BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE MODERNE Par et C. FREINET EDITIONS DE L'ECOLE MODERNE FRANÇAISE CANNES |
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La méthode globale, cette galeuse !
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Au MOMENT où tous les pays prennent conscience de la
nécessité où ils se trouvent d'adapter leur système d'éducation aux besoins nouveaux
de la Société, de la science et de ses techniques, une sorte de vent de réaction
pédagogique semble souffler non seulement chez nous mais internationalement aussi. * Lorsque, à la fin de la guerre de 1914, nous sortions d'une
aventure apocalyptique dont nous avions bien juré de ne plus voir le renouvellement, un
certain nombre d'esprits généreux présentèrent des solutions à grand spectacle. A la
masse enseignante, rivée à l'obéissance et à la servitude on laissa entrevoir un
grand idéal de liberté avec la naissance et l'évolution de l'éducation nouvelle. Des
expériences enthousiasmantes étaient réalisées, apportant la preuve que, dans un
climat favorable, les enfants dégagés de la scolastique étaient capables de prendre des
responsabilités d'hommes, dans un processus d'éducation qui mobilisait enfin les forces
vives que, la tradition avait trop longtemps ignorées, sous-estimées et réprimées. Une lumière avait jailli, comme dans les pays d'Afrique
jusqu'à ce jour asservis et qui naissent désormais à l'autodétermination et à
l'indépendance. Brusquement, tout paraît possible. Et, effectivement, un élan favorable
est ainsi donné aux forces neuves dont la résonance est, de ce fait disciplinée
jusquà devenir un moteur essentiel du progrès social et humain. A dire vrai, l'organisation pédagogique française
est trop sévèrement structurée pour se laisser entamer sans coup férir par cette
aspiration naturelle à la liberté. On y a fait quelques gestes symboliques telle
l'expérience des 6e nouvelles bien vite asservis aux vieilles
disciplines « qui ont fait leurs preuves ». C'est à grand peine si au cours
de trente-cinq années de tâtonnement nous sommes parvenus à secouer quelque peu
lordre établi, qui continue à faire la loi. Et comme il faut des responsables, et que les gens en place
n'ont pas envie de supporter la conséquence de leurs actes, on accusera les modes
nouvelles... c'est classique ! Si les enfants sont arrogants, irrespectueux et
désobéissants ; s'ils rechignent à travailler ; si les gangs et les Blousons Noirs
empêchent les bourgeois de dormir, c'est qu'on n'a pas su maintenir, pas plus dans la
famille qu'à l'Ecole, l'indispensable et inconditionnelle autorité, opprimée sur une
pratique impitoyable des récompenses, des punitions et même des coups, si tant est qu'on
en eût abandonné l'usage. Le mécontentement naturel qui devait
s'attaquer aux causes de la crise scolaire et éducative, aux locaux inadaptés, à la
surcharge des classes, au salaire insuffisant des maîtres, contrariant le recrutement, à
l'aggravation des conditions de vie des enfants qui diminue leur capacité de jugement et
d'attention, ce mécontentement a été fort habilement détourné sur les méthodes
nouvelles et, parmi celles-ci, sur la lecture globale, cette galeuse ! *** Elle dit que la première vision de l'individu est toute globale
et syncrétique. L'enfant entend un pas, voit une ombre : « Maman ! ». Alors que l'enfant suit naturellement le processus
inverse. Maman ! Il ne peut pas se tromper ; c'est sûr et définitif. Tous les
éléments de vie concourent mystérieusement à cette reconnaissance. Il reconnaît maman
comme le chevreau reconnaît sa mère au milieu du troupeau. Ce n'est que lorsque s'est faite l'identification, que
l'esprit, l'il et l'oreille et une infinité d'autres sens qu'on a tort de
négliger peuvent se préoccuper du détail analytique : la
pantoufle, les boutons du corsage ou la mèche de cheveux. Et ce second
stade n'est même pas toujours nécessaire. Je ne me souviens plus combien il y a de
marches devant ma vieille maison natale. Mais je puis y arriver de nuit : mes pas n'en
manqueront pas une parce qu'ils les ont comptées et inscrites dans ma mémoire des pas. C'est tout cela le processus retrouvé de la méthode
globale. L'enfant ne construit pas la maison pierre à pierre. Il a
le pouvoir magique de la faire éclore de son esprit et de sa vie, déjà reconnaissable
et habitable, maintenue par des piliers subtils mais solides et inaltérables. A la mode
des constructions actuelles qui dressent leurs piliers en béton jusqu'au coffrage des
étages supérieurs, pour bâtir ensuite les murs intercalaires, l'enfant fait du global
et du synthétique. Cela est indéniable. Tout comme mon vieux chien aveugle qui, sans
voir mon auto, la distingue quand j'arrive, parmi tant d'autres autos exactement
semblables, et la distingue AVANT que j'arrive, par une démarche dont
l'école n'a jamais voulu faire son profit parce qu'elle dépasse la logique primaire
inventée par la scolastique et qui n'en est pas moins la démarche universelle de la
vie. Et rien ne se fait de grand en dehors de la vie. Le Dr
Decroly avait donc constaté qu'une femme illettrée peut tenir parfaitement à jour son
calendrier à feuilles mobiles. Il nous arrive à nous, de confondre accidentellement, à
la lecture, mardi et mercredi. Elle ne les confond
point parce que mercredi n'a pas la même figure que mardi, pas plus qu'elle ne confond,
même dans la pénombre, son propre fils et l'enfant du voisin. Au cours de ses recherches, le Dr Decroly s'aperçut de
même que le processus habituel de la lecture, tel qu'il était pratiqué dans les
syllabaires, n'était pas forcément le seul valable ni le plus efficient. Lavantage de la découverte, cétait que,
dorénavant lenfant nétait plus condamné à ajuster désespérément les
éléments muets et morts dun puzzle auquel il ne saurait peut-être plus jamais
insuffler la vie. Finis les papa a puni toto
Nicolas a tiré le loto
Il ny avait plus nécessairement divorce entre technique dune part,
sensibilité et intelligence dautre part. La méthode globale avait pris naissance. Mais la scolastique qui pervertit toutes choses ne se tenait
pas pour battue. Elle allait repartir à l'assaut de la vie qui, un instant, avait
entr'ouvert les portes de l'Ecole et suscité elle-même les aménagements et
perversions qui allaient battre en brèche ces nouveautés. *** Le processus global d'acquisition ne joue évidemment que si
sont sauvegardées les conditions mêmes de la vie.
L'enfant reconnaît globalement sa maman parce que des
contacts affectifs multiples et subtils et indélébiles ont été établis au cours de sa
première enfance. Mais il confondra les infirmières qui, dans la pénombre de la
crèche, s'occupent de lui plus ou moins mécaniquement. Il aura entendu les pantoufles
glisser sur le parquet, il aura vu les trois boutons briller au corsage et une mèche de
cheveux s'ébouriffer autour de l'oreille, mais ces éléments pourtant acquis par la
vision, le toucher ou l'audition, ne sont pas suffisants pour une identification
immédiate et certaine. Ils ne sont pas inscrits d'une façon vivante dans le processus
affectif des individus. Ce sont comme des éléments d'une pile, riches en puissance
peut-être, mais qu'on n'est pas parvenu à raccorder et à assembler pour éclairer une
lampe ou activer un mécanisme. Le processus de globalisation se trouve de ce fait en
défaut. On a bien essayé de poser le squelette de la maison. Mais on a négligé
den assurer les piliers et tout lédifice est branlant. On pourra regretter
alors, avec juste raison, de navoir pas monté les murs pierre à pierre,
méthodiquement. C'est l'aventure qui a suscité la réaction actuelle,
partiellement justifiée, contre la méthode globale. Le Dr Decroly avait montré, par ses observations et
expériences, que l'enfant est capable d'appréhender le mot et la phrase avant d'en
distinguer les éléments constitutifs, mais à condition bien sûr que cette phrase soit
insérée intimement dans le contexte de vie des individus. Quand une école écrit au tableau et imprime : « Avec
une pile et une ampoule, Mimile nous fait de la lumière », les mots sont intégrés naturellement, sans passe-passe
scolastique, dans une pensée et un événement vécus. Ils s'inscrivent, de ce fait, naturellement, et avec un
maximum de sûreté, dans le complexe d'acquisition et de vie. La maison est bien posée
d'un bloc et solide sur des piliers assurés par de profondes fondations. On pourra sans
danger monter les murs intermédiaires. L'Ecole a pris dans la méthode globale, la mécanique,
mais elle a oublié la vie. Si l'enfant ouvre son manuel et lit cette phrase pourtant
apparemment active : « Toto est content, son papa l'emmène à la
pêche » i1 essaie de bien photographier l'ensemble mais il ne
reconnaît rien parce qu'il n'est pas allé à la pêche. D'ailleurs, l'Ecole sentant
justement la faiblesse de cette méthode
hybride, a prévu une illustration qui est là pour apporter un ersatz de vie. Ce n'est,
hélas ! qu'un ersatz. On a jeté des fondations mais on a oublié d'y couler le
mortier. Il manque à notre texte la chaleur de l'événement qui aurait inséré
normalement la phrase dans une expérience individuelle ou collective. Les piles ont été
raccordées par un cordon mauvais conducteur, et rien ne s'éclaire de ce qui justifierait
le processus de globalisation. L'éclairage manque ; la mécanique est en défaut. Les
images restent floues et l'individu ne les reconnaît pas au passage. C'est ce qui est arrivé à Genève, comme à Bruxelles
d'ailleurs. On y a édité des manuels de lecture globale. On a prévu des textes
illustrés que l'enfant doit lire globalement. Mais on a vite senti la nécessité d'aider
prématurément ce processus naturel par un recours à la lecture analytique. Et sont
nées ainsi, en Suisse et ailleurs, des méthodes mixtes qui ne sont qu'un amalgame sans
vertu. Dans un mouvement de mauvaise humeur, une administration
qui a trahi l'esprit de Genève a condamné et interdit ta lecture globale. L'événement a évidemment fait scandale et autorité. Il
est facile aujourd'hui, de partir en guerre
contre une méthode que la scolastique a détériorée et pervertie. Essayons donc de
faire le point. Les principes de la méthode globale, non seulement en
lecture mais pour toutes les disciplines, tels que les a établis le Dr Decroly et que
nous venons d'examiner, sont indéniables. On en contestera l'application en éducation. 1° ON MET AU COMPTE DE LA LECTURE GLOBALE AINSI
SCOLASTISEE LE FAIT QUE LES ENFANTS ECRIVENT MOINS BIEN QU'AUTREFOIS. |
La responsabilité de la vraie méthode globale ne saurait
être mise en cause. 2° LES ENFANTS D'AUJOURD'HUI LISENT MOINS BIEN ET Et c'est malheureusement souvent exact. Les enfants soumis
aux méthodes hybrides dont nous avons déjà dit le danger ont souvent une lecture
exagérément globale. Ils se contentent de deviner l'ensemble et fabriquent des mots en
fonction de cet ensemble, sans un suffisant recours à la contexture des mots. « Toto est content. Son papa va à la pêche ». Il traduira aussi bien : « Son papa va à la
campagne » ou « Son papa va aux champignons », selon son
humeur. Il traduit la pensée du livre sans aucun scrupule puisque aussi bien la lecture
n'est pas pour lui, prise de conscience d'un fait ou d'un état d'âme, mais exercice
gratuit. Mais si le texte écrit au tableau et imprimé dit : « Avec une pile et une ampoule, Mimi nous fait de la
lumière », l'enfant ne pourra pas interpréter : « Avec une pile et une poule » parce
qu'il se rendrait compte aussitôt, sans le secours du maître, qu'il dit là une sottise,
et il s'appliquerait à rectifier. Ce qui est aussi incontestable. Il faut, à notre avis,
incriminer ici non seulement la méthode scolaire, mais aussi l'évolution et la
détérioration du milieu. 3° TOUTE NOTRE VIE CONTEMPORAINE EST AXEE SUR LE Elle pose les édifices mais néglige couramment les
piliers. Lenfant qui passe aujourdhui dans la rue est
sollicité en permanence par des inscriptions et des affiches qui lui sont indifférentes
et quil lit globalement, sans se soucier de linterprétation plus ou moins
juste, des signes quil enregistre. Doù des erreurs de lecture surprenantes,
et qui sinscrivent parfois dune façon tenace dans lesprit des enfants.
