Dossier pédagogique de l’Ecole Moderne n°5Supplément au numéro 2 du 15 septembre 1964
L’organisation de la classe C.FREINET |
SOMMAIRE1 L'organisation matérielle de la classe 4 Schéma d'une classe Freinet (école élémentaire) par J. Bourdarias 5 Schéma d'une classe Freinet (école maternelle) par H. Robic 10 L'organisation
technique de la classe L'organisation technologique
de la classe |
L’organisation de la classe C. FreinetLa question ne se pose pas même pour l’École traditionnelle. Qu’y aurait-il à organiser quand les bancs sont en place, le maître à la surveillance sur son trône, le tableau noir prêt à recevoir les résumés, les manuels et les cahiers dans les pupitres d’où on les sort au signal ? Si vous n’avez dans votre salle à manger que les tables et les chaises, vous n’avez pas davantage à organiser. On est obligé d’organiser quand les choses sont complexes, qu’il y a des outils qui peuvent être à des places différentes, avec de multiples solutions pour l’ordonnancement du tout. C’est ce qui nous arrive à l’École Moderne. Pour notre travail complexe nous avons dans notre classe : Il va de soi que tout ce matériel ne peut pas être disposé au hasard dans la classe qui devient classe atelier et qui comme tous les ateliers nécessite beaucoup d’ordre pour l’utilisation rationnelle la plus favorable de tout l’appareillage. Et, fait aggravant : tout ce matériel nouveau, qui serait très vite en place dans une classe-atelier construite spécialement pour sa nouvelle destination, avec tables, étagères, espaces libres, éclairage, etc, risque d’encombrer une classe à destination traditionnelle, trop petite souvent pour servir à un autre usage que celui d’auditorium -scriptorium, sans étagères, sans meubles adéquats, où il faudra, avec beaucoup d’ingéniosité, trouver malgré tout une place aux acquisitions nouvelles. |
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Il arrive d’ailleurs que l’exiguïté des locaux, ou la difficulté de les adapter aux nécessités d’une classe moderne, retardent la modernisation souhaitée. Il y a donc une première organisation matérielle qui reste primordiale et que nous devons vous aider à mettre au point. Comment utiliser le matériel, comment prévoir le travail individuel ou d’équipe avec les nouveaux outils ? Une organisation technique est à prévoir, la plus poussée possible. Comment enfin réorganiser le nouveau travail de la classe en fonction des outils et des techniques d’École Moderne ? C’est le problème technologique que nous aurons aussi à examiner, en fonction de la pédagogie que nous souhaitons et dont nous préciserons des données diverses dans d’autres dossiers. L’organisation matérielle de la classeVous aurez très rarement à examiner le cas où l’on vous consulte au moment de l’établissement des plans d’une nouvelle construction. Et c’est évidemment regrettable. Nous avons créé une Association pour la Modernisation de l’Enseignement (AME) qui s’efforce de faire collaborer aux divers degrés enseignants et architectes pour la réalisation de classes adaptées à la pédagogie moderne, qui est déjà la pédagogie d’aujourd’hui, et qui sera forcément, généralisée, la pédagogie de demain. Nous étudierons dans notre revue L’Éducateur, les plans souhaitables pour ces réalisations d’École Moderne. En l’absence de cette indispensable collaboration, on vous livre, neuf ou non, un local d’HLM, qui est ce qu’il est, et dont il vous faudra, bon gré mal gré, vous accommoder. Les constructions nouvelles sont à bien des égards catastrophiques: les classes cellules ont été réduites au minimum et la sonorité des locaux empêche parfois toute véritable activité. Vous serez heureusement mieux partagés dans les écoles construites au temps heureux où les classes, les couloirs et les abords laissaient encore un peu de marge à l’évolution de la classe. La modernisation de la classe est en général beaucoup plus facile dans les écoles de village où les locaux et les couloirs sont en général plus spacieux, et où l’on peut éventuellement disposer d’une classe désaffectée ou de quelque coin de préau. |
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A vous donc de tirer le meilleur parti de votre local en vue de l’utilisation nouvelle envisagée : - Place réduite pour les tables et bancs dont on peut d’ailleurs
modifier à son gré la disposition. I1 faut veiller surtout, comme dans tout atelier bien organisé, à ce que le travail aux divers postes soit facile, afin qu’il n’y ait ni gêne, ni bousculade, ni inutile dispute. - I1 faut réserver surtout la libre circulation. Dans l’ancienne classe, la position assise était la seule prévue. Les déplacements n’étaient guère possibles sans bruits de tables et de bancs. Il faut vous arranger pour que les enfants, où qu’ils soient, à leur table, ou à un atelier, puissent à tout instant se déplacer absolument sans bruit. Mme Montessori donnait même des pantoufles à ses élèves pour qu’on ne les entende pas marcher. Quels ateliers vous faudra-t-il prévoir ?- Atelier de dessin, sur une grande table. Si vous disposez de tables individuelles
portatives plates, vous pouvez peut-être les assembler pour le dessin. Nous pourrions certes prévoir et fabriquer une installation matérielle standard pour l’équipement d’une classe moderne. Mais cela suppose au préalable la reconsidération adéquate de locaux auxquels, pour l’instant, vous devez, bien ou mal vous adapter. Voici, à titre d’information le Schéma d’une classe Freinet établi par Bourdarias, Instituteur à Moustoulat, Monceaux-sur-Dordogne (Corrèze).
