Collection
n°1 C.FREINET Le tâtonnement expérimental
----EDITIONS DE L'ECOLE MODERNE -- HORS COMMERCE ---- |
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INSTITUT FREINET 06- VENCE Vence, le 2 février 1966 CIRCULAIRE AUX MEMBRES CORRESPONDANTS DE LINSTITUT FREINET
Cher correspondant,
Nous avons annoncé, parmi les tâches de linstitut, et outre les Annales dont
nous venons de sortir le n°2, lédition polygraphiée hors commerce de documents de
lInstitut destinés à nous informer, à susciter et à nourrir nos discussions. Quelques-uns
de ces documents pourront ensuite être repris par des éditeurs qui en envisageraient la
publication.
Nous vous adressons donc ci-joint notre premier document « LE TATONNEMENT
EXPERIMENTAL » de C. FREINET. Cette étude nest pour ainsi dire que le
squelette du livre complet qui sera mis au point à la suite justement des discussions
suscitées par ce document. En effet DELACHAUX ET NIESTLE a en mains la première partie
du livre « ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE » qui doit paraître à Pâques. Ce
nest quaprès que nous pourrons donner le TATONNEMENT EXPERIMENTAL, ce qui
nous donne un peu de répit.
Jai cru bon de donner dès maintenant cet abrégé car je considère cette
théorie du Tâtonnement Expérimental comme la clé de voûte de notre pédagogie.
Quiconque a compris et adopté ce principe peut se lancer en toute sécurité dans notre
pédagogie. Il en détient le fil dAriane.
Cest pourquoi il est nécessaire à mon avis que nous fassions porter nos
discussions non plus sur les données accessoires où nous attendent dordinaire nos
contradicteurs mais sur le principe essentiel qui sous-tend tout le reste.
Nous sommes prêts à faire de gros sacrifices pour le travail culturel entrepris,
mais nous ne pouvons faire le service de nos DOCUMENTS quà ceux qui désirent
travailler avec nous. Nous vous en offrons une première occasion. Je souhaite dons que
vous soyez nombreux après lecture à me donner votre point de vue critique en me
signalant notamment les points obscures, en discutant les principes que nous énonçons et
qui ne vous semblent peut-être pas justes. Vous nous aidez à opérer les mises au point
nécessaires avant lédition définitive.
Ce DOCUMENT, comme ceux qui paraîtront ultérieuRment, nest pas mis en
vente. Mais si vous connaissez une personnalité susceptible de sintéresser à
cette étude et de nous aider dans le travail qui suivra, cest bien volontiers que
nous lui enverrons ce document. A
vous lire donc.
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TECHNIQUE ET JUSTIFICATION DU TATONNEMENT EXPERIMENTAL Si nous travaillions, psychologiquement et pédagogiquement, dans
un milieu simple et cierge, non perturbé par des pratiques ancestrales erronées, où les
explications expérimentales que nous avons données pourraient être examinées sans a
priori, dans ce seul souci de logique et de con sens qui leur a donné naissance, il nous
suffirait daller de lavant sur la même lancée, pour aborder le complexe
psychologique, philosophique, psychique, technique et social du comportement vital des
individus de la naissance à la mort, dans les situations diverses où ils peuvent se
trouver, pour en déduire une méthode déducation et de culture optimum. Ce sera lobjet dune étude à venir[1],
quand nous aurons mieux assis une conception nouvelle, qui est dautant plus
difficile à acclimater quelle se prétend simple et pratique. Dans ce domaine en effet de létude de la personnalité,
nous nous heurtons à une infinité de conceptions théoriques, de méthodes et se
systèmes intellectuellement empiriques, dont les principes et les lois ont été fixés,
et sont à chaque période renforcés par la plus imposantes chaîne de professeurs et de
savants, dont les idées ne sauraient, semble-t-il, être contestées.
Nous osons les contester, non pas dabord au nom de la théorie, mais de
lexpérience et de la vie. Nous avons comme excuse et comme motif que
si la théorie a peut-être progressé, la
connaissance de lenfant en reste à ses balbutiements ; que la science
psychologiques est loin davoir trouvé ses assises et que toutes les constructions
idéalement abstraites des spécialistes nempêchent pas que la pédagogie retarde
de cent ans sur lévolution technique du monde contemporain.
Educateurs soucieux dun meilleur rendement de nos efforts, nous nous sommes
trouvés devant le néant, ou à peu près. Il nous a fallu innover pour nous arracher à
une routine qui était la loi de lEcole ; et, ce faisant, nous avons été
amenés à mesurer la fragilité et parfois lerreur des principes sur lesquelles
vivait, ou plutôt mourait notre pédagogie.
Avec notre simple bon sens, avec lingénuité de nos expériences vivantes,
forts maintenant de ladhésions de milliers décoles et de millions
denfants, nous nous attaquons, nous le savons, à un colosse qui saura se défendre
et ne nous ménagera pas les coups. Mais nous savons quil y a aujourdhui dans
le personnel enseignant et parmi les parents délèves une imposante minorité
dhommes et de femmes inquiets devant le drame dont ils souffrent et conscients de
lurgence des problèmes que nous abordons.
La vérité triomphe lentement de lerreur jusquà devenir
explosive. Les temps de cette explosion sont peut-être plus proches quon ne
croit. Notre mérite sera au moins dy avoir hardiment contribué.
Mais le dialogue que nous amorçons avec nos lecteurs ne sera efficace que
sils parviennent à se dépouiller du vieil esprit traditionnellement dogmatique,
pour aborder nos arguments, nous ne disons pas avec sympathie, ce qui serait demander dès
labord une position da priori, mais objectivement, scientifiquement et
humainement.
Nous leur demanderons dadmettre que les théories psychologiques et
pédagogiques actuellement enseignées et admises , et quels que soient leurs auteurs
ou leurs défenseurs, ne sont pas forcément
intangibles et que, en une période qui se caractérise par une sorte de reconsidération
générale des acquisitions humaines la recherche apparaîtra toujours comme non orthodoxe, et parfois même
comme iconoclaste. Mais nos lecteurs considèrent, en praticiens, et en usagers,
quune théorie nest valable que si son application la justifie et que le monde
actuel se construit globalement, non plus comme naguère par la vanité des mains blanches
mais par la volonté hardie des doigts intelligents et des têtes chercheuses.
Il ne sagit pas de croire à la psychologie
que nous enseignons mais de nous aider à en vérifier les données pour
quelle serve mieux encore la pédagogie. - & - [1] LEssai de psychologie sensible appliqué à léducation, actuellement épuisé, comporte déjà lessentiel de cette étude que nous reprendrons en lactualisant (1966) A paru depuis en deux tomes chez Delachaux-Niestlé. Le premier tome du vivant de Freinet, le second tome après sa mort et sans les remaniements annoncés. (1976) |
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LE MONDE
PROGRESSE DANS LA MESURE OU ON AMELIORE LES TECHNIQUES DAPPRENTISSAGE
Cest une vérité évidente et de bon sens. Ce nest que si les
générations qui sécoulent sont capables de transmettre à ceux qui les suivent,
vivace et actif, le flambeau de la vie, que la course pourra continuer avec un maximum
defficience, vers la progression de la vie et le progrès.
Si lapprentissage est mal conçu, si ceux qui savent ne parviennent pas à
livrer les secrets de leurs connaissances, si les nouveaux venus ne peuvent
sapproprier lhéritage, il se produit comme des hiatus et des pannes
retardateurs dans la marche en avant.
Dans la mesure, en effet, où nous ne possédons pas de théorie valable de
lapprentissage, il reste aux intéressés la seule possibilité de se débrouiller
eux-mêmes, selon leurs possibilités personnelles, ou au hasard des tours de mains appris
empiriquement. « Si apprendre reste un mystère[1], il paraît impossible
quenseigner soit autre chose quun art ». Et seuls quelques individus
exceptionnels sont capables daborder en artistes le problème denseigner. Le
départ de toute pédagogie systématique devrait être une psychologie de
lapprentissage
Mais la psychologie de lapprentissage en est encore à
ses premiers pas.
Cest le paradoxe auquel nous avons dû nous-mêmes chercher une
solution : les éducateurs sont, parmi les travailleurs[2],
les seuls à uvrer sans méthode éprouvée dapprentissage.
Du moins les méthodes employées jusquà ce jour se sont révélées à
lusage totalement inefficientes. Pour nous sortir de cette ère de lartisanat
qui ne procède que par tradition et tours de mains, nous avons dû nous-mêmes chercher
expérimentalement une technique dapprentissage qui nous permette un meilleur
travail. Cest cette technique, basée sur les méthodes naturelles par tâtonnement
expérimental, dont nous allons présenter le mécanisme et le déroulement. - & -
Le Tâtonnement Expérimental, tel que nous en avons découvert lorigine et
les processus, peut-il vraiment être à la base dune nouvelle conception de
lapprentissage, plus efficiente que celle, soi-disant scientifique que nous
appellerons traditionnelle ?
Cest ce que nous voudrions dabord expliquer et justifier. - & -
Dans toutes nos recherches, nous nous sommes appuyés surtout sur le bon sens.
Or, que dit ce bon sens ?
Dabord, que nulle part au monde, les enfants napprennent à parler
comme on leur apprend à lire à lEcole.
Au regard de la théorie scolastique, lapprentissage naturel ne serait ni
méthodique ni scientifique et cest pourquoi lEcole ne saurait sen
accommoder. On vous dira que les enfants ne peuvent ni lire ni écrire sils ne
connaissant pas les signes à employer, les lettres, les mots et les phrases, avec les
règles qui permettent de les ajuster et de les combiner. Et ce raisonnement apparemment
scientifique vous paraît logique.
Or, voilà que les mamans, toutes les mamans du monde, apprennent à parler à
leurs enfants par une méthode naturelle sans exercices systématiques, sans leçons, sans
règles, simplement par le Tâtonnement Expérimental tel que nous lavons défini,
au service de la vie. Et le résultat de cette méthode naturelle est une si totale
réussite que nul ne sest jamais avisé de la remplacer par une méthode
scolastique. Et, aujourdhui encore, la maman-institutrice qui, dans sa classe,
entonne consciencieusement le r-i-ri, ou qui, si elle se croit progressiste, sessaye
à la méthode globale, ne risque pas
dinnover avec ses propres enfants qui apprennent à parler comme apprennent tous les
enfants par Tâtonnement Expérimental.
Et la méthode des mamans est dune efficience à 100 %. En un an, deux ans,
trois ans, tous les enfants du monde apprennent à parler à la perfection la langue de
leurs parents, si difficile quelle soit.
LEcole prend ces enfants à 4 5 ans, sachant parler et, en dix ans de
sa méthode, elle ne parvient pas à les munir de la correction parfaite dans
lécriture et la lecture de cette même langue.
Navez-vous jamais réfléchi à cette anomalie, et ne pensez-vous pas que si
les résultats sont tels, cest que la méthode employée est manifestement
mauvaise ?
Le miracle se renouvelle dailleurs avec lapprentissage de la marche.
Croyez-vous que vos enfants apprendraient à marcher en un temps normal si vous
leur appliquiez vos méthodes scolaires soi-disant scientifiques ? Et
nêtes-vous pas étonnés de constater que toutes les expériences de tous les
Instituts spécialisés du monde naient pas encore incité quelques parents
ne serait-ce que parmi les psychologues et les pédagogues en renom à essayer une
fois au moins avec leurs propres enfants, ne serait-ce quà titre expérimental,
lapprentissage rationnel de la marche ? Sil y a eu peut-être quelques
essais, léchec en a été sans doute si total que nul na voulu recommencer
lexpérience.
