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Contes, histoires, et poésies
sur les oiseaux
De tout temps, les hommes ont inventé des histoires sur les oiseaux. En voici quelques exemples:
Oh
! qu'il faisait bon, dehors à la campagne ! C'était l'été.
Les blés étaient jaunes, l'avoine verte, le foin était
ramassé par tas dans les
prés verts, et la cigogne marchait sur ses longues jambes rouges et parlait
égyptien, car sa mère lui avait appris cette langue. Autour des
champs et des prés il y avait de grandes forêts, et au milieu des
forêts des lacs profonds ; oui, vraiment, il faisait bon à la campagne.
En plein soleil s'élevait un vieux château entouré de douves
profondes, et depuis le mur de base jusqu'à l'eau poussaient des bardanes
à larges feuilles, si hautes que les petits enfants pouvaient se cacher
debout derrière les plus grandes : l'endroit était aussi sauvage
que la plus épaisse forêt, et une cane était là sur
son nid elle couvait ses canetons qui devaient sortir des oeufs, mais elle commençait
à en avoir assez, car cela durait depuis longtemps, et on venait rarement
la voir ; les autres canards aimaient mieux nager dans les douves que de grimper
et rester sous une feuille de bardane pour bavarder avec elle.
Enfin les oeufs craquèrent l'un après l'autre, on entendait: "clac
clac !", tous les jaunes d'oeufs étaient devenus vivants et sortaient
la tête.
- Coin, coin ! disait la cane.
Et les canetons s'agitaient tant qu'ils pouvaient, et regardaient de tous les
côtés sous les feuilles vertes, et la mère les laissait
regarder autant qu'ils voulaient, car le vert est bon pour les yeux.
Comme le monde est grand, disaient tous les petits.
Et ils avaient, en effet, un beaucoup plus grand espace que lorsqu'ils étaient
enfermés dans leurs oeufs.
- Croyez-vous que c'est là le monde entier ? disait la mère. Il
s'étend loin de l'autre côté du jardin, jusqu'au champ du
prêtre Mais je n'y ai jamais été... Vous êtes bien
là tous, au moins ?
Et elle se leva.
- Non, je ne les ai pas tous. Le plus grand oeuf est encore là ; combien
de temps ça va-t-il encore durer ? J'en ai bientôt assez. Et elle
se recoucha.
-
Eh bien ! comment ça va ? dit une vieille cane qui venait en visite.
- Ça dure bien longtemps pour un seul oeuf, dit la cane couchée.
Il ne veut pas se percer ; mais tu verras les autres, ce sont les plus jolis
canetons que j'aie vus ; ils ressemblent tous à leur père, ce
scélérat qui ne vient pas me voir.
- Laisse-moi voir cet oeuf qui ne veut pas craquer, dit la vieille. Mais c'est
un oeuf de dinde, tu peux m'en croire ! Moi aussi, j'y ai été
pincée une fois, et j'ai eu bien du mal avec les petits, car ils ont
peur de l'eau, je dirai ! Je ne pouvais pas les décider à y aller
; j'avais beau les gourmander et les houspiller, rien n'y faisait... Laisse-moi
voir... mais oui, c'est un oeuf de dinde ; tu n'as qu'à le laisser et
enseigner la nage aux autres enfants.
- Je resterai tout de même dessus encore un peu de temps, voilà
si longtemps que j'y suis. Je peux bien continuer.
- Comme tu voudras ! dit la vieille cane.
Et elle s'en alla.
Enfin
le gros oeuf creva.
- Pip ! Pip ! dit le petit en sortant.
Il était grand et laid. La cane le regarda.
Voilà un caneton terriblement gros, dit-elle ; aucun des autres ne lui
ressemble ; ce ne serait pas tout de même un dindonneau ; enfin, on verra
ça bientôt ; il faudra qu'il aille à l'eau, quand je devrais
l'y pousser à coups de patte.
Le
lendemain, il fit un temps délicieux ; le soleil brillait sur les bardanes
vertes. La mère cane vint au bord de la douve avec toute sa famille.
Plouf ! elle sauta dans l'eau .
- Coin, coin, dit-elle.
Et les canetons plongèrent l'un après l'autre ; l'eau leur passait
par-dessus la tête, mais ils revenaient tout de suite à la surface
et nageaient gentiment ; leurs pattes s'agitaient comme il faut, et tous étaient
là, même le gros gris si laid nageait avec les autres.
- Non, ce n'est pas un dindon, dit la cane ; regardez-moi comme il sait bien
se servir de ses pattes, et comme il se tient droit ! C'est bien un petit à
moi ! et, en somme, il est tout à fait beau, à bien le regarder
! Coin, coin !... venez avec moi maintenant, que je vous mène dans le
monde, et vous présente dans la cour des canards, mais tenez-vous toujours
près de moi, afin qu'on ne vous marche pas sur les pattes et méfiez-vous
du chat.
Et
ils arrivèrent dans la cour des canards. Le vacarme y était effroyable,
parce que deux familles se disputaient une tête d'anguille, et ce fut
le chat qui l'attrapa.
- Voyez, c'est ainsi que va le monde, dit la mère cane.
Et elle se frotta le bec, car elle aurait voulu avoir la tête d'anguille,
elle aussi.
- Jouez des pattes, dit-elle, et tâchez de vous dépêcher,
et courbez le cou devant la vieille cane, là-bas ; c'est elle qui a le
plus haut rang de toutes ici ; elle est de race espagnole, c'est pourquoi elle
est grosse, et vous voyez qu'elle a un ruban rouge à la patte; c'est
magnifique, cela, c'est la plus haute distinction qu'une cane puisse avoir,
cela signifie qu'on ne veut pas s'en défaire, et que les animaux et les
hommes doivent la reconnaître. Allons, grouillez-vous... ne vous mettez
pas dans mes pattes, un caneton bien élevé marche en écartant
les pattes, comme père et mère. C'est bien ! maintenant, courbez
le cou et dites : coin, coin !
Et les petits obéissaient. Mais les autres canes, tout autour, les regardaient
et disaient à voix haute :
- Regardez-moi ça; nous allons avoir une famille de plus; comme si nous
n'étions pas assez nombreux déjà. Et fi ! quelle mine a
l'un de ces canetons ! Celui-là, nous n'en voulons pas !
Et aussitôt une cane de voler et de le mordre au cou.
- Laisse-le tranquille, dit la mère, il ne fait rien à personne.
- Non, dit la cane qui avait mordu, mais il est trop grand et cocasse, il faut
le taquiner.
- Ce sont de beaux enfants que vous avez, la mère, dit la vieille cane
ornée d'un ruban à la patte. Tous beaux à l'exception de
celui-là ; je voudrais que vous puissiez le refaire.
- Ce n'est pas possible, madame, dit la mère cane. Il n'est pas beau,
mais il a très bon caractère, et il nage aussi joliment qu'aucun
des autres. Et même, j'ose ajouter que, selon moi, il embellira ou deviendra
un peu plus petit avec le temps. Il est resté trop longtemps dans son
oeuf, c'est pourquoi il n'a pas eu la taille convenable.
Et elle lui lissa son plumage.
- D'ailleurs c'est un canard, dit-elle, ça n'a donc pas autant d'importance.
Je crois qu'il sera vigoureux et qu'il fera son chemin.
- Les autres canetons sont gentils, dit la vieille, faites donc maintenant comme
chez vous, et si vous trouvez une tête d'anguille, vous pourrez me l'apporter
!
Et ils furent comme chez eux.
Mais
le pauvre caneton qui était sorti de l'oeuf le dernier, et qui était
si laid, fut mordu, bousculé et nargué, à la fois par les
canes et les poules.
- Il est trop grand, disaient-elles toutes.
Et le dindon, qui, étant né avec des éperons, se croyait
empereur se gonfla comme un cargo à pleines voiles, se précipita
sur lui, puis glouglouta, et sa tête devint toute rouge. Le pauvre caneton
ne savait où se fourrer, il était désolé d'avoir
si laide mine et d'être la risée de toute la cour des canards.
Ainsi
se passa le premier jour, et ce fut de pis en pis ensuite. Le pauvre caneton
fut pourchassé par tout le monde, même ses frères et soeurs
étaient méchants pour lui, et disaient :
- Si seulement le chat t'emportait, hou, le vilain !
Et la mère disait :
- Je voudrais que tu sois bien loin !
Et les canards le mordaient, les poules lui donnaient des coups de bec, et la
fille qui donnait à manger aux bêtes, le renvoyait du pied.
Alors il s'envola par-dessus la haie ; les petits oiseaux des buissons, effrayés,
s'enfuirent en l'air : "c'est parce que je suis si laid", pensa le
caneton, et il ferma les yeux, mais s'éloigna tout de même en courant.