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Schéma d’une classe FREINET par J. Bourdarias Il ne nous est pas possible de donner ici d’autres exemples de modernisation de classes à d’autres degrés. II vous appartiendra à chacun de vous adapter au mieux en connaissance de causes. (Voir notre catalogue pour le matériel dont vous pouvez disposer). Pourrais-tu nous rédiger en quelques lignes ou quelques pages le résumé de vos techniques ? Comment doit être organisée matériellement une classe selon vos expériences ? Voici les questions que me posent tous ceux qui sont prêts à venir grossir les rangs de notre mouvement. Même ceux qui ont eu la chance de participer à un stage, de visiter la classe d’un camarade éprouvé, sont perdus devant la richesse du catalogue de nos techniques et gênés par la multiplicité du matériel mis en vente par notre Coopérative. Il est vrai que nous avons le devoir pour eux (comme pour nous) de réaliser de temps à autre la synthèse de nos découvertes et de nos techniques. Mais où en sommes-nous ? J’ai été amené à rédiger, à dessiner plutôt, la figure schématique d’une classe selon nos pratiques les plus modernes et les plus généralisées. Je crois que le schéma parle mieux que les longs discours. Les plans de classe parus autrefois dans L’Éducateur avaient été pour moi des guides précieux. J’espère qu’il en sera de même pour celui-ci que je soumets à la réflexion des nouveaux (et à la critique des anciens) Voir les pages 6 et 7. NOTA. Il est bien évident que ce schéma qui ne tient compte ni des possibilités réellement offertes à l’école publique d’aujourd’hui, ni de la disposition optimum des différents chantiers d’activité, n’a qu’une valeur de plan toute relative. Mais il a l’avantage de faire apparaître des techniques nouvelles que nous avons introduites dans les classes pour aller vers la modernisation de l’enseignement. |
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L’ATELIER 1. - Imprimerie, polycopie. 2. - Atelier audiovisuel (radio, TV, électrophone, magnétophone, projecteurs fixes et 16 mm). 3. - Atelier électrique (filicoupeur, matériel divers de montage, boîtes d’expériences). 4. - Atelier d’arts (peintures CEL, céramique, tapisserie, albums). 5. - Atelier de sciences (matériel d’expériences, aquarium, -vivarium, collections diverses). 6. - Atelier menuiserie et serrurerie (établis, outillage divers) ; atelier couture-cuisine pour les filles. LA CLASSE 1. - L’estrade pour les conférences d’enfants, réunion de la Coopérative, Théâtre libre, etc... 2. - Tableaux muraux verts à la portée des enfants (plus grande surface possible); panneaux d’affichage des plans annuels et individuels de travail ; panneau d’affichage du journal mural. 3. - Bureau du maître. 4. - Tables individuelles avec chaises (permettant un déplacement facile et un regroupement pour un travail en équipe). 5. - Panneaux d’affichage (documents d’actualité, histoire, géographie, sciences, documents envoyés par les correspondants) ; étagères si possible (maquettes). 6. - Table des fichiers autocorrectifs. 7. - Table d’expériences de calcul. 8. - Table d’exposition des travaux de la classe. 9. - Table d’exposition des envois des correspondants. 10. - Fichier documentaire (BT, documents classés par centres d’intérêt). 11. - Bibliothèque de Travail (BT, dictionnaires, ouvrages collection de classe, bibliothèque récréative). Ce n’est que dans la mesure où vous moderniserez votre classe que vous moderniserez votre enseignement. |
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A l’école maternelle de St - CADO (Morbihan) par H. Robic Voici, d’autre part, l’organisation prévue à l’École maternelle de Saint-Cado (Morbihan) par Hortense Robic, et qui nous apparaît comme un modèle dont vous pouvez toujours vous inspirer. Avant la rentrée. - J’attends 25 petits de 2 à 6 ans. Le local est prêt. Les murs sont lavés, le plancher ciré, les tables propres. Il faut les peindre. Les tables. - Les petites tables et chaises individuelles sont groupées face au tableau pour le travail collectif du matin. 10 d’un côté
