Bibliothèque de travail et de recherchesSUPPLEMENT PERIODIQUE au n° 4 de
L'EDUCATEUR 10 Novembre 76 Pour l'enseignement des sciences : UNE PEDAGOGIE DE LA CURIOSITE par Michel PELLISSIER avec la collaboration de Dany BAUD,
Jacqueline JEANNIERE, André LEFEUVRE et René LAFFITTE et les réflexions de Jacques LEVINE et
Guy VERMEIL |
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TABLE DES MATIERES·
Présentation du projet
et des intentions : la curiosité de l'enfant lui ouvre la voie d'une véritable
recherche et formation scientifique ·
Exemples I) Découvertes, questions, expériences
spontanées : 1 - Au niveau d'une classe : les
domaines abordés ; 2 - Digression au niveau d'un enfant ;
3 - Quelques commentaires II) Exploitation des
découvertes ·
Démarche collective l)- L'arc-en-ciel : étapes et
aboutissement ; 2)- L'hydrogène avec forte intervention du
maître pour dépasser l'expérience ; ·
Une démarche
individuelle : 3)- Le mystère des mouches ; 4)- Curiosité et observation ; 5)- La mesure ; 6)- La variété des questions ; 7)- En classes maternelles ; 8)- La curiosité provoquée ; 9)- Une méthode de travail pour hâter la recherche ? IV) Le tâtonnement expérimental ·
En conclusion |
C'est délibérément que nous avons
limité cette B.T.R. à l'étude des prolongements de la curiosité de l'enfant en
sciences (physique notamment). La lecture des dossiers pédagogiques de l'I.C.E.M.
numéros 49 (Discussion sur la formation scientifique) et 73 (Expérimentation en sciences
à partir des questions d'enfants complètera utilement cette B.T.R. (En vente à C.E.L.
BP 282 06403 CANNES CEDEX). Nous avons fait ce choix parce que d'autres documents relevant
du même processus ont illustré les prolongements des questions d'enfants en d'autres
domaines : disques I.C.E.M. numéros 2 et 3 (La vie- Naissances) et les livrets
"Structures de vie, structures mathématiques" également édités par la
C.E.L., fournissent d'autres exemples.
POUR l'enseignement des sciences UNE PEDAGOGIE DE LA CURIOSITE
Par Michel PELLISSIER avec la collaboration
de Dany BAUD, Jacqueline JEANNIERE, André LEFEUVRE et René LAFFITTE
De Christine qui sait tout juste parler et
qui trouvant un morceau de ficelle demande : "C'est pour faire ? ", en passant
par Marie-Ange (au C.P.) qui entre en classe en disant, visiblement impressionnée :
"Madame, l'herbe, ça pousse ! " et Christian (10 ans) qui déclare avec force :
"M'sieur quand je passe dans une flaque d'eau moi je dis que ça mouille toute la
roue et Pierre dit que non ! " la même curiosité, le même besoin de comprendre
s'expriment...
Que cette curiosité agace bien des adultes
est un fait certain : "Ils posent toujours des questions ! " Mais pour nous,
pédagogues Freinet, cette même curiosité constitue un point de départ remarquable : si
nous la laissons se développer, si nous construisons autour d'elle les travaux qui la
prolongent et tentent d'y répondre, elle nous mène, entre autres choses, à une
véritable recherche scientifique.
C'est du moins l'hypothèse que je voudrais
défendre ici : elle s'articule encore une fois autour des lignes de force de la
pédagogie Freinet qui sont expression libre et communication, tâtonnement expérimental
et organisation coopérative du travail dans laquelle se place la part du maître.
Autrement dit, à l'heure où un nombre
croissant de spécialistes s'accordent pour reconnaître l'importance et la signification
de l'expression libre, au niveau de la constitution de l'équilibre psychique, montrer que
cette expression libre peut aussi favoriser le passage du milieu familial au milieu
scolaire, au niveau de l'exploration et de la compréhension du réel :
"Il y a pour l'école quelque chose
d'aussi important que d'enseigner et qui en change d'ailleurs le sens, c'est prendre
conscience de l'idée toute simple que "l'écolier vient d'ailleurs". Et,
évidemment, en tirer toutes les conséquences pratiques.
Bref, très vite, l'enfant forme dans sa
tête et son corps une façon de vivre et de vivre les autres. Et, entrant à l'école,
cet enfant passe du territoire A de la maison au territoire B, sans pour autant cesser de
porter à l'intérieur de lui-même les éléments constitutifs de son système
relationnel du territoire A.
Effectivement, on l'a compris, ce qui
nous paraît aussi urgent que d'apprendre, c'est que l'enfant dans la classe se
rencontre avec lui-même, se ressente en tant que Moi entier dans une trajectoire
intéressante, se structure et ait plaisir à s'habiter. L'adaptation à B, c'est-à-dire
en gros la possibilité de s'ouvrir à l'école, au monde des autres, aux problèmes
externes, est indissociablement liée à la façon dont, d'une part, l'enfant organise,
quand il est en B, sa relation à lui-même en tant que porteur des problèmes qui lui
viennent du monde A et à la façon dont l'école B organise sa relation à l'enfant en
prenant en compte qu'il vient de A.
COMMENT AJUSTER A ET B ?
Revenons à l'écolier en classe. On peut
envisager au moins deux directions de ce travail préalable de ressaisissement et de
préparation à la confrontation à la vie scolaire par métabolisation de ce qui obstrue.
Prenons le cas de l'enfant qui est
désorienté par B, débordé, dépassé. De deux choses l'une : ou bien B, en modifiant
la situation B par des aménagements réduisant l'écart avec le monde A, crée les
conditions pour que l'enfant se sente chez lui, ou bien on demande à l'enfant de faire
tout le chemin et c'est l'épreuve de force, vouée à l'échec comme l'expérience le
montre.
Dans le premier cas, c'est l'école qui
engage le dialogue avec elle-même. Elle bouleverse sa pratique pour se donner à habiter
autrement par l'enfant, si bien que celui-ci va pouvoir s'habiter lui-même autrement.
Cela signifie-t-il que l'école doive
assurer une analyse du cas de chaque enfant, à la manière du psychologue clinicien ou de
l'analyste d'enfants ? Cela signifie :
-la nécessité d'une relation de haute
qualité à valeur structurante, dans une autre conception des finalités scolaires et de
l'organisation de la classe ;
-la nécessité de fournir des possibilités pratiques d'expression et d'activités constructives". (LE PASSAGE DE A à B, dans le n° 23 de la revue "Etudes Psychothérapiques" Docteur J. Launay, 174 boulevard Malesherbes 75017 Paris.).
Dans ce passage de A à B il est certain
que l'expression libre livrée par le texte libre ou le dessin est davantage significative
que celle des questions recueillies dans cette brochure. (Mais une étude plus
approfondie pourrait aussi montrer que les questions à tendance scientifique
(biologique surtout) ne sont pas neutres et que l'inconscient de l'enfant s'y fait jour
aussi). De toute façon, une approche du réel et des phénomènes qui s'y déroulent
menée par interrogations acceptées et par tâtonnement expérimental dans un milieu
accueillant et favorisant les expériences, ne peut être qu'un élément bénéfique de
la restructuration citée plus haut.
Pour le moment, notre premier travail sera
de voir si oui ou non les questions des enfants, leurs découvertes, touchent à un
ensemble assez vaste de sujets pour prétendre aborder sinon tous les domaines des
sciences, du moins le plus grand nombre.
1) AU NIVEAU D'UNE CLASSE
Je n'ai pas rassemblé toutes les
observations, questions et expériences faites par les enfants, ici, mais seulement celles
qui étaient sous-tendues par des lois bien connues de la physique ; il s'agit seulement
d'une liste de "découvertes", brutes, telles que les enfants les ont
exprimées. Des exemples d'exploitation seront donnés plus loin. Pour le moment je ne
veux que faire un bilan de ces découvertes et des domaines de la physique qu'elles
abordent et pour lesquels les enfants se sont en quelque sorte constitué un bagage de
références vécues.
Les voici :
·
Vision binoculaire,
accommodation :
a) EXPERIENCES AVEC UN LIVRET : Un
jour, je regardais le tableau en plaçant devant mes yeux mon livret plié en deux
tunnels. Quand je fixais les bords du livret, je voyais deux tunnels. Et quand je
regardais le tableau, je ne voyais qu'un tunnel. Si je mets un doigt devant un tunnel et
que je le déplace pour le mettre devant l'autre, et bien on dirait que le doigt s'en va,
mais qu'il y en a un autre qui revient. (Pour cette expérience, il faut fixer le tableau
au loin). DOMINIQUE, 11 ans
b) J'appuie mon nez contre un barreau du
portail et je regarde le vélo de Roger, en face de moi. Je ferme l'il gauche et le
vélo est à droite du barreau. Je ferme l'il droit, et le vélo est à gauche du
barreau. Si je ferme très vite un il, l'un après l'autre, en ouvrant l'autre,
alors je vois le barreau qui fait un va-et-vient de droite à gauche devant mes yeux.
JACQUES
·
Réflexion, réflexion
totale :
DANS LE CAR : Ce matin dans le car
j'ai découvert quelque chose que je ne comprends pas. J'étais assis au troisième banc
en partant de devant. A côté de moi, à ma droite il y avait une vitre et devant moi une
autre. Au lieu de regarder par ma vitre, je regardais dans celle d'avant, et j'ai
découvert qu'en regardant à droite, je voyais tout ce qui se passait à gauche, mais pas
à droite. Pourtant la vitre est bien transparente ? JEAN-PIERRE
Réflexion, miroir déformant :
LA BOUTEILLE ET LE COUTEAU : Un jour,
à table, je regardais la bouteille de vin. Devant elle, il y avait le grand couteau-scie,
pour couper le pain. Contre la bouteille, comme dans une glace, on voyait le couteau tout
arrondi, comme une serpette. C'est parce que la bouteille est ronde. Si elle était
carrée, on verrait le couteau carré ? Dominique a dit non parce que chaque face d'une
bouteille carrée est plate. Oui, mais si je mets le couteau devant un angle ? JACQUES, 8
ans
·
Réflexion et
absorption des rayons lumineux :
REFLETS : En mangeant ma soupe, je
regarde la lampe qui éclaire la table : elle m'éblouit. Mais dans mon assiette, le
reflet de la lampe est bien net : on voit très bien le filament de l'ampoule, qui n'est
pas du tout éblouissant. Comment ça se fait ? JACQUES, 9 ans.
·
Réfraction :
Miroir brisé :
Maman avait mis un cachet dans un verre, et
moi, de ma place, jen voyais deux ! Puis elle a mis un deuxième cachet, et moi
jen voyais trois ! En me retournant un peu, jen voyais même
quatre ! Ca cest pas mal ! Et qui mexplique ? JACQUES (Voir
aussi le bâton tordu, p. 30)
·
Lentilles Loupes :
a)- J'avais laissé tomber une goutte de
colle sur une feuille de l'annuaire où l'on range les feuilles imprimées. J'ai vu que la
goutte de colle faisait loupe Si je rassemble bien la colle avec un bout de carton, ça
grossit encore plus. Et si je l'écarte sur la feuille, ça ne grossit plus les lettres.
GILLES
b)- J'étais à table et je mangeais En
regardant à travers le fond de mon verre, je voyais mon assiette plus petite. Maman, mon
frère, la lampe, tout devenait plus petit. Ça faisait "déloupe" : le
contraire de la loupe qui grossit. J'ai passé mon doigt au fond du verre et j'ai vu qu'il
était en creux, dehors et dedans. Comme les loupes sont bombées, et que le fond de mon
verre est en creux, c'est normal que le fond de mon verre rapetisse les choses. DOMINIQUE
c)- UN PROJECTEUR : J'avais fait le
plan d'un projecteur pour passer des vues, et j'ai demandé à mon papa de m'aider à le
faire.
Regardez-le sur la photo : dans le tube qui
dépasse, devant, il y a une loupe, et derrière, contre la boite, il y a une petite
ampoule.
J'ai dessiné sur une bande de papier
calque, et je voulais projeter mes dessins.
D'abord, nous avons fait des essais sans
passer la bande de dessins. On avait éteint les lampes de la chambre, mon papa tenait le
projecteur éclairé et je me reculais devant le projecteur
en tenant une feuille de papier blanc pour faire l'écran.
Au bout d'un moment, on a vu sur le papier,
comme un fer à cheval très brillant. En reculant encore un peu, il est devenu plus net,
et Dominique a reconnu le filament de
l'ampoule.
Mais il était bien plus grand qu'en
vrai : il mesurait 6 cm, environ entre les deux extrémités, alors que dans
l'ampoule, il mesure 3 mm environ ! Et il était retourné à l'envers. Dominique pense
que ça vient de la loupe. On a bien regardé le dessin du filament qui était bien joli,
mais après, quand on a essayé de projeter les dessins, on n'a pas réussi : l'ampoule
n'est pas assez forte.
JACQUES (et DOMINIQUE)
·
Décomposition de la
lumière L'arc-en-ciel :
J'ai pris mon crayon à bille et j'ai
regardé la lampe éclairée à travers le plastique transparent : je voyais les couleurs
de l'arc-en-ciel. Après, je me suis mis à la place de Roland et j'ai recommencé. Je
voyais seulement certaines couleurs, pas les mêmes que la première fois.
PIERRE (Voir exploitation de cette
découverte p. 15)
·
Densité de la couleur
: Quand je tiens un livre dont le bord des pages est coloré en rouge, bien serré, alors,
la tranche du livre est rouge foncé. Mais si j'étale les pages, comme pour feuilleter le
livre très vite, alors la tranche devient rose clair. JACQUES
·
Angle de vision :
(Analyse possible d'un gadget basé sur un phénomène optique). A rapprocher d'ailleurs
de la découverte n° 2 (le vélo et les barreaux) :
Jean-Pierre a un taille-crayon comme
"une télévision" : quand on le déplace, on voit un boxeur qui se met à
donner des coups de poings.
Pour comprendre comment ça marchait, j'ai
construit "une télévision". (Idée fournie par le maître).
Je fais deux dessins sur deux petites
feuilles de carton blanc : je dessine un personnage dans deux positions différentes.
Après, je tourne mes feuilles et je trace
derrière des traits parallèles à 1/2 cm les uns des autres :
et je repère les bandes, sur une feuille
avec les lettres et sur l'autre avec des numéros.
Puis je découpe mes deux feuilles en
bandes suivant les traits.
Ensuite, je rassemble les bandes
découpées, en les collant par derrière, avec du scotch et en faisant suivre une bande
d'un dessin et une de l'autre.
Pour finir, je replie la grande feuille que
j'ai obtenue, en accordéon, et je la colle sur du contreplaqué, comme ça :
Pour animer le personnage, je regarde mon
dessin en tenant la planchette inclinée ; puis je la bascule et je vois l'autre dessin ;
je la remets comme la première fois, et ainsi de suite.