Nous nous arrêtions autrefois au bord de la route pour lire
attentivement les instructions sur les bornes ou les monuments. On défile aujourd'hui
en train ou en auto. Il faut, bon gré mal gré, bien ou mal, voir en un clin d'il,
sans possibilité de s'arrêter ou de revenir en arrière pour rectifier une mémoire
défaillante. On intervertit des mots, on échange des consonances qui bousculent le sens
et habituent les enfants à un à peu près contre lequel il nous sera parfois difficile
de réagir. Mais il y a plus grave. Avez-vous vu votre enfant lire son journal illustré ? Il
regarde l'image et réagit d'abord à l'image seule, donnant parfois lui-même le texte
possible du drame que ces images suscitent en lui. Ensuite, mais ensuite seulement, il jette un coup d'il
sur le texte. Il ne s'agit pas de le lire syllabe à syllabe ou mot à mot, ni même
globalement. Il n'en a d'ailleurs ni le temps ni le désir. A quoi lui servirait cet
effort ? Il promène son il distrait sur un texte si compact qu'il est d'ailleurs
souvent illisible. Et sur la base de cette vision rapide, il reconstitue le texte à sa
convenance. Il intervertit ou déforme à sa fantaisie les groupes de mots, change les
phrases, en extropie d'autres. Et finalement ce quil lit comprend n'a plus aucun
rapport avec le texte véritable. « To-to-est-con-tent-son-pa-pa ». Il reconnaît les mots et les signes. Il ne lit pas, il
déchiffre. Il n'essaie pas de comprendre puisque aussi bien une phrase ainsi débitée en
syllabes et en sons ne saurait avoir de signification, Et cela explique les réactions
du demi-illettré qui lit son journal : - Quy a-t-il de neuf ? lui demande-t-on. - Je ne sais pas
Je lis ! Les deux démarches sont chez lui radicalement séparées
reconnaissance des mots, compréhension du texte. L'homme ne sait pas lire. Il ne faudrait donc pas dire : « Sus à la méthode
globale ! » qui est celle de partout et de tous les temps, mais « Sus à la
méthode globale scolastique» ; « Sus à toutes les méthodes scolastiques» qui,
en dissociant les phénomènes naturels de lecture, compromettent, aidés en cela par
l'invasion fulgurante des techniques contemporaines, un apprentissage de la lecture sûr,
rapide et correct. 4° LES ENFANTS D'AUJOURD'HUI ONT UNE ORTHOGRAPHE BEAUCOUP
PLUS DEFECTUEUSE QUE LES ENFANTS DIL Y A TRENTE OU QUARANTE ANS ET LES ADULTES AUSSI
DIRIONS-NOUS Cela est aussi incontestable. Nous nous trouvons dans nos
classes devant une grosse majorité denfants qui font une faute à chaque mot :
fautes daccord, mais surtout fautes dinattention. Cest, dit-on, parce quon ne leur a pas enseigné
ou imposé de se surveiller et quils écrivent comme si cette orthographe
navait aucune importance. -
Voire ! Nous recevons à notre Ecole Freinet de Vence une proportion
sans cesse croissante de ces élèves dont les déficiences nous apparaissent comme le
fruit des erreurs et des insuffisances que nous avons signalées. Ils ne manquent pas
d'intelligence, mais ils n'ont pas pu surmonter le hiatus que les circonstances actuelles
posent entre les méthodes scolaires et la vie du milieu. Ils n'ont pu résister à la
désadaptation qui en est résultée. Pour vivre, ils se sont installés tant bien que
mal et parfois avec un certain succès, dans le milieu extrascolaire et sont restés comme
imperméables au milieu scolaire. Ils ne veulent plus travailler. Ils ne savent pas lire.
Ils ont une orthographe déroutante et semblent perdus à jamais au point de vue
intellectuel et culturel. 5° IL EST DE MODE DE METTRE SUR LE COMPTE DES METHODES
GLOBALES LES TARES DE DYSLEXIE Notre expérience et nos réussites nous confirment dans
cette opinion. Nous constatons en effet que le même enfant qui écrira
avec entêtement CRA pour CAR, BARS pour BRAS,
ne commettra jamais cette erreur en parlant. Que penseriez-vous d'un enfant qui
dirait à sa maman : « Il faut que je m'habille CRA c'est l'heure
de partir ». L'enfant rectifiera lui-même cette monstrueuse anomalie. Il écrit
CRA pour CAR parce que les méthodes traditionnelles l'ont
habitué à l'écriture gratuite. Comme il ne comprend pas ce qu'il écrit et que de
toutes façons cela est sans importance il écrira indifféremment CRA ou CAR. Redonnons un sens, un esprit à son écriture. L'enfant
sentira lui-même la portée de son erreur et se corrigera immanquablement. Il est enfin une constatation générale : la dyslexie
nexiste absolument pas dans les écoles travaillant selon nos techniques et nos
enfants qui en sont affectés sy guérissent. Si les faits que nous signalons sont exacts, si la
thérapeutique que nous préconisons est valable, on ne risquera plus d'englober nos
techniques dans une réprobation qui n'est pas toujours imméritée puisque nous apportons
des solutions éprouvées aux tares d'une pédagogie qu'il nous faut d'urgence moderniser. 6°
ON ACCUSE ENFIN LES METHODES GLOBALES DE L'IMPUISSANCE CROISSANTE DES ENFANTS A FAIRE UN EFFORT 1° Le principe de la globalisation est indéniable et n'est
d'ailleurs pas, dans la réalité, une découverte récente. 2° Mais le principe de globalisation n'est
nullement exclusif de toute analyse ni d'une attention particulière aux éléments
constitutifs de l'ensemble. L'analyse ne saurait se suffire sans globalisation et
inversement. Une bonne méthode doit faire fonds en permanence sur les deux processus
comme cela se produit dans toute acquisition naturelle vitale. 3° D'autant plus et on l'a souvent négligé que
le fonctionnement de ces processus n'est pas exactement le même chez tous les individus
et ne saurait être préétabli comme règle uniforme et obligatoire. C. FREINET.
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Lecture globale naturelle
par l'imprimerie à l'école
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JOIE DU TRAVAIL Cest à lEcole Maternelle et Enfantine quil faut aller chercher le vrai sens et la profonde portée de notre technique de limprimerie à lEcole. |
Nous
avons dabord révélé lenfant. Nous lavons révélé à lui-même et
nous lavons révélé aux éducateurs. Et cela, non pas verbalement, dogmatiquement,
mais par des réalisations tangibles et effectives
qui sont, malgré les pédagogues, les initiatrices de la pensée nouvelle. C'est en parlant qu'on apprend à parler. C'est en écrivant qu'on apprend à écrire. C'est en s'exprimant qu'on apprend à s'exprimer, à prendre
conscience de soi, à affirmer sa personnalité. Nous préparons cette possibilité. * ** Apprendre à lire et à écrire ! Que de générations d'enfants ont pâli et pâti devant les
livres de classe et les tableaux muraux, pour un travail dont ils ne comprenaient ni le
sens ni l'utilité ; que d'efforts gaspillés à imiter des lettres mortes et
insensibles ! Que d'éducateurs ont usé leurs nerfs à cette besogne rebutante et
désespérante entre toutes : enseigner la lecture et l'écriture aux enfants ! - Maman, y a bébête jouge ! Vous lui diriez : - Tais-toi, tu ne dois pas encore prononcer des mots aussi
difficiles que tu ne connais pas. Voyons d'abord le son re ro ri. Renouvelez en pensée, plusieurs fois par jour, cette
expérience désastreuse, mettez-vous maintenant à la place des enfants, et dites si, le
soir, vous ne seriez pas, à tout jamais, dégoûtés de parler.
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Par l'Imprimerie, nous suivons tout simplement l'exemple des
mamans. Nous laissons les enfants s'exprimer d'abord ; nous
facilitons, nous encourageons, nous fixons, nous diffusons leur pensée pour que cette
expression ait son véritable sens et sa raison d'être. Nous ne ménageons aucune savante
mais scolastique gradation : tous les mots, toutes les pensées sorties de la bouche des
enfants peuvent, et doivent, sans danger, passer sur j'imprimé. Nous aidons même les
lents, les retardés, les difficiles à parfaire une expression qui tarde à
s'extérioriser. A tous, enfin, nous présentons des exemples parfaits en
transcrivant en français correct le gazouillis enfantin ; et l'imprimerie donne une forme
majestueuse et définitive parfaite à cette expression. Le dessin, le coloris, la
musique, la mimique viennent encore renforcer le sillon tracé par ces éléments de vie
que nous avons su ainsi magistralement projeter sur le papier. Et comme pour le langage, la nature opère le miracle. Selon un processus que nous avons étudié d'autre part
(l), l'enfant ainsi compris et stimulé, éprouve le besoin d'écrire, de lire globalement
et sans leçons, bien sûr ! Il photographie avec insistance la ligne qu'il vient de
composer ou tel mot qui l'a frappé. L'imprimé lui-même qui sort de la presse est fixé
pour toujours peut-être, dans l'esprit de nos enfants. Alors là, oui, s'opère la merveille de la lecture globale
idéale. Comme pour le langage, des phrases, des mots, affleureront
à l'expression consciente. Puis l'enfant lira et comprendra des phrases entières
jusqu'au jour où, intrigué, il s'attaquera enfin au problème de la lecture dont il
découvrira le mécanisme, mots et syllabes. De même que la maman peut vous affirmer, elle a
l'expérience de toujours en sa faveur que son enfant apprendra à parler, nous
affirmons de même, et on comprendra la similitude de notre assurance, que l'enfant,
par l'expression libre selon notre technique, apprend naturellement à lire et à écrire
sans aucune leçon spéciale, donc sans aucune fastidieuse obligation. Seulement, il ne faut pas être pressé.
L'enfant met deux ou trois ans pour apprendre le langage,
Si des pédagogues s'avisaient de précipiter anormalement cet apprentissage, par un
bourrage diabolique, ils parviendraient effectivement à faire prononcer plus vite
certains mots, mais ce serait toujours aux dépens de la formation harmonieuse de
l'enfant. (1)-Méthode Naturelle de Lecture (B.E.M. n° 8) ; -C. FREINET : Essai de Psychologie Sensible Appliquée
à l'Education Ecole Moderne (Cannes), Soyons plus nets : si les pédagogues
s'avisaient de transporter leurs méthodes dans les familles, nos enfants n'apprendraient
plus même à parler parce que l'entrave permanente apportée par la scolastique à leur
besoin d'expression arrêterait net leur développement.