Et il parvint au grand marais habité par les canards sauvages. Il y passa
toute la nuit, très las et triste.
Le
matin, les canards sauvages se mirent à voler, ils virent leur nouveau
camarade.
- Quelle sorte d'oiseau es-tu ? demandèrent-ils.
Et le caneton se tourna de tous les côtés, et salua du mieux qu'il
put.
- Tu es vraiment laid, dirent les canards sauvages, mais ça nous est
égal, pourvu que tu ne te maries pas dans notre famille.
Le pauvre ! il ne pensait guère à se marier, il demandait seulement
qu'on lui permit de coucher dans les roseaux et de boire un peu d'eau du marais.
Il resta là deux jours, après quoi deux oies sauvages arrivèrent,
ou plutôt deux jars sauvages, car c'étaient deux mâles ;
il n'y avait pas longtemps qu'ils étaient sortis de l'oeuf, aussi étaient-ils
fort insolents.
- Ecoute, camarade, dirent-ils, tu es si laid que tu nous plais ; veux-tu venir
avec nous et être oiseau migrateur ? Il y a tout près d'ici un
autre marais où sont de charmantes oies sauvages, toutes demoiselles,
qui savent dire coin-coin ! tu es bien capable d'y avoir du succès, laid
comme tu es !
Soudain,
au-dessus d'eux, on entendit : Pif, paf ! et les deux jars sauvages tombèrent
morts dans les roseaux, et l'eau devint rouge sang ; pif, paf résonna
de nouveau, et des troupes d'oies sauvages s'envolèrent des roseaux et
les coups de fusil éclatèrent encore. C'était une grande
chasse ; les chasseurs étaient autour de l'étang, quelques-uns,
même, dans les branches des arbres, qui s'étendaient jusqu'au-dessus
des roseaux ; la fumée bleue formait comme des nuages au milieu des arbres
sombres, et restait suspendue sur l'eau ; les chiens entrèrent dans la
vase, plaf, plaf ! joncs et roseaux s'inclinaient de tous côtés
; c'était effroyable pour le pauvre caneton, qui tourna la tête
pour la cacher sous son aile, et à ce moment même un grand chien
terrible se trouva devant lui ; le chien avait une longue langue qui pendait
et de vilains yeux horriblement brillants ; il approcha sa gueule du caneton,
montra ses dents pointues... et plaf ! il s'en alla sans y toucher.
- Oh ! Dieu merci, soupira le caneton, je suis si laid que même le chien
ne veut pas me mordre.
Et il demeura immobile pendant la grêle de plomb dans les joncs et la
pétarade des coups de feu.
Le calme ne revint que tard dans la journée, mais le pauvre petit n'osa pas encore se lever, il attendit plusieurs heures avant de regarder autour de lui, et alors il se dépêcha de quitter le marais le plus vite qu'il put ; il courut à travers champs et prés, le vent soufflait si fort qu'il avançait à grand-peine.
Vers le soir, il atteignit une pauvre petite cabane de paysan ; elle était si misérable qu'elle ne savait pas de quel côté elle devait tomber, si bien qu'elle restait debout. La tempête faisait tellement rage autour du caneton qu'il dut s'asseoir sur sa queue pour y résister ; et cela devenait de pis en pis ; mais il s'aperçut que la porte avait perdu un de ses gonds, en sorte qu'elle était accrochée de guingois, et que par la fente il pouvait se faufiler dans la cabane c’est ce qu'il fit.
C'était la demeure d'une vieille femme qui vivait avec son chat et sa poule, et le chat, qu'elle appelait Fiston, savait faire gros dos et ronronner, et même il jetait des étincelles, mais pour cela il fallait le caresser à rebrousse-poil ; la poule avait de très petites pattes basses, et pour cette raison s'appelait Kykkeli-courtes pattes elle pondait bien, et la femme l'aimait comme son propre enfant.
Le
matin, on vit tout de suite le caneton étranger, et le chat se mit à
ronronner et la poule à glousser.
- Qu'y a-t-il ? dit la femme, qui regarda autour d'elle.
Mais elle ne voyait rien, et crut que c'était une cane grasse qui s'était
égarée.
- Voilà une bonne prise, dit-elle, je vais avoir des oeufs de cane pourvu
que ce ne soit pas un canard ! Enfin, on verra !
Et le canard fut admis pendant trois semaines, pour voir, mais aucun oeuf ne
vint. Et le chat était le maître de la maison et la poule la maîtresse,
et ils disaient toujours : " Nous et le monde ", car ils croyaient
en composer la moitié, et la meilleure. Le caneton pensait que l'on pouvait
être d'un autre avis, mais c'était une opinion que la poule n'admettait
pas.
- Sais-tu pondre ? demandait-elle.
- Non.
- Alors, tu n'as qu'à te taire.
Et le chat disait :
- Sais-tu faire le gros dos, ronronner, et faire jaillir des étincelles
?
- Non.
- Alors tu n'as rien à dire quand les gens raisonnables parlent.
Et le caneton restait dans son coin, et il était de mauvaise humeur;
aussi vint-il à penser au grand air et à l'éclat du soleil
; il eut un singulier désir de nager sur l'eau, il finit par ne pouvoir
s'empêcher d'en parler à la poule.
- Qu'est-ce qui te prend ? demanda-t-elle. Tu n'as rien à faire, c’est
pourquoi il te vient des lubies pareilles. Ponds ou ronronne, et ça te
passera !
- Mais c'est délicieux de nager sur l'eau, dit le caneton... et délicieux
d'avoir de l'eau par-dessus la tête et de plonger jusqu'au fond !
- Bon, voila-t-il pas un beau plaisir, dit la poule. Tu es fou. Demande au chat,
je ne connais pas d'animal plus intelligent, s'il aime nager sur l'eau... ou
plonger. Je ne parle pas de moi... Demande même à notre patronne,
la vieille femme, il n'y a personne au monde de plus intelligent, crois-tu qu'elle
ait envie de nager ou d'avoir de l'eau par-dessus la tête ?
- Vous ne me comprenez pas, dit le caneton.
- Bon, si nous ne te comprenons pas, qui est-ce qui te comprendrait ? Tu ne
prétends pas tout de même, être plus intelligent que le chat
et la femme, pour ne pas me citer. Ne fais pas le fou, enfant, et remercie ton
créateur de tout le bien qu'on t'a fait. N'es-tu pas entré dans
une maison chaude, et n'y as-tu pas une société où tu peux
t'instruire ? Mais tu es un dadais, qui n'est pas amusant à fréquenter.
Tu peux m'en croire, je te veux du bien, je te dis des choses désagréables,
c'est à cela qu'on reconnaît ses vrais amis tu n'as qu'à
tâcher de pondre des oeufs et apprendre à ronronner ou à
faire jaillir des étincelles.
- Je crois que je vais m'en aller dans le vaste monde, dit le caneton.
- Eh bien, fais-le donc, dit la poule.
Et le caneton partit ; il nagea sur l'eau, il plongea, mais tous les animaux le dédaignaient à cause de sa laideur.
Puis, l'automne arriva, les feuilles, dans la forêt, devinrent jaunes et brunes, le vent s'en empara, elles dansèrent de tous côtés, et en haut, dans l'air, on sentait le froid ; les nuages étaient lourds de grêle et de flocons de neige, et dans la haie le corbeau criait : "aô, aô !" tant il avait froid ; il y avait de quoi geler, vraiment ; le pauvre caneton n'était certes pas à son aise.
Un soir, comme le soleil se couchait superbement, arriva tout un troupeau de beaux grands oiseaux, qui sortaient des buissons ; jamais le caneton n'en avait vu d'aussi ravissants, ils étaient entièrement d'une blancheur éclatante et avec de longs cous flexibles ; c'étaient des cygnes, ils poussèrent un cri très singulier, déployèrent leurs grandes ailes magnifiques, et s'envolèrent pour s'en aller vers des pays plus chauds, par delà les mers ; ils volaient très haut, très haut, et le vilain petit caneton éprouva une impression étrange il se mit à tourner en rond dans l'eau, comme une roue, tendit le cou en l'air vers ces oiseaux, poussa un cri si fort et si bizarre que lui-même en eut peur. Oh, il n'oublierait jamais ces charmants oiseaux, ces heureux oiseaux, et sitôt qu'il ne les vit plus, il plongea jusqu'au fond, et lorsqu'il revint à la surface, il fut comme hors de lui. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux, ni où ils allaient, mais il les aimait comme jamais il n'avait aimé personne ; il n'en était pas du tout jaloux, comment aurait-il pu avoir l'idée de souhaiter une telle grâce, il aurait été heureux si seulement les canards l'avaient supporté parmi eux... pauvre vilaine bête.
