Dossier pédagogique de l'Educateur N°18supplément au numéro 10 du 15 février
1966
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Dossier pédagogiqueENQUÊTES et CONFÉRENCES
Bilan d'une expérience Par J.Lémery J'ai déjà, au cours d'articles sur l'expression libre (1) largement évoqué le climat libérateur qui imprégnait notre classe de 3° spéciale de l'an dernier. J'ai dit aussi, sans préciser en détail notre organisation, qu'une administration confiante et compréhensive nous avait permis, en acceptant un emploi du temps peu traditionnel, de réaliser une expérience pédagogique nouvelle et très enrichissante, bénéfique pour les élèves puisque tous ont trouvé à son issue, une situation ; enthousiasmante pour moi qui ai enfin pu mettre en chantier et adapter tant d'idées fécondes de Freinet. (1) Voir l'Éducateur Second degré n° 2 et Dossier pédagogique n° 11 1965. Organisation du travail Les élèves, répartis au départ en fonction des buts qu'ils se proposaient d'atteindre, ont eu la possibilité de choisir leurs matières d'option tout au long de l'année, de passer de l'une à l'autre au fur et à mesure de leurs intérêts, ceci grâce à la profonde sympathie des maîtres de sciences et d'anglais qui travaillaient avec nous. Ainsi, certains adolescents se trouvaient en atelier de « conférences d'art » pendant que d'autres faisaient de la chimie, certains faisaient des mathématiques « supérieures » pendant que d'autres se familiarisaient avec la géographie. Quelques-uns écoutaient une émission d'anglais enregistrée au magnétophone pendant que d'autres travaillaient à la préparation de leurs chefs-d’œuvre d'histoire, de géographie, de musique, d'un exposé de littérature... Tous se retrouvaient, pendant des heures communes de français, de mathématiques, d'ateliers de travaux manuels, de techniques d'illustration où se réalisait entre autres l'impression de notre journal scolaire, notre lien puissant avec le monde extérieur, où « se fignolaient » nos envois de correspondance, les chefs-d’œuvre. Plus de cours traditionnel La classe, organisée coopérativement a été toute l'année l'image vivante de la coopérative qui travaille, qui participe à la pédagogie. Je puis affirmer que je n'ai fait, durant cette année, aucun cours traditionnel. Ma part, et elle fut importante cependant en recherches, culture, en informations multiples dans tous les domaines, fut la part commune de coopérateurs qui faisaient des heures de cours, des heures de conférences, de débats, des heures de littérature passionnantes pendant lesquelles nous avons souvent atteint le niveau de première, où nous avons découvert les grands peintres, les grands musiciens, où nous avons créé, où nous avons abordé tant de problèmes sérieux. Il m'est impossible de décrire cette patiente conquête journalière sur la facilité, sur la routine. J'en suis bouleversée encore aujourd'hui mais il me faut essayer de vous le faire sentir pour que vous compreniez que ces techniques veulent, pour avoir les racines profondes que Freinet leur a données, une reconsidération totale de la pédagogie. Personne, en me sachant responsable de cette classe, n'a pu savoir la somme de travail que j'ai pu fournir, même si apparemment je n'ai plus fait un cours ; personne ne peut imaginer, sans en faire l'expérience, la joie qui illumine le visage de l'adolescent peu doué qui vient d'affirmer son potentiel de vie dans une conférence réussie, joie qui vous illumine aussi, bien mieux que si vous en étiez l'auteur, car le travail obscur a préparé la moisson. C'est ce travail obscur que je veux faire revivre, bien incapable de parler valablement d'autre chose que de mes expériences, persuadée en même temps que les novateurs sauront y trouver la parcelle de vérité qui illuminera leur route salvatrice. Il suffit d'expérimenter, d'un peu réussir et de garder sans cesse en soi de la lucidité, de l'exigence, le goût de la recherche, du dépassement. Les adolescents vous apporteront leurs possibilités de persévérance et d'application inouïes pour un travail à leur mesure, qui ne sera plus gratuit, qui leur permettra de se valoriser dans une société exigeante, attentive et juste.
