- On aime mieux faire la peinture que les travaux de l'école, dit Christelle (13 ans) parce que là, on sait quand c'est bien. C'est comme un poème, on sent quand il est beau. Il faut s'arrêter un peu sur cette notion de transcendance de l'art, abordée, il est vrai, de façon très lointaine, mais qui dénote néanmoins le sentiment d'un au-delà des choses, une tension plus subtile et plus ténue de la sensibilité montant graduellement vers un sommet, une sorte d'explosion qui d'emblée trouve son cri, sa forme, son style. Lisant le Journal de Michel-Ange ou celui de Delacroix, ou celui de Van Gogh, nous y retrouvons cette confiance absolue en la vie organisatrice montant d'elle-même, par les vertus d'une personnalité bien trempée, vers une sorte de gloire de vivre. Quand on a acquis cette dimension de transcendance qui est la marque du génie, il n'y a plus rien à redouter : on tient en main les clés de son destin. Les garçons de notre école semblent faire fond sur des aptitudes plus intellectuelles que sensibles ; ils aiment l'invention sous toutes ses formes. Freddo (12 ans) dit : - J'aime les dessins où il faut deviner, chercher ce qu'on a fait. Je pars, je fais mon trait et ça me représente quelque chose, je continue, ça me fait encore penser à quelque chose et ainsi de suite jusqu'à la fin. « Je n'attends rien de ma réflexion, mais je suis sûr de mes réflexes » a dit Tanguy, légitimant la même tactique instinctive sous le signe de la rêverie donnée comme postulat de recherche. Freddo cependant ignore l'art abstrait et plus encore le snobisme qu'il a suscité. Sa conviction, le choix de ses démarches sont liés à une expérience personnelle. - Je n'aime pas dessiner les choses que l'on reconnaît parce que ce n'est pas amusant et ça donne du mal. Inventer ce qu'on veut, ça me plaît mieux, c'est toujours comique, amusant et ça fait réfléchir. - Mais quand sais-tu que ton dessin est terminé ? - Si je ne trouve plus rien, alors je m'arrête, c'est fini. Pour Freddo, ainsi je crois que l'a dit Lurçat (1) « l'Art est une technique intelligente du faire ». Elle laisse à l'artiste la totale initiative de ses moyens dans la recherche d'un but qui n'est jamais préméditation, mais aboutissement imprévisible. Tous nos enfants d'ailleurs sont d'accord pour reconnaître que l'art, le leur du moins, est un art de grande facilité qui ne fatigue pas et n'épuise pas les méninges, même si une oeuvre devenant accaparante, on met quelque vingt heures à la réaliser : ça vient tout seul et c'est en cours de route qu'on fait ce qu'il faut. |
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Car, il faut le relever, ce critère de vitesse qui caractérise les enfants les plus doués, c'est le signe évident du génie. Il s'inscrit dans le rythme accéléré de toutes les activités enfantines, il est l'âme du moteur neuf qui ne redoute pas la panne et porte sa charge à point donné.
C'est dans la rapidité des conceptions et de leur mise en train, dans l'exécution de vive allure que l'enfant est supérieur à l'adulte et c'est pourquoi il considère avec commisération les tourments du chercheur, serait-il le plus illustre.
C'est Franck qui, pour mettre le mot de la fin et sans égard pour les notoriétés, conclut :
- Y'en a qui sont des manches : pour rien faire, il leur faut beaucoup de temps... Moi, mon papa, il fait quatre mètres de ferronnerie de balcon en une journée...
ÉLISE FREINET