-
Voyons, où en sont ces
enfants ? Si ce même Inspecteur était délégué
pour aller contrôler les progrès en langage des enfants et l'application des mamans dans
leur besogne pédagogique, et qu'il dise de même à la mère : -
Voyons, où en est votre
enfant ? La mère répondrait, radieuse : - Oh ! C'est merveilleux ! Je n'ai
jamais vu d'enfant aussi intelligent... Tout le jour, il gazouille. Il ne s'arrête pas de
parler, et je comprends tout ce qu'il me dit ! Son père en est émerveillé ! -Voyons, voyons, dirait M.
l'Inspecteur
Voyons, mon enfant, répète avec moi : « La toupie tourne quand
on la lance ». L'enfant n'arrive pas même à imiter ces
mots dont il ne comprend nullement la genèse... Et s'il a acquis, à une éducation
libre, une certaine liberté irrévérencieuse qui a parfois son charme, il risque fort de
montrer, par un geste non équivoque, que ce monsieur n'est pas tranquille de venir ainsi
poser des questions qui n'ont aucune base immédiate dans la vie... Vous voyez d'ici le rapport de M.
l'Inspecteur ! Avec notre technique, il en
est, hélas ! de même. Tous nos enfants lisent avec enthousiasme
leurs propres textes ; ils s'essayent à lire globalement quelques textes de leurs
correspondants. Ils distinguent seulement quelques mots, et pas toujours parfaitement.
Mais ils ont en eux, liée intimement à toute leur vie psychique et sociale, l'image
diverse d'une foule de mots qui, brusquement, viendront au jour, dans leur sens véritable
et total. Alors, notre enfant saura lire et pour toujours, parce que cet apprentissage
naturel fera corps avec la vie elle-même et le processus d'évolution de l'individu. - Mais pour l'instant, pourra objecter M.
l'Inspecteur, comment puis-je constater un résultat ? Quelle totale assurance
pouvez-vous me donner ? - Aucune, en effet, si ce n'est le
spectacle émouvant d'une classe vivante et enthousiaste qui marche, qui monte, et qui,
parce qu'elle va de l'avant, atteindra immanquablement et dépassera les buts proposés ou
imposés par les programmes et les règlements. Il nous faut, à tous, en face du
problème humain que nous posons, une attitude compréhensive et tolérante, une confiance
nouvelle dans l'importance du dynamisme éducatif qui est notre plus grande force et
notre seul espoir de succès. * ** Le jour où les éducateurs se seront
remis aussi totalement à l'école des mamans, le jour où les parents eux-mêmes auront
compris cette similitude entre les techniques d'apprentissage de la langue et de la
lecture-écriture ; le jour où les uns et les autres auront dépouillé la longue erreur
scolastique qui les a, hélas ! si totalement marqués ; le jour aussi où les chefs
plus humains que bureaucratiques sauront contempler la vie et non mesurer seulement un
stérile devoir, ce jour-là le miracle annoncé se produira totalement : sans leçon
spéciale, par l'expression libre et la vie grâce à l'Imprimerie à l'Ecole, les enfants
se saisiront, dans un délai normal, de cette technique de la lecture et de l'écriture
qui reste actuellement un des cauchemars de l'Ecole Primaire. Plus de leçons de lecture, plus de
lecture individuelle ou collective au tableau, finis ces exercices plus ou moins
ingénieux qui usent et découragent... plus d'insuccès ! Quel beau jour n'est-ce pas, petits
enfants ! Et quel beau jour aussi, mes collègues qui, aujourd'hui, dès que vous le
pouvez, demandez à quitter les classes où l'on apprend à lire comme si l'éducateur
montait en grade à mesure qu'il s'éloigne de la fraîcheur enfantine ! Mais ce sont ces classes alors qui
deviendront les plus agréables et les plus charmantes, comme reste inoubliablement
émouvant le temps, qui passe trop vite hélas ! où Bébé, neuf et intrépide, se saisit
du langage à notre émerveillement et pénètre, joyeux et opiniâtre, dans le monde
mystérieux. Un âge d'or de l'Enseignement ! Eh oui ! Age d'or, surtout parce que c'en sera fini
du long abrutissement scolastique. La vie reprendra sa triomphale
revanche ! * ** Un rêve ? Plus près qu'on ne croit de se réaliser. Mais en attendant ? Pratiquement ? En attendant que, dans nos classes
modernisées, nos enfants puissent s'exprimer par l'écriture et la lecture, non pas
quelques minutes par jour, non pas quelques heures, mais presque en permanence, à
l'occasion de toutes les activités scolaires, comme Bébé gazouille, expérimente,
cherche et parle presque sans arrêt pour ajuster sans cesse son obstiné tâtonnement ? En attendant que les parents aient
compris, que l'Inspecteur ait pu adapter sa technique de contrôle à nos conditions
nouvelles de travail, que faire ? La nouvelle technique ne tombera pas d'en
haut, toute prête ; l'esprit nouveau ne touchera pas la masse des intéressés comme
une lueur de la grâce. C'est à nous de montrer, pratiquement,
expérimentalement, que nous avons raison pour qu'on nous suive un jour jusqu'à
l'expérience complète que nous savons concluante. Ici, nous donnons la parole à Lucienne
BALESSE qui va vous dire ce qu'elle a réalisé, ce que donc toute éducatrice peut
réaliser dans une école populaire dominée par toutes les difficultés matérielles qui
rendent si difficiles le redressement de notre éducation, soumise au contrôle
permanent des parents et des inspecteurs et qui doit, tout en affrontant le nouveau, ne
pas se couper d'un passé que la vie seule sait mettre à sa juste place. Certes, Lucienne Balesse ne vous
présente pas une technique idéale à 100 %. Parce qu'elle n'est pas encore parvenue,
techniquement, à donner à l'expression écrite, la place majeure qu'elle devrait avoir
dans sa classe, elle a dû recourir à certains artifices, dont la vie nouvelle atténue
la nocivité, mais qui iront ensuite en s'atténuant à mesure que nous approcherons de la
voie royale, hors de toute scolastique. L'essentiel est qu'on ne prenne pas ces
artifices pour la voie royale et que, partant de l'expérience ainsi relatée, nos
camarades puissent aller toujours plus avant, dans une technique de travail qui leur
assure succès, sécurité, paix et joie. C.FREINET
* ** |
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Il est inutile de présenter de nouveau aux
instituteurs un traité psychologique et méthodique de lecture globale. Il en existe de
nombreux expliquant la base psychologique de la méthode et la façon scolaire de s'en
servir. (1) R. Dottrens et E. Margairaz : L'apprentissage
de la lecture par la méthode globale. Edit.
Delachaux. A. Hamaïde : La Méthode Decroly. Ed.
Delachaux, E. Monchamp : Psychologie et
Méthodologie de la lecture, Bruxelles. Pourquoi ce progrès si lent d'un travail
si vrai et si prometteur de libération ? 2. Personne n'a présenté des outils
facilitant le travail et ouvrant la voie. Il fallait dans chaque classe tout créer en
commençant. Rien de préparé ne donnait l'élan au départ. Travail dur pour les
hésitants et peu alléchant pour rivaliser avec la bonne et facile routine. 3. Les expérimentateurs ont proclamé des
résultats surprenants et rapides, mais tous ont expérimenté dans des classes
relativement peu peuplées, parmi une population d'enfants de milieux intellectuels ou
tout au moins parmi les enfants de ville à la langue déliée et au vocabulaire plutôt
abondant. (Le cas est peut-être différent en France mais en Belgique, à la campagne, et
même dans certains milieux industriels, le français est pour les enfants une seconde
langue qu'ils ignorent, leur langue usuelle étant le wallon). La plupart des écoles nouvelles
fonctionnent dans des milieux bourgeois où l'intérêt intellectuel est facilement
éveillé, Où l'enfant, vivant parmi des paperasses : papiers d'affaires, courrier
volumineux, bibliothèque fournie, sent la nécessité de lire et d'écrire. Nos petits
paysans voient rarement à la maison livres ou journaux ; tout au plus la famille
reçoit-elle une lettre, une réclame ou une feuille électorale. On comprend leur
indifférence, et même leur dédain, pour la lecture et pour tout ce qui est livresque ou
scolaire. Nous ne voulons d'aucune façon reprocher
aux écoles nouvelles et expérimentales ni leur milieu, ni leur façon de travailler.
Nous avons besoin de précurseurs qui se consacrent uniquement à ces travaux de mise au
point. S'ils ont cherché, trouvé la voie, lancé les bases, il nous reste à saisir les
directives et à travailler pour vulgariser dans nos masses cette voie nouvelle et
libératrice. Les camarades peuvent se fier aux
résultats que nous signalons, ils ne seront pas déçus, car leur milieu de travail ne
peut être dun niveau inférieur au nôtre. Quutilisons-nous pour appliquer la
lecture globale sans surcroît de travail pour linstituteur et sans disposition
spéciale des enfants ? 1°- La
presse Freinet, l'imprimerie à l'école, précieux outil de travail, instrument de
libération, point de départ matériel et palpable vers la lecture globale et
l'expression enfantine. 2°- La
pratique constante du dessin libre précédant, accompagnant, complétant, précisant le
récit qui apparaît sous forme d'entretien, de conversation, d'histoire, de mime. 3°- Les
échanges journaliers de feuillets imprimés, les échanges d'albums. Les pages de vie des
petits camarades pleines d'attrait, d'intérêt, amenant l'enfant à déchiffrer des
textes nouveaux. 4°- Les échanges de lettres manuscrites favorisant,
motivant l'acquisition de l'écriture propre et lisible. 5°- Les
récits, les conférences d'enfants poussant aux recherches, à la documentation et
donnant l'occasion de s'exprimer. * ** |
L'imprimerie à l'école, point de départ indispensable vers la lecture naturelle et l'expression enfantine
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AVEC l'imprimerie, la lecture globale
devient un soulagement pour l'instituteur et la voie de réalisation pour les enfants.
Dorénavant, on dira fièrement sa pensée ; on pourra la lire et la faire lire à tous,
parfaitement matérialisée, noir sur blanc, dans les feuilles imprimées. Quelle fierté,
quel accroissement de ces petites personnalités qui, du même coup, se découvrent et
s'affermissent ! L'habitude de cette passivité, de cette
molle réception est si vite acquise. C'est d'ailleurs enclin à cette même mollesse que
l'adulte subit son sort sans réagir. C'est tout ce qu'il sent, tout ce que son
esprit agence, qu'il s'habitue à extérioriser, sans le souci de cacher ce qu'il est plus
ou moins beau (à notre avis) de penser. Il soulage son cur : regret, aspirations,
rancunes, arrière-pensées, désirs sont racontés pêle-mêle, dans des élans, des
associations naïves, souvent inexplicables pour l'adulte.
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Où est la voie
naturelle ? Que penser de la décomposition ?