pour les 5 à 6 ans (grands) Les armoires, étagères, tables d’ateliers permanents sont tout autour, le long des murs. Les ateliers permanents: - Le bureau du maître est dans un coin pour gagner de la place. On y trouve le pot de fleurs,
les crayons, stylos à bille, crayons de couleur, ciseaux, couteau, des
chemises pour recevoir le travail de choix en dessin libre. Si on peut, il faut préférer des tiroirs à l’étagère. Sinon, on installera des rideaux en nylon pour cacher. (La pâte Arma pour les mains est prévue au lavabo). - L’atelier de peinture est constitué par une table longue, au fond de la classe. Elle est sur tréteaux ou non. Peut-être on peut assembler les tables individuelles restantes. 8 enfants y peuvent travailler en même temps. Elle est protégée par une jolie toile cirée ou du gerflex. Le matériel: une caisse à croisillons avec ses 20 pots de yaourt (ou bien la Boîte de travail n° 20) 20 pinceaux, gros et moyens, les sachets de poudre (exclusivement peinture CEL), un pichet pour l’eau claire, la cuvette et l’éponge. Des papiers de différents formats: quart et demi-feuilles Canson pour commencer, et le bloc d’échantillons de papier-tapisserie. |
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Sous la table, une ou deux étagères pour matériel et papiers. - La table d’expériences. On y trouve la
balance et les poids; l’aquarium et le vivarium. Il reste de la place
pour exposer ce qui vient du dehors et le colis des correspondants. * sous le tableau,
pour le texte de lecture. - Le mur du fond de la classe reste très
beau, avec quelques chefs-d’oeuvre des années précédentes. Les autres ateliers. - Pour le travail aux ateliers supplémentaires de l’après-midi, on a groupé, avant 14 heures, les tables individuelles. * Encre de
chine au pinceau. Pour le rangement. - J’ai deux armoires: une pour le matériel préparé, une autre pour classer à mesure les travaux. On peut avoir des étagères, mais assez larges. - Le matériel préparé: * Papier blanc
de tous formats pour dessins libres (circulaires, factures, bulletins
de vote, papier duplicateur...) Pour l’encre de Chine, j’ai du papier à affiches peu coûteux, le demi-litre d’encre de Chine et 4 flacons moyens vides. Pour le découpage, les ciseaux à bout arrondi sont tous dans une boîte. J’ai 8 petits pots de colle et la réserve de colle, les papiers de couleur, les chutes de papiers et cartons d’imprimerie. Pour la craie d’art, la boîte Paillard le papier à grain blanc et couleur. Pour les beaux dessins, un bloc de papier à lettres blanc et quatre très bons crayons de couleur (rouge, noir, bleu, vert). L’armoire vide et les dossiers. - Où ranger les premiers travaux ? Comme je n’ai pas de casiers individuels, je range tout très soigneusement dans l’armoire, et tout dans les dossiers. J’ai vidé une armoire de tout son fatras de tampons caoutchouc, jeux éducatifs, vieilles choses... C’est toujours difficile de se séparer de tout, mais il faut une armoire complètement vide (je ne m’y suis décidée qu’au bout de deux ans). Voilà pour démarrer. Je suis tranquille, à l’aise. On va pouvoir travailler. Les, enfants qui vont arriver seront eux aussi à l’aise dès le premier jour. H. ROBIC |