Il y a là une sorte de test permanent, dont on tait volontiers les enseignements,
et dont la signification devrait être décisive.
Et pourtant la masse des usagers ne semble par y être normalement sensible.
- Nos élèves, disent les scientifiques, apprennent cependant bien à lire et à
écrire dans nos classes avec des méthodes « qui ont fait leurs preuves »,
même si elles ne donnent pas à 100 %.
Il y a là une illusion et une erreur.
Dabord la méthode scolastique nest jamais employée intégralement.
Elle est toujours aidée et replacée avec ou malgré lEcole dans le
complexe de la vie, et cela par les enfants eux-mêmes.
Vous enseignez la lecture à vos enfants en partant de Riri a ri ou Domi
lira. Mais il nest pas en votre pouvoir et vous ne le souhaiteriez pas
dailleurs- disoler ces vocables, ou ces jeux de syllabes et de mors de la vie
complexe et envahissante des enfants. Pour eux, Domi lira ne signifie rien dès
labord, mais ils nen répèteront pas moins les mots ainsi appris
mécaniquement jusquà les intégrer à leur façon dans leur complexe de vie. Et de
ce fait, votre méthode scolastique se colore malgré vous dune teinte affective qui
en modifie les données et en améliore lefficience.
Nous citons souvent, pour expliquer cette activation naturelle dune méthode
passive, lexemple typique, et pur pourrions-nous dire, du professeur
denseignement technique qui prétend par la méthode traditionnelle apparemment
scientifique, enseigner à ses élèves comment on monte à bicyclette.
- Dabord, explique-t-il et il le croit, même si la pratique contrarie
sa croyance , vous ne pourrez pas
monter convenablement à bicyclette si vous ne connaissez pas en détail votre machine, si
vous nêtes pas initié au jeu des pédales et des pignons. « Nous allons donc, annonce-t-il, mettre notre machine sur
cale pour faciliter lexercice, sans risque. Nous la démonterons et la remonterons
ensemble jusquà ce que vous soyez parfaitement familiarisés avec son mécanisme.
Il faudra ensuite penser à léquilibre. Nous vous en dirons les principes
scientifiques au fur et à mesure que vous poursuivrez votre apprentissage sur cale.
Et quand cet enseignement méthodique sera terminé, nous vous lancerons sur la
route avec un vrai vélo
»
Et contrairement à ce que pourrait supposer le lecteur, lépreuve est
décisive. Tous les élèves savent alors rouler à vélo, ce qui apparaît comme la
consécration dune méthode.
Et pourtant lexpérience ne serait pas scientifiquement valable. Il faudrait,
en effet, pour la mener objectivement, procéder avec des enfants nayant jamais vu
de vélo rouler sur route, nayant jamais aperçu dautres enfants enfourcher
leur machine, et à qui vous apprendriez alors, par votre méthode scolastiques, à monter
à vélo.
Tous les éducateurs savent davance que ce serait un échec total : ce
nest pas par les leçons, les démonstrations et les explications théoriques
quon apprend à monter à vélo, mais en montant à vélo par Tâtonnement
Expérimental.
Mais alors, que sest-il donc passé à lEcole ? Ce qui se passe
avec toutes les leçons scolastiques : il y a dune part lEcole, et,
dautre part, la vie.
Cet enfant qui vous a distraitement écouté pendant une heure détailler les
pièces du vélo ou expliquer le principe de léquilibre sur deux roues, quitte
lEcole. La vie le ressaisit dès le seuil avec ses pratiques non scolastiques, dan,s
un monde différent où lexpérience reprend naturellement ses droits.
Il voit au bord du fossé un vélo sans emploi. Il a aussitôt les réactions de
tous les enfants en face dun vélo : il jette un coup dil aux
environs pour sassurer que le propriétaire est absent, et, selon la technique de
tous les enfants maîtres dun vélo, il part vers une descente, non sans avoir
mesuré dun coup dil où il ira séchouer.
Naturellement, cest le fossé qui larrête.
Il se relève, sessuie un instant, ramène le vélo au sommet et recommence
lexpérience. Au bout dun nombre réduit d essais semblables,
lenfant roule avec succès sur la route. Les leçons du maître ne sont pour rien
dans cette aventure. Tout au plus auraient-elles pu la compromettre si lenfant
navait fait, dans sa tête, le vide scolaire pour se consacrer exclusivement à son
Tâtonnement Expérimental souverain.
Mais le professeur ferme obstinément les yeux sur la vie et se persuade, et essaie
de persuader les autres que cest la science seule qui lui a valu ce succès à 100
%. Les statistiques en feront foi. - & -
Il en est de même pour le Calcul.
Le professeur lenseigne méthodiquement, en allant, comme il se doit, du
simple au complexe, lenfant ne devant étudier le nombre 101 que lorsquil sera
familiarisé totalement avec les nombres à deux chiffres. Et cela réussit dans 50 % des
cas, les 50 autres pour cent étant les allergiques à cette forme dapprentissage du
Calcul, que lEcole relèguera volontiers parmi les cancres. Les premiers, par
contre, ont apparemment réussi parce que, malgré les leçons quils ont subies, ils
ont su habilement intégrer lenseignement scolaire aux acquisitions normales de la
vis, et que ce sont celles-ci, faites exclusivement par Tâtonnement Expérimental, qui
donnent une efficience factice aux méthodes scolastiques.
Quant à ceux qui se sont laissé dominer par la scolastique, ils constituent
limmense armée des enfants qui sont parvenus peut-être à acquérir une certaine
mécanique, mais qui ne comprennent rien au calcul.
Si vous pénétrez quelque peu dans lintimité de leur vie, vous vous rendrez
compte quil y a en réalité chez eux comme deux compartiments qui ne sont pas
parvenus à sinterpénétrer : celui de lEcole et celui de la vie. Ils
admettent sans sourciller quil résulte dun calcul scolaire quune auto
vaut 17.538.000 AF. Les chiffres le disent, et cela ne les émeut pas. Mais, si vous les
ramenez à la réalité, ils se secoueront comme sils sortaient dun rêve pour
dire, entendus : « Mais bien sûr, une 404 vaut 975.000 AF. » (en 1966)
Ces observations nous ramènent à cette question majeure quand il sagit
dapprentissage : le rendement, moyen peut-être sil sagit de la
scolastique, 5 % quand ce nest pas négatif, sil sagit de
lapprentissage intelligent seul valable. - & -
Il résulte de ces considérations quil nous serait facile de généraliser
que quelque chose ne va pas dans les méthodes traditionnelles, que les mécanismes, même
sils fonctionnent sous lautorité de grands noms, sont faussés dans leurs
principes même, et que ce nest que par une sorte dincroyable aberration
collective quon a pu unanimement fermer les yeux sur cette réalité qui est à la
base même de léchec actuel de lEcole.
Le Roi porte couronne, ou tiare, et
tout le monde se prosterne. Dailleurs, nul ne franchira la porte des parlais
sil ne consent à encenser lautorité et à la servir.
Si nous parvenions ensemble à dépouiller un jour cette autorité de ses oripeaux
et de ses parchemins ; si nous voyions enfin le Roi NU, avec ses faiblesses et ses
erreurs, peu-être alors pourrions-nous réagir avec plus defficience.
Les premiers dans la pédagogie contemporaine, nous avons abandonné le sillage
confortable de la scolastique, et nous nous sommes mis à lEcole des Mamans en
introduisant une forme nouvelle dapprentissage, basée sur le Tâtonnement
Expérimental dont nous avons expliqué le processus, et qui prend exactement le
contre-pied de la méthode par leçons et exercices méthodiques couramment pratiquée.
Cest en somme laspect polémique du problème dont nous avons dit les
fondements que nous allons aborder maintenant. Les explications psychologiques et
pédagogiques que nous avons données, si simples et si convaincantes soient-elles, ne
suffisent pas en loccurrence. Il fait nous attaquer directement à ce qui est, en
montrer tout à la fois linconséquence et linsuffisance, confronter les
théories et les pratiques, montrer surtout que, à lère dune pédagogie
permanente et démocratique, il nest pas possible daccepter cette dualité
dorigine et de destin dune éducation qui est une, ou qui ne sera pas. |
TOUT ,
DANS LA VIE, SE FAIT PAR TATONNEMENT EXPERIME NTAL.
Si cela est, - et cest ce que nous allons démontrer par les faits- la
méthode scolastique dévoile elle-même son illogisme, et se condamne en sisolant
de la vie.
Il ne fait pas de doute quil ne saurait y avoir deux formes
dapprentissage, lune pour lEcole, lautre pour la vie. Si une
théorie est bonne, elle est forcément valable dans tous les cas. Cest cette
épreuve que nous estimons décisive. 1°
Ceux qui font métier denseigner nagissent jamais, hors de lEcole, selon
les théories pseudo-scientifiques quils pratiquent à lEcole. a) La maman-institutrice qui enseigne à ses élèves les
éléments de lécriture, de la lecture et du calcul, cesse absolument toutes
leçons et tous exercices dès quelle revient dans sa famille.
Elle ne risque pas de dire à ses enfants, comme elle le ferait à
lEcole : « Asseyez-vous, regardez et écoutez. Je vais vous expliquer
comment on épluche une orange, comme on se tient à table ou comment on monte un
escalier. Attention ! et faites bien les exercices que je vais vous indiquer. »
Non, léducatrice sent dinstinct quil y a là comme un
anachronisme anormal, incompatible avec latmosphère de la famille. Ou bien alors,
il faudrait que la famille ressemble à
lEcole, avec des bancs alignés, des tableaux, de la passivité et du silence, ce
qui, tout le monde le sait, serait tout simplement monstrueux.
Cest en travaillant et en vivant que lenfant séduque dans sa
famille. Les parents sentent eux-mêmes quil ny a pas dautre voie. Mais
quand ils échouent, ils en viennent à douter parfois de lefficacité de leur
apprentissage et ont recours alors à des pratiques quon leur suggère et qui, par
les admonestations, les reproches, lautorité excessive et les punitions, les
conduisent à une ordre formel masquant le désarroi définitif dune éducation
ratée.
b) Le professeur « professe » dans son cours de bonnes leçons
théoriques et méthodiques, où toutes choses commencent par le commencement, et
sagencent ensuite, et se développent selon une logique que rien ne dément. Mais
quand il quitte sa classe et quil tombe en panne avec son auto, il ne risque pas
demployer la même méthode scientifique pour déceler la panne. Instinctivement,
naturellement, il procède comme tous les conducteurs en panne, et comme tous les
mécaniciens réducteurs de panne, par Tâtonnement Expérimental exclusivement : il
tire son démarreur pour essayer, y ajoute le starter ; vérifie sil y a de
lessence, repousse le starter, tire sur le démarreur en appuyant à fond sur
laccélérateur, puis sans appuyer. Le moteur ne parle pas. Lhomme soulève le
capot, vérifie larrivée de l essence, contrôle le fonctionnement des
bougies, revisse et essaie à nouveau le démarreur. A défaut, on poussera lauto à
la descente pour essayer.
Ce tâtonnement peut durer des heures, parfois des journées entières, tous les
automobilistes qui ont attendu dans un garage le résultat du tâtonnement des apprentis
le savent
par expérience.
Les mécaniciens eux-mêmes procèdent ainsi. Seulement, plus riches
dexpériences, ils savent mieux déduire, dun bruit ou dun
cliquettement, les possibilités dune intervention efficace.