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Il est expérimentalement établi que la
fonction de la globalisation est un phénomène mental par lequel l'enfant acquiert la
plus grande partie de ses connaissances. Les procédés de lecture globale employés
respectent-ils ces principes fondamentaux ? Il est nécessaire que chaque école s'adapte
suivant son milieu, mais les mêmes grandes, lignes directrices doivent cependant se
retrouver dans toute application. Dans certaines classes, on fait de la
lecture globale, cest entendu, mais pendant un mois, pas même, et directement on en
arrive à la décomposition. Lesprit de lenfant aurait-il si vite évolué
pour analyser à 6 ans et 1 mois plutôt quà 6 ans ? Ce nest là quun détour pour
en revenir à la systématisation aride et rebutante de la syllabation. Dautre part, on dissimule trop la
lecture par le jeu. Nous ne pouvons trop nous étendre ici sur ce que lon peut
envisager par jeu chez lenfant. Nous sommes en tous cas contre cette
tendance à vouloir enseigner en jouant pour aplanir les difficultés, adoucir les
acquisitions rebutantes. Ce procédé tombe si nous permettons à l'enfant de se
réaliser, si nous possédons la presse, si nous pratiquons les échanges, L'acquisition
des techniques s'intègre à la vie même. Comment procède-t-on dans la plupart des
écoles pour faire de la lecture globale en assurant une acquisition rapide de la
technique ? Dans les premières phrases ou textes suggérés par l'instituteur, les mêmes
mots se répètent pour que l'enfant puisse les dégager presque tout de suite. Ces mots
découverts doivent être retenus. Pour cela chaque jour, pendant plusieurs semaines, on
fait lire et relire les mêmes phrases ou textes affichés au mur de la classe pour bien
en obséder la vue des enfants. Premiers écarts de la voie naturelle : on
limite l'enfant dans son expression (car les mots du texte sont voulus par l'instituteur),
on lui impose de relire constamment ce qu'il désire dire et lire une seule fois, on
l'empêche de continuer à s'épancher, car il faut retenir et reconnaître les premières
phrases avant d'en lire d'autres. En un mot : on entrave, dès le début, le déroulement
du processus d'expérience. Souvent aussi, le stade du mot rapidement
franchi, on prépare la décomposition en syllabes. On préconise plusieurs manières pour
arriver à la décomposition : les plus pures conseillent d'attendre que l'enfant fasse
lui-même certains rapprochements, découvre certaines ressemblances ; d'autres favorisent
cette découverte en provoquant les rapprochements, les ressemblances ; d'autres enfin,
imposent elles-mêmes la décomposition en la faisant adopter par l'enfant. Le troisième
procédé est le plus couramment employé, car les suggestions de l'enfant se font
attendre trop longtemps et il faut savoir lire à la fin de l'année ! L'enfant se voit de nouveau astreint à
un travail limité et ennuyeux : lire, relire des mots, des morceaux de mots renfermant
ressemblances et consonances. Où sont la libre expression enfantine et sa réalisation ?
Une avalanche de jeux détourne et entrave la véritable activité de l'enfant qui ne peut
ni vivre, ni réaliser ses possibilités dynamiques, en agençant force cartons. D'autre
part, les éducateurs les mieux intentionnés, les plus courageux, se sentent déçus. A
l'idée de cette prodigieuse abondance de matériel, ils s'exclament c'est irréalisable ! Le jeune enfant n'a guère d'attrait pour
la décomposition. Si vous le laissez libre, il globalise longtemps sans se soucier de
mots et de syllabes. Sa mémoire un peu prodigue et les dispositions particulières à
enregistrer globalement lui permettent d'emmagasiner un grand nombre de textes et de les
relire parfaitement ; il en retiendra une centaine et même plus, sans sentir la
nécessité de décomposer pour lire. Il n'a qu'un souci : exprimer sa pensée, se
réaliser dans ses textes qu'il sait d'ailleurs lire très facilement. Les premières remarques concernant la
décomposition se feront attendre six mois et même plus, surtout dans nos milieux
populaires où l'enfant a si peu d'intérêts intellectuels et si peu de dispositions pour
parler le français. Il dira parfois : «Mais, c'est comme dans maison ».
Il a entrevu une ressemblance, c'est un pas, mais de là à la décomposition
systématique, il y a encore beaucoup de travail si l'on veut précipiter les étapes. Certes, il y a des enfants qui lisent
très vite et qui parviennent à décomposer spontanément très tôt mais ce sont des
exceptions qui se rencontrent rarement, surtout dans nos écoles populaires. Depuis plus
de quinze ans que nos enfants apprennent à lire par la lecture globale, nous avons vu
trois cas : deux fillettes qui ont décomposé très tôt, sans aucune aide, l'une après
quatre ou cinq mois, l'autre après six mois et un garçonnet après quatre mois. Pour nos
autres enfants, le travail de décomposition est toujours très laborieux et parfois
même en deuxième année, certains y sont encore rébarbatifs. Il faut attendre pour
qu'ils comprennent et acquièrent cette tactique rapide d'assemblage de syllabes
pour lire un mot difficile et inconnu. (Entendez bien, rapide, difficile et surtout
inconnu). Nous ne pratiquons pas la lecture globale
comme un procédé et surtout pas comme un procédé qui pousse à l'acquisition rapide
du mécanisme, mais nous voulons, grâce à elle, permettre à chaque enfant de faire son
expérience tâtonnée et de pratiquer une technique qui ne trahira à aucun moment sa
pensée. Grâce à la pratique des échanges, que
nous détaillerons plus loin, l'enfant prend conscience du mécanisme de la lecture avec
toute sa signification sociale.
S'il relit ses propres textes pour
retrouver l'émotion dont ils sont jaillis, s'il en crée d'autres pour satisfaire son
besoin de s'exprimer, en utilisant des mots, des expressions sans se soucier de
l'agencement des syllabes ni des lettres, la pratique des échanges le place dans une
toute autre situation, Il s'agit, cette fois, de déchiffrer une page écrite, la
motivation est ici toute différente mais combien ressentie. Nous avons envoyé notre
belle page de vie à nos petits camarades et voici que nous recevons la leur. Il faut la
lire pour savoir ce qu'ils ont fait et l'effort est total. C'est à ce moment que l'enfant
passe vraiment à la décomposition en en prenant conscience. Immédiatement, les mots
connus sont relevés, ceux que l'on n'a jamais vus sont observés et analysés avec
perspicacité : «Cela commence comme, .. Cela finit comme... Il y a... dedans ».
Notre intervention, l'exercice même,
sont souhaités pour déchiffrer aisément les mots qui doivent nous livrer ce que nous
voulons savoir, Les remarques, les exemples de syllabes ne constituent plus un système
imposé, mais une nécessité intégrée à la vie et pour cela accueillie avec
l'enthousiasme que procure tout ce qui élargit cette vie. Lire le texte des correspondants est un
enrichissement de l'expérience de chacun au point où il en est. Si les divers procédés de lecture globale, plus ou moins
standardisés ont, dit-on, malgré tout, l'avantage de permettre la lecture de textes, de
résumés provenant du centre d'intérêt, il est bien certain que pour savoir lire en
l'espace d'un an, il ne reste guère de temps à consacrer aux centres d'intérêt et à
l'observation. La classe est un endroit où l'obsédant souci d'apprendre à lire plane
comme une menace au-dessus des enfants étriqués dans une ambiance desséchée par une
systématisation inévitable. Elle ne connaît pas cette plénitude de vie bourdonnante d'activité et de joie efficientes dont
on parle trop aisément sans envisager les conditions essentielles d'un milieu vivant en
dehors duquel intérêt et observation ne peuvent avoir ni leur densité, ni leur sens
éducatifs. * ** |
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Il faut s'attaquer à cette manie de
vouloir faire prononcer aux jeunes enfants, par le système phonétique, des mots vides
de sens pour eux. Ils les prononcent, bon gré mal gré par la systématisation, mais se
refusent à les lire quand ils travaillent globalement avec leur compréhension. Il est bien nécessaire de poser cette
question : « Quand considérons-nous que l'enfant sait lire ? ». Est-ce quand
il parvient à prononcer toutes les syllabes d'un mot qui ne représente pas plus pour
lui qu'un mot écrit dans une langue étrangère ou quand, parcourant le texte, il sait
rendre compte de l'essentiel qu'il contient ? Car il est évident qu'il y a pour l'enfant,
une grande différence à déchiffrer un texte écrit par un autre enfant ou une colonne
d'un quotidien détaillant les événements politiques du moment Lorsque la plupart des
mots d'un texte, du domaine de l'enfant, peuvent être compris par lui, il saura les lire
assez tôt ; au début de la deuxième année et même avant, il, saura les déchiffrer. La difficulté que l'enfant éprouve pour
déchiffrer un texte dépendrait donc plutôt de l'intérêt qu'il porte à sa
compréhension que de la décomposition des mots. Certainement, à notre avis, la
compréhension influe plus que toute autre chose sur le travail de lecture. Si l'enfant
comprend les mots, le sens du texte, il se contente (comme nous le faisons d'ailleurs)
de lire la première ou les deux premières syllabes du mot et pour peu qu'il en connaisse
globalement la fin, il le prononce sans s'attarder à détailler les autres syllabes. Faut-il, à force de décomposition,
pousser l'enfant à lire quand même, sans comprendre ? C'est un peu ce que l'on vise
quand on parle trop tôt de lecture courante. A notre avis, nos enfants savent lire quand
ils lisent très bien tous les petits textes de la classe et qu'ils déchiffrent
passablement ceux qu'envoient leurs correspondants. Trouvons-nous que nos enfants ne savent pas
parler parce qu'ils ne se mettent pas à prononcer une conférence scientifique ou un
discours de meeting politique ? Alors pourquoi voulons-nous qu'ils lisent ce que leur
mentalité d'enfant ne peut pas comprendre ? Ne harcelons pas nos petits avec cette idée
fixe de la lecture courante ! Qu'ils vivent, qu'ils grandissent, ils liront toujours
assez tôt les mots qui bourrent les crânes. En attendant, ils progressent parce qu'ils
vivent et lisent de mieux en mieux, de plus en plus, suivant leur compréhension et leurs
possibilités enfantines. Avec leur petit bagage global, une lueur de décomposition et un
vif intérêt, ils sont capables de déchiffrer beaucoup de pages. La décomposition serait presque une
nuisance si elle donnait la possibilité et cultivait l'habitude de prononcer des mots que
l'on ne comprend pas. La pauvreté du langage et du vocabulaire persisterait du fait qu'il
n'est pas nécessaire de connaître le mot pour le lire. La lecture stupide a paré à
l'insuffisance de langage en donnant l'illusion de comprendre parce que l'on prononce
aisément. Elle a barré la route à la vraie culture littéraire, au besoin profond
d'expression de l'individu. Nous voulons redonner à l'extériorisation par la langue tout
son sens d'échanges humains exaltants parce que utiles et vrais. En appliquant la lecture globale à
l'école populaire avec des enfants de milieux peu ouverts, qui n'ont pas eu l'occasion de
développer leur vocabulaire, force nous est d'enrichir d'abord leur esprit et de leur
offrir des techniques pour qu'ils se mettent à s'exprimer et à lire. Quel travail profitable, quels progrès
seraient réalisés si nos enfants de 9 à 10 ans n'avaient prononcé et lu que des mots
gonflés d'émotion liés aux choses et aux faits. Avec pareille base, nous pourrions
partir à la conquête du bagage scolaire que l'on trouve utile d'acquérir. En l'espace de deux ou trois ans, nos
enfants trouveront largement le temps de l'assimiler. Nous pensons même qu'à côté de
cela, ils trouveraient encore bien le temps de vivre, alors que maintenant, au sortir de
l'école primaire, ils sont loin de posséder la matière proposée et ce qui est plus
grave, ils ont perdu ces élans de vie qui maintiennent le goût et l'ardeur au travail. En résumé, nous ne ferons de l'éducation
qu'en laissant chaque enfant réaliser sa propre expérience et acquérir ainsi les
mécanismes en étroite liaison avec l'élaboration de sa pensée. Autrement, il gaspille
en pure perte pour sa formation d'homme, les plus précieuses heures de son existence. Et,
il forge l'outil de son asservissement. * ** |
Technique
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Toutes ces conditions envisagées, nous
restons perplexes.
