égarés contre « les
instituteurs sans patrie, qui prêchent la coopération et l'internationalisme, qui
pratiquent le self-gouvernement et l'immoralité, qui enseignent aux enfants les pires
théories, destructives de la famille... et de la religion ! »
Nous l'avons montré
dans notre appel: faire comprendre aux parents la portée libératrice de notre éducation
nouvelle prolétarienne, c'est les préparer à être eux-mêmes de bons ouvriers de
l'idée nouvelle révolutionnaire, imprégnés d'une idéologie qui virilisera leur
activité.
La participation des
enfants à l'action de masse, l'organisation de Pionniers et de Faucons Rouges, la vie
dans les camps de vacances, ne peuvent s'admettre ni prospérer sans une conception
nouvelle de la pédagogie. Il appartient aux instituteurs d'avant-garde de préconiser et
d'appliquer dans leurs classes ces nouveaux principes de vie et de travail, et de faire
comprendre aux parents ensuite la portée humaine de ces innovations.
Si cette profonde et
sérieuse préparation a été convenablement effectuée, on ne mobilisera plus parents et
enfants contre un instituteur d'avant-garde pratiquant dans sa classe les techniques
nouvelles.
On ne bâtit pas sur de
vieux principes la société nouvelle. Il est naturel, il est indispensable que l'école
prolétarienne se mette socialement au pas. Hésiter à le faire serait se contenter de
combattre verbalement la réaction en laissant à celle-ci l'avantage incontestable d'une
supériorité idéologique qui nous serait fatale.
Pratiquement, nous
demandent de nombreux correspondants, que faire ?
L'essentiel est d'abord
de trouver un noyau de pères de familles qui lancent l'idée. Ils convoquent les pères
de famille à une réunion constitutive. L'instituteur sollicité ne pourra certainement
qu'approuver cette initiative même s'il n'en est pas l'animateur.
Il serait certes bon de
prévoir, au préalable, là où la chose est possible, une sorte de comité de patronage
comprenant: des représentants du Parti Communiste, du Parti Socialiste, des Syndicats
ouvriers des différentes centrales, des Patronages laïques et des diverses organisations
prolétariennes existantes - large front uni de tous les partisans du progrès social et
culturel.
Sur les principes et
pour les buts que nous avons précisés dans notre appel, l'association de parents est
aussitôt constituée avec un Bureau (président, secrétaire et trésorier) et un Conseil
d'administration de 6 à 8 membres. Un règlement intérieur est établi, une cotisation
minimum fixée.
Déclaration de cette
constitution doit être faite à la Mairie. Il est utile également d'en donner copie au
directeur de l'école, et, éventuellement, à l'Inspecteur primaire.
Les parents restent
naturellement souverains dans leur association pour s'organiser comme ils l'entendent. Le
Comité de Patronage, les représentants de syndicats ne sont là que pour encourager et
renforcer l'organisation et pour aider à l'action nécessaire de propagande qui doit
suivre.
Car il ne s'agit pas
d'organiser une association qui ne vivrait que sur le papier. Il faut que nos Ligues
deviennent les animatrices de cette action que nous nous plaignons justement de ne pas
voir entreprendre par les organisations prolétariennes :
a) Organisation de
conférences pour l'exposé des buts et des moyens de l'éducation prolétarienne, pour la
liaison de l'école avec la vie et le travail ;
b) Défense active de
l'école, organisation de meetings et manifestations d'action commune contre la diminution
des crédits, la fermeture des classes, pour les réparations scolaires, l'ouverture de
cantines, l'octroi des fournitures gratuites, etc.;
c) Organisations
d'enfants : fêtes, sorties, jeux, etc. Si cette besogne est consciencieusement
menée, on doit intéresser à la vie de l'école et des enfants la grande masse des
parents. Il faut reprendre l'offensive, conquérir dès l'école la jeunesse
prolétarienne qui risque d'être détournée de ses fins historiques pour la défense
brutale d'un régime branlant.
Quel critère, demande
encore un camarade, adopter pour l'entrée dans ces associations ?
Aucun. Il suffit
d'être père de famille. Tout père de famille peut y adhérer. Nous ne courons
d'ailleurs à cela aucun risque. L'immense majorité des parents sont des prolétaires
authentiques, qui ne peuvent que comprendre et approuver une large action scolaire
prolétarienne, comme ils comprennent et approuvent d'instinct les larges rassemblements
antifascistes.
Quelle garantie
aurons-nous que ces associations ne seront pas un jour utilisées par des politiciens pour
des fins étrangères à celles qui ont motivé leur création ?
Les diverses
associations ou patronages actuellement constitués sont tous, plus ou moins directement
dominés et dirigés par les serviteurs du régime. Le socialisme a aujourd'hui ses
organismes de classe et de lutte : Parti Communiste, Parti Socialiste, Centrales
syndicales. Nous demandons à ces organismes de patronner et d'animer les Ligues de
Parents Prolétariens pour être sûrs que leur action s'effectuera dans le sens du
progrès socialiste.
Dans l'époque actuelle
de lutte de masse antifasciste, nous voyons très bien la possibilité pratique d'un
semblable patronage. Il existe d'ailleurs à ce jour un vaste mouvement qui s'est
puissamment développé sur ces mêmes larges principes prolétariens: c'est le mouvement
antifasciste d'Amsterdam-Pleyel.
Les Ligues de Parents
Prolétariens pourraient être dans le cadre scolaire des embryons de Comités
d'Amsterdam, et c'est pourquoi nous sommes particulièrement sensibles à la promesse de
Barbusse de demander au Comité dont il est le fondateur et l'animateur, de patronner et
de soutenir notre mouvement de parents prolétariens.
Il y a là une action
urgente, et éminemment utile à mener. Il suffit que les militants ouvriers et plus
spécialement les instituteurs si directement intéressés en comprennent la portée et la
nécessité. S'ils le veulent, bientôt des associations uniques de Parents Prolétariens
prendront partout naissance. Nous les fédérerons nationalement, et nous serons alors en
mesure de contrebattre victorieusement tous les politiciens qui ont profité jusqu'à ce
jour de l'inexpérience prolétarienne pour imposer leur idéologie et leur loi.
Nous demandons aux
camarades qui constituent des Ligues de Parents de vouloir bien nous tenir au courant de
leur activité, de nous faire part des obstacles rencontrés, de diffuser notre appel afin
de renforcer rapidement le mouvement de défense de l'école populaire et de la pédagogie
nouvelle prolétarienne.
PREMIER DISCOURS A DES PARENTS SUR LA
PEDAGOGIE NOUVELLE
PROLETARIENNE
Camarades ouvriers et
paysans, on vous demande souvent de défendre l'Ecole.
Mais quelle
école ?
Celle que les meilleurs
d'entre nous accusent de servir hypocritement le régime d'exploitation contre lequel vous
vous dressez, celle qui ne serait qu'un rouage de la grande machine d'asservissement
capitaliste ?
Et quelles raisons
avez-vous alors de défendre cette école ?
La condamner en bloc et
irrévocablement pour attendre patiemment la révolution et, pendant ce temps, laisser les
jeunes générations entre les griffes tenaces de la réaction ?
Agir dès maintenant,
mais en quel sens ?
Nous sommes en France
de nombreux éducateurs d'avant-garde qui essayons de tirer du présent le maximum
d'avantages pour le progrès socialiste, qui jetons, au sein même de cette école
capitaliste dont nous dénonçons obstinément les tares, les fondements inébranlables de
votre école prolétarienne.
On m'a demandé
instamment de préciser ici, d'une part, les griefs que nous faisons à l'école
capitaliste ; de montrer, d'autre part, dans quelle mesure et comment nous pouvons,
dès aujourd'hui, oeuvrer modestement mais hardiment dans le sens du progrès et de
l'avenir.
Dans aucune branche
d'activité humaine, la domination capitaliste n'est aussi bien camouflée que dans
l'asservissement de tout le processus scolaire. A tel point que de nombreux éducateurs,
militants clairvoyants et dévoués de la classe ouvrière, continuent servilement à
l'école une besogne obscurantiste dont ils ne comprennent point encore les dangers. Et
c'est cet aveuglement quasi général qui complique étrangement notre tâche.
Ah ! certes, tant
d'hommes éminents ont élaboré les idées qu'on nous inculque à l'école ; tant de
penseurs, tant de philosophes renommés ont écrit les livres précieux qu'on nous impose,
tant de vénérables législateurs ont fixé les cadres dans lesquels doivent évoluer les
universels principes éducatifs !
Et nous sommes quasi
seuls à opposer un clair bon sens aux grands mots de la scolastique, à ses formules
débordantes d'idéalisme et de spiritualité. L'instituteur, le professeur, élevés dans
le culte et l'admiration de cette culture, en restent éblouis et déformés. Le pauvre
travailleur lui-même, ancré à la terre et au labeur par sa condition et sa destinée,
et qui ne peut s'élever à cette hauteur de pensée formelle, éprouve une sorte de
béate et traditionnelle vénération devant les grands hommes pères de ces grands
principes. On a changé nos dieux, pense-t-il. Et il redoute, et il adore, et il courbe la
tête. Les intellectuels satisfaits gonflent leur orgueil et, derrière la coulisse, le
capitaliste sourit de la candeur des uns, de la présomptueuse suffisance des autres, et
renforce d'autant son exploitation.
N'en déplaise à tous
les philosophes et à tous les théoriciens, grands ou petits, nous ne les suivrons pas
dans leurs spéculations. Nous ramènerons le problème sur le terrain du bon sens et de
la raison matérialiste; nous tâcherons surtout de voir clairement les voies futures où
pourront s'engager les activités prolétariennes.
Quand on vous parle
d'école vous comprenez instinctivement instruction.
Et, effectivement,
l'école actuelle a été créée par le capitalisme, elle est entretenue - si peu,
hélas ! -pour vous instruire d'abord. Et non pas vous instruire dans le sens humain
et philosophique qui serait de vous aider à connaître, dans ses plus intimes
manifestations, la vie que vous devriez dominer, mais vous instruire seulement au point de
vue technique, afin de mieux vous utiliser économiquement, de tirer de vous un meilleur
rendement, tout comme on apprend aux bufs à labourer ou au poulain naturellement si
fier et si indépendant, à accepter le collier et à traîner la voiture en obéissant au
mors impératif.
On vous envoie à
l'école pour vous apprendre à lire, à écrire, à compter, parce que l'industrie
actuelle a besoin d'ouvriers en possession de ces techniques élémentaires, parce que le
commerce capitaliste a besoin de paysans sachant lire ses prospectus prometteurs, parce
que le régime, enfin, compte beaucoup, pour se perpétuer, sur sa presse, qu'il faut bien
que vous sachiez déchiffrer.
Et la preuve que ce ne
sont pas, comme on a voulu nous le faire croire, des considérations philosophiques qui
ont donné naissance à cette école, c'est que le capitalisme naissant fit de très
grands sacrifices pour son installation mais que, à mesure qu'il en dédaigne les
services, il se conduit en parâtre ingrat : les machines actuelles peuvent aussi
bien être manuvrées par des illettrés peu évolués, plus facilement
exploitables. Le journal lui-même passera bientôt au second plan des soucis
capitalistes : le cinéma parlant semble favoriser les illettrés, le phonographe
tend à remplacer le livre, et la radio mieux que la presse bientôt suffira aux tâches
urgentes de bourrage capitaliste.
Aussi l'école est-elle
en dépérissement, on réduit les crédits qui lui étaient consacrés, on supprime des
instituteurs, on laisse sans travail la partie la plus instruite de la jeunesse à
laquelle le capitalisme préfère des étrangers incultes et dociles ou des manuvres
ignorants et sans exigences.
Telle est la trame
véritable de l'évolution scolaire qui s'oriente vers la substitution à toute
instruction du bourrage systématique, vers la décadence irrémédiable de l'école si
tous ceux qui ont vu naître en eux de grands espoirs ne se lèvent et ne sunissent
pour opérer un redressement social et pédagogique indispensable.
Affirmations,
direz-vous peut-être.
Nous allons préciser.
Si les maîtres de ce
régime voulaient véritablement l'instruction du peuple, il y a longtemps qu'ils se
seraient rendu compte de deux faits incontestables sur lesquels nous croyons utile
d'insister.
Le premier, c'est là
faillite de la soi-disant mission instructive de l'école.
Si le capitalisme avait
tenu à vous instruire, il y a longtemps que lui, le rationalisateur, se serait rendu
compte à quel point l'école travaille à vide et qu'il l'aurait taylorisé. Le récent
et pourtant sommaire examen des conscrits l'a encore montré : sur 225 000 recrues,
16 000 illettrés, 109 000 hommes sachant à peine lire et écrire, 100 000 ayant obtenu
leur certificat d'études. Mais pour ceux-là encore, il serait hautement édifiant de
contrôler la fragilité des acquisitions scolaires.
Si on nous
disait : Que reste-t-il de tout l'effort scolaire pour l'immense masse des enfants,
nous pourrions répondre sans gros risque d'exagération : à peu près rien si ce
n'est une technique rudimentaire de la lecture, de l'écriture et du calcul.
C'est beaucoup, diront
peut-être quelques esprits obstinés ?
Mais vous n'ignorez pas
que, sous l'empire de la nécessité, un jeune homme ou un adulte - et il en serait de
même pour l'enfant - peut apprendre à lire et à écrire en quelques mois, en quelques
semaines; et que, lorsqu'il le faut, la commerçante la plus ignorante acquiert bien vite
dans le calcul pratique une supériorité que lui envieraient bien des
« certifiés ».
Tout cela est certain,
démontré et démontrable, Mais il faut dans l'intérêt du régime, qu'on vous amuse
avec des méthodes scolastiques qui endorment votre esprit ; on interdit ou on
boycotte les essais logiques de bonne rationalisation du travail scolaire. Et vous autres,
parents, qui avez pâti pendant dix ans sur les bancs de l'école et voyez maintenant vos
enfants suer sang et eau pour une tâche sans intérêt et sans vie qui, de ce fait, est
véritablement au-dessus de leurs forces ; les instituteurs eux-mêmes qui sont
victimes de cette complication anormale de l'effort, tous vous vous persuadez que ce qu'on
enseigne à l'école est vraiment bien difficile, que seuls en profitent les bien doués
et que si la moitié des conscrits sont des illettrés ou des demi-illettrés, c'est que
le peuple manque d'intelligence et d'allant.
Nous vous dirons qu'il
existe des méthodes qui permettraient à des enfants vivant normalement au sein de la
société d'acquérir immanquablement, sans pleurs ni souffrances, avec la joyeuse
sûreté d'une vie qui s'épanouit, une instruction cent fois plus sûre et plus solide
que celle que donne l'école capitaliste. Mais nous vous dirons aussi pourquoi le régime
n'accepte ni ne recommande ces pratiques libératrices.
Le deuxième fait sur
lequel nous avons promis d'insister est l'isolement anormal de l'école.
L'école est comme
l'église. On s'y rend pour procéder à des pratiques sacramentelles qui n'ont rien a
voir avec la vie extérieure. On se tait sur le seuil de l'une ou de l'autre en enlevant
son chapeau ou en faisant un mécanique signe de la croix. Et puis, comme disait cet
enfant trop spontané : on attend qu'on sorte. Et, sitôt sur le seuil, à la sortie,
la vie reprend, à son rythme, avec ses buts et sa moralité.
Comme l'église
actuelle, l'école n'est plus qu'un accident dans la vie de l'homme. L'enfant va à
l'église jusqu'à sa première communion, à l'école jusqu'à son certificat d'études,
puis la vie commence.
Peut-on appeler cela de
l'éducation ? L'école ainsi comprise peut-elle avoir sur la destinée de l'homme
une influence décisive ? Ne devrait-elle pas être un rouage spécial de la vie,
participer à cette vie, s'y mêler intimement, apporter ses leçons et ses enseignements
dans le milieu naturel ? La mère cane apprend-elle théoriquement la nage à ses
canetons pour les précipiter un jour, leur apprentissage fini, dans la mare où ils se
noieraient ? Et pourquoi l'école s'obstinerait-elle à enseigner ainsi loin du
milieu social normal et naturel hors duquel il n'y a que verbiage et déformation ?
On inculque à vos
enfants de beaux préceptes de morale, qui restent préceptes, car la moralité vraie
vient des enseignements harmonieux de la vie ; on les prépare à résoudre des
problèmes compliqués sur la vente ou le mélange des vins et quand vous leur demandez de
vous faire un calcul simple imposé par la vie, ils restent cois, parce que l'école ne le
leur a pas appris ; on impose à ces enfants le catéchisme complet et rebutant de
toute l'histoire traditionnelle : noms de rois, dates de bataille, victoires,
déclarations de guerre se mêlent dans leur esprit en une étrange mixture dont il ne
reste rien. Mais, à l'âge où ils sont jetés dans la vie, les adolescents seront sans
directives ni conseils devant les roueries de la politique ou l'exploitation de tous les
parasites sociaux. Vos enfants sauront enfin réciter par cur de belles pages
cadencées des meilleurs auteurs bourgeois, mais ils seront incapables de comprendre et de
commenter un article de journal, plus incapables encore d'écrire une lettre, de rédiger
un rapport, de prendre la parole dans une réunion.
L'école a dressé des
écoliers. Elle a oublié de préparer des hommes.
Elle n'a pas
oublié : c'est à dessein qu'elle ne prépare pas des hommes parce que former des
personnalités sincères et viriles serait lutter contre l'exploitation capitaliste et que
vous ne pouvez pas demander au capitalisme qui veut bien vous laisser votre école de
saper ainsi sa propre autorité et sa propre domination.
C'est parce qu'on ne
veut pas vous libérer, qu'on veut au contraire vous asservir chaque jour davantage qu'on
endoctrine vos enfants au lieu de les préparer à la vie ; qu'on les parque entre
quatre murs, loin des bruits de la rue, loin des. spectacles édifiants du travail, de
l'effort et de la lutte qui pourraient dangereusement leur ouvrir les yeux.
Et, pour leur donner
cette instruction à laquelle, avec raison, vous accordez tant de prix, on vous déforme
votre enfant ; par une discipline autoritaire impitoyable, on use ses forces vitales
tendues désespérément vers la création et l'avenir ; on l'habitue à souffrir, à
supporter passivement, à accepter ce, qui est ; on brise définitivement son élan.
Et, quand cette besogne a été menée à bien - pour notre malheur à tous - on jette
dans la vie des enfants ou des adolescents coupés de l'activité sociale, sans élan et
sans foi, tout juste capables duvrer passivement comme des bêtes de somme, de
croire tous les bobards des journaux ou de la radio, d'aller voter ou de partir à la
guerre.
Pessimisme ! Que
non pas. C'est, hélas ! la réalité des faits.
Mais nous ajouterons,
pour notre réconfort, qu'il y a de plus en plus des natures que l'école capitaliste n'a
pas réussi à annihiler totalement, qui sont capables de rejeter, de
« dégorger » tout ce qui leur a été imposé pendant des années, qui font
peau neuve et qui, avec des objectifs nouveaux, avec une volonté décuplée par le
sentiment duvrer maintenant utilement et intimement au sein de la communauté,
réalisent ce que l'école aurait dû puissamment préparer : l'épanouissement
individuel et social des personnalités.
Car ce devrait être
là, en définitive, le rôle de l'école.
Que nous
importe que nos enfants sachent lire ou calculer si toute vie est éteinte en eux, s'ils
sont comme ces malades incapables même de mastiquer et qu'on nourrit à la bouillie ou à
la sonde.
Ce qui caractérise le
jeune être, vous le savez, c'est son immense potentiel de vie, c'est son besoin d'agir,
de créer, d'enrichir sa personnalité, de s'épanouir, disons-nous. L'école
naurait-elle rien appris, n'aurait-elle fait que stimuler, par des techniques
spéciales, cet instinct de vie ; si à treize ans l'enfant se sentait solide,
intrépide et puissant, comme à pied duvre, il ferait des merveilles.
Mais il ferait des
merveilles à condition encore qu'on les lui permette. Il s'épanouirait, à condition du
moins que la vie ne contrarie pas brutalement cet épanouissement.