Avez-vous vu par hasard le mécanicien à qui vous amenez votre auto poussive,
prendre un livre à larticle 403 et vous dire avec autorité :
« Daprès la panne signalée, voici le remède méthodique ». Sil
en était ainsi, il y a longtemps que serait éteinte la corporation des mécaniciens.
c) Et le professeur de sciences apprend-il à conduire une auto selon les principes
mêmes de sa pédagogie scolastique ? Apparemment oui, car le professeur
dauto-école lenseigne méthodiquement : dabord mettre en route,
puis passer une vitesse, puis démarrer, puis débrayer, et ainsi de suite, tout cela
assorti dailleurs dune théorie à apprendre par cur.
Seulement, cette pédagogie, comme toute pédagogie scolastique, ne vise pas à
bien conduire lauto, mais seulement à réussir à lexamen. Mais tout le monde
sait bien que le conducteur qui a son permis nen est pas moins quun apprenti
conducteur. On lui a seulement ouvert la porte pour quil puisse pratiquer
officiellement le Tâtonnement Expérimental qui fera de lui un conducteur expert. Et
cest pourquoi on ne s aventure pas volontiers avec un chauffeur qui vient
davoir son permis.
Pour savoir conduire, comme pour savoir marcher, il faut conduire. Cest à
même la conduite que sacquiert cette notion exclusivement intuitive de
lempattement de lauto, le fait que lorsquon roule, comme lorsquon
marche dans une foule, on sent le voisin quon frôle de justesse sans le bousculer,
ou quon mesure dun coup dil avec précision lespace dont on
a besoin pour passer sans encombre. Cest en conduisant quon acquiert la
technique du coup de frein progressif, quon sent le moteur qui peine et dont il faut
rétablir le régime par un changement de vitesse.
Tous ces gestes, toutes ces sensations ne peuvent absolument pas sacquérir
par aucun procédé statique. Cest par le mouvement quon prépare au
mouvement.
Chez le débutant conducteur, aucun geste nest encore passé dans
lautomatisme : il est comme lenfant qui doit calculer tous les mouvements
de ses premiers pas. Et cela lui demande une telle tension desprit quil sera
bien vite obligé de sarrêter pour se reposer. Sil change sa vitesse, il en
oublie du même coup les gestes indispensables qui agissent imperceptiblement sur le
volant.
Il saura conduire, comme il sait marcher, quand il pourra rouler, parler et
discuter, comme si la mécanique était vraiment le prolongement naturel de sa mécanique
interne.
Dans cet apprentissage, la scolastique, la connaissance méthodique des mécanismes
ne peuvent que nuire à lapprentissage. Si vous pensez aux mouvements de piston de
votre moteur, vous faites comme le cycliste débutant qui regarde la roue : vous
allez dans le fossé.
Aucun doute ici : la méthode scolastique dapprentissage nest
absolument pas valable pour la conduite de lauto, et cest sans doute pourquoi
les intellectuels endurcis, qui prétendrent connaître avant dagir, ne parviennent
plus à conduite une auto, sils nen ont fait, étant jeunes,
lapprentissage naturel.
c) Est-ce par la méthode
scolastique que vous apprendrez à faire du ski ?
Nous avons vu cette méthode en application dans une école de neige. Le professeur
tenait à cur denseigner méthodiquement ses quinze élèves qui, pieds dans
la neige, attendaient avec impatience daffronter la piste.
Mais les enfants ne pouvaient se lancer en ski que sils savaient
davance comment procéder. Alors le professeur montrait et expliquait les uns après
les autres les mouvements à exécuter. Chaque élève passait à tour de rôle, venait
répéter lexercice pendant que les autres continuaient à piétiner.
Et le professeur pouvait dire lui aussi : « Voyez ! Mes élèves
savent aller en ski ».
Ce nétait pas sa faute à lui. Tout au plus aurait-on pu se demander si ces
mêmes élèves nauraient pas mieux appris, et plus vite, sils navaient
été gênés au départ par la scolastique, ce qui serait dans ce domaine aussi la
condamnation technique dune méthode dapprentissage.
Cela ne veut pas dire dailleurs que léducateur doive sabstenir
dintervenir, se contentant de laisser faire. A
u
contraire : on a vu dans la partie théorique que le Tâtonnement Expérimental ne
peut fonctionner avec un maximum de rendement que sil y a collaboration, exemple et
aide du maître à lexclusion de toutes leçons et exercices obligatoires,
contraires aux principes mêmes de la croissance normale des individus.
Le Tâtonnement Expérimental à la base de notre pédagogie suppose une Part du
Maître quElise Freinet sest appliquée à définir avec une géniale mais
naturelle intuition. Le geste qui sinscrira dans le processus du Tâtonnement
Expérimental ne senseigne jamais statiquement. Cest quand lenfant
sentête à monter lescalier quon peut ly aider discrètement mais
utilement. Cest à même son propre effort quil rajuste à don comportement
leffort et lexemple des autres.
Un simple mot, un geste du professeur orientent dune façon décisive
lélève skieur en train de mesurer ses gestes par Tâtonnement Expérimental.
Lapprenti conducteur dauto qui a peine à démarrer et à passer se vitesses
sera particulièrement sensible à la leçon pratique du professeur qui, sans dire un mot,
montre le chemin royal de la réussite.
Dans toute laventure de nos méthodes naturelles, il ne faut jamais oublier
que notre pédagogie nest nullement une démission de léducateur. Elle
suppose seulement une autre conception de lapprentissage. Mais cette conception
elle-même ne peut sacquérir que par Tâtonnement Expérimental, quand
léducateur sest déjà mis en marche, quil sest exercé à voler
de ses propres ailes et quil nattend pas, passif, que la science lui tombe
toute faite pour régler ses automatismes.
La pédagogie traditionnelle prétend apprendre à lenfant à marcher, avant
même quil fasse ses premiers pas. Par les méthodes naturelles, il faut que
lenfant fasse ses premiers pas. On ne pourra laider et le guider que lorsque
le mouvement sera déclenché.
Cest toute une philosophie de lapprentissage qui est incluse dans ce
changement de méthode, et cest pourquoi le démarrage en est si difficile avec les
professeurs et les adultes que lerreur scolastique a parfois définitivement
marqués.
Nos explications sembleraient superflues. Elles seront impuissantes parce
quelles ont deux tares irrémissibles : elles sont trop simples, et elles ne
sont pas orthodoxes.
Nous ne vous demandons pas de nous croire . Nous conseillons seulement à nos
lecteurs de passer loyalement en revues les faits et gestes de leur vie de tous les jours
pour voir si, à quelque moment hors de lEcole ils agissent selon une
autre méthode que le Tâtonnement Expérimental, et si les quelques essais de méthode
scolastique accidentellement pratiqué dans la vie de tous les jours ne se sont pas
toujours soldés par un total échec : manger, boire, escalader un rocher, grimper à
un arbre, bêcher, arroser, jardiner, écrire une lettre, jouer dun instrument de
musique, ou parler en public, compte tenu de ce que nous avons dit de la valeur majeure
dune part du maître bien comprise, qui organise et active le Tâtonnement
Expérimental.
d) Oui, mais, dira-t-on peut-être, ce sont là des faits dexpérience de la
banalité la plus primaire qui ne prouvent pas forcément la valeur de cette méthode dans
les cas plus complexes pour la réalisations duvres déjà plus évoluées.
Notre raisonnement de simple bn sens nous fait redire que la méthode naturelle par
Tâtonnement Expérimental, ou bien est valable à tous les degrés, si elle est juste, ou
bien elle est fausse et doivent intervenir des exceptions spectaculaires.
Prenons le cas du médecin.
Si vous lui dites quil procède par Tâtonnement Expérimental comme tout le
monde, il vous rira au nez ; ou bien il se fâchera tout rouge. Lui, homme de
science, sabaisser au Tâtonnement Expérimental comme un vulgaire mortel !
Il nous serait facile de répondre dabord que toute lhistoire de la
médecine est jalonnée de pratiques « scientifiques » dont nul navait
le droit de douter de la sûreté et de la pérennité, et qui, en quelques années, ont
été dépassées par dautres méthodes scientifiques qui corrigeaient les erreurs
et la vanité de celles qui précédaient. Dans ce domaine plus quen tant
dautres, une théorie chasse lautre ; une erreur discrédite
lerreur précédente ; la vérité daujourdhui est lerreur de
demain. Sans compter que la science médicale actuelle , aux mains de lOrdre
des Médecins, est plus dogmatique que jamais, et que science et dogme sont pourtant
antinomiques[1].
Une science nest valable que si elle est le fruit du Tâtonnement
Expérimental, et que si elle évolue selon les données du milieu et le résultat de
lexpérience. Une science statique ne sautait être que dogmatique et une science
dogmatique nest pas une science. La science na de valeur et de portée que
dans sa fonction expérimentale.
Ce sont là considérations à un niveau
quelque peu supérieur, dont la science scolastique fait volontiers son monopole. Mais si
nous considérons la science médicale telle quelle se présente à nous tous les
jours, la démonstration reste valable à 100 % de la valeur générale du Tâtonnement
Expérimental.
Vous vous rendrez chez un médecin parce que vous souffrez et que vous en espérez
soulagement. Si cest une médecin frais émoulu des Facultés et imbu encore de
lerreur scolastique quon lui a inculquée, il agira comme un quelconque Knok,
décidant autoritairement, en dehors de vous, du mal à considérer ; ou comme ces
apprentis médecins de larmée qui savent, scientifiquement que, à telle douleur
correspond tel remède.
Et encore faudrait-il détecter la douleur, ce que nul ne saurait faire autrement
que par Tâtonnement Expérimental.
Le grand homme de sciences vous interroge en effet, tout comme une maman
hésitante : -
De quoi souffrez-vous ? Avez-vous mal là ? Et si jappuie ? Montrez
votre langue ! Allez-vous à la selle ? Voyons les urines
Ecoutez :
nous allons faire un essai : vous prendrez ce médicament qui réussit
dhabitude
Revenez me voir dans huit jours. Si ça ne va pas mieux, nous
essaierons autre chose, ou bien je vous enverrai chez un spécialiste qui vous mettra en
observation
Pour voir !
Nest-ce pas là du pur Tâtonnement Expérimental ?
Et ne vous étonnez pas de voir votre médecin se livrer à un tel tâtonnement.
Vous devez au contraire en être rassuré car cest le seul processus valable. La
seule différence entre un médecin débutant et un médecin expert est la même que nous
avons reconnue entre un automobiliste débutant et lautomobiliste expert.
Lexpert a acquis, expérimentalement, un certain nombre de mécanismes. Il est
déjà à un 3e ou 4e étage, ce qui lui permet, en partant le là,
de situer plus rapidement les problèmes pour lesquels il pourra mener avec une attention
plus minutieuse le tâtonnement expérimental décisif.
Et ny a-t-il pas même une médecine homéopathique qui procède
exclusivement pas tâtonnement ? Les données expérimentalement recueillies auprès
du malade permettent au médecin de proposer des solutions dont il vérifiera
expérimentalement la valeur.
Dans son métier même, le médecin travaille donc par Tâtonnement
Expérimental ; et cest parce que cette pratique est moins dominée
quautrefois par la scolastique que la médecine fait malgré tout des progrès
constants et se modernise sans cesse ; et le médecin, hors de son cabinet ou de sa
clinique, ne risque pas dagir dogmatiquement selon les enseignements reçus. Il se
comporte comme tout le monde, par Tâtonnement Expérimental, quil soit à la
pêche, à la chasse, ou au jeu de boules, ce jeu de Tâtonnement Expérimental par
excellence.
e) Et les ORATEURS , les ECRIVAINS , les PEINTRES
Sil est des métiers, comme ceux de mécanicien ou de médecin, où la
mécanique et la mesure pourraient, semble-t-il, avoir une part déterminante, il
nen est pas de même de tous les actes et travaux où lintuition et la
sensibilité conditionnent lexpression des auteurs.