Faut-il faire de la lecture globale dans
ces conditions ? Bien sûr ! II faut faire ce que nous faisons :
pratiquer la lecture globale avec l'imprimerie, se soumettre, puisqu'il le faut, aux
exigences des programmes, en se rapprochant le plus possible de la voie naturelle et ce
qui est plus important, lutter comme nous, pour faire transformer ces programmes, montrer
les dangers de l'acquisition de la lecture en perroquet, crier et répéter que notre
société branlante peut branler longtemps encore et même s'écrouler si nous continuons
à former la jeunesse ainsi.
Une expérience
Voici comment nous appliquons la lecture
globale dans notre école de campagne avec 4 divisions et 25 élèves. Nous avons souvent
débuté avec 8 élèves en première année (6 à 7 ans) et 6 ou 7 en deuxième (7 à 8
ans). D'autres camarades travaillent dans le même sens avec une première année de 30
élèves et même plus. Suivant nos conseils, ils ont formé des groupes de travail et ils
nous écrivent quils sont très satisfaits du travail de leur classe. Nous commençons donc notre première
journée de travail scolaire. Souvent, en entrant en classe le matin,
une idée, un sujet de conversation, un même vent agite nos enfants. A nous de saisir le
fil et de laisser parler notre petit monde. Un texte court, une phrase au tableau
enregistreront ce que l'on pense, S'il n'y a rien de général, l'un ou l'autre racontera
bien quelque chose qui l'intéresse et accrochera tout le monde à son idée. Nos petits avaient trouvé : Aujourd'hui tout le monde est venu J'écris la phrase manuscrite au tableau. Nous la lisons. Remarquez tout de suite la disposition :
une idée par ligne, afin que chaque bandelette découpée plus tard ait un sens complet
à elle seule. Nous voulons en faire une page de notre
livre de vie et nous l'imprimons
On pourrait aussi à ce moment-là écrire
et illustrer le texte dans le cahier, mais ordinairement l'enfant préfère imprimer
d'abord. J'écris la phrase en imprimé, sur une
feuille, un enfant (l'auteur du texte) numérote les lignes qui formeront chacune un
composteur. Il découpe la feuille et partage les lignes de texte entre ses camarades.
C'est alors la leçon de calcul, surtout quand le texte est plus long et aussi si la ligne
de texte est trop longue pour le composteur. Il faut compter les caractères et les
blancs et s'arranger suivant ce que peut contenir le composteur. Les enfants sont prêts à composer, leurs
petites bandelettes en main. Je dis : - Regardez, on tient son composteur comme
ceci, la vis dans la main gauche. On commence par-là (à droite). Et lon cherche dans la casse la même
chose que cela (je montre la première lettre du texte). Dans les casses maternelles les
caractères sont juxtaposés dans les rainures de façon à ce que chacun soit bien
visible. Vous voyez, au caractère, il y a une
encoche, il faut toujours la placer en dessous, vers soi. Commencez maintenant. Et chacun travaille. La composition et la correction terminées,
il faut mettre le tout sur la presse. Le responsable du travail, (ordinairement
l'auteur du texte) appelle chaque enfant avec son composteur par numéro : - Apportez-moi le numéro 1, il met le
composteur sur la presse et dispose la bandelette correspondante à côté sur la table.
Puis le numéro 2, etc... Après avoir rappelé chaque camarade, le
texte est reconstitué dans la presse et sur la table avec les bandelettes. Un dernier
coup d'il pour comparer et l'on peut placer les interlignes, égaliser et caler les
composteurs. Le responsable distribue les tâches toi, tu presses ; toi, tu encres ; toi, tu retires
les feuilles, etc... (nouveaux calculs, compte de feuilles et cartons). Et l'on presse la première feuille :
l'épreuve que je corrige. Il faut voir les visages s'éclairer, les yeux grandir quand
on retire la première feuille ; c'est beau, c'est parfait, c'est comme dans les livres et
les journaux et c'est nous qui le réalisons. Le travail d'impression continue alors
automatiquement sans mon intervention. On imprime une feuille et un carton pour chaque
élève. Après l'impression, on décompose, on
range le matériel et on se lave soigneusement les mains. Les enfants écrivent alors dans leur
cahier, relisent le texte et l'illustrent. Ils écrivent directement à l'encre sur du
papier non ligné avec une plume spéciale à gros bout rond. J'ai moi-même écrit le texte sur la
page de gauche du cahier. Le lendemain matin, les feuilles et les
cartons bien séchés sont distribués. On range sa feuille dans son classeur, on la
lit, on l'illustre. On découpe son carton en bandelettes que l'on mélange et reclasse
ensuite pour reconstituer le texte. Déjà les mots importants se détachent. Les enfants ont senti ce que leur permet
l'imprimerie : s'épancher, ouvrir son cur, se soulager ; vous aurez des
textes, des histoires, comme ils disent, à profusion. Et chaque matin, nous racontons (petits
centres d'intérêt), nous lisons, reconstituons textes et bandelettes. L'enfant numérote lui-même les pages du
livre qu'il se constitue. Il conserve ses bandelettes dans une
boîte. Quand il a réuni les bandelettes de 5 ou 10 textes, cela devient encombrant.
Nous gardons alors une seule série de ces dix textes découpés dans une boîte pour
toute la classe. Chacun vide sa boîte et se débarrasse de ses petits cartons (on peut
les conserver dans un coin pour remplacer les mots perdus). On recommence alors à remplir
sa boîte avec les nouvelles histoires de chaque jour. Les séries de bandelettes conservées
pour toute la classe servent à reconstituer les premiers textes de temps en temps. Les
enfants font cela tous ensemble réunis autour d'une grande table. Nous n'attachons pas trop d'importance à
ce que l'enfant connaisse bien le texte avant d'en lire un autre. Les mêmes expressions se présentent si souvent et puis,
s'il les a oubliées à ce moment-là, il les rencontrera plus tard et les réapprendra. Combien faut-il imprimer de textes par
semaine ? Un chaque jour, si vous n'avez qu'une première année et si votre nombre
d'élèves vous permet d'approfondir suffisamment le texte. Sinon, deux ou trois par
semaine. Quelle longueur faut-il donner au texte ?
Nous ne sommes pas maîtres de la longueur du texte. C'est l'enfant qui parle. Au début, ils ne seront pas longs,
l'enfant s'essaye dans ce genre nouveau et se limite de lui-même, On peut aussi, de temps
en temps, se payer la fantaisie d'un long texte si le thème est beau ou intéressant, On
l'imprime en plus petits caractères et on ne prépare pas de bandelettes pour celui-là.
On peut en faire un bel album illustré. Et nos journées de classe se passent à
vivre ensemble en formant sans hâte notre livre de vie et sans nous soucier de lire plus
qu'il ne faut. Vers Pâques, nous proposons d'échanger
nos feuilles imprimées avec une autre première année. L'accueil est toujours
enthousiaste ; on enviait les échanges des aînés depuis si longtemps, la lecture, à
partir de ce moment, tient un peu plus de place et demande plus d'effort, mais le travail
est accueilli avec joie et impatience. Le facteur apporte le premier échange, Enfin ! Car
chaque jour depuis les propositions, on attend son arrivée et on questionne. Le paquet de
feuilles est lestement déficelé, Voici les feuillets perforés, distribués et à
présent maintenus par deux mains un tantinet crispées, Et d'entendre : «
hier,
je suis allé chez le
et après ? qu'est-ce que c'est que ce mot-là ?
coiffeur
!
mon papa m'a dit
et après ? .. lisez avec moi, madame, non, avec moi, non
c'est moi. . Jétais le premier ». Et souvent il faut lire avec tous les
quelques premiers feuillets qui arrivent, de peur de mécontenter l'un ou l'autre. Les
enfants les relisent après avec un camarade et puis à la maison et ils attendent
impatiemment le premier échange. A chaque arrivage, nous déchiffrons avec
chaque enfant son feuillet (dans une classe plus peuplée, prendre par groupe), Et c'est
le moment de l'encourager à découvrir des ressemblances de mots pour déchiffrer ceux
qu'il ne connaît pas. Ainsi, à pied d'uvre, elles sont vite trouvées et retenues,
les ressemblances ! Cest tout cela notre procédé de
lecture : écrire, lire notre vie, lenvoyer à dautres camarades, revoir
la leur, le lire, la sentir, la dessiner. Dès qu'ils sont habitués aux échanges,
les enfants n'impriment plus de cartons, ils se contentent de feuillets pour leur livre et
ne découpent plus les textes. Nous commençons alors les petits exercices
d'orthographe dont nous parlerons plus loin. Quand nos enfants savent-ils lire ? A notre
avis, ils savent lire dès le début déjà puisqu'ils lisent tout ce qui s'écrit dans
leur petite sphère de travail. Quand déchiffrent-ils seuls les textes des
correspondances un peu longs et considérés comme difficiles ? Ordinairement, on peut compter que les
enfants normalement doués déchiffrent vers Noël de la 2e année, les
autres s'échelonnent dans le restant de la 2e année. (Ceci s'entend sans
aucune préparation à la lecture avant six ans). * |
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Je n'ai pas voulu
modifier les lignes qui précèdent car elles décrivent un tout, une expérience qui, en
son temps, a réussi. Depuis, nous en avons vécu d'autres et je vous décrirai la
dernière. Elle montre la possibilité de supprimer les bandelettes en commençant les
échanges plutôt et en mêlant davantage l'initiation à la lecture, aux histoires et au
dessin. Au début de nos essais en lecture globale,
nous hésitions sur une quantité de détails techniques : -
Crainte
de désigner les lettres par leur nom en imprimant ; -
Hésitation
quant au libellé de la lecture : faut-il présenter des mots, des petites ou de longues
phrases, un texte ? -
Hésitation
pour commencer les échanges : est-il nécessaire que l'enfant soit déjà familiarisé
avec les mots ? -
Hésitation
pour entreprendre la décomposition : faut-il utiliser des bandelettes ? Quand
faut-il les découper ? Est-il recommandable de s'attarder à certains cas où l'enfant
montre très tôt le désir d'analyser ? Maintenant, nous considérons tout cela
comme des détails bien peu importants. Nous avons centré toutes nos préoccupations
sur une idée bien déterminée : celle de faire « briller le Soleil» selon
l'expression de Freinet. Etre le plus près possible de l'enfant et
réussir au mieux à l'épanouir. Si la vie prenante de la classe et les
émotions ressenties s'expriment dans des textes, des dessins, des modelages exaltants, la
lecture est voulue, appréciée et retenue. Chaque jour amènera un degré nouveau, dans
l'expérience tâtonnée de chacun. L'essentiel est de maintenir étroitement
liées, l'expression et la pensée ; ainsi, l'appétit est toujours insatisfait et les
capacités d'assimilation étonnamment amplifiées. Il faut surtout se mettre en garde contre
toute SYSTEMATISATION. NE RIEN SYSTEMATISER. Alternativement :
revenir à l'enfant et gambader devant lui en usant des exercices avec
précaution. Ils sont toujours vides d'un contenu substanciel d'émotion ou de pensée
