Avec l'enfant...
Pour l'enfant...
Les travaux de peinture, spontanés
que j'avais exposés au Congrès Mondial de l'Education Nouvelle, à Nice, ont suscité
non seulement un mouvement de vive curiosité, mais encore une vague d'enthousiasme.
Les témoignages nombreux que j'ai reçus, soit à Nice, soit à mon
retour, et qui expriment les émotions qu'ont fait naître les projections fidèles du moi
enfantin, me donnent l'espoir que mes bambins, innocemment, auront travaillé à la
libération - combien urgente ! - de leurs petits camarades.
Des collègues m'ont dit : «
Faites-nous connaître votre méthode de dessin »...
Je n'ai pas de méthode particulière
de dessin. Je me suis seulement ingéniée, en cet ordre de choses, comme en tous les
autres, à donner à l'enfant des
éléments de travail qui répondent à ses besoins et à ses possibilités, des
matériaux qui lui permettent de s'exprimer spontanément sans qu'il ait à subir
l'ingérence de l'adulte de quelque façon que ce soit.
J'avais remarqué, ces dernières
années, que l'aquarelle, communément en usage dans les écoles, ne convenait pas à
l'enfant, que sa technique rebutante pour lui, entravait l'expression, compromettait
l'extériorisation saine et joyeuse. Je fis des recherches et découvris, chez Lefranc,
les « couleurs à la détrempe » qui paraissaient répondre à ce que j'attendais. Les
premiers essais que j'en fis dans ma classe provoquèrent chez mes élèves une véritable
avidité ; c'était exactement ce qui
leur convenait. Ce sont des couleurs « couvrantes », cest-à-dire qui peuvent
se superposer.
Quand un enfant peint une maison, il
peint la façade tout entière puis surajoute les fenêtres et la porte. Ce n'est pas
conforme à la technique de l'aquarelle mais, par contre, les « couleurs
couvrantes » s'adaptent aux procédés de l'enfant.
Le Larousse m'a appris par la suite
que, à l'origine de l'Art, ce sont ces mêmes « couleurs à la détrempe » qu'on
employait. Voilà un rapprochement qui pourrait peut-être aider à des sondages
psychologiques.
Cette réforme dans la peinture
m'apparaît sur un point comparable à celle que l'on vient de faire pour l'écriture ;
elle procède du même souci d'adapter l'aliment au processus évolutif de l'enfant. Mais
elle apporte quelque chose de plus, c'est que l'appétence du tout petit pour ce moyen
facile d'expression peut nous amener à de nouvelles découvertes psychologiques et, en
cela, cette réforme se rapproche de celle qu'a apportée l'Imprimerie à l'Ecole.
M. Ferrière, dans « Pour l'Ere
Nouvelle » de mars, posait la question : « L'enfant est-il créateur ? Sauf
exception, ajoutait-il, ses inventions personnelles sont pauvres » ...
Les expériences que j'ai faites
cette année, et plus particulièrement celles qui touchent la peinture, m'autorisent à
affirmer que l'enfant est créateur. Mais il ne peut créer qu'avec des moyens
d'expression à sa mesure.
L'adulte puise dans l'ambiance les
éléments qui lui conviennent pour donner corps à sa pensée et, tous les moyens
d'expression dont il dispose : la langue, l'art, la science, supposent une somme
d'acquisitions conventionnelles sans
lesquelles l'homme ne pourrait être compris dans ses créations.
Or, si l'on a pu douter que l'enfant
est créateur, c'est qu'on n'avait pas su voir qu'il ne peut créer avec les mêmes moyens
que l'adulte. C'est qu'on n'avait pas su découvrir les éléments d'expression à sa
mesure.
I1 faut avoir observé les enfants à l'uvre, à
la table de peinture, avides et exultants ou graves, méditatifs, recueillis, patients,
suivant chacun son obstination telle que même l'heure de la récréation ou du départ ne
peut les en arracher ! - pour ne plus douter qu'il y a en eux un foyer rayonnant qui a ses
lois propres qu'on ne saurait transgresser sans le détruire.