Vos enfants aujourd'hui
sont déformés, dégoûtés de la vie et de l'effort, sans enthousiasme et sans élan.
Ils quittent l'école pour entrer à l'usine ou dans la mine, ou pour mener aux champs une
vie morne qui les rapproche de la bestialité. L'exploitation capitaliste le veut
ainsi : à treize ans, l'enfant a perdu déjà assez de temps ; la société a
fait assez de sacrifices pour lui - je parle des fils de prolétaires, certes il faut
qu'il produise maintenant: il a fini de s'instruire, de se développer, de s'épanouir...
C'est cela qui est
monstrueux. L'instruction, l'éducation ne finissent pas à 12 ou 13 ans ni même à 14.
Cette première enfance est tellement dominée par tout le rythme de développement et
d'adaptation qu'elle est même la moins propice à l'instruction formelle. Et les
bourgeois le savent bien, eux qui font traîner jusqu'à 22 ou 25 ans cette période
d'acquisition.
Nous allons plus loin
encore. Nous disons que c'est surtout au cours de l'adolescence et dans l'âge mur que
l'individu s'instruit, se forme, se développe. Il suffit de lui en donner la
possibilité ; de réduire le temps de travail pour l'adolescent de 13 à 18 ans en
lui ménageant des possibilités d'études adéquates à ses aptitudes et à ses
possibilités ; de prévoir, pour l'adulte lui-même, les cours du soir, les écoles
ouvrières, les stages, les cours par correspondance qui lui permettraient d'affirmer sa
personnalité et de tendre vers son plus complet développement.
Ces conquêtes, dont la
Russie soviétique actuelle nous montre la possibilité, elles sont la négation même
d'un régime d'exploitation et de mensonge; car l'individu qui s'épanouit et se libère
moralement et intellectuellement ne saurait supporter les chaînes économiques et
sociales. Et on n'a jamais vu un régime offrir aux ouvriers les pioches de démolition.
Notre rôle, notre but,
éducateurs d'avant-garde, c'est de réduire au minimum, à l'école, la malfaisance
capitaliste, de ménager en l'enfant ouvrier et paysan cet élan vital sur lequel nous
fondons tous nos espoirs. Et nous vous apprendrons, dans un prochain article, quelle
devrait être votre attitude vis-à--vis des éducateurs qui travaillent dans le sens que
nous indiquons. Vous apprendrez à dédaigner l'instruction formelle capitaliste, à
honnir l'autorité et l'asservissement.
Pour la plupart d'entre
vous, égarés par les pratiques scolaires traditionnelles, vous n'avez d'yeux encore que
pour l'écolier qui rentre le soir, exténué par une besogne sans vie - et que vous ne
comprenez pas. Vous vous appliquez avec lui à faire des devoirs cabalistiques qui mènent
au certificat.
Nous vous apprendrons
à considérer avec des yeux nouveaux l'enfant original et joyeux, qui se saisit de la vie
avec une candeur et une puissance à vous rendre jaloux; nous vous aiderons à soutenir
les éducateurs qui ne remplissent pas la tête de vos enfants, mais qui leur insufflent
de la vie et de la joie et de l'espoir. Car alors, ces enfants ne sauront plus subir
passivement : comme ces poulains indomptés tout frémissants d'une activité
irréductible qui cassent chaînes et courroies, ils partiront puissamment à l'assaut de
leur nouvelle vie, renversant comme fétus de paille ces obstacles que notre faiblesse a
laissé s'accumuler devant notre idéal que la tradition déforme et grossit, que la
logique condamne et dont la jeunesse triomphera pour peu que nous l'y disposions.
DEUXIEME DISCOURS A DES PARENTS
SUR L'EDUCATION
NOUVELLE PROLÉTARIENNE
L'Education, nous
l'avons vu, devrait être d'abord enrichissement et épanouissement, préparation par la
vie à l'activité humaine et libérée à laquelle nous aspirons tous.
L'Ecole actuelle
prétend poursuivre cette préparation par des prêches, par des mots et des formules, par
des exhortations. Et là réside la grande erreur et le grand mensonge, la subtile
hypocrisie dont parlait Lénine.
Car le verbe,
contrairement à ce qu'ont pu affirmer des générations de jésuites, d'écrivailleurs et
d'avocats, tous exploiteurs à quelque titre de la crédulité humaine, le verbe est
toujours mineur: l'action seule compte.
Vous n'avez pas encore
vu un maçon étudier son métier dans les livres puis venir, d'autorité, en remontrer au
vieux professionnel; le fleuriste et le jardinier ne se contentent pas d'étudier :
c'est dans la mesure où ils pratiquent et expérimentent qu'ils acquièrent sagesse et
technique ; et les économistes les plus distingués, les hommes de science les plus
ingénieux seraient ridiculement impuissants si on leur disait de prendre en mains les
outils du cultivateur et de faire pousser ces plantes dont ils ont merveilleusement
calculé le développement et les réactions.
C'est sur le lieu de
travail, par une activité permanente et familière que l'ouvrier conquiert sa maîtrise.
Et il en est de même sur le plan social; ce n'est pas par une moralisation formelle, qui
n'atteint jamais le fond intime des individus qu'on améliore leur comportement. Là aussi
seule compte l'expérimentation, la vie dans un milieu normal et moral, à un rythme et
selon des modalités susceptibles de réaliser un maximum d'harmonie.
Nous disons donc
délibérément et définitivement: A bas le verbiage scolastique, à bas les formules et
les mots toujours impuissants et trompeurs; à bas la morale verbale où se réfugient
tous ceux qui reculent devant l'effort loyal que nécessite la vie !
Créons l'école
matérialiste qui se méfiera avec raison des grands mots et des systèmes prometteurs,
mais qui, à même le travail et la vie, préparera les hommes puissants et droits de
l'avenir.
Nous avons parlé
d'éducation matérialiste, non pas pour laisser croire que nous abandonnions une partie,
si petite soit-elle, de notre idéal, mais pour dénoncer l'erreur bourgeoise et
capitaliste qui voudrait mettre d'un côté l'intelligence, l'esprit, la morale, et de
l'autre, dans la zone inférieure des individus, les préoccupations matérialistes. C'est
ce divorce entre deux fonctions vitales qui est un des plus graves dangers actuels, celui
avec lequel on endort votre besoin instinctif de conquérir ce mieux-être dont vos
associations s'étaient fait un flambeau, et qui nous pousse à l'acquisition formelle de
notions séparées de la vie et auxquelles on vous a suggéré d'accorder pouvoir et
autorité.
L'éducation prise dans
son sens large et humain est avant tout matérialiste parce que - les découvertes
récentes le prouvent - il ne saurait y avoir progrès normaux de l'individu si les divers
organes du corps ne remplissent pas leur fonction naturelle. Et cela est indéniable pour
nous qui n'avons jamais cru que l'idée soit une parcelle de divin mystérieusement
tombée du ciel et enchaînée à une chair terrestre et périssable. L'idée n'est qu'une
fonction - souvent hélas! hypertrophiée - de la complexe nature humaine, et la preuve
simple et vulgaire, celle qui devrait bien convaincre tous les ratiocineurs, c'est qu'il
n'y a plus d'idée là où il n'y a plus de vie.
Contrairement à tous
les théoriciens de notre école publique, égarés par leur propre verbiage, nous
accordons une importance primordiale au matérialisme scolaire, à tel point que, dans
l'école nouvelle que nous allons ouvrir, nous pensons solutionner sur ce plan strict tous
les problèmes en apparence si immatériels et si subtils qui s'imposent aux éducateurs.
Nous montrerons - et nous l'avons déjà éprouvé que la lenteur intellectuelle,
l'arriération plus ou moins caractérisée; que les défauts plus ou moins graves dont
souffre l'école : la timidité, la paresse, la nervosité; que les dérèglements
même de l'imagination qui donnent si souvent l'illusion d'une heureuse précocité; que
le mysticisme, l'intolérance, la présomption intellectuelle, et cet idéalisme maladif
qui donne matière à tant de livres, toutes ces exaspérations de tendances individuelles
se corrigent jusqu'à disparaître et se fondre en une bienfaisante harmonie avec un
régime de vie approprié, qui rétablisse la fonction naturelle de tous les organes et le
jeu normal des réactions dont l'ensemble constitue la vie.
Quand on nous amène un
enfant paresseux, ou menteur, ou peureux, dispersé, ou fasciné déjà par le livre et
ses spéculations intellectualistes, nous ne cherchons pas de solution verbale et
extérieure à ces tares : nous rétablissons la santé, et, immanquablement, à
mesure que la vie accomplit son miracle, que les fonctions s'harmonisent, disparaissent
ces symptômes auxquels on a, à tort, dévolu comme des titres de noblesse et qui ne sont
que des formes caractérisées de déchéance physiologique.
Ce matérialisme
cependant déborde nécessairement les individus plongés dans le milieu social. Cette
régénération n'est possible qu'autant qu'une harmonie générale favorise et permet
l'harmonie individuelle. Et nous verrons les aménagements que nous suggère cette
nécessité.
De ces observations,
vous le savez, l'école, toute préoccupée de meubler, de bourrer l'esprit, ne tient
aucun compte. C'est pour que vous sachiez du moins formuler selon leur urgence
hiérarchique vos diverses réclamations que nous avons affirmé ici la prépondérance
universelle du matérialisme éducatif.
Surveillez avant tout
la santé et la vie de vos enfants, car d'elles dépendent, quelles que soient par
ailleurs les circonstances accessoires, les progrès intellectuels, moraux et scolaires
dont vous vous préoccupez à juste titre.
Nous disons bien santé
et vie pour attirer votre attention sur une conception erronée et souvent
courante de la santé. Il ne s'agit pas, sous prétexte de soins, de gaver et suralimenter
votre enfant jusqu'à le rendre impotent comme une bête à l'engrais, de lui éviter
marches, efforts et travaux. La santé est une harmonie à la conquête difficile: elle
est en danger toutes les fois que vous constatez en vos enfants une altération de ses
grandes fonctions vitales, qu'elles soient diminution ou atténuation de ses réactions,
ou, au contraire, excitation et déséquilibre.
L'Ecole s'en soucie
fort peu, direz-vous.
C'est à vous de vous
en soucier pour elle et de l'aider dans ses modestes essais en soutenant les mots d'ordre
que nous avons préconisés à ce sujet pour les Ligues de Parents.
- Exigez de l'air, de
la lumière, de la propreté en classe ; faites désaffecter les vieux locaux sombres
et exigus ; exigez la construction d'écoles spacieuses et claires.
- Protestez contre le
surmenage des éducateurs débordés par une surcharge scandaleuse des classes; protestez
contre les habitudes d'une administration qui parque les enfants, pendant six heures par
jour, entre des bancs incommodes, véritables instruments de torture ; soutenez les
tentatives de libération scolaire dont nous vous parlerons.
- A vos enfants
exténués par les efforts scolaires, donnez au moins, en dehors des heures obligatoires
de travail passif, la possibilité de s'épanouir selon leurs lignes de vie. Six heures
par jour - si elles étaient rationnellement employées - seraient largement suffisantes
pour les acquisitions indispensables.
Quoi qu'il en soit,
pour la besogne de bourrage actuellement poursuivie, les heures de classe suffisent
amplement.
Elevez-vous donc contre
la pratique barbare des devoirs à la maison, et exigez l'organisation collective et
sociale des jeux et du travail libre enfantins hors de l'école.
- N'oubliez pas, enfin,
qu'il n'y a pas de pire handicap pour des enfants que la misère physiologique. En
réclamant pour vos salaires, en luttant pour le travail et le pain, vous luttez pour une
meilleure éducation de vos enfants ; car un régime qui attente aussi gravement que
le régime actuel à votre niveau de vie, atteint encore plus profondément vos enfants
dans leurs possibilités éducatives, quelles que soient les apparentes sollicitudes,
foncièrement hypocrites, par lesquelles on tente de masquer ce crime social.
Ne séparez donc pas,
dans votre lutte quotidienne, des revendications qui sont aussi intimement liées :
il n'y a pas d'un côté votre vie à vous, votre travail exténuant, votre asservissement
et votre misère, et de l'autre la possibilité pour vos enfants de profiter de l'école
capitaliste pour s'émanciper et secouer le joug de l'exploitation.
Ces deux questions sont
intimement, matériellement liées : votre misère, c'est la misère de vos enfants,
leur défiance scolaire, leur impuissance devant la vie, un anneau seulement de la chaîne
qui vous rive à vos maîtres.
Le problème scolaire
est avant tout un problème social et un problème politique : chacune de vos
victoires sociales, syndicales ou politiques est une victoire pour l'école; chacune de
vos défaites est une accentuation des difficultés de libération scolaire ; le
fascisme, qui serait votre défaite totale, marquerait comme en Italie et en Allemagne,
une régression pédagogique incroyable ; votre victoire seule ouvrira à l'école
des horizons insoupçonnés, que le triomphe prolétarien en U.R.S.S. nous fait entrevoir
et espérer.
C'est à dessein que le
capitalisme s'est obstiné à isoler l'école de la vie et de la lutte ouvrière. Nous
venons de vous démontrer l'interdépendance intime de l'une et de l'autre. Problème
capital, croyez-le bien, auprès duquel les questions de méthode, de morale ou de faux
idéal que le capitalisme place hypocritement au premier plan, ne sont que des
accessoires, des moyens pour le grand oeuvre qui ne saurait s'accomplir hors de son
élément essentiel et vivifiant.
Non pas que nous
sous-estimions l'importance de ces moyens. Encore une fois nous avons voulu rétablir
d'abord une hiérarchie afin que les fumées de l'esprit qu'on agite romantiquement devant
vos yeux ne vous empêchent point de voir se lever à l'horizon le grand soleil
libérateur.
Et maintenant, ces forces
de vie que votre puissance individuelle et sociale aura permis de maintenir en l'enfant,
allez-vous les laisser contrecarrer et annihiler par un dressage et un asservissement qui
sont tout à la fois l'origine et la conséquence de votre propre asservissement ? Ou
bien aiderez-vous généreusement les pionniers qui veulent, par des techniques
adéquates, exalter cette vie pour que se réalisent au maximum les personnalités
originales qui triompheront un jour des misères de notre régime ?
Là est le deuxième
grand problème qu'on a rarement agité devant vous et auquel nous apportons une solution
pratique souhaitable.
Il ne suffit pas au
capitalisme d'asservir matériellement et économiquement, donc psychiquement et
moralement, l'enfant. Il doit encore se prémunir contre l'audace des rescapés qui,
malgré la société marâtre, seraient capables encore de penser et de voir juste, et de
montrer la voie.
Contre ce danger, le
capitalisme dresse le barrage de l'asservissement intellectuel par l'école et les
entreprises diverses extra-scolaires qu'elle encourage et entretient.
L'Ecole ne vous habitue
pas à réfléchir, à penser, par vous-mêmes, à voir avec vos propres yeux. Ce serait
bien trop dangereux. Dès le plus jeune âge elle vous dresse à penser comme le maître
et comme les livres; elle vous force à voir à travers ces livres d'essence capitaliste
les problèmes humains et sociaux ; elle vous gave de formules dont vous n'avez que
faire, non pas tant pour garnir et orner votre esprit que pour vous enchaîner à ce rôle
réceptif qui annihile peu à peu votre puissance active, vos velléités de réalisation
personnelle.
L'Ecole ne vous apprend
point à agir par vous-mêmes, à vous diriger et à vous commander vous-mêmes. Quel
déplorable exemple, en effet, si l'expérience prouvait un jour que des sociétés
d'enfants peuvent s'organiser, vivre et prospérer malgré la despotique autorité adulte.
L'autorité ! Elle
domine l'école, matériellement et intellectuellement parce qu'elle domine toute la masse
ouvrière, et il faut nécessairement retarder le plus possible l'émancipation de ceux
dont les mains puissantes sont prêtes à se saisir de la vie nouvelle.
Il semble parfois que
nous disions les choses avec quelque brutalité du fait que nous sommes naturellement
contraints de schématiser et d'éliminer les accessoires pour mettre en lumière les
directions essentielles où doivent se porter vos efforts.
Des éducateurs
eux-mêmes protesteront devant nos affirmations. Dites-vous bien qu'ils sont des victimes
déformées et asservies par des dizaines d'années d'abrutissement scolastique, que chez
eux aussi cette culture de classe, obsédante et perverse comme le luxe et les parures des
riches, a exercé ses ravages et estompé les vérités premières que vous devez vous
autres, ouvriers et paysans, affirmer et faire triompher.
Quant à nous, une
technique nouvelle que nous avons introduite dans nos classes nous a permis de mieux
sentir et de mieux comprendre à quel point l'école déforme le peuple et de redresser
nos méthodes conformément aux découvertes pédagogiques récentes, et aux actuelles
nécessités sociales.
La pédagogie actuelle
ne part jamais de l'enfant qui est considéré comme incapable d'effort altruiste et de
pensée personnelle. C'est l'adulte qui impose ses sentiments, ses pensées, ses
habitudes, et jusqu'à son rythme de vie. Et quel adulte ? Le bourgeois jaloux de ses
prérogatives, le financier ou l'industriel rapaces qui, par leurs institutions et leurs
livres commencent sur les bancs de l'école le dressage qui est pour eux nécessité
sociale.
Nous connaissons les
résultats de ces pratiques: la distraction et la paresse, le dégoût de l'étude, la
fatigue inutile et obsédante, la diminution catastrophique du potentiel de vie des
individus - cette passivité qui nous ferait désespérer de notre propre cause.
Contre cette
inappétence et cette passivité, l'école traditionnelle ne peut réagir que par la
force. Par les récompenses et les punitions, elle contraint les enfants à accepter ce
gavage intellectuel, comme ces malheureuses oies du Périgord qui, l'entonnoir dans le
gosier, se débattent en vain contre cette nourriture superflue qu'on ne peut,
hélas ! ni rejeter ni assimiler.
Nous prenons exactement
le contre-pied de cette pédagogie. Nous abandonnons nos préjugés d'hommes et de
« maîtres » ; nous nous mettons au niveau de l'enfant; nous tâchons de
penser avec lui, comme lui; et surtout nous mettons à sa disposition une technique
merveilleuse qui lui permet de s'affirmer, de s'extérioriser, de faire connaître et de
développer ses pensées et sa vie.
C'est la technique de l'Imprimerie
à l'Ecole.
L'enfant écrit
librement - ou raconte librement dès le plus jeune âge - ce qui l'intéresse et le
passionne.
Avant notre
expérience, on croyait volontiers que l'enfant ne saurait vibrer qu'au récit de contes
et d'histoires extraordinaires. Et, à notre grande surprise, c'est sa vie surtout qui l'a
passionné et dont il ne se lasse point de conter ou de lire les péripéties : vie
intime, joies, peines, rêves, jeux, vie des autres enfants, des parents, vie puissante et
émouvante de la nature qui seule, dans le désordre actuel, semble avoir conservé sa
bienveillance et sa bonté.
Ces textes absolument
libres et personnels, les enfants les impriment eux-mêmes avec un matériel d'imprimerie
que nous avons adapté à nos besoins et dont l'usage est aujourd'hui simple et à la
portée de tous (plus de 400 écoles à ce jour pratiquent en France notre technique).
Ainsi la pensée libre
de l'enfant devient une vivante et émouvante page de son livre de vie. Il la lit
et relit ; il l'illustre et la décore ; ses parents la commentent le soir. Des
exemplaires multiples de ces pages, réunis et agrafés sous couverture spéciale, forment
le journal scolaire qui est échangé avec celui de plusieurs dizaines d'autres écoles,
lu donc par plusieurs centaines d'autres écoliers.
La pensée enfantine,
loin d'être réprimée on le voit, prend des ailes ; elle se précise et
s'affine ; elle se frotte à la pensée d'autres enfants et ainsi, sans aucun
dogmatisme, par la vie et l'activité, nous jetons les fondements inébranlables d'une
culture à la mesure de nos enfants et de leurs possibilités sociales.