La chose, pour si évidente quelle nous paraisse, ne va cependant pas de soi
pour tout le monde. Il y a une méthode traditionnelle qui enseigne aux enfants et aux
hommes à dessiner et à peindre en commençant par ce que lon croit être le
commencement : les gestes et les figures simples quon ira peu à peu en
compliquant par lusage des règles et de lois que
tout dessinateur serait censé connaître. Et, effectivement, quand les étudiants les
connaissent, ils sont en mesure de représenter des objets conformément aux lois
quon leur a enseignées. Seulement les dessins sont peut-être justes, mais ils
nont pas de sens ni de personnalité. Ils nont plus rien de luvre
dart qui est expression intime de la vie. Lapprentissage , valable peut-être
pour lEcole, savère sans valeur du point de vue artistique et culturel. Nous
reviendrons dailleurs sur ce thème quand nous verrons nos méthodes naturelles en
action.
Rien nest plus fonction du tâtonnement expérimental quun article ou
un livre.
Il existe pourtant, là aussi, un apprentissage méthodique qui prétend enseigner
aux enfants et aux hommes à écrire correctement, mais les écrits ainsi produits
risquent fort de navoir plus ni vie ni sensibilité. La scolastique a tué
luvre qui ne naît, prend forme, se modèle et didéalise que par un
long travail dapproche, où les mots sortent lentement de lombre pour
séclairer et saffirmer.
Nous avons vu de même des orateurs formés dans les écoles, qui étaient capables
de parler en un style châtié et sûr, mais dont les discours endormaient les assistants,
alors que des militants sans culture scolastique progressaient par tâtonnement
expérimental et imitation de bons exemples jusquà une éloquence naturelle digne
des meilleurs classiques.
Nous arrêtons là notre démonstration. Vous la complèterez vous-mêmes en
méditant les réussites qui, autour de vous, magnifient le Tâtonnement Expérimental, et
linévitable échec des méthodes scolastiques.
Vous conclurez avec nous que tous les apprentissages, même les plus subtiles et
les plus délicats, ne se font avec un maximum de succès que par Tâtonnement
Expérimental. Les méthodes scolastiques apparemment valables pour le milieu fermé de
lEcole étant toujours impuissantes hors de lEcole.
La seule méthode dapprentissage et daction existante, cest le
Tâtonnement Expérimental. [1] Voici un cas récent : « A la suite de Lavoisier, il fut longtemps admis que le combustible est le carbone, le terme final de loxydation étant le gaz carbonique ou dioxyde de carbone. Mais depuis Szent Gyogyi, la tendance est de déposséder le carbone de ce privilège séculaire au profit de lhydrogène, dont loxydation donne finalement un oxyde dhydrogène, cest-à-dire de leau. » (Le Monde, 2 août 1965) |
LA TECHNIQUE
DU TATONNEMENT EXPERIMENTAL
Nous connaissons maintenant dans le détail les processus psychologiques du
Tâtonnement Expérimental ; nous venons de voir luniversalité de ces
processus. Nous allons en étudier plus systématiquement laspect technique pour
familiariser le lecteur avec une nouvelle conception de lapprentissage éducatif et
culturel.
1° - Il résulte de nos explications que, dans la vie, rien de solide et de
durable ne se fait par leçons et démonstrations. Seule lexpérience est
souveraine, et cela dès la naissance.
La conséquence en sera que, dans votre comportement humain et même scolaire, vous
vous orienterez de préférence vers lapprentissage par Tâtonnement Expérimental
seul efficient.
Vous avez expliqué quelque chose : votre raisonnement vous semble lumineux.
Vous interrogez vos élèves : ils nont pas compris. Vous réagissez alors plus
ou moins durement parce que lidée ne vous vient pas à lesprit quil
puisse y avoir déficience de votre méthode dapprentissage. Ce sont les élèves
qui sont fautifs : ou bien ils nont « pas fait effort pour
comprendre » ou bien ils sont, comme disaient les vieux maîtres « bouchés à
lémeri ». Et cest à eux que vous vous en prenez, ce qui, évidemment,
narrange jamais les choses.
Le berger est beaucoup plus calme avec ses bêtes que linstituteur avec ses
élèves. Il sest vite rendu compte à lexpérience quil était inutile
dessayer de leur expliquer les raisons du comportement souhaité. Cette voie leur
est fermée. Alors on emprunte sagement dautres chemins plus efficients :
lexemple (le berger qui passe devant et que les bêtes suivent), la récompense, la
barrière qui colmate les brèches dangereuses, lactivité au service de la vie.
Navez-vous pas remarqué aussi que latmosphère est toujours plus
détendue dans une famille où vivent des sourds. Avec eux le chemin de lexplication
et de la démonstration verbale est irrémédiablement fermé. Il ne reste que le
Tâtonnement Expérimental que nous ferons le plus riche possible.
Nen est-il pas de même avec les bébés, et même à la maternelle où toute
explication intellectuelle se révèle davance sans effet ? Alors on fait appel
exclusivement à dautres formes dapprentissage qui nous valent moins de
désillusion. Mais dès que, au Cours Préparatoire, lenfant est censé comprendre,
ladulte se rattrape, et cest alors que commence la dure période
dapprentissage dogmatique et autoritaire que nous dénonçons.
Puisque la méthode scolastique vous vaut tant de salive inutilement dépensée,
tant doppositions et tant de colères, essayez donc une autre forme
dapprentissage. Supprimez dans vos classes toutes leçons et démonstrations
formelles. Organisez dans tous les domaines, y compris le domaine intellectuel, le
Tâtonnement Expérimental au servie de la culture et de la vie, et vous retrouverez
calme, humanité et sagesse.
2° - a la lumière de cette conception nouvelle du comportement et de
lapprentissage, nous aurons à reconsidérer totalement les processus de formation,
de construction, dacquisition et de vie des individus. Ce sera difficile, car il
nous faut pour cela tourner radicalement le dos aux pratiques existantes.
Pour les éducateurs, et pour ceux qui, à leur exemple, ont cru aux théories
quon leur a enseignées, lenfant est considéré comme un être neutre, qui a
tout à apprendre, et qui ne peut lapprendre quà lEcole, comme si
lexistence non scolaire était sans valeur ni influence sur le développement de
lêtre. On oublie quà quatre ou cinq ans, lenfant a déjà, par
expérience, accumulé une somme de connaissances et de techniques dont la portée est
considérable. Or, de cette expérience, la pédagogie traditionnelle ne fait point état.
Lenfant laisse à lentrée de la classe son bagage vivant et attend
passivement que lEcole lui distribue une nourriture pour laquelle il na nul
appétit, et quil digérera très difficilement.
Je dois là quelques explications pour ne pas laisser croire que, pour les besoins
de la cause, je systématise beaucoup trop et que je charge à dessein le tableau.
Il est exact que depuis quelques décennies, une évolution plus favorable
sest dessinée et nous ny avons pas peu contribué - . On tend de plus
en plus à partir de lenfant, à tenir compte au moins de ce quil sait faire,
et de la façon dont il sest déjà intégré dans un milieu, hélas ! plus ou
moins riche et aidant. Et lon commence à comprendre aussi que la richesse ou
linhumanité de ce milieu ne sont pas indifférents au succès de lEcole.
Mais quand nous avons commencé nos expériences il y a quarante ans, la
séparation restait encore totale et radicale entre lEcole et la vie.
Lapparition de nos premiers imprimés, qui traduisaient la richesse de
lexpérience et de la vie enfantine, suscita, dans les milieux scolaires surtout,
une énorme surprise, et presque comme un défi. Seules les personnalités qui, hors de
lEcole, restaient supérieurement aux écoutes de cette vie, ont eu comme une
prescience spontanée de ce que notre innovation comportait comme ouvertures enthousiastes
sur un monde encore inconnu. Et ce fut notre honneur, et notre force, davoir à
lépoque ladhésion encourageante de Romain Rolland, Henri Barbusse, Maxime
Gorki, Vaillant-Couturier, Jean-Richard Bloch, Henri Poulaille, Decroly, Henri Wallon.
Cette adhésion et ces encouragements ont été alors généreusemenet répercutés
parmi les psychologues et les pédagogues dune période qui eut le privilège
den compter parmi les plus célèbres : Pierre Bovet, Claparède, Ad.
Ferrière, Decroly, John Dewey, Maria Montessori, Charles Baudoin
Mais la masse des éducateurs restait obstinément sceptiques. Elle était
persuadée que nous trichions et que nous étions nous-mêmes les inspirateurs et les
auteurs des textes émouvants dont nous attribuions la paternité aux enfants.
Puisque les enfants, assurait-on, nont point didée, il fallait
quon les leur suggère et les leur
prépare. Mais les Instructions Ministérielles qui orientent peu à peu la pédagogie
vers létude du milieu et lappel à lexpérience enfantine,
limmense majorité des éducateurs de notre époque en sont restés à ce stade et
à cette croyance, que lenfant ne sautait être riche que de ce que lui apporte
lEcole : croyance peut-être compréhensible au temps où, au début du
siècle, lEcole donnait effectivement du riche et du nouveau, mais qui est
aujourdhui inhibitrice et réactionnaire en face de lapport croissant de la
vie.
Il faut donc nous persuader que lenfant nest point une terre vierge qui
attend ses ouvriers, mais un complexe dune vie riche et tumultueuse, un torrent qui
nen est quà son origine mais qui porte en lui toutes les promesses de son
avenir.,
Notre pédagogie, et notre attitude nouvelle déducateur doivent être
lexpression de ce changement radical dans la position de lEcole face à
lenfant et à la vie.
3° - Pour ces mêmes raisons, la Pédagogie traditionnelle est nécessairement
statique. Les « Croisez les bras ! » en est le symbole.
Sil prétend partir de zéro, le maître doit, obligatoirement, faire taire
la vie qui bouillonne en lenfant et arrêter le torrent quil espère ranimer
ensuite par des procédés arbitrairement conventionnels. Témoins ces éducateurs, et ils
sont encore trop nombreux, qui trouvent trop difficile létude dune poule
vivante. Ils tuent la poule pour en examiner méthodiquement les diverses parties. Ils
essaierons ensuite de redonner vie à la poule.
Témoin aussi cette émission de TV où le professeur montrait comment modeler un
lapin. Il fallait évidemment que le lapin soit immobile : comme on nosait pas
le tuer, on le maintenait sur la table avec des rations sans cesse renouvelées de
carottes à grignoter.
Et les maîtres admettent et justifient ces procédés. Ils font taire la vie, ce
qui suppose lillusion présomptueuse de lEcole qui a la prétention de donner
à léducation un moteur nouveau autre que la vie.
Lauto dont on disposait allait trop vite ; on sessoufflait à en
dominer le rythme. On en a arrêté et bloqué le moteur, au risque de ne plus pouvoir le
faire démarrer, et on a fait appel à dautres moteurs : la réussite aux
examens, lémulation et le classement, et dans le meilleur cas, une soif
artificielle pour la culture intellectuelle dont létude du latin reste le drapeau.