Cette recherche en profondeur les enthousiasma. Il fallut aider beaucoup certains élèves, en plus de la fiche sommaire remise à chacun d'eux et dont je donne un exemple :
D'autres s'en tirèrent avec un brio qui me déconcerta ; la coopération entre les deux responsables fut variée dans la présentation. Aucun groupe ne fit exactement de la même façon. Les débats qui suivaient étaient toujours passionnés. Je repasse aujourd'hui pour vous quelques témoignages sonores qu'il me reste. Robert vient de présenter Les souffrances du jeune Werther, de Goethe à ses camarades. Spontanément, il prend le micro, les autres s'approchent, la discussion s'engage... Il faudrait que vous puissiez entendre... quelques phrases, quelques rires clairs... de cette conversation que nous avons enregistrée... Spontanément, au cours des semaines, les propositions affluèrent . Michèle voulut présenter le Chahut de Braitwhaite quand nous parlions de délinquance, une autre Chiens perdus sans collier (Cesbron), Black boy de R. Wright, Annie parla de façon émouvante de Gorki « gagnant son pain », Gérard de Jacques Thibault... Ce serait trop long à évoquer, ceci s'imbriquant dans l'exploitation littéraire des textes libres. Ce sont eux qui, tous à l’œuvre, faisaient revivre, pour ne prendre qu'un ou deux exemples Chateaubriand ou Rousseau. Voilà leur organisation : j'avais dû suggérer des titres, ils firent les montages de textes, les présentèrent, menèrent le débat que j'essayais sans cesse d'élever, d'élargir par études comparatives.
Les autres heures de français se passèrent en mise au point ou exploitation de textes libres, en correspondance scolaire, en lecture de grandes oeuvres de notre précieux patrimoine littéraire. Une nouvelle pédagogie À ces découvertes, sans « phraséologie littéraire » de nos belles oeuvres, nous décidâmes ensemble d'adjoindre tout le contexte historique qui les éclairerait... Plus de programme précis d'histoire, mais un cheminement parallèle, une imprégnation profonde de la civilisation révélée par l'histoire, la poésie, le roman, la peinture, la musique... Et de là naquit une multitude de pistes d'exposés. J'en donnerai ensuite le reflet. Mais ces réformes profondes ne s'accommodant plus des notes classiques, d'interrogations, de compositions, il fallut, afin de fournir des dossiers éventuels à la fin de l'année scolaire, s'organiser... Le sujet choisi, soit dans des titres suggérés, soit librement, était mené à aboutissement conformément à des plannings constamment affichés ; le support écrit de l'exposé donna alors naissance à une sorte de belle monographie, reflet de recherches, de réflexion, de soin dans la présentation des documents, dans l'écriture. Nous les avons appelés chefs-d’œuvre. Ils sont difficilement reproduisibles. Ceux qui étaient à Brest (1) ou aux Basses-Fontaines (2) ont pu en feuilleter une trentaine. Et une nouvelle pédagogie- était née! Les chefs-d’œuvre s'étendirent à la géographie, à la peinture, avec les conférences d'art, à la musique... La fin de l'année nous surprit avec nos chantiers inachevés. (1) Congrès
École Moderne, Pâques 65.