Car cette pensée nous
la faisons aussi se confondre avec la pensée des adultes. Et cela est naturel. L'école
actuelle suscite chez les enfants une aversion caractéristique de toute la culture
qu'elle voudrait leur imposer et dont ils ne sentent point la nécessité. Nos élèves,
au contraire, ont gardé intacts leur curiosité et leur intérêt. Le jeune bambin qui se
promène avec son père ne cesse de l'interroger sur les phénomènes mystérieux qui
l'entourent. Nos enfants, puissamment animés par leur joie de connaître, nous
interrogent de même; ils interrogent ensuite les livres, les films, les disques, tous les
documents adultes que nous avons mis à leur disposition. Ils y puisent selon leurs
besoins, sans cesser un instant d'exercer souverainement leur sens critique, s'assimilant
donc au maximum, et avec sûreté, toutes ces notions qu'ils rejetaient obstinément tant
que nous n'avions point trouvé la voie royale qui unit l'individu au monde ambiant,
motive et autorise la connaissance.
Mais partir ainsi de la
base, laisser les enfants s'exprimer librement suppose qu'on a jeté bas l'édifice
hypocrite de la société scolaire avec sa morale verbale et formelle. L'enfant libre ne
dira pas toujours ce qui nous plaît, ne fera pas toujours ce qui est prévu par les
règlements. Il suffit que nous soyons persuadés qu'il n'agit pas anarchiquement comme
ces pauvres êtres en qui l'oppression a fait disparaître toute personnalité et toute
harmonie, et qui s'agitent et s'énervent, à la recherche d'une ligne directrice jamais
entrevue ni atteinte. Nos enfants suivent hardiment la ligne de leurs intérêts
dominants, leur ligne de vie.
Or, la vie est
conquête et ascension, enrichissement et harmonie; la vie est moralisatrice ; la vie
enfin est seule éducatrice.
Par notre technique,
par la fabrication et l'édition du matériel nouveau nécessaire aux activités que nous
préconisons, nous avons jeté des fondements solides pour l'éducation nouvelle
prolétarienne.
Demandez aux
éducateurs de se renseigner sur notre mouvement ; intéressez-vous y vous-mêmes.
Apprenez à comprendre tout ce que le livre représente de dogmatisme et d'oppression; et,
à l'enfant qui, la tête dans ses mains, mémorise bêtement et passivement une leçon
non comprise, préférez toujours l'élève qui vit, qui frémit sous l'impulsion d'une
pensée intérieure ou d'une possibilité de réalisation, qui s'exprime fortement,
dédaigneux de tout l'hypocrite conformisme scolaire ou social ; penchez-vous sur ces
petites vies et, comme nous, vous vous sentirez renaître au contact de tant de candeur et
de tant d'espoirs ; vous comprendrez alors la puissance de l'activité libre ;
vous apprécierez l'effort des éducateurs qui préparent vos enfants à secouer les
chaînes séculaires du mensonge et de l'erreur.
Et pourtant, cet élan
lui-même que nous préservons en notre jeunesse, cette base inébranlable de la nouvelle
vie ne seraient rien encore si l'enfant devait continuer à étouffer dans les cadres
conformistes d'une société autoritaire. Nous verrons dans notre prochain et dernier
article comment l'organisation coopérative du travail et de la vie scolaire, la liaison
entre l'école et la vie, sont les conséquences naturelles et inévitables de notre
innovation, l'aurore d'une conception nouvelle de l'effort social, embryon et promesse de
la société libérée pour laquelle se dévouent tant de curs généreux.
DERNIER DISCOURS A DES PARENTS
SUR
L'EDUCATION NOUVELLE PROLETARIENNE
On nous accuse parfois
d'être, à l'excès, pessimiste, et de charger l'école traditionnelle de méfaits
imaginaires. La preuve, nous dit-on, que cette école répond mieux que vous ne le
prétendez aux besoins individuels et sociaux, c'est que des personnalités puissantes,
douées de grandes possibilités, arrivent tout de même à percer. Et on nous cite des
noms.
Nous ne nions pas que
l'école populaire actuelle réponde dans une certaine mesure aux besoins et aux buts de
la société qui l'a créée et qui la conditionne et que, en jouant des coudes, les plus
débrouillards ne parviennent à conquérir une place dans la hiérarchie des exploiteurs
et des parasites. Ce serait plutôt ce que nous lui reprocherions à cette école d'être
trop bien adaptée - j'allais écrire : asservie
- à une conception sociale que nous condamnons, qui se condamne elle-même par
le gâchis sans précédent où elle se débat désespérément.
L'ancienne école est
bien, en effet, à l'image du capitalisme petit-bourgeois : chacun pour soi cache ton
devoir pour que le voisin ne puisse pas copier - ne souffle pas la leçon - tâche
d'arriver premier, de gagner des bons points ou des croix d'honneur
débrouille-toi, réussis aux examens, en fraudant si tu le peux - conquiers une
situation, monte, enrichis-toi !... Tant pis pour les autres !...
Rien n'est plus
déplorable qu'une telle éducation, tant au point de vue des buts de mercantilisme
individualistes qu'elle se propose, que par la « méthode » qu'elle suppose et
qui place l'éducateur au milieu d'individualités en compétition perpétuelle, mues par
une opposition profonde qui rend stériles tous les efforts d'harmonisation et de travail
communautaire. Il n'y a pas une unité, une âme, une volonté naturelle de collaboration.
L'ordre lui-même ne peut être maintenu que par une discipline autoritaire renforcée.
Tout comme dans notre régime 'capitaliste qui se désagrégerait et se disloquerait sans
la protection symbolique du gendarme.
Nous voulons, nous, que
l'école soit d'abord collaboration et effort commun. Et nous ne nous sommes pas
contentés de prêcher cette conversion: Par nos innovations, par notre matériel, par
notre technique de travail nous avons rendu possible et nécessaire cette conception
nouvelle de la vie scolaire.
L'Imprimerie à l'Ecole
a été,
encore une fois, à l'origine et au centre de cette innovation.
Le matériel d'abord,
commun à toute la classe nécessite la naissance d'un esprit collectiviste. Le sabotage,
conscient ou non, d'une pièce, est supporté par l'ensemble des élèves. Et c'est parce
que, instinctivement, les enfants sentent ici les rapports intimes entre individus et
travail commun qu'il n'y a jamais, pratiquement, de sabotage mais que s'amorce au
contraire le dévouement de tous à luvre commune.
Le travail ensuite de
l'imprimerie est avant tout un travail collectif.
Des instituteurs nous
ont dit parfois : Mais il faudrait que chaque élève ait son imprimerie, qu'il
puisse composer et imprimer sa feuille...
C'est justement ce que
nous n'accepterions à aucun prix. Il est nécessaire, au contraire, que le travail de
chaque individu se fonde totalement dans luvre commune, que la faute ou la
malfaçon de l'un des ouvriers soit sentie par tous, que le désir de réalisation
constitue tout à la fois un puissant stimulant vital et un élément précieux de
discipline naturelle.
Témoins et
bénéficiaires des avantages incontestables de cette socialisation par l'Imprimerie à
l'Ecole, nous avons, le plus possible, généralisé dans nos classes ces pratiques de
coopération. Nous avons supprimé les manuels scolaires, ces livres dont chaque
enfant dans la classe possède un exemplaire identique. Comme ces quarante paysans d'un
village qui ont chacun la même petite charrue, dont ils ne se servent que quelques jours
par an, traînée par d'identiques et familiales
paires de bufs
qu'il faut soigner toute l'année pour les utiliser un mois au temps des semailles.
Si ces quarante paysans
mettaient en commun leur matériel de travail, ils pourraient, soit acheter en commun des
outils perfectionnés, soit réduire au moins le nombre d'attelages afin d'acquérir
d'autres outils qu'ils ne peuvent posséder aujourd'hui individuellement.
C'est ce regroupement
collectiviste que nous avons réalisé dans nos classes : au lieu de faire acheter à
nos quarante élèves, quarante livres de lecture tous semblables, 40 histoires, 40
géographies, nous avons acheté pour la même somme un exemplaire de tous les livres
intéressants que nous avons trouvés. Notre Coopérative CEL a d'ailleurs entrepris
l'édition de brochures adaptées justement à ce que nous appelons désormais notre Bibliothèque
de Travail, et où peuvent puiser librement tous les enfants - richesse commune
obtenue seulement par un meilleur aménagement de notre matériel, par une
collectivisation des outils de recherche et d'étude.
L'enfant avait
autrefois ses images, ses journaux, qu'il utilisait parfois comme moyens d'échanges pour
ses premières opérations mercantiles. Nous avons créé un Fichier Scolaire
Coopératif qui est comme l'encyclopédie vivante de la classe, à laquelle chacun a
collaboré. Outre des fiches types que notre Coopérative a éditées, nous collons sur
des cartons de format standard tous les documents que les enfants apportent en classe ou
reçoivent par échanges : cartes postales, pages illustrées de journaux ou revues,
etc. - documents qui sont ensuite utilisés librement par les élèves, propriété
commune au sein de la communauté. Le bien commun se fond ici aussi dans la propriété
collective des instruments de travail.
Nous avons un phono et
des disques, un appareil de projection et des films, un appareil de radio, tous articles
collectifs également, au service de tous (Pour tous renseignements, s'adresser à la
Coopérative de l'Enseignement Laïc à Cannes, qui livre aujourd'hui un matériel
éducatif plus complet et moderne permettant toutes les Techniques Freinet.).
Et non seulement cette
propriété collective est bien accueillie par les enfants, mais spontanément alors naît
une forme nouvelle de la discipline pour la défense et la sauvegarde de ces outils
communs, pour l'organisation nécessaire du travail coopératif.
Ce n'est plus
l'instituteur qui règle la vie et le travail ; ce sont les enfants eux-mêmes. Ils se
constituent en coopérative dont ils assurent tous les services et qui régissent
effectivement toute la vie de l'école - coopératives qui n'ont de commun que le nom avec
ces sociétés que certains instituteurs créent de leur propre initiative pour faire
payer aux enfants, donc aux familles, les dépenses accessoires que la Commune ou
lEtat ne veulent pas engager - coopératives nées du puissant besoin de
collaboration des enfants, de leur désir de se libérer de l'emprise des adultes,
d'organiser leur vie et leur travail dans le sens de l'éducation nouvelle prolétarienne.
La conséquence
naturelle aussi de ce nouvel état de faits, c'est que le maître ne commande plus ;
il est le
collaborateur aimé et écouté, l'âme de la communauté, le ferment du nouveau progrès
scolaire et social. Plus de leçons qu'on apprend par cur et qu'on récite en
trichant pour esquiver les punitions, mais du travail effectif, des lectures, des
recherches, des expériences, des discussions qui forment vraiment les personnalités.
Plus de punitions, mais la sanction naturelle et décisive du groupe qui veut vivre et
prospérer.
Tout cela ne va pas
sans heurts ; et il se peut que vous en ayez des échos. Nous vous demandons
d'oublier aussi les principes éducatifs dont vous avez souffert - ou plutôt de vous
rappeler tout ce que l'ancienne école, l'ancienne discipline avaient mis en vous de
passivité et de doute et de faire confiance aux forces jeunes. Certes, lorsque tout,
autour de soi, est mercantilisme, compétition individualiste et exploitation, il est
difficile de dresser ainsi à l'école l'îlot d'une coopération, embryon de la société
future dont nous sommes fiers de jeter les bases.
Mais nous ne le pouvons
que si vous nous y aidez, si vous fermez les oreilles aux discours intéressés qui
voudraient vous persuader que les enfants ne sont pas des êtres raisonnables, qu'ils ont
besoin, pour se préparer à la vie, d'être dressés et commandés. Si vous acceptez que
vos enfants soient asservis aux forces mauvaises qui vous dominent, oui. Mais si vous
rêvez pour eux d'une société fraternelle que nous avons le droit d'entrevoir et
d'espérer, il ne faut pas craindre d'habituer au travail coopératif et créateur, à la
discipline libérale et consentie, ceux qui doivent bâtir sur de nouvelles bases le monde
des travailleurs.
Un doute naît en vous.
Nous avons beaucoup
parlé d'activité, de vie, de dévouement à la collectivité. Vous voudriez bien avoir
l'assurance que, par l'école, vos enfants pourront plus facilement se créer une
situation digne. Et ce souci est légitime.
Nous pouvons vous
assurer d'abord, et nous serions en mesure d'en faire la démonstration, que les élèves
travaillant selon nos techniques acquièrent au moins autant de connaissances, sinon plus,
que ceux qui sont soumis aux anciennes méthodes. La raison en est simple d'ailleurs, et
vous en êtes bien souvent témoins dans vos familles. Votre enfant ne sait pas résoudre
un problème simple parce qu'il n'est pour lui qu'un devoir sans intérêt et sans but.
Mais, pour réparer la bicyclette qui lui permettra de bondir jusqu'à la ferme voisine,
il sera capable de résoudre pratiquement des problèmes autrement ardus. Nous disons que,
dans ce cas, son effort est motivé, que l'acquisition répond à un besoin fonctionnel
de l'individu.
Nous avons ainsi
motivé tout notre travail scolaire. Et là réside le secret du fort rendement que, sans
obligation stricte, permettent nos techniques.
La preuve en est dans
le nombre impressionnant de succès aux examens enregistrés par les écoles de notre
groupe.
Il y a deux ans, une
petite enquête, portant sur 24 écoles de notre groupe préparant au Certificat d'Etudes,
a donné les indications suivantes.
Ces 24 écoles ont
présenté 96 élèves. Ont été reçus 92 élèves, soit une proportion de 95%. Avec
mention Très Bien ou Bien 24 élèves, soit une proportion de 25%.
Ces indications vous
sont données non pas pour vous montrer notre technique comme un moyen idéal pour
réussir aux examens, mais pour bien préciser que nos élèves entraînés au travail et
à l'effort intelligents, passionnés par la recherche et l'étude, triomphent même là
où le bourrage exténuant est maître. Cela ne doit pas nous empêcher de dénoncer les
méfaits pédagogiques des examens en général et du certificat d'études en particulier,
de ce certificat qui signifiait peut-être quelque chose il y a trente ans et qui n'est
plus aujourd'hui qu'une vaine gloriole, sans portée d'aucune sorte dans une période où
les brevets et diplômes les plus difficiles à acquérir n'empêchent pas leurs
titulaires d'être sans travail, à la charge de leurs parents.
Préférez toujours à
la préparation et aux succès aux examens la formation véritable dont nous vous avons
indiqué les lignes directrices. Vos enfants auront le temps dans leur adolescence et dans
leur âge mûr d'acquérir les connaissances que la science actuelle offre aux esprits
curieux. Encore faut-il qu'ils aient gardé intacte cette curiosité, qu'ils affrontent la
vie avec leur intrépidité invincible, avec leur soif de justice et d'idéal, avec aussi
une pratique sûre des techniques de travail qui leur permettront de s'instruire et de
s'élever.
Annihiler, sous
prétexte d'instruction prématurée, ces forces vitales sans lesquelles il ne saurait y
avoir de véritable éducation, c'est le plus grand crime qu'on commette contre l'enfance
et le progrès. Aidez-nous dans notre effort seul fécond du triomphe de l'école, du
triomphe de la jeunesse et de la vie.
Au terme de ces
discours, j'ai conscience de l'insuffisance de mon verbe. Que l'expérience, du moins,
vous soit comme à nous un guide et un réconfort.
Lorsque vous voyez vos
enfants tristes et maussades à la maison et dans la rue, vous sentez bien vite que
quelque chose ne va pas et vous craignez pour leur santé, car vous savez malgré tout
avec quelle exubérance se traduit le besoin de vie des jeunes êtres. Et quand ces mêmes
enfants sont maussades et tristes en classe, vous en seriez satisfaits ? Quand vous
les voyez s'épuiser à des besognes passives et mortes, vous accepteriez cette mutilation
intellectuelle, ce refoulement de tant de velléités et de tant de rêves !
On vous a habitués,
hélas ! à l'usine et aux champs au travail exténuant sous la surveillance jalouse
de patrons ou de contremaîtres. Et votre effort est toujours une souffrance.
Les revues nous
montrent régulièrement les faces épanouies des travailleurs soviétiques maîtres de
leurs destinées ; l'activité, l'enthousiasme, la divine création. de la jeunesse
prolétarienne en URSS sont le signe royal d'une pédagogie qui, là-bas, oeuvre dans le
sens puissant des lignes de vie.
En attendant que
s'éclaire ici aussi notre horizon, aidez et soutenez les éducateurs qui font aimer
l'école et le travail à vos enfants, qui stimulent l'effort naturel dont ils ne sont
jamais avares, qui les arment pour la lutte et la conquête. Si des inspecteurs
s'inquiètent, si des réactionnaires hurlent, serrez-vous toujours plus sympathiquement
auprès de ceux qui oeuvrent pour la libération intellectuelle, morale et matérielle de
vos enfants.
Vous comprendrez alors
l'émotion qui perce dans cette lettre que P. Brien, professeur à Bruxelles, écrivait
tout récemment à un de nos adhérents : « Laissez-moi vous dire que je tire
orgueil de votre oeuvre pédagogique vraiment belle, des talents que vous mettez à
respecter et à favoriser l'éclosion de l'âme de l'enfant en toute sa fraîcheur, sa
spontanéité et sa beauté. »
1950 1951
« L'Education
devrait être d'abord enrichissement et épanouissement, préparation, par la vie, à
l'activité humaine et libérée à laquelle nous aspirons tous.
C'est une entreprise
considérable, mais vitale, qui appelle la conjonction compréhensive de tous les ouvriers
dévoués à l'éducation de nos enfants. »
Si vous désirez
construire une maison commode et agréable, vous cherchez un entrepreneur non seulement
habile et compétent, mais ayant du goût et, aimant son métier.
Et l'entrepreneur vous
dira que si on veut de bons ouvriers, il faut les payer et leur permettre de travailler
dans des conditions qui les satisfassent.
Ce qui vous paraît
juste et normal.
Si vous
voulez faire une plantation de pêchers ou de vignes, vous ne vous adressez pas au premier
venu, même s'il fait état de diplômes attestant qu'il connaît l'orthographe et
l'histoire. Il vous faut un ouvrier qui ait appris, théoriquement et pratiquement, à
planter des pêchers et des vignes.
Et vous ne lésinerez
pas sur le prix: il y va du sort et de l'avenir de votre plantation.
Si votre auto est en
panne, vous n'allez pas frapper à la première porte venue, qu'elle soit d'un droguiste
ou d'un opticien. Vous ne demandez même pas le tarif d'avance. L'essentiel est que l'auto
démarre et que vous puissiez poursuivre votre chemin.
Mais s'il s'agit de
votre enfant, qui vous est cependant plus précieux que la maison, les pêchers ou l'auto,
le hasard vous suffit. Vous le conduisez à la grille de l'école sans plus vous informer
des possibilités qu'il y trouvera de s'instruire et de s'éduquer, ni s'il aura un
instituteur titulaire, ou seulement un débutant désigné là parce qu'il a ses bachots,
qui n'a jamais fait classe, qui n'a jamais vu faire classe, et qui saura tout juste
appliquer à ses élèves les méthodes dont il a lui-même souffert. La bonne volonté de
ce suppléant n'étant d'ailleurs pas en cause. Nous disons seulement qu'elle ne peut pas
suffire lorsqu'il s'agit d'un métier aussi important et aussi décisif que celui
d'instituteur.
Vous abandonnez votre
enfant à la porte de l'école. Comment le traitera-t-on ? Par quelle méthode ?
Avec quels produits ? Comme il ne s'agit ni de votre maison, ni de vos pêchers, ni
de votre auto, vous ne vous posez même pas la question. S'il est intelligent, vous a-t-on
promis, il arrivera. Mais peut-être aussi vous retournera-t-on dans quelques années, un
être mal construit, mal formé, ou déformé. Et vous ne maudirez ni l'Ecole, ni
l'inadaptation de ses locaux, ni la surcharge des classes, mais le maître qui n'a pas
opéré le miracle que vous attendiez.
Et qui est cet
instituteur ? Comment travaillet-il ? Dans quelle atmosphère ? Selon quelles
techniques
Voudriez-vous seulement
être à sa place ?