L'hiver
fut extrêmement froid ; le caneton dut tout le temps nager dans l'eau
pour l'empêcher de geler complètement ; mais chaque jour, le trou
dans lequel il nageait se rétrécissait davantage; une croûte
s'y formait, qui craquait ; le caneton devait toujours y jouer des pattes, afin
que l'eau ne se fermât pas ; il finit par être si épuisé
qu'il ne bougea plus, et resta gelé, pris dans la glace.
Le matin, de bonne heure, arriva un paysan qui le vit, brisa la glace avec ses
sabots, et l'emporta chez lui pour le remettre à sa femme. Là,
il fut ranimé.
Les enfants voulurent jouer avec lui, mais il croyait qu'ils lui voulaient du
mal, et se sauva, tout effrayé, droit à la terrine de lait, si
bien que le lait jaillit dans la salle ; la femme cria et battit des mains,
et il s'envola dans la baratte était le beurre, puis dans le tonneau
à farine ; quelle mine il avait en sortant de là ! La femme criait
et voulait le frapper avec les pincettes, et les enfants couraient et se renversaient
l'un l'autre pour l'attraper, et c'était des rires et des cris !... Heureusement
la porte était ouverte, et le caneton se sauva parmi des buissons couverts
de neige récente, et y resta comme engourdi.
Mais ce serait trop triste de raconter toute la misère qu'il dut subir par cet hiver rigoureux... Il était dans le marais parmi les roseaux lorsque le soleil redevint brillant et chaud. Les alouettes chantaient, c'était un printemps délicieux. Soudain le caneton déploya ses ailes qui bruirent plus fort qu 'autrefois et l'emportèrent avec vigueur ; et en un instant il se trouva dans un grand jardin où les pommiers étaient en fleur, où les lilas embaumaient et inclinaient leurs longues branches vertes jusqu’aux douves sinueuses. Oh, qu’il faisait bon là, dans la douceur du printemps Et droit devant lui, sortant du fourré, s'avançaient trois beaux cygnes qui battaient des ailes et nageaient légèrement. Il reconnut les magnifiques bêtes et fut pris d'une étrange tristesse.
- Je vais voler vers vous, oiseaux royaux, et vous me massacrerez, parce que j'ose, moi qui suis si laid, m'approcher de vous ! Mais peu importe ; plutôt être tué par vous que pincé par les canards, battu par les poules, poussé du pied par la fille de basse-cour, et gelé pendant l'hiver.
Et
il vola dans l'eau, où il nagea vers les superbes cygnes, qui l'aperçurent
et accoururent à lui à grands coups d'ailes.
- Tuez-moi si vous voulez ! dit le pauvre animal.
Et il pencha la tête sur la surface de l'eau, attendant la mort... mais
que vit-il dans l'eau claire ? Il vit sous lui sa propre image, mais qui n’était
plus celle d'un oiseau gris tout gauche, laid et vilain. Il était lui-même
un cygne.
Peu importe qu'on soit né dans la cour des canards, si l'on est sorti
d'un oeuf de cygne. Il était enchanté de toute la misère
et des tracas qu'il avait subis ; il apprécia d'autant mieux son bonheur,
et la splendeur qui l'accueillait. Et les grands cygnes nageaient autour de
lui et le caressaient avec leurs becs.
Des
petits enfants arrivèrent dans le jardin, jetèrent du pain et
du grain dans l'eau, et le plus jeune s'écria :
- Il y en a un nouveau ?
Et les autres enfants étaient ravis :
- Oui, il y en a un nouveau !
Et ils battirent des mains et dansèrent en rond, coururent chercher leur
père et leur mère, on jeta dans l'eau du pain et de la galette,
et tout le monde dit :
- Le nouveau est le plus beau ! Si jeune et si joli !
Et les vieux cygnes le saluèrent.
Il était tout confus, et se cacha la tête sous son aile, il ne
savait plus où il en était ! Il était trop heureux, mais
nullement orgueilleux. Il songeait combien il avait été honni
et pourchassé, maintenant il entendait dire qu'il était le plus
charmant des charmants oiseaux ! Et les lilas inclinaient leurs branches sur
l'eau jusqu'à lui, et le soleil brillait et réchauffait, alors
ses plumes se gonflèrent, son cou mince se dressa, et, ravi dans son
coeur, il cria :
- Jamais je n'ai rêvé d'un tel bonheur quand j'étais le
vilain petit canard.
Conte d'Andersen
Bien
loin d'ici, là où s'envolent les hirondelles quand nous sommes
en hiver, habitait un roi qui avait onze fils et une fille, Elisa. Les onze
fils, quoique princes, allaient à l'école avec décorations
sur la poitrine et sabre au côté ; ils écrivaient sur des
tableaux en or avec des crayons de diamant et apprenaient tout très facilement,
soit par cœur soit par leur raison ; on voyait tout de suite que c'étaient
des princes. Leur sœur Elisa était assise sur un petit tabouret
de cristal et avait un livre d'images qui avait coûté la moitié
du royaume. Ah ! ces enfants étaient très heureux, mais ça
ne devait pas durer toujours.
Leur père, roi du pays, se remaria avec une méchante reine, très
mal disposée à leur égard. Ils s'en rendirent compte dès
le premier jour : tout le château était en fête ; comme les
enfants jouaient « à la visite », au lieu de leur donner,
comme d'habitude, une abondance de gâteaux et de pommes au four, elle
ne leur donna que du sable dans une tasse à thé en leur disant
«de faire semblant ».
La semaine suivante, elle envoya Elisa à la campagne chez quelque paysan
et elle ne tarda guère à faire accroire au roi tant de mal sur
les pauvres princes que Sa Majesté ne se souciait plus d'eux le moins
du monde.
- Envolez-vous dans le monde et prenez soin de vous-même ! dit la méchante
reine, volez comme de grands oiseaux, mais muets.
Elle ne put cependant leur jeter un sort aussi affreux qu'elle l'aurait voulu
: ils se transformèrent en onze superbes cygnes sauvages et, poussant
un étrange cri, ils s'envolèrent par les fenêtres du château
vers le parc et la forêt.
Ce fut le matin, de très bonne heure qu'ils passèrent au-dessus
de l'endroit où leur sœur Elisa dormait dans la maison du paysan
; ils planèrent au-dessus du toit, tournant leurs longs cous de tous
côtés, battant des ailes, mais personne ne les vit ni ne les entendit,
alors il leur fallut poursuivre très haut, près des nuages, loin
dans le vaste monde. Ils atteignirent enfin une sombre forêt descendant
jusqu'à la grève. La pauvre petite Elisa restait dans la salle
du paysan à jouer avec une feuille verte - elle n'avait pas d'autre jouet
-, elle s'amusait à piquer un trou dans la feuille et à regarder
le soleil au travers, il lui semblait voir les yeux clairs de ses frères.
Lorsqu'elle eut quinze ans, elle rentra au château de son père
et quand la méchante reine vit combien elle était belle, elle
entra en grande colère et se prit à la haïr, elle l'aurait
volontiers changée
en cygne sauvage comme ses frères, mais elle n'osa pas tout d'abord,
le roi voulant voir sa fille.
De bonne heure, le lendemain, la reine alla au bain, fait de marbre et garni
de tentures de toute beauté. Elle prit trois crapauds. Au premier, elle
dit :
- Pose-toi sur la tête d'Elisa quand elle entrera dans le bain, afin qu'elle
devienne engourdie comme toi.
- Pose-toi sur son front, dit-elle au second, afin qu'elle devienne aussi laide
que toi et que son père ne la reconnaisse pas.
- Pose-toi sur son cœur, dit-elle au troisième, afin qu'elle devienne
méchante et qu'elle en souffre.
Elle lâcha les crapauds dans l'eau claire qui prit aussitôt une
teinte verdâtre, appela Elisa, la dévêtit et la fit descendre
dans l'eau. A l'instant le premier crapaud se posa dans ses cheveux, le second
sur son front, le troisième sur sa poitrine, sans qu'Elisa eût
l'air seulement de s'en apercevoir. Dès que la jeune fille fut sortie
du bain, trois coquelicots flottèrent à la surface ; si les bêtes
n'avaient pas été venimeuses, elles se seraient changées
en roses pourpres, mais fleurs elles devaient tout de même devenir d'avoir
reposé sur la tête et le cœur d'Elisa, trop innocente pour
que la magie pût avoir quelque pouvoir sur elle.
Voyant cela, la méchante reine se mit à la frotter avec du brou
de noix, enduisit son joli visage d'une pommade nauséabonde et emmêla
si bien ses superbes cheveux qu'il était impossible de reconnaître
la belle Elisa.