Cet exposé fut si bien réussi que nous faillîmes y partir en voyage scolaire, vivement encouragés par un directeur de CEG de cette région, ami du conférencier. - La Vendée et son folklore... Nous eûmes à ce sujet une très belle exposition. C'était bien le moment aussi d'utiliser toutes les diapositives que nous avions prises au retour du Congrès de Niort ! - Lyon, la région lyonnaise. Didier était intarissable sur son pays natal, sur son quartier des « canuts » qu'il avait quitté un an plus tôt. I1 nous passionna trois heures! Lyon renaissait prestigieusement dans ses paroles, son humour délicat, sa très riche documentation. - Le vin en France. Le père de Gérard, fin restaurateur de Royat, tint à tout prix à ce que chacun goûtât 3 cl du cru qu'il trouvait si fameux. Et je pensais, tellement je les voyais ragaillardis par cette innocente incartade au règlement dont j'avais pris la responsabilité, que j'avais bien eu raison d'accepter cette concrétisation proposée par Monsieur Billot, si fier de penser que son fils faisait «une conférence ». De là, nous passâmes aux mines ... Madeleine, incroyable prospectrice, avait trouvé et donné à Michèle, dans de vieux Échos de la Mode, un si bel article sur «Le Nord, terre de patience», et un bien émouvant reportage des petits de la maternelle du Vieux Calonne. Ils furent de plain-pied avec les mineurs, avec leurs petits. Et cela valut bien, j'en conviens, tous les procédés d'extraction!... Et nous partîmes à Bordeaux avec Jean-Pierre, grand garçon de dix-neuf ans, qui ne fit que passer dans notre classe pour préparer avec succès son concours d'infirmier. Il nous passionna presque autant que Didier avec Lyon, tellement ses souvenirs hantaient les vieilles rues de Bordeaux et sa bourgeoisie. Puis la mer, la vie rude des pêcheurs bretons entrèrent dans la classe avec la BT Sonore « La pêche à la sardine ». Avec quelle amabilité le responsable du Syndicat d'initiative de Concarneau conseilla-t-il notre timide Alain qui reçut, je m'en souviens à l'instant, une lettre, tellement gentille aussi, du maire de Pérouges. Tenez, lisez quelques passages de la lettre du secrétaire du Syndicat d'initiative de Concarneau... Je lui rends hommage sincèrement.
L'Arctique et Paul-Emile Victor (BT Sonore n° 821 ) nous ramenèrent au thème des explorateurs et Noël et Guy y passèrent bien des heures. Ils dépouillèrent tant d'articles, de livres (un très beau relié en cuir prêté par une collègue), pour enrichir leur exposé. Je retrouve dans mon cahier journal la feuille qu'ils avaient distribuée à leurs camarades pour fixer leurs connaissances. Elle avait dû être tirée en atelier d'imprimerie, au limographe.
Peinture et musiqueLa pratique aidant, ils devenaient tous des pédagogues avertis. Entre temps, il est vrai, nous avions volé bien des idées à Rabelais dans Gargantua, à Rousseau dans la lecture complète de l'Emile. Mon aide devenait de plus en plus infime. Je ne faisais plus que donner tout ce que j'avais de documentation personnelle, de culture que je m'efforçais chaque jour d'approfondir, revoir, un peu orchestrer toutes leurs recherches. Je ne citerai pas encore tous les exposés d'Instruction Civique, ni de peinture. Tous les grands impressionnistes défilèrent, confrontés aux poètes de leur époque, et Matisse, Braque, Picasso... J'ai utilisé cette semaine une conférence, faite l'an dernier par Michèle, sur la tapisserie d'Aubusson avec des reproductions du Chant du Monde, de Lurçat, évoquant pour mes 3e tout ce qu'on devait à ce grand artiste disparu. Partis du folklore étranger en musique et que nous avions partiellement enregistré pour nos correspondants, nous terminions l'année avec Bach si cher à Didier. Il est impossible, vous le sentez bien, de tout reproduire. Ce serait inutile et fastidieux ; mais après cette énumération qui me permet personnellement de revivre intensément chaque heure passée, je voudrais dire en quoi consistait mon travail de contrôle.