et ils satisfont un automatisme gratuit qui illusionne et facilite l'esprit (deux
faiblesses qui nous guettent constamment). Si l'enfant vit bien son sujet, l'écrit, le
lit, le dessine dans la joie, les oreilles sont réceptives, l'effort spontané,
l'assimilation rapide, mais il ne faut pas vouloir user de ces dispositions pour accéder
plus rapidement au mécanisme. Laisser à l'enfant le soin de le découvrir ; en
attendant, il s'éloigne progressivement de la globalisation. * ** Actuellement, dès le jardin d'enfants,
avec les petits de 5 à 6 ans, nous échangeons des dessins et des histoires créées par
les enfants. Dans les albums, le dessin et la peinture occupent la plus grande place,
l'essentiel de l'histoire est inscrit ou imprimé sous le dessin pour que les
correspondants partagent notre vie, notre joie. Il n'y a là aucun, souci
d'apprentissage (1) de la lecture, un simple maniement de caractères par observation et
identification permet ce travail effectué par les quelques aînés de la classe. (1)
En Belgique, les programmes interdisent
tout apprentissage de la lecture avant six ans. Néanmoins, les enfants se familiarisent
avec le cliché des expressions, la forme des mots. Ils questionnent au sujet de ceux-ci,
les reconnaissent et les signes de l'écriture s'attachent peu à peu à leur pensée. Tout reste centré sur notre vie qui
s'exprime par tous les moyens et parmi ceux-ci, la correspondance joue le rôle d'un
levier puissant : il faut réussir le dessin destiné aux correspondants, éviter les
taches, bien emballer et ficeler soigneusement l'envoi, soulever son petit camarade pour
atteindre la boîte aux lettres. Ils vont être contents les petits amis ! Et quand l'album arrive : - Oh ! la jolie couverture ! - Lisez, lisez, Madame ! - Encore, encore ! - Quand irons-nous voir nos petits amis ? - Nous jouerons les marionnettes pour
eux. - Il faut les remercier ! Chacun dessine son portrait : un Louis qui
fait bravo, une Michelle qui dit merci, une Francine qui crie Ah ! ... C'est une magnifique préparation à la
lecture et à l'écriture dont l'étude
commencera d'une façon plus suivie après 6 ans. En attendant, le sens de leur emploi est
profondément ressenti. L'initiation à leur pratique sera favorablement accueillie dès
le début de l'année suivante. Cela nous permet de commencer
immédiatement avec ces enfants de 6 à 7 ans les échanges de pages de vie avec des
correspondants du même âge. Comment réaliser ces albums ? Dans le train de vie coutumière de la
classe matériellement équipée où l'enfant se livre à des activités spontanées par
lesquelles il observe sans cesse et traduit son jeu (dessin, modelage, conversations,
sable, eau) s'attarder à des tranches de vie particulièrement denses d'impressions,
d'émotions. Les capter, les fixer par des réalisations
élargies grâce à une observation, à une évasion vers le merveilleux qui n'est qu'une
explication personnelle et fantaisiste du réel et socialisées par la participation
collective au travail. Voici un exemple : Il y a quelques temps, nous avons suivi les
faits et gestes de notre poule avec un intérêt très vif. Quelques jours avant de partir en vacances,
nous étions tous inquiets par la disparition de notre poule anglaise. A la rentrée de
Pâques, j'annonçai aux enfants : «Notre poule s'est cachée pour couver, il ne faut pas
la déranger ; dès que les poussins naîtront, nous irons les voir ».
Un jour, nous étions occupés aux petites
charges journalières, j'arrosais les plantes avec les enfants. Tout à coup,
j'aperçois notre poule courant très vite dans la direction du bassin. Je
m'exclame : «La voilà, notre poule, où va-t-elle si vite ? ». Les enfants
montent sur la banquette qui longe les fenêtres, amènent les escabeaux et regardent : Où sont ses ufs ? Pourquoi va-t-elle à la mare ? Que va-t-elle faire ? Tous restent quelques instants
silencieusement attentifs puis les réflexions
fusent... Et voici la grande histoire que je notai : Voilà notre poule qui court vite vers la
mare / Son petit bec plonge dans l'eau. Sa petite queue blanche monte en l'air, Elle boira toute la mare ! dit Michelle. Non, non, son ventre est trop petit. Il
éclaterait dit Louis. Comme tu as soif, poule Enfin C'est fini Gratte, gratte cette petite oreille-ci. Gratte, gratte par terre. Gratte, gratte cette petite oreille-là. Un peu de gymnastique avec les ailes, Encore une gorgée d'eau Une crotte à terre Vite, vite, la poule court sous le clapier. Ah ! Ah ! On sait maintenant où tu caches ton nid !
Regardons sous le clapier des cobayes, Là-bas, là-bas, tout au fond, dans le
petit coin, la poule chauffe ses ufs. Les événements se sont succédés... et
nous avons continué : Une fois, on a vu les ufs, Les grands ont crié : « Il y a
dix ufs ! » Après, un dimanche, Tous les petits poussins sont sortis des
ufs. Un petit poussin ne savait pas sortir, On a fait une tombe bien chaude Avec de la mousse, de l'herbe et du sable
jaune.
Je relis le texte aux enfants, tous veulent
l'entendre encore, il faut le conserver et nous réaliserons l'album de la poule. On se
met à dessiner et voilà que naissent une foule d'attitudes comme celles qui couvrent le
carnet de croquis des artistes, accompagnées de considérations, de questions, de
discussions même. L'album est en chantier... Il faut
découper les dessins reproduits sur caoutchouc, les coller sur planchette, les passer à
la presse, imprimer une feuille pour chacun et des feuilles pour les correspondants. Les
plus adroits de 6 ans aidés par les grands impriment les textes (l'institutrice peut les
écrire sous les dessins). Puis, il faut reconstituer l'histoire d'après les dessins, les
colorier et préparer une jolie couverture décorée à la bruine ou garnie de
découpages. Nos albums, nos chants, des quantités de
dessins rappellent ces instants de vie frémissante. Tous les petits lisent volontiers et avec
aisance les textes des albums. Ceux de 6 ans, qui détachent spontanément de nombreux
mots pour les reconnaître et les comparer, sont prêts pour déchiffrer les pages des
correspondants. Après une semblable initiation et un an de correspondance par feuillets
imprimés, tout en continuant à s'exprimer et à créer, ils acquièrent aisément le
mécanisme de la lecture. * ** |
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LORSQUE nous parlons de textes d'enfants,
on nous regarde parfois, un sourire ironique au coin des lèvres. On obtient si
difficilement une rédaction avec du fond et une forme moins que passables, et nous
parlons de textes et de livres d'enfants ! Allons donc ! Tous les instituteurs imprimeurs proclament
cependant qu'avec l'imprimerie à l'école (naturellement il fallait une technique à la
base), les textes d'enfants abondent dans les classes, et quels textes ! On ne peut leur
reprocher le manque de fond ; c'est ce qu'ils ont de plus riche. Quant à la forme,
elle n'a pas moins de valeur, c'est du langage enfantin, sain et naïf, quelques
incorrections à redresser, quelques expressions à corser, et c'est savoureux comme
tout ce que produit l'enfant. Il faut seulement assez de doigté pour
ne pas contrarier l'expression de l'enfant mais, au contraire, pour la favoriser. Au début, le mieux est de ne pas trop
s'en mêler. Après avoir écouté et regardé quelques temps les enfants s'épancher, on
se sentira plus capable pour intervenir et pour participer à l'uvre, En tout cas,
il vaut mieux les laisser faire complètement seuls que de vouloir s'imposer en maître
et tout gâcher. Il est triste de constater avec quelle
ostentation pratiquent les correcteurs du style de l'enfant. L'essentiel est de saisir
le point palpitant de son récit, le développement qui va en résulter et, en le
dégageant, d'amener l'enfant à mieux l'exprimer, à mieux le rendre. Il faut le guider
d'assez près parce que nous devons participer à son émotion, à sa pensée et d'assez
loin parce que c'est lui qui montre et ouvre la voie. Au fur et à mesure que l'enfant évolue et
qu'il prend conscience des possibilités d'expression que nous lui apportons, il
perfectionne son style qui doit conserver avant tout la naïveté et la saveur de son
origine. Certains « maîtres » poussent
si loin l'incompréhension qu'ils parviennent à faire exprimer à l'enfant les phrases
qu'ils ont préparées la veille au soir ! Il ne faut pas que l'enfant sente la
comédie de l'étude ; ce sont ces manies de faire travailler pour
« apprendre » qui brisent les élans. Il doit au contraire sentir qu'il se
réalise et que ce qu'il produit a une réelle valeur. Si en arrivant à l'école, à 5 ou 6 ans,
l'enfant raconte ce qu'il a vu ou fait, ou senti, c'est parce qu'il éprouve en lui un
urgent besoin de s'exprimer, de faire participer les autres à ses états d'âme. (Nous
sentons tous d'ailleurs si bien cela : lorsque nous pouvons les raconter, nos joies
grandissent et nos souffrances s'atténuent). Les pages du livre de vie que l'enfant
réunit sont lues par tous ses camarades, par tous les parents, et lui-même s'y retrouve
en les relisant. N'est-il pas profondément humain de diffuser sa pensée, de la faire
partager ? C'est seulement dans ces conditions qu'il est utile de la dire, de l'écrire.
Plus tard, les échanges élargissent l'horizon ; la pensée de l'enfant dépasse l'école
et la famille ; d'autres camarades éloignés, d'autres parents, d'autres maîtres la
liront. La valeur en est du coup centuplée et l'auteur se sent la poitrine gonflée de
fierté. Raconter, écrire pour être lu, discuté,
critiqué, c'était la grande motivation à trouver, l'imprimerie et les échanges la
réalisent à merveille. Quand l'enfant a senti que vous lui laissez
la liberté de s'exprimer d'une part et que, d'autre part, la presse peut matérialiser
sa pensée pour la répandre, c'est l'abondance de textes et d'histoires. Ne craignez au
début de la lecture ni la longueur des textes, ni leur complication, ne cherchez surtout
pas à faire dire certains mots qui vous semblent plus accommodants pour lire. L'enfant a
senti son texte, il le lira, le retiendra.
Nous avons montré dans la technique
comment nous laissions les enfants s'exprimer pour donner des textes de lecture. C'est le
récit d'un événement qui s'est passé à l'école ou à la maison, c'est le résultat
d'observations, c'est le reflet d'une pensée qui préoccupe le hameau, c'est l'expression
de l'intérêt d'un seul qui a su accrocher tous les camarades ou c'est encore une
participation au centre d'intérêt des grands de la classe. Voici des exemples de ces textes d'enfants
: LE
RAT Dimanche soir, ma sur Lucienne a
été dans l'écurie chercher la brosse. Quand elle a eu éclairé, elle a vu un rat sur
les harnais du cheval. Elle avait peur. Elle criait : « hou ! Hou ! ». Mon
papa est allé voir, le rat était disparu. Le lendemain, Kiki l'a croqué. GEORGES - 8 ans
Mon chat a eu ses petits, Il y en a quatre, Maman a voulu les retirer du
panier Mais il n'a pas voulu. On l'a caressé, On lui a parlé, Alors il a bien voulu. J'aime les petits. Georges S. 6 ans ½ On a tué mon petit bouc.