ROGER, 12 ans
a)Quand je tape avec ma règle serrée dans
ma main contre la presse, ça fait un vilain bruit qui ne dure pas.
Mais si je tape sur la presse en tenant la
règle à peine, sans la serrer, alors ça fait un joli bruit aigu qui résonne longtemps.
JACQUES
b)Un jour, avec mon frère, on voulait
jouer au rugby, mais on n'avait pas de ballon ; alors, on a pris une bouteille vide de Lux
vaisselle en plastique, et nous avons mis un bouchon de liège à la cime. J'ai pris la
bouteille et ma chienne a aboyé : dans la main j'ai senti une vibration et quand je suis
allé à l'école, j'ai vite raconté ma découverte au maître.
ANDRE
c)UN INSTRUMENT DE MUSIQUE : J'allais
ranger une bande calcul sur laquelle j'avais laissé l'axe jaune qui sert à rembobiner la
bande et qui coulisse dans le tube. En marchant, je soufflais dans le tube de la bande et
j'ai entendu un son ; j'ai essayé de déplacer l'axe dans le tube en continuant à
souffler, et ça faisait changer la musique ! C'est comme pour le trombone à coulisse !
JEAN-PIERRE
d)Je suis descendu avec mon papa, à la
cave, chercher du mazout. Il n'en restait presque plus dans les fûts, et les deux seaux
se remplissaient lentement car le mazout coulait doucement. Il tombait dans les seaux sans
faire de bruit : on ne l'entendait pas couler.
Comme je sautais dans la cave, j'ai
entendu, à chaque fois que je tapais par terre avec mes pieds, le filet de mazout se
mettre à couler en faisant du bruit. Je l'ai fait remarquer à mon papa ; on a
recommencé : toujours, quand je tapais par terre, le mazout se mettait à couler en
faisant du bruit.
J'ai essayé en me mettant loin, au fond de
la cave : c'était encore la même chose.
Mon papa a tapé dans ses mains : cela
dérangeait aussi le filet de mazout silencieux. Pendant quelques secondes, il coulait en
faisant du bruit, puis redevenait silencieux.
J'ai tapé contre le tonneau de droite : le
mazout a bougé dans les deux seaux. J'ai tapé contre le mur de la cave : cela ne faisait
rien. C'est bizarre !
JACQUES
a)LES ROUES : J'ai trouvé deux roues
d'engrenage dans notre matériel pour faire nos expériences. Je les ai fixées sur un
axe. Mais celle qui a les grosses dents est plus grande que l'autre. Je fais rouler mon
système, mais il n'y a rien à faire : il ne veut pas aller droit... Il tourne toujours
à gauche !
JACQUES
b)Le maître, Bernard et Jean-Luc voulaient
faire un bobinage de 150 tours pour un poste à diode, en se servant de la chignole sur
laquelle ils voulaient fixer un tube de carton. Afin d'aller plus vite, ils cherchaient à
savoir combien la mèche faisait de tours quand la manivelle en faisait un. Comme je
travaillais à côté d'eux, je leur ai proposé une idée : fixer une ficelle sur la
mèche avec un bout de scotch, faire un tour de manivelle et compter les tours de ficelle
sur la mèche.
JACKY
c)LA VITESSE DES NUAGES : Cet été,
quand on était sur la plage en Bretagne, on voyait souvent l'ombre d'un nuage se
déplacer sur le sable. Avec mon frère, on essayait de courir à la même vitesse que
l'ombre en la suivant sur la plage. Et on se disait que si l'on avait eu une montre on
aurait pu compter combien de temps mettait l'ombre pour faire 10 m par exemple, et
calculer sa vitesse. Je crois que la vitesse de l'ombre doit être la même que la vitesse
du nuage.
DOMINIQUE
d)UN TELEPHERIQUE : Jean-Pierre a
construit un téléphérique sous le préau. La cabine de contreplaqué glisse sur un fil
de fer tendu, et pour la faire monter et descendre, Jean-Pierre a inventé le dispositif
suivant :
La cabine va descendre : le moteur tourne
dans le sens de la flèche. La ficelle s'enroule sur la bobine n° 1, en même temps
qu'elle se dévide de la bobine n°2. Pour remonter, on inverse le branchement du moteur
(à piles), et il tourne dans l'autre sens : c'est la bobine n°2 qui tire le fil et il se
dévide de la bobine n° 1.
Invention de JEAN-PIERRE
e) J'ai découvert un nouveau véhicule :
je me mets debout sur ma "voiture" (qui est le reste d'une voiture toute
cassée), un pied de chaque côté de la roue. J'appuie avec mon pied gauche, du côté
où la planche est courte : ça avance, mais pour ne pas tomber j'appuie vite avec mon
pied droit sur le grand bout de planche. Alors la voiture s'arrête. Et je recommence !
Je fais le tour du préau comme ça.
JACQUES
·
Force de réaction :
J'avais un ballon en caoutchouc bien fin,
que je gonflais en soufflant dans un petit sifflet en plastique attaché au ballon : on en
donne dans les magasins ou à la foire. Mais j'avais enlevé le sifflet parce que ça
faisait une musique pas très jolie et agaçante. Une fois, j'ai lâché le ballon bien
gonflé et il est parti en l'air, à toute vitesse, en tourniquant et il est retombé.
JACQUES
J'ai refait l'expérience de Jacques et je
me suis aperçu que si je lâchais le ballon gonflé avec l'ouverture en bas, le ballon
monte en l'air. Mais si je le lâche avec l'ouverture en haut, alors le ballon descend, et
quelquefois il part par côté. D'ailleurs, il tourne toujours en volant parce qu'il n'est
pas droit, mais tordu en rond quand il est gonflé.
DOMINIQUE
·
Force centrifuge :
a)LE TIR AUX PIGEONS :
Mes grands-parents m'ont acheté un tir aux
pigeons. Les pigeons de carton sont fixés au bout de trois tiges de métal qui tournent
en descendant : on doit les tirer pendant qu'ils tournent. Maintenant les pigeons sont
cassés, mais j'ai découvert que lorsque je laisse descendre l'appareil sans les pigeons,
les trois tiges qui pendent verticalement au départ, s'écartent en tournant et sont
presque horizontales quand l'appareil finit Sa descente.
b) UNE DROLE D'HISTOIRE :
Un jour, ma sur Claudette a pris un
peigne et elle s'est tapé sur les doigts, très fort. Après elle a fait le
"tourniquet" : elle tournait très vite sur elle-même en étendant le bras.
Alors, ses doigts sont devenus tout rouge
foncé, presque noirs et là où elle s'était tapée avec le peigne, le sang coulait !
JACQUELINE
c) UN TROU DANS L'EAU :
Je rinçais mon pinceau en tournant dans
l'eau du pot. Plus je tournais vite, plus l'eau se creusait au milieu du pot et montait
contre les bords, en tournant elle aussi. Quand je m'arrêtais, l'eau redescendait et
redevenait plate. Souvent, il y avait une bulle d'air au milieu.
JACQUES
·
Relativité du
mouvement : voir p. 13 le moteur électrique.
a)Je m'amuse avec deux petits aimants du
panneau magnétique. Un aimant est posé à plat sur la table et j'approche ma main qui
tient un autre aimant, debout sur une longueur. Quand j'arrive à 5 cm de l'aimant posé
à plat, il se relève et tient en équilibre sur une arête ! Et si à ce moment
j'élève l'aimant que je tiens, l'autre se redresse complètement et se pose sur une face
; mais ça ne réussit pas toujours, ni pour n'importe quelle position des aimants Mais
c'est bien amusant !
JACKY
b) Deux aimants s'attirent et se tiennent
tout seuls à travers mon doigt ! Je ne sens absolument rien. Ils tiennent aussi
contre une règle de bois. Ils sattirent assez fort pour ne pas glisser ni
tomber !
1)On peut en faire avancer un sur
l'autre ;
2) On peut en faire reculer un avec
l'autre ;
3) On peut en faire lever un avec
l'autre ;
4) On peut en faire tomber un avec
l'autre ;
5) On peut en faire lever un en biais.
JACQUES
·
Résistance- Court
circuit :
Je fais éclairer une ampoule électrique
(1). Mais si je mets un fil en plus entre les lames de la pile, l'ampoule séteint
(2). Si je débranche le fil dun côté, lampoule se rallume.
MICHEL J.
·
Circuit fermé, ouvert
a) L'ampoule s'éclaire normalement.
L'ampoule brille très fort !
L'ampoule n'éclaire pas.
L'ampoule n'éclaire pas...
ROLAND
b) Il faut une pile, deux ampoules et un
peu de fil électrique. En vrai, au bout de chaque fil, il y a des pinces-crocodiles qui
permettent de serrer la douille jaune et les lames de la pile : c'est pratique, mais
difficile à dessiner...
Les 2 ampoules éclairent, mais moins fort.
Les 2 ampoules éclairent normalement. Une seule ampoule éclaire, normalement. Les
ampoules n'éclairent pas. CHRISTIAN et PIERRE
·
L'ampoule électrique :
(simulation)
Nous avons construit 2 ampoules
électriques dans un pot de yaourt et une bouteille de quintonine. Pour faire le filament
on a pris du fil pour filicoupeur qui a déjà chauffé une fois et on l'a enroulé sur un
crayon pour en faire comme un petit ressort. On a fixé le filament au bout de 2 tiges de
cuivre rigides, et on a introduit tout ça dans un flacon. Les 2 tiges rigides passent à
travers une rondelle de carton collée au goulot avec du scotch. On fait arriver le
courant du transformateur par les 2 tiges de cuivre.
ALINE et DOMINIOUE
·
Résistance : Mardi,
pour faire ma maquette, j'ai pris une feuille de contreplaqué qui était dressée contre
le mur du préau. Je la tenais debout, et sans le vouloir, je l'ai laissée tomber. Je
croyais que ça allait faire du bruit. Mais non : elle n'a fait aucun bruit en arrivant
sur le ciment, elle est arrivée au sol doucement et silencieusement.
Je pense que c'est une couche d'air qui la
retient parce qu'au moment où elle touche le sol, on voit de la poussière soufflée tout
autour de la planche.
DOMINIQUE, 10 ans
·
Pression, dépression :
voir p. 29, 30
a)Avec Yvonne, Marie-Hélène et Evelyne on
faisait des expériences avec le mazout. Le maître nous avait dit d'essayer de verser du
mazout et de l'eau dans un tube : le mazout est resté sur l'eau. Si on secoue bien le
tube, ils se mélangent et au bout d'un moment le mazout est revenu au-dessus.
Je me suis rappelé que l'an dernier on
avait fait ça avec de l'huile et de l'eau. Alors, j'ai mis dans un tube de l'eau, de
l'huile et du mazout et je suis allée le montrer au maître : l'huile reste sur l'eau et
le mazout reste sur l'huile.
Si on secoue bien le tube, l'huile et le
mazout se mélangent et ne se séparent plus. Yvonne dit qu'ils doivent être de la même
famille.
JACQUELINE
b) Dans mon bol de lait il y a des bulles
tout autour, contre la paroi du bol.
Si je touche le la paroi avec le bout de ma
cuillère, tout près des bulles, mais sans les toucher, et bien les bulles viennent très
vite contre la cuillère et montent un peu contre elle.
C'est vrai aussi avec la soupe.
JACQUES
c) J'avais mis un chewing-gum dans mon
verre.
Maman, qui ne l'avait pas vu, m'a versé de
la limonade.
Le chewing-gum montait en tournant dans
tous les sens dans le verre : il y avait beaucoup de petites bulles autour du chewing-gum.
CHRISTIAN
Voir aussi la goutte d'eau
collée au verre dans le dossier pédagogique n° 49, expérience
vécue par le même groupe d'enfants.
a) Je m'amusais avec un moteur électrique.
J'ai mis le moteur à la renverse : la
poulie était sur la table et la carcasse en l'air. J'ai branché la pile et la carcasse
s'est mise à tourner !
Je suis obligé de fixer la pile avec un
élastique, sinon ça l'envoie sur la table !
Et j'ai vu que la carcasse du moteur se
mettait à tourner en sens inverse du sens dans lequel tournait normalement la poulie.
JEAN-LUC
LA LUCARNE
Le soir, à la tombée de la nuit, quand je
monte dans l'escalier du grenier, le couloir est sombre et seules les deux vitres de la
lucarne sont claires et donnent une jolie lumière bleu clair.
Si j'éclaire le couloir, alors ses murs
deviennent blancs et les deux vitres de la lucarne sont toutes noires.
JACQUES
2) AU NIVEAU D'UN SEUL ENFANT
Dans la quarantaine de découvertes
rassemblées, quatorze sont le fait du même enfant : Jacques. Cela ne tient pas au fait
que ce garçon était plus "intelligent" que les autres, ni davantage
scientifique ! Non. C'est seulement mon second fils. Or, à ce moment, je commençais à
prendre conscience de la prodigieuse diversité et richesse des "découvertes"
(et leur faisais dans la classe une part de plus en plus institutionnalisée) et Jacques
avait 7 ans 8 mois. J'étais donc davantage sensible à toute nouvelle découverte et hors
de la classe au cours des activités familiales Jacques m'a raconté tout ça. Il
l'apportait en classe ensuite.
Son frère plus âgé de deux ans et demi
était déjà à un autre stade, plus analyste et moins découvreur : ce qui pourrait
induire une recherche intéressante sur les âges les plus curieux. Je n'en ai pas les
éléments pour l'instant.
Le cas de cet enfant pourrait prouver deux
choses :
·
l'importance du vécu
hors de l'école, à condition que le milieu familial y soit sensible.
·
Jacques n'est pas
devenu pour autant un scientifique ! Bien au contraire il s'est avéré un littéraire.
Mais le fameux programme de math modernes (oh ! Combien !) de 4e dans sa première version
n'y est sûrement pas étranger... Dix ans plus tard il est élève d'un conservatoire
d'Art Dramatique.
Pas plus que nous ne voulons faire des
artistes en donnant de larges possibilités de peindre et dessiner à nos élèves, pas
plus que nous ne voulons faire des révolutionnaires en instituant les conseils de
coopérative dans la classe, nous ne voulons que tous nos élèves soient des
scientifiques !
Il nous suffit de permettre à l'école les
activités les plus larges, les plus variées qui mettent en jeu toute la personnalité.
Pour davantage de bonheur et de lucidité.
3) QUELQUES REMARQUES :
Les quarante découvertes ou expériences
relatées ci-dessus ne représentent pas, je l'ai déjà dit, la totalité des
découvertes vécues et exploitées dans cette classe : ce sont seulement celles qu'il m'a
été possible de rassembler après coup.