Vous êtes excédé de
vos petits diables qui vous font tourner la tête durant tout le jeudi ! Ne vous
êtes-vous jamais demandé si par hasard, quarante petits diables semblables ne font pas
tourner la tête à l'éducateur ?
Il a des secrets,
pensez-vous, pour les faire rester tranquilles et la discipline, les punitions. Et si par
hasard ce jeune maître ne connaissait pas encore ces secrets et s'il en était réduit à
se démener comme vous, à faire front, sans expérience ni directive, jusqu'à en être
exténué
Vous êtes exigeants
quant aux résultats, et vous avez raison. Votre enfant doit savoir lire à la fin de
l'année, ou entrer en 6e, ou se présenter au Certificat d'Etudes. Mais
l'instituteur est-il techniquement en mesure d'obtenir ces résultats ? Dispose-t-il
de la place indispensable, des outils et des instruments nécessaires et pas n'importe
quels outils, mais ceux qui donnent goût au travail parce qu'assurant une digne
réussite ?
En voilà des
questions, direz-vous. Et qui ne sont pas de notre ressort. A l'Education Nationale de
garantir une formation satisfaisante. Mais si le service est mal assuré, si l'instituteur
est débordé, si les outils dont il dispose sont inefficaces, que fera-t-il ? Et que
ferez-vous ?
Si on ajoute que ce
même instituteur débutant, qui a peut-être la responsabilité éducative de votre fils
gagne moins que votre valet de ferme, ou que l'apprenti boulanger, vous aurez une idée
des problèmes vitaux que vous avez à connaître pour essayer de leur trouver une
solution.
C'est une
entreprise considérable, mais vitale, qui appelle la conjonction compréhensive de tous
les ouvriers dévoués de l'éducation de nos enfants.
NE
TIREZ PAS SUR LE LAMPISTE-ÉDUCATEUR !
Vous qui n'êtes pas
toujours satisfaits des services de l'Enseignement, et qui avez donc raison de manifester
vos soucis et vos craintes, ne tirez pas trop sur le lampiste-éducateur.
Si nous cherchions
ensemble les responsabilités ?
Admettons d'abord - et
cela ne fait pas de doute - que le métier d'éducateur n'est pas un métier comme les
autres. On y travaille une matière éminemment difficile et capricieuse, qui ne réagit
jamais comme prévu, qui sommeille à contretemps, ou bouillonne, explose ou éclate. Une
matière qu'il faudrait donc saisir précautionneusement, avec des mains patientes et
expertes, dans des ateliers et des creusets spécialement prévus pour les opérations
vivantes à conduire.
Vous savez, vous, ce
qu'on attend de votre travail et vous êtes fiers d'avoir produit la pomme de terre ou le
raisin, le poste à transistor ou l'auto. L'éducateur ne voit jamais avec sûreté le
résultat de son action. On lui demande tout à la fois de former le raisonnement et le
jugement, le sens moral et civique, et aussi, contrariant parfois ces buts, d'enseigner ce
qu'on ne doit pas ignorer : le calcul et les sciences, le français et l'orthographe,
l'histoire et la géographie, la musique, la gymnastique et le travail manuel. C'est comme
si on exigeait de votre usine qu'elle fabrique des casseroles et des montres, des paniers
et des livres, des brouettes et des machines électroniques.
Et s'il n'y réussit
pas - on ne verra d'ailleurs le résultat que dans dix ans - la faute en incombe au
lampiste : il ne se donne pas assez de mal, il explique trop ou pas assez, n'a pas de
discipline ou exagère son autorité !
Avez-vous remarqué que
les paysans se plaignent de leurs champs infertiles trop difficiles à travailler, que les
ouvriers pestent contre leur « boîte » si mal équipée qu'ils ne peuvent
jamais y faire le bon travail qu'ils souhaiteraient, mais que ni les uns ni les autres ne
s'en prennent jamais qu'à l'école des difficultés dont souffre l'éducation de leurs
enfants. C'est le maître qui est responsable : paresseux, ou faible, ou sans
enthousiasme, ne sachant pas présenter les choses, ni donner à chacun la pitance qui lui
revient. Sus au lampiste qui n'a pas agité à temps sa lanterne ou qui a manqué de
décision pour fermer la barrière.
Nous ne voulons pas
dire que la valeur de l'homme soit indifférente au succès de sa mission. Le bon paysan
et l'ouvrier habile marquent de leur talent et de leur obstination luvre à
laquelle ils sont attachés.
Mais l'imperfection de
l'attelage, l'insuffisance de fumure, la déficience des machines s'inscrivent aussi d'une
façon souvent décisive dans le complexe de la production et vous en avez conscience.
Les éléments
d'installation, d'équipement et d'organisation, avec les méthodes correspondantes jouent
au même titre, sinon plus, pour l'école de vos enfants.
Les bâtiments sont-ils
bien construits, avec de l'espace, de l'air et du soleil ? Maîtres et élèves y
sont-ils à l'abri du bruit, ces ennemis n°1 de notre commun équilibre ?
Peuvent-ils y travailler en paix ? A cet effet, l'Ecole est-elle équipée des outils
de travail nécessaires, non seulement de manuels, de porte-plumes métalliques,
d'ardoises et de cahiers vieux de cent ans, mais d'imprimeries, de limographes, d'outils
à graver et à découper, d'appareils de projection et de magnétophones, de fichiers, de
scies et de marteaux - ces outils élémentaires de notre époque - pour un travail qui
signifie enfin quelque chose, qui ne soit pas seulement un stérile exercice mais
s'inscrive noblement dans les processus de création et de production enthousiasmants et
bénéfiques ?
Ne tirez pas sur le
lampiste ! Peut-être a-t-il tout simplement trop d'enfants à surveiller, ce qui lui
vaut non seulement une attention, mais une lutte de tous les instants, qui l'épuise
jusqu'à la dépression nerveuse et la maladie. Etes-vous entré seulement dans une classe
surchargée où l'instituteur ou l'institutrice doivent tenir, attentifs et silencieux, 35
à 50 bambins qui, physiologiquement ne peuvent supporter l'immobilité et la
passivité ? Comme si on vous lançait au hasard dans une salle pleine à craquer de
machines qui tourneraient anarchiquement et dont vous ne parviendriez point à rétablir
le rythme. On voit cela dans les cauchemars. L'Ecole surchargée est un de ces cauchemars.
Entrez dans une école
au moment de la récréation. Si les enfants y jouent calmement et sans nervosité
excessive, parmi les massifs de verdure et les recoins paisibles, c'est que l'Ecole est à
leur mesure, et les instituteurs s'efforcent alors de s'incorporer à cette mesure. Si la
cour de récréation est comme une fosse aux ours où des enfants déchaînés s'agitent
avec des gestes déséquilibrés, sous la surveillance résignée d'hommes que vous
plaindrez, alors il y a danger, pour vos enfants, et danger pour les maîtres aussi. Il y
a des choses à changer, même si l'école est neuve et reluisante de peinture et de
chaux.
Voudriez-vous être le
lampiste ? Accepteriez-vous de tenir tête à ces quarante bambins de la classe,
parmi la nervosité et le bruit d'une usine organisée pour le travail à la chaîne et
non pour la formation efficiente des hommes de demain ? Accepteriez-vous d'être le
surveillant de la fosse aux ours ?
C'est peut-être aussi
parce que le métier est trop inhumain qu'on s'y presse si peu à l'embauche, et que ceux
qui y sont condamnés sont souvent contraints de chercher des gagne-pain supplémentaires
ou des dérivatifs. Aux dépens bien sûr de la formation de vos enfants.
Il faudrait que nous
puissions discuter ensemble des conditions d'instruction et d'éducation, voir en commun
les insuffisances, les défauts et les dangers de la machine, et tâcher ensemble d'y
parer.
S'ils se sentaient
mieux équipés, mieux aidés, les éducateurs de vos enfants travailleraient eux aussi
dans une atmosphère d'équilibre et de paix, qui serait profitable à tous.
Nous sommes à pied
duvre pour l'équipement de ces écoles, pour la pratique de méthodes et de
techniques dignes de notre ère atomique. Et nous trouverions suffisamment d'hommes et de
femmes généreux pour se donner avec enthousiasme à ce qui devrait être le plus beau
des métiers.
Il y
faudrait certes ce qu'on ne ménage ni pour la bombe atomique ni pour la guerre, des
constructions, des machines, de l'outillage, des écoles de formation et des stages. C'est
tout cela que vous devez exiger car il y faut de l'argent, des crédits, de la
compréhension, de l'audace et de l'humanité. L'Ecole laïque républicaine est à ce
prix.
FAUT-IL
PUNIR LES ENFANTS ?
Je sais bien. Les
personnes qui se veulent raisonnables répondront, outrées : Assurément !
Comme si la question valait même d'être posée ! Drôle d'éducation que celle qui
laisserait les enfants libres de faire ce qu'ils veulent, les préparant fort mal ainsi à
une vie où ils auront pourtant à se plier et à obéir.
Si on vous
demandait : Faut-il soigner les enfants ? Vous diriez : s'ils sont malades,
certes. Et encore voudriez-vous rechercher les remèdes qui risquent de les guérir. Si
ces remèdes ne produisent qu'un choc passager, susceptible d'aggraver ensuite les
rechutes, vous hésiterez, vous laisserez faire la nature, ou bien vous étudierez la
possibilité d'autres solutions.
Mais il vaudrait mieux,
évidemment, que vos enfants ne soient point malades : qu'on leur évite les
indigestions, qu'on les empêche de prendre froid qu'on les aguerrisse peut-être aussi à
résister au mal par l'air pur, la gymnastique, le travail et la vie autant que possible
naturels.
S'il faut soigner les
enfants, c'est que quelque chose a cloché dans leur mode de vie ; s'il faut punir
les enfants, c'est que le milieu et le travail auxquels nous les avons contraints ont
perturbé de même leur comportement. La sagesse voudrait que nous normalisions alors le
fonctionnement des divers mécanismes, y compris le mécanisme familial et social, afin
d'éviter les erreurs qui risquent de nécessiter les interventions plus ou moins brutales
des éléments extérieurs.
La médecine et les
opérations ne sont que des pis aller pour les cas regrettables où l'on n'a pas su
éviter la Maladie. La science tâche du moins de moderniser sans cesse ses techniques
pour en améliorer l'efficacité.
Les
punitions ne sont de même que des pis-aller pour les cas regrettables où l'on n'a pas su
éviter les erreurs de comportement. Mais dans ce domaine hélas ! on ne cherche
point à innover ou à moderniser tirez-lui les oreilles... Donnez-lui une bonne fessée,
envoyez-le coucher sans souper ! Cent lignes ! rugit l'éducateur, dix verbes,
le bonnet d'âne, le piquet ou la pelote dans la cour. Nous avons tous connu ces
procédés vieux comme l'Ecole. On nous en a dénonce bien souvent l'inutilité et la
nocivité. On sait que l'enfant s'habitue à la fessée, aux lignes et aux verbes qui font
partie d'un appareil répressif qui perturbe son affectivité et trouble ses réactions.
Mais ces réalités
mériteraient d'être mieux connues, pour qu'on ne continue pas à employer des remèdes
qui sont pires que le mal. Il faudrait entreprendre méthodiquement des recherches
scientifiques pour mesurer le rendement de ces procédés qui se veulent correctifs, comme
on étudie le rendement des traitements médicaux qui peuvent enrayer ou surmonter la
fièvre ou la tuberculose. On vérifierait alors s'il est exact, comme nous croyons
pouvoir l'affirmer, que les punitions ne guérissent jamais les enfants, et qu'elles sont
donc à proscrire en plaçant dessus l'étiquette rouge : DANGEREUX.
Et pourtant,
penserez-vous, quand l'enfant désobéit ou se livre à des actes intolérables, faut-il
le laisser faire ? Certainement non, et vous agirez à votre guise en sachant bien
que, par votre faute souvent, ou par faute du milieu, vous avez poussé l'enfant dans une
impasse. Il vaudrait peut-être mieux étudier comment sortir honorablement de cette
impasse, plutôt que de se battre contre des impondérables qui vont nous meurtrir
peut-être définitivement.
Ce sont ces questions
excessivement délicates, que nous ne pouvons souvent pas résoudre par nous-mêmes, qui
devraient être étudiées scientifiquement pour que nous sachions mieux, en toute
occurrence, éviter la maladie si possible, du moins en éviter l'aggravation et en
préparer la cure.
Il y a urgence à
entreprendre cette étude, car plus que jamais la punition venue de l'extérieur, comme
acte d'autorité, parfois même de brutalité, est une arme dangereuse qu'il faut tâcher
d'éviter.
Et nous l'éviterons en
modifiant les conditions de travail et de vie dans le milieu familial et scolaire en
créant une autre atmosphère, d'autres normes de relations entre enfants et adultes, en
substituant au pouvoir souverain d'un maître omnipotent, la collaboration, la
coopération pour notre commune culture, pour la formation en l'enfant, de l'homme de
demain capable d'appréhender avec efficience le monde complexe et exigeant de l'ère
cosmique.
Ainsi donc les lignes
et les verbes, les mauvais points, le piquet et le bonnet d'âne, lorsque ce n'est pas la
« pelote » dans la cour, ne suffisent pas à prévenir ou à guérir
l'épidémie de Tricheurs et de Blousons noirs ? La police se mobilise
et une revue pédagogique suisse - ce pays de démocratie et de liberté ! - ose
écrire aujourd'hui : « Remettons en honneur la fessée !... Dans nos
relations avec les pères et mères de nos élèves, rien ne nous empêche de recommander
la verge comme ultime moyen de discipline ».
S'il faut vraiment en
revenir là, s'il nous faut faire ce bond en arrière de quatre-vingts ans, c'est à
désespérer de l'éducation, c'est à désespérer de la démocratie.
Car
enfin, vous n'avez pas la naïveté de penser qu'avec des verbes, le bonnet d'âne, la
pelote et la fessée, vous allez préparer les citoyens de demain d'une libre démocratie.
Vous formez, à n'en pas douter, des serfs taillables et corvéables, qui plieront la
tête devant le seigneur ou les gendarmes, en serrant les poings et en préparant leur
revanche, qui sera la Jacquerie ou les exploits de la bande.
Les enfants
que vous avez commandés avec une inhumanité qui leur est une intolérable humiliation,
voudront commander demain à leur tour avec la même brutale autorité. C'est une
réalité naturelle dont seuls des hypocrites peuvent faire semblant de s'émouvoir.
La discipline
autoritaire, tant à l'Ecole que dans la famille, c'est une préparation indirecte mais
sûre à l'asservissement, à la dictature et au fascisme. C'est par la liberté qu'on
prépare à la liberté ; c'est par la coopération qu'on prépare à l'harmonie
sociale et à la coopération; c'est par la démocratie qu'on prépare à la démocratie.
Ce sont ces réalités,
plus parlantes que la trilogie : Liberté - Egalité - Fraternité, qu'on
devrait inscrire au fronton de nos établissements scolaires pour en aviser et en
prévenir éducateurs et usagers.
Ils sont trop jeunes,
objecte-t-on, Ils ne savent ni s'organiser ni se diriger. Il leur faut pour l'instant des
maîtres sévères qui décident pour eux et sachent se faire obéir.
Méfiez-vous !
C'est avec de tels
arguments que l'ancien régime condamnait d'avance la chimérique entreprise des
révolutionnaires de 89, et que nos colonisateurs ont maintenu si longtemps dans
l'esclavage des peuples qu'on disait incapables de s'administrer sans l'aide et la
direction ferme de leurs maîtres.
Aujourd'hui, d'autres
révolutions sont venues parachever le geste libérateur de 1789 en encourageant les
peuples à reconquérir liberté et autonomie.
L'Ecole
préparera-t-elle la démocratie de demain ou justifiera-t-elle les dictatures ?
Le chur des
éducateurs - parents et maîtres élève alors la voix avec véhémence, comme un
apprenti cocher qui aurait perdu son fouet, avec lequel il excitait son cheval de bois.
- Et s'il n'y a pas
d'autre moyen pour maintenir l'indispensable discipline !
C'est que, justement,
il y a aujourd'hui d'autres moyens, et qui ont fait leurs preuves. La coopération et la
démocratie peuvent être instituées à l'Ecole ; une discipline nouvelle du travail
peut redonner aux enfants cette conscience de leurs droits et de leurs devoirs, sans
laquelle la liberté ne saurait être qu'un piège ou qu'un leurre. L'Ecole peut et doit
désormais former des hommes.
Il y faut certes, une
autre forme d'organisation et de travail, une nouvelle atmosphère née de relations plus
humaines entre éducateurs et éduqués. Il faudra, dans les familles, rompre avec un
passé de servitude dont nous reforgeons diaboliquement les chaînes à chaque
génération. L'Ecole peut et doit préparer les citoyens et les coopérateurs.
C'est parce que le bruit court, comme une
traînée de poudre, que des temps sont révolus et qu'une forme de vie plus humaine se
prépare et s'annonce, que s'agite le monde des enfants et des adolescents comme
bouillonnent aujourd'hui, tout près de nous, les pays d'Afrique Noire
qui voient se lever à l'horizon le drapeau de la liberté.
Il faudra bien qu'on
admette enfin que la violence, les punitions, la verge ou la fessée ne paient pas, et ne
sauraient être une solution digne des proches avenirs.
Méfiez-vous de
l'illusion et de la griserie de l'autorité, de l'obéissance condescendante d'hommes et
d'enfants qui baissent la tête mais dont le cur s'emplit de reproche et de haine.
En aucun cas, et quoi
qu'il y paraisse, la punition bénigne ou brutale n'est une solution efficace aux
problèmes posés par l'Ecole et la Vie, par l'Ecole dans la Vie. Elle est peut-être une
solution apparente, comme le couvercle qui ferme d'autorité la marmite prête à
déborder, mais qui n'en débordera pas moins si vous ne parvenez à apaiser le feu qui
l'agite et la met sous pression.
Les punitions -
qu'elles soient bénignes ou inhumaines - sont des solutions pour les siècles
d'autocratie. Il nous faut mettre à l'honneur la discipline nouvelle de la liberté et de
la démocratie.
TROISIÈME PARTIE
C'est parce que nous
sommes convaincus du rôle essentiel que, vous pouvez jouer, au sein de la démocratie,
dans le vaste domaine de l'éducation qu'ont été écrites ces « Pages aux
parents » qui vous concernent.
Elles évoquent les
aspects familiers de la vie scolaire et familiale au sein desquelles se fait l'essentiel
de l'éducation de vos enfants. Elles sont là pour vous faire sentir combien votre action
est complémentaire de l'action de l'Ecole combien l'action de l'Ecole est dépendante du
milieu social combien elle devrait être liée au progrès technique qui nécessairement
hâterait son évolution vers le progrès pour préparer en l'enfant l'avenir de l'homme.
Elles sont là, pour vous demander de prendre vos responsabilités face à cet avenir qui
vous concerne puisqu'il est celui de vos fils.
E.F.
A la recherche pratique
d'une conception d'éducation populaire, intéressante, efficiente, humaine.
Le travail en sera tout
à la fois la base et le moteur.
C. FREINET
L'Education du Travail.
D'ABORD, BIEN POSER
LES PROBLÈMES D'UNE
ÉDUCATION
LES ENFANTS NERVEUX
Au lendemain des
vacances, vous nous amenez vos enfants avec un soupir de soulagement :
- Il me fait
damner !... Il est tellement nerveux !
Le malheur pour nous,
c'est que l'enfant est nerveux à l'école aussi, qu'il ne peut rester en place, qu'il
renverse l'encrier, tache le cahier du voisin, distribue généreusement griffes et coups
de pied pour finalement éclater en sanglots. Et cela suscite dans nos classes les mêmes
drames qu'à la maison, à peine atténués par notre discipline coopérative qui en est
parfois dangereusement troublée.
Il est nerveux !..
Or, sauf dans les cas
graves d'enfants profondément atteints et qui relèvent alors des écoles spéciales, la
nervosité se pévient et se guérit.