Son père en la voyant en fut tout épouvanté et ne voulut
croire que c'était là sa fille, personne ne la reconnut, sauf
le chien de garde et les hirondelles, mais ce sont d'humbles bêtes dont
le témoignage n'importe pas.
Alors la pauvre Elisa pleura en pensant à ses onze frères, si
loin d'elle. Désespérée, elle se glissa hors du château
et marcha tout le jour à travers champs et marais vers la forêt.
Elle ne savait où aller, mais dans sa grande tristesse et son regret
de ses frères, qui chassés comme elle erraient sans doute de par
le monde, elle résolut de les chercher, de les trouver.
La nuit tomba vite dans la forêt, elle ne voyait ni chemin ni sentier,
elle s'étendit sur la mousse moelleuse et appuya sa tête sur une
souche d'arbre.
Toute la nuit, elle rêva de ses frères. Ils jouaient comme dans
leur enfance, écrivaient avec des crayons en diamants sur des tableaux
d'or et feuilletaient le merveilleux livre d'images qui avait coûté
la moitié du royaume ; mais sur les tableaux d'or ils n'écrivaient
pas comme autrefois seulement des zéros et des traits, mais les hardis
exploits accomplis, tout ce qu'ils avaient vu et vécu.
Lorsqu'elle s'éveilla, le soleil était haut dans le ciel, elle
ne pouvait le voir car les grands arbres étendaient leurs frondaisons
épaisses, mais ses rayons jouaient là-bas comme une gaze d'or
ondulante.
Elle entendait un clapotis d'eau, de grandes sources coulaient toutes vers un
étang au fond de sable fin. Des buissons épais l'entouraient mais,
à un endroit, les cerfs avaient percé une large ouverture par
laquelle Elisa put s'approcher de l'eau si limpide que, si le vent n'avait fait
remuer les branches et les buissons, elle aurait pu les croire peints seulement
au fond de l'eau, tant chaque feuille s'y reflétait clairement.
Dès qu'elle y vit son propre visage, elle fut épouvantée,
si noir et si laid ! Mais quand elle eut mouillé sa petite main et s'en
fut essuyé les yeux et le front, sa peau blanche réapparut. Alors
elle retira tous ses vêtements et entra dans l'eau fraîche et vraiment,
telle qu'elle était là, elle était la plus charmante fille
de roi qui se pût trouver dans le monde.
Une fois rhabillée, quand elle eut tressé ses longs cheveux, elle
alla à la source jaillissante, but dans le creux de sa main et s'enfonça
plus profondément dans la forêt sans savoir elle-même où
aller.
Elle pensait toujours à ses frères, elle pensait à Dieu,
si bon, qui ne l'abandonnerait sûrement pas, lui qui fait pousser les
pommes sauvages pour nourrir ceux qui ont faim. Et justement il lui fit voir
un de ces arbres dont les branches ployaient sous le poids des fruits ; elle
en fit son repas, plaça un tuteur pour soutenir les branches et s'enfonça
au plus sombre de la forêt. Le silence était si total qu'elle entendait
ses propres pas et le craquement de chaque petite feuille sous ses pieds. Nul
oiseau n'était visible, nul rayon de soleil ne pouvait percer les ramures
épaisses, et les grands troncs montaient si serrés les uns près
des autres, qu'en regardant droit devant elle, elle eût pu croire qu'une
grille de poutres l'encerclait. Jamais elle n'avait connu pareille solitude
!
La nuit fut très sombre, aucun ver luisant n'éclairait la mousse.
Elle se coucha pour dormir. Alors il lui sembla que les frondaisons s'écartaient,
que Notre-Seigneur la regardait d'en haut avec des yeux très tendres,
que de petits anges passaient leur tête sous son bras. Elle ne savait,
en s'éveillant, si elle avait rêvé ou si c'était
vrai.
Elle fit quelques pas et rencontra une vieille femme portant des baies dans
un panier et qui lui en offrit. Elisa lui demanda si elle n'avait pas vu onze
princes chevauchant à travers la forêt.
- Non, dit la vieille, mais hier j'ai vu onze cygnes avec des couronnes d'or
sur la tête nageant sur la rivière tout près d'ici.
Elle conduisit Elisa un bout de chemin jusqu'à un talus au pied duquel
serpentait la rivière. Les arbres sur ses rives étendaient les
unes vers les autres leurs branches touffues.
Elisa dit adieu à la vieille femme et marcha le long de la rivière
jusqu'à son embouchure sur le rivage.
Toute l'immense mer splendide s'étendait devant la jeune fille, mais
aucun voilier n'était en vue ni le moindre bateau. Comment pourrait-elle
aller plus loin ? Elle considéra les innombrables petits galets sur la
grève, l'eau les avait tous polis et arrondis en les roulant.
- L'eau roule inlassablement et par elle ce qui est dur s'adoucit, moi, je veux
être tout aussi inlassable qu'elle. Merci à vous pour cette leçon,
vagues claires qui roulez ! Un jour, mon cœur me le dit, vous me porterez
jusqu'à mes frères chéris.
Sur le varech rejeté par la mer, onze plumes de cygne blanches étaient
tombées, elle en fit un bouquet, des gouttes d'eau s'y trouvaient, rosée
ou larmes, qui eût pu le dire ? La plage était déserte mais
Elisa ne sentait pas sa solitude, car la mer est éternellement changeante,
bien plus différente en quelques heures qu'un lac intérieur en
une année.
Vers la fin du jour, Elisa vit onze cygnes sauvages avec des couronnes d'or
sur la tête. Ils volaient vers la terre l'un derrière l'autre,
et formaient un long ruban blanc. Vite, la jeune fille remonta le talus et se
cacha derrière un buisson, les cygnes se posèrent tout près
d'elle et battirent de leurs grandes ailes blanches.
Mais à l'instant où le soleil disparut dans les flots, leur plumage
de cygne tomba subitement et elle vit devant elle onze charmants princes : ses
frères.
Elisa poussa un grand cri, ils avaient certes beaucoup changé mais ...
elle savait que c'était eux, son cœur lui disait que c'était
eux, elle se jeta dans leurs bras, les appela par leurs noms et ils eurent une
immense joie de reconnaître leur petite sœur, devenue une grande
et ravissante jeune fille. Ils riaient et pleuraient.
- Nous, tes frères, dit l'aîné, nous volons comme cygnes
sauvages tant que dure le jour, mais lorsque vient la nuit, nous reprenons notre
apparence humaine, c'est pourquoi il nous faut toujours au coucher du soleil
prendre soin d'avoir une terre où poser nos pieds car si nous volions
à ce moment dans les nuages, en devenant des hommes, nous serions précipités
dans l'océan profond.
Nous n'habitons pas ici, de l'autre côté de l'océan existe
un aussi beau pays mais le chemin pour y aller est fort long, il nous faut traverser
la mer et il n'y a pas d'île sur le parcours où nous puissions
passer la nuit, un rocher seulement émerge de l'eau, si petit qu'il nous
faut nous serrer l'un contre l'autre pour nous y reposer et quand la mer est
forte, l'eau rejaillit même par-dessus nous, mais nous remercions cependant
Dieu pour ce rocher. Nous y passons la nuit sous notre forme humaine, s'il n'était
pas là nous ne pourrions pas revoir notre chère patrie car il
nous faut deux jours - et les deux plus longs de l'année - pour faire
ce voyage.
Une fois par an seulement il nous est permis de visiter le pays de nos aïeux.
Nous pouvons y rester onze jours ! onze jours pour survoler notre grande forêt
et apercevoir de loin notre château natal où vit notre père,
la haute tour de l'église où repose notre mère. Les arbres,
les buissons nous sont ici familiers, ici les chevaux sauvages courent sur la
plaine comme au temps de notre enfance, ici le charbonnier chante encore les
vieux airs sur lesquels nous dansions, ici est notre chère patrie, ici
enfin nous t'avons retrouvée, toi notre petite sœur chérie.
Nous ne pouvons plus rester que deux jours ici, puis il faudra nous envoler
pardessus la mer vers un pays certes beau, mais qui n'est pas notre pays. Et
comment t'emmènerons-nous ? Nous qui n'avons ni barque, ni bateau?
- Et comment pourrai-je vous sauver ? demanda leur petite sœur.
Ils en parlèrent presque toute la nuit.
Elisa s'éveilla au bruissement des ailes des cygnes. Les frères
de nouveau métamorphosés volaient au-dessus d'elle, puis s'éloignèrent
tout à fait ; un seul, le plus jeune, demeura en arrière, il posa
sa tête sur les genoux de la jeune fille qui caressa ses ailes blanches.