Qu'en pensent les adolescents ? Ce qu'ils pensaient de ce travail? Leur ferveur soutenue a été pour moi le plus réconfortant encouragement; et puis, un jour, après la mise au point d'un texte libre de Robert sur «le timide et l'arrogant», après des discussions qui cherchaient des remèdes, ils parlèrent des conférences... Vous avez peut-être déjà lu cette page ? Je la joins encore, n'ayant pour témoignages, maintenant qu'ils sont partis, que leurs réflexions lucides face aux cours qu'ils subissent actuellement, jugeant de la maladresse ou de l'erreur pédagogique de tel ou tel professeur, de l'inadaptation de telle ou telle méthode... . Tous nous pensons que l'école peut créer un climat propice afin que chacun prenne conscience de ses possibilités personnelles. Nous évoquons par exemple l'ambiance des conférences, d'histoire, de géographie, d'art ou de littérature que nous faisons à nos camarades. Les conférences ont apporté beaucoup de choses dans la classe. D'abord elles sont préférées aux cours normaux pour la variété des conférenciers, ensuite elles permettent à chacun de se corriger, à certains de prendre plus de sûreté, à d'autres de se modérer. Elles nous attribuent aussi certaines responsabilités qui pour certains ne sont pas superflues. JEAN-PAUL DROUET
CONCLUSION Leur année leur a été salutaire puisque de ces adolescents, « rebuts » de deux classes de 3e, quelques-uns viennent de terminer brillamment leur trimestre dans différents lycées... Ils luttent au moins, en créant encore des textes, en lisant en marge de leur travail officiel, contre cette barbarie grégaire qui fait trop souvent de nos jeunes, des asservis de pratiques et de besognes sans horizon. Si j'ai parlé «au passé», ce n'est pas en âme morte. Je fais cette année de nouvelles expériences, avec de nouveaux adolescents de 3e que je ne connaissais pas, et face à de nouvelles difficultés, il faut de nouvelles solutions! Faites votre propre expérience, la plus éloignée possible de la mienne. «Soyez tout à la fois l'ouvrier; le jardinier, le technicien, le meneur de jeu, et le poète, réapprenez à rire, à vivre et à vous émouvoir. Vous serez un autre homme». (C. Freinet, L'Education du Travail). J. LEMERY Une démonstration très réussie : Une conférence d'élève C E G Comment faire au CEG ? Les enfants sont-ils capables de faire des conférences ? Dans les CEG cette technique peut-elle s'inscrire dans les processus normaux de travail? Notre camarade Andarelli (CEG de Thônes, Haute-Savoie) en a apporté la preuve par démonstration faite au Congrès et qui, malgré les conditions difficiles de réalisation a eu le plus complet succès. Voici le résumé qu'en a fait pour nos lecteurs Andarelli lui-même. CONDITION DE TRAVAIL: 15 élèves par classe de 4e et 5e, à Thônes, vallée de la Haute-Savoie, c'est-à-dire milieu rural. POURQUOI UNE CONFÉRENCE D'ENFANTS? S'ils redoutent cet exercice pour sa difficulté, les élèves aiment l'affronter, sentant qu'ils trouveront là un moyen d'affirmer leurs jeunes forces. MOTIVATION: II me semble que les élèves de 13-14 ans sont attirés par
deux sortes de problèmes: Ils sont dans ce cas tout étonnés de s'apercevoir que le banal peut être magnifié par un simple regard. Ils aiment ce contact direct avec le réel et que ce réel prenne, du fait qu'ils l'observent, une dimension nouvelle. C'est à cette dernière catégorie que je rattacherais le sujet que Patrick avait choisi spontanément : «La vie dans les alpages». A la base de ce choix, il y avait peut-être également pour Patrick le désir d'informer son correspondant (nos correspondants, élèves de Madame Goure, sont presque tous fils de mineurs). TRAVAIL DE PRÉPARATlON: - Part de l'élève: pendant environ un mois, mais de façon très décontractée (il ne faut pas que de tels exercices surchargent les élèves au détriment de disciplines «importantes»). Ce fut pour Patrick l'occasion de s'interroger lui-même (puisqu'il avait mené cette vie) et surtout d'interroger des vieux terriens de son entourage. Ici intervient une part intéressante du travail: je connais mal ce milieu et il me semble que les jeunes parlent peu aux vieux et qu'un tel exercice est, pour les uns comme pour les autres, un moyen de favoriser un contact qui ne se fait plus : le vieux s'étonnant de voir qu'un jeune se pose des problèmes, et