Une des causes la plus
fréquente de cette nervosité, c'est l'alimentation défectueuse et notamment au moment
des fêtes de fin d'année, l'abus des gâteaux et des sucreries qui sont de véritables
poisons.
Réduisez et, si
possible, supprimez cette consommation de sucreries, remplacez les gâteaux de pâtissiers
par des préparations familiales, et les bonbons par de bons fruits naturels de votre
pays. Vous verrez s'atténuer et peut-être disparaître cette nervosité qui n'est que la
réaction de défense d'un organisme gui lutte pour rétablir son indispensable
équilibre.
La nervosité n'est que
la conséquence de graves erreurs que vous vous devez de corriger si vous voulez faire de
vos enfants des hommes capables d'affronter la vie avec élan et efficience.
Des comités de
surveillance se sont constitués pour exiger le vote de lois, pas toujours bien
appliquées, hélas ! qui sont destinées à lutter contre l'empoisonnement moral par les
journaux et le film.
Des comités de
surveillance, des lois sévères et justes seraient tout aussi nécessaires pour
surveiller la fabrication et la vente des sucreries suspectes qui empoisonnent
physiologiquement nos enfants.
En attendant, et durant
les fêtes surtout, remplacez autant que possible les sucreries nocives du commerce par
des gâteries que vous préparerez vous-mêmes avec les produits naturels et sains qui
laisseront libres le corps et l'esprit de vos enfants.
Une atmosphère plus
harmonieuse, une discipline et un travail scolaire plus humains et plus efficients seront
la récompense de vos efforts.
UN BON TRAVAIL SCOLAIRE
SUPPOSE UNE BONNE SANTE
La chose devrait
paraître si naturelle !
Vous savez bien que si
l'arbre pousse en un sol très aride, s'il n'est pas suffisamment fumé et arrosé, il ne
donnera qu'une récolte rare et des fruits rabougris. Et vous riez du novice qui,
négligeant les soins indispensables, aurait la prétention de stimuler les fleurs et de
forcer les bourgeons.
Avant de dresser votre
chien de chasse, vous lui donnez nerfs, vigueur et santé. Et si votre chien est malade,
vous vous préoccupez de le guérir avant de repartir en campagne, parce que vous savez
qu'il ne ferait rien de bon en cet état.
Et vous-mêmes ne
dites-vous pas, quand la migraine vous domine ou qu'une rage de dents vous accable :
« Rien à faire pour l'instant... Attendez que j'aille mieux ! »
Vos enfants ne font pas
exception. S'ils sont en bonne santé, il nous sera facile de faire éclore, en
intelligence et en savoir, les promesses qui sommeillent dans chaque enfant. Mais s'ils
ont mal dormi, s'ils ont mal mangé, ou s'ils ont faim, si une douleur, dont ils n'ont pas
toujours conscience, limite leurs réactions vitales, nous avons beau faire, déployer un
maximum d'ingéniosité, essayer de les intéresser, les menacer ou les punir, ils ne
donneront à leur travail qu'une infime partie de leur attention ou de leur énergie. Vous
vous plaindrez et vous nous accuserez peut-être de négligence ou d'incompétence.
Oui, la première des
conditions pour un bon travail scolaire, c'est une bonne santé. Si, par notre souci
commun de la respiration, de l'alimentation, de l'hygiène et de l'exercice, nous donnons
à nos enfants un maximum de vitalité, nous connaîtrons la satisfaction du mécanicien
qui, après avoir nettoyé les rouages de sa machine, renforcé les parties faibles,
vérifié l'allumage et l'alimentation, peut alors, avec une auto régénérée, partir
hardiment à l'assaut des rampes.
Donnons vigueur et
santé à nos élèves : il nous sera facile de les entraîner vers les sommets que
sont l'éducation et la culture.
POUR UNE ECOLE DIGNE
Quand, pour les
préparer à la rentrée, vous conduisez vos enfants chez le coiffeur, vous êtes
exigeants, et avec raison, sur la propreté de l'atelier, sur la clarté des glaces et le
brillant des outils. Et vous choisissez le soir le cinéma dont les fauteuils sont les
plus confortables et l'éclairage satisfaisant.
Mais quand il s'agit de
l'école où vos enfants vivront et travailleront pendant six heures par jour pour devenir
des hommes vous auriez tendance à dire passivement : De notre temps, nous n'avions
pas de chaise, les fenêtres étaient hautes et étroites, la plume et le crayon étaient
nos seuls outils, et ma foi cela ne nous a pas empêché d'apprendre à lire... De notre
temps ! ...
De votre temps, vous
partiez en char-à-bancs et vous attendez aujourd'hui devant la porte le car qui vous
paraît le mieux aménagé.
Pourquoi l'Ecole ne
serait-elle pas propre, coquette et même luxueuse comme le sont les plus modernes des
maisons ouvrières. On considère comme un scandale qu'il y ait encore des familles de 6
à 7 enfants logeant dans une seule pièce, mais on trouve normal que 30 à 40 élèves
s'entassent dans une classe sans air ni soleil.
Ne serait-il pas urgent
de donner à l'école de vos enfants les locaux multiples avec ateliers de travail dont
elle a besoin comme l'usine moderne a besoin de ses constructions strictement calculées
sur les exigences du travail ?
On classe certaines
églises comme monuments historiques.
Ne devrions-nous pas
avoir à l'honneur de faire de nos écoles les centres d'éducation moderne, bien
équipés, propres et ensoleillés, et qui plus est, artistiquement aménagés et
décorés, des écoles où on entrerait avec respect, dont la seule atmosphère serait
élévation, des écoles que les élèves devenus hommes visiteraient plus tard avec la
fierté de ceux qui ont participé à une oeuvre durable qui honore l'humanité.
Cette école digne du
peuple, nous pouvons la réaliser si nous en comprenons la nécessité et si nous savons
nous unir, parents, enfants et éducateurs, pour la plus utile des tâches.
LES LOCAUX SCOLAIRES
Quand votre troupeau de
brebis s'accroît, vous trouvez naturel et raisonnable de construire ou de louer une autre
étable, car vous savez que vos bêtes dépérissent si elles n'ont pas un minimum
d'espace et d'air.
Si vous achetez un
cheval, vous prévoyez sa place à l'écurie, car vous ne voulez pas risquer ruades et
accidents.
Quand le nombre
d'élèves augmente dans votre école, il vous faut de même prévoir ou un aménagement
des locaux ou des constructions nouvelles. Au-delà d'un certain effectif, que les
éducateurs et les médecins sont en mesure de déterminer, il y a danger à entasser les,
enfants dans des salles qui ne sont pas destinées à les accueillir. Il y a danger au
point de vue hygiénique comme au point de vue humain et naturellement au point de vue
pédagogique.
Et ce n'est pas
tout : l'Ecole n'est pas seulement garderie; elle est lieu de travail.
L'ouvrier a besoin
d'avoir du large autour de son établi. Les enfants ont besoin aussi d'espace à leur
table, autour de leur table, autour de l'imprimerie, de la bibliothèque et des fichiers
qui sont leurs outils de travail.
Vous devez
obligatoirement assurer pour l'école de vos enfants ces conditions minima sans
lesquelles, malgré notre meilleure volonté et notre dévouement, nous ne pourrons pas
travailler normalement et avec efficience.
Si le nombre maximum
d'élèves est atteint dans nos classes, si un excédent de naissances annonce
l'accroissement imminent de la population scolaire, vous nous aiderez à réclamer pour
vos enfants des locaux supplémentaires, spacieux et sains, qui soient de bons ateliers
où l'on travaille avec plaisir et profit, comme vous tenez à travailler vous-mêmes avec
plaisir et profit aux champs, dans les bureaux ou à l'atelier.
Pas de crédit, vous
objectera-t-on. Il ferait beau voir que, dans notre riche pays de France, on ne puisse pas
assurer à nos enfants, qui sont l'espoir de demain, l'installation élémentaire qu'on ne
ménage ni aux moutons ni aux chevaux, et qu'on continue à sacrifier aux oeuvres de
destruction les fonds qui serviraient si utilement nos oeuvres de vie.
UNE ATTITUDE HUMAINE
Papa,
explique-moi !
C'est votre gamin qui
vous tire par la manche pendant que vous vous absorbez dans la lecture de votre journal.
- Papa, explique-moi,
s'il te plaît !...
Neuf fois sur dix, vous
répondez, rageur :
- Ah ! laisse-moi
tranquille, à la fin ! ...
Et votre enfant,
déçu, refoulera dangereusement une curiosité qui ne demandait qu'à être satisfaite.
- Maman, je lave la
vaisselle, tu veux ?...
Et quand la petite
ménagère, perchée sur une chaise, pose sur l'évier la première assiette, vous vous
précipitez :
- Petite
malheureuse ! Veux-tu descendre ?... Tu vas me casser toute la vaisselle !
Et c'est, pour la
fillette, la déception et les larmes.
Prenez donc, avec vos
enfants, une attitude humaine répondez à leurs questions, encouragez-les et aidez-les
lorsqu'ils veulent travailler. Rappelez-vous que l'Education est, d'abord, une longue et
patiente expérience et que ce n'est pas par des Défenses mais par
l'action que vous avancerez hardiment sur le chemin de la vie.
En remplissant
pleinement votre rôle de parents, vous comprendrez pourquoi nous plaçons l'expérience
et le travail à la base de notre pédagogie et vous nous donnerez alors votre permanente
collaboration dans luvre d'éducation de la génération qui monte.
LES JOURNAUX D'ENFANTS
Vous donnez 15 francs à votre
enfant. Il a le choix entre une brioche et un journal. Il choisit le journal.
Mais avez-vous jeté un
coup dil sur la feuille qu'il achète : aventures de gangsters, hommes
bâillonnés, coups de revolvers et de mitraillettes, dessins hauts en couleurs mais
abracadabrants, d'où toute intelligence est exclue.
C'est sans conséquence
à cet âge, penserez-vous. L'enfant passe à la lecture de ces journaux d'agréables
moments, comme au cinéma, mais à moins de frais. Pendant ce temps, il vous laisse la
paix.
Accepteriez-vous qu'un
adulte donne ainsi à votre enfant les exemples les plus déplorables ? Et
n'êtes-vous pas quelque peu effrayés parfois de voir cette génération à laquelle la
guerre a donné déjà de si funestes exemples, se passionner à des jeux qui ne sont que
le prélude du vol et du crime ?
Vous comprenez
certainement qu'il faut d'autres voies pour l'éducation des enfants.
Certes, il vous sera
difficile d'interdire d'autorité l'achat de journaux immoraux et dangereux. Vos enfants
les achèteraient et les liraient en cachette, ce qui ne serait qu'une circonstance
aggravante.
Mais ce que vous pouvez
et devez faire, c'est d'intervenir auprès des Pouvoirs publics, en accord avec toutes les
associations qui comprennent l'urgence morale et sociale de cette action, pour qu'on
interdise l'édition et la vente des publications nocives pour les enfants.
Il
faut faire plus encore : il ne suffit pas d'interdire, il faut créer pour les
enfants des journaux qui les passionnent, mais qui les éduquent aussi et les forment. Il
faut répandre les journaux qui, dans des conditions excessivement difficiles, se risquent
à cette oeuvre d'honnêteté et de propreté, soutenir et encourager enfin les journaux
scolaires que nous publions et qui sont l'embryon de cette littérature saine et dynamique
au service des enfants du peuple.
ON SE MOQUE DE NOUS
J'ai acheté aux
Uniprix, pour une étrenne de Noël, un appareil de cinéma qui projette effectivement des
images et animées, avec de vrais films, et qui est, dans sa conception, une petite
merveille d'ingéniosité et de simplicité.
Seulement, voilà,
parce qu'il fallait vendre cet appareil 1000 francs, ce qui ne laissait qu'une marge de
quelques centaines de francs à l'inventeur et au producteur, nous n'avons que quatre
morceaux de mince tôle emboutie avec deux engrenages rudimentaires et un film dessiné
sur papier pelure.
J'ai essayé de faire
fonctionner l'appareil. Non, un enfant ne le manuvrera pas plus de cinq minutes.
Après, bien sûr, les
parents sermonneront :
- Tu as déjà
détraqué ce beau cinéma de mille francs ! Tu casses tout !
Et les psychologues
vous expliqueront, documents à l'appui que l'enfant a l'instinct de destruction.
Que penseriez-vous si
des parents ou des amis vous offraient un poste de radio dans une belle ébénisterie mais
qui se contenterait de crachoter quelques minutes, une auto bien peinte mais qui ne
marcherait qu'à la descente, ou un instrument de musique aux notes fausses ?
Vous diriez: ils se
sont moqués de nous !
Il fut un temps où on
offrait aux nouveaux mariés des cadeaux spectaculaires mais sans utilité pratique.
L'habitude est prise aujourd'hui de penser d'abord à ce qui peut aider et satisfaire un
jeune ménage.
Si les parents le
voulaient, et nous nous y emploierons, les magasins nous offriraient eux aussi des
étrennes vraiment utiles qui feraient dire à nos enfants :
- Ils ne se sont pas
moqués de nous !
NOTRE ECOLE EST DANS LA
VIE
Que penseriez-vous si
on vous disait qu'il existe un pays où tous les restaurants sont soumis à la même loi,
où un règlement établi par la capitale prévoit des menus tous semblables, préparés
par des professeurs et des administrateurs qui ne tiennent aucun compte ni de la
diversité des productions nationales, ni du goût et de l'appétit des clients ?
Ne trouveriez-vous pas
normal que les gens soumis à ce régime boudent à l'alimentation qu'on leur impose et
réclament des mets à leur convenance; qu'ils s'ingénient à échapper à la dictature
d'une organisation irrationnelle et inhumaine, qu'ils dépérissent parfois, à moins
qu'ils ne cherchent et ne trouvent ailleurs les aliments dont ils ont fonctionnellement
besoin et que l'administration ne saurait leur apporter ?
Ce que nul n'oserait
faire pour l'alimentation physiologique des individus, tellement la conception en est
anormale et dangereuse, l'Ecole Française l'avait réalisé pour l'alimentation
intellectuelle et morale de vos enfants.
Les programmes et les
horaires étaient établis par Paris ; les livres étaient écrits et édités à
Paris et, comme ils devaient être théoriquement valables pour toute la France, ils
n'étaient jamais à la mesure ni au goût de nos enfants. Une telle école aboutissait
obligatoirement à la sous-alimentation intellectuelle des élèves, à un gaspillage
inhumain des possibilités individuelles, locales et régionales, à la désaffection des
individus pour l'instruction, la culture et le travail qui devenaient une obligation
pénible et ingrate alors qu'ils devraient être un enrichissement et une joie.
Nous ne négligerons
aucun des conseils ou directives qui peuvent nous venir de Paris, nous utiliserons au
mieux les mets que nous apportent les livres de la capitale. Mais c'est d'abord dans la
vie et les besoins de nos enfants dans le milieu qui les entoure - famille, village,
champs et bois et qui les baigne et les influence si totalement ; c'est dans
l'appétit naturel des enfants pour la connaissance, l'activité et le travail, que nous
irons chercher les vraies méthodes, vivantes et efficientes, de l'Ecole Moderne
Française.
Et
c'est pourquoi vous entendrez parler si souvent de texte libre et d'imprimerie, de journal
scolaire et de correspondance, d'enquêtes et de dessins. Mais vous verrez aussi vos
enfants se passionner pour une école qui saura enfin leur offrir la nourriture dont ils
ont besoin.
LECOLE TRADITIONNELLE A VECU
PLUS DE DEVOIRS DU SOIR
Donnez-leur beaucoup de
« devoirs » !...
Sous-entendu :
Pendant ce temps, ils ne nous ennuieront pas !
Et vous mesurez parfois
la compétence pédagogique et le dévouement de l'instituteur à la portion de besogne
dont il charge ses élèves à la sortie de l'école.
Nous sommes contre tous
« devoirs » du soir, parce que nous sommes contre tous devoirs scolaires,
c'est-à-dire contre ces tâches qu'on accomplit sans goût, ou du moins sans
enthousiasme, parce qu'on y est contraint.
Nous sommes contre ces
devoirs pour deux raisons :
La première, c'est que
si nos élèves ont travaillé sérieusement, pendant six heures, d'un travail
intellectuel plus épuisant que l'effort manuel, ils ont besoin de distraction et de
repos. Sinon, nous aboutirions au surmenage dont vous connaissez les méfaits.
La deuxième raison,
c'est que la façon dont nous comprenons la classe nous permet d'intéresser vos enfants
à une nouvelle forme de travail du soir dont vous apprécierez la valeur et la portée.
Vous avez vu vos
enfants, qui n'ont pas, le soir, quelques problèmes à faire, ou des leçons à étudier,
s'intéresser pourtant à divers aspects de la vie autour d'eux, à noter leurs
réflexions sur leur cahier. Ils vous interrogent; ils écoutent les grands-parents et ils
écrivent des textes qui seront imprimés dans notre journal scolaire. Ou bien ils
dessinent, ou gravent, ou bricolent pour continuer une oeuvre amorcée à l'école et
qu'ils ont à cur de terminer.
Vous dites souvent de
vos enfants : « Lorsqu'ils ont goût au travail... »
C'est bien cela :
s'ils n'ont pas le goût du travail, les devoirs du soir ne sont que des punitions qui ont
la portée et la valeur des punitions.
Mais si l'Ecole a
lancé vos enfants sur la voie féconde de l'activité vivante, ils continueront chez eux,
le soir, le travail que l'Ecole aura animé et motivé.
Ne les découragez pas
sous prétexte que ce travail n'a pas la forme classique des devoirs que vous faisiez
autrefois.
Aidez-les au
contraire ! Aidez l'Ecole à donner à vos enfants la joie de la connaissance et
l'amour du travail.
Et l'on va
loin, vous le savez, avec de telles conquêtes qui illuminent à jamais la vie.
NI NOTES NI CLASSEMENTS
Il n'y a ni notes ni
classement dans nos écoles. Et vous regrettez le temps où vos enfants vous revenaient,
le soir, avec, en mains, leur tableau de chasse:
- J'ai eu trois bons
points !... J'ai gagné deux places...
Mais le « mauvais
écolier », celui qui n'a pas de bon point, ou qui a reculé au classement - et il
faut bien qu'il y en ait qui reculent si d'autres avancent celui-là se cache,
dépité et honteux, ou se vante, ou ment, tout comme le chasseur qui s'en revient
bredouille de sa randonnée.
Vous dites qu'il faut
de l'émulation, et nous le pensons avec vous. Mais pour qui joue cette émulation, et qui
en est victime ? Pour deux ou trois têtes de classes orgueilleux de leur victoire,
combien de pauvres enfants découragés de leurs échecs s'en iront rejoindre la grande
armée des cancres qui réagiront à leur façon contre la position inférieure où vous
les aurez rejetés !
Il y a mieux à faire
et nous nous y essayons.
Les notes et les
classements sont établis avec une fausse mesure. Ce n'est pas parce que votre enfant
était parmi les derniers qu'il doit être condamné. Il nous suffira parfois de
découvrir ses aptitudes et ses vraies lignes d'intérêt pour lui redonner confiance et
préparer un bon départ.
Les notes et les
classements sont injustes. Ils récompensent le bon élève qui réussit sans effort et
punissent, et découragent le travailleur acharné qui n'a pas bonne mémoire ou qui
s'intéresse à des activités que l'Ecole juge superflues.
Nous voulons, nous, que
chaque enfant puisse avoir sa part de réussite et de succès.
Les notes et les
classements sont dangereux. Ils apportent dans notre école une atmosphère immorale de
mauvaise compétition, de tricherie, de marchandage et de jalousie.
Nous vous dirons
comment, sans rien négliger de tout ce qui peut encourager l'effort, nous nous appliquons
à faire de notre classe une grande communauté de travail où chacun peut, à quelque
moment, prendre la tête du peloton.
Et le travail
intelligent porte en lui-même sa récompense.
LES EXAMENS
Les examens
approchent : Vous tenez naturellement à ce que vos enfants les affrontent avec
succès, et vous savez combien nous nous en préoccupons.