Tout le jour ils restèrent ensemble, le soir les autres étaient
de retour, et une fois le soleil couché ils avaient repris leur forme
réelle.
- Demain, nous nous envolerons d'ici pour ne pas revenir de toute une année,
mais nous ne pouvons pas t'abandonner ainsi. As-tu le courage de venir avec
nous ? Mon bras est assez fort pour te porter à travers le bois, comment
tous ensemble n'aurions-nous pas des ailes assez puissantes pour voler avec
toi par dessus la mer ?
- Oui, emmenez-moi ! dit Elisa.
Ils passèrent toute la nuit à tresser un filet de souple écorce
de saule et de joncs résistants. Ce filet devint grand et solide, Elisa
s'y étendit et lorsque parut le soleil et que les frères furent
changés en cygnes, ils saisirent le filet dans leurs becs et s'envolèrent
très haut, vers les nuages, portant leur sœur chérie encore
endormie. Comme les rayons du soleil tombaient juste sur son visage, l'un des
frères vola au-dessus de sa tête pour que ses larges ailes étendues
lui fassent ombrage.
Ils étaient loin de la terre lorsque Elisa s'éveilla, elle crut
rêver en se voyant portée au-dessus de l'eau, très haut
dans l'air. A côté d'elle étaient placées une branche
portant de délicieuses baies mûres et une botte de racines savoureuses,
le plus jeune des frères était allé les cueillir et les
avait déposées près d'elle, elle lui sourit avec reconnaissance
car elle savait bien que c'était lui qui volait au-dessus de sa tête
et l'ombrageait de ses ailes.
- Ils volaient si haut que le premier voilier apparu au-dessous d'eux semblait
une mouette posée sur l'eau. Un grand nuage passait derrière eux,
une véritable montagne sur laquelle Elisa vit l'ombre d'elle-même
et de ses onze frères en une image gigantesque, ils formaient un tableau
plus grandiose qu'elle n'en avait jamais vu, mais à mesure que le soleil
montait et que le nuage s'éloignait derrière eux, ces ombres fantastiques
s'effaçaient.
Tout le jour, ils volèrent comme une flèche sifflant dans l'air,
moins vite pourtant que d'habitude puisqu'ils portaient leur sœur. Un orage
se préparait, le soir approchait ; inquiète, Elisa voyait le soleil
décliner et le rocher solitaire n'était pas encore en vue. Il
lui parut que les battements d'ailes des cygnes étaient toujours plus
vigoureux. Hélas ! c'était sa faute s'ils n'avançaient
pas assez vite. Quand le soleil serait couché, ils devaient redevenir
des hommes, tomber dans la mer et se noyer.
Alors, du plus profond de son cœur monta vers Dieu une ardente prière.
Cependant elle n'apercevait encore aucun rocher, les nuages se rapprochaient,
des rafales de vent de plus en plus violentes annonçaient la tempête,
les nuages s'amassaient en une seule énorme vague de plomb qui s'avançait
menaçante.
Le soleil était maintenant tout près de toucher la mer, le cœur
d'Elisa frémit, les cygnes piquèrent une descente si rapide qu'elle
crut tomber, mais très vite ils planèrent de nouveau. Maintenant
le soleil était à moitié sous l'eau, alors seulement elle
aperçut le petit récif au-dessous d'elle, pas plus grand qu'un
phoque qui sortirait la tête de l'eau. Le soleil s'enfonçait si
vite, il n'était plus qu'une étoile - alors elle toucha du pied
le sol ferme - et le soleil s'éteignit comme la dernière étincelle
d'un papier qui brûle. Coude contre coude, ses frères se tenaient
debout autour d'elle, mais il n'y avait de place que pour eux et pour elle.
La mer battait le récif, jaillissait et retombait sur eux en cascades,
le ciel brûlait d'éclairs toujours recommencés et le tonnerre
roulait ses coups répétés.
Alors la sœur et les frères, se tenant par la main, chantèrent
un cantique où ils retrouvèrent courage.
A l'aube, l'air était pur et calme, aussitôt le soleil levé
les cygnes s'envolèrent avec Elisa. La mer était encore forte
et lorsqu'ils furent très haut dans l'air, l'écume blanche sur
les flots d'un vert sombre semblait des millions de cygnes nageant.
Lorsque le soleil fut plus haut, Elisa vit devant elle, flottant à demi
dans l'air, un pays de montagnes avec des glaciers brillants parmi les rocs
et un château d'au moins une lieue de long, orné de colonnades
les unes au-dessus des autres. A ses pieds se balançaient des forêts
de palmiers avec des fleurs superbes, grandes comme des roues de moulin. Elle
demanda si c'était là le pays où ils devaient aller, mais
les cygnes secouèrent la tête, ce qu'elle voyait, disaient-ils,
n'était qu'un joli mirage, le château de nuées toujours
changeant de la fée Morgane où ils n'oseraient jamais amener un
être humain. Tandis qu'Elisa le regardait, montagnes, bois et château
s'écroulèrent et voici surgir vingt églises altières,
toutes semblables, aux hautes tours, aux fenêtres pointues. Elle croyait
entendre résonner l'orgue mais ce n'était que le bruit de la mer.
Bientôt les églises se rapprochèrent et devinrent une flotte
naviguant au-dessous d'eux, et alors qu'elle baissait les yeux pour mieux voir,
il n'y avait que la brume marine glissant à la surface.
Mais bientôt elle aperçut le véritable pays où ils
devaient se rendre, pays de belles montagnes bleues, de bois de cèdres,
de villes et de châteaux. Bien avant le coucher du soleil, elle était
assise sur un rocher devant l'entrée d'une grotte tapissée de
jolies plantes vertes grimpantes, on eût dit des tapis brodés.
- Nous allons bien voir ce que tu vas rêver, cette nuit, dit le plus jeune
des frères en lui montrant sa chambre.
- Si seulement je pouvais rêver comment vous aider ! répondit-elle.
Et cette pensée la préoccupait si fort, elle suppliait si instamment
Dieu de l'aider que, même endormie, elle poursuivait sa prière.
Alors il lui sembla qu'elle s'élevait très haut dans les airs
jusqu'au château de la fée Morgane qui venait elle-même à
sa rencontre, éblouissante de beauté et cependant semblable à
la vieille femme qui lui avait offert des baies dans la forêt.
- Tes frères peuvent être sauvés ! dit la fée, mais
auras-tu assez de courage et de patience? Si la mer est plus douce que tes mains
délicates, elle façonne pourtant les pierres les plus dures, mais
elle ne ressent pas la douleur que tes doigts souffriront, elle n'a pas de cœur
et ne connaît pas l'angoisse et le tourment que tu auras à endurer.
«Vois cette ortie que je tiens à la main, il en pousse beaucoup
de cette sorte autour de la grotte où tu habites, mais celle-ci seulement
et celles qui poussent sur les tombes du cimetière sont utilisables -
cueille-les malgré les cloques qui brûleront ta peau, piétine-les
pour en faire du lin que tu tordras, puis tresse-les en onze cottes de mailles
aux manches longues, tu les jetteras sur les onze cygnes sauvages et le charme
mauvais sera rompu. Mais n'oublie pas qu'à l'instant où tu commenceras
ce travail, et jusqu'à ce qu'il soit terminé, même s'il
faut des années, tu ne dois prononcer aucune parole, le premier mot que
tu diras, comme un poignard meurtrier frappera le cœur de tes frères,
de ta langue dépend leur vie. N'oublie pas ! »
La fée effleura de l'ortie la main d'Elisa et la brûlure l'éveilla.
Il faisait grand jour, et tout près de l'endroit où elle avait
dormi, il y avait une ortie pareille à celle de son rêve. Alors
elle tomba à, genoux et remercia Notre-Seigneur puis elle sortit de la
grotte pour commencer son travail.
De ses mains délicates, elle arrachait les orties qui brûlaient
comme du feu formant de grosses cloques douloureuses sur ses mains et ses bras
mais elle était contente de souffrir pourvu qu'elle pût sauver
ses frères. Elle foula chaque ortie avec ses pieds nus et tordit le lin
vert.
Au coucher du soleil les frères rentrèrent. Ils s'effrayèrent
de la trouver muette, craignant un autre mauvais sort jeté par la méchante
belle-mère, mais voyant ses mains, ils se rendirent compte de ce qu'elle
faisait pour eux. Le plus jeune des frères se prit à pleurer et
là où tombaient ses larmes, Elisa ne sentait plus de douleur,
les cloques brûlantes s'effaçaient.
Elle passa la nuit à travailler n'ayant de cesse qu'elle n'eût
sauvé ses frères chéris et tout le jour suivant, tandis
que les cygnes étaient absents, elle demeura à travailler solitaire
mais jamais le temps n'avait volé si vite. Une cotte de mailles était
déjà terminée, elle commençait la seconde.
