Bibliothèque de travail et de recherches n°38
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Sommaire 1re
partie : La fermeture de l'ouvert 2e
partie : L'ouverture du fermé |
Lorsque moi j'emploie un mot, répliqua Humpty-Dumpty d'un ton quelque peu dédaigneux, il signifie exactement ce que je veux qu'il signifie... Ni plus, ni moins. * La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu'ils veulent dire. La question, riposta Humpty-Dumpty, est de savoir qui sera le Maître... Un
point, c'est tout. Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir |
C'est le
titre le plus large que j'ai trouvé pour essayer de déterminer le présent travail.
Titre qui doit sans doute déborder à lui seul toutes les explications que je peux donner
ou trouver, tout ce que je peux dire du cheminement ici montré.
Travail
du texte : il faut rapporter sous cette rubrique tout ce qui s'opère en classe
(ou ailleurs) dans, sur et à partir du texte libre. Le texte libre, écrit, avec sa
dimension de liberté certes, sa dimension aussi de texte, d'écrit. Dans le texte libre,
la liberté vient prendre trace, la parole se solidifier, se mémoriser. Libre, mais d'une
liberté qui se détermine, au moins partiellement à chaque instant dans une parole qui
reste, peut se communiquer, s'interpréter, constamment présente et sous les yeux de
tous. Même si elle garde continuellement son indicible, même si elle trace à même le
texte ses lignes de fuite.
Une parole
qui s'incarne dans de l'écriture, s'investit dans le corps, reflue à travers une
gestuelle fine du bout des doigts :
« ECRIRE.
Laisser couler sa vie par ce petit filet d'encre tortueux.
ECRIRE.
Petit geste ratatiné sur un parking désert 21 X 29.
Mais
tout l'espace intérieur qui funambule le long de ce mince trait noir projeté ».
P. Hétier.
Educateur 7, janvier 78
Travail
du texte : jeu, dialogue entre pensée, parole et geste de la main (jeu
dialectique ou dialogue ludique ?). Tantôt c'est l'écriture qui n'a pas la vitesse
de la pensée qui la dirige, ou qui s'arrête constamment dans un souci de recherche
orthographique ; tantôt , c'est la pensée qui se crée au fur et à mesure que les
mots s'écrivent, se développant par ramifications successives, prenant appel sur un mot,
une consonance, une rime, un bout de phrase, pensée associative.
Travail
du texte : lorsque s'opère la correction orthographique, contrainte décevante
au sein même de la liberté, envers et moment répressif d'une libération autrement
tendue ; lorsque se fait « la mise au propre », redoublement subtil de
l'écrit propre à l'école, qui fait passer du brouillon immontrable, incongru,
mélangé, absurde, au cahier montré, inspecté, ordonné, appliqué (à quoi ?),
progressif ; lorsqu'il est question aussi de l'illustrer, et, bien sûr, de
l'imprimer.
Travail
du texte : lorsqu'il est lu à la classe, moment de communication orale qui
appelle remarques et prolongements, suggestions ; lorsque, mis au tableau, il est
discuté collectivement.
Il y a
travail du texte dans la mesure où l'enfant l'a écrit, s'est investi en lui, l'a, donc,
travaillé. Il y a travail du texte dans la mesure où sa dimension de texte a
conditionné par ses appels, ses ruptures, la réflexion de l'enfant, des enfants ensuite.
Tout ce qui peut être tension sous-jacente à l'écriture de l'enfant.
Travail du
texte comme on pourrait entendre travail du bois ;
Travail du
bois : le travail qu'on peut faire sur/avec du bois ;
Travail du
bois : la force propre à la matière : le bois travaille.
Mais il me
faut déjà rétrécir mon sujet, après en avoir esquissé l'étendue, le champ. C'est la
reprise collective du texte écrit qui constitue le centre de mon étude. Je sais que ce
n'est pas une dimension chère au mouvement. Même si la reprise collective du texte libre
est considérée comme indissolublement liée à lui, même si le texte libre n'existe que
repris socialement, elle n'en est pas moins frappée du sceau d'un certain négatif. On
l'affuble de noms divers. Il est ainsi question de la mise au point du texte, de son
exploitation, ou plus crûment de grammaire ou de son versant à la mode, linguistique.
Avec toujours en filigrane, l'anathème porté porté un jour par Freinet :
« Et si la grammaire était inutile ? ». Au-delà de sa face positive, la
motivation qu'elle apporte à l'écriture, elle est là pour la mise au point du texte,
désignant comme parole imparfaite, inadéquate, à dépasser. Elle est là pour les
apprentissages honteux mais institutionnellement inévitables : orthographe,
grammaire. Elle existe en fonction des apprentissages ou du prolongement apporté par
l'imprimerie, rarement pour elle-même.
Et
pourtant, nous nous soucions au plus haut point, à travers cet outil fondamental qu'est
l'imprimerie, de porter cette trace écrite vers les autres, pour lui donner tout son
retentissement, son ouverture, sa nécessité d'écrit. Mais nous soucions-nous toujours
des échos en retour, des lectures, des réflexions critiques ? Si j'en juge par le
contenu de la collection B.T.R., la lecture privilégiée du texte libre est celle faite
par l'adulte, avec ses critères, ses cadres de réflexion. Même chose dans le livre de
P. Clanché : « Le texte libre, écriture des enfants ». Et si on
s'intéressait tout simplement à capter la lecture, la réflexion que font les enfants
eux-mêmes autour du texte d'un de leurs camarades ! Sans en faire ce qu'elle n'est
pas, surtout pas grammaire, ni même exploitation, enrichissement pour le rendre
« présentable », pour en faire un objet de consommation à porter vers
l'extérieur de l'école.
Simplement
reprise collective, pour voir comment le texte libre travaille dans la tête des autres,
ou, par simple retournement, comment la tête des autres travaille dans le texte libre. Le
travail du texte dans sa reprise collective. Et même plus précisément ici, reprise
collective orale/écrite du texte écrit. Ce terme, oral/écrit, pour indiquer que
j'écris au fur et à mesure les remarques faites oralement par les enfants (une variante
archaïque, visuelle, et sélective, de l'enregistrement magnétophonique, acoustique et
non-sélectif).
Pourquoi
cette mise en scène tous azimuts de l'écrit ? Parce qu'il me paraît que l'écrit
n'est que rarement le simple redoublement de l'oral. On l'a déjà vu à propos du texte
libre : la maîtrise gestuelle toute fraîche de l'enfant qui commence à écrire
librement (c'est-à-dire aussi qu'il possède une certaine maîtrise orthographique, au
moins celle des sons et syllabes) entraîne des distorsions, tout un jeu entre pensée et
écriture qui rend le texte libre souvent irréductible à la simple narration. De même,
les réactions de l'auditeur d'un texte seront différentes de celles d'un lecteur :
la réflexion orale/écrite sur le texte écrit ne se réduit pas à la réflexion orale
sur le texte lu : cette dernière se borne le plus souvent à des questions, des
précisions portant sur le sens du texte, travail donc essentiellement sémantique, ou à
des rectifications de structures approximatives ou incorrectes (non porteuses de sens). Ou
encore elle propose des pistes nouvelles, des prolongements, suggère, associe des mots,
des actions possibles. Ou encore elle pressent des jeux de mots, des bizarreries
phoniques.
Ces
réactions critiques sont bien entendu encore possibles à la lecture du texte écrit.
Mais l'écrit apporte en plus une véritable reprise : il est mémoire, on peut,
comme un ruisseau, le remonter ou le descendre, le traverser par des passages divers. Il a
un corps, une trace, des agencements qui occupent des places, il est parole incarnée. Son
étalement sur les deux dimensions de la page autorise des jeux, des parcours, des
relevés topographiques, des fléchages, des transformations. Des réseaux de flux, de
forces, en viennent ainsi à se matérialiser, tantôt portant sur le sens du texte, son
signifié, tantôt portant sur l'agencement des mots, signifiants. Questions, remarques,
transformations s'inscrivent en regard, en miroir, des ponts se jettent entre texte et
commentaires, et il est encore question de discuter des ponts ! Le concret de la
matière écrite autorise, organise son propre décollement, ou des ancrages autres.
Facile à
faire, ici, le parallèle avec les mathématiques, et la libre recherche ! D'une
situation envisagée, vécue ou simplement imaginée, et des remarques et raisonnements
qu'elle autorise (des plus évidemment rationnels comme aux plus débridés), on passe,
avec la mise en symboles et signes, avec, donc, la médiation de l'écrit, à des
extrapolations, des manipulations sur les signes, des remarques de structures qui
dépassent le cadre de la situation première. Se dégagent ainsi des lois, des
récurrences, des algorithmes, des correspondances, des résultats. Et la situation de
départ en devient contingente, englobée dans un cadre plus général.
Ainsi que
le note P. Clanché : « L'enfant écrit tout autant pour écrire que pour
écrire quelque chose ». En parallèle, on peut ajouter que « l'enfant
raisonne tout autant sur la matière écrite que sur ce qu'elle dit ». En précisant
que c'est l'écriture qui apporte cette dimension.
Le tableau
de papier est un très intéressant outil de travail : on va chez l'imprimeur d'un
quotidien, on achète, au poids, une chute, c'est-à-dire un énorme rouleau de papier
journal. On installe ce rouleau sur un tableau mobile (le mien est de style guillotine) et
on déroule. Tout le travail écrit de recherche peut y être consigné. On peut y
ajouter, à chaud, des remarques annexes : il est un témoin privilégié. Il permet
aussi le retour, la reprise après plusieurs jours ou mois ou années. Et précisément,
il me vient ici l'envie de relire, de parcourir à nouveau le travail qui a été mené
avec le groupe d'enfants C.E.1 de ma classe unique au cours de l'année scolaire 76-77,
pour la partie : discussion du texte libre.
Pourquoi ce
travail de recherche-là plutôt qu'un autre ? Expliquer les raisons de ce choix
m'amène à décrire rapidement le contexte de la classe cette année-là. C'est une
classe unique dont l'effectif se répartit de la façon suivante :
trois
C.M.2. - un C.M.1. - deux C.E.2
qui
constituent un premier groupe de travail (avec bien sûr les modulations propres à chaque
cours, plus ou moins ajustées, surtout au C.M.2., avec les inévitables programmes !
Mais le champ commun de tâtonnements et de recherches est encore vaste).
- Neuf
C.E.1, parmi lesquels sept ont abordé la lecture par la méthode naturelle, et qui
constituent le second groupe de travail (ce qui n'exclut pas l'osmose entre les groupes,
ou des répartitions autres, travail en sousgroupes ou individuel, toutes les combinaisons
étant possibles, fonctions de la nature du travail effectué).
- Une S.E.
très isolée des autres par l'âge et les intérêts. Je ne puis faire avec elle que du
travail... individuel ! C'est le groupe C.E.1 qui m'intéresse ici. Pour plusieurs
raisons :
·
A cause de son effectif de neuf. Ni trop, ni trop peu, le nombre
d'or pour faire de la recherche. Une relance permanente de la discussion, qui dépasse le
niveau souvent « subjectif » des recherches à deux ou trois, la possibilité
pour certains de se mettre provisoirement en retrait ou en avant, et pas trop de
distorsions dans la dynamique d'échange et de relation.
Pas ou peu
de phénomènes de leaders qui monopolisent, bloquent ou rameutent les autres sur leurs
conceptions exclusives.
A cause de
sa dynamique de travail, et notamment de son appétit de texte libre : l'année
précédente, cinq de ces enfants étaient avec moi au C.P. On pratiquait la
correspondance scolaire régulièrement, et les enfants s'essayaient à l'écriture libre,
avec des mots qu'ils connaissaient, puis, progressivement, au fil des conquêtes, avec des
syllabes et des sons connus. Il mest arrivé, un jour de février, je crois, de
suggérer qu'on écrive un texte à un moment du matin. Et, à ma grande surprise, car mon
injonction n'avait, à mon avis, rien d'autoritaire, tous les C.P. ont écrit, tous les
jours, un texte. C'est dire qu'en arrivant au C.E.1, tous avaient une écriture très
personnalisée, très spécifique, et qui n'avait pas grand chose à voir avec leur
expression orale telle qu'elle s'exprimait en tout cas lors de l'entretien du matin, mais
qui se rapprochait de leur expression en théâtre ou en marionnettes.
·
A cause aussi de mon propre désir d'interroger les enfants sur
leur aptitude à une réflexion, sinon grammaticale, du moins portant sur les structures
de la langue. Cette réflexion existait, j'en étais sûr, elle venait par bribes, et se
développait assez rapidement, je l'avais expérimenté, mais seulement jusque-là avec
des enfants plus âgés (à partir du C.E.2). Et je souhaitais laisser mûrir les
genèses, ne pas me précipiter inutilement, enregistrer en un premier temps les
remarques, d'où qu'elles viennent. L'intégration ultérieure ne pouvait qu'en être
facilitée. Les enfants avaient besoin de construire « leurs bases »,
d'étayer leur réflexion et leurs tâtonnements, et moi aussi. J'ai bien conscience que
l'étendue de l'activité grammaticale que demandent les programmes officiels excède
assez largement les possibilités d'abstraction, de systématisation, de formalisation des
enfants. Et, en ce sens, je me demande s'il ne faut pas, dans ce domaine, parler de
conditionnement. Mais les exigences institutionnelles étant ce qu'elles sont, et nos
pratiques oblitérées par elles, des rétroactions de la part de l'enseignant sont
indispensables, au moins au niveau de la terminologie et de la systématisation, reflet
lointain des possibilités combinatoires et relationnelles des mots ou des syntagmes ou
des phrases.
Il me
fallait mieux cerner ces démarches de pensée, pour ne pas, chien qui joue aux quilles,
ruer dans des élaborations patientes et fragiles. Alors, quelles démarches ? Et
quelles leçons en tirer ? Feuilletons le tableau de papier.
Un mot
encore sur la technique de travail.
La
discussion du texte avec le groupe C.E.1 se fait en principe le mardi et le vendredi
matin. Les matinées du lundi et du jeudi sont consacrées à du travail libre, au cours
duquel, souvent, sont écrits les textes, et, dans la mesure du possible, illustrés,
corrigés orthographiquement et recopiés. Avec les C.E.1, la correction orthographique
est individuelle. Elle renvoie les enfants vers le « J'écris tout seul » pour
l'orthographe dite d'usage, ou vers quelques règles d'orthographe dite grammaticale (le
« s » du pluriel par exemple).
Avec le
groupe C.E.2-C.M., par contre, le texte étudié et discuté fait l'objet d'une correction
orthographique collective, en général préalable à la discussion. Cette discussion du
texte est précédée par la lecture, par chaque auteur, de son ou ses textes. Pendant
cette lecture, j'écoute attentivement les remarques, les embryons de discussion. Je
choisis (il n'y a pas de vote), le texte en fonction des réactions à la lecture, mais
aussi parfois, en fonction de sa forme.
Je recopie
ensuite le texte choisi sur le tableau de papier, en replaçant éventuellement
l'orthographe et la ponctuation, telle qu'elle découle de la lecture du texte par son
auteur. Quelques cas d'ambiguïté sont parfois difficiles à trancher.
Et là, il
est relu, soit par l'auteur, soit par un ou plusieurs camarades, soit aussi par tous. J'ai
d'ailleurs, avec ce groupe, privilégié la lecture par tous successivement (sauf refus
tranché éventuel de l'un d'eux). Cela permettant une lecture expressive chez ces enfants
pour qui la lecture « courante » était encore une acquisition toute fraîche
et encore vacillante, et aussi donnant l'assurance que chaque enfant a bien fait son
parcours dans le texte, sa lecture, même s'il a fait signifier différemment les mots et
les phrases lus. Ensuite on passe à la discussion proprement dite. Chacun indique s'il en
a, ses remarques, que je consigne sur le papier. Et la discussion s'enrichit, se vivifie.
Parfois des arrêts, des jeux oraux, la recherche de thèmes semblables. Puis la
consignation, sur cahier, de certains moments, de certaines trouvailles. Un peu
l'équivalent de ce qui se consigne sur le classeur de français. Et, parfois, un exercice
écrit, reprise par l'écrit des jeux précédemment oraux (et je ne m'aventurerai pas là
à soutenir que l'écrit apporte une dimension radicalement autre !).
J'ai
insisté précédemment sur le fait que des réflexions et remarques étaient écrites.
Pour ne pas alourdir le travail de réflexion des enfants par des déplacements et une
réflexion orthographique parasites, c'est moi qui écris ces remarques, au plus vite pour
essayer de perdre le moins d'arguments possible.
Malgré
cela, il y a eu, bien sûr, des choses perdues, non transcrites, la main qui matérialise
n'ayant pas la célérité du magnétophone. Oui, mais lui, il ne fait
qu'enregistrer ! Alors il faut se consoler en considérant que la main fait à la
fois moins et plus qu'un enregistrement !
Je
dissocie discussion du texte et imprimerie.
Dans le
journal de la classe, chaque enfant a, en principe, droit à un minimum d'un texte, qu'il
choisit librement dans sa production. La discussion du texte ne débouche donc pas
nécessairement sur l'imprimerie. La motivation à discuter est issue des réflexions à
la lecture elle ne s'articule pas sur une nécessité extérieure (remaniement pour un
aboutissement : le texte imprimé). La motivation est à rechercher vers l'amont (le
texte lu), plutôt que vers l'aval limprimerie). Avant d'être un moment institué
dans la vie de la classe, elle est née de façon informelle, communication en écho à la
communication du texte lu. L'acte qui l'a ensuite instituée : l'écriture du texte
au tableau de papier, mise en scène du texte pour une reprise collective, le texte mis
sous le regard de tous.
On verra
aussi que la discussion ne débouche pas non plus sur un « texte remanié »
dont on chercherait en vain la trace dans les exemples qui suivent. Mais cela n'est pas,
de ma part, une « option théorique ». J'ai plusieurs fois invité les enfants
à la réalisation - synthèse du texte remanié. Avec une réserve : les remarques,
les dérives à partir du texte n'étaient pas forcément réintégrables. Je me suis
toujours heurté à un refus de la part des enfants de ce groupe : ça ne devait pas
aller dans le sens du courant !
Paragraphe
obligé : La part du maître. Je viens de m'expliquer sur mes motivations dans
l'entreprise de ce travail, sur mon désir dans le contexte-classe à ce moment-là, sur
mon désir, maintenant, de reconsidérer le chemin parcouru. Il me faut parler aussi de la
place que j'ai occupée pendant le déroulement des discussions. Si j'analyse ma pratique
de la recherche collective avec les enfants, je distingue en gros trois façons d'opérer,
trois façons d'articuler le dire des enfants à mon propre pouvoir/savoir/désir :
- La prise
en compte de tout ce qui se dit, l'entier du dire que je peux capter, sans exclusive, et
de la réflexion sur chaque élément de discours ainsi tenu.