Mais malgré la relativité de ce
matériel, une rapide analyse des récits des enfants met en évidence leur richesse. Un
certain nombre de comportements que les enfants adoptent naturellement (On notera que ces
comportements apparaissent spontanément dans les discussions d'enfants de la maternelle
rapportées plus loin (voir notamment la discussion sur le vent et l'atelier d'eau dans
les exemples rapportés par D. Baud, p. 27)) méritent qu'on les relève :
-la précision du récit : voir par
exemple p. 5 (le car).
-Lutilisation d'une logique
déductive à partir d'une expérience et d'un savoir déjà acquis pour formuler
une hypothèse nouvelle : p. 6 b) (A table, la "déloupe").
-Lémission d'hypothèses
explicatives de l'expérience : p. 6 b) (A table, la "déloupe"), p. 5 (le
couteau), p. 9 c) (les nuages), p. 13 (la planche et la résistance de l'air).
-L'établissement d'analogies : par
exemple p. 13 (les bulles dans le bol de lait).
-La proposition de varier les éléments
de l'expérience : p. 5 (le couteau), p. 7 (l'arc-en-ciel), p. 7 (la couleur), p. 8 (a
et d, la vibration de la règle ou du mazout), p. 9 (force de réaction), p.11 (les
différents branchements possibles), p. 12 (les différents branchements de 2 ampoules),
p. 13 (relativité).
-La vérification expérimentale d'une
hypothèse : p. 9 (force de réaction).
-L'expérience échouée qui apporte
tout de même un savoir : p. 6 (le projecteur).
Enfin, deux interventions de ma part ont
tendu à :
-proposer une réalisation analogue
à celle qui posait problème, mais avec un matériau plus simple. Par exemple p. 7 :
"la télévision", alors qu'il était impossible de démonter le gadget sur
lequel Roger s'interrogeait.
-réaliser une expérience simulée
: l'ampoule électrique. On peut faire rougir le filament reconstitué avec un fil
résistant, mais pas obtenir le vide dans l'ampoule...
Certaines de ces découvertes et
expériences ont été exploitées, d'autres non. (Ces dernières jouent alors seulement
le rôle de références qui peuvent plus tard servir à établir des analogies).
Dans le cas de l'exploitation, le
déroulement peut prendre des formes très variées. Après les exemples qui suivent, nous
essaierons d'en établir un schéma plus général.
1) LES COULEURS DE L 'ARC-EN-CIEL :
Découverte de Pierre (voir p. 7).
Classe de 21 élèves- Mixte- C.E.2-C.M.l
et C.M.2-F.E.
Nous avions décidé de prévoir dans notre
semaine de travail, au moins un moment dans l'après-midi où les enfants pourraient venir
raconter à l'ensemble de la classe une découverte, un constat, une trouvaille
intéressante, susceptible d'intéresser tout le monde et dont nous pourrions discuter
ensemble.
Cela n'excluait pas, bien sûr, d'autres
grands moments de travail en sciences (expériences, observations, recherches, etc.)
menés en petits groupes ou quelquefois individuellement.
Mais il nous arrivait fréquemment ces
"M'sieur pourquoi... ?" ou "M'sieur j'ai vu que..." à tout moment
de la journée, souvent à des heures qui ne permettaient pas d'examiner l'affaire à
fond, sans risquer d'éparpiller sans cesse notre travail.
C'est donc dans un souci d'ordre que nous
en étions arrivés à ces moments prévus pour exposer les "découvertes".
1 ère étape :
Un jour, Pierre, (9 ans) est venu nous
raconter "J'ai pris mon stylo, j'ai éclairé la lampe de la classe et j'ai regardé
la lampe à travers le stylo et je voyais les couleurs de l'arc-en-ciel...
Après, je me suis mis à la place de
Roland et j'ai vu l'arc-en-ciel pas pareil".
2e étape :
L'exposé de sa découverte provoque
immédiatement des essais : chacun prend son "stylo" (un crayon à bille dont le
corps est en plastique transparent), la lampe est allumée et chacun commente. Il y a
effectivement une irisation, mais elle n'est pas très nette et certains ne la voient pas.
Puis en tournant le stylo, ça y est ! Mais les couleurs entrevues ne sont ni très
belles, ni très nettes.
3e étape :
C'est alors que Jacqueline (13 ans),
ajoute.
"Un matin, j'étais assise à ma table
et j'ai mis un cheveu devant mes yeux : autour du cheveu je voyais la couleur de
l'arc-en-ciel''.
Mais la vérification est difficile seuls,
quelques-uns peuvent l'essayer (en vain), et cela ne suffit pas à nous relancer pour
cette fois.
4e étape :
Quelques jours plus tard, Christian J. (9
ans) vient exposer à la classe une nouvelle découverte :
"Quand le laitier passe et que la
route est mouillée et qu'il tombe du lait sur la route, ça fait l'arc-en-ciel ".
Quelles ont été les incidences des
observations de Pierre et Jacqueline sur Christian ? Je ne le sais pas exactement.
Je pense tout de même qu'il y en a eu. Et
sur l'ensemble de la classe, il est aussi difficile de le dire avec précision.
Toujours est-il que la découverte de
Christian trouve une approbation unanime et déclenche aussitôt une série de remarques :
5e étape :
Jean-Pierre (13 ans) :
"C'est pareil quand il y a une goutte
de gasoil qui tombe sur la terre mouillée".
Jacques (9 ans et demi) : "Je fais des
bulles de savon et je les mets au soleil et je vois l'arc-en-ciel sur les bulles".
Marie-Hélène et Evelyne (12 ans) :
"En faisant de la géographie, on ne voyait pas très bien les lettres qu'il y avait
sur le dictionnaire, alors on a pris une loupe. Et on voyait l'arc-en-ciel en forme des
lettres".
Christian M. (9 ans) : "Hier j'ai
trouvé une expérience : au soleil je ferme les yeux à peine et ça fait tout plein de
carrés de toutes les couleurs".
Martine (12 ans) : "Chez moi il y a
une porte vitrée en verre martelé et quand je regarde à travers la porte et en face du
soleil, je vois l'arc-en-ciel sur le verre".
Pascale (13 ans) : "L'autre jour,
j'étais dehors pour faire du calcul et j'avais pris une bouteille et l'entonnoir en
verre, puis j'ai versé de l'eau dans la bouteille et par terre je voyais l'arc-en-ciel
devant la bouteille".
Gilles (13 ans) : "Quand on arrose le
jardin avec un jet et puis qu'on met le doigt devant, on voit l'arc-en-ciel sur l'eau. Et
quand on met une cuillère sous un robinet et que l'on regarde sous la cuillère, on voit
l'arc-en-ciel".
Jacqueline : "Hier soir, quand je
mangeais ma soupe, ma sur était en train de presser un citron. Je me suis baissée
et j'ai vu la couleur de l'arc-en-ciel bien nette sur le presse-citron en verre".
6e étape :
Devant l'avalanche des remarques et la
hâte de chacun pour les apporter, j'ai pris ma "part du maître" pour mettre de
l'ordre dans notre discussion.
J'ai demandé que chacun vienne nous redire
clairement ce qui lui était arrivé afin de pouvoir en discuter et préciser les
conditions de l'expérience en fonction des questions qui lui seraient posées. Ce que
nous avons fait.
Cette fois la "sensibilisation"
à l'arc-en-ciel était très grande et comme l'après-midi tirait à sa fin, nous avons
décidé d'un commun accord de refaire en classe, dans les jours suivants toutes les
expériences possibles pour vérifier les observations citées et essayer de comprendre
pourquoi nous voyions les couleurs de l'arc-en-ciel.
7e étape :
Nous avons donc reconstitué les
expériences et toutes nous ont donné, avec plus ou moins de succès, les couleurs de
l'arc-en-ciel. Mais seule l'expérience de Pascale donnait véritablement un spectre avec
les couleurs assez bien étalées.
Nous avons aussi parlé du véritable
arc-en-ciel mais nous n'avons pas eu la chance d'en voir un à ce moment-là...
J'ai alors proposé une expérience
trouvée dans le "Manuel de l'UNESCO pour l'enseignement des sciences" :
"Placer une cuvette pleine d'eau au
soleil. Appuyer une glace de poche rectangulaire contre la face interne d'une des parois
et l'incliner jusqu'à ce qu'une bande colorée, ou spectre, apparaisse sur un mur ou une
feuille de carton blanc placée devant la cuvette".
Nous avons ainsi obtenu un très beau
spectre, très lisible et nous avons vérifié la liste des couleurs données par le
dictionnaire violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge...
Mais nous ne savions pas pourquoi ces
couleurs apparaissaient... Le mystère restait entier ! Nous avions néanmoins un nombre
important de situations à partir desquelles il m'a paru possible de localiser des
éléments constants dans les observations.
8e étape :
Je suis alors intervenu pour demander de
reconnaître ce que nous trouvions toujours dans les expériences où nous voyions les
couleurs de l'arc-en-ciel. Autrement dit : "Que faut -il pour que l'on voie
les couleurs de l'arc-en-ciel ?"
La discussion qui a suivi nous a permis de
classer en trois groupes ce que nous trouvions dans toutes les expériences :
-de l'eau, du verre, du plastique
transparent : autrement dit un corps à travers lequel on voit, à travers lequel passe la
lumière.
-les cheveux, les cils, de l'huile sur
l'eau et les bulles de savon ici on ne peut plus parler de transparence, mais le
caractère commun à ces éléments (et j'ai aidé à le mettre en évidence) a été
reconnu comme étant la minceur (du cheveu ou de l'espace entre les cheveux ou les cils)
ou de la couche d'huile, ou des parois des bulles.
-la lumière du soleil ou d'une lampe, est
toujours présente. Nous avons remarqué également que la position de l'observateur
entrait aussi en ligne de compte.
9e étape :
A ce moment-là j'ai essayé d'expliquer
que pour les physiciens la lumière blanche que nous voyons est en fait un mélange de
lumières colorées. Nous avons fait un disque de Newton qui ne nous a donné qu'un gris
en tournant... J'ai ajouté que ces lumières colorées étaient séparées, dispersées,
et rendues visibles au moment où elles passaient de l'air dans un autre matériau pour
des raisons qui ne peuvent s'expliquer que mathématiquement et qu'il était trop
difficile pour nous de les comprendre. La réceptivité était très grande. Nous en
sommes restés là.
*
En somme, je m'étais moins attaché à la
compréhension fine du phénomène (impossible sans recours aux mathématiques) qu'à
l'établissement d'une recherche pour rassembler et reconnaître les éléments du
problème.
*
Cette expérience montre également la part
importante que prend le groupe des élèves. La présentation de la découverte aux
autres, à ses pairs, provoque des rebondissements et des enchaînements. Les vécus
différents s'expriment et se rencontrent et l'information est multipliée : celui qui
n'avait pas encore pensé à raconter sa propre découverte y est incité et le champ
d'investigation est considérablement élargi, ce qui permettra à la fin l'établissement
des constantes de façon bien plus valable que ne l'aurait permis une seule découverte.
Ici, le groupe fournit un grand nombre
d'observations convergentes. Dans d'autres cas il apportera un grand nombre de questions
diversifiées. Et celui qui dit le premier "Oh ! M'sieur, j'ai vu..." ne
pensera pas forcément à dire : "Oui, mais si..." ou "mais c'est pareil
que...".
De même, l'exposition des travaux ou
recherches en cours, l'affichage de comptes rendus aiguisent la curiosité. Par le nombre
et la diversité des individus qui le constituent le groupe des élèves constitue une
source importante de stimulation.
De plus, il contribue également à la
modification du rapport au savoir : le dialogue (dans le meilleur des cas ! ), la
recherche, ne se mène plus entre un maître et l'enfant et il devient évident qu'après
la prise en considération de la question ou de la découverte, la participation de
n'importe quel autre élève peut être déterminante dans l'évolution de la recherche.
Enfin, cette recherche menée en commun, doit sans doute aider à faire prendre conscience
à l'enfant qu'il peut lui-même essayer de répondre à ses propres questions : les
réponses n'existent nulle part toutes faites et l'on y arrive par une démarche qui se
vit avec les autres et s'apprend.
2) L'HYDROGENE :
Jean-Marc m'avait posé des questions sur
les ballons dirigeables à la suite d'une émission de télévision qu'il avait vue. Je
lui ai donc donné à lire un S.B.T. qui en parle. (S.B.T. n° 314).
Mais Jean-Marc est revenu très vite me
demander ce qu'est l'hydrogène.
Pour lui donner mieux qu'une explication
seulement orale, je lui ai proposé d'en fabriquer. Dans cette classe que je venais de
prendre (Automne 73) l'annonce d'une expérience pour fabriquer de l'hydrogène a très
vite rassemblé tout le monde autour de la table de Jean-Marc.
Il y avait dans le matériel de la classe
le nécessaire pour fabriquer de l'hydrogène à partir de zinc et d'acide chlorhydrique.
Et nous avons effectivement obtenu de l'hydrogène dans les tubes à essais retournés.
Et aussitôt la question "Comment ça
se fait ? Pourquoi de mélanger du zinc et de l'acide chlorhydrique, cela donne une
troisième chose : de l'hydrogène ? "
Ici plus d'expérimentation possible j'ai
donc expliqué que l'acide chlorhydrique était formé de molécules contenant chacune
un atome de chlore et un atome d'hydrogène ; que ces atomes étaient fortement liés
par des forces qui les faisaient rester ensemble en donnant ce produit : l'acide
chlorhydrique. Mais qu'en présence du zinc, les atomes du zinc et de chlore pouvaient
se lier entre eux par des forces plus grandes que celles qui lient chlore et hydrogène :
ce qui laissait les atomes d'hydrogène libres et un nouveau produit le chlorure de zinc,
les atomes d'hydrogène donnant l'hydrogène recueilli dans nos éprouvettes.
En fait j'avais simplifié l'explication :
il aurait fallu parler du rôle de l'eau (l'acide est dilué) et de la chaleur (le
mélange eau acidulée + zinc est chauffé).
Mais j'allais de toute façon y être
amené par les nouvelles questions des enfants : "Est-ce qu'on peut voir les atomes ?
Les molécules ? D'où viennent les forces qui tiennent les atomes ensemble ?
Comment cela se fait qu'entre certains produits ces forces sont plus grandes que
d'autres ?"
Autant de questions auxquelles je ne savais
plus répondre de façon sûre... Et je l'ai dit. (mais dans les jours qui ont suivi j'ai
cherché auprès d'amis travaillant à la Faculté des Sciences un supplément de
connaissances pour mon propre compte).
Mais ce n'est pas l'objet de faire ici un
cours de physique : il est seulement question de montrer une fois de plus que par leurs
questions, les enfants reculent toujours les limites d'une explication, aussi loin que
cela est possible, et que c'est là une démarche naturelle, l'expression d'un besoin de
comprendre qui se manifeste dès que l'occasion leur en est donnée.