Les moteurs de secours ont pu quelque temps faire illusion. Mais voilà que, usés
et dépassés, ils ne fonctionnent plus, ou fonctionnent mal, avec des pannes
incorrigibles, de sorte que l éducateur se trouve aujourdhui devant des
élèves qui nont plus soif de rien, qui nont plus aucune curiosité
scolaire-, qui ne veulent plus travailler, et qui se passionnent seulement pour les
aspects, emballants il est vrai, de la vie hors de lEcole, de la vraie vie.
On a bien essayé des moyens termes qui sont les Méthodes Actives, les travaux
manuels, et aujourdhui les Techniques audiovisuelles. Mais ce ne sont là que
palliatifs, points quon essaie de jeter entre une pédagogie morte, et la vie qui
pousse à nos portes. Nous ne saurions nous contenter des résultats aléatoires de ces
tentatives. Il nous faut du sûr, du solide et de lefficace.
Au lieu de contrarier ou darrêter la vie, nous nous engageons résolument
dans le torrent quelle suscite, et, par notre actions, par laide que nous
apportons, par nos exemples, nous nous évertuons à rendre cette vie enrichissante et
culturelle.
Nous navons plus alors à chercher des moteurs accessoires. La vie nous
suffit. Il faut en préserver physiologiquement le dynamisme et la puissance, en faisant
fond dans réserve sur les possibilités quelle nous offre.
Le problème nest plus, dès lors, de savoir comment donner vie aux
programmes et aux pratiques scolaires, mais comment utiliser ce besoin inné de
lenfant de grandir, de croître, de connaître, de monter, dacquérir de la
puissance, de triompher, dagir et de créer. Tout est là. Nous avons dans cette
voie tous les secrets de la plus grande des
réussites pédagogiques de tous les temps. Mais elle suppose aussi que nous ayons compris
à quel point il nous faut absolument abandonner les méthodes désuètes
dapprentissage pour en venir aux méthodes naturelles par Tâtonnement
Expérimental.
4° - Mais il fallait aussi, au préalable, nous persuader dune possibilité
nouvelle qui allait nous donner la clef du progrès intellectuel et culturel.
Faire des expériences, cest très beau, nous dirait-on, mais les idées
nouvelles, les principes qui sont à la base de notre civilisation, lenfant ne
pourra pas les trouver seul, à moins que vous ayez la prétention de lui faire
recommencer, pièce à pièce, la longue expérience de lhumanité.
La méthode des essais et des erreurs est bien connue, nous disait-on : on
admet que, à lorigine, lorsque rien ne loriente dans un sens plutôt que dans
lautre, lindividu choisit au hasard dans la liste des gestes et actes qui
soffrent à lui. En cas déchec il ne va pas plus loin. Sil réussit au
contraire, il peut continuer sur sa lancée jusquà ce que quelque nouvel obstacle
lui barre la route.
Mais une telle conception ne peut évidemment pas expliquer le progrès normal de
la vie ni les processus dacquisition qui nous sont familiers. Aussi cette théorie
des essais et des erreurs est-elle restée dans une impasse.
Skinner, dont le nom est aujourdhui familier à tous les partisans de
lenseignement programmé, préconise le « renforcement » comme méthode
dapprentissage. Il a édifié une théorie de lapprentissage dont nous donnons
ici les principes essentiels : 1)
Un individu apprend, cest-à-dire modifie son
comportement en observant les conséquences de ses actes (mais selon quelles lois faut-il
les modifier ?) 2)
Les conséquences qui renforcent la probabilité de
la répétition dun acte sont appelées renforcement. (Mais doù vient cette
probabilité de la répétition ? Est-elle pur hasard ?) 3)
Plus rapidement un renforcement fait suite au
comportement recherché, plus il est probable que ce comportement se répètera
(Lauteur voit surtout là comme renforcement la récompense par laquelle il
encourage les enfants, comme il encourage les animaux quil dresse). 4)
Plus un renforcement est fréquent, plus il est
probable que lélève répètera lacte qui en est la cause (Mais en vertu de
quelle loi intervient cette fréquence ?). 5)
Labsence de renforcement, ou même son
éloignement dans le temps, diminuent la probabilité quun acte se reproduise (Mais
il y a dautres raisons que ce renforcement mécanique qui tendent à diminuer la
probabilité). Ce sont là considérations valables seulement pour l
apprentissage scolastique et qui nont aucun fondement psychologique. Cest
pourquoi les principes de Skinner, sils ont été employés dans lenseignement
programmé, nont nullement influencé la conception même des processus d
apprentissage et de vie. - § - Nous avons découvert, dans le processus de vie, un élément
déterminent qui est la sensibilité à lexpérience dont nous avons
longuement expliqué la conception et le fonctionnement dans les pages qui précèdent. Tout acte réussi, comme leau qui a lentement ouvert une
faille par où elle rejoint le courant, laisse une trace dans lorganisme vivant. Et,
naturellement, selon le principe déconomie de leffort, on a tendance à
repasser par le faille qui a été une réussite. Si
on ne connaît pas ce principe de la perméabilité à lexpérience, le tâtonnement
na plus de sens ; on en revient aux essais et aux erreurs par pur hasard. Vous arrivez pour la première fois à un carrefour A sur lequel
débouchent trois chemins identiques. Il ny a aucune raison pour que vous vous
engagiez vers B plutôt que vers C ou D. Cest alors le pur hasard qui jouera. Vous partez donc au hasard vers B (peut-être même après avoir
fait tourner un sou pourvous décider). De deux choses lune : ou bien cette voie est une
réussite (tout compte fait, le chemin est pratique et beau, et débouche justement vers
la région où vous vouliez vous rendre). Vous vous engagerez automatiquement vers la
solution B dont la réussite a laissé en vous une trace favorable. Ou bien le chemin vers B vous mène dans une impasse et vous
êtes obligé de rebrousser chemin. La prochaine fois que vous vous trouverez en A,
vous naurez plus aucune raison de partir vers B. Vous essaierez en C ou en D. Cest là un principe général mécanique qui est à la
base de toute notre théorie du Tâtonnement Expérimental. Remarquez,
et nous lavons expliqué aussi, que lexemple joue le même rôle que lexpérience
personnelle. Si vous trouvant en A vous voyez des personnes sengager résolument
vers C, vous avez tendance à emboîter le pas, leur réussite ou leur échec se
substituant à votre expérience personnelle.
Toutes les
acquisitions valables se font par ce processus. Si, en A, quelquun vous
explique les avantages quil a eus à passer vers D, ce quil vous en dit peut
se substituer à son exemple, ou le renforcer.
Vous pouvez le
croire et vous engager vers D, ce qui ne vous
empêchera pas de vous demander en route si vraiment il a dit vrai et sil est en
effet passé par ce chemin. Ce nest, en définitive, quaprès votre
expérience personnelle que vous serez totalement rassuré. - § -
Mais ce processus, dira-t-on, valable pour la démonstrations
élémentaire que vous voulez faire ne permettra pas forcément dexpliquer les actes
complexes et subtils de la vie.
Là intervient
une élément complémentaire du Tâtonnement Expérimental, la plus ou moins grande
perméabilité à lexpérience.
La goutte deau
tombant sur la pierre ne laisse aucune trace ; si elle tombe sur le sable elle
creusera bien vite un trou qui ira sélargissant.
Il est des
individus chez qui léchec ou la réussite laissent peu ou pas de traces. Ils se
retrouvent toujours en A comme sils en étaient à leur premier échec vers B ou C.
Ils tâtonnent pendant 50 fois, 100 fois, 1000 fois, avant quune trace oriente leur
comportement. Ce sont les individus peu intelligents qui navancent quimperceptiblement
dans leur tâtonnement.
Il en est dautres
au contraire, extraordinairement sensible chez qui la première expérience marque
définitivement. Il en est de même du super-sensible chez qui limage seule dun
geste peut laisser sa trace. Ils sont en A. Ils nont pas encore expérimenté ni
vers B ni vers C, mais de la couleur dun feuillage, du bruit dun
ruisseau ; dun vol doiseau - sensations
fruits dun tâtonnement préalable ils déduisent la direction dans laquelle
ils peuvent sengager avec un maximum de succès. Nous sommes là dans le domaine de
lintuition, qui fait fond sur une subtilité aux degrés variés, qui fonctionne
selon les mêmes principes du Tâtonnement Expérimental, mais à une vitesse qui peut
être électronique. Le mécanisme se déroule au rythme 1 ou ½ chez les individus peu
sensibles à lexpérience. Il peut se développer au rythme 50, 100, 1000, ou 100
000 chez les individus supérieurement sensibles.
Nous allons voir
lincidence de cette qualité sur la définition que nous donnons de lintelligence.
5° - Il y a un
troisième élément qui intervient dans le processus du Tâtonnement Expérimental :
la fixation des étages de la répétition.
Lenfant
qui fait ses premiers pas veut réussir et éviter la chute qui est un échec. Il ne part
pas brusquement dun bout de la salle à lautre. Il sent bien quil ne
pourrait y parvenir. Il vise une chaise à 2 m, sélance et sy accroche. Il a
réussi.
Mais il éprouve
le besoin alors dassurer cette conquête avant daller plus loin. Il va 10
fois, 50 fois si nécessaire refaire la même expérience réussie jusquà ce quil
puisse la reproduire automatiquement, sans réfléchir. Nous disons que lexpérience
réussie est alors passée dans son automatisme et définitivement intégrées à son
comportement, et donc indélébile.
Nous comparerons
cette conquête à ce qui se passe dans la construction dune maison. Après
avoir planté de solides poteaux, les ouvriers soccupent à monter le premier étage
de leur échafaudage. Ils en fixent et attachent les traverses sur lesquelles ils
disposent une à une les planches qui en feront le pont. Mais ce premier étage nest
pas encore assuré : il reste branlant et suspect. Les ouvriers en vérifient les
insuffisances, consolident les montants, clouent les planches, fixent les barrières. Et
alors, satisfaits, ils frappent du pied pour éprouver la sûreté du dispositif, vont de
long en large pour en mesurer lutilisation.
Quand lexpérience
leur montre que ce premier plan est assuré, ils passent alors, selon le même procédé,
à la construction du 2e étage.
Sil sagit
de construire une route de 15 km de A en B
On
ne va pas défricher lensemble du parcours, pour tracer toute la route au bulldozer
pour empierrer ensuite sur toute la longueur.
On cherche un
procédé plus sûr et plus économique. On amène loutillage, les pierres et le
gravier en A et on entreprend la construction du tronçon A C. Quand la route AC
sera praticable, automatiquement, les yeux
fermés on transportera le matériel en C. Et de là, assuré sur ses arrières, on
entreprendra la construction du 2e tronçon.
Ainsi fonctionne
la technique du Tâtonnement Expérimental : un acte réussi est répété une fois,
10 fois, 100 fois jusquà ce quil entre dans un automatisme. A ce moment-là,
on sengage dans une aventure nouvelle.
Lenfant
qui, par la méthode naturelle, a pris possession dun mot qui savère comme
une réussite, le répète une fois, 10 fois, tous un jour, le servant à toutes les
sauces, lemployant comme un outil dont il généralise lemploi. Ce n est
que lorsque le mot sera entré dans son automatisme quil cessera de le répéter. Il
fera désormais partie de son bagage de vie et il sen servira pour partir vers dautres
conquêtes. Le schéma type du processus de Tâtonnement Expérimental est donc le suivant :
Cest
ici le schéma général de lapprentissage par Tâtonnement Expérimental.