- La prise
en compte d'une partie seulement du dire produit, le choix, le tri. Quand on fait par
exemple la création collective d'un poème, d'une histoire, d'un conte, d'un chant en
infléchissant l'activité des enfants par les préférences qu'on marque. J'ai retrouvé
cette pratique dans un disque sur le chant libre de Le Bohec, récemment publié dans
« Art enfantin ».
- La prise
en compte privilégiée du dire d'un enfant précis, alors que les autres peuvent aussi
fournir ce dire. Pratique bien scolaire qui s'opère par exemple lorsqu'on pose une
question précise, à l'occasion d'un calcul mental par exemple. On demande à tout ou
partie des enfants de réfléchir et on attend que chacun ait pu trouver, avec ses moyens
et ses voies propres, la réponse. On interroge alors l'un deux : la technique de
l'interrogation orale très commune.
La
discussion du texte comme recherche collective procède de la première et la troisième
façons d'opérer décrites ci-dessus. Au tableau de papier, j'ai consigné par écrit
tout ce que les enfants disaient à propos du texte étudié. C'est ce moment qui
constitue le temps fort de la recherche, et c'est de lui qu'il est question ici,
exclusivement. Les prolongements, les jeux oraux ou écrits, procèdent, eux, de
l'interrogation-doigt levé : je les considère comme le temps faible de la
recherche, sans pour autant les rejeter ou mépriser leur fonction. Simplement je ne leur
reconnais pas la valeur structurante que certains leur accordent. Ni synthèses, ni
dépassements, même si parfois ils remplissent tout de même cette fonction. Plutôt
répétition du déjà-dit, du déjà-exprimé, retombée de la trajectoire. Ou alors il
faudrait comprendre que le temps de la discussion à chaud n'est pas structurant. Mais
c'est précisément le contraire que je souhaite démontrer ici.
Ma place,
donc, dans le déroulement de la discussion. La prise en compte de tout ce qui se dit ne
me laissait qu'une part à première vue passive d'enregistreur. Mais on sait bien que
cette attitude passive, pour autant qu'elle l'ait été, laisse oeuvrer cette part active
du passif, je veux dire un certain nombre de réflexes inconscients, de mécanismes de
défense et de prise en compte. Dont on pourrait déceler la trace dans ma façon d'abord
de choisir les textes, ma façon ensuite de donner la parole face à plusieurs demandes
d'intervention simultanées, ma façon de disposer les écritures, les mots, les phrases,
d'utiliser des feutres de couleurs différentes, de prolonger par des jeux oraux certaines
trouvailles (et, corrélativement, pas d'autres), de déclarer terminée la recherche
lorsque les enfants n'interviennent plus momentanément. Il y aurait aussi beaucoup à
dire sur ce que signifie « prise en compte de tout ce qui se dit » : je
sais que cela renvoie à ma façon d'entendre, de recevoir, donc de ne pas entendre, de ne
pas recevoir. Même si formellement, j'ai tout écrit, je l'ai fait sans doute avec une
certaine tonalité affective qui a bien dû influer sur la dynamique du groupe, avec une
certaine façon de prendre pour discours énonciatif, déclaratif, relevant du vrai ou du
faux ce qui procédait de l'appel, de la demande. Tout cela renvoie bien sûr à ce qui en
moi est forclos, à l'impossibilité (de tous) de saisir l'entier du sens. Tout cela à
mettre au compte de mon pouvoir, institutionnel ou personnel, allez discerner quand c'est
l'un plutôt que l'autre, quand les choses s'enchaînent !
Quelques
définitions de mots utilisés dans le texte, et auxquelles on pourra se reporter :
Connecteur :
mot de liaison, qui relie entre elles des phrases, des propositions. Relie aussi des
termes à l'intérieur d'une phrase ou d'une proposition.
Déictique :
mot qui sert à désigner avec insistance, et qui permet de faire référence à la
réalité : exemple : dans la phrase : Je veux celui-ci, ci est un
déictique. Il indique que celui qui parle désigne de la main ou du regard un objet
précis, connu de lui et présent dans son contexte.
Intransitif :
un texte est intransitif s'il ne permet pas la communication directe avec un lecteur ou un
auditeur. Une partie du sens, amorcée, reste obscure ou inintelligible, et appelle des
éclaircissements.
Transitif :
un texte est transitif s'il permet directement la communication, s'il est directement
intelligible.
Ouvert :
un texte transitif est ouvert s'il a besoin d'être complété (il est soit inachevé,
soit porteur d'amorces qui appellent des questions).
Fermé :
un texte est fermé s'il est complet et comporte tous les renseignements qu'on pouvait
attendre de lui.
Syntaxe :
Science des règles permettant de construire les phrases.
Sémantique :
science du sens, de la correspondance entre les mots, les phrases et la réalité.
Pragmatique :
science de l'utilisation de la langue par des interlocuteurs.
« A
beaucoup d'égards, il est vrai de dire que la syntaxe, c'est de la logique mathématique,
la sémantique, de la philosophie ou de la philosophie des sciences, et la pragmatique, de
la psychologie, mais en fait ces domaines ne sont pas entièrement distincts ».
F.H. George
Structure :
un texte a une structure si on peut établir une correspondance entre certains éléments
à l'aide d'une transformation réversible. Dans les exemples qui suivent, ces
transformations sont des symétries, des translations, des négations ou des permutations.
Parfois,
dans la discussion du texte, ces transformations sont senties intuitivement et permettent
de compléter le texte, d'autres fois elles sont complètement négligées, d'autres fois
encore, elles sont prises explicitement en compte.
Le texte a
une structure totale si tous ses éléments sont ordonnés à l'aide de
transformations.
Le texte a
une structure partielle si une partie seulement de ses éléments peuvent être
structurés à l'aide de transformations.
Signes :
le signe " est appelé
quantificateur universel. Il se lit : pour tout.
le signe $ est appelé quantificateur
existentiel. Il se lit : il existe un et un seul ... tel que ...
Exemple :
" x (x R y) se lit : pour
tout x, la relation x R y est vraie.
$ x (x R Y) se lit : il existe un et un seul x tel que la
relation xRy est vraie.
La fermeture de l'ouvert
Texte n° 1
Oh ! Maman ! Une petite fille
était
jolie comme une fleur
et un
papillon et un zoo
et avec
une pile, jai vu
une
rivière et une fille.
Betty
Discussion du texte 23 septembre 1976
I Oh ! Maman ! regarde ! une petite
fille. Elle est jolie comme une fleur, un papillon et un zoo.
II + C'est une fille qui a trouvé la pile.
III - C'est un garçon qui a trouvé la pile.
IV - Si c'est un garcon et une fille qui ont trouvé la pile,
il faut dire : avec une pile, on a vu une rivière et une fille.
V - On est joli comme :
une fleur, un papillon, une biche, un oiseau, un paon, un
faisan, une plume, un pigeon blanc, un lièvre, l'eau, une rose, une indienne.
Le signe +
indique une intervention de l'auteur.
Commentaire sur le texte de Betty
C'est un
texte assez énigmatique, intransitif comme dirait P.Clanché, écrit pour lui-même. Il
est, de plus, fortement connecté par un « et » qui assure la continuité plus
qu'il ne coordonne. Seul écart dans cet amalgame tout d'un bloc, l'énigmatique
« Oh ! maman ! » auquel Betty associe un ton nettement exclamatif.
Commentaire sur la discussion du texte
La
première intervention (I) met un pont entre la maman et la petite fille, à l'aide du
verbe « regarde » qui s'accorde à merveille avec le « oh »
exclamatif.
-
L'intervention suivante (II) provoque un dialogue. C'est Betty elle-même qui indique la
nature du « je », auquel elle ne rapporte pas, comme on pourrait s'y attendre,
sa propre personne mais celle d'une petite fille. Mais elle ne fait pas non plus le
rapport entre cette petite fille et celle dont il est question au début.
Sylvie, en
écho, indique (III) pour ce « je » une nouvelle possibilité : il peut
désigner un garçon. On a, avec cette remarque, décollé du texte, perdu un peu de vue
la signification, mais exploré un champ de possibles.
Exploration plus poussée encore avec la remarque (IV) qu'il
s'agit d'un garçon ou d'une fille mais non des deux ensemble : le « ou »
logique posé ici est exclusif, et non inclusif.
On notera aussi au passage la nuance apportée (II) par Betty
elle-même : la petite fille a une pile parce qu'elle l'a trouvée.
Il y a avoir parce qu'il y a appropriation et savoir sur cette
appropriation.
- Autre pôle, autre séquence relevée et amenant dialogue
(V) : on est joli comme.
Et développement collectif sur ce thème.
Texte n°2
Je suis un tigre qui fait le clown
et je joue à une rose
et le tigre mange une glace
et il y a une table.
Florence
Discussion du texte 30 septembre
I - Je joue avec une rose.
II - Une glace à la vanille, à la pistache, au chocolat, à
la fraise, au citron, à l'orange, à la cerise, à la framboise, à la noisette, à la
menthe, au cassis, au café.
III - Le tigre mange une glace assis sur une chaise à côté
de la table.
IV - Le tigre est assis en face de la table et il mange une
glace au chocolat.
Commentaire sur le texte de Florence
On lui
retrouve des caractéristiques analogues à celui de Betty. Ce n'est pas qu'il y ait copie
ou imitation. Simplement, il est, lui aussi, intransitif, fortement connecté par un
« et » qui relie dans la foulée actions et états. On y passe de la première
à la troisième personne, sans indication sur cet écart.
Commentaire sur la discussion du texte
Une
correction est immédiatement apportée au texte, au cours de sa lecture (I) : je
joue avec une rose.
Florence
n'a pas contesté cette interprétation.
- Un appel
(II) sur un mot dont il faut préciser le sens, la nature par une expansion : la glace.
Recherche et propositions.
- Point
important soulevé ensuite (III) par Jean-Henri le statut relatif du tigre qui mange la
glace et de la table, statut sur lequel le connecteur « et » ne peut rien
dire :
le tigre est assis à côté
de la table (III)
le tigre est assis en face
de la table (IV).
La
concommitance manger-table en appelle une autre : le fait d'être assis. Savoir sur
le faire.
Pas plus
que dans le commentaire du premier texte, on ne voit apparaître une réflexion sur
l'identité relative
je - petite fille premier texte
je - tigre deuxième
texte
Le tigre
qui mange une glace est-il celui désigné par le « je » ?
Et ce
« je » lui-même désigne-t-il l'auteur qui s'identifie ou le tigre mis en
scène par l'auteur ? Autant de points de suspensions.
Texte n°3
Mercredi 29 septembre,
je suis allée à la pisicine
et je suis retournée à la maison
et puis je suis allée à la forêt.
Marie-Neiges
Discussion du texte 4 octobre
I - A la forêt -à au bois
forêt est remplacé par bois
à la est remplacé par au.
II + Je suis allée à la forêt, j'ai fait du toboggan.
III - Je suis allée au bois et j'ai fait du toboggan.
IV - Au bois, j'ai fait des tours de toboggan.
V + Je suis allée au bois et j'ai fait du toboggan avec des
copines : Sophie et Valérie.
Commentaire sur le texte de Marie-Neiges
Ce n'est
pas à proprement parler un texte, c'est une lettre. Sa fonction de communication la rend
immédiatement compréhensible à tous. C'est un texte transitif, fortement connecté,
mais le « et » qui assure la connection est ici un véritable coordinateur. Il
marque la succession dans le temps.
Commentaire sur la discussion du texte
Elle
commence par une transformation (I) : la forêt, tout le monde connaît : c'est
une forêt aménagée en espace de jeux pour enfants ; ruisseau, barrage, obstacles
intégrés au site. On l'appelle aussi le bois. La transformation est possible car elle
conserve le sens.
Pour la première fois, se greffe sur cette transformation une
réflexion sur la correspondance des termes. Et, par chance, on met en correspondance
forêt et bois. En conséquence, on déduit : à la à au.
Sont
proposées ensuite des expansions portant non sur un mot comme dans les discussions
précédentes, mais sur une phrase ou partie de phrase.
Le bois, on
y va pour faire. Il faut donc un savoir sur ce faire. D'où les propositions, suite au
renseignement donné par Marie-Neiges, (II) puis (III), dans laquelle est appliquée la
transformation (I). Ces propositions s'intègrent au texte, reprennent la phrase et la
prolongent. Il n'en va pas de même avec la proposition (IV) qui transforme la proposition
précédente (III) sans se soucier de son intégration au texte.
Texte n°4
Il
était une fois un bateau de pirates qui arriva à l'île au trésor. Ils voulaient
trouver le trésor alors ils creusaient. Enfin ils trouvent le trésor.
Après
ils embarquent dans le navire et ils repartent dans leur pays.
Ils
l'ont enterré sous la terre.
Jean-Henri
Discussion du texte 11 octobre
I - Un bateau, c'est plus petit qu'un navire.
II - Un bateau et un navire, c'est pareil.
III - On creuse avec des pelles, des pioches.
IV - Alors ils creusaient longtemps, longtemps. Enfin ils
trouvent le trésor.
V--Le trésor n'est pas enterré trop profond. Ils vont
doucement.
VI + Le trésor est enterré, profondément.
On ne
retrouve pas dans ce texte l'aspect fortement connecté des précédents. Il est construit
selon une structure qui se répète en s'inversant (répétition syntagmatique dans la
terminologie de Clanché) :
arrivée en bateau dans
l'île : A
départ en bateau dans leur pays : nonA
A ---> B --> C --> nonA ---> nonB
Ils creusent : B
Ils enterrent : nonB
Commentaire
sur la discussion du texte
Yvan, qui
fait la remarque (I), a-t-il senti la structure du texte ? Peut-on arriver en bateau
et repartir en navire ? On s'accorde, avec Florence (II) pour dire que bateau et
navire sont des termes équivalents qui renvoient au même signifié.
Suit une
réflexion sur le mot « creuser », auquel on propose des expansions.
Pour
Sylvie, (IV), les pirates creusaient longtemps. Et l'association de ces deux termes amène
à une relativisation, et à la venue d'un troisième terme, d'une troisième notion
dépendante des deux autres : la profondeur. Le temps mis pour creuser est
relatif :
- pour
Sylvie (V), à la vitesse (ils creusaient doucement) et à la profondeur faible,
- pour Jean-Henri (VI), à la distance, la profondeur.
En effet,
l'équation qui relie temps t, vitesse V et distance d est :
t = d/V
Si d est faible, d/V sera élevé seulement si V est faible
(raisonnement de Sylvie).
Si d est
élevé, par contre, d/V sera élevé (V ne pouvant passer un certain seuil)
raisonnement de Jean-Henri.
Texte n°5
Le cochon dInde a peur.
Il est
mignon. Le maître l'a ramassé et l'a mis dans une cage. Le pauvre !
Sylvie
Discussion du texte 14 octobre
I - Le maître, c'est le maître de l'école.
Il - Il s'est échappé de sa cage. Le maître l'a ramassé,
rattrapé et l'a mis dans sa cage.
III - Pour le rattraper, il faut courir après pour le
ramasser, il faut se baisser.
IV - Il est mignon. Qui c'est qui est mignon ?
V - Le mot qui dit que c'est le cochon d'Inde, c'est il.
Commentaire sur le texte de Sylvie
C'est un
texte réaliste, qui parle d'un événement vécu par tous dans le cadre de la classe. Il
est construit sur une opposition que le commentaire va mettre en
évidence :liberté/cage.
Commentaire sur la discussion du texte
Ici, et
contrairement aux textes précédents, la réflexion sur les identités est
explicite :: le maître (I), le cochon d'Inde (V).
Il faut une
expansion pour savoir qui est le maître en question. Par contre, le texte lui-même
indique qui est « il ». La question de Laure (IV), ne se justifie que dans la
mesure où elle lit la phrase : il est mignon, en l'enlevant de son contexte. Effet de
lecture, effet de l'écrit.
Le vécu
commun de l'événement décrit dans le texte amène un remaniement : le texte n'est
pas assez précis. Le remaniement opéré donne au texte une architecture nouvelle, celle
d'une structure qui se symétrise en s'inversant (II) :
il s'est échappé de sa
cage : A
le maître l'a remis dans sa
cage : nonA
le maître l'a
rattrapé : B
A
B nonA
Une
alternative dans l'énoncé (II) : le maître l'a ramassé ou le maître l'a
rattrapé.
Curieusement,
ici, le ou est exclusif (justification dans l'explication (III). Il pourrait tout à fait
être inclusif (les deux actions successives).
Texte n°6
Un jour, des Martiens ont vu les Terriens et les Terriens ont vu
les Martiens et les Martiens sont en colère.
Yvan
Discussion du texte 18 octobre
I - Pourquoi les Martiens sont-ils en colère ?
II + Les Martiens sont en colère parce que les Terriens se
moquent d'eux.
II - Deux fois les Terriens en suivant. On pourrait enlever le
deuxième.
IV - Un jour, des Martiens ont vu les Terriens et les Martiens
ont vu les Terriens.
V - Un jour, les Terriens et les Martiens se sont rencontrés
dans le ciel.
VI - Comment étaient les Martiens ?
Dessin des Martiens.
Commentaire
sur le texte d'Yvan
Fortement
connecté, il possède une symétrie d'agencement qui structure partiellement le texte.
Des Martiens ont vu des Terriens
a
V b
et
&
Les Terriens ont vu les Martiens
b V a
a V b
&
b
V a
Il se pourrait bien que l'on ait :
(a V b)
mais non (b V a). La symétrie est d'agencement, non d'implication. Elle est rendue
nécessaire par l'utilisation du connecteur logique « et ».
La fin
rapide rend ce texte ouvert Yvan en imagine, en sait sans doute plus sur la colère des
martiens qu'il n'en dit.
Commentaire sur la discussion du texte
La
première intervention est destinée à rendre le texte fermé. Pourquoi la colère ?
Et la raison invoquée par Yvan n'est pas celle qu'on attendrait logiquement du
texte : ils ont été vus. C'est qu'en plus, Yvan a un savoir sur le voir : on
se moque d'eux ! (III).
Sylvie
apporte (III) une remarque sur la forme : deux fois le mot terriens en suivant. Ce
n'est pas la répétition qui gêne Sylvie, mais le fait que les deux mots se suivent.