Une démarche individuelle
3) "LE MYSTERE
DES MOUCHES" :
Autre exemple de curiosité résolu par
l'observation.
Elles ont peut-être des pattes aimantées
alors leurs pattes tiennent au plafond, mais je ne sais pas bien comment elles tiennent au
plafond à la renverse.
Peut-être que, avant d'aller au plafond,
elles vont se poser sur quelque chose qui colle comme le miel.
Alors elles ont les pattes toutes
collantes, elles volent se poser au plafond a lors comme ça, elles ne tombent pas.
Peut-être elles croisent les pattes, elles
battent des ailes, et elles ne tombent pas du plafond, elles se tiennent bien fort, avec
les pattes.
Voici ce que j'ai vu au microscope : une
aile vue au microscope ; son abdomen vu à la loupe ; une patte vue au
microscope ; son thorax vu à la loupe ; la tête vue au microscope ; une
mouche toute entière.
Après avoir vu les pattes d'une mouche au
microscope, j'ai remarqué qu'au bout de ses pattes, il y avait deux gros crochets, alors
je me suis dis : "Elle doit les enfoncer dans le plafond". Le maître ma
répondu : "Oh ! non, elle s'agrippe au plafond avec ses crochets
qu'elle a aux pattes". Alors j'ai pensé que c'était bien vrai, enfin j'ai pu
arriver à savoir comment elle se tenait au plafond.
Solange Marquet (11 ans)
REMARQUES :
J'ai précisé : elle s'agrippe par
opposition à elle enfonce ses crochets dans le plafond.
Lorsque Solange m'a apporté son album, je
lui ai montré un document pris dans "La vie des animaux" (Larousse) montrant
qu'en plus des griffes, les pattes étaient pourvues de ventouses (les pulvilles) qui
permettent aux mouches de tenir sur des surfaces parfaitement lisses. Mais cela, Solange
ne pouvait le voir avec les moyens d'observation et d'analyse dont nous disposions. Sa
démarche et l'hypothèse des crochets représentent déjà une belle réussite et il me
restait à la compléter par ce qui ne pouvait être compris, dégagé de l'observation
(Part du maître).
4) CURIOSITE ET OBSERVATION :
De quelle précision les enfants sont
capables dans leurs observations, ces deux nouveaux exemples en témoignent :
Les pyrrochores :
Les pyrrhocores ont six pattes et deux
antennes, leurs pattes sont en trois parties, au bout des pattes, ils ont deux petits
crochets, leurs antennes sont en quatre parties. Les pyrrhocores c'est des insectes. Ils
ont de petits yeux violets. Sous leur tête, il y a une petite trompe.
Les fourmis :
Un jour, Martine D. a laissé un tube de
verre plein d'eau sucrée sur l'atelier.
Et le lendemain, on est allé voir ce que
devenait le tube et son contenu et on a vu le tube qui était envahi de fourmis.
Leur fourmilière était dans le mur, pour
venir, elles longeaient le long du massif.
Elles montaient par la prise de terre,
passaient par la fenêtre qui était
entrouverte et venaient sur l'atelier par l'antenne.
Elles montaient le long du tube, rentraient
dedans et se remplissaient le ventre d'eau sucrée et retournaient à la fourmilière.
Quand les fourmis sont pleines d'eau
sucrée, on voit les anneaux qu'elles ont sur le dos.
5) ET LA MESURE :
Il est rare que la mesure puisse être
utilisée à l'école primaire comme moyen d'investigation ou de vérification à cause
de l'âge des enfants et de leur manque d'outils mathématiques. Egalement parce que la
mesure ne relève pas d'un comportement spontané et nous avons souvent vécu en
mathématique les tâtonnements des enfants pour arriver à la notion de mesure et
d'unités de mesure.
Passé ce premier cap il faut aussi donner
aux enfants l'habitude de s'en servir, car ce sera en fin de compte, en sciences, un outil
privilégié. Une nouvelle fois les questions des enfants peuvent nous en donner
l'occasion, comme dans cette recherche où j'ai proposé les expériences qu'Evelyne a
faites :
"En parlant d'Archimède en histoire
et de ses découvertes, nous avons voulu savoir pourquoi les bateaux flottent.
Jean-Pierre avait entendu dire que quelque
chose dans l'eau pesait moins lourd, mais personne ne voulait le croire. Alors, nous avons
fait cette expérience : on a accroché un marteau au plateau d'une balance et on a fait
l'équilibre ; puis on a plongé le marteau dans un bocal d'eau et la balance a alors
penché du côté des poids ! Le marteau pesait donc moins dans l'eau : Jean-Pierre avait
raison.
Nos correspondants ont fait cette
expérience en plongeant un marteau dans l'huile, dans le mazout et dans l'eau. Mais c'est
dans l'eau que le marteau pèse le moins.
Nous avons continué à discuter et à
chercher.
Puis Evelyne a fait cette expérience :
elle a mis des poids dans un tube d'aluminium pour voir s'il coulerait.
Avec 20 g le tube s'enfonce de 3,5 cm,
avec 30g le tube senfonce de 4,1 cm,
avec 40g le tube senfonce de 5,5 cm,
avec 50g le tube senfonce de 6,4 cm,
avec 54g le tube senfonce de 7,5 cm
et il coulait quand elle ajoutait un gramme
de plus.
Elle a pesé le tube vide : 8 g.
Elle a calculé le volume du tube : 62 cm3.
Alors, un tube de 62 cm3 coule dans l'eau
quand il pèse : 54 g + 8 g = 62 g.
Depuis, nous pensons que pour que les
bateaux flottent, il faut que le nombre qui dit leur volume soit plus grand que celui qui
dit leur poids. (Mais le maître dit qu'il faut faire attention aux unités ! )
".Compte rendu dans le journal
scolaire.
A noter :
·
le point de départ :
une "leçon" d'histoire
·
l'intervention des
correspondants
·
la formulation de la
loi, très différente de celle donnée par le principe d'Archimède. Je n'ai pas cherché
à la pousser plus loin à ce moment-là.
6) LA VARIETE DES QUESTIONS
Enfin, dans une autre classe, dans un
milieu différent des précédents, Suzon Charbonnier a recueilli dans la boîte à
questions de sa classe (C.P. C.E.) les questions suivantes :
-Pourquoi, quand on ferme les yeux un
moment puis qu'on les ouvre, le rond noir du milieu est plus gros ? (Gilles, 8 ans et
demi).
-Comment vient notre voix (Florence, 7 ans
et demi).
-Pourquoi les oiseaux ne s'électrocutent
pas quand ils se posent sur les fils ? (Myriam 8 ans).
-Comment est-ce qu'on est quand on est mort
? (Myriam, 8 ans et demi).
-Pourquoi quand on nous fait des
chatouilles on rit ? (Florence, 7 ans et demi).
-Comment les oiseaux volent ? (Florence 7
ans).
-A quoi servaient les menhirs ? (Myriam, 8
ans).
-Comment les photos se font dans les
appareils à photo ? (Florence, 7 ans).
-Comment est le cur du bébé dans le
ventre de sa maman ? (Myriam, 8 ans).
-Pourquoi le gaz est bleu quand il brûle ?
(Gilles, 8 ans).
-Pourquoi nos dents bougent ? (Agnès, 7
ans).
-Pourquoi la mer est salée ? (Gilles, 8
ans).
-Quand on est en voiture, les fils
électriques et les poteaux bougent : pourquoi ? (Florence, 7 ans et demi).
-La Lune me suit. Est-ce qu'elle vole
derrière moi ? (Alain 7 ans).
-Pourquoi les blancs d'ufs montent
quand on les bat ? (Michel, 8 ans et demi).
-Ce qui est froid nous fait mal et ce qui
est très chaud aussi. Pourquoi ? (Gilles, 8 ans).
-Est-ce que c'est vrai que les perroquets
parlent ? (Alain, 7 ans).
-Pourquoi se voit-on dans une glace ?
(Michel, 8 ans).
-Pourquoi, quand on fait cuire les
ufs au plat, le jaune est froid ? (Florence, 7 ans).
-Pourquoi, quand on trempe un moment les
mains dans l'eau, elles deviennent toutes ridées ? (Gilles, 8 ans et demi).
-Comment peut-on entendre les voix à la
radio ?
-Comment peut-on voir les images à la
télé ? (Gilles, 8 ans).
-Qu'est-ce que c'est un satellite ? A quoi
ça sert ? (Florence, 8 ans).
-Comment a-t-on inventé l'encre ? (Myriam,
8 ans et demi).
-Qui a inventé les couleurs ? (Agnès, 7
ans).
-Comment sont nés les premiers hommes ?
Où ? (Agnès, 7 ans).
-Comment les fleurs sauvages arrivent à
pousser toutes seules ? (Gilles. 8 ans).
-Comment les arbres font leurs petits ?
(Alain, 7 ans).
-Quel est le dernier nombre qui existe, le
plus grand de tous ? (Florence, 7 ans).
-Comment le lait des vaches qui sort
liquide des mamelles, peut devenir du lait en poudre ? (Agnès, 7 ans).
-Pourquoi y a-t-il des trous dans le
gruyère ? (Florence, 7 ans et demi).
-Comment fait-on le verre, les vitres ?
(Alain, 8 ans).
-Qui a découvert que la Terre était ronde
? Comment ? (Myriam, 8 ans).
-Combien y a-t-il de continents et quel est
le plus grand ? (Florence, 7 ans).
-Dans quel pays les gens sont en train de
se coucher quand nous on se lève (Agnès, 7 ans).
-Est-ce que les étoiles filantes sont des
étoiles qui volent ? (Alain, 7 ans).
-Comment les historiens peuvent-ils savoir
comment les gens du temps jadis vivaient ? (Myriam, 8 ans).
-Comment fabrique-t-on les aimants ?
Pourquoi ils aimantent ? (Michel, 8 ans et demi)
-A quoi sert le B.C.G. ? (Florence, 8 ans).
-Je sais que Christophe Colomb a découvert
l'Amérique. Mais je voudrais savoir comment, et connaître sa vie. (Myriam, 8 ans).
-Je voudrais connaître aussi la vie de
Marco Polo. Comment se fait le coton ? (Florence, 7 ans et demi). Et le chocolat ?
-Pourquoi on meurt un jour ? Pourquoi ce
jour-là plutôt que la veille ? (Michel, 8 ans).
-Qui a eu l'idée de faire les premiers
restaurants ? (Michel, 8 ans).
-Qu'est-ce que c'est les centrales
nucléaires ? Pourquoi y a-t-il des gens pour et d'autres contre ? (Myriam, 9 ans).
-Pourquoi quand on tourne vite on dirait
qu'on est saoul ? (Michel, 9 ans).
-Comment c'était la vie à la Renaissance
? (Florence, 8 ans).
-Comment a-t-on su que la Terre tourne ?
(Vincent, 5 ans).
-Pourquoi, quand on se regarde dans une
cuillère, on se voit à l'endroit du côté arrondi et à l'envers du côté creux
(Gilles, 8 ans et demi).
-Comment fonctionnent les catadioptres ?
(Thierry, 9 ans).
-Que contient l'eau ? Comment le sait-on ?
(Myriam, 8 ans et demi).
-Comment fabrique-t-on les disques ?
(Thierry, 9 ans).
-Comment a-t-on inventé les drapeaux ?
Pourquoi ? (Myriam, 8 ans).
-Les légendes est-ce qu'on les a
inventées ? (Myriam, 8 ans).
-Pourquoi y a-t-il des gens racistes ?
(Myriam, 8 ans).
-Qui invente les prénoms ? Qui nous les
donne ? (Agnès, 7 ans).
-Comment les danseurs peuvent-ils tourner
très vite sur la pointe de leurs pieds ? (Florence, 7 ans).
-Pourquoi y a-t-il des pauvres ? (Florence,
7 ans).
-Pourquoi on ne supprime pas la pollution ?
(Myriam, 8 ans).
-Quand on se parle pourquoi est-ce qu'on se
regarde ? (Florence, 7 ans).
-Qu'est-ce que ça veut dire "une
personne sympathique ? " (Florence, 7 ans).
-Pourquoi a-t-on des boutons sur la langue
? (Florence, 7 ans).
-Comment c'est dans notre corps ?
(Florence, 7 ans).
-Comment s'appellent les savants qui
observent la nature ? (Myriam, 8 ans).
-Qu'est-ce que c'est les "pour cent ?
" (Florence, 7 ans et demi).
-Comment fonctionnent les ascenseurs ?
(Florence, 8 ans).
-Comment fonctionnent les walkies-talkies ?
(Gilles, 8 ans).
-Comment est le pétrole ? (Florence, 7 ans
et demi).
-Est-ce que les hannetons volent ? (Alain,
7 ans et demi).
-Comment se font les éclairs, le tonnerre,
la foudre ? (Gilles, 8 ans).
-Est-ce qu'il peut y avoir des hommes ou
des êtres vivants sur d'autres planètes ? Qu'est-ce que c'est les soucoupes volantes ?
-Comment fait-on les cartes de géographie
? Comment a-t-on fait les premières ?
En somme, de quoi s'occuper bien plus
qu'aucun programme ne l'avait envisagé !
Cette liste prouve que la curiosité des
enfants ouvre leur recherche non seulement vers les sciences mais vers tous les domaines
de la connaissance ou de la réflexion.
Bien sûr, l'environnement immédiat
provoque beaucoup de questions ; à cet environnement il faut ajouter les questions qui
viennent par une information de plus en plus abondante, mais le plus souvent simplement
donnée et reçue sans approfondissement possible. Mais plusieurs questions dépassent cet
environnement concret et touchent aux domaines de la psychologie, de la sociologie et
restent des questions posées aux plus grands savants
Il est bien évident que beaucoup de ces
questions ne pourront trouver de réponse au niveau de la classe car elles mettent en jeu
soit des moyens d'observation ou d'expérience que nous n'avons pas, soit une très haute
technicité ou complexité. Mais il est toujours possible, même si l'on ne peut mener
aucune recherche expérimentale, d'accepter la question et au terme d'un échange de vues
et d'une discussion brève mais franche (au cours de laquelle le maître peut prendre une
très grande part) de donner des éléments de réflexion ou de réponse. On nous a
souvent objecté que l'absence de réponse pouvait engendrer une angoisse chez l'enfant :
je crois plutôt que c'est l'impossibilité de poser des questions qui causerait cette
angoisse ! Car au niveau des réponses, sauf dans des cas très simples, les enfants
acceptent très bien et très vite qu'il n'y ait pas une réponse ultime, définitive et
totale, mais des ensembles de phénomènes entre lesquels s'établissent les relations de
mieux en mieux décrites. Et la démarche collective de recherche, la discussion, la
découverte des relations les plus simples et pour finir, le partage de l'ignorance sont
des éléments sécurisants, stimulants.