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L’ORGANISATION TECHNIQUE DE LA CLASSEÉvidemment, on ne travaille pas dans une classe-atelier comme on travaille dans une classe traditionnelle avec des manuels scolaires et des devoirs. Vous êtes habitués à travailler avec la technique scolastique. Il vous faut progressivement vous entraîner à la technique moderne. C’est beaucoup plus difficile qu’on ne croit à cause de la déformation dont nous sommes victimes depuis notre tendre enfance et toute la longue scolarité qui a suivi. Le principe majeur de l’École traditionnelle, c’est que tous les enfants font tous le travail en même temps: ils écoutent tous la leçon du maître; ils suivent tous la leçon de lecture, et un coup de baguette sur la table réveille de temps en temps les élèves qui s’écarteraient distraitement du troupeau ânonnant; toute la classe, ou toute la division fait les mêmes devoirs. La technique scolastique le veut ainsi. On a cru longtemps qu’il n’y en a pas d’autres, et la masse des éducateurs en reste encore persuadée. Du coup, non seulement les pédagogues, mais les psychologues aussi, ferment les yeux sur le peu de rendement, pour ne pas dire la stérilité de cette façon de procéder hors nature: on n’écoute que distraitement ce qu’on vous impose d’autorité; la leçon collective endort les élèves et c’est pourquoi on enseigne aux éducateurs des trucs plus ou moins efficaces pour les réveiller: nous avons tous connu l’obsession des devoirs. C’est cette pratique qu’il vous faut supprimer, progressivement si vous ne pouvez faire mieux, mais en sachant bien que vous faites du mauvais travail quand vous avez encore recours à la scolastique. Il faut donc vous orienter vers une autre technique. - Cessez de baser votre classe sur l’obligation, qui entraînerait tout naturellement les sanctions, lesquelles empoisonneront votre vie. Partez toujours selon notre technique, de l’intérêt des enfants et de la vie dans leur milieu; vous ménagerez ainsi la curiosité, la soif de connaître, le besoin de créer, qui sont à la base de toute notre pédagogie. Le problème ne sera plus pour vous: «Comment faire travailler vos enfants ?», mais comment mettre à leur disposition les techniques qui leur permettront de s’instruire et de se cultiver? |
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Les leçons a posterioriCela ne signifie pas du tout que vous devez rester passif en face de vos élèves à qui vous aurez entrouvert le libre champ de la connaissance. Mais vous ne ferez plus de leçon préalable à la recherche personnelle et à l’expérimentation des élèves. Ce sont les enfants qui vous interrogeront ou qui s’interrogeront. Vous contribuerez à faire expliciter ces questions, à prendre conscience des problèmes, et vous apporterez ensuite le fruit de votre propre expérience et de votre savoir. C’est ce que nous appelons la leçon a posteriori qui est d’une efficience presque totale. Cette formule de leçon a posteriori vous permet de rester dans le cadre des horaires et des programmes, ce qui, dans la période de transition actuelle, reste souvent encore une condition de réussite. Les motivationsA l’École traditionnelle, la seule motivation généralement invoquée ce sont les notes et les classements qui créent une émulation stimulante peut-être pour les quelques élèves qui réussissent, inhibitrice au contraire pour la masse des autres. Nous vous engageons à rechercher, pour la base de votre enseignement, des motivations naturelles parmi lesquelles:
C’est dans la mesure où vous vous dégagerez, là aussi, de la scolastique, que vous réussirez. Les plans de travail: Du moment que tout le monde ne fait plus la même chose dans le même temps, ce qui évite toute distribution des tâches, il nous faut organiser le travail. Nous le faisons avec les Plans de Travail (voir BEM n° 15). Organisation coopérative du travailSi vous devez renoncer à commander d’autorité, en chef à qui les enfants doivent obéir inconditionnellement, il vous faut chercher et trouver une autre technique de travail et de vie en commun, une discipline qui sauvegarde harmonie et efficience. Nous mettons les jeunes en garde contre la croyance qu’en fait de discipline, il suffit de détruire avant de s’aviser de construire, de supprimer toutes barrières avant d’établir de nouveaux chemins, et que c’est être École Moderne de supporter la pagaille