Elle ne cherche pas à enlever un des termes, malgré ce qu'elle dit, mais seulement à
les séparer. Aussi, elle propose une inversion qui, si elle sépare formellement les deux
termes, place en suivant deux fois la même séquence
(a V b)
&
(a
V b)
Mais
personne, à ma grande surprise, n'a saisi ce phénomène ! Effet d'écriture, une
telle phrase n'aurait jamais été dite par personne ! Une transformation (V) de la
séquence, compatible avec la langue, évacue le problème.
Texte n°7
Une
poupée qui a fait un baiser à la tourterelle et la tourterelle a fait un baiser à la
poupée et toutes les tourterelles sont venues.
Laure
Discussion du texte 25 octobre
I - Pourquoi les tourterelles sont venues ?
II + Toutes les tourterelles sont venues pour faire un baiser
à la poupée.
III - Comment sont venues les tourterelles ?
IV + La tourterelle a fait venir toutes les tourterelles en
sifflant. La tourterelle, ça a un bec.
V - Comment la poupée a connu la tourterelle ?
VI + La tourterelle est arrivée chez la poupée. Elles se sont
fait un baiser.
VII - La poupée et la tourterelle
elles
Le chat et la souris
ils
Le chien et le cochon
ils
Commentaire du texte de Laure
Que dire de
plus de ce nouveau texte, après les autres ? Il est fortement connecté, est
structuré partiellement par une symétrie d'agencement de la même forme que celle du
texte précédent d'Yvan !
a : poupée
b : tourterelle
a
B b
&
b
B a
Une nuance qui n'est pas sans importance : la présence dans
ce texte d'un « qui » qui fait découler l'ensemble du texte du
syntagme : la poupée. On reverra ce problème plus loin.
Commentaire sur la discussion du texte
Des
questions amènent à des expansions de nature à rendre le texte plus précis. La
réponse de Laure (II) à la question (I) généralise la relation tourterelles-poupée.
- Il
existait une tourterelle b telle que :
a R b
&
b
R a
On
traduirait cette proposition en logique formelle à l'aide du quantificateur
existentiel :
j b (a R b &
b
R a)
-
Maintenant, toutes les tourterelles ont fait de même. Il me semble en effet qu'on peut
déduire de la réponse de Laure que les tourterelles et la poupée se sont fait un
baiser. On peut à nouveau écrire la relation, en considérant maintenant que b est une
variable, désignant l'une quelconque des tourterelles.
On pourrait
associer à ce b variable le quantificateur universel de la logique formelle :
" b (a B b
&
b
B a)
Après la
question sur le pourquoi, celle sur le comment, de Sylvie (III). Au-delà, dans le
prolongement du texte, comment est-on passé d'une à toutes les tourterelles ? Le
connecteur « et » ne suffit pas. Il décrit un état de fait mais ne dit rien
des implications sous-jacentes. Même question ensuite, mais en deça du texte (V), et
toujours posée par Sylvie : comment la poupée a connu la tourterelle ?
A cette question, Laure trouve réponse (VI) en reprenant la
structure du texte : de même que les tourterelles sont venues, la tourterelle aussi
est arrivée. Ce qui complète la structure du texte en :
la tourterelle est venue
&
a
fait un baiser à la poupée
V
B
les tourterelles sont venues
&
ont
fait un baiser à la poupée
(j b) [Vb&(a B b&bB
a)] & "b) [Vb&(a B b & b B
a)]
D'une
structure partielle portée par le texte, on en est arrivé, dans la discussion, à une
structure totale, et qui ferme le texte (Voir commentaire de la première partie).
Premier bilan
Ces sept
premiers textes et discussions, je les ai regroupés sous une rubrique : la fermeture
de l'ouvert, titre attribué a posteriori pour indiquer une dominante, parmi d'autres sans
doute, mais au moins dominante dans mon commentaire. Quelques caractéristiques de cette
dominante :
- La réflexion sur l'identité :
On
distingue classiquement, dans l'acte de parole ou d'écriture, le sujet de l'énonciation
et le sujet de l'énoncé. Le « je » qui écrit n'est pas forcément le
« je » du texte, ainsi que nous le montre Betty, dès le premier texte. Mais
ici la réflexion sur l'identité quand elle existe, porte uniquement sur les mots et les
personnes du texte, pronoms qui, par substitutions, peuvent renvoyer à une personne
désignée (texte III : à la forêt). Elle semble liée à une saisie, une lecture
partielles d'une phrase ou d'une séquence. La réponse, pour faire écho, doit prendre en
compte l'entier du sens, mais d'un sens littéral, qui trouve dans le texte son contenu.
Pas d'ailleurs où se trouverait le « je » de l'énonciation. Ou alors,
peut-être, à l'inverse, une proximité trop grande avec celui-ci : l'auteur est ici
toujours présent, il détient la clé du sens du texte. Vouloir faire signifier ce
dernier au-delà de ce qu'il dit revient à interroger l'auteur, ou à inférer à sa
place des propositions toujours conditionnelles et liées à sa sanction en dernier
ressort. Et l'au-delà du texte trouve son statut : ou bien il n'existe pas, ou bien
il est déterminable, connaissable. Avoir du sens : on transforme ou on questionne ou les
deux à la fois. Logique de l'inclusion. Le possible, c'est ce qui se combine sur le
matériau existant, non ce qui vient par l'aléa extérieur. Celui-là est maîtrisable.
L'impossible, c'est ce que ne permet pas le texte, les combinaisons impossibles, les
transformations illicites.
On peut, du
point de vue du sens, clore, fermer un texte, même si, en fait, on ne le clôt pas
toujours !
- La réflexion sur la structure du texte :
On l'a vu,
elle n'intervient pas à l'apparition du premier texte structuré, celui de Jean-Henri
(4) : les pirates, ou de facon seulement allusive, mais, à partir du suivant, de
Sylvie (5) : le cochon d'Inde.
Faut-il
s'étonner d'abord de ces textes étudiés, construits sur des répétitions, symétries
partielles ou totales ? Sûrement pas si on en croit P.Clanché qui indique (p.
126) :
« Il
n'est pas une série de textes dans laquelle on ne puisse repérer une structure
répétitive sur au moins la moitié des textes ».
Dans cette structure, il ne faut bien sûr
pas voir l'effet d'un hasard heureux, ni l'utilisation systématique d'un calque, d'une
matrice préconstruite et formellement employée. Comme le souligne encore P.Clanché,
elle est le soubassement d'une pensée qui s'emploie à maîtriser un contexte
relationnel, elle est matérialisation de réseaux, de flux
qui s'annulent, se complètent, se bouclent, ou se transportent, se généralisent. Et se
transforment.
Comment la
réflexion vient-elle jouer dans la structure ? En l'approfondissant, en la
généralisant : c'est le cas par exemple dans la discussion du texte de Sylvie
(V) : le cochon d'Inde qui consignait un moment vécu par tous : le texte
n'appartenait plus exclusivement à son auteur, il était possible de le transformer
au-delà de sa littéralité, et de lui donner une structure totale là où il n'y avait
que du partiel, de l'imprécis. Le sens amène la structure. Mais il y a plus : la
réflexion, vient saisir la structure dans ses propriétés formelles mêmes, dans son
agencement. C'est le cas de la réflexion de Sylvie sur le texte d'Yvan : les
Martiens. On peut, par permutation, éloigner deux mots voisins (ici deux fois le même
mot). Mais, évidemment, le sens en prend un coup ! Pourtant, dans cette discussion,
personne n'y a rien vu ! Il n'y avait ni non-sens, ni contre-sens, simplement
répétition, redondance.
Si un
travail sur la structure est possible indépendamment du sens (indépendance contenue
cependant dans des limites étroites), un travail sur la structure rend possible, aussi,
l'élargissement du sens. C'est ce que montre la réflexion sur le texte de Laure :
la tourterelle. Les questions posées à l'auteur ont leur réponse contenue dans la forme
du texte : au départ, une symétrie partielle et une phrase-amorce, ouverture. Cette
ouverture se referme par l'adjonction de la structure symétrique. Elle est ensuite
placée au début.
On voit se
dessiner un éventail de possibilités, sur les rapports entre sens et structure :
p1 - Le
sens permet l'élargissement de la structure ; (texte 5 : Sylvie).
p2 - La
structure permet l'élargissement du sens ; (texte 7 : Laure).
p3 - La
structure est indépendante du sens ; (texte 6 Yvan).
p4 - Le
sens est indépendant de la structure ; (textes 1 Betty et 2 : Florence).
Pour
comprendre cette dernière proposition, p4, il faut rappeler qu'ici structure ne signifie
pas « structure de la phrase », mais jeu de répétitions, symétries,
inversions, entre divers termes, séquences, syntagmes. Sous ce terme structure, il faut
voir à l'oeuvre un souci de réversibilité. Les textes « ouverts,
intransitifs » de Betty et Florence produisent du sens mais non de la structure.
- La
réflexion sur le statut des connecteurs : Un troisième aspect que je voudrais
soulever à propos de ces textes et de leur discussion, concerne le statut des
connecteurs, de ce qui relie et qui relativise.
On le sait
assez, la pensée de l'enfant relie. A l'oral, on obtient, lorsque les enfants racontent
un événement, d'impressionnantes suites de alors... alors... alors. Mal vues de
l'adulte, d'ailleurs, qui s'efforce de les « corriger », de les faire
disparaître. Si ce « pouvoir relier » relève théoriquement de la
compétence linguistique, il n'en constitue pas moins une « performance »
médiocre : à tout relier, on en vient à tout mélanger !
A l'écrit, même
phénomène ! des séries de et... et... et viennent connecter entre elles des
phrases qui ne sont pourtant pas dans un rapport de simple continuité. Ce n'est pas
purement le flux du vécu que portent ces connecteurs, contrairement à ce que peut
laisser penser le discours oral. Ils ne traduisent pas toujours au niveau du discours la
continuité chronologique ou celle des activités. Leur statut semble plutôt de l'ordre
du logique, de l'ordre du raisonnement. Tout est lié parce que tout est relatif, tout
s'imbrique, tout s'emboîte, s'implique : la table n'est pas indépendante du tigre
qui mange une glace, elle est impliquée dans l'acte de manger, idéologique promu
logique.
Au lieu de gommer purement et simplement toutes ces
articulations fines, pour laisser apparaître dans toute sa candeur la phrase simple,
élément minimal (mais non maximal) de sens, interrogeons plutôt là-dessus la
réflexion que peuvent opérer les enfants sur ce savoir qui leur est propre.
Cette
réflexion montre que ces connections peuvent être approfondies, diversifiées.
L'implication qu'elles marquent est encore à préciser : ce n'est pas parce que la
tourterelle a fait la bise à la poupée que toutes les tourterelles sont venues, il a
bien dû se passer autre chose pour qu'elles arrivent : d'où la nécessité de
précisions, d'expansions. Il faut hiérarchiser prémisses-conséquences, délimiter
l'étendue, le champ de la relation et du relatif qu'elle apporte. L'ennui, c'est que,
bien souvent, les raisons de l'implication sont implicites, le texte ne les contient
pas : « Pourquoi les Martiens sont-ils en colère ? » La réponse ne
manque pas de surprendre ! L'enfant en sait plus qu'il n'en écrit, et ce savoir sera
à négocier ou à inventer au moment de la discussion. Il est simplement induit dans le
texte par des connecteurs-indices.
D'abord relier. Préciser ensuite, si besoin, le ou les opérateurs de la relation. Et non pas supprimer la relation sous prétexte de clarification, de simplification !
L'ouverture du fermé
Texte
n°8
Un petit
tigre qui avait perdu sa maman et il pleurait, il pleurait. Son papa arrive, il dit :
« mais je vais aller la chercher !
- Mais,
papa, s'il tarrive quelque chose ?
- Mais
non, je suis le plus fort du monde !
-
D'accord, je te laisse partir !
- Mais,
dit le papa, reste ici !
- D'accord ! »
Marie-Neiges
Discussion du texte 5 novembre
I
C'est le petit tigre qui s'est perdu.
II
C'est la maman.
III + La maman ne peut pas parler, parce qu'elle est loin.
IV + Les autres tigres ont pris la maman.
Commentaire
du texte de Marie-Neiges
C'est un
texte-ialogue que l'enfant a écrit ainsi, d'un jet. On n'y trouve pas la répétition
traditionnelle :il dit... il dit... Il débute sur un qui. Son contenu est aussi à
prendre en considération : il parle directement d'angoisses enfantines et de leur
rapport au père et à la mère. Le commentaire des enfants ne prend en compte ce contenu
que de façon médiate.
Commentaire
sur la discussion du texte
La
discussion a été brève car ce texte m'a servi de prétexte pour montrer comment on
traduit un dialogue dans la langue écrite. Le changement d'interlocuteur, qu'il a fallu
d'ailleurs identifier à chaque fois, se marque par un signe annexe, le tiret.
Cette
discussion brève a mis à jour une symétrie partielle assez inattendue (I).
La
phrase : le petit tigre avait perdu sa maman, dit-elle vraiment qui est perdu ?
Cette phrase est parfaitement réversible, mais aussi ambiguë :
le petit tigre est perdu
le petit tigre avait perdu sa maman
la maman est perdue
Se perdre, c'est très relatif : on se perd par rapport à quelqu'un, mais aussi par rapport à quelque chose, un lieu le plus souvent : le petit tigre a perdu sa maman, il est donc perdu par rapport à elle, puisqu'il pleure, mais il n'est pas pour autant perdu puisqu'il est en un lieu où son papa arrive. Et la maman, qui est la véritable perdue, ne peut pas parler, indique l'auteur du texte, elle est loin, dans un lointain inaccessible. Précisions qui viennent renforcer le dialogue du texte. Mais ici, pour pouvoir avancer dans la compréhension, il faut détruire l'effet de symétrie préliminaire : transformer le perdre, binaire et réversible, en être perdu, unaire et non-ambigu.
Texte
n°9
J'ai été à la mer.
L'eau était froide.
J'ai été voir la goëlette
de Christophe Colomb.
Jean-Christophe
Discussion du texte 12 novembre
I - Le bateau de Christophe Colomb, ce n'est pas une goëtette.
II - Où c'était à la mer ?
III + J'ai été à la mer, à Cambrils et à Barcelone.
IV - A quelle saison ?
- le printemps
- l'été
- l'automne
- l'hiver
V + J'ai été à la mer à Cambrils, en automne.
VI - Il faisait l'automne (6 voix).
VII - Il était l'automne (1 voix).
VIII - Il était en automne (ça ne va pas).
IX - C'était l'automne (2 voix).
X - Qui faisait l'automne ?
XI - Le vent.
XII - La pluie.
XIII - Dieu.
Commentaire
sur le texte de Jean-Christophe
C'est un
texte très bref, très concis, le début d'une lettre. Il appelle à des précisions.
Commentaire
sur la discussion du texte
Elle est très fournie et animée. Où ? Quand ? Il faut des précisions, pour donner un contexte à ces courtes phrases. La question de la saison, posée par Yvan, a amené à un inventaire des saisons possibles. Jean-Christophe intègre sa réponse, l'automne, à la phrase (V). Mais Florence (VI) avance une formulation non intégrée au texte : il faisait l'automne. Cette formulation en appelle d'autres, dont l'une au moins est reconnue comme ne correspondant pas au sens recherché. Pour choisir parmi les autres, les enfants ont proposé un vote désignant à leurs yeux la formulation la plus vraisemblable. Ils ont choisi celle de Florence (6 voix). Mais Yvan, qui a avancé la proposition 7, essaie de mettre en défaut ce choix, et pose la question : Qui faisait l'automne ? (X). Question non dépourvue de réponses ! L'impersonnel est encore ici identifiable, personnifiable, des référents cosmiques ou cosmologiques en apportent la preuve.
Texte n°10
Il
était une fois une famille de vautours.
Dès
qu'ils voyaient un serpent,
ils sautaient dessus. Les pauvres
serpents !
Jean-Henri
Discussion du texte 18 novembre
I - Combien de vautours ?
II + Il était une fois une famille de 20 vautours
Vrai
III - Il était une fois 20 familles de vautours
Faux
IV - Combien de serpents ?
V - Qui sautaient sur qui ?
VI + Les vautours sautaient sur les serpents ; les
serpents ne peuvent pas sauter sur les vautours.
VII + On dit : les pauvres serpents parce que les vautours
les mangent.
VIII - On dit : les vilains serpents parce qu'ils nous
piquent.
IX - On dit : les gentils vautours parce qu'ils nous
débarrassent des serpents.
X - On dit : les vilains vautours parce qu'ils nous
soulèvent par les cheveux.
Commentaire sur le texte de Jean-Henri
Peu de
commentaires à faire sur ce texte, fermé du point de vue du sens, mais non du point de
vue de la forme.
Commentaire sur la discussion du texte
Elle
débute par une question : combien ? Et, sur la réponse de l'auteur, un jeu de
permutation sur le déterminant numérique 20. (Peut-être, après tout, que de tels jeux
et interprétations se passent aussi lors des situations numériques-calcul !). Mais
la permutation modifie le sens (III).
La question
symétrique : combien de serpents ? n'a pas eu de réponse (IV). C'est que la
réponse était, sinon impossible, du moins très difficile à fournir. Il faudrait
déterminer rien moins que le cardinal de l'ensemble des serpents ! Pour tout serpent
de l'ensemble, en effet, il se trouve au moins un vautour qui saute sur lui s'il se
montre. Situation qui ne manque pas de quantification, à défaut de cardinaux. On peut la
traduire à l'aide du quantificateur universel ".
Soit B l'ensemble des serpents, A l'ensemble des vautours (cardinal 20). La proposition
ci-dessus se formalise en :
("
y ? B) (" x ? A) (x R y)
R traduit la relation : sauter sur.
Relation
dont on éprouve tout de suite d'ailleurs que sa réciproque n'est pas vraie : on a
bien x R y mais non y R x (explication VI).
Pour terminer cette panoplie très complète de questions,
Jean-Henri indique le pourquoi du qualificatif « pauvres » appliqué aux
serpents (VII) : ils sont pauvres parce que les vautours les mangent. Mais ce
« pauvres » est, me semble-t-il, à comprendre relativement à nous qui nous
mettons à la place des serpents mangés. S'identifiant aux serpents, Jean-Henri leur
attribue un qualificatif à connotation positive. Par contre, toujours de notre point de
vue, l'attitude des serpents par rapport à nous, mérite un qualificatif à connotation
négative : vilains.