Enfin, la très grande disparité des
questions posées dans cette même classe montre bien que l'enfant ne coupe pas en
tranches sa curiosité et ses demandes. La discussion montre très vite que certaines
questions sont plus importantes que d'autres. Il arrive même que les enfants, séduits
par la possibilité offerte de poser des questions, multiplient les questions et en posent
croyant faire plaisir au maître. Seule la discussion permettra alors de se rendre compte
de l'importance que l'enfant accorde vraiment, à sa question, comme elle permettra aussi
de faire apparaître la nécessité d'un tri, d'un ordre, d'une démarche construite,
premiers tâtonnements vers un comportement scientifique.
7) EN CLASSES MATERNELLES.
Les expériences relatées jusqu'ici
intéressent les classes de l'école primaire. Mais notre travail serait incomplet si nous
ne disions pas que dès l'école maternelle ces comportements de recherche existent déjà
sous une forme très spontanée, comme le montrent les témoignages suivants :
-En petite section (classe de Colette
Planet) :
·
Au cours de la matinée
je recherche sur le bureau un document, pour cela je déplace le cahier d'appel que je
laisse retomber sur le bureau : un feuillet, placé à côté "s'envole".
Jérôme qui m'avait suivie me dit : -"Recommence
! Regarde quand tu laisses retomber le cahier, ça fait envoler la feuille à
côté ! "
Je lui ai alors donné le cahier et il a
renouvelé plusieurs fois l'expérience.
D'autres ont remarqué que l'album du Père
Castor qui était de l'autre côté, lui, ne "s'envolait pas ! ".
·
Sur un tapis les
enfants trouvent des matériaux de toutes formes : caissettes -cubes géants- formes
plastiques diverses- morceaux de planche.
Le groupe d'enfants ou l'enfant qui le
désire peut s'installer à ce coin et manipuler librement.
Ce matin-là, un groupe de petits (2 ans) a
réalisé un équilibre en faisant tenir une planchette sur un tas de briques plastiques.
- En grande section (classe de Jacqueline
Jeaumière) le thème des équilibres est longuement exploré :
·
LES EQUILIBRES :
1- Dans le bac à sable, les maîtresses
ont mis des troncs d'arbres découpés : cylindres, planches, tronçons de poutre.
Pendant les récréations, les moments
d'éducation physique, les enfants ont découvert le nouveau matériau : son poids, ses
volumes, son contact (matériau dur : le bois et matériau meuble : le sable).
(Octobre 75) ;
2- Après la cantine un groupe de grands
me montre un de ses dispositifs : la balançoire. Ils avaient recréé la balançoire
! Quelle joie et quelle fierté !
Aussitôt et tour à tour on se
balance : seul, à 2, à 3, à 4.
Nous rentrons en classe et je demande à
Nathalie (une des plus ferventes à la balançoire !) de représenter ce qu'elle avait
expérimenté : tenir en équilibre sur le dispositif poutre et plancher seul, à 2
ou à 3,
et à Isabelle : tenir en équilibre
sur le dispositif : cylindre et planche. "C'est difficile parce que ça
roule".
(fin octobre 75) ;
3- A la suite de ces équilibres vécus,
j'organise en classe un atelier qui permet de réaliser des équilibres avec d'autres
matériels (différents par la taille et la matière). Nous recherchons dans toute la
classe ce qui pourrait servir : règle plate en bois, double- décimètre plastique,
règle d'écolier, le jeu de construction en bois, les rouleaux vides de papier
hygiénique, aluminium, échantillon rectangulaire de contreplaqué, boîtes de fromage,
etc.
(fin octobre 75)
NOTE : Au cours de l'année (2e trimestre), pendant que
je suis à l'atelier-lecture, une petite fille arrive avec une réglette en équilibre sur
l'index, elle fait très attention et me dit : "Regarde, ça tient en équilibre
même quand je marche". C'était Christine, celle qui avait réalisé le même
équilibre mais sans déplacement du corps.
4)- Quelque temps plus tard, à nouveau
dans le bac à sable, Jean-Pierre pousse et fait rouler devant lui un énorme cylindre en
bois. Richard remarque : "Il fait des routes ! ". C'était les traces du
déroulement du cylindre.
Alors, nous avons fait beaucoup de routes
dans le sable et avons joué aux voitures.
Dès que nous rentrons en classe je
décide et puis organise avec les enfants motivés un atelier qui permettrait de mettre en
évidence : le déroulement d'un cylindre et sa reconstitution.
5)- Dans la salle de jeux, je propose aux
enfants de rechercher dans le meuble de rangement du petit matériel d'éducation
physique (balle, corde, bâton, disque, bouteilles, quilles) ce avec quoi ils pourraient
réaliser un équilibre.
Après avoir tenté de le réaliser avec
différents objets leur préférence s'est portée sur :
-marcher avec un disque de bois en
équilibre sur la tête ;
-poser ce disque sur la paume de la main
et se déplacer sans faire tomber une bouteille lestée de sable placée dessus.
6)- Au coin peinture, Nelly a
représenté deux petites filles qui se balancent tout en se lançant une balle. Elle a
elle-même orienté le lancer.
A côté une autre "s'envole"
grâce au ballon. Je lui ai alors suggéré de représenter dans quel sens (flèche au
crayon de bois).
(Nelly, 6 ans)
-En moyenne et grande section (classe de
Dany Baud) :
·
LE SIPHON :
Dans la classe nous avons un atelier
d'eau. C'est une table percée avec une grande bassine et des plages de travail. Les
enfants ont apporté toutes sortes de récipients et m'ont demandé un tuyau. Les
enfants ne me font pas toujours part de leurs trouvailles et ce jour-là c'est moi qui
ai remarqué l'expérience de Katia :
-Avez-vous vu ce que fait Katia ?
-Je vide une bouteille avec le tuyau.
-Refais-le.
Elle recommence : Elle met un bout de
tuyau dans la bouteille pleine, souffle par l'autre bout, penche le tuyau au-dessus de la
bassine, ça ne coule pas.
Stéphanie essaie à son tour, ça ne
coule pas non plus.
-Ce n'est pas la même bouteille, il
change (rien).
-J'ai oublié de souffler dans le tuyau !
(rien).
-J'appuie sur la bouteille de plastique !
(rien).
-Christophe: - Le tuyau ne l'aime pas.
Quelques jours après, Christophe nous
dit : "Avec le tuyau je fais venir l'eau dans ma bouche et l'eau coule par le
tuyau". Il recommence plusieurs fois. Les enfants n'ont pas vu le rapprochement
avec l'expérience de Katia. C'est moi qui ai demandé à Katia de reprendre son
expérience qui réussit cette fois.
David: "Forcément quand on souffle,
ça fait des bulles, ça fait des bulles, ça ne coule pas. Il ne faut pas souffler, il
faut ramener l'eau dans la bouche (aspirer).
(Grande section 5 ans et demi)
AUTRE EXPERIENCE A L'ATELIER D'EAU :
Celle-ci tout le monde l'a remarquée sans
intervention à cause des rires d'Emmanuel et de Yann :
Yann verse de l'eau dans l'entonnoir.
Moi je souffle dans le tuyau, l'eau
s'envole, elle arrose, elle saute en l'air.
Ce jour-là les enfants n'ont pas eu envie
d'aller plus loin dans leur recherche, c'était trop amusant et ils voulaient en rester
là. Je pensais y revenir plus tard. (Grande section 5 ans et demi)
·
LE VENT :
Dans la cour en récréation, un jour de
vent, Stéphane courait avec un fil à la main. Il est venu me dire : j'avais un fil, il
s'est envolé par-dessus le toit.
Myriam : "Si Stéphane avait bien tenu
le fil il se serait envolé avec sur le toit !
-Non, il est trop lourd !
-Le vent n'est pas assez fort !
-Il faudrait une ficelle attachée au
vent".
En classe, ils présentent leur découverte
aux autres : -"C'est parce qu'il y a du vent".
On regarde à l'extérieur : les
feuilles bougent, les fils bougent, les nuages avancent.
On sort : les cheveux volent, le vent nous
décoiffe, les papiers s'envolent, montent, se collent aux arbres pas les maisons, pas les
pierres le vent nous fait avancer plus vite, il nous pousse.
On a attaché des papiers à des ficelles,
comme des cerfs-volants. On a couru, on a marché, on s'est arrêté.
Mon cerf-volant, quand je courais, il
volait ; quand je m'arrêtais, il ne volait presque plus ; il a tourbillonné et
quand j'ai tiré sur la laine il a avancé.
La série 301 à 400 du Fichier de Travail
Coopératif : "100 expériences fondamentales pour les petits", a d'ailleurs
été réalisée à partir de telles découvertes.
8) LA CURIOSITE PROVOQUEE
Tous les exemples rapportés jusqu'ici
avaient pour point de départ une curiosité se manifestant spontanément, une
curiosité à laquelle il suffisait de donner le temps et l'attention pour qu'elle
s'exprime. Parce que les enfants avaient grandi dans une pédagogie d'expression libre.
(sauf pour l'exemple de l'hydrogène, où l'occasion est venue par la lecture d'une
brochure et où j'avais pris une part très grande dans la stimulation de la curiosité en
proposant une expérience de fabrication). Il est certain que si, dès l'école maternelle
où est si grande toute l'exploration sensori-motrice de l'environnement, la curiosité
était reconnue, elle pourrait jouer un rôle très important tout au long de la
scolarité. Nous n'aurions pas, ensuite, à refaire des tâtonnements, des découvertes
qui auraient dû être vécus déjà dans le cas contraire, malheureusement le plus
fréquent, cette curiosité s'émousse et finit par disparaître du comportement des
élèves ; je dis bien des élèves et non des enfants, comme me l'a prouvé encore cet
exemple : c'était en septembre, peu après la rentrée, avec une classe que je venais de
prendre. Comme il faisait très chaud en classe l'après-midi, j'apportais un jour un
thermomètre à alcool pour savoir la température exacte. L'instrument ne provoqua aucune
surprise, et quand on sut qu'il faisait 28°, on en resta là. Mais je demandai quand
même : "Au fait, savez-vous comment fonctionne un thermomètre ?" Et plusieurs
réponses, sur le ton de l'évidence, jaillirent, qui voulaient toutes dire : "Ben
c'est simple : quand il fait chaud le liquide rouge monte et quand il fait froid, il
descend ! ". Tout cela avec un ton qui voulait dire : "Et qu'est-ce que vous
voulez de plus ? ". J'en restai là aussi ; mais le lendemain j'apportais un autre
thermomètre, à mercure, celui-là.
Même scène, avec la seule nuance : au
lieu du rouge c'est du gris, mais enfin c'est étudié pour ça ! Que les enfants ne
sachent rien de la dilatation était tout à fait normal. Mais cette idée qu'un
thermomètre c'était fait "pour ça" et qu'il n'y avait rien à dire de plus
m'étonnait. J'y voyais la marque d'un déterminisme technique, résultat d'un
environnement sur lequel on n'a plus de prise, ni d'intervention possible dans une
civilisation de consommation où il n'y a plus de questions à poser...
Alors j'ai dit : "Eh bien, je vais en
faire un (thermomètre) avec de l'eau". A ce moment, plusieurs enfants m'ont regardé
avec l'air de dire : "Eh m'sieur, ça va pas la tête ? " Et, ayant prévu que
cela se passerait très probablement ainsi, avec le matériel que j'avais préparé, j'ai
fait la très classique expérience : flacon rempli d'eau, muni d'un bouchon percé dans
lequel passe un tube de verre ; sur ce tube de verre, un index de papier repère le niveau
de l'eau dans le tube. Le flacon est posé en plein soleil sur le rebord d'une fenêtre et
très vite, l'eau monte au-dessus de son niveau primitif.
Passé le moment d'incrédulité et les
regards ironiques, la préparation de l'expérience a drainé vers moi l'ensemble des
élèves. L'étonnement et l'enthousiasme remplacent l'incrédulité lorsqu'il est
évident que l'eau monte aussi ! Et immédiatement les questions : "Mais d'où ça
vient ?" et "On peut le refaire ? "
Dans les jours qui suivent, l'expérience
sera refaite un grand nombre de fois. La curiosité provoquée, stimulée donne naissance
à des discussions passionnées et à une foule d'expériences sur la dilatation.
Ce récit pour dire que, dans certaines
situations, la curiosité des élèves s'étant éteinte, la provocation du maître peut
jouer un rôle très salutaire !
9) UNE METHODE DE TRAVAIL ?
A la suite de nombreux moments vécus avec
les enfants, à l'approfondissement de leurs questions ou découvertes, il m'avait paru
possible de schématiser leur progression à travers ces trois formules :
-Oh M'sieur j'ai vu... (la découverte)
-Oui, mais si... (modification d'un
composant de la situation, émission d'une hypothèse)
-Mais c'est pareil que... (établissement
d'une analogie avec une autre situation déjà rencontrée).
Ces trois étapes je les avais aussi
observées en libre recherche mathématique.
Il m'est donc arrivé de hâter le
tâtonnement des enfants en posant à mon tour les questions qui pouvaient faire aller
d'une étape à l'autre, étant entendu qu'au niveau où nous travaillions,
l'établissement d'analogies entre des situations différentes (du moins au départ) me
semblait déjà une belle réussite, la mesure ou la formulation de lois ne relevant ni de
nos moyens, ni de l'âge des enfants.
Voici deux exemples de recherche
structurée par ces trois étapes : (ou par deux d'entre elles au moins).
1)- Courant d'air :
Pression-Dépression :
·
La découverte :
Quand nous brûlons les feuilles mortes des
platanes, le feu fume beaucoup car toutes les feuilles ne sont pas sèches. Pour attiser
le feu, nous "faisons du vent" en agitant une planchette devant le feu. Mais
un jour, en éloignant rapidement la planchette du feu, Dominique a vu qu'une colonne de
fumée se formait derrière la planchette et la suivait.
·
Des observations qui
nous ont semblé être de même nature que celle-ci :
-Quand on ferme violemment la porte de la
classe, un vasistas qui ne tient pas très bien fermé, s'ouvre.
-Quand une auto passe très vite sur la
route, les poussières ou les feuilles sont soulevées et entraînées derrière elle ; et
si l'on est au bord de la route à ce moment, on sent un grand "coup de vent".
-L'expérience de la seringue : prenez une
seringue (ou une pompe de bicyclette), plongez l'ouverture dans l'eau et tirez le piston
vers vous. Que fait l'eau dans la seringue ou la pompe ?
·
Que se passe-t-il ?
Dans chaque expérience racontée
ci-dessus, il y a une "chose" qui se déplace : retrouvez-là.
-L'objet qui se déplace chasse l'air
devant lui et crée, derrière lui, une zone où l'air manque, où la pression est moins
forte : il crée une dépression.
-Autour de cette zone, la pression est
normale et le produit qui s'y trouve vient combler cette zone pour rétablir l'équilibre
(Attention : pour la seringue c'est un peu plus compliqué !)