Mais l'examen du
Certificat d'Etudes Primaires notamment, n'est pas toujours la sanction naturelle de toute
une scolarité appliquée. Il accorde une trop grande importance à l'étude des mots, des
formules, des dates, contenus dans les livres et ne tient pas assez compte des qualités
de travail que nous aurons cultivées, du raisonnement, du bon sens, de l'habileté
technique qui sont pourtant des éléments décisifs du succès dans la vie.
De ce fait, de très
bons élèves risquent d'échouer, ce qui ne les empêchera pas, d'ailleurs, de fort bien
affronter les exigences de la vie pour lesquelles nous les avons efficacement préparés.
D'autant plus que
l'examen comporte aussi une part regrettable de hasard et de chance. Ce qui n'est ni
rationnel, ni juste. Il est des enfants qui échouent dans un canton, alors qu'ils
auraient été reçus en bonne place dans le canton voisin. Dans une même localité, on
voit parfois les derniers de l'équipe réussir là où succombent les meilleurs élèves,
qui sont ainsi victimes - et leurs maîtres aussi - de l'imperfection technique de
l'examen.
Les instituteurs se
préoccupent d'ailleurs d'instituer des examens qui seraient la sanction juste et
méritée du travail des années de scolarité. En attendant, nous restons persuadés que
le goût au travail que nous nous appliquons à donner à nos élèves, leur curiosité,
leur passion de la recherche et de la connaissance restent la meilleure des préparations
et la plus efficiente, aux examens qui clôturent la scolarité primaire.
LES EXAMENS (suite)
-Les examens existent
et, même s'ils sont mal compris, il est naturel que vous teniez à ce que vos enfants y
soient reçus. Aussi l'Ecole ne néglige-t-elle rien pour parvenir à des résultats dont
elle ne sous-estime point la portée.
Les échecs sont
possibles, et il serait injuste d'en faire automatiquement retomber la responsabilité sur
les enfants eux-mêmes ou sur leurs maîtres.
L'échec au C.E.P.
signifie que l'enfant est déficient en face des épreuves de cet examen, ce qui ne veut
pas dire forcément qu'il est et sera déficient en face des épreuves de la vie.
Si l'examen était
logique et complet, il sanctionnerait non seulement la rédaction, l'orthographe et le
calcul épreuves majeures du C.E.P. - mais aussi et surtout l'intelligence, la curiosité,
la soif de connaître, le désir de chercher et aussi l'habileté manuelle, le sens
géographique, mathématique, scientifique ou mécanique, cette aptitude si précieuse
pourtant à aborder et à résoudre les problèmes qui se posent aux adolescents et aux
hommes d'un monde complexe et exigeant.
Un élève peut obtenir
son certificat; si cela doit signifier qu'« il a fait le plein », qu'il est
désormais incapable de faire aucun effort pour s'instruire et s'éduquer, il redeviendra
sous peu un ignorant, un demi-illettré, bien vite dépassé par celui qui, sans avoir obtenu le diplôme sait continuer à
« cultiver son jardin ».
« Dans la vie,
disait le père d'une candidate, ce n'est pas le certificat qui compte, c'est
l'instruction. »
C'est cette instruction
profonde et complète, qui les prépare à être des hommes efficients et utiles, que nous
nous appliquons à donner à nos enfants. Nous avons la satisfaction de dire qu'elle est
la plupart du temps la meilleure préparation au certificat d'études, comme à tous les
examens qui, par-delà les mots et les formules, savent juger et mesurer l'aptitude de nos
élèves et le travail positif des éducateurs.
SAVOIR PAR COEUR N'EST
PAS SAVOIR
Mais notre enfant ne
saura rien si vous ne l'obligez à apprendre par cur comme nous l'avons fait.
- Réfléchissez
vous-mêmes au profit que vous avez tiré de tant de leçons rabachées, de tant de
résumés péniblement étudiés et que vous ne récitiez sans faute que grâce à la
complicité de quelque souffleur bienveillant.
Mais ces résumés vous
ont-ils appris l'histoire, les explications vous ont-elles fait comprendre les sciences,
les définitions vous ont-elles familiarisés avec la géographie ? C'est comme si
nous demandions à l'enfant : maintenant que tu connais le nom des pièces de ta
machine et que tu as su réciter les principes essentiels de l'équilibre, te voilà un as
du guidon. L'enfant vous répondrait « Il me reste à apprendre à monter à
bicyclette ».
Nous enseignons à nos
élèves à monter à bicyclette, mais nous leur enseignons aussi à s'approprier le
savoir : ils fouillent les documents qui sont les pierres avec lesquelles se
construit l'édifice de l'histoire. Ils manient les outils et font des expériences parce
que sans expériences et sans travail il ne saurait y avoir de vraie culture scientifique.
Ils voyagent, ils échangent lettres et documents avec des camarades éloignés, ils
regardent photos et films qui sont l'image fidèle de la vie, et c'est ainsi qu'ils
apprennent vraiment la géographie. Ils écrivent et, sans définition grammaticale, ils
arrivent à se servir de la langue comme un bon cycliste maîtrise son vélo, même s'il
n'est pas initié aux secrets de la statique.
Il s'agit tout
simplement d'une autre forme d'enseignement dont nous pouvons vous garantir l'efficacité.
Les officiels la recommandent aujourd'hui, ce qui signifie qu'ils en ont reconnu la
supériorité et que vous pouvez vous aussi nous faire confiance.
FAUT-IL PUNIR ?
Vous n'aimez pas les
réprimandes. Et encore moins les punitions. Quand un gendarme vous a dressé
procès-verbal, même si vous étiez fautif, vous maudissez à jamais la police tout
entière.
L'enfant réagit comme
vous. Quand vous le réprimandez,, surtout s'il croit que c'est à tort, il voit rouge, il
s'insurge parfois violemment et risque de se mettre en dangereuse opposition avec toute
autorité.
Vous dites : il
faut bien le « dresser » ! D'abord êtes-vous sûr que l'enfant doive
être « dressé » ? Et si même, à certains moments du moins, il devait
être « dressé », croyez-vous que prennent la bonne voie les parents et les
éducateurs qui, imitant les gendarmes, sanctionnent systématiquement, et pas toujours
avec humanité, les fautes commises.
La punition n'est
jamais qu'un pis-aller. Elle est presque toujours une erreur.
Les brebis se mettent
en garde contre le chien qui veut les mordre, ou bien se sauvent, effrayées, sans savoir
où elles vont et se perdent parfois dans les précipices. Un bon berger évite toujours
ces extrémités. Il passe devant et conduit ses bêtes vers les gras pâturages où
l'indispensable discipline sera facile à maintenir.
Nous aussi, nous
passons devant pour montrer la voie. Nous organisons le travail et la vie de nos enfants.
Nous nourrissons leur naturel désir d'activité et d'efficience. Nous évitons les
sanctions de formelle autorité et nous instituons dans nos classes une discipline
nouvelle, que l'enfant comprend et souhaite et qui nous oriente vers la forme sociale de
liberté, d'égalité et de fraternité dont vous rêvez.
LA MANIERE FORTE
NE REUSSIT A PERSONNE
- Vous croyez avoir
triomphé de votre âne parce que, à grands coups de trique, vous lui avez fait
comprendre qu'il ne doit pas renverser cette barrière pour aller piétiner le champ de
luzerne fraîche.
Mais demain, l'âne
hâtera le pas et, avant que vous ayez pu lui donner le coup de bâton, il aura déjà
volé sa part de bonne luzerne.
- Ton chien de chasse
est raté, vous dira un éleveur. Tu n'en feras plus jamais rien. Tu n'as pas su t'y
prendre. Tu as voulu punir et frapper comme s'il s'agissait de ton enfant.
Résultat : ton chien a peur, et tu ne feras jamais rien avec un être qui a peur.
Quand tu lappelles aujourd'hui de ta voix rude, il perd tous ses moyens. Il obéit
peut-être, mais l'obéissance n'est pas une qualité de chien de chasse.
- Dites-vous bien,
parents, que la manière forte avec les enfants ne vous réussira pas mieux qu'avec l'âne
ou le chien de chasse.
Ce ne sont pas les
barrages les plus ingénieux qui empêcheront l'eau du torrent de descendre de la
montagne. Vous pouvez endiguer cette eau, la canaliser, l'humaniser, vous n'arrêterez pas
son flot dévalant la pente.
Et alors,
direz-vous : nous ne commanderons plus nos enfants; nous les laisserons agir à leur
guise et imaginer les pires sottises ?
Il ne s'agit point de
cela.
Avez-vous remarqué
combien vos enfants deviennent, sages et disciplinés chaque fois que vous leur trouvez un
travail emballant et qui soit à leur mesure ? Et comme ils bombent le torse à
côté de vous quand ils ont la fierté de travailler comme des hommes ?
Au lieu de poser à
tous les coins de rues d'inutiles panneaux de Défense, nous
faisons travailler nos enfants; nous les intéressons, nous les passionnons pour la
correspondance, l'imprimerie, la lecture, les enquêtes, les expériences scientifiques,
les réalisations manuelles. Nous parvenons alors à cette discipline que nous croyons
idéale, celle de l'équipe dans un milieu où le travail a reconquis ses droits et sa
dignité.
LECOLE DU TRAVAIL
AIMER LE TRAVAIL
Qu'est-ce que cette
école dites-vous peut-être - où les enfants n'ont pas un chargement de livres à
traîner, où ils n'étudient plus de résumés, ne s'ennuient plus sur ces mêmes devoirs
qui vous ont tellement excédés quand vous étiez écoliers ?
Nos ancêtres portaient
sur le dos de lourds fardeaux de fumier, de foin ou de ramée, et peinaient de longues
journées, à bêcher leurs maigres champs.
Vous partez aujourd'hui
en sifflant au volant de votre camionnette, et le tracteur est plus docile et plus rapide
que la bêche primitive ou même que l'attelage à bufs. Et pourtant le rendement
est incontestablement meilleur.
Les techniques de
travail de notre école se sont tout simplement modernisées : le tracteur y a
remplacé l'araire à âne. Il se peut que vous soyez parfois étonnés et inquiets comme,
l'étaient les paysans qui ont vu passer dans leurs champs, les premiers tracteurs :
« Est-ce qu'ils creuseront assez profond ? L'odeur de l'essence ne
donnera-t-elle pas de maladie ? Et si ça se détraque ? Que deviendront nos
bêtes inutiles ? »
L'expérience seule
vous a rassurés.
Les techniques modernes
qui vous surprennent ont, elles aussi, été éprouvées dans des milliers
d'écoles ; les résultats aux examens ont montré leur efficience ; les
inspecteurs en ont reconnu les avantages pratiques. Loin de vous en émouvoir, vous vous
demanderez pourquoi, dans certaines écoles, on laboure encore avec des araires à âne,
au siècle de l'essence et de l'électricité.
Vos enfants étudieront
moins de leçons, feront moins de « devoirs », ne bâcleront pas de punitions,
mais vous les regarderez vivre et travailler.
Et s'ils
aiment l'école, s'ils y apprennent à travailler et à aimer le travail, vous pouvez
être tranquilles et vous pouvez nous faire confiance: ils deviendront des hommes.
EST-CE PERDRE DU
TEMPS ?
Vous savez sans doute
combien nos élèves s'intéressent à leurs correspondants, aux journaux, aux lettres
qu'ils reçoivent, et aux colis qu'ils échangent. Et cet intérêt vous explique
l'enthousiasme avec lequel ils écrivent leurs textes, impriment, illustrent et expédient
leur petit journal scolaire.
Vous reconnaissez,
certes, que ces activités préparent utilement à la vie et vous trouvez naturel que tant
d'écoles de notre pays participent à la grande ronde des enfants de France.
Mais vous vous demandez
cependant avec quelque inquiétude : tout ce temps qu'ils passent à imprimer des
journaux, à écrire des lettres et à envoyer des colis, n'est-ce pas trop de temps
perdu, et ne vaudrait-il pas mieux enseigner le français, le calcul ou la géographie
comme autrefois, par la règle et l'obligation si nécessaire ?
Nous vous répondrons
d'abord qu'il est aussi important pour vos enfants de savoir rédiger un texte, écrire
une lettre ou expédier un colis que de faire des devoirs et d'étudier des leçons dont
nous connaissons tous la vanité.
Mais surtout, par ces
techniques nouvelles, nous modifions l'atmosphère de notre école. Par l'imprimerie, le
journal et la correspondance, nos élèves travaillent pour un but effectif, comme lorsque
vous construisez un meuble ou semez un champ. Notre enseignement devient
« motivé ». L'enfant éprouve le besoin d'écrire des textes et des lettres,
de faire des enquêtes et de calculer, de lire et de se renseigner, de s'instruire, comme
il éprouve le besoin de manger et de boire.
Vous savez la peine que
vous avez à faire manger la soupe à votre enfant malade qui a perdu l'appétit. Mais
quand il rentre au contraire, affamé, d'une longue course, alors la chose est simple...
Encore, maman !...
Nous donnons faim à
l'enfant. A nous aussi, il nous sera plus facile alors de le nourrir selon ses besoins et
de lui enseigner, en temps voulu et sans effort, le français, le calcul ou la
géographie.
ORGANISEZ LE TRAVAIL DE
VOS ENFANTS
Celui qui ne fait rien
n'est pas loin de mal faire, dit un vieux proverbe.
Vous vous gendarmez
parfois - et en vain - pour faire rester vos enfants tranquilles. N'avez-vous pas
remarqué qu'ils ne sont jamais aussi calmes que lorsqu'ils sont absorbés par le
travail ?
Mais encore faut-il
qu'ils puissent travailler.
Vous avez vos tiroirs
et vos caisses à outils. Pourquoi vos enfants n'auraient-ils pas les leurs ? Sachez
leur réserver des rayons ou un placard pour ranger livres, cahiers, fiches, boîtes de
collections; une petite table particulière, ou du moins un coin libre de la grande table,
avec un éclairage normal, pour qu'ils puissent travailler le soir ; un petit atelier
avec établi et outils au fond du corridor ou dans le grenier.
Vous n'aimez pas qu'on
vous dérange quand vous lisez. Respectez vous-mêmes le travail de vos enfants :
arrêtez votre radio, éloignez le petit frère, suspendez les inutiles discussions.
Faites mieux :
aidez humainement vos enfants. Nous ne vous disons certes pas de faire leurs devoirs. Ils
n'auront d'ailleurs plus de ces devoirs dont on a hâte de se débarrasser et qu'on ne
fait que par crainte de la mauvaise note ou des punitions. Mais pour écrire leurs textes,
pour conduire leurs enquêtes, pour préparer leurs conférences, pour aménager et
classer leurs collections, pour accomplir leur plan de travail, ils seront normalement
amenés à vous interroger, à demander peut-être votre aide et votre concours. Ne les
leur refusez pas.
« Le travail est
une prière » a chanté le poète. Aidez, facilitez, considérez, respectez le
travail de vos enfants comme vous aimez qu'on respecte et que l'on considère votre propre
travail. Ce faisant, vous nous aiderez à obtenir de vos élèves la discipline, l'ordre
et le respect sans lesquels il ne saurait y avoir de véritable éducation.
C'EST EN FORGEANT
QU'ON DEVIENT FORGERON
Quand tu auras manié
la bêche autant que moi, tu sauras bêcher !
- Remue les casseroles
pendant des années et tu sauras faire la cuisine !
Ce n'est pas en
regardant ton voisin faire de la bicyclette que tu deviendras toi-même un bon cycliste
- C'est en forgeant
qu'on devient forgeron.
Et, naturellement, vous
savez que, pour apprendre à bêcher, à cuisiner, à monter à vélo ou à forger, il
faut les outils indispensables d'exercice, d'expérimentation et de travail. Mais vous
pensez parfois que l'Ecole échappe à cette loi et qu'elle peut apprendre à l'enfant à
monter à vélo sans posséder au moins une bicyclette... Vous nous envoyez vos enfants
pour qu'ils deviennent forgerons et vous acceptez que nous ne possédions ni forge ni
marteau.
Comprenez que nous
réagissions contre cette erreur qu'on peut, par des mots trompeurs et de belles phrases,
remplacer les outils essentiels. On forme alors des bavards et non des hommes.
Nous éditons un
journal pour que l'enfant apprenne à écrire en écrivant ; nous avons des
correspondants pour qu'il s'habitue à rédiger des lettres et à user de la poste et du
train; nous achetons des instruments de mesure et d'expérimentation scientifique pour
qu'il construise et fonde la science ; nous nous mêlons à la vie pour que nos
élèves estiment, comptent, calculent, imaginent; nous achetons fiches, livres, films
pour permettre l'enrichissement né de la complexité et de la splendeur de la vie ;
nous avons créé la coopérative scolaire pour que les futurs citoyens s'exercent ainsi,
par la pratique de la vie collective, à remplir demain leur rôle d'homme.
C'est en forgeant qu'on
devient forgeron. Mais la salle où l'on forge n'est plus, elle aussi, la classe
solennelle où résonne la seule voix du maître. Elle est l'atelier vivant où chacun
s'affaire selon sa fonction, dans le jaillissement splendide des étincelles.
Oui, nous forgeons
l'avenir !
PROPRETÉ ET TRAVAIL
Vous savez
que l'Ecole veille tout particulièrement à la propreté des enfants et qu'elle vous
demande assez souvent de l'aider dans cette tâche.
Mais vous vous plaignez
parfois que vos enfants sont moins soigneux qu'au temps où l'Ecole les gardait sagement
assis sur des bancs qu'avaient déjà lustrés des générations d'élèves, et où ils
risquaient seulement de tacher leur index au contact du porte-plume trop encré ou de se
noircir le coin des lèvres à force de sucer et de mâchonner leur crayon.
Aujourd'hui, ils
bêchent au jardin, ils scient et rabotent, se mâchurent les doigts à l'imprimerie,
souillent leurs habits au modelage de l'argile, s'habillent et se déshabillent pour jouer
la comédie en mobilisant parfois même votre garde-robe.
Nous veillons certes à
ce que ces travaux, que nous jugeons indispensables, se fassent avec un minimum de
dommages pour les doigts, les souliers ou les tabliers. Mais nous vous demandons cependant
de comprendre que l'Ecole ne peut plus se contenter comme autrefois d'enseigner
l'écriture, la lecture et le calcul. La vie trépidante d'aujourd'hui a d'autres
exigences qui ont amené les autorités à conseiller les techniques de travail que nous
pratiquons.
Ne vous étonnez donc
pas s'il y a chez nous désormais, et de ce fait, quelques mains calleuses ou des
écorchures accidentelles produites par l'outil à graver, le marteau ou la pince; si une
goutte d'acide a décoloré la manche du tablier ou si l'enfant a malencontreusement
troué sa poche en amenant à l'école, un matin, les fossiles découverts dans une
carrière ou les insectes capturés sous les feuilles.
Nous réduisons certes
ces dommages le plus possible. Mais le travail, vous le savez, nous marque de ses
empreintes, dont nous nous honorons. La vie nous impose son sceau indélébile, et il vaut
mieux, n'est-ce pas, que ce sceau soit forgé à même l'activité vivante qui passionne
les enfants et fait de l'Ecole leur école, leur atelier de travail et leur musée.
C'est la vie qui
enseigne et prépare la vie. Nous devons en accepter les exigences si nous voulons en
conserver les bienfaits.
POUR DE BON !
Il y a deux façons de
comprendre les outils et le travail :
Celle de l'enfant qui a
reçu en étrennes une bicyclette jouet sans chaîne ni frein... Pour rire !
Et celle du petit homme
qui enfourche son vélo et part aux commissions. Pour de bon !
Il y a l'occupation de
la fillette qui fait la dînette et soigne sa poupée en celluloïd... Pour rire !
Et celle de la petite
maman attentive à sa sur qu'elle surveille et dorlote, à la marmite qui bout et au
couvert qui attend les parents fatigués... Pour de bon !
L'école avait naguère
ses devoirs qu'on fait parce que ce sont des devoirs, les jeux qui font passer le temps
mais n'apportent aucune richesse, toute cette désespérante machine qui tourne à vide...
Pour rire... ou pour pleurer !
