Toute la famille est allée au zoo |
Le dessin et la connaissance de l'enfant La simple constatation empirique a maintes fois permis de vérifier que le dessin, tel qu'il est conçu et utilisé dans les classes d'esprit Freinet, rend d'étonnants services dans le domaine si délicat de la compréhension et de la connaissance de l'âme enfantine. Dans toute classe où l'expression libre est un médiateur constant, le dessin permet souvent, sans qu'il y ait une intention investigatrice ou thérapeutique expresse de la part du maître : 1) de mieux connaître l'enfant dans son milieu (familial le plus fréquemment ou son substitut). Donc, de mieux saisir le sens de ses réactions et de certaines de ses conduites ; 2) de révéler l'origine de blocages, de tensions affectives profondes, de perturbations cachées, dûs à des situations anciennes ou récentes, conflictuelles ou déprimantes ; 3) de provoquer par sa seule vertu, dans de nombreux cas, la dédramatisation et la liquidation des tensions ou des conflits intériorisés perturbateurs. Dans une série d'informations, auxquelles vous pourrez joindre vos propres observations, je me propose d'éclairer ces trois points à la lumière d'une déjà longue expérience. Parce que les origines de l'expression graphique plastique sont si avancées dans le psychisme des petits d'homme de partout et de toujours, parce qu'en dessinant l'enfant use d'un langage qui lui permet, en s'exprimant, de se traduire dans sa totalité affective et intellectuelle, exceptionnellement j'évoquerai ici une courte étude sur un dessin, non pas libre ni spontané, mais thématique.
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Le dessin de la famille est en effet commode d'application et ses résultats sont encourageants. Je l'utilise depuis vingt ans comme un témoignage à étudier et il a toujours été accepté d'emblée lorsque je l'ai proposé. Mais au Centre départemental d'Orientation Professionnelle et Scolarisée de Nantes que dirige Madame Plantard, grande amie du groupe Freinet de Loire-Atlantique, l'épreuve atteint une importance numérique considérable puisqu'elle a été renouvelée systématiquement et figure dans près de quarante mille dossiers avec une analyse détaillée, des conclusions vérifiées, pour chacun des consultants. Voici les conditions d'application de l'épreuve du dessin de la famille, valable pour garçons et filles. Les adolescents même peuvent être invités à la pratiquer. Fort simple, la consigne s'énonce ainsi : « Dessine sur cette feuille une famille avec ses personnages, exactement comme tu le voudras ». L'enfant dessine aussi longtemps qu'il le désire. Le dessin terminé, il est alors demandé d'expliquer d'une phrase qui sont les personnages, ce qu'ils font. On a relevé peu de difficultés au Centre d'O.P.S. Avec un peu de doigté, celles qui se font jour s'effacent vite et, en fait, on y obtient des résultats utilisables. En vue de l'interprétation du dessin, les Conseillers d'O.P.S. adoptent une conduite expérimentale en utilisant le document comme l'origine d'hypothèses à vérifier puis en les confrontant avec les éléments contenus dans le dossier du consultant et avec ceux recueillis au cours des conversations tenues avec le sujet et avec ses parents. Autrement dit, ici, l'étude sociologique est seule retenue afin de situer l'enfant très exactement par rapport aux personnages réels. Des conclusions riches d'enseignements ont été présentées par l'équipe des orienteurs de Nantes, en particulier avec M.Leroy, sous la signature de Philippe Sorin, ancien instituteur, adepte de la pédagogie Freinet, actuellement Inspecteur des Centres d'OPS pour l'Académie de Besançon. |
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Mon père assis davant la table |
Elles se ramènent aux cas suivants : a) le personnage considéré comme principal est le plus souvent : - au centre du dessin, - au premier plan, - de plus grandes dimensions. Il peut à la fois, se trouver au centre au premier plan et posséder de plus grandes dimensions que les autres personnages. Il est souvent, dessiné le tout premier. b) si le père n'apparaît pas dans le dessin (absent ou vu de dos) - ou bien il n'existe pas (enfant naturel, père décédé, parents divorcés et enfant confié à la mère), - ou bien sa présence n'est pas souhaitée (père jugé trop sévère, ou trop faible beau-père), c) mêmes remarques en ce qui concerne la mère. d) si le sujet n'apparaît pas dans le dessin (ou tourne le dos), on peut noter un certain refus de se livrer, de se dévoiler : - ou une grande timidité très obnubilante, - ou un assez vif sentiment d'exclusion. |
e) si, quand ils existent, des frères et des soeurs ne sont pas représentés : - ce sont des enfants d'un autre mariage, - il y a un sentiment de jalousie ou d'indépendance à l'égard des autres enfants, - pour l'aîné, cela peut représenter un refuge dans le passé, le retour à une époque où les autres enfants n'étaient pas nés. f) si, quand ils n'existent pas, des frères ou des soeurs sont représentés : - il peut s'agir, pour un enfant unique de l'expression du regret d'isolement et du désir conscient ou inconscient d'une fratrie. g) dessins représentant des animaux : - soit refus de se livrer (tendance à la dissimulation ou à l'introversion), - soit recherche de la facilité (certains disent qu'ils leur est plus facile de dessiner des animaux que des personnages), - soit un retard mental, soit un retard affectif, soit les deux. h) dessin représentant un jeune couple (parfois avec un bébé) : - maturité sur le plan général : aspiration à la vie des adultes, - éveil des sentiments amoureux. |
On a perdu Florence |
A cette analyse, on peut ajouter que, si la famille a été médiocre ou mauvaise sur le plan éducatif, mais que les enfants, séparés de leur milieu, ont évolué et pris conscience de leur situation, souvent le dessin présenté constitue une idéalisation de la famille selon un prototype souhaité ou admiré. Il s'agit d'un réalisme affectif alors que la famille représentée telle qu'elle est effectivement et acceptée, marque un réalisme intellectuel.
Bien entendu, ces interprétations n'ont à l'origine et après un premier examen qu'une valeur d'hypothèse à vérifier. L'expérience prouve que le plus souvent elles sont proches de la réalité.
La connaissance des liens entre l'enfant et les autres membres de la constellation familiale (parents, grands-parents, frères, soeurs, voire oncle, tante...) ou avec des personnes gravitant autour de la famille, permet de comprendre les désaccords existant entre :
- le comportement scolaire et le comportement familial,
- les possibilités sur le plan intellectuel et les résultats scolaires.
Un contact confiant avec les membres de la famille permet quelquefois de faire prendre conscience aux parents et aux enfants des relations inconscientes perturbatrices, des prises de position rigides qui se manifestent au sein des familles et se cristallisent avec le temps.
« La connaissance d'un problème à résoudre n'est pas la suppression de ce problème, elle est cependant une étape indispensable, la première étape vers sa résolution », dit Ph. Sorin.
Manié discrètement, le dessin d'une famille peut rendre d'importants services dans nos classes. Il est toujours bien accepté. Il mériterait d'être systématiquement appliqué dans les écoles de grandes villes, dans les écoles de plein air, dans les classes de perfectionnement et les instituts médico-pédagogiques, Le commentaire peut être sollicité habilement et ses résultats peuvent présenter une grande richesse pour l'éducateur soucieux d'une approche plus complète de l'enfant et de son milieu éducatif extrascolaire.
La présente étude se complètera par la présentation, dans le prochain article, de situations concrètes telles que chacun d'entre nous peut en rencontrer.
MAURICE PIGEON
Docteur en Psychologie