le jeune ressentant le besoin de recourir à l'expérience de l'adulte. - Part du maître: d'ordinaire, j'interviens à plusieurs reprises on me montre les diffé rentes étapes du travail, les ébauches successives. Sans imposer mon point de vue, je donne des conseils en discutant librement avec l'élève. Le jour de l'exposé, je connais exactement le contenu de ce qui va être présenté. Pour cet exposé, exceptionnellement, ne voulant pas que l'on me soupçonne de faire lire mon travail par un élève, je suis assez peu intervenu ; j'étais d'ailleurs mal placé pour le faire, car étant étranger à la région, j'en savais sur ce sujet beaucoup moins que mon élève, et je m'étais contenté de remarques concernant la forme. MODE DE PRÉSENTATlON; LA BANDE Quelques temps avant, des élèves avaient réalisé des boîtes enseignantes, d'après les plans parus dans L'Éducateur. Patrick pensa que ce serait un moyen original de présenter la conférence: il la transcrivit sur bande. Je pense qu'il n'y a pas seulement là un moyen accessoire d'utilisation de la bande et de la boîte. Sur bande, l'enfant sent la nécessité d'une programmation. Cette feuille qui forme un tout, et qui s'enroule autour d'elle-même, sans les interruptions nécessaires de la page, ne peut servir de support qu'à des idées qui s'enchaînent. L'idée en se moulant sur cette «forme» doit se plier à des exigences d'unité, de continuité et d'essentialité. L'enfant ressent le besoin de trouver des rapports. Les «antibandes» vous diront que je fais de la mauvaise littérature. Mais je vous livre là des pensées sincères. J'y vois même un autre avantage touchant non plus à la conception mais à l'exposition : lorsque les élèves copient leur conférence sur classeur, n'étant pas tenu par la place, ils ont tendance à développer, à écrire ce qu' ils diront, Au moment de l'exposé, pour peu que le trac les affole, ils succombent facilement à la tentation de lire leur texte l'exercice perdant alors toute saveur pour les auditeurs. La bande, parce qu'elle ne peut supporter qu'une structure, un plan détaillé, ne peut comporter toutes les explications. Ce qui oblige l'enfant à donner ces explications oralement, comme le ferait un conférencier qui de temps en temps parcourt ses notes. En ce sens la bande favorise l'expression orale. LES DOCUMENTS L'élève avait ressenti la nécessité d'illustrer son texte
et d'apporter des preuves. II avait préparé : GLISSEMENT DU TRAVAIL INDIVIDUEL AU TRAVAIL COLLECTIF Certains documents avaient circulé en classe. Ce qui a donné à tous l'envie de faire quelque chose. Et lentement a pris naissance l'idée d'une enquête collective, Quelqu'un a pensé que cette enquête, pour que les correspondants en profitent, pourrait être enregistrée sur magnétophone. N'en possédant pas, nous l'avons emprunté à d'aimables collègues. Chacun a préparé des questions sur le sujet. En séance commune ces questions ont été lues, les meilleures ont été retenues, groupées, classées. Et un dimanche, entassés dans la voiture d'un père d'élève, nous voilà partis chez un vieux paysan de La Clusaz. Mais, intimidé par l'appareil il fut assez peu prolixe, II fallut choisir un autre interlocuteur. Et ce fut un reportage étonnant, entièrement réalisé par les élèves. Un professeur de lycée dont je regrette d'ignorer le nom, me disait au Congrès que les réponses du paysan pourraient servir d'objet d'étude, qu'il y avait un rapprochement à faire avec Ramuz (j'avais également pensé à Giono). II y a donc là des prolongements inépuisables pour la lecture expliquée. Intéressés, les élèves décidèrent d'aller plus loin en interrogeant quelqu'un qui aurait un autre point de vue sur le problème. Ils s'adressèrent au Directeur de la Caisse du Crédit Agricole. Faute de temps, ce témoignage n'a pu être passé au cours de la démonstration. II était intéressant car il débouchait sur les solutions à apporter à des problèmes, en particulier sur la nécessité de créer des coopératives ce qui, dans cette région assez traditionaliste, prend des allures de révolution. DÉROULEMENT Présentation: L'élève fit donc son exposé qu'il illustra de dessins. II fut beaucoup plus rapide qu'il aurait pu l'être, présenta ses documents, fit entendre le reportage. Travail collectif: Pendant l'exposé chaque élève note : - des questions (suppléments d'information)