Mais ce schéma
va varier considérablement selon lallant pour tenter de nouvelles expériences et
le temps de répétition nécessaire pour faire passer lexpérience réussie dans lautomatisme. Lindividu peu entreprenant aura des expériences réussies réduites et un temps de répétition important avant de parvenir à lautomatisme. Son schéma sera le suivant :
On
voit évidemment que la montée sera ici très très lente. Pour certains individus, elle
sera presque en palier, ou, du moins à partir dun certain âge, elle restera en
palier sans nouvelles expériences.
Ce sera le
profile des individus sans possibilité de vie et dacquisition, les retardés de
toute sorte.
Nous avons cité
le cas de M. qui a suivi de très près le tâtonnement expérimental de sa fille
mongolienne, qui illustre dune façon étonnante la réalité du processus. A côté de ce schéma de Tâtonnement denfant retardé, nous pourrons établir le schéma correspondant de lindividu qui multiplie sans cesse ses expériences et qui est suffisamment armé pour les réussir. Et il lui suffit dune répétition ou dun semblant de répétition pour faire passer les acquisitions dans lautomatisme. Au chemin parcouru dans cette montée, pendant le même temps nous pourrions mesurer le degré dintelligence des individus. Lindividu du schéma 2 est 1000 fois plus intelligent que lindividu du shéma 1. En examinant ainsi les tâtonnements expérimentaux en dessin, tels quils sont présentés par les GENESES que nous avons réalisées[1], nous avons pu établir une véritable échelle dintelligence, que nous publions ci-contre. Il nous suffira de standardiser les schémas ci-dessous de
Tâtonnement Expérimental pour disposer dun test significatif dun quotient
intellectuel, plus juste et moins scolaire que les divers tests utilisés à ce
jour.
Nous nen sommes évidemment quau début de notre prospection. Nous posons seulement ici les principes généraux dont les travaux à venir diront les incidences quils peuvent avoir sur la mise au point des diverses techniques dapprentissage. [1] parues dans la Méthode naturelle, tome II, lApprentissage du dessin, Delachaux et Niestlé en vente à la CEL, Cannes. |
Il nous faudrait aborder notamment les comportements complexes des individus, étudier comment, sur quelles bases et selon quels critères ils mesurent la part de réussite de leurs actes, lhésitation quils y éprouvent étant un des éléments moyens de la personnalité. Ce
que nous pouvons dire en attendant, pour nous donner bonne conscience dans nos recherches,
cest que les psychologues et les philosophes qui, à ce jour, ont abordé cette
complexité par le biais traditionnel, nont pas fait merveille. La multiplicité et
le chevauchement des tests tous plus ou moins impuissants, les méthodes de projection, la
caractérologie ou la psychanalyse ne nous ont pas encore sorti de lABC dans ce
domaine. Chacun essaie son procédé - pur tâtonnement expérimental mais il
manque à ces recherches le fonds commun, lidée-mère qui pourraient faire la
conjonction de tous les généreux efforts. Nous
apportons cette idée-mère. Le proche avenir dira si elle porte en elle toutes les
possibilités de connaissances et dactions que nous en attendons.
Notre principe du Tâtonnement Expérimental, cest
le courant qui, dans les montages simples et dans les vulgaires piles donne une idée
logique des processus électriques et des lois qui règlent la manifestation. La
complexité des machines modernes ne signifie point que ces lois soient en défaut. Elles
sont comme les arbres qui multiplient leurs branches et leurs feuilles pourtant toujours
nourries par la même sève.
Nous pourrons de
même affronter la complexité de la nature humaine. Si nous connaissons le courant qui lanime,
le sens de son action ; si nous pouvons détecter les chemins ouverts, les brèches,
les barrières et les résistances, nous devrions être en mesure alors détablir
avec précision le schéma du comportement humain.
En attendant,
nous tâcherons au moins de libérer les forces originelles, dexciter les moteurs,
de réduire les barrages, dactiver le courant pour que le torrent de vie puisse sen
aller, vivace et sûr, vers sa destinée.
Cette
reconsidération des processus dapprentissage par une conception nouvelle du
comportement humain est susceptible dinfluencer non seulement le travail et le
rendement aux divers échelons de la grande uvre humaine, mais douvrir des
voies nouvelles daction au service du progrès. - § - Mais
alors, tous ces grands principes affublés de noms prestigieux qui ont jalonné les
recherches pédagogiques et philosophiques : la raison, la conscience, la volonté,
la Science ! LA SCIENCE SURTOUT !
Cest le
grand obstacle auquel nous achoppons, cest parmi ses serviteurs et ses doctrinaires
que nous trouvons nos contradicteurs les plus obstinés. La science, selon eux, ne souffre
pas de tâtonnement. Elle est basée sur le principe des deux et deux qui font quatre et
ne feront jamais cinq. Lorsquelle a fixé avec précision les données dune
fabrication, on peut déterminer avec la plus grande précision le résultat quon
détermine davance. Cest ainsi quon a pu envoyer une fusée sur la Lune
et que le Mariner est allé photographier la planète Mars.
Il y a dans ce
domaine une inginité de réussites tellement spectaculaires quon ssemble habilité
à chanter les louanfes d une pratique qui a montré sa totale efficience et
sur laquelle on a donc rendance à régler tous les systèmes dapprentissage.
Et pourtant, il
ny a nullement, entre notre théorie du Tâtonnement Expérimental et les pratiques
scientifiques, le désaccord quon sapplique à entretenir. Pour nous en
convaincre, il nous faut distinguer deux phases dans lacte scientifique : -
Il y a la RECHERCHE SCIENTIFIQUE qui se fait exclusivement par Tâtonnement
Expérimental.
Le chercher
scientifique part dun certain nombre de données sûres auxquelles sont parvenues
expérimentalement les chercheurs qui lont précédé, des installations quils
ont créées, des outils quils ont mis au point.
Il est dans ce
même carrefour où nous avons vu lhomme inquiet de son avenir. Dautres
peut-être sassoiront à lombre, à ce carrefour sans même essayer de savoir
où peuvent bien mener les sentiers entrevus.
Le chercheur et cest son essentielle
caractéristique et son éminent dignité ne se satisfait pas de cette quiétude et
de cette passivité. Il veux savoir ce qui se passe au-delà du carrefour. Puisquil
cherche par-delà linconnu, cest quil ignore totalement la voie à
prendre, ni où le mènera cette voie, si tant est quelle le mène quelque part, ou
si elle aboutira en un lieu tout différent de celui quescomptait le
chercheur.
Ce chercheur, dit-on, a été initié à la recherche scientifique, cest-à-dire
quil possède la parfaite connaissance des éléments et des outils dont il dispose
grâce à la science. Et cest exact . Le chercheur ne part pas de zéro car il
aurait alors à refaire la somme des recherches et des expériences qui constituent le
patrimoine de la science. Il en est à un troisième étage et cest vers le 4e
étage quil va chercher.
Mais à partir de ce 3e étage où il se trouve, grâce à ses études
et à ses travaux précédents, cest le seul tâtonnement expérimental qui va
jouer. Le chercheur ne chercherait pas sil connaissait déjà ce quil doit
trouver.
Dans un certain nombre dentreprises et duniversités américaines
et quelques firmes françaises semblent vouloir les imiter on organise des
équipes de chercheurs à qui on laisse toute liberté dans leurs travaux. Et cela est
indispensable. Si on prétendait les orienter pour quils sachent savance ce quils
devraient découvrir, il ny aurait plus découverte.
Cette pure recherche comporte toujours une inévitable part déchecs. Seules
les expériences réussies sont reprises et exploitées. Les expériences qui échouent
ont tendance à arrêter la marche dans cette voie, marche qui est reprise parfois, à des
moments et avec des éléments plus propices, pour un meilleur succès dans une zone
parfois divergente.
Cest pourquoi, dailleurs, le progrès scientifique ne va que rarement selon une ligne droite conforme
aux prohjets des promoteurs, mais selon une ligne brisée travée selon les effets du
Tâtonnement Expérimental, avec des piétinements, des retours en arrière, et parfois de
brusques flambées de victoires.
Je ne crois pas quil puisse y abvoir dobjection valable à ces
considérations. Laventure des Curie découvrant le radium est une évidente
démonstrations de cette thèse. ET si lon pouvéit connaître par le menu lhistoire
avtuelle de la conquête spatiale, on serait étonné de voir comment les échecs et les
réussites, souvent en dents de scie, ont jalonné le progrès. La
Recherche Scientifique se fait donc par Tâtonnement Expérimental[1]
-
AUTRE CHOSE EST LEXPERIMENTATION SCIENTIFIQUE
Les étudiants et les ouvriers sont à un premier étage. Ils sont, eux aussi, à
un carrefour, mais à linverse de la situation quont dû affronter les
chercheurs, ils se trouvent devant un carrefour signalisé, où les pistes diverses ont
été longuement prospectées.
La voie nest certes pas encore simple. Tout comme dans le dédale des voies
de communication des grandes vielles, il y an des sens uniques, des sens interdits et des
passages dangereux avec des signalisations auxquelles il faut sinitier pour avancer,
des règles à suivre si on veut éviter les contraventions. Voyez le nouveau venu
circuler en auto : il nest pas totalement perdu mais il tâtonne encore,
ralentissant à chaque amorce de tue, sarrêtant pour regarder es plaques
indicatrices, demandant à un agent, alors que le chauffeur de taxi roule tout le jour,
comme automatiquement et sans se fatiguer.
Lélève est là : la route est jalonnée. Mais il lui fut une
initiation qui ne se fait plus forcément par Tâtonnement Expérimental, mais par un
apprentissage expérimental dont il nous appartient détablir les normes.
On voit la différen,ce essentielle entre celui qui part en avant, le premier, et
ceux qui le suivent pour sinitier à ses découvertes.
Si nous appliquons ) ce complexe scientifique les schémas du Tâtonnement
Expérimental, nous aurons ceci :
Le, ou les chercheurs partent en avant, par pur tâtonnement expérimental. Sils
échouent, on ne parlera plus daux ; ils ne reviendront peut-être même plus
à leur place. Sils réussissent, ils ont ouvert une voie. Ils laissent alors à
leurs assistants le soin dexaminer laffaire, den préciser les contours,
den fixer les normes conformément aux données scientifiques.
Quand la découverte aura été soudée et éprouvée, quand on laura
incorporée aux autres éléments scientifiques, le premier étage sera alors fixé et
stabilisé. Les assistants ont fixé les cordages. Désormais, nimporte qui peut
sans tâtonnement, par lescalier méthodique de la science, accéder à ce premier
étage.
Lexpérience réussie a été reprise et répétée aussi longtemps quil
a fallu pour entrer dans lautomatisme du complexe culturel. Les manuels en fixeront
les processus : létage sera définitivement fixé.
Forts de cette expérience réussie, et dorénavant fixés par règles et lois, les
chercheurs maintenant libérés de leurs préoccupations antérieures amèneront à pied duvre
les instruments dune nouvelle recherche. Par pur Tâtonnement Expérimental, ils
chercheront à nouveau ce quils ne connaissent pas. Si une de ces expériences
réussit, les assistants soccuperont à nouveau de la fixer, de la normaliser à un
deuxième étage pour la faire entrer dans la mécanique des manuels et des leçons. Et laventure
continuera indéfiniment.
Ce que nous voulons seulement marquer cest que, ce faisant, les étudiants ne
font pas uvre de chercheurs scientifiques. Ceux-ci, oui, avancent à coup sûr,
scientifiquement, et ils savent davance où ils pourront aboutir.