et l’anarchie dans une classe où l’on ne peut travailler que dans l’ordre et l’harmonie. I1 vous faut parvenir à la discipline du travail, telle qu’elle existe dans de nombreuses Écoles Modernes où les enfants attachés à un travail qui s’incorpore à leur vie, prennent conscience de la nécessité d’une discipline fonctionnelle qui n’est ni licence ni oppression, mais réalisation d’un mode de vie individuel et collectif presque idéal. Cette discipline existe; elle est donc possible. Vous pouvez aussi la réaliser dans votre classe. Mais : - Ne croyez pas y parvenir par une organisation coopérative formelle. Ne croyez pas qu’il peut vous suffire de constituer des équipes plus ou moins autonomes, où l’autorité des chefs devient parfois dangereuse, ou d’établir des règlements coopératifs avec des sanctions prévues et hiérarchisées. Avant de parvenir à cet ordre coopératif, il vous faut organiser l’ordre dans le travail. C’est 1à la besogne la plus urgente. A mesure que vous perfectionnerez la vie de votre ruche, vous améliorerez la discipline. - Méfiez-vous du passage délicat de l’une à l’autre des formes de discipline. Les enfants qui nous viennent des classes traditionnelles sont comme ces poulains fous à qui on ouvre les portes des parcs et qui, tête et crinière au vent, semblent ivres de liberté. |
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Vos élèves verront d’abord, dans les transformations que vous apporterez dans votre classe cette libération qui peut devenir très vite licence et désordre. Il faudra un certain temps, il faudra attendre que jouent vraiment motivation et intérêt du travail pour qu’ils se disciplinent. Cette crise de libération risque de compromettre vos efforts. Ne lâchez pas la bride prématurément. Faites d’une façon ou de l’autre, régner l’ordre indispensable au travail, en attendant que cet ordre soit comme l’émanation du travail nouveau. La véritable organisation coopérative vous y aidera beaucoup. Voir ce que nous en disons dans la BEM n° 5. Les Conseils de classe que nous vous engageons à réunir tous les samedis pour lecture du journal mural et examen de tous les problèmes de la communauté, vous y aideront. Quand il y a encore désordre, indiscipline et bruit, ne vous contentez plus d’accuser les enfants comme on a trop l’habitude de le faire. C’est votre organisation de la vie et du travail de la classe qui n’est pas au point. Examinez attentivement les faiblesses de cette organisation pour que vous puissiez plus facilement les corriger. Les horaires: II vous faudra prévoir aussi un autre horaire. La croyance s’est parfois établie chez les jeunes que les Techniques Freinet, étant des techniques de liberté, s’accommodent mal d’horaires réguliers. Parce que quelques camarades ont expliqué comment, accidentellement, ils consacraient une ou deux journées à l’exploitation d’un complexe d’intérêts, sans aucune limitation d’heures, certains débutants ont cru qu’ils pourraient impunément suivre exclusivement les lignes d’intérêt. Outre qu’il n’y a que rarement dans nos classes - sauf peut-être dans nos CP - un intérêt qui soit susceptible ainsi de nourrir le travail de toute une journée, il faut considérer que suivre ainsi une ligne d’intérêt suppose de la part du maître un talent particulier - et assez rare - de spontanéité et de polyvalence sur lequel nous ne pouvons fonder une pédagogie populaire. Nous disons qu’un ordre, un horaire assez précis sont absolument indispensables dans nos classes. Cet horaire n’est pas forcément coercitif s’il est considéré comme une condition indispensable de bon travail, pas plus que ne sont coercitifs horaires familiaux ou de télévision. Voici l’horaire de l’École Freinet, avant l’introduction des bandes, puisque, nous l’expliquerons en cours d’année, nous prévoyons maintenant une organisation plus déconditionnante encore, et donc plus efficiente.