Nous y avons introduit
le travail pour du bon, avec de vrais outils qui produisent quelque chose qui satisfait,
qu'on admire, qu'on utilise, qu'on offre ou qu'on vend : l'imprimerie avec laquelle
on imprime de vrais journaux, comme les adultes; du lino qu'on grave pour faire de vrais
clichés qu'on imprime; les couleurs avec lesquelles on réussit des oeuvres d'art qu'on
accroche dans les musées, à côté des oeuvres de peintres ; la coopérative qu'on
gère et administre avec initiative et économie, parce qu'une coopérative, ça
fonctionne pour du bon !
Dans un mois, vous
aurez à choisir des étrennes entre les jeux pour rire et les outils de travail
enthousiaste, vous n'hésiterez pas.
En éducation, c'est pour
du bon qu'on uvre !
LES COOPERATIVES
SCOLAIRES
Oui, nous créons des
coopératives dans nos écoles, et des coopératives administrées par les enfants
eux-mêmes qui élisent président, secrétaire et trésorier. Ces coopératives ont leurs
statuts. Et, comme il y en a plusieurs dizaines de milliers en France, elles se sont
fédérées départementalement et nationalement. Le dernier Congrès de l'Office Central
de la Coopération à l'Ecole s'est tenu à La Rochelle, en octobre dernier, sous la
présidence et avec la participation de hautes personnalités administratives :
inspecteurs généraux, inspecteurs d'Académie, inspecteurs primaires.
Pourquoi ces
coopératives scolaires ?
Disons tout de suite
qu'elles ne sont point un moyen nouveau de soutirer des fonds aux élèves et aux parents,
l'école devant être entretenue et équipée par la communauté sociale.
Seulement, vous tenez
comme nous à ce que vos enfants sachent non seulement lire, écrire et compter, mais
aussi, pour affronter la vie avec efficience, estimer, mesurer, vendre et acheter, gérer
une caisse ou une entreprise, écrire des lettres et passer des commandes, fabriquer des
objets utiles, entreprendre des voyages instructifs.
Or, tout cela ne
s'apprend pas dans les livres. La coopérative scolaire est, pour cette éducation, la
meilleure et la plus pratique des leçons.
Vous comprenez aussi
que, dans le monde complexe d'aujourd'hui, vos enfants ne peuvent plus se contenter
d'obéir passivement; il faut qu'ils apprennent encore à se commander, à être des
hommes et des citoyens.
La coopérative
scolaire est leur oeuvre et leur propriété collective. Quand ils impriment et vendent
leur journal scolaire, quand ils élèvent des lapins ou récoltent des plantes
médicinales, quand ils organisent une tombola ou une fête, c'est pour eux qu'ils
travaillent. Quand, avec les fonds péniblement recueillis, ils font un achat
indispensable ou organisent un voyage de fin d'année, ce succès est leur oeuvre et ils
ont raison d'en être fiers.
C'est dans la mesure
où ils ont conscience d'être chez eux dans leur école que nos enfants travaillent avec
application et enthousiasme.
L'Ecole appartient
désormais aux enfants. Et c'est la coopérative scolaire qui la gère.
Aidez-la et
aidez-nous !
LES OUTILS COOPERATIFS
« De mon temps,
dites-vous, nous avions nos livres à nous, que nous nous transmettions d'aîné à cadet
et dont nous n'étions pas peu fiers, même si nous rechignions à les lire... Les
progrès se mesuraient à l'ampleur du cartable... »
Le temps n'est pas si
loin même où l'écolier, moins chargé en livres, transportait aussi son encrier et la
bûche pour chauffer la classe en hiver. Cela vous fait sourire aujourd'hui. C'est si
simple d'avoir des encriers communs et un chauffage payé par la collectivité.
Nen doutez pas,
vos petits-enfants souriront à leur tour en pensant que tous les écoliers de 1947
possédaient des livres semblables, qu'ils avaient payés fort cher et pour un profit
parfois bien relatif.
Car la vie marche. Le
collectif prime de plus en plus l'individuel : les voyageurs se coudoient dans les
transports en commun; les musées, les bibliothèques publiques, les jardins, les oeuvres
d'art sont placés sous la responsabilité du public. La guerre, et cette lourde
après-guerre, ont encore accentué cette inéluctable évolution.
Notre école se met
tout simplement à l'unisson du milieu ambiant. Ne vous étonnez pas si s'accroît chez
nous le nombre des services et des outils coopératifs, qui n'appartiennent pas en propre
à chacun de vos enfants, mais qui leur appartiennent en commun, dont ils ont le libre
usage, mais dont l'acquisition serait impossible sous le régime de la propriété
individuelle : imprimerie à l'école, fiches, livres de travail, cinéma, disques,
jardin scolaire.
Vous disiez : mon
atlas, mon encrier... Ils s'enorgueillissent : notre imprimerie, notre journal, notre
atelier, notre coopérative... Car c'est leur coopérative qui gère la propriété
commune...
Un monde
nouveau naît sous vos yeux. Nous préparons nos enfants à affronter avec audace et
succès la société coopérative de demain.
LA DISCIPLINE DU TRAVAIL
Sur le pas de la porte,
nous faites à l'instituteur les ultimes recommandations :
- Menez-le raide !
... Ne le laissez pas commander !... Il a besoin d'être dressé ! ... De mon
temps...
Et vous vous étonnez
de nous voir fraternels et humains avec nos élèves, n'usant qu'accidentellement des
menaces et des punitions qui étaient naguère l'arme essentielle de l'Ecole.
Oui, notre discipline a
changé de forme parce que se sont modifiées l'atmosphère et l'âme de l'Ecole. A la
discipline du gendarme, nous avons substitué l'ordre du travail.
Vous avez certainement
remarqué que vos enfants sont particulièrement difficiles et désagréables chaque fois
que vous prétendez leur imposer une activité qui ne les intéresse pas, qu'ils ne
comprennent pas, ou qui est au-dessus de leurs forces. Cela se termine d'ordinaire par de
la colère, des cris, des pleurs, et parfois par des coups...
Vous conservez, au
contraire, un souvenir ému de l'harmonie, du calme, de la chaude fraternité qui règnent
dans votre maison quand vos enfants peuvent s'occuper à un travail qui les passionne. Et
vous méditez le proverbe : « Celui qui ne fait rien n'est pas loin de mal
faire ».
Nous ne disons plus comme
autrefois, dans nos classes : « Comment devons-nous faire pour les mater et les
faire obéir ? » Nous nous préoccupons d'offrir à nos élèves des travaux
auxquels ils se donnent de tout leur cur. Et l'ordre règne, du même coup, dans
notre ruche.
Si nous parvenons, ne
serait-ce que certains rares jours, jusqu'à l'emballement et à l'enthousiasme; si la
privation de l'effort vivant et constructif est la plus efficace des punitions, alors nous
touchons à la discipline idéale :
LA DISCIPLINE DU TRAVAIL
PREPARER L'HOMME -
TRAVAILLEUR
Eduquer, élever votre
enfant, c'est le préparer à la vie, non pas seulement à sa vie de maintenant, mais
surtout à sa vie d'homme de demain. Et pas seulement à sa vie d'homme, mais à sa vie d'homme-travailleur.
Quand vous élevez un
chien, vous vous appliquez, certes, à lui donner ou à lui conserver ses qualités de
chien, mais vous n'oubliez pas que ce chien devra remplir une fonction. Il sera chien de
garde ou chien de chasse, selon son hérédité et ses aptitudes. Vous allez développer,
non par des leçons mais par des exercices vivants, ses qualités de chien de garde ou de
chien de chasse qui lui donneront noblesse et efficience.
Quand nous élevons
votre enfant, nous nous appliquons aussi, et d'abord, à en faire un bon enfant pour qu'il
soit demain un bon homme, avec les qualités qui font le bon enfant et le bon homme :
santé, équilibre physique, intelligence, droiture, sensibilité, culture, sens social.
Mais ce sont là des
qualités qui ne s'acquièrent pas par des leçons d'école. C'est par la pratique
harmonieuse de la vie qu'on les conquiert et nous nous en préoccupons en tout premier
lieu : quand l'enfant travaille en équipe, lorsqu'il participe à la vie de la
coopérative, qu'il apprend à s'exprimer et à se commander, lorsqu'il prend conscience
des conséquences de ses actes, il s'apprête pratiquement à devenir un homme et un
citoyen.
Mais l'enfant ne sera
pas seulement un homme et un citoyen, pas plus que le chien ne sera qu'un chien. Il sera
un homme cultivateur, un homme tourneur, un homme épicier, un homme ingénieur ou un
homme instituteur, comme le chien sera un chien de chasse ou un chien de garde.
Nous devons donc
préparer l'enfant-travailleur et
l'homme-travailleur : cultiver les aptitudes qui en feront un travailleur
efficient, lui donner les connaissances et la maîtrise des outils qu'exige la société
d'aujourd'hui.
C'est pour parvenir à
ces fins que nous modernisons notre école et que nous nous appliquerons, avec votre
concours, avec le concours de tous les organismes de production, à étudier ce que doit
enseigner l'Ecole pour remplir pleinement son rôle pédagogique et social.
Ce sont les parents, ce
sont tous les travailleurs que nous ferons participer à cette essentielle mise au point.
AIDEZ-NOUS A NOUS
INSTRUIRE
L'instruction, vous
vous en rendez compte, ne se puise point dans les livres mais dans la vie. Les livres ne
peuvent raisonnablement servir qu'à nous aiguiller dans la longue expérience qui, seule,
forme les hommes capables d'affronter leurs destins.
Vous engrangez pour
l'hiver les foins de diverses qualités, les graines et les fruits, la farine et le bois.
Nous engrangeons de même, dans nos armoires et nos fichiers, tous les documents qui
peuvent nous servir pour notre commune nourriture.
Encouragez et aidez
notre récolte.
Vous trouvez dans les
champs une pierre curieuse, une bête blessée, un insecte original. Remettez-les à votre
enfant, car c'est par leur observation que nous étudions les sciences.
Vous avez fini de lire
le journal. Ne le jetez pas avant d'avoir laissé le soin à votre fils d'en découper les
photos ou les articles dont il jugera lui-même de l'intérêt. Vous ramenez de la ville
une revue illustrée, des prospectus et des cartes postales, confiez-les-nous car ils
serviront de bases à notre géographie vivante. Vous avez des vieux livres dans votre
grenier et dans votre tiroir des papiers pour vous sans valeur; c'est avec eux que nous
construirons notre histoire.
Vous possédez des
restants d'emballage de papier ou de carton fort. Réservez-les-nous. Nous les découpons
pour y coller nos documents qui seront ensuite classés dans notre fichier : c'est
notre réserve vivante dans laquelle nous puisons sans cesse pour nous instruire à même
la vie.
Car c'est par la vie et
pour la vie que nous formons vos enfants. Aidez-nous !
ENCOURAGEZ ET SOUTENEZ
L'ECOLE MODERNE
De notre temps, disent
certains parents, on ne faisait pas tant d'histoire pour apprendre à lire, écrire et
compter. Nous avions des leçons à étudier, des devoirs à faire... Et ça
ronflait !
Il leur faut maintenant
des livres nouveaux, l'imprimerie, le limographe, des outils d'atelier, une coopérative;
ils vont se promener dans le village et dans les champs à faire des enquêtes ; ils
font du cinéma, du théâtre on ne reconnaît plus l'école !
- De votre temps aussi,
pourrait-on leur répondre, vous n'aviez pas l'éclairage électrique jusque dans votre
grange, l'autobus à votre porte et un terrain d'aviation à proximité. L'épicier voisin
n'avait pas le téléphone et la radio ne vous apportait pas, heure par heure, les
nouvelles du monde entier. On ne reconnaît plus votre village !
Parce que le
monde autour de lui s'est considérablement modifié, l'enfant d'aujourd'hui ne pense pas,
ne réagit pas, ne travaille pas comme celui d'il y a vingt ans. Ce serait une grave
erreur de lui imposer une école qui ne répondrait pas à ses besoins d'aujourd'hui.
Comme vos entreprises, comme le commerce, comme les usines, comme votre exploitation,
l'Ecole doit se moderniser pour remplir son rôle et ne pas dépérir.
Nous vous expliquerons,
dans ces Pages
aux Parents, ce que nous voulons faire, ce que nous faisons, ce qu'on fait ailleurs, ce
qu'on recommande aujourd'hui officiellement pour :
- Moderniser nos locaux
qui doivent avoir espace, air, lumière, commodités de travail ;
- Moderniser notre
ameublement qui ne convient plus aux formes actuelles de travail ;
- Moderniser nos outils
et nos livres ;
- Moderniser notre
discipline, qui doit être plus démocratique ;
- Moderniser nos
rapports avec le milieu ambiant parents, chantiers, entreprises, champs, animaux, autres
enfants.
Notre but : avoir
une école qui « rende » davantage,
c'est-à-dire qui prépare avec toujours plus de succès les hommes de demain.
Nous devons, en 1949,
faire l'Ecole de 1949.
Vous nous y aiderez.
L'ECOLE A LA RENCONTRE DE LA VIE
L'ECOLE A LA RENCONTRE DE
LA VIE
Pourquoi, dites-vous,
tant de sorties et de promenades, en groupes ou toute la classe réunie ? Nos enfants
ne sont-ils pas assez longtemps dehors et n'ont-ils pas le loisir de voir l'herbe pousser,
l'eau chanter et l'artisan s'affairer ? Ne seraient-ils pas mieux à étudier, comme
autrefois, entre les quatre murs de l'Ecole, à l'abri de la distraction et du
bruit ?
Il ne s'agit certes pas
de procurer aux enfants des récréations supplémentaires mais de mieux asseoir leur
instruction et leur jugement. Vous avez souri bien des fois sans doute à voir de ces
pauvres « intellectuels », savants par ce qu'ils ont appris dans les livres,
mais si étonnamment ignorants des choses de la vie pourtant indispensables. Et de ces
enfants qui sont entraînés à résoudre sans erreur les problèmes les plus compliqués
de leur livre et qui restent interdits et niais devant les solutions qu'exige la vie,
parce que la vie ne pose jamais les questions comme le font les livres. Ne parlons pas des
livres actuels où la ménagère achète encore des oeufs à 0 f 50 pièce, où les
maisons se montent avec des sacs de chaux à 10 fr. et où l'Europe a encore sa figure
paisible d'il y a dix ans.
Nous prétendons
instruire vos enfants non seulement pour qu'ils soient plus « savants », mais
surtout pour que, connaissant davantage, ils sachent utiliser leur science dans la vie
pour mieux écrire leurs lettres, pour lire plus intelligemment, pour mieux travailler,
pour mieux se gouverner. Pour cela, il est nécessaire que la lecture, l'écriture, le
calcul, l'histoire, la géographie, les sciences soient sans cesse accrochés à la vie,
à la vie d'ici, et à celle d'ailleurs, qu'ils connaissent par les journaux, les livres,
la correspondance, les voyages.
Quand vous voulez
dresser votre apprenti ou préparer le futur jardinier, vous ne commencez pas par les
enfermer dans une salle nue, loin du bruit des moteurs , loin de la senteur de la terre et
de ses pousses neuves. Vous les prenez par la main et les mettez à l'ouvrage d'abord. Ils
étudieront après.
Nous faisons de même
avec vos enfants. Comprenez donc et acceptez qu'ils enquêtent dans le village et dans les
champs, répondez sérieusement à leurs questions, aidez-les à enrichir leur
documentation. L'instruction scolaire leur sera alors profitable et utile.
Ce faisant d'ailleurs,
nous nous conformons aux Instructions officielles qui ont inscrit aux programmes l'étude
du milieu et qui nous demandent de préparer les enfants à résoudre, dans les examens,
des problèmes de la vie pratique.
Vous nous aiderez à
mieux remplir notre tâche.
LIRE, ECRIRE,
COMPTER !
Que diriez-vous si
votre enfant était apprenti-mécanicien et que son patron, pour ne pas compliquer la
formation, s'obstine à ne lui enseigner que trois techniques : démonter et réparer
une roue, nettoyer un carburateur, mettre en marche l'auto ? Vous réclameriez avec
raison qu'un mécanicien a besoin de connaître tout ce qui concerne l'auto et qu'il faut,
bon gré mal gré, l'y initier.
Mais vous vous étonnez
que l'Ecole s'occupe de trop de choses et qu'elle ne se contente plus d'apprendre,
« comme de votre temps », à lire, à écrire et à compter.
Nous voulons, certes,
que nos enfants sachent lire, mais qu'ils sachent lire vraiment, en comprenant ce qu'ils
lisent, en écoutant, par delà les mots et les phrases, la pensée profonde de ceux qui
les ont écrits.
Il faut qu'ils sachent
écrire. Non pas seulement copier les pages d'un livre mais s'exprimer par l'écriture,
avec aisance et subtilité, comme vous vous exprimez par le langage vivant.
Qu'ils sachent compter
aussi. Mais que, par delà la mécanique des nombres, ils possèdent la compréhension
claire des problèmes que la vie leur imposera et les solution logiques et humaines à
envisager.
Et ce ne sera pas tout.
Selon qu'ils seront cultivateurs, horticulteurs, mécaniciens, chimistes ou architectes,
ils devront, pour y exceller, posséder des qualités, des aptitudes et des connaissances
que notre Ecole ne saurait négliger.
Partout
enfin, dans un monde où la justice tend à remplacer la fraternité qu'elle prépare,
l'homme de demain devra connaître ses devoirs et défendre ses droits. L'Ecole doit l'y
préparer.
Félicitez-vous donc
que, dans notre Ecole Moderne, sans négliger ni la roue, ni le carburateur ou le
démarrage, on s'attarde à démonter longuement les mécanismes à ajuster minutieusement
les pièces vitales, et à partir aussi parfois, volant en mains, vers les routes à
conquérir.
LA METHODE NATURELLE DE
LECTURE
Oui, mon enfant aime
son école ; il me parle avec enthousiasme de ses textes et de ses correspondants,
mais, de notre temps, nous avions notre page à lire chaque jour. C'était plus sûr et
plus pratique !
- Ne croyez pas que ce
soit seulement pour prendre le contrepied des vieilles méthodes que nous enseignons
l'écriture et la lecture selon d'autres procédés. La question a pour nous une tout
autre importance.
Rappelez-vous les pages
de votre syllabaire ou les textes de vos premiers livrets : des mots et des mots
qu'il ne s'agissait pas de comprendre mais de lire. Et vous lisiez ensuite n'importe quoi,
sans chercher à comprendre.
Que diriez-vous si
votre enfant répétait ainsi, à longueur de journée, des mots sans signification :
« N'as-tu pas fini de faire le perroquet ? », gronderiez-vous. Car vous
savez que répéter des mots ou des phrases qu'on ne comprend pas abêtit et prépare à
lire en perroquet, comme lisent tant de nos contemporains.
Or, il est aujourd'hui
prouvé que les enfants peuvent apprendre à lire et à écrire, naturellement, en
écrivant, en imprimant et en lisant, comme ils ont appris à parler en parlant. Bien
sûr, nous ne pourrons pas toujours vous dire : « Aujourd'hui, votre enfant en
est à telle page », mais nous pouvons vous assurer qu'il apprendra à lire dans un
délai normal. Et ce jour-là, il saura lire, c'est-à-dire comprendre ce que d'autres ont
écrit.
L'intérêt que les
officiels portent aujourd'hui à cette conception de la lecture vous donnera l'assurance
que nous réussirons.
LES ENQUETES
- Nous faisons des
enquêtes, qui ne sont pas des promenades. C'est l'Ecole qui déborde les murs de la
classe toutes les fois que nous en voyons la nécessité et la possibilité.
Il ne vous viendrait
pas à l'idée d'expliquer à vos enfants, dans le silence de votre cuisine, comment on
greffe un cerisier, et en opérant, sous prétexte d'expérimentation, sur un rameau
détaché de sa tige et où les greffons, même bien placés, ne risqueront pas de
prospérer. Non, c'est sur le cerisier de votre jardin que vous ferez l'opération, à
même la vie, dans l'espoir de voir pousser, dans quelques années, une qualité choisie
de cerises sur l'arbre ainsi amélioré.