Comment ces étudiants monteront-ils à ce premier étage, et ensuite aux étages
suivants au fur et à mesure de leur installation et de leur fixation par les chercheurs
et leurs assistants ? Ils pourront y monter artificiellement par un ascenseur qui ne leur demandera aucune autre peine que le
geste du presse-bouton. Mais arrivés si haut, brusquement, ne seront-ils pas pris de
crainte et de vertige et ne seront-ils pas contraints de se cramponner aux cordages en
évitant de regarder vers le haut les audacieux qui, au péril de leur vie, montent plus
haut encore, et plus loin, vers linsondable inconnu !
Ce ne sont pas eux, en tout cas, qui grimperont un jour aux échafaudages non
encore fixés. Rien ne les y a entraînés. Ils ont bien les connaissances que leur ont
préparés leurs aînés, mais cest une connaissance morte, qui ne sera daucun
poids dans laventure scientifique. Mieux que cela, ce sont ces faux scientifiques,
ces scientistes des manuels et des livres qui protesteront, jusquà les condamner,
contre les éternels insatisfaits qui dérangent leur tranquillité et les obligent
parfois même à reconsidérer la nature et la forme des traverses et des nuds qui
maintiennent leur premier étage.
Nous naurons pas servi la science, si nous avons su seulement hisser
artificiellement au 1er ou au 2e étage des hommes qui nont
pas acquis lexpérience scientifique. Et cest pourquoi lenseignement
scientifique souhaitable doit être à base dexpériences, de recherche et de
création. Alors, les étudiants qui sont montés à bout de bras jusquau premier ou
au deuxième étage regarderont avec envie les chercheurs qui ne cessent de continuer leur
Tâtonnement Expérimental au service de la Science. Il ne saurait y avoir
de progrès scientifique sans cette permanence hardie du tâtonnement Expérimental.
---------- LE TATONNEMENT EXPERIMENTAL PROCESSUS GENERAL DES METHODES MODERNES DAPPRENTISSAGE
Mais en définitive, cest à lusage quon mesurera la valeur et la
portée de notre nouvelle méthode dapprentissage par Tâtonnement Expérimental.
Elle a certes à son actif luniverselle réussite de la méthode naturelle
des mamans. La démonstration ne paraît pas suffisante, car il sagit de savoir si,
pour des apprentissages ultérieurs, pour les apprentissages scolaires notamment, les
résultats seront meilleurs et plus rapides que par les méthodes traditionnelles.
Cest la preuve qui nous reste à faire par le rappel rapide des réalisations
de lEcole Moderne, et par les tendances nouvelles aussi de certains apprentissages
qui se sont nettement dégagés dune scolastique qui avait fait, dans ces domaines,
la preuve de son impuissance.
1° - Notre plus ancienne expérience, celle qui a eu à ce jour le plus de
retentissement et qui a aiguillé, à une grande échelle, la suite de nos recherche, cest
MA METHODE NATURELLE DE LECTURE ET DECRITURE PAR LA LIBRE
EXPRESSION DE LENFANT
Cest exactement la méthode des mamans, qui se développe exclusivement par
Tâtonnement Expérimental. Nous ne faisons fond au départ sur aucune connaissance
formelle ni progression préétablis, celle-ci pouvant intervenir par la suite quand la
technique a été dominée expérimentalement.
Par des techniques appropriées, par lImprimerie à lEcole notamment,
nous avons surmonté le hiatus qui séparait lexpression écrite de lexpression
parlée. Désormais, un même processus joue tout le
long de la scolarité. Lenfant maîtrise lexpression écrite et la
lecture, comme il a maîtrisé la langue parlée, par pur tâtonnement expérimental.
On pourra étudier les détails de cette réalisation et lexposé des techniques aujourdhui employées dans un nombre croissant de classes
françaises et étrangères par la lecture de nos livres de la BIBLIOTHEQUE DE LECOLE
MODERNE[2] :
- le texte libre, n° 3 - la lecture par limprimerie à lécole, n° 7 - la méthode naturelle de lecture, n° 8 9 - la grammaire, n° 17 - la part du maître (épuisé) - les Techniques Freinet de lécole maternelle, n°
27 - 28
Par cette innovation, nous avons supprimé les ennuis et les dangers de la
scolastique : les enfants apprennent à rédiger et à lire exactement comme ils
apprennent à parler, dans cette même atmosphère de vie intense, de joie profonde de la
création et de lexpression libératrice, sans leçons dogmatiques contraignantes,
sans étude par cur et sans punitions.
LEducateur cesse alors dêtre le maître autoritaire. Il apporte son
aide généreuse, mais nécessaire au tâtonnement expérimental techniquement
organisé : lEcole devient la vie.
Cette nouvelle méthode dapprentissage a désormais fait ses preuves
déterminante en ce domaine. Elle permet la lecture intelligente, souvent compromise par
les autres méthodes. Elle évite notamment la dyslexie, cette maladie scolaire moderne,
fruit des fausses méthodes dapprentissage. Elle guérit cette dyslexie lorsquelle
est dangereusement installée dans le comportement scolaire des enfants. Elle fait la
preuve dune vérité dont devrait mieux se préoccuper les enseignants aux divers
degrés. Toute méthode d apprentissage défectueuse trouble le comportement des
individus. Une bonne méthode les rééquilibre.
Cest à ce titre que notre méthode naturelle, par-delà l
apprentissage régulier des diverses techniques, peut se prévaloir dune fonction
harmonisatrice qui nest pas la moindre de nos conquêtes.
2° - Mais cest peut-être pour le dessin et la peinture que les résultats
de notre méthode naturelle par Tâtonnement Expérimental sont plus particulièrement
spectaculaires.
Dans ce domaine, la technique scolaire, non atténuée par une pratique non
scolaire inexistante, a joué à plein. Nous pouvons en considérer les processus et les
résultats pour ainsi dire dans leur pureté.
Le dessin, nous disait-on, ne sinvente pas. Lenfant ne peut pas
dessiner sil ne la pas appris, ou bien il ne dépassera jamais le stade des
gribouillages et des graffiti inchangés à
travers les temps. On nous faisait la même objection pour lexpression
écrite : lenfant ne saurait jamais écrire un texte valable sil navait
pas appris, au préalable, les mots et la technique de leur emploi selon les règles
officielles. Aujourdhui encore tous les scoliastes tiennent la chose pour évidente,
comme allant de soi. Prétendre le contraire leur paraît empirique et anti-culturel et,
comme on le sait, lempirisme est le contraire du progrès.
En dessin donc, lenfant était tout juste apte à copier. Il ne pourra
produire une uvre personnelle que lorsquil connaîtra les règles de la
représentation, de la perspective et de la composition.
Et lon persuade tellement les enfants quils ne peuvent rien produire de
valable ; on les empêche si systématiquement de dessiner quon tue
effectivement, et souvent hélas ! irrémédiablement leur goût naturel pour le
dessin.
Cette inhibition totale dont ne souffre pas seulement le dessin
hélas ! est peut-être la plus grave conséquence de lemploi dune
méthode dapprentissage dont le
conditionnement joue aux dépens de la vie.
Nous avons radicalement tourné le dos à la pratique scolastique, et nous avons
procédé exactement comme les mamans par notre METHODE NATURELLE DE DESSIN[3].
Il ny a quà consulter une de nos Genèses, pour voir que la
progression dans l apprentissage naturel du dessin ne se fait absolument pas comme lenseigne
lEcole.
Lenfant part, à quatre ans, dun graphisme informe comme il
extériorise à 6 mois un son encore indifférencié, qui est dabord geste et
musique et qui sortira lentement de lombre pour se préciser expérimentalement.
Sa première réussite est répétée jusquà ce quelle passe dans son
automatisme de vie. A ce moment-là, par tâtonnement expérimental, lenfant essaie
une nouvelle conquête, en tenant compte naturellement de lexemple et de lexigence
du milieu qui motivent son comportement. La réussite est à nouveau répétée jusquà
passer dans lautomatisme, et cest ainsi, de conquête en conquête, que lenfant
parvient à une expression dont aucune règle naurait permis dapprocher. Et
cela absolument sans leçon, avec seulement laide systématique de léducateur
et du milieu agissant selon les principes même du Tâtonnement Expérimental. Si des
leçons interviennent malencontreusement, elles risquent de troubler la vie et de
compromettre définitivement l apprentissage.
Et comme en fait d apprentissage, cest la comparaison avec les autres
méthodes qui est déterminante, nous apporterons deux éléments majeurs de
démonstration : a) Latmosphère nouvelle ainsi créée dans une équipe ou
dans une classe sexprimant librement par le dessin est sans commune mesure avec le
climat spécial dune classe traditionnelle : plus dhésitation, plus de
crainte ; la confiance, le sérieux et la joie de la vie contrastent avec le dégoût
du dessin et de la peinture que valent aux enfants les leçons habituelles. b) Il suffirait dailleurs de voir les résultats. Il nous serait facile et le spectacle se présente dailleurs
dans certaines expositions de placer ainsi, dune part les productions denfants
ayant subi les leçons traditionnelles et travaillant soi-même méthodiquement. Il peut y
avoir un certain métier, mais les dessins sont inexpressifs et morts. Il sera superflu de
les affubler de lécriteau METHODE TRADITIONNELLE. Les uvres sont bien le reflet de la méthode. Et dautre part, nous aurions la profusion incroyable duvres
réalisées selon notre méthode : sur papiers de tous formats, sur carton, sur
tissu, par découpages, par gravures, par sculpture, et qui sont comme une explosion de
joie et de vie. Inutile dapporter dautres explications. Une technique
d apprentissage qui permet de tels chefs-duvre est manifestement bonne
et souhaitable. Lautre tue la vie et cest sa définitive condamnation. 3° - Nous ferons exactement les mêmes observations pour notre
méthode naturelle de modelage et de céramique. Nous pouvons parler en connaissance de causes, nous qui avons
subi, en notre jeune âge, les leçons scolastiques de copie servile de bas-reliefs
anciens. Nous en avons acquis la certitude intime que nous étions
incapables de produire quelque chose de valable avec ce matériau presque idéal quest
la terre. Et nous avons été dégoûtés à jamais dun art pourtant ancestral qui
est comme ancré dans la vie de tout individu. Nous retrouvons, par notre méthode, la même joie de créer, de
sexprimer, de réussir, de monter, et cela sans aucune leçon scolastique. Ici encore, pour montrer la supériorité incontestable de notre
méthode naturelle, il suffit de voir les enfants et de comparer les résultats. 4° - La démonstration sera la même pour notre méthode
naturelle de musique. Si on attend de savoir lire les notes et de connaître la
théorie musicale pour chanter ou jouer dun instrument, on désapprend la musique. Cest en chantant, en jouant, en improvisant, quon
apprend à chanter et à jouer. Les règles pourront être apprises avec profit, si on en
éprouve le besoin, quand on aura dominé expérimentalement l apprentissage. 5° - Il suffit dailleurs de considérer des arts nouveaux
comme lexpression cinématographique pour se rendre compte que la méthode
scolastique dapprentissage est aujourdhui dépassée par la vie. 6° - Daccord, nous dira-t-on, peut-être pour lapprentissage
de tout ce qui touche au personnel, à lintuitif, à lart où le subjectif et
la subtilité ont toujours une si grande place. Mais pourriez-vous prétendre à un aussi total succès pour lacquisition
des sciences exactes, quelles soient mathématiques ou techniques ? Lapprentissage mathématique a été depuis toujours,
pourrions-nous dire, dominé par la mécanique du nombre.