Alors un cor de chasse sonna dans les montagnes, elle en fut tout inquiète,
le bruit se rapprochait, elle entendait les abois des chiens. Effrayée,
elle se réfugia dans la grotte, lia en botte les orties qu'elle avait
cueillies et démêlées et s'assit dessus.
A ce moment un grand chien bondit hors du hallier suivi d'un autre et d'un autre
encore. Ils aboyaient très fort, couraient de tous côtés,
au bout de quelques minutes tous les chasseurs étaient là devant
la grotte et le plus beau d'entre eux, le roi du pays, s'avança vers
Elisa. Jamais il n'avait vu fille plus belle.
- Comment es-tu venue ici, adorable enfant ? s'écria-t-il.
Elisa secoua la tête, elle n'osait parler, le salut et la vie de ses frères
en dépendaient. Elle cacha ses jolies mains sous son tablier pour que
le roi ne vît pas sa souffrance.
- Viens avec moi, dit le roi, ne reste pas ici. Si tu es aussi bonne que belle,
je te vêtirai de soie et de velours, je mettrai une couronne d'or sur
ta tête et tu habiteras le plus riche de mes palais !
Il la souleva et la plaça sur son cheval, mais elle pleurait et se tordait
les mains, alors le roi lui dit :
- Je ne veux que ton bonheur, un jour tu me remercieras !
Et il s'élança à travers les montagnes, la tenant devant
lui sur son cheval et suivi au galop par les autres chasseurs.
Au soleil couchant la magnifique ville royale avec ses églises et ses
coupoles s'étalait devant eux. Le roi conduisit la jeune fille dans le
palais où les jets d'eau jaillissaient dans les salles de marbre, où
les murs et les plafonds rutilaient de peintures, mais elle n'avait pas d'yeux
pour ces merveilles; elle pleurait et se désolait. Indifférente,
elle laissa les femmes la parer de vêtements royaux, tresser ses cheveux
et passer des gants très fins sur ses doigts brûlés.
Alors, dans ces superbes atours, elle était si resplendissante de beauté
que toute la cour s'inclina profondément devant elle et que le roi l'élut
pour fiancée, malgré l'archevêque qui hochait la tête
et murmurait que cette belle fille des bois ne pouvait être qu'une sorcière
qui séduisait le cœur du roi.
Le roi ne voulait rien entendre, il commanda la musique et les mets les plus
rares. Les filles les plus ravissantes dansèrent pour elle. On la conduisit
à travers des jardins embaumés dans des salons superbes, mais
pas le moindre sourire ne lui venait aux lèvres ni aux yeux, la douleur
seule semblait y régner pour l'éternité. Le roi ouvrit
alors la porte d'une petite pièce attenante à celle où
elle devait dormir, qui était ornée de riches tapisseries vertes
rappelant tout à fait la grotte où elle avait habité. La
botte de lin qu'elle avait filée avec les orties était là
sur le parquet et au plafond pendait la cotte de mailles déjà
terminée, - un des chasseurs avait emporté tout ceci comme curiosité.
- Ici tu pourras rêver que tu es encore dans ton ancien logis, dit le
roi, voici ton ouvrage qui t'occupait alors, ici, au milieu de tout ton luxe,
tu t'amuseras à repenser à ce temps-là.
Quand Elisa vit ces choses qui lui tenaient tant à cœur, un sourire
joua sur ses lèvres et le sang lui revint aux joues. Elle pensait au
salut de ses frères et baisa la main du roi qui la pressa sur son cœur
et ordonna de sonner toutes les cloches des églises. L'adorable fille
muette des bois allait devenir reine.
L'archevêque avait beau murmurer de méchants propos aux oreilles
du roi, ils n'allaient pas jusqu'à son cœur, la noce devait avoir
lieu. C'est l'archevêque lui-même qui devait mettre la couronne
sur la tête de la mariée et, dans sa malveillance, il enfonça
avec tant de force le cercle étroit sur le front d'Elisa qu'il lui fit
mal, mais une douleur autrement lourde lui serrait le cœur, le chagrin
qu'elle avait pour ses frères. Sa bouche demeurait muette puisqu'un seul
mot trancherait leur vie, mais ses yeux exprimaient un amour profond pour ce
roi si bon et si beau qui ordonnait tout pour son plaisir. Jour après
jour, elle s'attachait à lui davantage. Oh ! si elle osait seulement
se confier à lui, lui dire sa souffrance, mais non, il lui fallait être
muette, muette elle devait achever son ouvrage. Aussi se glissait-elle la nuit
hors de leur lit pour aller dans la petite chambre décorée comme
la grotte et là, elle tricotait une cotte de mailles après l'autre.
Quand elle fut à la septième, il ne lui restait plus de lin.
Elle savait que les orties qu'il lui fallait employer poussaient au cimetière,
mais elle devait les cueillir elle-même, comment pourrait-elle sortir
?
«Oh ! qu'est-ce que la souffrance à mes doigts à côté
du tourment de mon cœur, pensait-elle, il faut que j'ose, Dieu ne m'abandonnera
pas ! » Le cœur battant comme si elle commettait une mauvaise action,
elle sortit dans la nuit éclairée par la lune, descendit au jardin,
suivit les longues allées et les rues désertes jusqu'au cimetière.
Là elle vit sur une des plus larges pierres tombales un groupe de hideuses
sorcières. Elisa était obligée de passer à côté
d'elles et elles la fixaient de leurs yeux mauvais, mais la jeune fille récita
sa prière, cueillit des orties brûlantes et rentra au château.
Une seule personne l'avait vue : l'archevêque resté debout tandis
que les autres dormaient. Ainsi il avait donc eu raison dans ses soupçons
malveillants sur la reine, elle n'était qu'une sorcière !
Dans le secret du confessionnal, il dit au roi ce qu'il avait vu, ce qu'il craignait
et quand ces paroles si dures sortirent de sa bouche, les saints de bois sculptés
secouaient la tête comme s'ils voulaient dire que ce n'était pas
vrai, qu'Elisa était innocente.
Des larmes amères coulaient sur les joues du roi, il rentra chez lui
avec un doute au cœur. Maintenant, la nuit, il faisait semblant de dormir
mais il ne trouvait pas le sommeil, il remarquait qu'Elisa se levait chaque
nuit et chaque nuit il la suivait et la voyait disparaître dans sa petite
chambre.
Jour après jour, il devenait plus sombre, Elisa le voyait bien mais ne
se l'expliquait pas ; elle s'inquiétait cependant et que ne souffrit-elle
alors en son cœur pour ses frères ! Ses larmes coulaient sur le
velours et la pourpre royale, elles y tombaient comme des diamants scintillants,
et les dames de la cour qui voyaient toute cette magnificence eussent bien voulu
être reines à sa place.
Cependant, elle devait être bientôt au terme de son ouvrage, il
ne manquait plus qu'une cotte de mailles, encore une fois elle n'avait plus
de lin et plus une seule ortie. Il lui fallait encore une fois, la dernière,
s'en aller au cimetière en cueillir quelques poignées. Elle redoutait
cette course solitaire et les terribles sorcières, mais sa volonté
restait ferme et aussi sa confiance en Dieu.
Elisa partit donc, mais le roi et l'archevêque la suivaient ; ils la virent
disparaître à la grille du cimetière et, quand eux-mêmes
s'en approchèrent, ils virent les affreuses sorcières assises
sur la dalle comme Elisa les avait vues. Alors le roi s'en retourna, il se la
figurait parmi les sorcières, elle dont la tête avait, ce même
soir, reposé sur sa poitrine.
- C'est le peuple qui la jugera, dit-il.
Le peuple la condamna, elle devait être brûlée vive.
Arrachée aux magnifiques salons royaux, Elisa fut jetée dans un
cachot sombre et humide où le vent soufflait à travers les barreaux
de la fenêtre ; au lieu du velours et de la soie, on lui donna, pour poser
sa tête, la botte d'orties qu'elle avait cueillie, les rudes cottes de
mailles brûlantes qu'elle avait tricotées devaient lui servir de
couvertures et de couette, mais aucun présent ne pouvait lui être
plus cher. Elle se remit à son ouvrage en priant Dieu.
Vers le soir elle entendit un bruissement d'ailes de cygnes devant les barreaux
: c'était le plus jeune des frères qui l'avait retrouvée.
Alors elle sanglota de joie et pourtant elle savait que cette nuit serait sans
doute la dernière de sa vie. Mais maintenant, l'ouvrage était
presque achevé et ses frères étaient là ...