Ce
raisonnement sous-jacent s'explicite d'ailleurs lorsqu'on passe aux vautours :
ceux-ci méritent, de notre point de vue, le qualificatif à connotation positive :
« gentils », dans leur attitude face aux serpents : ils nous débarrassent
des serpents. Une connotation négative, par contre, dans leur attitude face à nous,
toujours de notre point de vue. Aux « pauvres serpents » qui clôt le texte,
la discussion montre qu'on peut associer, au début du texte, le syntagme nominal
« les gentils vautours ». Ainsi, avec ces remarques de la discussion, le texte
se structure dans sa forme :
Gx désigne le prédicat gentils attribué aux vautours
Py désigne le prédicat pauvres attribué aux serpents.
Texte n°11
LA PETITE FILLE
Une
petite fille avait vu un animal qui était perdu. La petite fille qui approche, le lion
grogne : « GRE ! GRE ! » Elle s'est approchée du lion quand
même.
Marie-Neiges
Discussion du texte 25 novembre
I - Le cri du lion : re-ra-ro-ron-rr.
II - Où était perdu le lion ?
III + Dans la jungle.
IV - Pourquoi elle s'approche ?
V + Pour qu'il soit avec elle.
VI + La petite fille n'avait pas peur parce qu'elle s'est
approchée du lion et parce qu'elle voulait l'amener chez elle.
Commentaire du texte de Marie-Neiges
Il est en
quelque sorte l'envers et la fermeture du texte n°8 : le petit tigre qui avait perdu
sa maman. Mais il recèle de l'ouvert, dans la mesure où on ne sait pas ce qui se passe
entre le lion et la petite fille.
Commentaire sur la discussion du texte
Il débute
sur une contestation du cri du lion. Chacun s'essaie à produire et à transcrire ce cri
comme il l'entend, le conçoit (I). Suivent des questions pour `préciser le
contexte : se perdre, c'est relatif à un lieu (II). De la même façon se retrouver,
l'envers de la perte, c'est par rapport à un lieu et aussi par rapport à quelqu'un (III)
et (V). Marie-Neiges précise (VI) spontanément ce rapport de lieu et de personne. Mais
son commentaire laisse le texte ouvert. La petite fille manifeste un désir, mais rien
n'indique que ce désir se réalise. Le texte n'est pas un véritable récit objectif,
dans lequel les deux personnages, les deux acteurs auraient des fonctions symétriques. De
fait, il n'est pas possible de structurer dans ce sens le texte. L'auteur s'identifie à
la petite fille, elle ne peut parler que d'elle. Le lion est localisable, mais
inaccessible, il laisse au texte son ouverture.
Il
était une fois un bateau. Dedans le bateau, il y avait un pêcheur qui faisait que
pêcher.
Un jour,
le pêcheur dit : « Je pêcherai la dernière fois parce que je pêche que des
petits poissons ». Une baleine sort de l'eau.
La
baleine dit : « Si tu pêches des gros poissons comme moi, ils te casseront le
fil ! ».
Jean-Henri
Discussion du texte 2 décembre
I - Dans le texte, il y a deux fois le mot bateau presque à
côté.
II - Il était une fois un bateau. Il y avait un pêcheur dans
le bateau.
III - Il était une fois un bateau au milieu de la mer.
IV - Pourquoi la baleine sort de l'eau ?
V + La baleine sort la tête de l'eau.
Commentaire du texte de Jean-Henri
Le pêcheur
opère un raisonnement, auquel la baleine en oppose un autre. On est dans le domaine de
l'argumentation, de la déduction logique.
La logique
formelle, comment traduirait-elle ces raisonnements ? Il paraît intéressant de
l'interroger un peu ici, car le dialogue permet des raccourcis dans la chaîne des
déductions logiques : la structure explicite est plus étendue que celle que permet
le langage usuel.
Reprenons le raisonnement du pêcheur :
Il est constitué de deux propositions :
- je pêche (pour) la dernière fois,
- je (ne) pêche que des petits poissons.
Ces deux
propositions sont reliées dans le texte par le connecteur « parce que ». A ce
connecteur, la logique formelle va substituer le « si... alors »,
l'implication logique Si je ne pêche que des petits poissons, alors je pêche pour la
dernière fois.
Ce qui peut encore se développer, à cause du « ne... que » contenu dans l'une des propositions en :
si je pêche seulement des petits poissons, alors je pêche
p
q
pour la
dernière fois
et
si je ne
pêche pas seulement des petits poissons, alors je
non p
ne pêche pas pour la dernière fois
non q
(p
=> q) &
( non p => non q )
Ce qui
constitue une équivalence logique (voir livret structures n°11 page 11).
Le
raisonnement de la baleine est, en apparence, plus directement traduisible en termes de
logique formelle, puisque, dans son texte, Jean-Henri utilise directement le connecteur
« si... alors » :
si tu
pêches des gros poissons, alors ils te casseront le fil Mais son raisonnement ne vaut que
comme reprise et élargissement du raisonnement du pêcheur. Les deux combinés
permettraient alors, par un traitement purement formel, des déductions, et la
démonstration que le pêcheur doit continuer de pêcher, alors même qu'il n'attrape que
des petits poissons.
Pourquoi
cette digression du côté de la logique formelle et du calcul des propositions ? On
sent bien à la simple lecture que la baleine s'oppose au pêcheur. Mais je voudrais
montrer la parenté entre ces raisonnements explicites qui structurent le discours par
symétries et oppositions, et l'écriture et le raisonnement des enfants qui déploient
eux aussi ces jeux de structures, on l'a vu abondamment. Ici, pourtant, le raisonnement
formalisé dépasse en rigueur et extension le discours de l'enfant qui retranscrit un
dialogue. C'est que la langue, écrite ou parlée ne tolère que modérément ces
longueurs : elle élide, sous-entend, utilise des tournures destructurantes.
Commentaire sur la discussion du texte
Elle ne va
pas du tout dans le sens où j'ai pu commenter le texte. La discussion entre le pêcheur
et la baleine n'est pas prise en compte.
Au départ,
la remarque que le mot bateau est écrit deux fois « presque à côté » (I).
Remarque donc, de pure forme. Laure (II) peut éloigner ces deux mots voisins en
transformant la deuxième phrase. Quant à Sylvie (III), elle peut même faire
disparaître le deuxième mot, par une transformation qui amène assez loin du sens
initial et qui ne dit rien sur l'agencement de la deuxième phrase. Transformation jugée
pourtant satisfaisante par l'ensemble de la classe.
Puis (IV)
jaillit une question apparemment saugrenue, et une réponse surprenante de la part de
l'auteur.
A la
question de Marie-Neiges : pourquoi la baleine sort de l'eau ? Jean-Henri
répond que ce n'est pas la baleine qui sort de l'eau mais seulement sa tête (V). Ce qui
le dispense de répondre au pourquoi. Ce pourquoi, en effet, porte sur la baleine
entière, non sur une de ses parties, en l'occurence, la tête. Cela me rappelle
immanquablement les arguties autour de la détermination des éléments d'un ensemble et
l'exemple que donnait P.Delbasty (cité au livret Structures n°1 p. 6) :
- Le pied
du cheval n'appartient pas à l'ensemble des chevaux.
L'élément
« cheval » de l'ensemble des chevaux est la plus petite partie possible, il
est insécable, indivisible, est supposée sans parties constitutives : pour celles-là,
voir l'ensemble adéquat !
De même ici la tête de la baleine ne peut procéder de la même question que celle qui est posée à propos de la baleine. Argument qui devait être d'une logique irréfutable puisque personne n'a songé à le discuter ! Je me souviens avoir été surpris !
Texte n°13
Le pêcheur dit : « Si je prends un paquebot, vous
pourrez pas le casser !
La baleine dit :
- Mais si on était plusieurs, on arriverait à vous faire
couler !
Le pêcheur dit :
- Si on va chercher des canons ?
Yvan
Discussion du texte 6 décembre
I - Plusieurs à plusieurs baleines.
II - Si on va chercher des canons, on pourra vous tuer !
III - La baleine dit :
- Si vous voulez
nous tuer, on ira sous le paquebot !
IV - Le pêcheur dit :
- Si on prend un sous-marin, on pourra vous tuer !
Commentaire du texte d'Yvan
Il constitue la suite de celui de Jean-Henri : le dialogue
se poursuit entre le pêcheur et la baleine, avec quelque déphasage toutefois. Ce n'est
pas un paquebot qui empêchera le fil de casser ! Yvan se souvient sans doute
approximativement du texte précédent et pense que la baleine risque de casser non
seulement le fil, mais aussi la barque.
Le début du dialogue consiste en une intimidation réciproque,
qui se traduit par l'utilisation du connecteur logique « si... alors » et une
construction parallèle.
Le texte s'achève sur une menace ouverte.
Commentaire sur la discussion du texte
Il reprend et prolonge l'argumentation ébauchée dans le texte.
Mais il ne s'agit plus d'intimidation. La menace du pêcheur se radicalise, il parle de
tuer la baleine et celle-ci n'a plus d'autre issue que de fuir. A moins encore que le
pêcheur n'ait les moyens d'empêcher jusqu'à cette fuite même.
Le texte n°12 de Jean-Henri, qui traduisait un dialogue
contradictoire a servi de déclencheur à Yvan pour exprimer une situation d'antagonisme.
Le texte d'Yvan a, à son tour, servi de déclencheur lors de sa discussion, à
l'expression d'un désir d'agression et de mort.
La chaîne des dominations successives se traduit de la façon
suivante :
p : pêcheur
b
: baleine
D
: domine
pDb
bDp
pDb
pDb
en suivant le discours depuis le texte d'Yvan jusqu'à la fin de
sa discussion. Ici encore, le raisonnement formalisé serait plus long, plus explicite
encore que celui proposé par les enfants. L'opposition symétrique des deux discours
s'inverse à la proposition 3, lorsque la baleine reprend en prémisse la conclusion
précédente du pêcheur :
pêcheur : Si... alors on pourra vous tuer.
Baleine : Si vous voulez nous tuer, alors...
Elle choisit à ce moment-là de fuir plutôt que de résister.
Texte
n°14
Mercredi, j'ai été voir la
baleine.
Le bas de sa bouche était comme
une barque.
On a vu avec quoi on la tue ::
c'est un canon qui tire des harpons.
Jean-Henri
Discussion du texte 13 décembre
I - On a vu : avec quoi on la tue.
II - Avec ce qu'on la tue (pas de sens).
III - L'arme dont on
se sert pour la tuer.
IV - tuer la baleine.
V - On a vu quand on la tuait.
VI - Pas le même sens.
VII - Pas de sens pour l'histoire. Il aurait fallu être sur le
bateau.
VIII + Les deux armes dont on se sert pour tuer la baleine, c'est
un canon qui lance des harpons.
Commentaire
du texte de Jean-Henri
Jean-Henri,
encore lui, et toujours sur des histoires de baleines. Je me souviens qu'il y avait à
l'époque (début décembre) un certain engouement pour les bandes dessinées, ce qui
restreignait le choix des textes. Ici, un début de lettre, narration d'un événement
vécu par l'enfant à l'occasion de la venue dans la ville d'une baleine exposée dans un
camion.
Commentaire
sur la discussion du texte
Le gros de
la discussion se situe sur différentes possibilités d'énoncer la phrase (III). La
formulation (III) est plus précise que celle du texte, mais la correspondance entre (I)
et (III) n'a pas été faite. Deux autres formulations sont par contre à écarter, l'une
parce qu'elle n'a pas de sens quel que soit le contexte (II), l'autre parce qu'elle n'a
pas de sens pour le contexte présent (V).
Jean-Henri
apporte une précision assez curieuse (VIII), qui paraît reprendre la proposition (III)
donnée par Yvan. Celui-ci, parlant du canon qui lance des harpons, dit :
« l'arme dont on se sert pour tuer la baleine ». Jean-Henri rectifie :
« Les deux armes dont on se sert pour tuer la baleine ». C'est-à-dire qu'il
met sur le même plan le canon et le harpon, et compte donc 2. Or le « qui »
du texte, ne coordonne pas canon et harpon, mais subordonne, fait du harpon partie,
attribut du canon. Et il paraît impossible de placer sous la catégorie générale, la
classe « armes » un élément et sa partie. Le raisonnement est ici le
contraire de celui que Jean-Henri faisait à propos de la baleine et de sa tête (texte
12) : il était impossible de parler de la même façon de la baleine et de sa tête.
Maintenant, il paraît possible de subsumer sous une même catégorie tout et partie (qui
n'est pas ensemble et élément !). Que conclure là-dessus ? Qu'on a ici un
aperçu de la façon (à piège) de compter des enfants, et aussi qu'on a un élément
pour juger du statut de ce « qui » qu'on retrouve dans beaucoup de textes
(trois fois jusqu'ici). Il ne paraît pas faire problème (aucune réflexion jusqu'ici ne
l'a pris en compte) il ne paraît pas non plus subordonner, mais plutôt marquer une
partition dans le récit de l'enfant : « Un petit tigre qui avait perdu sa
maman, et il pleurait ». D'abord on désigne le personnage, ensuite on dit ce qu'il
fait. L'être, puis le faire. Et le « qui » vecteur, attributeur, opérateur,
mais dilué dans cette fonction même.
« Le canon tire des harpons », cela fait bien deux types d'armes.
Commentaire de la deuxième partie
ENTRE LE LANGAGE FORMEL ET LE LANGAGE COMMUN : LE LANGAGE
DES ENFANTS (ET DES BALEINES)
Cette
deuxième partie, comme la première arbitrairement découpée, recèle des textes
essentiellement transitifs, bien que certains soient ouverts. Il y est abondamment
question d'animaux : lion, vautours, serpents, et baleines, et de relation à ces
animaux. Et, dans ce jeu relationnel, des raisonnements.
Je
distinguerai dans cette partie, sur la base des textes et des commentaires, trois parties,
a, b, c.
a) L'ouverture du fermé :
On a vu,
dans cette série, des textes qui se font écho : il s'agit des deux textes de
Marie-Neiges (n° 8 et 11) et de l'histoire du pêcheur et de la baleine (n° 12 et 13).
Textes de
Marie-Neiges :
1. Le tigre a perdu sa maman.
2. La
petite fille retrouve le lion qui était perdu.
Textes de
Jean-Henri et Yvan :
1. Dialogue
contradictoire pêcheur-baleine.
2. Dialogue
d'intimidation pêcheur-baleine.
Mais, dans
ces deux cas, le second texte n'est pas l'exact pendant du premier. Dans la série de
Marie-Neiges, la fermeture du premier texte, appelée par la logique même du discours qui
s'y tient, c'est la délivrance de la mère perdue, prisonnière, et les retrouvailles.
Mais, dans le deuxième texte, la rencontre du lion perdu et de la petite fille n'est pas
exactement une retrouvaille, tout au plus une trouvaille de la petite fille qui
souhaiterait faire du lion son ami. Mais le lion, pas plus que la maman perdue, ne
s'exprime dans l'histoire, ou seulement par des grognements dont on sait qu'ils sont
d'intimidation. On sent que le thème du premier texte a appelé celui du second, suivant
peut-être une logique de la réversibilité, du retour à l'équilibre initial. On sent
aussi que ce retour à l'équilibre initial n'est pas parfaitement réalisé, il s'arrête
à une interrogation, une demande, une volonté dont on ne sait pas si elle se réalisera.
Dans la
série Jean-Henri - Yvan, le premier texte est fermé sur lui-même. Le pêcheur a ses
raisons, la baleine les siennes. Chacun de son côté a raison pour lui-même et contre
l'autre. Encore que le pêcheur ne s'adressait pas à la baleine et n'argumentait pas
contre elle. Et voilà que le texte d'Yvan fait avancer l'argumentation : il faut au
pêcheur démontrer qu'il a raison contre la baleine, et ce à l'aide d'une escalade dans
les moyens d'intimidation.
L'auteur ne
s'implique pas dans l'un ou l'autre personnage, contrairement au texte de Marie-Neiges.
Mais l'équilibre relatif de l'argumentation, sa fermeture dans la stabilité des raisons
de chacun, se défait sur la menace finale : « Si on va chercher un
canon ? ». Il faut bien trouver un terme dans la chaîne des surenchères qui
serait sans cela infinie : l'équilibre est instable et la discussion qui s'instaure
sur lui finit de le rompre tout à fait, le détruit dans sa forme même, pour laisser
passer l'ordre ou le désordre des pulsions d'agression et de destruction. Ces belles
constructions architecturales, réversibles, symétriques laissent passer de l'ouvert, du
désir, de la pulsion. Il n'y a équilibre qu'en apparence.
b) La réversibilité :
Le texte
n° 10, des vautours et des serpents, après bien d'autres, amène à parler de
réversibilité. Dans sa textualité, il fait part d'une relation stable, entre vautours
(dominants) et serpents (dominés). Il ressemble en cela au texte n° 5 de Sylvie, le
cochon d'Inde (première partie). Et, comme dans le texte de Sylvie, la discussion va lui
donner une structure « totale », matérialisable par un arbre, structure qui
se symétrise en s'inversant par négation. Mais, en plus, la réflexion très
systématique qui s'opère dans cette discussion nous permet de voir la genèse de cette
réversibilité dans ses deux aspects. En effet, dans cette discussion, à chaque
proposition avancée est opposée, confrontée, la proposition symétrique, obtenue par
simple permutation de termes :
une famille de 20 vautours
20
familles de vautours.
Le sens est
ici visiblement modifié, et il faut avancer que, si l'une des formulations est vraie,
l'autre est fausse.
Nouvelle
avancée dans la réflexion :
les
vautours sautaient sur les serpents
les
serpents ne peuvent pas sauter sur les vautours.
Ici, on n'a
pas comme précédemment une proposition vraie et l'autre fausse, mais deux propositions
vraies toutes deux, dont l'une est obtenue par négation de celle qui serait fausse :
les
serpents sautaient sur les vautours
x R y est
vraie, y R x est fausse, par conséquent y x est
vraie.
On voit la
progression dans la réversibilité : première façon d'obtenir cette
réversibilité : on permute des termes en relation. On obtient la relation
réciproque :
Cette
relation réciproque peut être vraie, comme dans le cas du texte n° 6 d'Yvan (première
partie) :
les
Martiens ont vu les Terriens
xRy
et
&
les
Terriens ont vu les Martiens
yRx
Cette
relation réciproque peut être fausse, comme dans le cas ci-dessus des vautours et des
serpents, mais alors sa négation est vraie, et la réversibilité s'accompagne d'une
inversion par négation.
Une
réversibilité directe ou inverse est donc toujours possible à partir d'une proposition
donnée.