Il était joli J'ai pleuré pour mon bouc. Je suis allée Payer le lait. Anna m'a dit D'aller chercher Un petit veau A la place de mon bouc. Mon papa a dit : « On va manger le petit
bouc ». Lucienne B. 7 ans.
Ma chèvre a fait un jeune. Maman a entendu bê, bêê. Elle va voir, il y a une chevrette. - Renée ! viens voir ! tu viens ? - Attends, je vais m'habiller, maman, je
n'ai plus qu'à mettre mon pull-over. Je viens voir : Oh ! lalalala, on va le
mettre près du poêle. Oh ! oui, pour sécher ses poils. Elle traîne toujours ses pattes par terre
et moi je ris. Renée S. 7 ans 4 mois. Le coq et la poule
Font coquerico
Et moi je crie : « petit, i
»
. Beaucoup de poules Et un coq arrivent. Le soir mon parrain Ferme la trappe
Et le matin il va ouvrir Jeanne D. 5 ans 10 mois
Et ce sont ces textes qui forment nos
livres de vie, nos albums, car chez les plus petits nous imprimons sur des feuilles
format double fiche ; ils ont ainsi plus de place pour illustrer leur texte.
L'illustration des textes et le dessin libre sont une autre manière de s'exprimer combien
précieuse pour eux qui sentent là leurs possibilités moins limitées et pour nous, qui
pouvons y voir, y lire des révélations curieuses. Nous avons parlé, en exposant la
technique, d'échanger ces textes lorsque l'enfant reconnaît quelques mots et a pressenti
le mécanisme de la lecture. C'est souvent après les vacances de Pâques que nous
commençons. Nous imprimons alors 7 ou 8 feuilles pour nous et 10 à 20 pour nos
correspondants suivant le nombre d'élèves de la classe avec laquelle nous échangeons. Nous n'imprimons pas chaque jour,
l'organisation du travail dans notre petite classe avec les 1re, 2e, 3e années et le
jardin d'enfants ne nous permet pas de laisser passer, chaque jour, chaque groupe
d'imprimerie, car dans ces premières années, les enfants en sont à des stades trop
différents pour se grouper à l'imprimerie ; les uns ne savent pas lire du tout,
d'autres savent lire à peu près seuls et les grands lisent tout. Après quelques temps
nous réunissons les deux derniers groupes. Avec le premier groupe (6 à 7 ans) qui
apprend à lire, nous imprimons souvent trois fois par semaine. Nous expédions chaque
fois un paquet de ces feuilles à nos correspondants et nous leur demandons de nous
envoyer également leurs feuillets imprimés trois fois par semaine si nous ne
correspondons qu'avec une classe, car il se peut que nous trouvions plusieurs classes de
notre niveau pour correspondre, alors c'est un arrangement à prendre avec ces classes
pour recevoir régulièrement nos échanges. Avec le 2e et le 3e groupe (7 à 8 ans et
8 à 9 ans), nous imprimons ordinairement deux fois par semaine et nous échangeons à ce
rythme. On peut envisager également les
échanges journaliers des feuillets ; c'est-à-dire imprimer chaque jour un texte et
l'expédier chaque jour aux correspondants. Nous n'avons pas expérimenté ce travail mais
les collègues titulaires de classe à une ou deux divisions peuvent le réaliser. Voici comment nos enfants préparent
leurs échanges. Celui qui a créé le texte effectue l'envoi (ils peuvent être
plusieurs). Le matin, après la distribution du travail, il rassemble les feuilles
imprimées la veille et les groupe en feuilles pour la revue, feuilles pour la classe et
feuilles pour l'échange. Le premier paquet est mis sous élastique et rangé dans le
casier. Le deuxième paquet est perforé et distribué aux enfants de la classe. Le
troisième est réparti entre les différentes écoles correspondantes : 16 feuilles pour
M. X..., 20 pour M. Y..., 6 pour Mlle Z..., etc...L'enfant entoure les feuillets d'un
papier gris, écrit l'adresse, (nous avons des fiches modèles avec les adresses), demande
de l'argent au gérant de la coopérative de la classe, achète des timbres chez les
grands, affranchit les paquets, y appose les cachets et les porte à la boîte aux
lettres. C'est tout un travail où se groupent le calcul, l'écriture, la lecture et une
certaine initiative. Dès 6 ans 1/2 les enfants s'en tirent
presque seuls pour préparer les échanges : c'est pour eux une grosse occupation
qui tient les plus petits plus d'une heure en haleine, les grands font cela plus vite et
avec une certaine importance. *
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L'ECRITURE et l'orthographe sont trop
liées à la lecture, surtout chez les petits, pour que nous puissions nous passer
d'en parler. Nous travaillons pour cela dans le même sens que pour la lecture. Nous avons
abandonné l'acquisition méthodique et graduée par élément pour l'acquisition
globale. Quand nos petits arrivent en classe, ils
impriment leurs textes et les écrivent aussi (nous les voyons cependant moins attirés
par l'écriture que par le dessin et l'imprimerie). Nous ne compliquons pas leur travail
en exigeant la reproduction plus ou moins parfaite de lettres entre des lignes limites.
Avec des outils qui facilitent le travail : un cahier non ligné et une plume à gros bout
rond, nous leur demandons d'écrire leurs petites histoires que nous avons nous-mêmes
écrites sur la page d'en face (modèle en écriture bien formée et assez grande, près
de 1 cm de haut). Il est nécessaire au début, d'écrire le modèle dans le cahier de
chaque enfant, le tableau pour tous ne suffit pas : il est trop éloigné de l'enfant qui
doit imiter chaque ligne, chaque courbe et relever continuellement la tête. Du tableau
au cahier, son attention se disperse, il éprouve plus de difficultés à copier et fait
plus de fautes. L'enfant réussit plus ou moins bien la
copie du modèle, il nous présente une écriture parfois déjà lisible ou un
griffonnage. De toute façon, nous acceptons le travail avec une bonne appréciation. Pourquoi un cahier non-ligné ? Parce que
la réglure du cahier n'aide pas l'enfant ; au contraire, elle lui demande un effort
supplémentaire, alors que débutant il se concentre sur la tenue de son porte-plume et
sur le mot qu'il doit écrire ; elle exige un nouvel effort en imposant des limites à ses
élans, Plus tard, quand il aura acquis la coordination de mouvements et la souplesse
nécessaires et que la forme des lettres lui sera devenue habituelle, nous pourrons lui
demander d'écrire en suivant une ligne. Avant cela d'ailleurs, il aura acquis
spontanément l'habitude d'écrire bien horizontalement. Pourquoi une plume à gros bout rond :
parce qu'il faut éviter les outils qui occasionnent la pression et la lourdeur de la
main, deux grands obstacles dans l'apprentissage de l'écriture. Nous donnons à l'enfant
une plume qui court facilement sur le papier et qui laisse un trait bien visible en la
posant seulement légèrement sur le cahier comme ces plumes mousses à gros bout.
Débuter avec la touche ou le crayon, c'est apprendre à appuyer, ce que nous devrons
combattre avec l'emploi du porte-plume. Et c'est là toute notre méthode
d'apprentissage de l'écriture : des outils et un modèle le plus parfait possible, Il
faut être très méticuleux pour le modèle, car la moindre boucle ou ligne fantaisiste
est reproduite et parfois même exagérée par l'enfant. Quand l'enfant reproduit facilement ses
textes et surtout quand il commence à les écrire spontanément, il nous arrive d'isoler
une lettre que l'enfant trace vraiment mal et de lui montrer la façon de bien écrire. Nous faisons le moins possible de
l'écriture pour apprendre à écrire. Le vrai travail d'écriture est largement motivé
par les préparations de textes que l'enfant crée. Il doit les relire lui-même pour les
faire accepter par ses condisciples ou c'est l'instituteur qui doit les présenter au
suffrage des autres enfants ; de toute façon on doit pouvoir les lire et en déchiffrer
aisément l'écriture. A cela vient s'ajouter notre
correspondance manuscrite qui motive l'écriture et surtout l'écriture propre et lisible. Des collègues nous demandent quand nous
donnons des cahiers lignés aux enfants. De toute façon nous proscrivons le cahier à
deux ou plusieurs lignes. Nous n'utilisons que les cahiers à simples lignes distancées
de 18 mm au début. Quant à citer une date à laquelle nous
commençons, nous ne pourrions le faire. Souvent, nous conservons le cahier non ligné
pendant toute la première année et ne donnons le cahier ligné qu'en commençant la
deuxième année. Il arrive cependant que l'enfant écrive sur des feuilles ou dans un
cahier ligné ; nous ne nous y attardons pas trop, comme lui d'ailleurs qui quitte la
ligne quand bon lui semble. Nous avons parlé d'une plume à gros
bout rond. Nous employons la « Soenneken » N° 21 en 1re A. ; nous
donnons la plume un peu moins grosse, le N° 20 en 2e A. ; en 3e A.,
le N° 5. De toute façon nous délaissons la plume fine qui habitue l'enfant à appuyer
et qui éraille le papier avec une pluie de taches sous la pression de ses doigts
maladroits. Nous ne nous occupons ni de pleins ni de
déliés, préoccupation qui serait ridicule au siècle du stylo. Nous demandons
seulement une écriture propre et lisible. A quoi bon perdre du temps à exiger ces formes
scolastiques qu'on s'empresse de perdre en quittant l'école ? A part quelques remarques
au sujet des lettres vraiment mal formées, ou du soin, nous laissons à l'enfant son
écriture personnelle. Celle-ci ne dépend d'ailleurs pas uniquement de son apprentissage
mais de nombreux facteurs d'ordre physique et psychique entrent en cause dans la formation
de l'écriture (Les stylobilles peuvent
aujourd'hui remplacer les plumes à bout rond. Ecrire lisiblement, c'est bien, écrire
sans fautes serait plus apprécié encore. La question de l'orthographe inquiète tant de
collègues et le plus inquiété reste encore malheureusement l'enfant à qui l'on
répète toujours les mêmes phrases : « Ne fais pas de fautes ! Comme tu as
fait des fautes ! C'est criblé de fautes d'orthographe
etc...» pour lui, l'orthographe doit avoir figure de monstre inaccessible. Ce dernier
mot n'est d'ailleurs pas exagéré ; notre orthographe est bien inaccessible à
l'enfant, il ne peut concevoir ce fatras d'irrégularités et d'accords. Devenons donc raisonnables, admettons que
l'enfant fasse des fautes, patiemment attendons qu'il soit mûr pour assimiler nos
explications et nos remarques. En attendant, préoccupons-nous surtout des idées que
l'enfant veut exprimer. Cela reste l'essentiel en dépit de l'importance que l'on a
l'habitude d'accorder à l'orthographe. Nous pensons qu'avant de retenir
l'orthographe d'un mot, l'enfant doit d'abord avoir acquis une certaine habileté pour
écrire, c'est-à-dire qu'il en soit arrivé à écrire facilement en formant bien toutes
les lettres, les petits textes qu'il veut copier. Nous ne commençons donc pas les exercices
d'orthographe en même temps que la lecture... Nous ne pouvons même pas citer une date
à laquelle nous commençons. Cela dépend de l'habileté de l'enfant pour écrire. Il
faut naturellement travailler avec la moyenne de la classe. Au début les exercices d'orthographe sont
peu sévères et ne revêtent en tous cas jamais l'aspect d'une dictée avec ses fautes
punissables. Les enfants aiment essayer à retenir l'orthographe d'un mot et s'y attachent
parfois spontanément. Nous ne procédons pas tout à fait de
cette façon qui consiste à laisser regarder x minutes un mot, à le cacher, puis
à le faire écrire. C'est sûrement un bon procédé, mais qui ne réussit pas bien avec
certains enfants, car ils n'assimilent pas tous à la même vitesse et ne peuvent pas
tous se concentrer juste au même moment sur le travail que nous leur désignons. Il vaut mieux travailler plus
individuellement si la population et l'organisation de la classe le permettent. Nous procédons comme ceci : nous convenons
avec les enfants d'essayer « d'écrire sans regarder » une phrase d'un de leur
texte, très courte au début (exemple : Jeudi je suis allé au bois). Chacun s'y met de
son côté. Comment l'enfant procède, le temps qu'il met pour retenir l'orthographe de
cette phrase, nous ne pouvons le dire au juste. Chacun travaille à son rythme ; mais nous
insistons pour qu'il regarde le mot en entier et, surtout, qu'il n'écrive pas lettre par
lettre. S'il l'écrit d'un trait en ne l'ayant observé qu'une fois, c'est parfait.