2)- Le bâton tordu par l'eau :
·
La découverte :
Quand on regarde un bâton plongé à
moitié dans l'eau du bassin, à l'endroit où l'eau s'arrête. On dirait que le bâton
est tordu, plié.
(Nous avons refait l'expérience en classe
avec une règle dans une casserole d'eau : on constate le même phénomène).
·
Des réflexions qu'elle
nous a inspirées :
-C'est vrai, nous l'avons tous vu.
-Pourtant, quand on le sort de l'eau, il
est aussi droit qu'avant.
-Si on le remet entier dans l'eau, il est
aussi bien droit.
-Pour qu'on le voie "tordu" il
faut qu'il y ait de l'eau en bas et de l'air dessus.
·
Des idées pour faire
des expériences :
Si l'on pouvait :
-mettre le bâton dans l'eau, pris dans le
fond, pour voir dans quel sens il serait "tordu",
-voir ce qui se passe quand on plonge un
bâton dans un autre liquide : huile, essence, mazout, eau salée, eau sucrée, etc.
-plonger dans l'eau une tige de fil de fer
un peu pliée, pour la voir droite.
·
Une remarque :
Est-ce qu'un poisson que l'on voit dans
l'eau est bien à la place où on le voit ?
Il faudrait savoir ce que font les
chasseurs au harpon ou à l'arc lorsqu'ils tirent un poisson dans l'eau.
·
Une hypothèse de Joël
(12 ans) :
Il dit : "L'eau fait loupe, grossit
les choses. Alors, quand on plonge le bâton dans l'eau, l'eau fait voir toute la partie
qui est dans l'eau plus près que là où elle est en vrai : c'est pour ça que l'on
a l'impression que le bâton est tordu".
3- Les découvertes de Catherine :
Catherine a pris un tuyau de caoutchouc.
Elle a introduit une vis à bois plate dans une extrémité du tuyau : il faut une vis
assez longue qui entre facilement dans le tuyau, mais dont la tête soit plus large que
le diamètre intérieur du tuyau.
Catherine a soufflé dans le tuyau : la vis
est sortie un peu et a tourné sur elle-même.
Catherine a aspiré : la vie est revenue et
sa tête a fermé le tuyau ; elle n'a pu aspirer qu'une petite bouffée d'air.
1ère découverte : La vis tourne.
Voici quelques idées pour approfondir
cette découverte :
1- Construire un
"tourniquet" ;
-découper une spirale dans une feuille de
papier ;
-piquer une épingle à tête au centre de
la spirale et l'enfoncer dans un bouchon ;
-tenir le tourniquet suspendu au-dessus
d'un radiateur ou d'une source de chaleur.
2- Observer un tourniquet arroseur de
jardin ; le démonter pour comprendre ce qui le fait tourner (Mais il y a plusieurs
modèles..)
3- Une expérience "inverse". Les
charcutiers ont souvent une machine à faire la chair à saucisses. Si tu peux voir une
telle machine démontée, observe la vis sans fin qui, actionnée par une manivelle ou un
moteur, entraîne la viande vers le hachoir. Chaque fois, recherche le premier élément
en mouvement, ce que son mouvement provoque et pourquoi ?
2e découverte : La vis ferme
l'entrée du tuyau.
Il faudrait observer :
-une valve de chambre à air de vélo. On
en récupère facilement sur de vieilles chambres et on peut les démonter ;
-un soufflet pour attiser le feu dans la
cheminée ;
-un gonfleur de matelas pneumatique pour le
camping ;
-une pompe à vélo.
(Mais dans ces trois derniers cas nous
avons de nouveau l'expérience inverse de celle de Catherine : ici ce n'est pas l'air
qui est en mouvement au départ, mais c'est le mouvement du soufflet ou du gonfleur qui
met l'air en mouvement. Dans tous les cas il y a une valve qui ne permet la circulation
d'air que dans un seul sens : or c'est bien la valve que Catherine a redécouverte).
Dans ces trois exemples nous
retrouvons :
-la découverte, le constat,
-la recherche d'analogies qui souvent se
mène en même temps que la mise en évidence des invariants des diverses situations :
1 )
·
le mouvement de la
planchette, ou de la porte, ou de l'auto, ou du piston de la seringue provoquent tous un
autre mouvement ;
·
tous ces déplacements
se font dans l'air.
2)
·
le bâton semble
"plié" dans l'eau : et dans d'autres liquides ?
·
la direction du pliage
: en introduisant le bâton par dessous ? en pliant le bâton au préalable ?
3)
la vis tourne :
·
l'air se déplace et
fait tourner la vis (idem pour le moulinet). Au lieu de l'air, l'eau et la rotation d'un
tourniquet.
·
Et si c'est la vis qui
tourne ?
La recherche tend à isoler les éléments
de l'expérience et leurs effets, à vérifier les effets en fonction de l'un ou l'autre
des éléments.
*
Si les découvertes ou les expériences ne
mènent jamais à une explication ultime et définitive, elles aboutissent à une
démarche d'approche, à un raisonnement, à l'apprentissage d'une méthode de recherche
en même temps qu'à la constitution d'un bagage de références vécues. Au-delà de
l'enseignement primaire, sur tout cela devrait pouvoir se construire une structuration
de l'analyse et de la connaissance qui s'appuierait sur autre chose que des mots.
Si : "Apprendre, cela consiste en
quelque sorte à plonger la tête la première, dans une masse de phénomènes
apparemment incohérents, à réagir sur ces phénomènes, à découvrir par l'expérience
comment il faut s'y prendre pour provoquer l'apparition de certains phénomènes
désirés, à exprimer les propriétés des différentes données du monde extérieur en
formulant certaines règles", comme le dit le professeur Dienes, alors il semble bien
que la curiosité des enfants et l'exploration de leur milieu permette un véritable
apprentissage des sciences.
Et Dienes dit encore : "La
"réponse" correcte passe au second plan ; l'aptitude essentielle consiste
à savoir trouver son chemin à travers des situations de plus en plus complexes ; il
faut mettre l'accent sur l'activité dynamique de la recherche, plutôt que sur l'aspect
statique de la "réponse". La vision de la structure des événements est plus
importante que le symbolisme formel qui les exprime. L'activité de recherche des enfants,
isolés ou par petits groupes, prend le pas désormais sur la leçon magistrale donnée
par le maître en face de sa classe ; la discussion collective aboutit à des
conclusions dûment enregistrées, à condition que le maître sache respecter le
dynamisme constructif de la pensée de l'enfant"( Z.P. Dienes : "La
mathématique moderne dans l'enseignement primaire" OCDL éditeur).
Tout cela, dit à propos de l'enseignement
mathématique, s'applique à mon avis aux sciences et nous amène à préciser ce que dans
notre pédagogie nous appelons la part du maître.
Plutôt que d'en parler de façon abstraite
et générale, à partir de définitions, j'ai reclassé les éléments de mes
interventions dans les expériences et découvertes relatées jusqu'ici.
On trouve donc, et pas forcément dans un
ordre chronologique ou de valeur :
-Permettre et encourager la libre
expression et l'intégrer à des techniques de travail :
·
accepter en classe des
comportements habituellement considérés comme superflus ou troublant la discipline, ou
encore assimilés à des jeux donc à une perte de temps : p. 4 (le livret plié), p. 6
(la colle -loupe), p. 7 (le stylo à bille et le déplacement), p. 8 (la règle et la
presse), p. 8 (la bande de calcul), p. 10 (le rinçage du pinceau), p. la ("Je
m'amuse avec les aimants du panneau magnétique"), p. 13 ("Je m'amuse avec un
moteur électrique"), p. 15 (le jeu avec les cheveux), M H et E p. 15 (en faisant de
la géographie...) et les innombrables manipulations et découvertes de la maternelle (p.
24 à 28).
(On peut craindre la fameuse dispersion de
l'attention ! Mais les points suivants montreront qu'il n'en est rien ).
·
Favoriser l'exposé des
questions et découvertes et prévoir à cet effet une place à part entière dans la vie
et le travail de la classe. (Voir l'exemple de l'arc-en-ciel p. 15 et suivantes).
Possibilité d'utiliser également la boîte à questions (p. 22) : son ouverture à des
moments déterminés permet la canalisation et l'organisation des réponses et
exploitation.
Tout cela permet l'apport positif du vécu
extérieur à la classe, très important : par exemple page 3 (les trois exemples), p. 6
(le cachet dans le verre), p. 6 (à table et le travail avec frère et père), p. 8 (le
"rugby" et à la cave), p. 9 (les vacances), p. la (le tir aux pigeons et le
peigne), p. 13 (le bol de lait et le chewing-gum dans le verre), p. 13 (l'escalier du
grenier), entre autres.
·
Reconnaître et
favoriser l'apprentissage des discussions et de la recherche : individuelle (les pattes
des mouches, p. 17, en groupe et avec le maître (voir l'arc-en-ciel p. 15 et l'hydrogène
p. 17).
·
Prévoir dans la classe
et l'organisation du travail des lieux et des temps pour cette recherche. Dans le
matériel, penser à l'indispensable "bric à brac" qui offre beaucoup de
possibilités et stimule l'imagination (voir p. 8, les roues) à côté du matériel
classique (toutes les expériences d'électricité p. 11 et 12 sont faites à partir de
boîtes contenant les éléments séparés mais prêts à l'emploi). Penser aussi à la
création d'un atelier occasionnel (exemple n° 3 de J. Jeaumière en maternelle).
·
Accepter d'être un
recours et/ou un élément critique dans le tâtonnement de l'enfant pour rendre la
réussite, l'avancée, possibles :
-dans l'organisation de la recherche
(l'arc-en-ciel) ;
-par le savoir qu'on a : exemple de
l'hydrogène ou des pattes des mouches. Il ne s'agit pas de l'imposer, mais quand la
curiosité est en éveil, quand elle s'est exercée (et le raisonnement logique avec elle
! ) dans une longue recherche et que le besoin de comprendre est très fort, je crois que
rien ne s'oppose à un apport de connaissances qui s'intègre alors à un terrain prêt à
les recevoir. (voir l'hydrogène p. 17) ;
-par l'incitation à utiliser des
procédés ou des techniques qui aident à formaliser (les croquis par exemple) ou qui
permettent d'aller plus loin (la loupe ou le microscope), la mesure (voir procédé
d'Archimède p. 21) et enfin, la fourniture à l'enfant d'un plan-guide pour une
expérience qui l'éclairera (exemple de la "télévision" p. 7).
·
Provoquer la
curiosité, ne pas se contenter du constat pur et simple, d'un déterminisme mécaniste
encouragé par les habitudes ambiantes (exemple du thermomètre p. 28) :
-savoir que, du tâtonnement sur les
objets, les faits expérimentaux, il faudra passer un jour au tâtonnement sur les idées,
les concepts, par les analogies et les associations entre des éléments extraits
d'expériences antérieures, sans refaire les expériences chaque fois, aux tâtonnements
sur les hypothèses, en essayant de mesurer leur validité avant de les vérifier
expérimentalement. (voir les essais des pages 29 à 32). Mais cela est sans doute
possible avec des enfants vers 10 ou 11 ans au moins.
En résumé, cette part du maître tient à
ce que le maître est dans l'écoute et l'accueil, à ce qu'il apporte dans l'organisation
du milieu scolaire et à ce qu'il sait. Elle est une intervention qui respecte l'enfant
dans ses possibilités et démarches lors de son exploration du monde mais qui respecte
aussi, si l'on peut dire, le savoir qui permettra à cet enfant une meilleure autonomie
intellectuelle. C'est en cela qu'elle fait partie d'un projet éducatif.
J'ai plusieurs fois parlé du tâtonnement
de l'enfant. Il n'est pas question ici de replacer le débat sur le tâtonnement
expérimental comme processus général de la vie et de la connaissance tel que Freinet le
décrit dans "L'Essai de psychologie sensible" (Essai de psychologie sensible
appliquée à l'éducation. Editions Delachaux et Niestlé. 2 tomes. En vente à C.E.L.
Cannes.) Tout au plus, on peut penser que l'analyse des démarches décrites ici peut
constituer quelques éléments fragmentaires de cette vaste loi.
Ici, le tâtonnement évoqué est une
démarche de recherche, un comportement face à une question, le schéma (sans doute
incomplet) qui structure la compréhension ou du moins la marche vers celle-ci. Il
s'articule en gros selon ces étapes :
1)
La question, la
découverte (constat, observation) et quelquefois la reproduction plus ou moins
involontaire de quelque chose déjà connu. (Le point de départ appartient au vécu de
l'enfant). La curiosité, l'étonnement, le besoin de comprendre sont les premiers
moteurs.
2) Enonciation, exposé du fait ou tentative de réaliser concrètement quelque chose qui matérialise la situation de' naissance de ce fait.
3) Les réactions (autour de l'enfant : enfant et/ou adulte) : accord, confirmation par d'autres témoignages,
accord nuancé par d'autres éléments,
désaccord ou doute : motivé et expliqué ou non d'où discussion, recherche
d'hypothèses.
4) vérifications : répétition de
l'exemple avancé, et/ou répétition nuancée par la critique, tentative d'expérience
prouvant ou non le bien-fondé des désaccords, tout cela tendant à la clarification du
point de départ et à la vérification des autres hypothèses avancées.
5) Constats, nouvelles réactions et
reprise de la démarche en 3. Apparition éventuelle d'analogies.
6) Retour à la démarche du 4, pour
inscrire les incertitudes dans des marges de plus en plus étroites.
Il est moins question d'arriver à la
vérification absolue (d'autant moins que les enfants ont tendance à reculer sans cesse
le point d'arrivée par de nouvelles questions) qu'à l'acquisition d'une attitude de
recherche soutenue par la réflexion et l'expérience. Et ces expériences constituent
autant de références pour des déductions ultérieures.
Ce qui différencie ce processus
d'apprentissage et de compréhension de l'attitude scolastique tient :
·
au fait que le point de
départ est donné par l'enfant et relève de ses motivations profondes,
·
la "réponse"
n'est pas donnée par celui qui sait : le maître, mais elle est construite,
·
l'enfant et ceux qui
l'entourent sont mis en situation de trouver eux-mêmes les éléments de la réponse qui
ne relève donc pas du donné sans justification mais de l'expérience,
·
lorsqu'une explication
théorique est fournie plus tard par le maître par exemple, elle ne vient qu'après
l'expérience et elle est d'autant mieux acceptée et intégrée qu'elle répond à un
besoin que l'expérience n'a pu satisfaire.
On peut tenter de résumer le tâtonnement
dans ce schéma emprunté à la cybernétique.
(A noter que la part du maître intervient
dans les boucles de rétroaction et que s'il est vrai en cybernétique que ces boucles
doivent nécessairement être positives et négatives pour la marche du système, alors
les interventions du maître doivent être aussi dans deux sens : en apports et en
critiques).