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L’horaire de l’École FREINET à Vence Le système de remplacement de la pédagogie traditionnelle est tout prêt. Notre pédagogie a maintenant son matériel, ses techniques, sa tradition et ses normes. Bien sûr UNIPRIX ne ressemble pas à la boutique artisanale. Il surprend peut-être au début, mais peu à peu une forme de commerce mieux à la portée des clients gagne la partie. Ce sont ces normes que je voudrais rappeler en ce début d’année en disant comment fonctionne la grande classe de l’École Freinet. Elle n’est pas un modèle, mais un prototype dont vous pouvez vous inspirer pour prévoir d’autres normes de travail. Nous disons d’abord que nous avons totalement supprimé les leçons magistrales. Nous dirons comment nous les faisons a posteriori. Nous avons supprimé de même les devoirs qui ne sont que devoirs, c’est-à-dire travaux à faire par obligation scolaire. Nous motivons au maximum toute notre activité. Le matin, pour ouvrir la journée, chant: quelques enfants désignés d’avance chantent, parfois une chanson de leur invention, ensuite chant choral. A 8 h 30, entrée en classe. Les enfants ont devant eux une feuille blanche 21 X 27 pour dessin. Nous employons, par économie, toutes les feuilles, même imprimées d’un côté dont nous pouvons disposer. Deux enfants désignés d’avance viennent lire à leurs camarades une page, ou un poème préparés. Pendant ce temps, les autres élèves dessinent librement. Ils peuvent écouter tout en dessinant, mais nous ne leur faisons pas l’obligation de se mettre dans l’attitude de celui qui écoute. Quelques élèves qui ont un événement tout récent à raconter écrivent leur texte libre. Cela dure dix minutes environ. On ramasse les dessins. On demande aux élèves de choisir rapidement les deux dessins à retenir. Ces deux dessins, au besoin complétés dans la journée seront incorporés dans le Livre de Vie de la classe. LE LIVRE DE VIE Qu’est-ce que ce Livre de Vie de la classe que nous vous recommandons à tous? Prenez une plaque de contreplaqué 23 x 30, une feuille cartonnée de mêmes dimensions. Percez dans chaque, deux trous à l’écartement standard du perforateur. Achetez deux boulons longs de 3 à 4 cm qui réuniront les deux pièces de votre couverture. Vous avez une reliure dans laquelle vous placerez au jour le jour: les beaux dessins, le texte imprimé, illustré si possible, les meilleurs textes libres non imprimés, des comptes rendus d’observations et d’expériences. Au bout de quelques mois, le Livre de Vie est plein: on le détache de la reliure et on le porte à un imprimeur qui, de deux coups d’agrafes en fait un beau recueil, ou bien on relie soi-même avec des rubans. La reliure du Livre de Vie est disponible pour une nouvelle série. Il est 8 h 45 environ. Nous abordons tout de suite le texte libre. Mais le texte libre est supprimé le lundi. Il est remplacé par Notre vie, texte que nous rédigeons en commun, qui passe en revue l’activité et la vie de la semaine qui vient de se terminer et qui prépare les projets pour la semaine qui commence. La page de Notre vie sert chez nous de page de correspondance avec les parents. Le samedi est parfois consacré à l’examen définitif des plans de travail. Dans la pratique nous avons régulièrement trois textes libres par semaine, plus la page du lundi. Le responsable va au tableau et inscrit le nom des élèves qui ont un texte à présenter. Puis chacun vient lire son texte. On passe au vote : le texte est désigné. |
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On le met au point au tableau. Voyez dans la BEM n° 24 d’Elise Freinet quelle peut être la part du maître pour la préparation de ces textes. Chemin faisant on cherche des mots dans le dictionnaire, on fait des observations orthographiques, grammaticales et syntaxiques. Puis on passe à la Chasse aux mots, c’est-à-dire vocabulaire sur les thèmes suscités par le texte, et grammaire (nous en reparlerons). On répartit les lignes à composer. La première équipe se met au travail. À ce moment-là commence le travail complexe : deux ou trois enfants sont à la table d’imprimerie, d’autres lisent à tour de rôle, tous copient et font le travail de grammaire. Ceux qui ont terminé avant les autres vont se mettre à leur plan de travail individuel. Toute cette activité nous mène aux environs de 10 h 15 à 10 h 30. Nous aurons ensuite une demi-heure de calcul vivant et d’exercices divers de calcul. Il nous restera 30 à 45 minutes de travail libre selon le plan. Nous insistons sur le fait que cette première partie de la classe est à la portée de tous, qu’elle répond aux exigences des programmes et des horaires. I1 suffit d’indiquer : français, rédaction, lecture, vocabulaire, grammaire. Si même vous n’allez pas plus loin, si vous êtes encore dans l’obligation d’avoir recours au manuel pour le calcul, l’histoire, la géographie ou les sciences, vous n’en aurez pas moins réalisé dans votre classe une portion notable d’École Moderne. Vous irez plus loin par la suite. Voici pour ce qui nous concerne l’emploi de la deuxième partie de la journée : Nous avons une sorte d’école à mi-temps. De 14 h à 16 h, activités multiples dans le cadre du plan:
télévision scolaire, peinture, découpages, travaux d’atelier, maquettes,
etc.. En quoi les écoles ordinaires peuvent-elles profiter de notre
expérience ? Elles peuvent répartir : Essayez ce nouvel horaire et cette forme de travail. Il faut que nous puissions établir pour cette nouvelle école des normes acceptables pour tous et définitives.