; La part du maître: Ici intervient un moment de l'exposé sur lequel j'aimerais avoir votre avis, car reproche me fut fait, par un camarade suisse, d'être intervenu. J'aimerais, si vous êtes de cet avis, que vous me le fassiez savoir. Je pense, quant à moi, que la part du maître consiste à faire ce que l'élève ne peut faire. Et je pense selon les expressions de Le Bohec que: «Le maître qui ne sait pas intervenir quand il le faut est un zéro». J'aime cette partie du travail parce que la classe, longtemps contenue explose. Les élèves posent leurs questions, le présentateur répond et sans jamais rien écarter qui vienne des enfants, j'interviens peur mettre en relief certaines questions dont les prolongements sont intéressants. Je n'apporte rien par moi-même, je mets en lumière. Ensuite, s'il me semble que certains aspects importants du problème n'ont pas été abordés (et ce fut le cas pour cette conférence) me mettant sur un pied d'égalité avec les élèves, je pose des questions comme l'aurait fait l'un d'eux, chacun essaye d'y répondre. Enfin, et cette partie n'a pu être abordée faute de temps, aurait dû se situer la partie critique, chacun apportant des remarques sur la forme et le fond. APPREClATlON : Ce genre d'exercice n'est pas notable. On ne demande pas de notes. Les enfants sentent bien que ce genre de richesse échappe à la sécheresse d'une petite appréciation chiffrée, UTlLITE - Pour l'élève qui réalise ce travail, il me semble inutile d'insister sur le profit qu'il peut en tirer. - On pourrait objecter que ceux qui écoutent sont passifs. Oui, mais quand c'est l'un des leurs qui parlent, ils écoutent si bien!.., Et d'autre part, cet inconvénient masque peut-être un bienfait. En effet au cours d'un exposé fait par le maître, même selon les méthodes actives, les enfants n'osent pas mettre en doute ce que le maître les a aidés à découvrir. Et s'ils sont plus actifs quant au comportement, ce comportement lui-même masque une attitude intellectuelle assez passive : l'enfant étant sûr que ce qu'il est en train de découvrir est vrai, et n'a pas été mis en doute. Il n'a pas alors à exercer son esprit critique. Au contraire, lorsque c'est un camarade qui parle, il sait que ce qui est exprimé peut être sujet à caution, qu'il peut exercer, face à ce qu'il écoute, son esprit critique. II faut assister à une telle séance pour s'apercevoir que les enfants sont impitoyables et laissent rarement passer des erreurs et des fautes, et qu'ils savent reconnaître la richesse d'une conférence bien faite. DANGER Cet exercice risque d'être une occasion de cabotinage. Je ne pense pas que ceux qui y ont assisté aient eu l'impression d'assister à un numéro de cirque. J'avais à cet effet choisi un élève moyen. Au contraire, il me semble que nous avions en face de nous un enfant qui faisait des efforts, non pas pour briller, mais pour essayer de se surmonter et se vaincre lui-même. QUELLE PLACE DONNER À CET EXERCICE? Il est évident qu'il est apparemment difficile de faire entrer ce travail dans nos petits emplois du temps. Pourtant cela touche: - à la Géographie : étude d'un comportement humain; étude
d'une production agricole. Pour ma part, je ne pense pas me dérober en situant cet exercice au moment où un élève est prêt à le faire et ses camarades désireux de l'écouter. RÉFLEXlONS Si nous avons de la difficulté à faire entrer cet exercice dans notre classe, cela met en valeur le fait qu'il est malaisé de faire entrer la vie dans le cadre étroit de nos emplois du temps et de nos programmes. Je pense que ces exercices ressemblent à ces enfants un peu gênants parce que débordants de vie, et que nous n'avons pas le droit de les écarter sous prétexte qu'aucune rubrique rassurante ne leur correspond dans l'emploi du temps et qu'ils ne recouvrent aucun point précis du programme. La richesse du contenu met en évidence la pauvreté du contenant. Ce ne sont pas ces exercices qui doivent être supprimés, ce sont nos emplois du temps et nos programmes qui doivent éclater. Cet exercice est un peu gênant, un peu débordant, tant mieux ! C'est le signe qu'il ne s'agit pas d'un exercice scolastique mais d'un exercice vivant, qui tire sa richesse de la vie dont il est issu et sur laquelle il débouche. Pierre Andarelli
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