Ordinairement, il s'y applique très sérieusement, car il est impatient de déclarer :
« Moi, je sais ». Le petit contrôle commence à ce moment, l'enfant écrit de
mémoire, sous nos yeux, la phrase dans un cahier. Il y collectionne tout simplement les
phrases qu'il sait écrire correctement. Cela lui sert à les revoir, à les réécrire à
la maison ou en classe. Plus tard, en 2e ou 3e année, nous
demandons aux enfants de se préparer à la maison pour écrire sous notre dictée telle
ou telle partie de leurs textes. La dictée perd de plus en plus ses droits
comme exercice efficace d'orthographe. On l'a considérée d'abord comme le seul moyen,
puis on l'a rabaissée au niveau d'exercice de contrôle. Nous pensons qu'en fait de
contrôle, c'est encore peu sûr. Nous avons des enfants qui parviennent à écrire leur
dictée sans ou avec très peu de fautes. S'ils écrivent un texte libre ou une lettre, on
pourrait dire : cela en est criblé. Que faut-il penser de cela ? La vraie orthographe, à notre avis, est
celle que l'on écrit couramment, sans trop réfléchir, en créant un texte ou en
écrivant une lettre. Les meilleurs exercices sont donc d'écrire textes et lettres. Avec
notre technique d'imprimerie et les échanges de lettres manuscrites, les enfants y sont
amenés presque chaque jour. Quand les enfants écrivent librement, ils
se servent de leur livre de vie pour y retrouver les mots qu'ils ont oubliés. Si le mot
est nouveau, ils demandent qu'on leur écrive celui-ci, Ils retiennent d'ailleurs très
vite les expressions dont ils se servent : je suis allée / nous avons / j'ai joué /
maman a dit / etc... Nous corrigeons individuellement le texte
ou la lettre avec l'enfant sans lui formuler de règles rigoureuses ou d'analyses, mais
d'une façon un peu empirique : « Tu vois à : je faisais, c'est toujours s
comme à : j'allais, je pesais, je mesurais, etc... » Si la classe est trop peuplée, on peut
travailler par groupes et corriger chaque jour une rédaction choisie ou votée d'un
groupe au tableau, avec tous les enfants ou avec le groupe. Nous avons essayé de faire faire aux
enfants ce genre d'exercices par écrit : rechercher diverses expressions, dans lesquelles
se retrouve la même forme d'orthographe. Par exemple : - maman a acheté des oranges
; - papa a arraché des pommes
de terre ; - papa a rentré le
foin. L'exercice est parfaitement réussi. Le
lendemain, la difficulté se présente de nouveau, l'enfant commet la même faute. Si
jeune, l'orthographe le préoccupe si peu ! Il faut cependant bien se rendre à
l'évidence et ne pas s'illusionner en continuant à croire efficaces ces exercices si
bien agencés pour donner des résultats, mais qui laissent nos enfants indifférents. L'esprit de nos petits nous échappe si
souvent. A notre avis, avec eux jusqu'en 3e A, et peut-être en 4e A., il faut se
contenter d'exercices de reproduction, de textes, de lettres que l'on corrige patiemment,
le plus individuellement possible. Les autres exercices abrutissent et sont
pures pertes de temps. * ** |
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Vous venez de suivre comment nous concevons
l'acquisition plus logique et plus naturelle des connaissances et des techniques chez
l'enfant (il faudrait y ajouter le calcul). Pour mieux faire sentir notre façon de
travailler, il faut nécessairement parler de l'atmosphère dans laquelle nos enfants
vivent et travaillent. Nous sommes parvenus (on y arrive
insensiblement en pratiquant les techniques modernes) à supprimer dans notre classe cette
idée de maître et d'élèves, de dominant et de soumis, de commandement et
d'obéissance, d'enfants intelligents et de cancres, d'enfants sages et difficiles et
surtout cette habitude de travailler pour la place, les points ou la récompense. Chaque enfant se sent à sa place, dans un
milieu favorable, chez lui enfin, avec sa
part de responsabilité. Et nous travaillons tous parce qu'il le faut, parce que la vie de
la classe exige pour se continuer, des calculs, de la lecture, de l'écriture ; il faut
que la caisse coopérative se maintienne, il faut que les relations avec les camarades
continuent, il faut que nos bêtes soient bien et que le jardin produise. En même temps que nous satisfaisons ces
exigences de notre milieu, nous laissons à chacun manifester sa vie, car la vie ne
demande qu'à s'épanouir dans les êtres. Les enfants entraînés par sa poussée
irrésistible observent, regardent, cherchant à savoir plus et mieux. Il n'y a là rien
de neuf à trouver, c'est la logique de l'évolution. Et notre pauvre classe (pauvre comme
local et matériel) offre l'aspect d'une grande pièce d'habitation où tous les enfants
d'une même famille seraient réunis. Nos enfants sont même plus calmes ici qu'en
famille, car ils sont mieux compris et moins contrariés dans leur activité. Des groupes
s'occupent à des travaux différents : observation libre, fiches de calcul, imprimerie, dessins, lecture,
travaux manuels, envoi d'échanges, vente à la coopérative, etc... Chaque matin, nous organisons ensemble le
travail pour la journée. Nous nous rendons compte de ce qui a été fait la veille, de ce
qu'il faut achever et nous préparons du nouveau travail choix du centre d'intérêt,
etc... La mise en train finie, les enfants circulent et parlent comme nous le faisons
ordinairement en travaillant. L'institutrice est appelée d'un groupe à l'autre pour une
aide ou un conseil ; ou bien encore, installée à une table, les enfants viennent lui
demander de mettre un texte au point ou de les aider à déchiffrer une lecture difficile. Nous vivons ensemble en essayant de
maintenir notre petite communauté en harmonie de travail et de satisfaction. Personne ne passe son temps à des
exercices ennuyeux. La vie de la classe exige parfois des mises au point, des travaux
ennuyeux pour tous, mais les enfants sentent ce que nous sentons dans notre vie de chaque
jour, «il faut le faire ! ». Ne sentez-vous pas qu'ils sont ainsi dans
la réalité de l'existence : se réaliser au maximum en faisant vivre la communauté et
en subissant les exigences de son entourage. Nous pensons avoir réalisé dans notre
petite école officielle le maximum de ce que l'on peut réaliser pour libérer l'individu
en restant attaché à l'enseignement public. Chacun peut faire quelque chose dans ce
sens, nous sentons notre travail de classe si simple, si facile et si agréable à
accomplir. Un seul pas décisif demande un effort peut-être dur à réaliser : c'est le
fait de balancer par-dessus la haie les idées et les manuels poussiéreux et d'installer
dans sa classe ces techniques modernes de travail. Ce changement accompli, la vie scolaire
s'organise presque d'elle-même, car les enfants ont heureusement, avec leur logique et
leur bon sens tout fraîchement conçus, beaucoup de souplesse pour s'adapter. C'est en
cela d'ailleurs que réside la valeur et l'intelligence de l'individu. La classe devient une organisation
sérieuse avec un règlement conçu et appliqué par les enfants ; la discipline y est
d'autant plus stricte et plus ferme qu'elle est consentie par chacun d'eux. Chacun
connaît ce qui peut ou ne peut pas être fait et le rappelle à son voisin oublieux ; le
moins de fautes ou de faiblesses possibles. Chacun veille pour tous. *
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Il y en a sûrement très peu si on les
envisage en profondeur. Souvent, il suffit d'un mot ou d'un geste pour réfuter la
plupart d'entre elles et nous sommes en peine d'en trouver quelques-unes qui vaillent
d'être posées ici. Voici cependant une objection qui fut
souvent émise en Belgique, pays de decrolyens globalistes : en imprimant, les enfants
analysent et ce travail n'est plus conforme à la globalisation. Disons tout de suite
que ces remarques proviennent de gens qui n'impriment pas et qui ne connaissent rien au
maniement de l'imprimerie à l'école. Ils envisagent cela avec leur esprit d'adulte qui
connaît chaque caractère et qui, bien consciemment, les juxtapose pour former un mot. Chez l'enfant, ce travail est tout à fait
différent. Il compose sa phrase en faisant un exercice d'identification ; tout comme il
place la chaise rouge portant une balle jaune sur la même image, il place dans son
composteur un s qui est pour lui comme un crochet parce que c'est la lettre correspondante
à son modèle. Mais il ne lui vient pas à l'idée que chacun de ces caractères a un nom
qu'il va prononcer en lisant le mot Pour lui, imprimer est une chose et lire en est une
autre. Quand il compose son texte, il fait un travail manuel ; quand il lit, il exprime
son idée intellectualisée sans songer à sa réalisation matérielle. Nos enfants, préoccupés de retrouver dans
les textes leurs idées si vivantes, ne passent pas leur temps à vouloir lire des
caractères sans signification pour eux. Une réponse convaincante jaillit
d'ailleurs de l'école Decroly elle-même qui a introduit l'imprimerie en 1re
A. pour l'apprentissage de la lecture. Et nous cherchons vainement quelque autre
opposition raisonnable que l'on puisse faire à l'introduction de nos techniques de
travail dans les petites classes.
Peut-être, au fond des curs de nos
adversaires et des indifférents, y a-t-il une très grande objection, source obscure des
critiques mesquines. C'est que nos techniques, tout en
diminuant les préparations de classe et les corrections après la classe, besognes
machinales et abrutissantes, demandent pendant les heures de travail avec les enfants, des
maîtres énergiques, éveillés, entièrement accaparés par le travail commun et faisant
preuve d'initiative surtout. Réalisant ce don de soi et d'amour tant prôné et gaspillé
dans les discours, l'instituteur introduisant les techniques modernes, confond sa vie avec
celle des enfants, et s'il aide ceux-ci à se réaliser, lui, s'efface et oublie ses
propres tendances personnelles, qu'il est toujours dur d'abandonner à la communauté en
égoïstes que nous sommes. Pauvre conception ! Car dans les productions de ce travail en
commun, nous retrouvons les idées de chacun grandies et idéalisées ayant atteint leur
véritable épanouissement au souffle de la communauté. L. BALESSE (Belgique). |
* ** Imprimerie C.E. L CANNES - Dépôt légal I. 1961 Le directeur de la publication : C. FREINET ** * |
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