L'archevêque arriva pour passer les heures ultimes avec elle - il l'avait
promis au roi - mais elle, secouant la tête, le pria par ses regards et
sa mimique de s'en aller, cette nuit même il fallait que son travail fût
terminé, sinon tout aurait été inutile, sa douleur, ses
larmes et ses nuits sans sommeil. L'archevêque la quitta sur quelques
méchantes paroles, mais continua sa besogne.
Les petites souris couraient sur le plancher et traînaient des orties
jusqu'à ses pieds afin de l'aider de leur mieux, et un merle se posa
devant la fenêtre et siffla toute la nuit pour qu'elle ne perdît
pas courage.
Ce n'était pas encore l'aube - le soleil ne se lèverait qu'une
heure plus tard - quand les onze frères se présentèrent
au portail du château. Ils demandaient qu'on les mène auprès
du souverain mais on leur répondit que c'était tout à fait
impossible. Sa majesté dormait et nul n'eût osé le réveiller.
Ils supplièrent, ils menacèrent jusqu'à ce que la garde
parût et le roi lui-même. A cet instant, le soleil se leva, plus
de frères, mais au-dessus du palais, onze cygnes sauvages volaient à
tire-d'aile.
Maintenant la foule se pressait aux portes de la ville, tout le peuple voulait
voir brûler la sorcière. Une vieille haridelle traînait la
charrette où on l'avait assise vêtue d'une blouse de grosse toile
à sac, ses admirables cheveux tombaient autour de son visage d'une mortelle
pâleur, ses lèvres remuaient doucement tandis que ses doigts tordaient
le lin vert. Même sur le chemin de la mort, elle n'abandonnerait pas l'œuvre
commencée, dix cottes de mailles étaient posées à
ses pieds, elle tricotait la onzième.
Voyez la sorcière, qu'est-ce qu'elle marmonne, elle n'a bien sûr
pas de livre de psaumes dans les mains, mais bien toutes ses sorcelleries, arrachez-lui
ça, mettez tout en pièces.
Ils se ruaient et pressaient pour l'atteindre, mais voici venir par les airs
onze cygnes blancs, ils se posèrent autour d'elle dans la charrette en
battant de leurs larges ailes. La foule, épouvantée recula.
- C'est une avertissement du ciel, elle est innocente, murmurait-on tout bas,
pourtant, personne n'osait le dire tout haut.
Déjà le bourreau saisissait sa main, alors en toute hâte,
elle jeta les onze cotes de mailles sur les cygnes et à leur place parurent
onze princes délicieux, le plus jeune avait une aile de cygne à
la place d'un de ses bras car il manquait encore une manche à la dernière
tunique qu'elle n'avait pu terminer.
- Maintenant j'ose parler, s'écria-t-elle, je suis innocente.
Et le peuple ayant vu le miracle s'inclina devant elle comme devant une sainte,
mais elle tomba inanimée dans les bras de ses frères, brisée
par l'attente, l'angoisse et la douleur.
- Oui, elle est innocente ! dit l'aîné des frères. Il raconta
tout ce qui était arrivé et, tandis qu'il parlait, un parfum se
répandait comme des millions de roses. Chaque morceau de bois du bûcher
avait pris racine et des branches avaient poussé formant un grand buisson
de roses rouges. A sa cime, une fleur blanche resplendissait de lumière
comme une étoile, le roi la cueillit et la posa sur la poitrine d'Elisa.
Alors elle revint à elle, la paix et la béatitude dans le cœur.
Toutes les cloches des églises se mirent à sonner d'elles-mêmes
et les oiseaux arrivèrent volent en grandes troupes. Le retour au château
fut un nouveau cortège nuptial comme aucun roi au monde n'en avait jamais
vu.
Conte d'Andersen
Compère
le Renard se mit un jour en frais,
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
Jean de La Fontaine
L'Hirondelle et les petits Oiseaux
Une
Hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris.
Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
Et devant qu'ils fussent éclos,
Les annonçait aux Matelots.
Il arriva qu'au temps que le chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
"Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :
Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,
Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison :
Gare la cage ou le chaudron !
C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi. "
Les Oiseaux se moquèrent d'elle :
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière fut verte,
L'Hirondelle leur dit : "Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.
- Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes !
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton. "
La chanvre étant tout à fait crue,
L'Hirondelle ajouta : "Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.
Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits Oiseaux,
Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse.
Mais vous n'êtes pas en état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes ;
C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur. "
Les Oisillons, las de l'entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvrait la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres :
Maint oisillon se vit esclave retenu.
Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
Jean de La Fontaine
The Swallow And The Little Birds
By
voyages in air,
With constant thought and care,
Much knowledge had a swallow gain'd,
Which she for public use retain'd,
The slightest storms she well foreknew,
And told the sailors ere they blew.
A farmer sowing hemp, once having found,
She gather'd all the little birds around,
And said, 'My friends, the freedom let me take
To prophesy a little, for your sake,
Against this dangerous seed.
Though such a bird as I
Knows how to hide or fly,
You birds a caution need.
See you that waving hand?
It scatters on the land
What well may cause alarm.
'Twill grow to nets and snares,
To catch you unawares,
And work you fatal harm!
Great multitudes I fear,
Of you, my birdies dear,
That falling seed, so little,
Will bring to cage or kettle!
But though so perilous the plot,
You now may easily defeat it:
All lighting on the seeded spot,
Just scratch up every seed and eat it.'
The little birds took little heed,
So fed were they with other seed.
Anon the field was seen
Bedeck'd in tender green.
The swallow's warning voice was heard again:
'My friends, the product of that deadly grain,
Seize now, and pull it root by root,
Or surely you'll repent its fruit.'
'False, babbling prophetess,' says one,
'You'd set us at some pretty fun!
To pull this field a thousand birds are needed,
While thousands more with hemp are seeded.'
The crop now quite mature,
The swallow adds, 'Thus far I've fail'd of cure;
I've prophesied in vain
Against this fatal grain:
It's grown. And now, my bonny birds,
Though you have disbelieved my words
Thus far, take heed at last,--
When you shall see the seed-time past,
And men, no crops to labour for,
On birds shall wage their cruel war,
With deadly net and noose;
Of flying then beware,
Unless you take the air,
Like woodcock, crane, or goose.
But stop; you're not in plight
For such adventurous flight,
O'er desert waves and sands,
In search of other lands.
Hence, then, to save your precious souls,
Remaineth but to say,
'Twill be the safest way,
To chuck yourselves in holes.'
Before she had thus far gone,
The birdlings, tired of hearing,
And laughing more than fearing,
Set up a greater jargon
Than did, before the Trojan slaughter,
The Trojans round old Priam's daughter.
And many a bird, in prison grate,
Lamented soon a Trojan fate.
'Tis thus we heed no instincts but our own;
Believe no evil till the evil's done.
Jean
de La Fontaine
Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
Ma commère la Carpe y faisait mille tours
Avec le Brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l’Oiseau n’avait qu’à prendre
;
Mais il crut mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace. (1)
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La Tanche rebutée (2), il trouva du Goujon.
Du Goujon ! c’est bien là le dîné d’un Héron
!
J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !
Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu’il ne vit plus aucun Poisson.
La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un Limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants, ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.
Jean de La Fontaine
Un homme avait sept fils, et toujours pas de fille, si fort qu'il le désirât; enfin sa femme lui donna de nouveau des espérances, et quand l'enfant vint au monde, voici que c'était une fille. La joie fut grande, mais l'enfant était chétive, et à cause de sa faiblesse, il fallut l'ondoyer* Le père envoya l'un des garçons chercher en hâte de l'eau lustrale* à la fontaine les six autres le suivirent, et comme chacun voulait être le premier à puiser, ils laissèrent tomber la cruche dans le puits. Alors, ils restèrent plantés là, ne sachant ce qu'ils devaient faire et aucun d'eux n'osait rentrer à la maison. Comme ils ne revenaient toujours pas, le père s'impatienta et dit : "Certainement, ils auront oublié de rentrer pour jouer, ces garçons impies*." Il se prit à craindre que la petite fille mourût sans baptême, et dans sa colère, s'écria: "Je voudrais qu'ils soient tous changés en corbeaux." Il avait à peine fini de dire ces mots qu'il entendit un battement d'ailes dans les airs, au dessus de sa tête, il leva les yeux et vit sept corbeaux noirs comme du charbon qui volaient de-ci de-là.