Heure profondément émouvante que
celle où m'apparurent pour la première fois les manifestations de l'esprit créateur !
Et quel soin l'enfant ne met-il pas
à l'entretenir ce souffle ! C'est sa chose, il la défend âprement. La fonction
entretient le foyer, il le pressent. Et rien, lorsqu'il est en confiance et dans
l'indépendance, ne saurait vaincre cette force irrésistible qui veut s'inscrire.
Lorsqu'on a laissé l'enfant prendre
conscience de soi, rien n'ébranle plus la fermeté avec laquelle il exécute l'ordre
intérieur. Ni les conseils, ni les suggestions - j'ai voulu prudemment en faire l'expérience au moment
opportun - n'entament plus l'originalité du caractère qui s'est élaboré à
travers le chaos d'où l'on a vu apparaître un jour des formes, un sens, une voie...
L'enfant oppose un non ! catégorique et superbe. Il veut être soi.
Le plaisir avec lequel il s'exerce à
l'élaboration de son uvre l'application, la ténacité, qu'il met à l'achever,
révèlent qu'il y a là, pour lui, une sorte de libération, de délivrance...
Mme Guéritte, dans sa causerie au
Congrès, disait : « Le dessin de l'enfant,
ce n'est pas de l'art, c'est une fonction biologique ».
Il est, à n'en pas douter, une
fonction biologique mais jy vois quelque chose de plus : le levain des
émotions qui forment l'artiste, une participation au développement organique des
facultés créatrices de l'enfant et par là, c'est un commencement d'art.
Mme Guéritte disait encore : « Vers
10 ou 12 ans (d'autres ont dit 13) l'enfant cesse de dessiner spontanément, il convient
alors de lui donner une méthode ».
Il y aurait lieu de rassembler des
témoignages nombreux à ce sujet et de rechercher les causes réelles de cet arrêt. Ne
se trouveraient-elles pas dans l'ambiance elle-même ?
Il va sans dire que, en ce qui
concerne le dessin « libre », les expériences ne peuvent être formelles que lorsque la
liberté va jusqu'à ne point limiter l'enfant ni
dans la consommation des matériaux qui lui sont nécessaires, ni dans le temps qu'il lui
plaît d'y travailler, ni dans le choix de l'heure.
La liberté n'est si souvent qu'un
semblant d'indépendance ! Témoin la Méthode Montessori qui, à l'autorité de la
maîtresse a substitué la rigidité d'un matériel...
A l'exposition de « The Garden
School », à Nice, j'ai pu voir des peintures, véritables chefd'oeuvre d'élèves de
13 à 18 ans qui ont de tout temps travaillé librement.
« The Garden School » reçoit les
enfants à partir de 3 ans et, la directrice Mme Nicoles, m'a déclaré que les élèves
à tout âge, travaillent en pleine indépendance, sans qu'aucune méthode, jamais, ne
leur soit imposée. Cet exemple me porte à croire que, même vers 10 ou 12 ans une
méthode peut nuire à l'originalité des talents...
On ne saurait trop insister sur
l'importance de la peinture à l'Ecole.
Indépendamment de sa valeur
éducative, des moyens d'investigation qu'elle offre au psychologue et au psychiâtre,
elle répand sur l'état psychique de l'enfant une influence bienfaisante et réparatrice
très précieuse.
J'ai vu, dans ma classe, le timide, lémotif,
l'instable, le violent, le soi-disant « paresseux », le prétendu « coupable
» de mauvaises habitudes, s'épanouir, s'équilibrer, s'harmoniser.
(A
suivre).
Lina DARCHE.
St-Jean-de-Bournay (Isère).
- Dans mes prochains articles, je
donnerai des précisions sur l'organisation du travail dans ma classe, pour répondre au
désir de certaines collègues.
L.D.