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L’ORGANISATION TECHNOLOGIQUE ET PÉDAGOGIQUEQuelle pédagogie ferez-vous dans ces classes-ateliers, avec le matériel que vous y avez installé? C’est toute la théorie de l’apprentissage qu’il vous faut reconsidérer. Selon les théories scolastiques en vigueur, on considère l’enfant comme un organisme sans vie qui est tout juste susceptible d’enregistrer, voire d’assimiler, tout ce qu’on lui enseigne. Et tout s’enseigne du dehors, sans aucune participation active de l’enfant. L’École s’illusionne sur la portée d’une telle forme d’apprentissage. Elle s’illusionne parce qu’elle ne tient pas compte du fait que l’enfant ne vit à l’École qu’une partie de ses journées et que son véritable apprentissage se poursuit à l’insu de l’éducateur, d’une façon naturelle qui ne doit rien à la scolastique. Si on pouvait mener l’expérience -monstrueuse- d’enfants qui seraient soumis exclusivement à l’apprentissage scolaire, on se rendrait compte alors de l’échec total de cette forme d’apprentissage. Nous pensons, nous, et l’expérience nous en fait la démonstration à tout instant, que l’enfant s’éduque non par la leçon extérieure mais par le tâtonnement expérimental, à même la vie. Il est comme un cours d’eau qui a, à l’origine, sa puissance propre et son débit, qui va s’enrichissant et se renforçant par l’apport généreux échelonné le long du cours. C’est de cette vie que nous partons. Nous la nourrissons, nous la développons, nous l’enrichissons. Le processus qui était autrefois le suivant : Il faut absolument vous pénétrer de cette différence fondamentale dans les processus d’apprentissage. Nous avons déjà à ce sujet une abondante littérature que vous pouvez consulter. (1) LE CONTRÔLE Il y aurait également à examiner la technique de contrôle, fondée également sur les mêmes principes. Si on oblige l’enfant à faire ce qu’il ne veut pas faire, alors il faut évidemment contrôler si le travail a été normalement exécuté et sanctionner les défaillances, car sinon rien ne sera fait. Ce contrôle est donc totalement coercitif: corrigés par le maître avec une abondance parfois désespérante d’encre rouge, annotations, classements, etc... Dans nos classes modernes, ce contrôle est superflu. L’ouvrier qui travaille à la chaîne a besoin d’être surveillé et noté. Mais il n’a plus besoin d’être contrôlé quand, le soir, il cultive son jardin ou répare son auto. Il verra lui-même, en comparant au travail de ses voisins s’il a été efficient ou s’il doit améliorer sa technique. C’est ce que nous appelons l’auto-contrôle, couramment pratiqué chez nous : - pour l’inscription au plan de travail des tâches exécutées.
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COMMENT J’AI DÉBUTÉ par M. MAZZONI Poussé par le désir de changer d’air et d’éviter la sclérose qui me guettait, j’ai décidé, l’an dernier, de créer un Journal Scolaire. Je ne connaissais rien des Techniques Freinet et j’utilisais les BT seulement comme livres de bibliothèque. Je suis donc allé trouver un de mes collègues qui édite un journal, lequel collègue m’a volontiers fourni quelques-uns de ses numéros invendus. J’ai fait circuler ces numéros dans ma classe pendant quelques jours puis j’ai amorcé la discussion: - Qu’est-ce que vous en pensez? Là-dessus, j’ai dévoilé que c’était mon avis et nous avons passé au vote : - Voulez-vous que nous fassions un Journal Scolaire? (19 oui, 4 non). Nous avons ensuite décidé de la périodicité (dont la déclaration est obligatoire), du prix (le prix du journal: 0,50F) et du prix de l’abonnement. Notre premier numéro a été tiré avec un duplicateur à alcool vieux «comme mes robes» (comme disait ma grand-mère). Avec l’argent des abonnements (2 F pour 9 numéros), j’ai commandé un limographe qui m’a permis de tirer plus d’exemplaires avec moins de peine en obtenant un résultat plus propre. Le titre du journal a été décidé à la suite d’un vote sur les propositions des imaginatifs (le titre que j’avais proposé n’a recueilli aucune voix!) Ensuite, je me suis rapidement aperçu que le journal ne suffisait pas à motiver les textes libres : en