Les parents ne purent pas annuler l'enchantement, mais si tristes qu'ils fussent d'avoir perdu leur sept fils, ils se consolèrent néanmoins quelque peu avec leur chère petite fille, qui reprit bientôt des forces et embellit de jour en jour. Elle ignora longtemps qu'elle avait eu des frères, car les parents se gardaient bien d'en parler, jusqu'au jour où elle entendit des gens dire par hasard que la jeune fille était belle, assurement, mais qu'en réalité elle était responsable du malheur de ses sept frères. Elle en fut tout affligée, elle alla trouver son père et sa mère et leur demanda s'il était vrai qu'elle avait eu des frères et ce qu'il en était advenu. Les parents ne purent pas garder plus longtemps le secret, ils dirent néanmoins que c'était là un décret* du ciel et que sa naissance n'en avait été que l'occasion innocente. Mais la jeune fille éprouvait chaque jour du remords et croyait qu'elle devait délivrer ses frères. Elle n'eut ni trêve ni répit qu'elle ne se fût mise en route secrètement pour retrouver leur trace quelque part et les délivrer, quoi qu'il pût lui en coûter. Elle n'emporta rien qu'un petit anneau en souvenir de ses parents, une miche de pain pour la faim, une petite cruche d'eau pour la soif et une petite chaise pour la fatigue.
Et elle alla toujours droit devant elle, loin, loin, loin jusqu'au bout du monde. Alors elle arriva au soleil mais il était trop chaud et terrible et il mangeait les petits enfants. Elle s'enfuit en hâte et courut jusqu'à la lune, mais elle était bien trop froide et elle aussi était cruelle et méchante, et quand elle aperçut l'enfant, elle dit: "Je sens la chair humaine." Alors elle s'en fut vivement et arriva chez les étoiles, qui furent aimables et bonnes pour elle, et chacune était assise sur une petite chaise à part. Cependant, l'étoile du matin se leva, lui donna un osselet et lui dit : "Sans cet osselet, tu ne pourras pas ouvrir la montagne de verre, et c'est dans la montagne de verre que se trouvent tes frères."
La petite fille prit l'osselet, l'enveloppa soigneusement dans un petit torchon et continua sa route, tant et si bien qu'elle arriva à la montagne de glace. La porte était fermée à clé et elle voulut sortir l'osselet du torchon ; mais quand elle l'ouvrit, elle vit qu'il était vide et qu'elle avait perdu le cadeau des bonnes étoiles. Que faire maintenant ? Elle voulait sauver ses frères et n'avait plus la clé de la montagne de glace. La bonne petite soeur prit un couteau, se coupa un petit doigt, le mit dans la serrure et parvint à l'ouvrir. Quand elle fut entrée, un gnome* vint àsa rencontre et lui dit: "Mon enfant, que cherches-tu? - Je cherche mes frères, les sept corbeaux" dit-elle. Le gnome répondit : "Messieurs les Corbeaux ne sont pas à la maison, mais si vous voulez attendre leur retour, entrez." Là-dessus le gnome apporta le repas des corbeaux sur sept petites assiettes et dans sept petits gobelets, et la petite soeur mangea une miette dans chaque petit gobelet; mais dans le dernier gobelet elle laissa tomber le petit anneau qu'elle avait emporté.
Tout à coup on entendit dans les airs des battements d'ailes et des cris, le gnome dit alors: "Ce sont Messieurs les Corbeaux qui rentrent à tire-d'aile." Alors, ils vinrent, voulurent boire et manger, et cherchèrent leurs petites assiettes et leurs petits gobelets. Puis ils s 'écrièrent, l'un après l'autre: "Qui a mangé dans ma petite assiette ? Qui a bu dans mon petit gobelet? C'était une bouche humaine." Et comme le septième vidait son gobelet, l'anneau en tomba. Alors il le regarda et voyant que c'était un anneau de son père et de sa mère, il dit: "Dieu veuille que ce soit notre petite soeur, alors nous serions délivrés." Quand la petite fille, qui écoutait derrière la porte, entendit ce souhait, elle se montra et alors tous les corbeaux reprirent leur forme humaine. Et ils s'embrassèrent et se firent mille caresses et rentrèrent joyeusement chez eux.
Conte
de GRIMM
Pourquoi les oiseaux volent-ils ?
Il y a bien longtemps, dans le pays des Mille et une nuit, le magicien Trouverien cherchait désespérément la formule magique pour voler comme les oiseaux. Il était la risée de toute la contrée. Furieux, il prépara une poudre maléfique et la lança dans les airs. Le résultat ne se fit pas attendre : la poudre se déposa sur les ailes des oiseaux et les alourdit. Les volatiles restèrent cloués au sol.
Le
conseil des Magiciens se réunit en urgence et chercha une solution
au problème. Malheureusement rien n'y fit. Le Directeur de Collège
Poular qui faisait partie du conseil proposa de convoquer Hari Pot'erre un ancien
brillant élève qui vivait maintenant au "Village des Contes".
Hari reçut instantanément la convocation par télépathie.
Il enfila ses chaussures à propulsion ionique et se retrouva au milieu
des magiciens. Ces derniers lui expliquèrent la situation et lui confièrent
la mission de refaire voler les oiseaux.
Hari
se rappela qu'il y avait, dans la bibliothèque du Collège, un
grimoire intitulé : "Tout sur la magie des oiseaux" écrit
par Aparétrus magicien célèbre pour ses formules magiques.
Il se rendit sur le champ dans la grande salle, chercha sur les rayonnages à
la lettre A et trouva enfin l'ouvrage.
Il s'installa à une table, ouvrit le livre et se mit à le feuilleter.
Il chercha en vain l'antidote au mauvais sort de Trouverien. Déçu,
il referma le manuscrit et s'apprêta à partir quand tout à
coup, il entendit une petite voix qui lui murmurait au creux de son oreille
: " Hari, répète sept fois le nom Aparétrus sur l'air
de "Une poule sur un mur...." et tu verras apparaître un plan."
. Etonné, Hari se retourna et aperçut son hibou qui chuchotait
ainsi.
" - Comment le sais-tu? demanda Hari.
- Tu sais que je suis très, très vieux et j'ai donc connu l'illustre
Aparétrus et toutes ses magies. De plus tu ne t'es pas aperçu
que j'étais cloué sur ton épaule et que je ne pouvais plus
voler !!!! répondit le hibou en colère.
Hari chanta la formule et le plan apparut. Celui -ci le conduisit auprès
du lutin Miniplum' créateur du vol des oiseaux.
"-
Le méchant Trouverien empêche les oiseaux de voler. La nature est
en danger puisque ce sont eux qui transportent les graines des végétaux
et interviennent parfois dans la fécondation des plantes, expliqua Hari.
- C'est dramatique ! s'exclama Miniplum' en colère. Je vais te donner
l'antidote pour le vol des oiseaux et la potion pour vous débarrasser
de Trouverien."
Hari revint au Village des Contes et dispersa l'antidote aux quatre coins
du pays. Aussitôt, un vol d'oiseaux multicolores envahit le ciel. Trouverien,
fou de rage, apparut devant Hari qui ouvrit la fiole et l'aspergea de potion.
Dans un vacarme assourdissant, le magicien se transforma en fusée inter-galactique
et disparut à tout jamais dans l'immensité de l'Univers.
CM2 de l'école des Castors à Carcassonne
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize...
Répétez ! dit le maître.
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize...
Mais voilà l'oiseau-lyre
Qui passe dans le ciel.
L'enfant le voit
L'enfant l'entend
L'enfant l'appelle :
Sauve-moi
Joue avec moi
Oiseau !
Alors l'oiseau descend
Et joue avec l'enfant.
D'eu et deux quatre...
Huit et huit font seize
Et seize et seize qu'est-ce qu'ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
De toute façon
Et ils s'en vont.
Et l'enfant a caché l'oiseau
Dans son pupitre
Et tous les enfants
Entendent sa chanson
Et tous les enfants
Entendent sa musique
Et huit et huit à leur tour s'en vont
Et quatre et quatre et deux et deux
A leur tour fichent le camp
Et un et un ne font ni une ni deux
Un et un s'en vont également.
Et l'oiseau-lyre joue
Et l'enfant chante
Et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants
Ecoutent la musique
Et les murs de la classe
S'écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
L'encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres
La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.
Jacques PREVERT
Un
oiseau siffle dans les branches
Et sautille gai, plein d'espoir,
Sur les herbes, de givre blanches,
En bottes jaunes, en frac noir.
C'est
un merle, chanteur crédule,
Ignorant du calendrier,
Qui rêve soleil, et module
L'hymne d'avril en février.
Lustrant
son aile qu'il essuie,
L'oiseau persiste en sa chanson,
Malgré neige, brouillard et pluie,
Il croit à la jeune saison.
Il
gronde l'aube paresseuse
De rester au lit si longtemps
Et, gourmandant la fleur frileuse,
Met en demeure le printemps.
Théophile Gauthier
Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre
d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Jacques
Prévert
Souvent, pour s'amuser,
les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils
déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé,
comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poète est
semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Baudelaire