Cette notion de réversibilité, à
l'oeuvre ici dans les textes ou dans leur discussion, est particulièrement centrale pour
Piaget, qui la considère comme caractéristique du « stade
des opérations concrètes » de la pensée de
l'enfant : Les opérations sont des actions,
choisies parmi les plus générales, intériorisables et réversibles. Elles ne sont
jamais isolées mais coordonnables en systèmes d'ensemble. Elles ne sont pas non plus
propres à tel ou tel individu, mais communes à tous les individus d'un même niveau
mental et interviennent non seulement dans leurs raisonnements
privés, mais encore dans leurs échanges cognitifs, puisque ceux-ci consistent encore à
réunir des informations, à les mettre en relation ou en correspondance, à introduire
des réciprocités, etc. ; ce qui constitue à nouveau des opérations...
Les
opérations consistent ainsi en transformations réversibles, cette réversibilité
pouvant consister en inversions (A - A = 0) ou en réciprocité (A correspond à B et
réciproquement) ».
J.
Piaget : La psychologie de l'enfant (coll. Que sais-je ?)
Inversions
et réciprocité qui apparaissent de plus en plus dans les discussions et permettent
d'avancer dans la rationalisation inhérente à la discussion.
c)
La logique du discours :
Ces
considérations sur la réversibilité, jeu sur la forme qui enrichit le langage, la
pensée et le raisonnement, m'amènent maintenant à essayer de caractériser la logique
des textes et de leur discussion (bien que le texte vaille comme écrit et la discussion
comme oral, sur ce terrain l'un et l'autre procèdent du même moule). J'ai tenté, autour
du texte n° 12 de Jean-Henri, de décrire les raisonnements du pêcheur et de la baleine
à l'aide de la logique formelle, ou plus précisément à l'aide de cette partie de la
logique formelle qu'est la logique des propositions.
Quel
projet sous-tend cette logique des propositions ?
Essentiellement,
de traduire les connexions entre propositions (phrases simples) d'un raisonnement à
l'aide d'un petit nombre de connecteurs binaires comme le « et » (symbolisé
souvent par A ), le « ou » (symbolisé par V ), le « si... alors »
ou « implique » (symbolisé par => ). Puis d'établir la valeur de vérité
(vrai ou faux, 1 ou 0) de systèmes de propositions ainsi connectées à partir de la
valeur de vérité de chaque proposition composante.
Les phrases
du langage usuel nécessitant souvent, pour être retraduites à l'aide de ces
connecteurs, une décomposition. Le logicien W.Quine s'est particulièrement soucié, dans
son oeuvre, de cette traduction, lui permettant ensuite d'énoncer des règles concernant
l'utilisation du langage. Cette traduction comporte deux étapes :
« La
paraphrase aboutit à mettre un symbole à la place d'une connexion propositionnelle du
langage usuel, mais elle nécessite éventuellement une amplification comme étape
intermédiaire. La traduction s'achève en remplaçant les propositions par des lettres de
proposition (p, q, r ... ) ». J.Largeault : préface de « Logique
élémentaire » de W.Quine.
Deux temps,
donc, dans la formalisation du langage usuel, et, éventuellement, entre les deux, une
étape d'amplification, dans laquelle est étalé, explicité, ce que le langage usuel
contient d'implicite ou de concentré dans certains mots ou certaines liaisons. Les
décompositions ainsi obtenues sont construites elles aussi d'oppositions, de symétries,
d'inversions portant maintenant sur des propositions entières. Par exemple, le
raisonnement du pêcheur est de la forme :
(p => r) & ( non p
=> non r)
texte
12
Le
raisonnement du texte 13 d'Yvan, pourrait lui aussi être étudié sous cet angle de la
décomposition logique (paraphrase) et montrerait encore ce jeu. Jeu qui portait d'abord
sur des termes à l'intérieur d'une phrase, termes non pas choisis au hasard, mais
entretenant entre eux une certaine relation (vautours et serpents, maître et cochon
d'Inde, tourterelle et petite fille, Terriens et Martiens, essentiellement donc les
« acteurs » mis en scène dans les textes), jeux qui portent maintenant sur
des propositions à l'occasion de dialogues, de raisonnements, d'argumentations, mais de
façon moins nette, occultés qu'ils sont par le langage usuel qui les recouvre
partiellement.
Les textes
de cette seconde partie nous permettent de situer dans cette genèse simultanée de la
langue, de la pensée et de l'écriture, trois niveaux :
-Les jeux
de symétrie et de réversibilité, jeux sur les places de certains termes ;
-Les mêmes
jeux, portant cette fois sur des propositions composées entre elles dans le cadre de
dialogues ;
-Les
transformations, les ellipses opérées dans ces jeux par le langage usuel qui, par
l'éventail plus large de connecteurs et de mots qu'il possède, modifie les formes
primitives.
Trois
niveaux, trois registres modulés par les enfants en un mélange spécifique et qui nous
éclairent sur cette assertion de Piaget :
« Le langage ne constitue pas la source de la logique, mais est au contraire structuré par elle. En d'autres termes, les racines de la logique sont à chercher dans la coordination générale des actions (conduites verbales y comprises).
Logique et affectivité
Texte
n°15
LE
CHATEAU HANTÉ
Il était une fois un château
hanté.
Un fantôme s'appelle Pipi
et l'autre s'appelle Gilbert et des
femmes.
Et ce château hanté se termine
par une gifle, c'était les femmes qui les tapaient.
Sylvie
Discussion du texte 6 janvier
I - Les femmes tapaient qui ?
II + Les femmes tapaient les fantômes.
III - D'où viennent les femmes ?
IV - Les femmes sortent de leurs chambres par milliers et
attaquent les fantômes.
V- Le château est hanté parce qu'il y a des fantômes, pas
parce qu'on y boit du thé: Le château en thé (fabriqué avec du thé).
VI - Un fantôme s'appelle pipi et l'autre Gilbert. Il y avait
aussi des femmes qui distribuaient des gifles.
Commentaire
du texte de Sylvie
Un texte
comique, drôle, étrange, intransitif, qui rompt complètement avec les textes de la
partie précédente. Ce qui montre au moins que les efforts de rationalisation apportés
par la discussion ne créent pas forcément une norme pour l'écriture. Chacun garde son
style, son inspiration propres : il y a tellement autre chose dans le procès
d'écriture du texte libre ! Du scatologique, finement amené ici, de l'épouvante,
et des femmes !
Commentaire
sur la discussion du texte
La
première question (I), de Jean-Christophe, porte sur l'un des points obscurs du texte (il
y en a plein !) : à qui renvoie le pronom « les » dans la
phrase : c'était les femmes qui les tapaient ? Le seul pluriel du texte
étant : les femmes, le renvoi du « les » n'est effectivement pas
évident. D'où la précision de Sylvie (II).
Autre
énigme : les femmes. Que font-elles là ? D'où viennent-elles ? (III). Ce
n'est pas Sylvie, l'auteur, qui donne la réponse, mais Florence. Il faut suppléer à
l'élision du texte, donc inventer. Mais inventer, c'est aussi reprendre et véhiculer la
lettre du texte : Florence (IV) ajoute une connotation d'agressivité (les femmes
attaquent les fantômes) contenue plus loin dans « la gifle ».
Suit un jeu
(V) portant sur une homonymie qui nous décroche de l'écriture pour se situer sur le
terrain de l'oral : à une même réalité phonique : /ãte / correspondent des
sens radicalement différents : le château est hanté, mais non en thé ! (V).
Enfin, l'appendice : et des femmes, qui se rattache à la deuxième phrase, est senti comme incomplet et complété (VI).
Il
était une fois une maman corbeau. Comme elle était fatiguée, alors elle est partie dans
son nid et, tout à coup, elle fait des petits, et elle en a fait 4, petits corbeaux.
Comme la
nuit tombe aussi, elle couvre ses petits corbeaux.
Betty
Discussion du texte 10 janvier
I - La maman corbeau couve
les oeufs La maman corbeau couvre ses petits sous ses ailes.
II - La maman était fatiguée parce qu'elle allait faire des
oeufs.
III - La nuit tombe.
La nuit descend.
La nuit vient.
IV - Tout à coup, elle fait des petits corbeaux, elle en a
fait quatre.
V - Tout à coup, elle fait quatre petits corbeaux.
VI - Tout à coup, elle fait quatre petits.
corbeaux
Ø
VII - On peut enlever corbeaux parce que la maman corbeau fait
des petits corbeaux, pas des autruches ou des merles !
Commentaire du texte de Betty
Le texte de
Betty fonctionne sur une ambiguïté majeure, et qui va conditionner toute la
discussion : la maman est fatiguée, alors elle fait ses petits corbeaux ! Il
faut dire que la maman de Betty est enceinte et que Betty va bientôt avoir une petite
soeur ! Alors s'explique peut-être le fait de la viviparité du corbeau. Une
énigme, dans ce texte, le sens du « aussi » de la dernière phrase. En me
basant sur l'expression orale, à la lecture du texte, j'ai rattaché cet adverbe à
« tombe » plutôt qu'à « couve ». Mais le sens des virgules (ou
des ambiguïtés) est tel chez les enfants que certains ont fait le contraire, lors de
leur lecture. Et la discussion, qui n'est jamais tout à fait là où on l'attend, n'a pas
soulevé ce point.
Commentaire sur la discussion du texte
Déclencheur
de la discussion, le mot « couvre », dans une situation où on attendrait
« couve », déclencheur phonétique, donc, qui amène à l'oeuf, latent. Et
aussitôt, le redressement de « l'erreur du texte » : la maman est
fatiguée parce qu'elle va faire des oeufs (II).
Une
recherche paradigmatique sur le mot « tombe » qui, appliqué à la nuit,
témoigne d'un registre de langage « éIevé » (III).
Et encore
une réflexion sur le « faire » de la maman corbeau qui, décidément, ne va
pas de soi, n'entre pas dans l'ordre biologique des raisons, ou alors y rentre trop. Cette
réflexion est amenée par une redondance, celle du « en » qui reprend le mot
« corbeau », tournure qui est usitée dans le langage parlé, du moins dans la
région. On change facilement de registre, dans ce texte ! La décomposition se fait
en trois temps :
- En un
premier temps (IV), on enlève le syntagme « petits corbeaux » qui, redoublant
le pronom « en » est redondant et doit disparaître.
- En un
deuxième temps, le déplacement du déterminant 4 entraîne la redondance et la chute du
syntagme « elle en a fait ».
- En un troisième temps, la chute du nom « corbeaux », ne relève pas directement de la syntaxe, mais directement du « faire » de la maman corbeau : comme le précise ironiquement et joyeusement Jean-Henri, elle ne peut faire que des corbeaux, pas des autruches ou des merles ! Mais peut-être que, pour Betty, cette maman corbeau vivipare devait se voir assigner sa propre progéniture ! Elle n'était plus tout à fait dans l'ordre des raisons et des évidences.
Un
jour, un Chinois qui allait à la forêt
et,
tout à coup, un loup sortit
et
le Chinois s'en alla.
Laure
Commentaire du texte 13 janvier
I - Pourquoi le Chinois s'en alla ?
II - Le Chinois s'en alla parce qu'il
avait peur du loup.
Pourquoi ?
III - Où alla le Chinois ?
IV - Le Chinois s'en alla*
dans son pays
parce qu'il avait peur du loup. Où ?
V - Dans quelle forêt ?
VI - Un jour, un Chinois s'en alla
dans la forêt des loups.
qui allait
s'en alla
à
dans
Commentaire
du texte de Laure
A nouveau
un texte-miroir très court :
AB
texte très
ramassé aussi, portant beaucoup de sousentendus. Il n'y est pas dit explicitement que le
Chinois a vu le loup, ni que le loup a menacé le Chinois. Mais pourtant, cela est dit
dans les mots de liaison : « tout à coup et » qui jouent le rôle
d'embrayeurs de sens. Un texte affectif, mais extrêmement concis, d'une grande économie
de moyens, et pourvu d'une structure.
Commentaire
sur la discussion du texte
La
discussion montre au moins que les embrayeurs de sens ont fonctionné à la
perfection : aux questions posées, il a été possible de fournir des réponses,
sans intervention de l'auteur du texte ! Laure n'est d'ailleurs jamais intervenue
dans cette discussion.
Il ressort
des expansions proposées en réponses aux questions : pourquoi ? (I),
où ? (III), dans quelle forêt ? (V), que le Chinois avait peur (on s'en serait
un peu douté !) mais aussi qu'il avait en quelque sorte bravé le danger puisqu'il
était allé dans la forêt des loups. A la dernière réponse, d'Eric (VI), peut-être
parce qu'elle reprend textuellement le début du texte, se greffe une réflexion sur la
transformation opérée :
- un
jour, un Chinois qui allait à la forêt,
- un jour,
un Chinois s'en alla dans la forêt des loups.
Si on
exclut l'expansion « des loups », quelques modifications se sont produites,
notamment la disparition de ce « QUI » résiduel qu'on peut repérer depuis
longtemps dans les textes sans qu'aucune réflexion ne l'ait jamais pris en compte. Ici,
pour la première fois, il est question de le remplacer, de le faire disparaître, sans
pour autant avoir conscience qu'on met une formulation « correcte » à la
place d'une autre « incorrecte ».
A noter
aussi, incidemment, le remplacement du « à » par « dans ». Dans
ce texte où les mots de liaison me paraissent avoir une grande importance, cette
modification me semble appauvrissante : le « à », à mes yeux,
justifiait le « sortit », mieux en tout cas que ne le fait le
« dans ».
Et puisque j'en suis à des appréciations subjectives, je redirai que je trouve très évocateur, très poétique, ce texte de Laure. Est-ce la connotation « Chinois » qui joue pour moi comme embrayeur ? Toujours est-il que je lui trouve cette beauté très orientale qu'on retrouve par exemple dans le haiku japonais.
Texte n°18
Un Jour,
un papillon jaune
s'est
posé sur une fleur multicolore
et le
papillon est devenu multicolore
et la
fleur est devenue jaune.
Eric
Commentaire du texte 17janvier
I + Répétition de multicolore :
- Et le papillon est devenu de toutes les couleurs.
II - Et le papillon est devenu de la même couleur que la
fleur.
III - Et le papillon est devenu de toutes les couleurs que la
fleur a.
IV - Les couleurs de la fleur : bleu marine - bleu clair - vert clair orange
rose noir marron jaune rouge - violet.
V - Répétition de papillon :
- Et la fleur est devenue jaune pas le même sens.
VI - Et il est
devenu comme la fleur.
Dessin : les transformations du papillon et de la fleur.
Commentaire du texte d'Eric
Délaissons
momentanément le fantastique, le fantasmatique et le poétique, revoilà la
structure ! Structure totale, celle posée dans ce texte d'Eric.
Au départ,
le texte s'arrêtait à « multicolore » (fin de la troisième ligne). Mais,
lorsque je transcris au tableau de papier, Eric me demande d'ajouter « et la fleur
est devenue jaune ». Ce que j'ai fait.
Le papillon
est jaune, la fleur multicolore. Mais, lorsque celui-là se pose sur celle-ci, les
couleurs s'échangent. Deux états, donc, suivant que le papillon est, ou non, posé sur
la fleur. Et, entre les deux, une transformation T « échanger les
couleurs » :
T
Jp
&
Mf Mp
&
Jf
Il y a ici structure à deux niveaux :
- Au sens
où j'ai employé ce terme jusqu'ici pour désigner un certain agencement dans la
phrase : le texte se structure par la permutation des prédicats J : être
jaune, et M : être multicolore.
- Parce
qu'ici, aussi, l'attention est attirée, pour la première fois, sur la transformation
(difficile à maîtriser, on le verra dans la discussion) qui fait passer d'un état à
l'autre. Le texte ne parle que de la transformation dans son premier moment, à travers
l'opérateur « se pose ». Mais, implicitement, est postulé le fait que,
lorsque le papillon s'envole, les couleurs s'échangent à nouveau. Ce fait sera
d'ailleurs mieux explicité quand la situation sera visualisée, spatialisée dans le
dessin.
T
Jp
&
Mf ----->
Mp & Jf
<--------
état
1
T
état
2
A ce moment-là, les enfants expérimenteront la transformation
dans ses deux moments :
T et T ramène à l'état initial, quel que soit celui-ci (état
1 ou état 2).
T et T équivaut à ne rien faire :
échanger les couleurs et échanger les couleurs ne rien faire
T
*
T
i
i est la transformation identique, celle qui ne change rien.
La transformation T est à elle-même sa propre symétrique (elle
est involutive).
Les familiers de la structure mathématique connue sous le nom de
« structure de groupe » auront reconnu là le groupe d'ordre 2 (deux
transformations T et i, T secomposant avec elle-même engendre i).
La composition des transformations T et i peut se visualiser par une table de Pythagore :
* |
T | i |
T | i | T |
i | T | i |
(voir
livret Structures n° 10, pages 1 à 7).
L'originalité
de ce texte d'Eric vient de ce qu'il présente la structure dans ses deux aspects :
Structure
du texte redoublée par la structure de la transformation et que le regard se porte sur la
transformation.
Commentaire sur la discussion du texte
Elle fait
apparaître les avancées des enfants face à la transformation : lorsque le papillon
se pose sur la fleur, tout se transforme à la fois, il n'y a aucune conservation des
« qualités », et cela est sans doute difficile à concevoir. Elle met aussi
en évidence la façon dont la langue usuelle peut destructurer ce langage plus primitif
mais plus explicite dans son architecture, qu'est ce langage de la logique des termes, qu'est ce langage des places qui retraduit et
respecte l'organisation spatiale. Ici, et les enfantsl'ont bien senti, et c'est
probablement fondamental pour l'avancée dans les mathématiques, le dessin constitue la
mise en signes la plus adéquate. La langue usuelle n'aime pas la structure, elle entend
gommer les répétitions, mais efface en même temps l'ossature qui la génère, elle
n'est plus que surface, écume, résidu. Mais le texte des enfants, avec ses symétries et
ses répétitions, traduit, respecte l'organisation spatiale, la connivence des mots à la
réalité matérielle qu'ils traduisent, cet isomorphisme parole-matière qui constitue le
fond primitif et profond du langage. Je reviendrai sur ce point dans le commentaire de la
troisième partie.
C'est
pourtant Eric, l'auteur du texte, qui ouvre le feu de la discussion en notant la
répétition du mot « multicolore » (I). Et il propose ce synonyme usuel de
multicolore : « de toutes les couleurs ». Mais cette modification
désintègre le texte : le papillon ne devient pas de toutes les couleurs.
Multicolore désigne les couleurs de la fleur, qui peut bien être multi-colore sans être
de toutes les couleurs ! D'où une première modification, de Jean-Henri (II) :
- et le
papillon est devenu de la même couleur que la fleur.