Pour lécole, il ny avait guère quun aspect des mathématiques, celui
qui se faisait sur la base des chiffres, des nombres, de leurs combinaisons, et des
opérations ou problèmes quil permettaient. Cette méthode scolastique, que les
examens ont mise à lhonneur, nous avait fait oublier totalement que, de tout temps,
hors de lEcole, a fleuri une autre forme de calcul, celle qui agit par Tâtonnement
Expérimental à même la vie et dont tous les résultats ont été, à certaines époques
de lhistoire des hommes, aussi spectaculaires que les conquêtes contemporaines.
Les mathématiques modernes sont en train de corriger cette erreur.
« Lenseignement mathématique donné dans les écoles semble aujourdhui
en pleine fermentation » écrit le prof. Dienes[4].
Tous les pays du monde ressentent une pénurie de scientifiques, de techniciens et
des autres spécialistes dont le rôle est de faire progresser la civilisation technique.
Toutes les aptitudes scientifiques et techniques reposent sur laptitude à
maîtriser les structures mathématiques et, parmi les jeunes, il y en a trop qui ignorent
jusquà lexistence de ces structures. La plupart dentre eux, tout au
long de leurs études mathématiques, ny voient quun laborieux processus de
conditionnement, dont la seule raison dêtre est la préparation aux examens qui
ouvrent les diverses carrières.
Cest pourquoi, en de nombreux points du globe, on commence à repenser par la
base le rôle de lenseignement mathématique, en même temps quon entreprend,
dans certains centres, une véritable recherche expérimentale à lintérieur de la
classe ; on espère, par cette méthode, démontrer que certaines réformes sont à
la fois réalisables et souhaitables. Cest ainsi quà lacquisition
traditionnelle des règles apprises par cur, on a cherché à substituer lexploration
des structures mathématiques fondamentales : et on est en train de découvrir que
cette exploration, malgré ses risques et ses difficultés, enthousiasme les enfants. Tout
enfant, sil na pas été gâtée par un long conditionnement dans le système
des punitions et des récompenses imposées de lextérieur, aime faire face à une
situation qui éveille sa curiosité naturelle. » La méthode ainsi préconisée, cest celle du Tâtonnement
Expérimental. Nous lavons montré par notre longue réalisation du Calcul Vivant
tel que nous lavons défini dans notre étude : lEnseignement du
Calcul[5].
« On ne saurait dire dune théorie, explique le même
auteur, quelle est vraie ou fausse. Elle sapplique ou elle ne sapplique
pas. Si elle sapplique, on lutilise ; sinon, on labandonne. » Cest lépreuve que nous faisons avec lefficience
de lapprentissage par le Tâtonnement Expérimental. 7° - Pour les mêmes raisons, notre méthode naturelle de
sciences donne des résultats supérieurs aux méthodes traditionnelles dapprentissage
et nous en avons expliqué les raisons. On lira les résultats acquis dans notre étude lEnseignement
des Sciences. Voici passé en revue les principaux enseignements. Il sera
toujours loisible aux lecteurs de généraliser, ce quils feront, sur nos données,
sans aucun risque derreurs. Puissent nos démonstrations convaincre les scolastiques non
point que notre technique dapprentissage est supérieure à la leur, mais que nos
réalisations supposent du moins une reconsidération . Nous souhaitons quils y
procèdent dans lesprit cartésien et scientifique qui seul permet de démêler dans
le complexe vital et social les voies majeures du progrès. ---------- RECONSIDERATION GENERALE DES TECHNIQUES DAPPRENTISSAGE Lévolution accélérée du monde contemporain, la
nécessité pour les entreprises de produire au maximum pour affronter la concurrence
internationale amènent les chercheurs et les techniciens à reconsidérer sans cesse les
méthodes dapprentissage et de travail. Sauf à
lEcole où lon obtient des rendements dérisoires qui sont dans
certains cas de lordre de 5 à 10 %. On parle sans cesse du surmenage scolaire des
enfant et il est effectif -, du nombre excessif dheures demandées
journellement aux écoliers. On cherche à réduire la matière à enseigner comme sil
sagissait dun problème de malthusanisme. Ce qui mériterait dêtre
étudié scientifiquement, ce serait de savoir si les méthodes dapprentissage usitées, dont on mesurerait le résultat, ne
pourraient pas être améliorées. Si nos écoliers et nos étudiants, avec de nouvelles
méthodes, apprennent plus et mieux en 5 heures quen 10 heures avec des anciennes
méthodes, naurions-nous pas trouvé la solution idéale aux graves problèmes de
scolarité ? Lenjeu vaut quon sen préoccupe, objectivement
et sans tarder. Les conjonctures, quoi quil y paraisse, sont aujourdhui favorables à cette
reconsidération. On se rend compte en effet que la robotisation des travailleurs
y compris les travailleurs intellectuels est une impasse qui ne peut
déboucher que sur lasservissement des hommes, et que cette tendance à lasservissement
suscitera toujours la réaction plus ou moins spontanée des exploités et leur lutte
diffuse et unie pour leur libération. Changer les normes de travail et lesprit qui
y préside est une nécessité. Et lEcole se devrait de donner lexemple. Hélas ! cest dans les milieux universitaires que la
réforme des techniques de travail rencontre le plus dopposition. Tout au plus accepte-t-on, devant lévidence de léchec,
une mécanisation qui pourrait bien être pire que le mal. On invente aujourdhui des
machines et des techniques qui permettent de hisser rapidement et artificiellement les
individus à un premier ou à un deuxième
étage doù ils regardent avec quelque orgueil la foule grouillante qui sagite
à leurs pieds. Mais on na pas modifié en profondeur les processus qui
permettraient une véritable ascension. Et cest pourquoi le monde contemporain
envahi de techniciens reste si pauvre en chercheurs, en ingénieurs, en organisateurs, en
artistes pour lesquels une autre formation est nécessaire. Le danger risque fort de saggraver dans les année à venir
avec laventure actuelle des machine à enseigner qui tendent à mécaniser davantage
lenseignement, mais sans changer pour autant la méthode dapprentissage qui continue à fonctionner par devoirs,
questions, explications, récompenses et punitions. Le rendement dun champ est insuffisant, et les causes de
cette insuffisance sont complexes. Quà cela ne tienne : on va amener des
tracteurs et des machines qui feront plus rapidement les opérations. On pourra peut-être
cultiver une plus grande étendue de champs, mais le rendement à lhectare nen
sera pas modifié. Nous avons longuement critiqué cette tare des machines à
enseigner de type américain et les tares quelle risque dajouter à notre
enseignement dans notre livre : Bandes enseignantes et Programmation[6]. Lidée dun changement dans les techniques dapprentissage
et de travail gagne cependant du terrain. Dans les documents officiels eux-mêmes on parle
maintenant d « imprégnation » dans létude de la langue qui,
au premier stade, ne doit pas recourir aux règles de grammaire. Au second degré même létude
systématique cède peu à peu le pas à linformation, à lexpérimentation et
à la recherche, fondement des travaux de rédaction et de construction. Il suffisait peut-être que nous jetions la suspicion sur des
méthodes qui trônaient en reines sur toute la pédagogie pour quune forme logique,
naturelle et humaine déducation reprenne ses droits jusquà inscrire dans le
proche avenir en TECHNIQUES DE VIE limmense effort des hommes et des peuples vers la
vraie culture et le progrès. ---------- VERS UNE NOUVELLE
TECHNIQUE DE VIE Améliorer, dans tous les domaines, le rendement de nos efforts
est évidemment une tâche de toute première importance. Travailler à vide, ou avec un rendement réduit est toujours
décourageant et débilitant pour les individus qui y perdent leur indispensable confiance
dans lefficacité de leurs efforts. Subir, pour parer à linefficience des techniques dapprentissage,
des pratiques de conditionnement et doppression qui sont destructrices de la
personnalité este inhumain et antipédagogique. Il ne saurait y avoir éducation quand les méthodes en usage
dressent les uns contre les autres éducateurs et éduqués. Lécole à tous les
degrés doit sorienter vers une humaine coopération. Mais ce sont là de beaux
thèmes à discours quye contredit presque toujours la réalité de nos classes. Cette
réalité cest que la coopération saccommode mal dun dogmatisme
autoritaire fondé sur une conception réactionnaire du comportement. Si nous devons
attendre den haut, que ce soit dune religion, dune croyance ou de la
Science les directives qui motiveront et orienterons nos efforts, nous faisons notre
propre apprentissage de vie sur des bases de passivité, de servilité et doppression
qui marquerons notre destinée. Ce nest jamais par le conditionnement à lautorité,
quelle quelle soit, quon se prépare à la libre activité au service de la
vie. Si vous optez au contraire pou la théorie générale de lapprentissage
par les méthodes naturelles du Tâtonnement Expérimental, vous savez que cest à
partir du berceau que lindividu construit sa personnalité. Vous ly aiderez en
lui offrant les possibilités maximum dexpériences, dans le milieu scolaire aussi
bien que dans le milieu social. Vous lui offrirez de bons exemples. Vous verrez alors vos
enfants virils et vigilants devant les difficultés de la vie . ils nattendront
plus, bêtement, que quelquun décide pour eux. Ils sauront vivre et agir selon les
lignes majeures de leur destin. - § - Nous terminerons enfin en disant les changements qui
interviendront, de ce fait, dans lesprit et la vie des éducateurs eux-mêmes. Vous naviez jusquà ce jour aucune technique de vie
puisque vous étiez ballottés entre deux milieux différents et bien souvent opposés,
aucune ligne de comportement susceptible daxer tout à la fois votre destinée dhommes,
déducateurs et de travailleurs. Instinctivement, dans vos rapports extra-scolaires avec le
milieu, vous vous référez encore aux habitudes naturelles dagir et de réagir
selon les vieilles lois de lexpérience et du bon sens, de plus en plus contredites
par les exigences mécanistes de votre métier.
Au nom de la Science, au nom des vérités soi-disant découvertes par
les « savants » et qui sont désormais inscrites dans les manuels, dans
les graphiques, dans les pourcentages, et bientôt dans les décisions automatiques des
machines électroniques, vous perdez pied, vous navez plus dassise dans la
nature et dans la vie, vous attendez que dautres décident souverainement pour vous.
Vous perdez ce qui fait la dignité et loriginalité de votre personnalité. Ainsi ballottés entre ce qui vous reste dexpérience
vivante et les obligations du milieu, vous retrouvez difficilement cet équilibre
fonctionnel sans lequel il ny a ni efficience ni bonheur. Par le Tâtonnement Expérimental, vous aurez la possibilité de
retrouver une Technique de vie, non seulement scolaire mais personnelle, familiale, et
sociale. Et ce sera peut-être la plus définitive de vos conquêtes. A vous de la mériter C. F. 7/8/65 [1] Dans Sciences et Vie de août 1965, nous lisons à côté dune photo de linventeur de lAéro-train : « Sur la photo ci-contre, M. Guienne, Ingénieur en chef de la Compagnie Bertin ; certains ont vu en lui « linventeur » de lAéro-train. Pour dautres, lappareil serait entièrement dû à M. Bertin. En fait, lun et lautre nient la paternité quon leur prête. LAéro-train nest pas une invention. Cest un ensemble de mises au point techniques qui nont rien de révolutionnaire. » A lorigine de lAéro-train, il y a un nombre incalculable de tâtonnements pour aplanir dinnombrables petits obstacles". [2] Editions de lEcole Moderne Française, catalogue CEL, page 10 [3] De C. Freinet Editions Delachaux et Niestlé, tome II de la Méthode Naturelle [4] Dienes, Comprendre la mathématique, OCDL éd. [5] B.E.M., n° 13 14, Editions de lEcole Moderne, Cannes [6] C. Freinet, Editions de lEcole Moderne, BEM n° 29 - 32 |