effet, les textes non choisis n’avaient aucune utilisation; c’étaient des textes perdus et c’est pourquoi nous avons attaqué notre deuxième technique École Moderne: la correspondance, qui nous a permis de ne pas perdre ces textes qui étaient envoyés au correspondant lorsqu’ils n’avaient pas été choisis. Voilà où j’en étais à Noël: texte libre et correspondance étaient mes deux seules activités École Moderne. Freinet dit d’ailleurs, très justement, qu’ «il ne faut pas se lâcher des mains avant de toucher des pieds». Une fois lancées ces deux techniques fondamentales, je me suis intéressé à la question des brevets qui paraissaient alors dans L’Éducateur. L’idée a été émise en classe, les normes établies en commun et le planning préparé. (Nous reviendrons sur cette question). Lecture. - Je possède environ quinze spécimens de livres de lecture que je distribue chaque semaine. Celui qui prend un livre (en prend qui le désire) choisit, en compulsant la table des matières, un texte qui se rapporte à quelque chose que nous avons étudié en classe. C’est ainsi que nous avons pu écouter des textes sur le Grand Nord (température), sur les États Généraux (histoire), des textes de Voltaire et de Rousseau (les Philosophes), des poésies (l’automne) ou tout simplement des textes d’actualité se rapportant au T.L. mis au point dans la semaine (sur les vendanges par exemple). Au cours de la lecture, ou après, on pose des questions au lecteur sur tel ou tel épisode du récit (le texte a été préparé dans la semaine avant la lecture). Calcul (semi-) libre. - Notre calcul n’est pas libre en ce sens que nous partons d’une question décidée en classe, par exemple: «les pourcentages» et c’est à partir de ce sujet que les enfants apportent leurs problèmes. Les coupures de journaux sont une mine inépuisable depuis la réduction de 20% sur les appareils photographiques (marché commun) jusqu’à l’«Opération maigrir réussie à 99%», en passant par une statistique sur les femmes enceintes en Chine (53% le sont chaque année!) |
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Plan de travail. - A partir de ce moment-là, le plan de travail m’est devenu nécessaire, soit que nous y marquions les fiches à faire en orthographe (travail individuel), soit que nous y notions les leçons du maître (histoire, géographie). Je double d’ailleurs ce plan de travail hebdomadaire et individuel par un plan de travail quotidien collectif qui figure le matin au tableau, ou que nous complétons dès la rentrée en classe, par exemple par le nom des élèves qui vont lire. En voici un exemple : Récitation Choix d’un nouveau texte Calcul Les pourcentages: calcul du taux Vocabulaire Le verbe mettre : ses différents sens (Littré en donne 50!) Ce qu’on peut lui substituer Histoire Œuvre de la Constituante Lecture . .. .. .. .. .. .. .. Dessin Album sur... Je pense qu’il est un peu prétentieux d’avoir intitulé cet article «Comment j’ai débuté... » Je débute encore et il me semble que je débuterai encore longtemps. J’ai livré ici ma petite expérience personnelle, faite de petits morceaux d’expériences d’autres camarades, mais il me semble, au fond, que c’est là ce qui est important: que chacun adapte les expériences des autres camarades à son propre caractère, en s’adaptant lui-même aux méthodes École Moderne. «Se moderniser ou mourir», écrivait Freinet. De tout cet article, vous ne retiendrez peut-être qu’un détail: cela suffit. Si c’est le cas, il n’aura pas été inutile. MICHEL MAZZONI (Du Bulletin Régional du Rhône) * Voici donc posés quelques-uns des problèmes essentiels concernant l’organisation de la classe. Nous n’avons d’ailleurs pas l’intention de vous donner des directives précises, mais plutôt de vous sensibiliser au travail nouveau. Faites maintenant votre tâtonnement expérimental avec l’exemple des camarades dont vous pourrez imiter la classe et l’appoint de nos écrits divers qui synthétisent l’expérience des milliers de camarades qui ont laborieusement mené jusqu’à ce jour les Techniques Freinet au point où vous pouvez aujourd’hui les aborder et les adopter. C. FREINET (1) Voir les livres de C. Freinet. |