Enfin, ce tâtonnement, au contraire de la
scolastique qui ne met en jeu (dans le meilleur des cas ! ) que l'aptitude à retenir et
à utiliser ce qu'on a retenu, dans des démarches uniquement intellectuelles, ce
tâtonnement donc mobilise toute la personnalité : le vécu et son aspect affectif
intervient et par la main, les yeux et le cerveau à travers les expériences et le
raisonnement, la connaissance est le résultat d'une démarche globale.
Je ne pense pas que ce travail contienne
tout ce qui aurait pu être dit de toutes les situations évoquées. Je ne pense pas non
plus que ce soit là un témoignage définitif et complet sur la formation scientifique de
l'enfant à l'école primaire. Sûrement pas !
Je souhaite seulement qu'il convainque que
la curiosité, le dynamisme des enfants existent et qu'ils ont toute leur place dans
l'école. Je sais que tous ces enfants quand je les ai quittés étaient ouverts,
chercheurs, "accrocheurs" et ne se contentaient pas d'explications verbales et
encore moins du refus d'explication. Ils avaient encore davantage de questions que de
réponses et une grande soif d'apprendre et de comprendre. Je ne suis pas sûr que les
C.E.S y aient répondu... Il y a eu, bien sûr, de "bons élèves" parmi eux !
Mais je sais qu'ils ont trouvé ailleurs qu'au C.E.S. les réponses à leurs vraies
questions qui n'étaient pas, elles, dans le programme !
Et je ne suis pas loin de croire que cette
curiosité entretenue et inscrite dans le progrès des possibilités mentales des
individus nous mènerait bien plus loin que tous les programmes.
Je ne l'ai montré ici que dans des
exemples qui touchent aux sciences. Mais nous la retrouvons partout.
Simone Pellissier, dans sa classe des
"petits" (S.E., C.P., C.E.) où les exigences des programmes dans une
formulation scolaire pesaient moins lourd qu'aux Cours moyens, disait souvent qu'en
partant d'une seule question d'enfant et en suivant son développement dans un groupe
d'enfants on arrivait à tous les domaines de la connaissance. Ce que Michel Barré disait
autrement : tous les ruisseaux vont à la mer ! A condition que les barrages successifs ne
les assèchent pas...
Il n'est pas question de systématiser
cette hypothèse, ce qui pourrait conduire à "tirer par les cheveux" les
questions et les réponses. Et il est bon de penser que les enfants n'ont pas qu'à
apprendre, comme il est bon de parfois oublier que le maître est lui aussi poussé par
son savoir, héritage d'une formation trop strictement scolaire. Mais si nos enfants, nos
élèves avaient le droit d'être curieux, ils auraient le droit d'apprendre et d'être,
par des voies sans doute meilleures.
Réflexions de Jacques
Lévine (Docteur en psychologie de
l'Université de Paris, Attaché de consultation de psychologie à l'Hôpital des enfants
malades.) et du docteur Guy Vermeil (Service de Pédiatrie au centre hospitalier d'Orsay) après lecture de ce dossier :
Je dis d'emblée mon admiration pour
cette B.T.R. Elle m'a fait beaucoup réfléchir et j'espère qu'elle fera réfléchir
beaucoup d'enseignants.
En gros, mes réflexions se sont
ordonnées autour de quatre thèmes :
Apprendre quoi ?
Qu'est-ce qu'un mouvement cognitif
naturel ?
Comment apprend-on ?
Apprendre à qui ?
Ces thèmes ne sont pas minces, je
l'accorde, et passablement abstraits, mais je ne ferai que les effleurer pour ne pas
lasser le lecteur.
Apprendre quoi ? Michel Pellissier
propose une application pédagogique qui n'est pas nouvelle dans son principe, dans le
contexte Freinet, mais qui a l'avantage d'être rigoureusement développée et illustrée
dans un secteur précis. C'est la pédagogie du "Je ne comprends pas, je ne comprends
pas bien ça", une pédagogie fondée sur ce qui étonne et résiste à la
compréhension, tout en la sollicitant.
Ce qui fonde le premier temps de cette
pédagogie, c'est l'aptitude de l'enfant à prendre conscience
qu'il est en face de phénomènes qui lui échappent, à découvrir les sentiments
d'anomalie, de mystère, d'inattendu, de différence avec le prévu qu'il éprouve au
contact de certaines réalités. Le deuxième
temps correspond au désir de comprendre pourquoi il ne comprend pas. Le troisième, à
une organisation d'échanges et d'expériences pour percer le mystère. Et l'on
s'aperçoit que ce troisième temps, dont l'objectif est d'expliquer ce que l'on ne
comprend pas, porte d'abord sur l'explication de ce que l'on croyait comprendre sans
problème. Pour expliquer le côté insolite de la réfraction dans l'eau, de
l'arc-en-ciel, d'une attraction magnétique, de courts-circuits électriques, des
ballons dirigeables, on est obligé de remettre en question des notions qui semblent aller
de soi : la lumière, les couleurs, l'électricité, l'air... Le chemin est alors
ouvert pour des explications de type scientifique en termes le moins savants possibles.
Mais s'agit-il seulement -ce qui est déjà
énorme- d'éveiller à la science par une démarche interrogative ? Il n'est pas question
ici de gadgets, de procédés astucieux, de ruses, pour intéresser à la "leçon de
choses". L'essentiel semble être l'élaboration d'une attitude d'esprit : se
donner le droit, l'habitude, le plaisir d'interroger la nature, de dire aux autres ses
curiosités, de les mettre en commun, de ne plus accepter un "c'est comme ça"
banal, d'aller voir pourquoi "c'est comme ça" grâce à l'échange
d'hypothèses avec les autres : camarades, maître et livres. De ce point de vue, je
dirai que la façon un peu trop modeste dont ce travail est présenté peut lui nuire, car
on risque de ne pas discerner ce qui se joue de fondamental au-delà du titre qui limite
le propos à l'éveil aux matières dites scientifiques. Or, ce qui se joue à
l'arrière-plan des recherches de ce genre n'est rien moins que la possibilité d'une
autre conception de la culture, aux antipodes du savoir livresque passif, et différente
de la petite interrogation momentanée, souvent baptisée méthode active, uniquement
autorisée à l'heure et au jour de la "leçon de choses". A un moment où la
télé, la publicité, la mode, les magasins conditionnent massivement à certaines
curiosités, il s'agit de savoir si une pédagogie peut donner à tous les enfants le
goût et le plaisir d'interroger la vie en fonction de leur propre jugeotte et de se vivre
à terme comme possesseurs de méthodes sérieuses, voire démystifiantes, d'analyses des
phénomènes de la vie.
*
Analyse de la vie biologique, sociale,
psychologique, et non seulement du monde physique. La façon d'aborder la leçon de choses
s'applique en fait aussi bien au calcul, au français, à la géographie, à l'histoire ;
Freinet a parfaitement développé ce point à propos de l'imprimerie à l'école.
D'ailleurs, la B.T.R. donne des exemples montrant que les enfants posent des questions,
aussi bien sur l'organisation sociale, l'histoire de l'humanité, la sexualité, le
fonctionnement du corps, les origines de la vie. A lors faudra-t-il instaurer une pratique
de la "philosophie ", dès le C.P., le C.E. ou le C.M.l, comme antichambre de
l'esprit rationnel ? Pourquoi pas, si l'on sait s'apercevoir que l'enfant en fait
naturellement.
*
Allons plus loin : la question
"vraie" devient ici, en quelque sorte, une nouvelle matière
d'enseignement : "apprendre à avoir envie de comprendre'. Cette promotion me
paraît indispensable. Et pas seulement parce que cela forme à l'esprit scientifique, à
une attitude méthodique d'examen des problèmes quotidiens qui permet de mieux se
défendre dans la vie, mais parce que chacun a besoin de trouver une plate-forme de
réussite vraie. Je ne vois pas en effet pourquoi l'aptitude à se poser des questions
vraies serait moins importante que la réussite en orthographe ou calcul. La plaie de
l'école traditionnelle est de stériliser la majorité des enfants en n acceptant de
reconnaître en eux que les qualités du bon élève traditionnel.
*
Certes, le bon élève pose souvent des
questions vraies et intéressantes. Mais chez de nombreux "mauvais" élèves,
les qualités d'observation, d'adaptation aux problèmes de la vie courante, de
débrouillardise pratique - démarches qui impliquent des formes d'analyse qui ne valent
pas moins que les autres, à condition d'être développées- existent, déjà bien
formées ou potentielles. Valoriser ces qualités, qui à notre époque sont essentielles,
a pour avantage que l'école devient moins étrangère, affectivement et techniquement, à
ces enfants, et signifie qu'on s'oriente vers une finalité du développement optimal où
chacun, à partir de ses différences et plate-forme de réussite, peut trouver à
l'école une place égale à celle de l'autre.
Que l'effet soit loin d'être automatique,
qu'il y ait souvent loin des projets à l'effet escompté, nous devons y prendre garde et
nous y reviendrons. De toute façon, le projet dont nous parlons se garde de telles
considérations à long terme. Il est réaliste, précis, limité, ne se perd pas en
développements théoriques. Nous voulons seulement souligner qu'il a plus d'ampleur qu'il
ne semble le dire au premier abord.
*
Peut-on envisager une pédagogie qui se
situe dans la ligne du mouvement "naturel" d'acquisition des connaissances ?
Cela suppose qu'il existe un tel mouvement cognitif naturel. En gros, il y a quatre
modèles de situations d'apprentissage :
1- celui de l'école traditionnelle où
l'on apprend, au travers d'un travail d'absorption des mots tout faits du livre et du
maître qui renvoient aux réalités désignées ;
2- celui des classes, un peu moins
traditionnelles, lorsqu'il y a enquêtes ou confrontations avec des problèmes
concrets ;
3- celui des classes non traditionnelles
lorsque l'enfant construit son savoir à partir des problèmes à résoudre en commun,
comme dans l'imprimerie à l'école ;
4- celui
du cognitif pré ou extrascolaire : le pré-cognitif, c'est la façon dont le petit
enfant, avant d'aller à l'école, s'approprie mentalement le monde, forme
"naturellement" des doubles mentaux de la réalité, essaie
"spontanément" dy mettre de l'ordre. Le cognitif extrascolaire, c'est
celui de la rue, du cinéma, du jeu-travail, des conversations avec les camarades.
On peut considérer que le pré-cognitif et
le cognitif extrascolaire correspondent à une pédagogie spontanée, naturelle, étant
bien entendu que ce sont des termes à ne pas prendre à la lettre, car l'enfant est
toujours, où qu'il soit, influencé par les modèles socio-culturels et le langage de
l'environnement.
Essayons de saisir ces deux notions. Car,
d'une part, cette B.T.R. comme toute la pensée de Freinet, s'en inspire, et d'autre part,
l'enfant, face aux tâches cognitives de l'école, sent inconsciemment que dans la vie il
a appris, et continue d'apprendre autrement, il compare sans le savoir le cognitif
scolaire avec les plaisirs qu'il trouve à l'extrascolaire ou qu'il a trouvé dans le
cognitif préscolaire.
Pour ce qui est du pré-cognitif, l'une
des directions est celle du pré-cognitif "originaire ". Il correspond aux
questions que l'enfant se pose secrètement, et même d'une façon infra verbale, sur les
origines. Si l'on se reporte à la B.T.R concernant les dessins de Laurence (B.T.R. n° 22
de décembre 1976.), entre 3 ans 2 mois et 3 ans 9 mois, on réalise la quantité
incroyable de questions qu'un enfant de 3 ans se pose sur la vie sexuelle et génitale du
couple parental (mystère du coït, de la procréation, de la vie intra-utérine, de la
naissance), sur le fonctionnement interne du corps (digestion, défécation, excitation
sexuelle), sur les différences entre garçons et filles, sur les droits et
interdictions, les châtiments en cas de transgression, etc. Certes, les questions de
l'enfant sont, à cet âge, d'une confusion que l'adulte situe aux antipodes de la
science. Mais elles sont, dans leur principe, de caractère éminemment scientifique car
elles portent sur les modes de production des phénomènes de la vie, sur l'articulation
des choses entre elles. Et les interrogations que les enfants de la classe de S.
Charbonnier déposent dans la boîte aux questions : d'où ça vient, comment ça se
transforme, comment ça se met en rapport, qu'est-ce qui se passe dans cet ailleurs où on
ne peut aller, sont dans la ligne de ce pré-cognitif originaire.
Le pré-cognitif d'imitation, c'est
l'incorporation des conduites d'adultes que l'enfant admire ou qui le préoccupent :
enfoncer un clou, balayer, jouer à la maîtresse. Il s'agit, pour l'enfant, dans sa
compétition avec les adultes, de s'approprier ce qui fait, à ses yeux, leur valeur,
pour se donner une valeur correspondante. Là aussi, la démarche est potentiellement
scientifique car, pour "faire comme", il faut retrouver comment on fait comme, comment, par tâtonnements, comparaisons,
ré-expérimentations, les désirs et les gestes d'e l'autre s'articulent pour produire
l'effet observé.
Le pré-cognitif de fascination,
correspond aux intérêts du petit enfant pour les animaux, les véhicules, les soldats.
Son objectif est de satisfaire par identification, ses rêves de puissance. Mais, là
aussi, l'incorporation de ces mondes de complètement n'est possible que s'il amorce une
analyse questionnante sur les particularités, différences, similitudes, qu'il observe à
l'intérieur de la classe des animaux, des véhicules, des soldats de plomb, etc.
Il y a un pré-cognitif d'adaptation à
l'espace-temps des autres. Par exemple, pour continuer à garder quelque peu la
maîtrise de sa mère, lorsqu'elle est absente, et la rechercher par la pensée, l'enfant
élabore progressivement, à mesure que ses moyens intellectuels le lui permettent, ce qui
se passe dans l'ailleurs où elle est. Dans ce contexte, les questions et représentations
sur l'espace, le temps, la causalité, les qualités des choses, ne sont pas des
connaissances gratuites ou des photos désintéressées de la réalité, mais s'enracinent
dans une lutte fondamentale de l'enfant pour son adaptation et la sauvegarde de son Moi.
On peut dire qu'à ce titre les connaissances ont une valeur contra phobique.
Le pré-cognitif de repérage de
l'insolite, du changement, des contrastes, des anomalies qui intervient d'ailleurs au
premier plan dans la formation des souvenirs, c'est le stockage des expériences de
ruptures ou de menaces de ruptures, de différences, de non-conformité. C'est un
mécanisme de défense contre des expériences d'agression, réelles ou fantasmatiques,
qui fonctionne dès les premiers contacts avec le sein et le visage de la mère. Même
s'il est d'abord internalisé dans les émotions et le tonus sous des formes infra
verbales, il est à l'origine d'une fonction de vigilance, des "pourquoi" à
propos des anomalies et des contradictions quil sagisse des phénomènes
physiques extérieurs à l'enfant, ou, dans un premier temps, de son monde intime.