Mais cette
formulation, elle aussi, est inadéquate puisque, précisément en se posant, le papillon
a modifié complètement la couleur de la fleur ! Tout se transforme à la fois, rien
n'est stable ! La proposition (II) ci-dessus ne serait valable que si, seul, le
papillon changeait de couleur. Ce qui n'est pas le cas. Mais personne ne conteste.
Nouvelle avancée, plus proche cette fois, et qui ne manque son but que d'une nuance,
fondamentale pourtant : (III)
- et le
papillon est devenu de toutes les couleurs que la fleur a.
Evidemment,
cette proposition essaie d'intégrer le « toutes les couleurs » avancé par
Eric (I), en le subordonnant à la fleur. Mais la fleur, justement, quand le papillon se
pose, n'a plus ces couleurs ! Il aurait fallu « avoir » au passé pour
une formulation adéquate. Quoi qu'il en soit, cette formulation n'a pas été contestée,
preuve qu'il était bien difficile de voir tout varier en même temps.
Le mieux
était encore de désigner ces couleurs. Ce que Laura a entamé (IV) en se reportant à sa
boîte de feutres.
Inscrire
ainsi les couleurs à part, revient à leur donner une existence séparée, à l'abri des
transformations, quel que soit l'état (transformé ou non) du papillon et de la fleur.
Et Sylvie
relance la discussion avec la remarque de la répétition de papillon (V). Et elle
propose, elle, qu'on enlève carrément la troisième ligne du texte (et le papillon est
devenu multicolore). Ce qui fausse tout à nouveau ! Mais ici, barrage, on sent que
la transformation est modifiée. Sylvie, une nouvelle fois, traite la répétition comme
un problème de places, indépendamment du sens !
La
proposition (VI) retombe dans la difficulté déjà rencontrée : le papillon n'est
pas devenu comme la fleur ! Yvan a alors proposé le dessin, la visualisation.
C'était le mieux. On n'en sortait pas autrement. Il fallait que l'image vienne à l'aide
de l'imagination, que la trace, dessin, vienne à l'aide de la trace-écriture, pour
capter cet incernable : la transformation.
Eric est
venu dessiner au tableau de papier (privilège de l'auteur du texte !), j'ai
recueilli en outre deux autres dessins, très semblables. Tous les dessins se sont
d'ailleurs alignés, calqués sur le dessin fait au tableau par Eric.
Ces dessins
ne portent pas seulement les deux états de départ et d'arrivée indiqués dans le texte,
mais aussi un état intermédiaire, sorte de représentation de la transformation
elle-même : la fleur devient jaune pour moitié, le papillon multicolore pour
moitié. On peut invoquer ici une pratique de la décomposition des mouvements
caractéristique de la bande dessinée, couramment employée par les enfants. Il me semble
plutôt que ce dessin intermédiaire fige la transformation au moment où elle se produit.
Un autre détail me fait penser que les enfants ont vraiment cherché à représenter la
transformation : aucun des trois dessins conservés ne montre que le papillon est
posé sur la fleur, le papillon n'a pas de pattes : il était plus important de
colorier de façon adéquate que de montrer l'action, l'opérateur par lequel la
transformation se produit.
On a bien sûr évoqué oralement ce que représentaient les dessins, cherché l'état correspondant au papillon posé, celui correspondant au papillon envolé, faisant ainsi fonctionner dans les deux sens la transformation, comme je l'ai indiqué au début de ce commentaire.
Texte n°19
Un jour,
une coccinelle
qui navait
pas d'amis
et le
lendemain un monsieur
qui
rencontrait une maman coccinelle.
Betty
Discussion du texte 24 janvier
I -
qui n°1 à Ø
II-
qui n°2 à Ø
III - Le lendemain matin.
IV - Et le lendemain, la maman coccinelle a invité le monsieur
pour faire un pique-nique. C'est une maman, mais son mari est mort. Elle a des enfants.
Trois.
V - Le texte est au passé
Un jour, une coccinelle n'avait pas d'amis. Le lendemain, un
monsieur rencontrait une maman coccinelle. Le matin, la maman coccinelle a invité le
monsieur pour faire un pique-nique.
Commentaire du texte de Betty
Ce texte
est un peu voisin du texte 16 (La maman corbeau), dernier texte de Betty à avoir été
étudié. Il y est question d'une maman coccinelle. Il y est question aussi d'un
événement qui se déroule dans le temps. Le texte très court parle de l'établissement
d'une relation. Mais il est ouvert. Simplement des indices, des appels : amis, maman,
monsieur, rencontrer. Nul doute qu'il y a là les éléments propres à tisser un réseau
relationnel plus serré, à reporter un peu de son existence personnelle.
Commentaire sur la discussion du texte
D'entrée,
Marie-Neiges (I), puis Sylvie (II) proposent la suppression des deux « qui »
du texte. Pour la première fois est ressenti nettement ce fait que les
« qui », ici, ne servent à rien, Je crois que c'est en effet la nuance à
apporter : ils ne faussent pas le sens, mais ne servent à rien. On a rencontré
déjà souvent ces « qui » dans les textes. J'en ai parlé au moins à deux
reprises : à propos du texte 14 (La baleine) de Jean-Henri, dans lequel le
« qui » apportait une nuance sémantique que la discussion effaçait ; à
propos du texte 17 (Le Chinois), de Laure, dans lequel le « qui », pris dans
la séquence « qui allait » était remplacé par une transformation à allure
de simple substitution par la suite pronominale « s'en » pris dans la
séquence « s'en alla ». Comment interpréter ce « qui », ici
purement et simplement enlevé ?
C'est
quelque chose comme la structure profonde des linguistes de l'école générativiste
qu'évoque pour moi la présence du « qui » dans les textes des enfants. Il me
semble, et les camarades avec qui j'ai discuté là-dessus sont d'accord, que la phrase du
texte de Betty :
Un jour, une coccinelle qui n'avait pas d'amis
est à entendre comme :
Il y avait,
un jour, une coccinelle qui n'avait pas d'amis. Le « il y avait » désignant
pour l'enfant la présence, l'espace préalables au déroulement du récit (transformation
emphatique grâce à un présentatif) :
il y a
syntagme
nominal
syntagme
verbal
ou
ou
qui
ou
c'est
sujet
prédicat
La tournure
(insistance) : « il y a... qui ou c'est... qui » donne un être, une
présence au sujet auquel on peut ensuite attribuer un faire.
Plus même,
il me semble que le « c'est/il y a » se comporte comme un déictique, il
désigne une référence, il renvoie à un vécu de l'enfant, vécu présentifié par ce
biais, irruption du discours oral qui peut facilement désigner, dans le langage écrit
où se perd la référence, induite pourtant par le déictique embrayeur.
Cette
présentification qui renvoie à un vécu connu du narrateur donne aussi au
« qui » un statut : il n'est pas simple corrélat, mais semble faire
découler le prédicat comme une quasi-implication :
s'il y a
quelqu'un précis, alors il fait des choses précises
qui
Le faire
devient un attribut permanent du sujet, il est sa caractéristique impliquée dans son
être-même.
Curieux
alors de constater que le « qui » survit à la disparition du « cest/il
y a », que l'implication, la liaison ne se dilue pas, comme l'être, dans le sujet,
Est-ce parce que, binaire, elle devrait disparaître à la fois dans le sujet et le
prédicat ?
Ce long
commentaire sur une « disparition » ne doit pas faire perdre de vue la suite
de la discussion et l'intérêt qu'elle présente : il est question de
« temps », temps de l'action, et, surprise ! temps des verbes. L'appel se
trouve dans le texte : un jour... le lendemain.
Jean-Henri
précise qu'il s'agit du lendemain matin (III). Et s'enchaîne (IV) une action qui
s'articule directement sur la rencontre de la maman
et du monsieur et ce qu'elle présuppose : la maman coccinelle a un mari (mort) et
des enfants. Il est évident que le texte-appel de Betty laisse s'engouffrer
identifications et projections, choix du « bon » modèle. Toujours est-il
qu'il s'agit maintenant d'organiser le récit, l'action, dans le temps.
Est mentionné (V) d'abord le fait que le texte est au passé : il y a là réminiscence de ce travail orthographique obligé qui braque la réflexion des enfants autour du temps du texte pour justifier la terminaison de certains mots (on ne parle pas encore directement de « verbe » : ça viendra, patience !). Ainsi les lendemains sont... passé. Le lendemain et le matin sont dissociés dans la reconstitution proposée, hiérarchisés, ordonnés puisque la rencontre a sans doute lieu avant l'invitation. Il n'en reste pas moins que la formulation est singulière, l'événement-invitation est situé le matin, on s'attendrait à ce que l'événement-rencontre soit, lui aussi, situé (avant le matin ?). Ici, il suffisait qu'il soit logiquement antérieur, pour que la formulation ne soit pas contestée par les enfants.
Texte n°20
LES OEUFS
A
Loubajac, j'ai trouvé des oeufs. Il y en avait partout. Sous le plancher, il y avait des
oeufs portés par les rats. Une poule avait pondu, samedi, un oeuf, et dimanche, un autre.
Je les
ai trouvés, et aussi il y avait, dans un nid, un petit oeuf et un grand. Le petit était
blanc tacheté d'orange. Je lai cassé.
Eric
Discussion du texte 1er février
I - Samedi, une poule avait pondu un oeuf, et dimanche, un
autre.
II - Répétition d'oeufs On ne peut en enlever aucun.
III - Répétition de avait. On ne peut en enlever aucun.
un samedi
IV - 2 oeufs
la poule
un dimanche
un petit
l'oiseau
V - 2 oeufs
dans le nid
un grand la
poule
VI + Les rats portent les gros ufs avec les dents.
VII - Sous le plancher, il y en avait au moins 10 ou 11, portées
par les rats.
VIII Sous le
plancher, il y avait au moins 10 ou 11 ufs ortées par les rats.
en
oeufs
Commentaire
du texte d'Eric
Un texte narratif, dans lequel Eric fait
part d'une trouvaille surprenante dans sa nouvelle maison. A noter l'équilibrage du récit autour des actions de l'enfant :
j'ai trouvé
début
j'ai trouvé
milieu
j'ai cassé
fin
Commentaire de la discussion du texte
Deux types de considérations dans cette discussion : les
symétries et les répétitions. Les symétries se défont ou s'explicitent ; les
répétitions disparaissent ou non, ou encore appellent des transformations. La première
remarque porte sur la place du mot « samedi », dans la troisième phrase (I).
Formellement, la symétrie du texte :
samedi, un oeuf dimanche,
un autre
disparaît.
En fait elle subsiste, mais permet de marquer la liaison forte existant entre le verbe et
le groupe COD. On décèle ensuite des répétitions : les mots « ufs »
et « avait ».
En (II), on
constate d'abord que «oeufs» ne peut disparaître en aucune de ses occurences. Pourtant,
a contrario, un peu plus loin, (VII) il sera possible d'en escamoter une. Il me semble que
la conclusion des enfants : on ne peut en enlever aucun, est à rapporter à leur
lecture du texte : à éplucher le texte phrase à phrase, sans le considérer
globalement, on ne peut faire disparaître de répétitions. Mais, par contre, si on parle
le texte, alors les répétitions s'effacent d'elles-mêmes, et apparaissent les pronoms
substitués (VII) et (VIII).
La
répétition de « avait », examinée en (111), ne peut, elle, se résoudre. Le
«avait», en position de verbe ou d'auxiliaire, ne peut disparaître de la même façon
qu'un nom. Pas ou peu de «proverbes» : il faudrait remodeler les phrases là où il
figure comme verbe. Rien à faire là où il est auxiliaire.
A nouveau
les symétries « de surface » en quelque sorte, mais qui, explicitées
renvoient à des contextes sémantiques différents :
Les deux oeufs peuvent être rapportés à la poule (IV), ou à la poule et l'oiseau (V).
Texte n°21
Un jour, les cosmonautes sont partis sur la lune. Quand les
cosmonautes sont arrivés sur la lune, ils sont tout de suite descendus.
Yvan
Discussion du texte 4 février
I - Dans ce texte, il y a deux phrases.
II - Où ils sont descendus ?
III + Ils sont tout de suite descendus sur la terre.
IV - Qui leur a fait peur ?
V + Ils sont tout de suite descendus sur la terre parce qu'ils
étaient fatigués, et la fusée aussi.
VI - D'où ils sont partis ?
VII + Un jour, les cosmonautes sont partis, en fusée, de la
terre, et ils sont arrivés sur la lune.
VIII - La fusée est fatiguée si une pièce du moteur est usée.
IX + Si la pièce suse, à la fin, elle se casse.
X - Une pièce :
du moteur
de 5 francs, de 1 franc, 10 cen times, de 10
francs, de 50 centimes, de 50 francs
de théâtre, de marionnettes, de télé
de maison (salle à manger)
une pièce montée (gâteau)
de vêtement.
Commentaire
du texte d'Yvan
Il est
court comme ceux que produit habituellement Yvan et structuré. Il parle du sujet de
prédilection de l'enfant les fusées. La structuration en miroir n'est pas totale :
Si, à « partis » correspond apparemment « arrivés », er
revanche, rien ne correspond à « descendus ».
Commentaire de la discussion du texte
D'emblée, une facétie monumentale d'Yvan
qui excelle dans les surprises / les cosmonautes sont
descendus non pas sur la lune, comme tout le monde pouvait s'y attendre, mais sur la Terre
(III). L'action de descendre est évidemment relative. On s'attend ici à ce que les
cosmonautes descendent de la fusée. C'est là le sens que tout le monde attend et
anticipe. Or, pour Yvan, ils sont descendus de la Lune ! Et, pour augmenter encore le
paradoxe, la surprise, Yvan indique la raison de cette décision surprenante : ce
n'est pas qu'ils ont eu peur, comme le pressent Jean-Henri par sa question (IV) où il se
souvient d'une autre aventure de Terriens et Martiens (voir texte n° 6), mais ils
étaient fatigués, et la fusée aussi (V). Et cela appelle encore des explications, qui
ont pour effet de symétriser complètement le texte, d'en effectuer la fermeture :
D'où sont-ils partis ? (VI)
Ils sont
partis de la Terre A
Sont
arrivés sur la Lune B
sont redescendus sur Terre
La
symétrie s'opère à condition de considérer que l'arrivée sur la Lune n'est pas
l'élément correspondant au départ de la Terre, mais le moment médiant entre le départ
et le retour.
La discussion s'achève sur des considérations (X) sur le mot « pièces » considérations joyeuses, si on considère qu'une pièce montée peut se comprendre, devenir donc d'une certaine façon, pièce de moteur ou de 5 francs, en jouant sur l'ambiguïté due à l'homonymie.
Texte n°22
J'ai vu
plein de fleurs. Cétait une marguerite et des roses et des violettes et des fleurs orange
et il y a une abeille qui arrive et qui prend du miel et elle dit : « bonjour,
madame la fleur ! ».
Florence
Discussion du texte 28 février
I + Bonjour, mesdames les fleurs !
II - Réptition de et :
C'était une marguerite, des roses, des
violettes, des fleurs orange.
III - C'était une marguerite, des roses, des violettes et des
fleurs orange. Il y a une abeille qui arrive, qui
prend du miel et elle dit : « Bonjour, mesdames les
fleurs ! »
et n°1 à ,
et n°2 à ,
et n°4 à ,
et n°5 à ,
Commentaire du texte de Florence
Dialogue
avec des fleurs : un texte encore un peu intransitif, mais que la discussion va organiser.
On notera la présence du il y a... qui.
Commentaire sur la discussion du texte
On
mentionne une répétition, celle du « et » rattacheur. La disparition, la
transformation surtout, de ces « et » va permettre de disposer différemment
le récit. Bien sûr, la présence et le sens de la virgule n'est pas toujours perçu. Par
contre, la fonction du point, suite à la nécessité d'arrêter la phrase après
« orange », a été nettement ressentie. La transformation du
« et » qui se répète tout le long du texte a amené deux modifications. La
première (II) s'arrête à orange.
La deuxième, qui reprend tout le texte (III) laisse, afin de clore la phrase, le « et » n° 3. D'abord une description, puis l'arrivée d'un personnage et de ses actions.
Il
était une fois un chat et un rat, et le char s'en allait à gauche et le rat à droite.
Laure
Discussion du texte 3 mars
Il était une fois un chat et un rat. Le chat s'en allait à
gauche, le rat à droite. Le rat croyait que le chat le suivait pour le manger. Il s'est
retourné, il n'a vu personne. Il est rentré dans son trou et s'est assis sur son
coussin. Comme le coussin était troué, toutes les plumes se sont envolées. Mais comme
le chat regardait par un trou, une plume lui est rentrée dans lil. Avec
toutes les plumes du coussin, le rat s'est déguisé en indien et il a couru après le
chat. « C'est le contraire du début ! » dit le rat.
Histoire du chat qui a peur du rat.
Commentaire du texte de Laure
Encore un
texte court, dense et évocateur, dans le style du précédent (Le Chinois) (n° 17). Il
possède aussi cette concision très poétique. Il est ouvert et surprenant : les
rapports du chat et du rat ne sont pas habituellement de cette forme.
Commentaire de la discussion du texte
D'emblée,
les enfants ont eu envie de le prolonger, en inventant la suite. Les premières
propositions étaient divergentes, il n'était pas possible d'inventer une suite
homogène. Aussi j'ai invité les enfants qui le désiraient à penser complètement
l'histoire, oralement ou par écrit. Les différentes propositions seraient ensuite
examinées et discutées. Ainsi Jean-Christophe, Sylvie et Florence inventent-ils une
suite. Quant à Eric, il en invente même deux. Le problème du choix s'est posé après
la lecture des différentes versions, incompatibles entre elles, bien sûr. S'est
déroulée alors une intéressante procédure de vote. Ce n'était pas la première fois
que les enfants participaient à un vote, mais pour la première fois, seul ce groupe
était concerné.
Trois propositions :
- Ceux qui n'ont pas fait d'histoire sont le jury (Yvan).
- Tous les
enfants votent mais on ne vote pas pour sa propre histoire (Jean-Christophe).
- Tous les
enfants votent, chacun pouvant voter pour sa propre histoire (Eric).
Le choix
entre ces trois propositions s'est fait, sans vote, pour celle d'Eric.
Sur
bulletin ou à main levée ?
-
bulletin : 4 voix pour.
- main levée : 4 voix pour.
Pas moyen
de se mettre d'accord. Eric tranche en indiquant que chacun fait comme il veut.
Accepté !
- histoire
de Jean-Christophe : 0
- histoire
de Sylvie : 0
- histoire de Florence : 3
- première histoire d'Eric : 3
- deuxième histoire d'Eric : 2
Il faut
encore départager Florence et Eric. Eric obtient finalement 5 voix, Florence 3.