Et si votre garçon
vous demande comment on fait le mortier, vous ne prendrez point un livre pour lui
détailler, avec des mots sans fraîcheur, la technique du maçon. Mais vous l'enverrez
chez le maçon en face observer comment on gâche le mortier, ou mieux, participer de ses
mains au travail pratique. Il aura compris, sans phrases, sans explications inutiles, et
pour toujours.
C'est ce que nous
essayons de réaliser nous aussi.
Nous connaissons la
vanité des leçons qui ne sont que des mots et des explications théoriques non nourris
par l'expérience et la vie. Chaque fois que la leçon peut être donnée à même la
réalité, nous allons vers cette réalité : c'est à la carrière que nous
étudierons les roches, au bord de l'étang et de la rivière que nous nous
familiariserons avec l'eau, le sable, les plantes et les animaux aquatiques ;
c'est dans la réalité du travail dans les champs, à l'usine, à l'atelier du forgeron
ou du menuisier, que nous irons chercher d'abord, toutes les fois que nous le pourrons,
les enseignements de base plus efficaces.
Nous procédons comme
l'abeille qui profite des beaux jours et du printemps pour aller cueillir sur les fleurs
le suc dont elle fera son miel. Nous partons, nous aussi, à la récolte attentive des
richesses originelles dont nous ferons ensuite, dans notre classe, le miel de la
connaissance et de l'enrichissement.
Alors, les sciences, la
géographie, l'histoire, le calcul, la lecture et l'écriture, la morale même, cessent
d'être des devoirs arides qu'on ne fait que par obligation, pour prendre rang parmi les
vraies conquêtes qui font de vos enfants des hommes.
LE DESSIN
Vous avez tous appris
à dessiner comme vous avez appris à lire et à écrire, en commençant par le B A BA et
vous vous étonnez que nous laissions nos enfants crayonner et peindre des scènes et des
tableaux complexes sans que nous leur ayons formellement enseigné à tracer des droites
et des courbes ou à ombrer un pot à eau.
Mais l'enfant qui
apprend à parler commence-t-il par le b a ba ? N'aborde-t-il pas, d'emblée, tout le
complexe du langage qui lui permet de s'exprimer délicieusement, avant même de
connaître un minimum de mots corrects ?
Il parle et vous vous
extasiez, émus et étonnés. Il écrit un texte libre et vous êtes fiers de son talent
à observer et à s'exprimer. Il dessine et peint pour produire de vrais tableaux que vous
admirez et qui décorent merveilleusement la classe. Vous ne lui connaissiez pas ce
talent, dites-vous.
Ce qui désespère
l'enfant, ce qui l'incite à tricher et à copier, c'est toujours le devoir mort appliqué
comme une bouchée de pain sec qui ne peut franchir la gorge. Si l'enfant a le sentiment
de produire quelque chose d'utile, qui a un sens un but ou une portée, alors il se donne
à cent pour cent et nous dépasse dans ses conquêtes. Et tous les pédagogues
s'accordent à reconnaître que l'enfant qui peut ainsi, à la maison et à l'école,
travailler selon ses tendances, parler, écrire, chanter et surtout dessiner, s'équilibre
et se libère en affirmant sa personnalité.
Laissez vos enfants
dessiner ; encourage-les à dessiner et à peindre; apprenez à lire et à admirer
leurs réussites comme vous admirez et vous encouragez tous les efforts qu'ils font si
généreusement pour devenir des hommes.
LES VOYAGES-ECHANGES
Les enfants, pas plus
que les adultes, n'aiment faire semblant, dépenser leur élan et leur peine pour des buts
dont ils n'entrevoient pas l'utilité, tourner à vide, faire du vent, selon une
expression moderne.
L'Ecole doit offrir à
nos élèves le travail vivant et intéressant pour lequel ils sauront alors
s'enthousiasmer avec une constance et un sérieux qui nous étonnent.
Voyez-les enquêter,
interroger, réfléchir pour rédiger leurs textes destinés au journal de l'Ecole.
Ecoutez-les parler de leurs correspondants dont ils conservent jalousement lettres et
photos, et s'intéresser pour eux à des sujets pour lesquels vous ne leur auriez pas
supposé la moindre aptitude.
Il ne fait pas de doute
que, avec l'imprimerie à l'Ecole, le journal scolaire et les correspondances
interscolaires, une forme nouvelle d'Ecole est née, dont vous sentez tous les avantages,
et qu'une reconnaissance officielle a aujourd'hui sanctionnée.
Mais si nous pouvions
en fin d'année aller rendre visite à nos correspondants que nous avons connus si
intimement par leurs lettres, leurs photos, leurs textes, leurs dessins, les colis
qu'ils nous envoient ! Si nous pouvions vivre 4 à 5 jours dans leurs maisons comme
des frères, faire de la bicyclette avec eux dans les rues du village, nous asseoir près
d'eux à l'Ecole, jouer avec eux sur le stade, que de choses nouvelles nous apprendrions
ainsi, tout naturellement, et avec quel entrain ! Quelle moisson d'idées,
d'observations, de connaissances nous en ramènerions, quelle provision d'élan nous
aurions faite ! Et nos correspondants viendraient ensuite nous rendre la visite et
vivre eux aussi 4 à 5 jours parmi nous !
Alors oui l'Ecole qui
aurait permis cela aurait marque une trace dans la vie de vos enfants et résolu par un
biais nouveau, bien des problèmes.
La chose est possible.
Un nombre croissant d'écoles pratiquent l'échange des élèves et demain les Voyages-Echanges deviendront,
officiellement, pour vos enfants, une forme d'Ecole, une forme de tourisme, une forme
nouvelle de culture.
UNE NOUVELLE DISCIPLINE
Il fut un temps, pas si
lointain, où le maître d'école avait en permanence, à la main, un paquet de verges.
Il y a un siècle, le
mauvais élève subissait des supplices raffinés : agenouillement simple, ou sur la
cendre, ou sur une bûche noueuse, avec parfois les bras en croix tenant un livre.
C'était à l'image
peut-être de la société d'alors, où le travailleur était menacé de même par les
forces arbitraires d'autorité. Il fallait l'habituer à l'obéissance passive et à la
souffrance.
Dans vos syndicats,
dans vos coopératives, dans le cadre des lois laïques et républicaines, vous défendez
vos droits de libres citoyens et ce n'est plus aujourd'hui qu'un patron battrait son jeune
apprenti.
Mais vous avez encore
tendance à croire que, malgré tout, une gifle bien appliquée est la meilleure façon
d'ouvrir la compréhension de l'enfant.
Les instituteurs
d'aujourd'hui revendiquent pour leurs élèves les droits d'humanité dont
s'enorgueillissent les adultes. Ils pensent que, pour arriver à de bons résultats, il
faut d'abord intéresser les enfants à leur tâche, les enthousiasmer pour leur travail,
leur faire une large confiance dans une atmosphère de loyale coopération.
C'est ainsi qu'on
prépare les travailleurs appliqués et consciencieux qui seront les hommes libres de
demain.
Notre journal scolaire
est le reflet vivant de cet effort. Soutenez-le et aidez-nous.
QUATRIÈME
PARTIE
Pour l'organisation et l'activité
d'une commission de
parents
Ecole Moderne
L'éducateur conscient
est d'abord un homme socialement éduqué et actif, qui lutte dans les organisations
sociales, syndicales, politiques pour la préparation du terrain favorable au travail
pédagogique subséquent.
C. FREINET
L'Educateur
Prolétarien Mars 1939.
« Me voilà
maintenant dans une école-caserne, coincé entre des classes traditionnelles qui ne
permettent plus de pratiquer nos techniques et j'en suis désespéré. »
« Jai
quarante élèves et pas de place pour installer ma presse. Je ne sais même pas si je
pourrai utiliser mon limographe pour sortir un maigre journal scolaire... Je sais et je
sens la vanité, pour ne pas dire la nocivité, de la besogne à laquelle je me vois
condamné. »
« Mes élèves
m'arrivent si excités et si énervés que toute discipline est impossible. Je comprends
que certaines maîtresses excédées collent du sparadrap sur la bouche des enfants
impossibles. »
Et d'Algérie, un de
ces camarades qui s'obstinent à maintenir la flamme nous écrit : « Minimum
ici : 45 enfants par classe. A l'école X... à Z... une classe de fin
d'études fonctionne dans une ancienne écurie avec 70 élèves. »
« Mon fils, dit
un père de famille, n'a pas pu s'habituer à la grande masse d'enfants de sa classe. La
maîtresse n'a pas pu s'occuper de lui. Comment l'aurait-elle fait avec 42 élèves ?
Résultat cet enfant se dégoûte de l'école et ne veut plus travailler. »
« Le mien, dit
une mère de famille, était intelligent et curieux. Mais l'école l'a éteint. A douze
ans il a une écriture abominable et il ânonne au lieu de lire. Je suis sûre que dans
d'autres écoles, avec moins d'élèves et une meilleure méthode, il aurait été un bon
élève normal. Dois-je accepter sans protester le dommage qui nous est ainsi causé, à
mon enfant et à nous ? »
Ces quelques plaintes
synthétisent assez bien les lamentations de la masse des instituteurs astreints à une
tâche inhumaine et celles aussi des parents qui sentent d'instinct que quelque chose ne
va pas dans la mécanique scolaire, sans qu'ils soient toujours en mesure d'en définir
les causes et les responsabilités.
Et tout le monde se
tait, comme s'il s'agissait d'une maladie honteuse pour laquelle il faut éviter surtout
de faire un bruit qui pourrait dégénérer en scandale. Mais nous arrivons à un moment
de l'Histoire où l'impuissance de l'Ecole à s'équiper, s'organiser et se moderniser
compromet d'une façon criante et tragique tout le processus d'éducation et de formation
des enfants. Il en est de la crise scolaire comme de ces affaires politico-financières
qui couvent longtemps, dont les bouillonnements intriguent les cercles fermés d'abord, la
presse et le public ensuite, et qui un beau jour éclatent... lorsqu'il est trop tard. Or,
une société peut faire faillite, un ministre démissionner. L'Ecole, elle, devra
continuer. Et elle continuera si nous savons avant la crise, déceler le mal et préparer
les remèdes.
Les éducateurs à tous
les degrés, doivent prendre conscience de ces réalités et étudier loyalement et sans
réticence les problèmes qui leur sont posés. Nous travaillons pour ce qui nous
concerne, à éveiller cette conscience, à mobiliser les bonnes volontés, à agir, dans
tous les domaines pour que l'Ecole soit en mesure de former, en l'enfant, comme nous le
demandons, l'homme de demain.
Mais notre voix n'aura
qu'une audience relative si nous ne parvenons à éveiller aussi la conscience des
enfants, et surtout celle des parents, directement intéressés au bon fonctionnement de
notre école publique.
Lorsqu'une fabrique de
casseroles ou une firme d'autos offre ses modèles au public, c'est celui-ci, en
définitive, qui fait la loi en imposant ses besoins et ses exigences. Pour l'Ecole, ce
sont les usagers aussi qui doivent avoir les premiers la parole, non pas seulement, comme
le font les actuelles associations de parents, pour la défendre de l'extérieur, mais
dans sa contexture même, dans ses techniques et dans ses méthodes, dans l'essentiel de
sa pédagogie et de sa vie.
Nous approuvons certes
la constitution des associations de parents d'élèves. Nous comprenons les réserves que
font les éducateurs à l'intrusion dans les processus scolaires, de parents peu
compréhensifs, qui risqueraient de troubler davantage encore le fonctionnement de leur
classe.
Nous ne courons pas les
mêmes risques avec les parents de nos élèves, qui sont mêlés davantage à l'activité
et à la vie de leurs enfants et qui comprendront mieux en conséquence, le bien fondé et
l'urgence de nos revendications.
C'est pourquoi nous
avons constitué au sein de notre Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, une Commission
de Parents Ecole Moderne, qui doivent continuer à adhérer aux Associations de
Parents d'Elèves, mais qui vont de plus, avec nous, étudier les conditions et les
modalités d'une action qui doublera et complètera la nôtre, pour que s'instaure une
Ecole plus efficiente et plus humaine.
Il ne nous appartient
pas de tracer le programme de travail de cette Commission, pas plus que nous ferons le
programme de la Commission d'Histoire. Ce sont les participants eux-mêmes qui, par leurs
enquêtes et leurs expériences définiront le cadre de leurs recherches et les formes
mêmes de leur organisation.
Nous nous contenterons
d'indiquer ici quelques-uns des éléments les plus frappants qui motiveront les
interventions et l'action des parents Ecole Moderne. Il faudra, dans le Bulletin mensuel
de la Commission, développer ces divers points, apporter des preuves et des témoignages,
suggérer des solutions, étudier les formes possibles d'intervention auprès des
organismes intéressés. Nous demandons à nos camarades de faire lire le présent appel
aux parents de leurs élèves, de le leur commenter, de l'étudier avec eux, de nous
communiquer les adresses des personnalités plus particulièrement compréhensives et
actives, qui peuvent, nous aider à constituer nationalement et départementalement le
noyau militant dont nous avons besoin ; de faire adhérer ensuite tous ceux qui
pourront du moins appuyer l'action critique et constructive de la Commission.
Quels sont les faits
graves qui rendent cette action nécessaire ? Nous nous en tiendrons aujourd'hui aux
éléments qui sont de notoriété publique, que nul ne saurait contester, mais qu'on
néglige systématiquement d'examiner et de discuter, comme s'ils étaient hors de notre
compétence et de notre ressort. Nous apporterons par la suite, après enquêtes
élargies, les preuves, les témoignages et les justifications qui feront passer dans le
domaine public les revendications essentielles de tous les bons ouvriers de notre
mouvement.
1°. Il n'y a aucune
entreprise en France qui entasse ses ouvriers et employés au point qu'ils n'aient plus la
possibilité de travailler d'une façon intelligente et normale. Seule l'Ecole a ce
privilège. Et on s'en accommode.
Il serait pourtant
facile de démontrer - et l'unanimité est certaine - qu'aucun travail scolaire sérieux
ne peut être fait dans des classes de plus de trente élèves.
Une classe de quarante
à cinquante enfants n'est que la plus dangereuse des entreprises de sabotage. Et nous
n'avons pas le droit - ce serait folie - de saboter notre capital le plus précieux :
l'enfance.
Parents et éducateurs
doivent conjuguer leurs efforts pour apporter la preuve irréfutable de ce danger. Nous
pourrons alors crier SOS à l'ensemble des parents inquiets.
2°. Il n'y a aucune
entreprise en France qui commette l'erreur mortelle de ne pas donner d'outils de travail,
ou de ne donner que de mauvais outils, à son personnel.
Pour l'Ecole, on
continue d'employer et de recommander les outils d'il y a cinquante ans, même lorsque le
rendement en est manifestement déplorable (on accuse naturellement alors et les
éducateurs ces lampistes - et les enfants eux-mêmes, instables ou dégénérés).
Qu'on ne s'étonne donc
pas ni des malfaçons, ni des fausses manuvres qui détériorent les mécaniques et
suscitent des pannes parfois définitives.
Seulement, ces fausses
manuvres affectent la vie et l'avenir des enfants. Ces pannes, ceux qui en sont
victimes seraient habilités à en demander des comptes et à exiger au moins qu'on en
prévienne le renouvellement.
Or, des bons outils
existent ; l'ingéniosité des éducateurs en assurera la permanente mise au point et
la fabrication. Il suffit d'en créer le besoin.
3°. Il n'y a aucune
entreprise en France - pas même l'armée - qui continue à travailler selon des
techniques dépassées par le progrès. Partout la modernisation s'applique à suivre
l'évolution économique, technique et sociale. Les expositions nationales et
internationales qui se succèdent dans les diverses villes, disent avec une suffisante
éloquence, l'ingéniosité des chercheurs et l'audace des fabricants que stimule ce
besoin de s'adapter pour augmenter l'efficience du travail humain.
Mais à l'Ecole on
continue à apprendre à lire, à écrire et à compter comme on le faisait il y a
quatre-vingts ans, même si on est parfois effrayé des insuffisances de cet
apprentissage. On expose les leçons ; on fait réciter les résumés ; on
impose les devoirs ; on maintient la discipline selon les traditions d'un âge
révolu. Ça ne rend pas ; cela rend de moins en moins. On n'en accuse point les
méthodes, mais seulement la distraction des élèves ou leur inaptitude à l'effort. Nul
n'ose dire qu'on ne saurait enseigner les enfants de l'ère des spoutniks comme on
préparait il y a cinquante ans les petits gardeurs de chèvres ou les apprentis cochers.
4°. Il n'y a aucune
entreprise en France qui confie des machines un tant soit peu délicates à des ouvriers
ou à des ouvrières qui n'y ont point été préparé et entraînés. Il faut avoir suivi
les cours d'un centre d'apprentissage pour couper ou coudre une chemise dans une
manufacture. Mais on confie des enfants - les machines les plus capricieuses - à de
jeunes bacheliers auxquels nul n'a donné le moindre conseil. On s'étonne que les
parents, qui ont fait les frais de ces opérations, ne protestent pas davantage contre de
si graves anomalies.
5°. Il n'y a aucune
entreprise en France qui paie ses ouvriers spécialisés à un tarif aussi bas que celui
qui est offert aux jeunes instituteurs, ouvriers spécialisés aussi.
Les parents n'ont qu'à
s'informer du traitement des débutants pour être fixés.
6°. Il n'y a enfin
aucune entreprise en France qui puisse imposer sans limitation ni scrupule un travail
inhumain à ses employés.
Les organismes de
Sécurité Sociale, et c'est bien ainsi, veillent au respect de règlements qui
sauvegardent la santé physique et morale des salariés. Les syndicats eux-mêmes savent,
le cas échéant, défendre leurs adhérents ; des précautions rigoureuses sont
prises dans les métiers difficiles et insalubres et on sert du lait aux ouvriers menacés
d'intoxication.
Pour l'Ecole, aucune de
ces précautions, aucune de ces règles n'est valable. L'instituteur est corvéable à
merci. Les syndicats d'instituteurs garantissent bien la régularité des heures de
service et des normes d'avancement, mais l'éducateur n'a pratiquement aucun recours
contre la surcharge de sa classe. Il arrive qu'on entasse quarante élèves dans une salle
dont le cubage d'air n'en autoriserait que trente, mais le maître doit s'incliner.
Il n'y a pas
suffisamment de sièges... Qu'il se débrouille !
Il n'y a pas d'air, le
bruit est insupportable et l'instituteur quitte la classe le soir avec une fatigue
pulmonaire qui annonce la tuberculose : maladie professionnelle ! Qu'à cela ne
tienne : quand il sera malade, il se mettra en congé et ses élèves iront
s'entasser en surnombre dans les classes voisines.
La cour est si petite
que les minutes de récréation sont une fatigue supplémentaire et une obsession pour les
maîtres comme pour les élèves.
L'instituteur est sans
recours.
Il ne se plaint pas,
dira-t-on. C'est donc qu'il est consentant et qu'il accepte.
Il a tort d'accepter.
On lui a dit que le
service de l'Ecole a une autre gravité que la chaîne d'une usine, qu'on n'a pas le droit
de laisser les enfants à la rue et qu'il est de son devoir de les accueillir coûte que
coûte, en attendant mieux.
Mais les difficultés
des instituteurs se répercutent inévitablement sur les enfants. Les parents d'élèves
sont directement intéressés au sort des éducateurs.
Voilà quelques
éléments de base. La Commission en définira d'autres. Tous ces problèmes méritent, du
moins nécessitent, d'être posés au grand jour, diffusés, commentés.
Il est impossible que
les parents d'élèves puissent rester indifférents à l'exposé des éléments vitaux de
l'éducation de leurs enfants. S'ils savent, ils agiront et ils exigeront avec nous des
solutions que nous entrevoyons, que nous avons étudiées, préparées, expérimentées,
mais qui ne deviendront réalité que par l'action unie de tous ceux qui veulent pour les
générations à venir, une préparation technique et une éducation dignes du destin et
de l'avenir de notre civilisation.
C. FREINET