Citons encore un pré-cognitif que
l'enfant élabore pour s'associer aux problèmes, luttes, réalisations, des
adultes de la famille. Il faudrait également parler d'un pré-cognitif débouchant sur
des acquisitions pour épater le milieu et d'un pré-cognitif spécialisé où le
choix très sélectif des connaissances alimente l'originalité de l'enfant par rapport
aux autres membres de la famille.
On voit que le pré-cognitif s'enracine
dans des besoins vitaux de recherche de signifiance et de lutte pour maîtriser
mentalement le milieu. C'est également un système de connaissances, qui est
essentiellement d'inspiration relationnelle, qui a pour moteur la fusion avec les
autres, la médiatisation par leurs activités et leurs façons de faire.
S'inscrivant en faux contre l'affirmation
de la pédagogie traditionnelle pour qui le Moi doit être au service du cognitif, le
pré-cognitif vivant montre que c'est le cognitif qui est au service du Moi, plus
précisément du système d'organisation qu'il a inconsciemment choisi pour s'affirmer en
tant que Moi.
Le cognitif extrascolaire s'articule sur
les mêmes besoins que le pré-cognitif Il est orienté différemment d'un enfant à
l'autre, selon l'âge, les influences qu'exerce le milieu, la place qu'il cherche à y
prendre.
Chacun a sa notion du cognitif
intéressant. Le "bon" élève se polarise très tôt sur des intérêts de type
intellectuel. D'autres sont conditionnés à une recherche de leur Moi où la prestance
physique l'emporte, comme dans les westerns et les bagarres de récréation. D'autres,
influencés par la société de consommation, s'intéresseront de façon pré-dominante
aux marques de voiture, aux chanteurs, aux sportifs.
Peut-on faire reposer une pédagogie sur
ces curiosités spontanées ? On voit rapidement qu'il y a trois obstacles :
-recréer à l'école la vie extérieure
comporte toujours quelque chose d'artificiel ;
-les intérêts culturels des enfants sont
orientés très différemment et créent une hétérogénéité considérable dans la
classe ;
-toute connaissance proposée à l'enfant
est conflictuelle : les intérêts et curiosités d'où le savoir enseigné est issu
sont ceux d'adultes confrontés à des responsabilités d'adultes, à des problèmes
matériels d'adultes, avec une organisation corticale d'adultes. Les curiosités et les
problèmes concrets de l'enfant en sont très éloignés.
Il n 'y a donc que de bons ou de mauvais
compromis pédagogiques. De bons compromis nécessitent, à mon sens, deux
conditions : sur le mode que préconise cette B.T.R., l'école doit partir d'aussi
près que possible des problèmes et des intérêts culturels réels de chaque enfant.
L'art de l'enseignement devient de donner la parole à ce qui intéresse l'enfant
c'est-à-dire en le reconnaissant avec les directions de son cognitif non-scolaire.
Mais, comme le laisse également entendre cette B.T.R., un système d'échanges doit
s'instaurer entre les intérêts d'origines diverses qui se manifestent dans la classe et,
d'une façon plus générale, entre des intérêts de type enfantin et les intérêts
adultes qui sous-tendent le savoir constitué. Il n 'y a donc pas de recette pédagogique
toute faite. l'organisation de conditions pédagogiques permettant aux motivations
naturelles de s'exprimer en classe n'évite pas une relation de qualité fondée sur une
compréhension profonde et compétente des conditions de développement de chaque enfant
avec ses particularités, le cognitif en l'occurrence ne pouvant jamais être séparé des
besoins affectifs et des conditionnements familiaux.
*
Peut-être pouvons-nous maintenant aborder
un problème difficile : qu'est-ce que l'acte d'apprendre, en quoi consiste la
dynamique d'acquisition d'une connaissance ? Bien entendu, cette dynamique diffère selon
qu'elle s'effectue dans l'une ou l'autre des situations d'apprentissage évoquées plus
haut. Nous nous référons ici à un acte cognitif supposé intéressant.
1)- Le point de départ doit
nécessairement être un acte d'étonnement. Dans le modèle traditionnel, l'adulte
propose ce qui a étonné les savants, surtout ceux des siècles précédents, ou à la
rigueur, ce qui étonne l'auteur des manuels sans se soucier de ce qui étonne l'enfant.
Dans le modèle des méthodes actives, néo-traditionnelles, on essaie de susciter
l'étonnement de l'enfant, mais en imaginant trop souvent à la place d'un enfant ce qui
peut l'intéresser. Dans le modèle de la classe permissive, on attend que l'étonnement
de l'enfant surgisse. Dans, la perspective de Freinet et de cette B.T.R, le moteur de
l'étonnement c'est que le maître vit l'enfant comme porteur de multiples "je ne
comprends pas bien ça" et comme capable de les repérer en lui. Il organise des
conditions scolaires qui permettent de systématiser, dans un sens constructif, cet
état d'esprit.
2)- Le sens profond de toute acquisition
est d'être une appropriation, un vol à la limite, d'un secret de fonctionnement, de
production, de procréation, d'engendrement des phénomènes. L'histoire raconte comment
se sont engendrés les faits, la géographie montre pourquoi c'est différent d'un endroit
à un autre, une rédaction c'est retrouver ce qui compose, différencie, spécifie des
structures, de telle sorte qu'on peut y circuler pour y réfléchir. Lorsqu'on oublie que
la connaissance a toujours rapports avec des secrets sur la composition et le mode de
fonctionnement des choses et des personnes elle devient fade. Lorsqu'un maÎtre, et c'est
le cas ici, lui restitue cette dimension, il se crée un lien très riche avec l'enfant,
qui est de l'ordre du parent initiateur, raconteur de secrets qui donnent de la puissance,
associant l'enfant à ses luttes constructives pour dominer la nature.
3)- Toute acquisition est une activité de
caractère narcissique. L'enfant apprend pour se faire reconnaître par les autres et
par lui-même, avec la valeur que lui confère la connaissance. Nous avons vu cet aspect
à propos du pré-cognitif et du cognitif extrascolaire, je ny insiste donc pas plus
ici.
4)- Toute acquisition implique le passage
d'un territoire à un autre. La possession de la connaissance y requiert que l'enfant
sorte de son monde intérieur X pour entrer et circuler dans le territoire Y et qu'ayant
procédé au travail de ramassage de la connaissance Y, il la ramène dans son camp X. Il
faut donc que l'enfant désire sortir de X et que le territoire Y ait de l'intérêt pour
lui. Ici, on ne transplante pas artificiellement l'enfant de X en Y, dans la mesure où
on lui demande de faire part de la façon spontanée dont il pense à Y quand il est en X.
Mais chaque enfant a ses résistances particulières à grandir, c'est-à-dire à sortir
de X.
5)- Toute acquisition implique un dialogue
intérieur imaginaire de type conflictuel.. dialogue avec une force stimulante, le regard
de la mère que tout enfant porte dans sa tête pour le stimuler à s'approprier le
monde extérieur, mais qui peut constituer un obstacle au désir d'appropriation si
l'enfant est en opposition avec elle. Dialogue avec une instance de jugement, une force
surmoïque qui juge l'enfant en train d'apprendre. Il est clair que l'image que l'enfant
se forme de lui-même peut, par exemple, le paralyser au cours de son travail
d'acquisition ou au contraire lui donner confiance. Il faut donc un climat scolaire qui
soit celui d'une pédagogie de la réussite et non de la mise en question permanente du
Moi.
6)- Toute acquisition implique un conflit
entre des structures opératoires différentes. Piaget montre que l'enfant, pour accéder
à un raisonnement de type scientifique, doit se dégager de son vécu corporel,
syncrétique, de la réalité concernée ; puis se dégager du vécu perceptif, trop
centré sur certains détails, qui le rend prisonnier des apparences. Il doit alors
élaborer, en se situant lui-même comme observateur de ses propres opérations
mentales, une mentalisation des actions de construction et de transformation qui lui
permettent de s'équilibrer par la restructuration de ses schémas, à la notion à
acquérir. Certains maîtres pensent que leur rôle est de faire accéder l'enfant, au
plus vite, à la pensée opératoire de type relativement scientifique. D'autres comme
dans la B.T.R. sur l'enseignement des sciences naturelles, comprennent que toute
acquisition est une lutte entre la pensée rationnelle et la pensée de type primaire,
fantasmatique et qu 'à son terme elle n'est pas élimination du mode fantasmatique, mais
articulation avec celle-ci, qui reste toujours latente. Il faut donc savoir perdre son
temps. Ce n'est que lorsque la pensée syncrétique a pu s'exprimer autant que nécessaire
au travers du tâtonnement expérimental, que la pensée rationnelle peut apparaître et
faire retrouver la façon dont les phénomènes s'engendrent et fonctionnent. Et s'il
est nécessaire de favoriser le tâtonnement expérimental, tant individuel que collectif,
c'est qu'il permet à l'enfant de venir, dans un premier temps, aux réalités avec ses
représentations à lui, de ré-expérimenter cette réalité avec ses fantasmes fondés
sur la priorité de l'imaginaire. Cette première intégration constitue une base de
départ pour des échanges entre ses "tiroirs" explicatifs et ceux des copains
ou du maître. Le tâtonnement expérimental, c'est un ajustement par échanges successifs
entre des systèmes explicatifs au départ hétérogènes. De plus, cette lutte reflète
un conflit entre deux statuts sociaux successifs de l'enfant, celui qui se définit par le
désir de maintenir la relation privilégiée avec la mère et celui qui accepte l'ordre
symbolique.
L'idée centrale que je veux exprimer est
que l'accession de l'enfant à l'esprit d'analyse des phénomènes et, secondairement, au
savoir dépend largement de la façon dont le maÎtre ressent ce qui se passe dans la
tête de l'enfant, ce qui fait obstacle ou ce qui favorise son travail d'interrogation et
d'assimilation de la réalité. Plus un maÎtre est désireux de se pencher sur le cas de
chaque enfant et de faire une pédagogie du développement optimal, plus il a besoin d'une
psychologie pratique et simple de haut niveau, très différente de la psychologie
livresque ordinairement enseignée, pour comprendre les facteurs qui entrent en jeu dans
la relation cognitive à la réalité de chaque enfant de sa classe.
Apprendre à qui ? Les considérations qui
viennent de précéder et où domine le souci de ce qui se passe, non au niveau de la
classe-entité, mais dans la tête de chaque enfant pris individuellement, me permettent
de réduire mon propos à quelques lignes.
Rien n'est en effet facile dans le monde
pédagogique, rien ne se règle par des "il faut" comme dans les programmes et
instructions officiels, ni même par les dispositions pédagogiques les plus ingénieuses
et les plus généreuses. Et cela pour la raison très simple qu'on enseigne, non à une
classe homogène le mythe doit en être détruit mais à des enfants profondément
différents, c'est-à-dire à une classe hétérogène. Ce que j'ai eu en vue en lisant
cette B.T.R., ce sont les enfants à équipement intellectuel dit déficitaire, les
enfants perturbés affectivement, les enfants dont le pré-cognitif s'est développé dans
un milieu où le langage n'est pas essentiellement fait pour réfléchir méthodiquement
aux problèmes, les enfants qui se défendent contre des angoisses archaïques ou
récentes, en jouant et en préférant l'inconscience, les enfants qui ne sont pas
sevrés affectivement, les enfants qui ne sentent instinctivement aucun avenir pour eux
dans l'école dont ils ont fait l'expérience jusqu'alors.
Je ne me pose pas la question de savoir si
la méthode proposée est bonne en soi, mais si, adaptée au cas de chaque enfant, elle
peut permettre cette pédagogie du développement optimal dont je parle beaucoup et dont
l'avènement dépend évidemment de bien d'autres conditions que de la mise au point de
techniques pédagogiques. Je réponds affirmativement. La conception de l'acte
pédagogique que cette B.T.R. présente implique que le maître vit l'enfant comme sujet,
donc avec ses particularités, ses préoccupations, sa problématique personnelle. Elle
implique aussi le désir d'un cognitif vrai, c'est-à-dire d'un travail mental qui soit
vraiment celui de l'enfant. Reste l'aptitude du maître à échanger avec chacun, à
communiquer d'inconscient à inconscient, à saisir ce qui favorise ou défavorise de tel
ou tel enfant. Reste le désir du maître, non seulement de se pencher sur le cas de
chacun, mais de se mettre suffisamment en question dans son vécu du problème de chaque
enfant pour pouvoir reconnaÎtre l'autre, non dans ses facteurs d'échec, mais dans ses
potentialités.
Jacques LEVINE
*
Mon ami Jacques Lévine a tenu à me faire
lire le texte sur l'initiation des enfants à l'observation scientifique. Je lui en suis
très reconnaissant car cette lecture m'a captivé et c'est avec plaisir, qu'à sa
demande, je transmets quelques réflexions que cette lecture m'a inspirée.
Ma première réaction fut de penser :
"C'est l'uf de Christophe Colomb" : c'est évident et personne ne le voit.
Car il est évident que ce que vous décrivez n'est pas la meilleure méthode mais la seule
méthode valable d'initiation au comportement rationnel et scientifique. Et il est
certain qu'elle n'est jamais mise en application dans l'enseignement français.
Fourastié l'a écrit dans son livre :
"La faillite de l'Université". On parle, on reparle, on vante la méthode
expérimentale comme la production la plus fructueuse de l'esprit humain, comme la base de
notre civilisation et comme la cause de notre domination sur la terre, mais on ne donne
jamais chez nous la moindre occasion à un écolier, un collégien, un lycéen ou un
étudiant de l'utiliser réellement. Les séances de travaux pratiques ou d'observation ne
sont jamais que des applications des connaissances théoriques et le résultat qu'on
"doit" trouver est connu d'avance.
L'initiation à la méthode expérimentale
est plus familière chez les Anglo-Saxons. Je me souviens, par exemple, que la première
séance de travaux pratiques de physique, dans une université de Californie (je ne me
rappelle pas exactement laquelle) consistait à remettre à chaque étudiant une bougie,
une boîte d'allumettes et une assiette en faïence et de leur demander de décrire tous
les phénomènes qu'ils pouvaient observer en manipulant ces objets.
Je pense qu'il y a chez nous, comme en
Italie et en Espagne, toute une imprégnation des traditions du catholicisme : on ne croit
qu'à la vérité révélée, on n'a que méfiance ou même hostilité pour la recherche
personnelle. La confrontation de ses propres croyances à celles des autres est interdite.
Nos enseignants laïques continuent, à cet
égard, à se comporter comme des catholiques de l'ancien temps : il est difficile de se
défaire des vieilles habitudes.
Il est heureux que des gens comme vous nous
montrent le chemin.
Guy
VERMEIL