Cette
procédure me paraît importante à mentionner, parce qu'elle marque les rapports des
enfants entre eux lors des discussions. On n'est pas toujours d'accord, loin s'en faut. Le
fait d'examiner toutes les propositions mettait, sans doute, hors jeu les conflits, ou du
moins les atténuait. ici, il est question de choix et les forces se répartissent. Il
faut dire qu'incontestablement les suites inventées par Eric étaient les plus étoffées
et les plus drôles. Mais Florence qui exerce un certain rôle de leader dans le groupe, a
gagné aussi ses partisans. Au-delà du texte et de ce qu'il dit, se démarque le groupe
avec ses tensions et ses pôles.
La suite d'Eric a donc été recopiée au tableau de papier.
Elle arrivait initialement jusqu'à « il ». Et la dernière phrase
s'inscrivait à contre-courant du début, puisqu'elle remettait en scène le chat. J'ai
constaté que dans toutes les ébauches, les enfants étaient gênés par cette
séparation du chat et du rat. Inventer la suite du texte de Laure, cela revenait chaque
fois à mettre en scène le chat et le rat, ou encore à faire venir un autre animal pour
pallier la séparation. L'histoire, rôle de la tradition, devait, en quelque sorte, être
celle d'une rencontre, d'une relation, et non celle d'une séparation, d'une non-relation.
La remise en scène du chat, dans la suite d'Eric, a amené la création collective de
deux autres phrases. La première indique que le rat s'est mis à courir après le chat,
inversant les rôles traditionnels de l'un et de l'autre.
La
deuxième, très surprenante, constitue une réflexionconclusion de l'histoire :
« C'est le contraire du début » dit le rat.
Cette remarque, en tant que telle, est fausse, puisqu'au début, justement, le chat ne court pas après le rat. Elle a pourtant été admise par tous comme valable. Et il faut bien admettre qu'elle est valable subjectivement pour le rat puisqu'il croyait que le chat le poursuivait. Elle est vraie dans le fantasme du rat et, partant, dans celui des enfants !
Texte n°24
Un jour,
il y avait une fleur et elle dit « Je suis la reine des fleurs ! » Une
petite fille dit : « Oh ! la belle fleur ! Ces fleurs, ce sont mes
filles ! »
Florence
Discussion du texte 4 mars
I - A qui elle parle, la fleur ?
II + Un jour, il y avait une fleur et elle dit à la fleur, à
la petite fille.
III + Répétition de fleurs :
On peut enlever fleurs n° 2 et des
IV - On peut enlever fleurs n° 4.
V - Les autres, ce sont mes filles !
VI - Un jour, il y avait une fleur. Une petite fille dit :
« Oh ! la belle fleur !
- Je suis la reine. Les autres, ce sont mes filles !
- Qu'elles sont jolies, vos filles La petite fille
reprit :
- Quel âge ont-elles ?
- De sept mois à un an ! »
Commentaire
du texte de Florence
Histoire de
fleurs. Comme il n'y a pas longtemps (texte n° 22 : J'ai vu plein de fleurs). Elle permet
peut-être, pour une fois, de remarquer une évolution dans l'écriture : celle-ci
est, en effet, beaucoup moins intransitive, et n'use pas, comme auparavant, de façon
débridée, du connecteur « et ». Une difficulté cependant, qui sera
précisée dans la discussion du texte : la scansion du dialogue par la précision
« elle dit » semble rapporter la phrase « Ces fleurs, ce sont mes
filles ». au dire de la petite fille. Il n'en est rien, c'est la fleur qui répond
ainsi. Je me suis donc trompé dans la transcription du texte, surpris par une élision
que je n'attendais pas. Du coup, la phrase « Oh ! la belle fleur ! »
devient obscure. Il semblerait qu'il faudrait plutôt à la place un pluriel :
« Oh ! les belles fleurs ! ».
Commentaire
de la discussion du texte
La discussion va cerner et résoudre la
difficulté textuelle mentionnée, marquant ainsi, elle aussi, son évolution : elle paraît
capable de pointer dans un texte les ambiguïtés et difficultés sémantiques qu'il
recèle, et à travers un axe, privilégié maintenant, d'attaque formelle : la
recherche, et la transformation lorsqu'elle est possible, des répétitions. Auparavant,
et puisqu'il y a dialogue, est ressentie la nécessité de camper d'emblée les
interlocuteurs, qui peuvent être, ainsi que le mentionne Florence (II), une autre fleur
ou la petite fille. Mais, ici, le contexte indique clairement que le dialogue se passe
entre une fleur et la petite fille.
Répétition de fleurs :
On peut
enlever « fleurs n°2 » et « des », indique Florence. Peut-être
(III).
On peut
enlever « fleurs n°4 », ajoute Laure. Elle devrait plutôt dire qu'on peut
transformer « fleurs n°4 », puisqu'elle propose aussitôt la phrase
modifiée. Le déictique « ces », qui marque la désignation, le geste, ne
peut disparaître totalement. A sa place, un autre déictique : « les
autres », qui introduit une rupture entre la fleur et ces autres qu'elle désigne,
et qui, en plus, indique sans ambiguïté le locuteur, levant la difficulté dont il est
fait état plus haut (IV) et (V).
En (VI) est rproposée une extension du texte, prolongement collectif du côté de l'affectif et du fantasme.
Commentaire de la troisième partie
Avec cette
troisième partie s'achève l'exposé de l'étude des textes tel que le donne le tableau
de papier. On en était alors à la mi-mars. La poussée d'écriture, le désir d'écrire
des enfants était tel à ce moment-là que l'étude des textes a subi une certaine
désaffection. J'ai alors demandé aux enfants de se prononcer : il a été décidé
coopérativement que, chaque jour, aurait lieu la discussion d'un texte, mais seulement
pour les enfants qui le désireraient, qu'ils soient C.E. ou C.M. Le tableau de papier
fait état, à partir de cette décision, de discussions, mais jamais avec un groupe
homogène, et en particulier, jamais avec les seuls C.E. qu'on a vu opérer jusqu'à
maintenant. Et la présence d'enfants plus grands fausse un peu la perspective : aux
expansions et transformations qui s'étaient développées jusque là en genèse
tâtonnée, s'ajoutent des recherches portant sur l'étude de la formation des phrases, un
souci de classement, des mots ou des syntagmes. L'impact n'est plus le même, et je ne
crois pas utile de relater ici un travail qui, sans montrer le chemin parcouru, est de
nature très différente. Les C.E., présents lors de ces recherches se sont probablement
imprégnés, ont trouvé aussi des façons de discuter, mais n'ont pas imprimé leur
marque. Je préfère, à tout prendre, me fixer pour objectif la relation des discussions
opérées par le même groupe au cours du C.E.2, puis du C.M., toutes fixées par le
tableau de papier. Restons donc plutôt sur ces vingt-quatre études qui constituent, je
crois, un document suffisamment riche. Restons même, ici, sur les dix études qui
constituent la troisième partie.
Les textes
étudiés ne diffèrent pas fondamentalement de ceux exposés dans les parties
précédentes. Ils sont toutefois moins homogènes que ceux de la deuxième partie,
émanant d'enfants plus nombreux. On en retrouve certains structurés, d'autres
intransitifs, certains ouverts, d'autres fermés. Ils laissent apparaître des
« styles » chez certains enfants : Laure, Florence, Betty, par exemple.
Mais ils ne peuvent remplacer l'étude des séries complètes qui seules permettraient de
déterminer ces « styles ».
Il en va de même pour la discussion des
textes. Pourtant, les techniques d'approche, les clés pour pénétrer, se précisent. Aux questions proposant des expansions, des
enrichissements de sens, aux ramifications ajoutées aux textes, aux jeux sur les
paradigmes, aux structurations et aux symétries, viennent s'ajouter les transformations
pronominales, l'élimination aussi systématique que possible des répétitions (qui
intervient à partir du texte n°18 : Le papillon et la fleur. Se marquent encore des
styles d'intervention, une façon de fonctionner propre au groupe.
Ceci
m'amène à distinguer à nouveau trois parties, traditionnelles dans les sciences du
langage : syntaxe, sémantique, pragmatique.
SYNTAXE,
LE JEU DES PLACES :
Les places
des mots dans la phrase, dans le texte. Indépendamment du sens qui les habite, les mots
ont leur place. La réflexion des enfants, toujours fondamentalement centrée sur le sens,
rencontre ces problèmes de places. Parce que fondamentalement aussi, l'écriture et le
langage sont spatiaux. Le langage est toujours référence, quoique médiate, à travers
les objets qu'il désigne et relie, à leur place et leur fonction spatiales. On a vu
abondamment, à la première et deuxième parties, le jeu de la répartition spatiale dans
sa relation au sens qui le domine mais qu'il détermine.
Caractéristique
de cette partie : les transformations opérées dans les textes le sont sur la base
d'une réflexion qui porte sur la place des mots, et non sur le sens comme dans les autres
parties. Dans celles-là, seulement, des amorces : des répétitions avaient déjà
été pointées par Sylvie (texte n°6 : Les Martiens, remarque III), et aussi aux
textes n°10 : Vautours et serpents, remarque V ; n°12 : La baleine et le
pêcheur, remarque I ; n°13, remarque I). On se souvient d'ailleurs qu'elles avaient
été résolues de façon assez surprenante, dans le cas de la remarque de Sylvie surtout
(texte des Martiens).
Ici, par
contre, la mention des répétitions et l'essai de transformation qui s'en suit
constituent la clé qui mène à l'expansion du sens. Ainsi est rendu transitif le texte
n°22 : J'ai vu plein de fleurs, de Florence, ainsi est levée l'ambiguïté du texte
n°24 : La reine des fleurs, de Florence toujours. Ainsi tombe (texte n°19 : La
coccinelle et le monsieur), le « qui » résiduel apparu dans de nombreux
textes.
Une
exception majeure toutefois dans le champ de ces réussites : la réflexion sur le
texte n°18 : La fleur et le papillon, d'Eric. Ce texte apparaît comme fermé et
structuré dans sa symétrie. Mais veut-on, dans la discussion, modifier tel mot
répété, redoublé en miroir ? La construction vole en éclat comme un château de
cartes. Sans que ce soit bien clair pour les enfants, d'ailleurs. Mais pourtant, on les
voit se replier vers des positions plus sûres : Sylvie propose une modification de
sens jugée non pertinente, puis on en vient au dessin, dans lequel la répétition des
motifs ne sera pas critiquée.
On est,
semble-t-il, à la croisée des chemins. Le langage usuel, qui permet de contourner les
répétitions, sert de guide et d'horizon. Se dirigeant vers lui, on se détourne de ce
langage plus primitif mais plus solide, qui place les mots comme les actes ou les choses,
comme les dessins.
Et on a
recours, pour ce faire, à une méthode de transformation qui substitue, à la place de
certains mots, d'autres équivalents. Mais ce processus déstructure, et, déstructurant,
peut enrichir ou détruire. En le suivant, on constate des avancées, mais aussi des
reculs. La structure primitive, profonde, relie et spatialise. Elle se présente comme une
topographie, avec ses schémas, ses relations fléchées. S'en éloigner, c'est aussi
quitter un sol stable, même s'il est abondamment intransitif et ouvert. C'est engendrer
d'autres difficultés, d'autres ambiguïtés. Chaque niveau de langage possède ses zones
de flou. D'abord, donc, transformer pour s'acheminer vers le langage usuel, celui qui a
cours dans le milieu ambiant. Transformer pour former et se former. Peut-on prononcer ici
le mot de syntaxe ? Celle-ci serait plutôt, justement l'étude des règles de
formation des phrases. La réflexion sur la formation. Or la démarche des enfants n'est
pas cette réflexion, elle est le mouvement même qui permet cette formation, elle est
génèse dynamique. Se mettant pourtant en place, dans cette genèse, les techniques et la
réflexion qui permettront en retour l'étude de la formation. Condition de la formation,
cette genèse est aussi condition de la formationd'un discours sur cette formation, même
si celui-ci n'intervient que plus tard. Il est là en germe. Alors, oui, syntaxe,
peut-être pas celle qui se donne libre cours dans les manuels de grammaire, dans les
discours des linguistes qui supposent leur objet donné et défini avant tout regard sur
lui. Pas une syntaxe qui se greffe en appendice sur un corps, un langage déjà
constitué, mais qui jaillit dans le mouvement même de la construction de ce langage à
partir de bases plus primitives. Syntaxe-création.
SEMANTIQUE,
LE JEU DU SENS :
Du sens,
bien sûr, il y en a partout. Tout fait sens, et les paroles les plus curieuses et les
plus apparemment incongrues ont aussi un sens minimum, même si on ne les comprend
pas : elles ont le sens qu'elles n'ont pas de sens. Mais, dans ce territoire saturé
de sens, on peut encore donner sens au sens en distinguant des niveaux de sens :
- La place
des mots dans les phrases des textes a un sens ;
- Les
textes, dans la littéralité de ce qu'ils disent, ont un sens ;
- Les
discussions et dialogues des enfants entre eux ont un sens.
Ces trois
niveaux correspondent aux trois divisions déjà nommées :
- syntaxe,
-
sémantique,
-
pragmatique.
Ici, sémantique. Le sens littéral
contenu dans les mots qu'on lit, dans les textes ou leur discussion au tableau de papier.
Sans qu'il soit fait référence à un enfant précis, sans qu'on se soucie de la forme de
ce qui est écrit. La sémantique s'occupe de mettre en correspondance les mots avec ce
qu'ils disent, leur rapport à la réalité. P.Clanché,
lorsqu'il se penche sur le contenu des textes libres, note
trois catégories dominantes : faire, être, dire. On retrouve bien sûr ces
catégories dans les textes étudiés, dans la discussion.
Mais elles se précisent et s'articulent entre elles. On l'a vu à propos de l'utilisation
du « qui » souvent résiduel : l'enfant pose d'abord le sujet, par une
mention de son « être », et ensuite le prédicat, ce que fait ou dit le
sujet. Et, entre ces deux notions d'abord séparées, un connecteur :
« et » ou « qui ». Connecteurs dont la fonction n'est pas,
semble-t-il, de coordonner ou de subordonner, mais seulement ou essentiellement, de
relier, de marquer une liaison forte. Résultat : tout se retrouve mis sur le même
plan, la hiérarchisation sujet-prédicat, d'abord posée, est ensuite niée. L'être, le
faire et le dire ramassés d'un même mouvement.
Pour
illustrer ce propos, on pourrait reprendre par exemple le texte n°23, de Laure, ou, plus
encore, celui de Florence n°22 :
23 :Il
était une fois un chat et un rat, et le chat s'en allait à gauche et le rat à droite.
Le
« et », dans ce texte, rattache deux phrases dont l'une est la mention de
personnages, avec leur être : « il était», et l'autre la mention de ce
qu'ils font. Peut-on parler de coordination ? Le faire se coordonne-t-il à
l'être ? Ne lit-on pas là plutôt un décrochement entre l'être et le faire ?
22 :
J'ai vu plein de fleurs. C'était une marguerite et des roses et des violettes et des
fleurs orange et il y a une abeille qui arrive et qui prend du miel et elle dit :
« Bonjour, madame la fleur ! ».
Relation
totale dans ce texte dont je disais qu'il était « encore un peu
intransitif » : tout est lié par « et ». Les fleurs, l'abeille, le
faire de l'abeille, le dire de l'abeille. De quoi parlera-t-on pour justifier ces
liaisons : coordination, subordination, implication ?
On peut,
comme je l'ai fait, évoquer à propos de ces textes, les haiku japonais. Clanché, aussi,
fait ce rapprochement. Il cite l'un de ces poèmes et ajoute un commentaire de Roland
Barthes :
Pleine lune
et sur les
nattes
l'ombre
d'un pin
Le vent
d'hiver souffle
Les yeux
des chats
Clignotent.
« Le
travail du haiku, c'est que l'exemption du sens s'accomplit à travers un discours
parfaitement lisible, en sorte que le haiku n'est à nos yeux ni excentrique, ni
familier : il ressemble à rien et à tout » R.B.
Retenons
deux termes de ce passage : il y a exemption du sens ; ça ressemble à rien et
à tout.
On peut
aussi appliquer ces caractéristiques aux textes d'enfants, et notamment à ceux cités
ci-dessus (Clanché les qualifierait d'indiciaires) :
- Exemption
du sens : les textes recèlent du sens caché, ils ne disent pas tout ce qu'ils
sous-tendent, ou même, ils enlèvent du sens. Ils l'enlèvent, mais de telle sorte qu'on
sache qu'ils l'ont enlevé, par les traces, les indices qui restent.
- Ça
ressemble à rien et à tout : la mise à plat sur le même plan dissout les
différences préalablement posées, enchaîne les images, dans une continuité factice.
Il semblerait au contraire que la discontinuité est de mise.
L'opérateur
privilégié de cette double fonction : le connecteur. C'est lui qui à la fois cache
et montre, dilue le sens. Il cache parce qu'il n'en dit pas assez, il montre, parce que sa
présence est la marque d'une relation qui reste à définir, il dilue et masque parce
qu'il relie tout. Il est indice, embrayeur, déictique.
La
discussion des textes prend en compte ce problème complexe. Elle ajoute ou retranche,
selon les cas. La tâche n'est pas aisée. Dans le texte de Florence n°22, la mention de
la répétition du « et » amène à un certain nombre de suppressions :
le texte en devient plus clair, plus transitif, on y fait mieux la part des choses ;
les séquences se séparent ; l'écheveau est démêlé.
Le texte de
Laure, n°23, appelait à une suite : il en disait trop peu, mais aussi bien il
était paradoxal dans sa forme : il établissait, grâce au deuxième connecteur
« et » une relation entre le chat et le rat, mais justement pour dire que
cette relation était une non-relation, pour dire que le chat et le rat, protagonistes
dans le texte, n'actaient rien ensemble. La suite, élaborée par Eric puis terminée
collectivement, n'a pu tenir dans ce paradoxe exhumant le sens caché, elle en inventait
un autre marquant la relation, elle en inventait une autre.
PRAGMATIQUE,
LE JEU DES FORCES :
Le texte ne
vaut pas seulement pour lui-même. Il a un en-deçà et un au-delà. Enoncé, il renvoie
à l'énonciation, il est dire, parole de quelqu'un. Discuté, il renvoie à la
discussion, il est lieu d'échange de points de vue entre les enfants.
Il n'est
pas possible ici de parler longuement de « l'en-deçà » du texte, du rapport
que chaque enfant entretient avec son texte. Certes, on aura vu à travers les documents
présentés s'esquisser des styles. On aura aperçu la spécificité du dire de Laure,
Florence, Yvan, Betty, Sylvie, Eric, Marie-Neiges, Jean-Christophe ou Jean-Henri. Mais,
ainsi prélevés, ils ne peuvent en dire autant que le montrerait l'étude de la série
complète de laquelle ils sont issus.
Ce qui fait
série ici, c'est la discussion des textes. A travers elle, se dessinent des formes
d'intervention qui jettent une lumière sur les rapports des enfants entre eux. Au-delà
du texte, la pragmatique montre les forces agissant entre les interlocuteurs. Avec ici une
condition supplémentaire : on est sous le regard de l'auteur, il peut donc corriger,
justifier ou refuser telle extension : l'au-delà compose avec l'en-deçà.
Dans la béance des textes s'engouffrent
les désirs, les pulsions. On va ainsi tuer la baleine par une surenchère de moyens (texte n°13 : Le pêcheur et la baleine) faire écho à
l'agressivité latente pour la développer texte n°15 :
Le château hanté, où les femmes attaquent les fantômes ;
pour la retourner : le rat poursuit le chat (n°23). On va, de la même
façon, amplifier le désir d'affection, la demande de
tendresse : c'est très net dans la discussion des textes-demande de Betty et de
Florence (n°16, 19, 22, 24). D'autres fois encore l'appel sera complètement négligé :
pas de connotation agressive dans les rapports du loup et du Chinois (texte n°17),
seulement la mention de la peur et du besoin de sécurité (qu'on trouvait déjà dans les
textes de Marie-Neiges de la deuxième partie).
Se
présente aussi la nécessité de faire des choix : on va mettre en place, à propos
de la suite à inventer au texte de Laure n°23, une intéressante procédure de vote,
aussi large que possible. Main levée et bulletin secret coexistent sans se gêner. Le
report des voix montre la stratification du groupe. Eric et Florence constituent deux
pôles, qui ne sont pas exactement le pôle « garçons » et le pôle
« filles ». Surtout à cause du fait que le pôle « filles » est
mouvant, il se déforme et se reforme continuellement, il est traversé de mouvements
pulsionnels dont les textes rendent assez bien compte. Qu'on relise pour s'en convaincre
les textes des filles !
Une autre
caractéristique de la pragmatique mise en place : certains textes, et certaines remarques
des auteurs semblent être mis en place, construits en fonction de la discussion qui va
s'en suivre. Yvan, par exemple, fait des textes très courts et qui suscitent
immanquablement lorsqu'il les lit à la classe, des commentaires et des questions. Et les
réponses qu'il fait surprennent toujours : qu'on revoie les renversements qu'il opère
dans les textes sur les Martiens (n°6) ou les cosmonautes (n°21).
Logique et
affectivité s'entrecroisent. Ce qui semble être du ressort de l'affectif, en
s'approfondissant, se rationalise. A l'inverse, des textes très rationnels amènent, à
la discussion, des mouvements affectifs inattendus. Tout est affaire de niveau !
RE-INTRODUCTION
Pour
conclure, réintroduire. Reprendre le chemin suivi. L'introduction, au début, servait à
se placer dans les conditions d'écoute du document. Elle situait le paysage, la toile de
fond. Elle constituait un discours préalable. J'y exprimais mon désir, ma motivation à
la présentation des démarches ensuite montrées, Je ne savais pas exactement où
j'allais. Certes, je connaissais le document, Je croyais même le connaître trop. Je le
connaissais pour l'avoir vécu, reçu, transcrit, à chaud. Je le connaissais pour avoir
pris quelque distance par rapport à lui, m'être interrogé sur ce dont il était
porteur. Je le connaissais pour avoir, à travers lui, cherché le visage des enfants. Je
le connaissais comme véhicule d'une réflexion dynamique, porteur de marques rassurantes
d'évolutions, d'approfondissements, de progrès. Même les régressions, signifiantes, me
sécurisaient. J'aimais les remarques joyeuses, la mosaïque des évidences, l'intensité
des échanges. J'en avais exprimé, pour moi, ce que les enfants y avaient exprimé pour
eux.
Pénétrer
à nouveau son intimité. Mais il se présentait dans son entier, sa globalité, et
montrait un autre visage.
Impossible
d'être en face du document complet comme en face de chacune de ses séquences. Quelles
clés pour le discuter, le justifier ? Il fallait à la fois le suivre pas à pas,
proposition après proposition, et aussi prendre quelque hauteur pour voir les profils,
les directions, et aussi déplacer pour rapprocher. Par un dédoublement en miroir,
refaire, dans cette discussion de discussions, ce qui venait déjà d'être fait dans
celles-ci. Sur un autre registre.
J'étais
convaincu, au départ, (et je le suis encore à l'arrivée) qu'il existe une réflexion
spécifique des enfants sur la structure des phrases, une « grammaire
naturelle ». Les mots (surtout quand ils sont écrits) deviennent des objets qu'on
peut triturer comme tels, déplacer, faire bouger, disparaître, décorer, casser,
manipulations que les enfants font et même mentalisent depuis longtemps déjà. Les mots
ont leurs résistances, ils ne sont pas seulement malléables. D'où le jeu.
Ce que
j'avais aussi aperçu, c'est que de nombreux textes possédaient une structure, étaient
agencés suivant une organisation logico-spatiale, faudrait-il dire. Ce que j'avais moins
aperçu, par contre, c'est que la discussion tendait aussi à construire de la structure
là où il n'y en avait pas, là où elle était seulement ébauchée. Alors je me suis
laissé porter par ces jeux cycliques : sens structure. Etait-ce de la syntaxe (par
les jeux de places) ou de la sémantique (par les jeux de sens) ? Réversibilité,
fallait-il convenir, dialectique. On ne pouvait pas bien distinguer. Le miroir était
trompeur, déformant. Il s'agissait d'analyser une discussion qui, elle, mettait à jour,
faisait apparaître, secouait (c'est l'étymologie du mot discuter). Mais les éléments
dégagés ne s'ordonnaient pas facilement dans les catégories théoriques connues.
Heureusement,
la répétition, dans les démarches tâtonnées, n'est pas simple redite, mais
émergence, réajustements, clarification. Est apparu alors un autre niveau dans les
discussions : la pragmatique. Ces discussions sur un texte d'enfant étaient aussi
discussions entre les enfants.
Le texte devenait pré-texte à dialoguer, à répondre aux
appels qu'il adressait. Echo, amplificateur, miroir, mais aussi complément : là où
il y avait de l'affectif, on mettait de la logique, de la raison. Là où il y avait de la
raison, on débordait vers l'affectif.
« Le
texte libre, écrit P.Clanché, ne révèle pas l'affectivité. Il permet à l'enfant de
penser les affectivités ». Et la pensée, cela s'échange, se confronte.
Se
dessinait une spécificité de la discussion : discussion c'un texte, elle se
définissait par rapport à lui, lélargissant, le rationalisant, s'engouffrant dans ses
brèches, mais aussi elle se mettait à vivre d'une vie propre. Et en retour, elle en
venait même à déterminer l'écriture des textes. Elle était motivation à l'écriture,
mais aussi motivation à une certaine forme d'écriture. Mais aussi motivation à parler,
échanger, sur des formes et des thèmes. Un processus global, qui dépassait de beaucoup
sa position d'appendice du texte.
Un
processus global, reprenant l'entier de ces catégories dont parle P.Le Bohec dans la
citation suivante :
« A
mon avis, l'homme peut faire une quadruple utilisation de
tout matériau : il peut en faire un objet d'étude, un outil, un moyen de communiquer, un moyen de se projeter ».
Je constate
rétrospectivement que chaque commentaire, à la fin de chacune des trois parties, montre
à l'oeuvre ces catégories (la catégorie « pragmatique » englobant la
communication et la projection : l'usage qu'on fait du langage). La discussion,
processus global et totalisant, articule en un même mouvement toutes les catégories du
faire sur ce matériau initial : le texte. Libre, elle avance dans la foulée
grammaire, vocabulaire, mais aussi réflexion logique, imagination, dynamique de groupe.
Alors, il
convient de reconnaître à la discussion du texte, comme moment de la socialisation de
celui-ci, la place qui lui revient. Elle est le lieu de l'ancrage de l'expression libre
dans le milieu qui la vivifie et la conforte. Elle ferme la boucle de l'expression /
communication, tout en avançant son ouverture propre, porteuse des futures avancées, des
futures découvertes. Reconnaissons-la au moment de son déploiement, observons-la dans
son lieu.
texte
libre
discussion
Et redisons
comme le fait R. Laffitte (L'Educateur n°9 du 5/79) : « A la limite,
l'expression libre n'est rien sans le milieu qui l'accueille et lui permet de s'ancrer sur
un mode symbolique, dans un complexe matériel, humain et institutionnel ».
Tout en convenant que ce « rien » ou « presque rien » de l'expression libre constitue notre sol pédagogique primordial, la matérialité signifiante pour toute démarche collective ou individuelle ultérieure, on pourrait sans doute compléter la citation ci-dessus en ajoutant que les enfants eux-mêmes créent leur propre milieu, même s'ils le trouvent dans des conditions données.
Une
conclusion logique des développements d'une recherche, serait de rapporter mes
commentaires à la pratique vivante et active de la pédagogie Freinet, telle qu'elle
existe dans les travaux, les publications, les discussions de commissions.
Pour cela,
j'avais recueilli des citations dans des publications assez récentes de L'Educateur, et
dans le livre de Clanché :
« Le
texte libre, écriture des enfants ». Cette moisson, je l'avais faite pour pouvoir
situer ma recherche, m'appuyer sur des paroles existantes en critiquant certaines, ou,
plus encore, en me critiquant par rapport à elles.
Pourtant,
maintenant, je ne sens plus le désir d'opérer une telle synthèse. Je laisserai plutôt
chacun la faire pour lui-même, s'il en a encore le courage. Malignant sur les
enfants, je laisserai à ce travail une forme ouverte, dans laquelle, je l'espère,
s'engouffreront quelques discussions et remarques. Mon mimétisme avec les productions
enfantines sera total : j'ai produit un texte à mon tour, je le sais ouvert,
intransitif. Peut-être en discuterez-vous ? Peut-être, un jour, pourra-t-on
transcrire aussi les discussions sur ce texte ? Les citations ci-dessous
aideront-elles à ces regards divers ?
*
Chez
l'enfant jeune, il n'y a pas d'un côté l'écriture transitive et de l'autre l'écriture
intransitive : les deux sont mêlées. L'enfant écrit tout autant pour écrire que
pour écrire quelque chose.
Clanché, p. 214
*
Avec le
texte libre, la transitivité quitte le devant de la scène, ou plus exactement elle est
subordonnée à la littérarité. En effet nous considérons la littérarité d'un texte
comme la part d'intransitivité contenue en lui, ce par quoi l'enfant n'est pas seulement
écrivant, mais écrivain.
Clanché, p. 215
*
A mon avis,
et cette opinion n'est pas gratuite, il y a une chose que les gens ont beaucoup de mal à
comprendre : c'est que le langage n'est pas d'abord un moyen de communication.
M. Halle, cité par Clanché
*
C'est
surtout la forme dans laquelle sont présentées les alternatives qui rend conscient des
différences, qui oblige à voir les contradictions, qui fait prendre conscience des
« règles » de raisonnement, qui contraint à élaborer une telle
« logique ». Et cette forme est fonction du mode écrit ou littéraire
d'expression. Pourquoi ? Parce que, quand un énoncé est mis par écrit, il peut
être examiné bien plus en détail, manipulé en tous sens, extrait ou non de son
contexte, pris comme un tout ou décomposé en éléments. Autrement dit, il peut être
soumis à un tout autre type d'analyse et de critique qu'un énoncé purement verbal. Le
discours ne dépend plus d'une « circonstance » : il devient intemporel.
Il n'est plus solidaire d'une personne ; mis sur papier, il devient plus abstrait,
plus dépersonnalisé.
J. Goody : La raison graphique - Ed. de Minuit
*
S'agissant
de l'entraînement à la production de textes écrits, il faut donc renoncer à
l'opposition communication/expression, ou message utilitaire/ message personnel. La vraie
question est celle de la visée du message : pour qui et pourquoi est-ce que
j'écris ? En d'autres termes : à qui, à quel récepteur mon texte est-il
destiné et quelles raisons ai-je de l'écrire ?
L'Educateur n°6 du 20/12/76
A propos de la publication de : J'écris tout seul
*
Nous serons constamment attentifs à ne
pas détruire le langage spontané de l'enfant, à
ne pas le culpabiliser. Nous essaierons de ne pas
appuyer nos travaux d'apprentissage de la langue « formelle » sur ce qu'on appelle couramment les fautes, les
incorrections de la langue spontanée de l'enfant. Cette résolution pose des problèmes
extrêmement complexes car il est plus facile de faire un discours sur ce sujet que de l'inscrire dans la
pratique.
·
Il faut que l'enfant puisse construire la langue formelle qu'il
va utiliser, sur son propre matériau (ou/et sur le matériau fourni par le groupe-classe
dans lequel il vit).
·
L'enfant essaie, à l'école surtout, de percevoir puis de
produire la langue formelle. Notre premier travail (et lorsqu'il le peut, le sien aussi)
est l'observation de ses productions, en en conservant les faits importants, puis le
classement, afin de se constituer une réserve (un corpus) accrochée à un vécu. C'est
sur cette base qu'on pourra prendre conscience de certains faits de langue et/ou
programmer un travail pour faciliter l'appropriation de cette langue formelle.
·
La constitution d'un corpus d'énoncés de l'enfant ou de ses
camarades, sur un même problème, permettra par un retour et une observation des
phénomènes produits, une prise de conscience de fonctionnement de la langue.
Si
l'existence du classeur doit faciliter la réflexion sur la langue, les problèmes de
classement ne doivent pas précéder la réflexion de l'enfant, sa perception du problème
posé.
L'Educateur n°4 - 10/11/75
Orientations de travail de la Commission français
*
Pratiquer
le texte libre, c'est donner le droit à l'enfant de communiquer sa production, d'être
entendu, écouté, lu. C'est de mettre en place, progressivement dans le groupe et avec
lui, un réseau de communication et d'échange, véritable institution qui facilite
l'accueil de cette parole. Les textes sont lus aux autres, enregistrés, imprimés sur le
journal, envoyés aux correspondants et peuvent également servir à favoriser les
apprentissages. C'est dans ce processus que sont assumés les tensions et les conflits,
les problèmes individuels ou collectifs des enfants et/ou du maître qui naissent
inévitablement de la pratique quotidienne du texte libre.
L'Educateur
n°8 - 30/12/78
Editorial
*
Oui,
actuellement, dans un certain nombre de classes Freinet, existe un divorce entre le
jaillissement de l'expression libre et les apprentissages scolaires : grammaire,
langue formelle, lecture, orthographe, conjugaison en particulier.
Alors on y
trouve l'heure du texte libre et l'heure de l'orthographe, l'heure du théâtre libre et
l'heure de la grammaire, l'heure de la correspondance enfantine et l'heure du texte
d'auteur. Comme si tous ceux qui écrivent n'étaient pas des auteurs ! Comme si l'un
n'avait pas constamment besoin de l'autre, les uns des autres ! Bien sûr, il nous
faut dépasser la pédagogie de Freinet, mais pas à reculons !
Freinet,
lui, a le grand mérite de modifier profondément le contenu même de l'acte
scolaire : l'enfant vivant y prend la place des écrits morts de l'adulte. Et de le
réconcilier avec les apprentissages en les faisant se chevaucher sans cesse par les
techniques de travail que sont le texte libre et la coopération scolaire, l'imprimerie et
la correspondance jusqu'à en faire des milieux de vie.
« Nous
avons à peine besoin de dire quels avantages supérieurs nous vaut la mise au point en
commun du texte choisi : elle constitue le plus fructueux des exercices de
composition de grammaire et de syntaxe. Là, nous malaxons vraiment tous ensemble la
langue française, nous la décortiquons pour la remonter ensuite ; nous vivons la
rédaction et, sans aucune définition, sans explication théorique, nous réalisons le
plus efficace des exercices de français.
Et surtout,
par cette technique, nous assurons les bases définitives de notre enseignement sur la vie
de l'enfant dans son milieu, sur son affectivité, sur tout ce qu'il porte en lui de
créateur et de dynamique, d'intelligent et d'humain. Nous supprimons les hiatus entre la
culture empirique familiale et sociale et la culture scolaire froide, impersonnelle,
faussement scientifique ; nous rétablissons chez les enfants - et chez les éducateurs
aussi - une unité de vie qui est bien peut-être en définitive l'essentiel de l'apport
de nos techniques au devenir des enfants » (C. Freinet, B.E.M. n°3).
L'Educateur n°3 - 20/10/76
P.Hétier : Comment je travaille dans ma classe - Texte
libre et apprentissages
*
·
Pour l'enfant, c'est le sens qui importe, beaucoup plus que la
structure !
·
Pratiquant sa langue (à l'oral, à l'écrit), l'enfant est
forcément grammairien.
·
Deux types de travaux seraient intéressants :
1) Avoir
(faire !) une grammaire du langage de l'enfant scolarisé (des études ont été
faites sur ce sujet par des chercheurs américains sur le langage de l'enfant de deux à
quatre ans). J'entends une grammaire de la langue écrite car je crois que, très vite, il
y a peu de différences à l'oral avec l'adulte (les différences étant entre les milieux
sociaux).
2) Faire
une grammaire à la fois scientifique (enseignant sur le fonctionnement de la langue) et
pédagogique (nous permettant de comprendre le fonctionnement de la langue de l'enfant).
L'Educateur n°14 - 30/5/78
M. Bénistant : Tâtonnement expérimental en
grammaireorthographe.
*
Les
pratiques de la pédagogie Freinet tendraient à faciliter les passages de la langue
réelle à la langue normative, mais en préservant toujours la vie de cette langue
réelle en en faisant le matériau de base des apprentissages linguistiques. Mais il
semble que cet effort n'aboutira à redonner le pouvoir à la langue réelle que s'il est
soutenu par une théorisation greffée sur la pratique. Théorisation qui ne pourra se
faire que si le Mouvement veut bien se donner la peine de modifier la direction de son
regard encore figé sur la langue normative en le portant sur l'observation constante de
la langue réelle de l'enfant : il ne suffira plus de la laisser fonctionner, mais il
faudra en recueillir patiemment les énoncés, les classes, chercher ensemble les lois de
leur fonctionnement et tirer de ces multiples observations une théorie de l'apprentissage
de la langue.
Perspectives d'Education Populaire