Dossier

Gerald Schlemminger

Le point sur...                         Le texte libre

Le texte libre est, en 1924, la première technique nouvelle que Célestin Freinet introduit dans sa classe. Depuis, il est devenu un outil de base dans les classes de type pédagogie Freinet. Par la suite, toutes sortes d'acceptions du texte libre ont vu le jour dans les classes de français, de langue, etc... II n'est donc pas inutile de rappeler ce qu'est un "texte libre".

Afin de motiver davantage ses élèves, de s'assurer d'une meilleure assimilation des structures linguistiques acquises, tout enseignant "éclairé" propose de temps à autre la rédaction de "texte à sujet libre", il y a aussi des "discussion libres" à bâton rompu sur un sujet d'actualité; les instructions officielles de langues incitent le professeur à encourager "l'expression libre"...

Face à tant d'effervescence "libre", il est souhaitable de rappeler les concepts autour desquels s'organise cet outil de communication qu'est le texte libre, au risque de répéter des évidences pour certains…

Je n'ai pas l'intention de reformuler ce qui a été déjà dit maintes fois à propos du texte libre. L'expérience est si riche dans le mouvement Freinet que j'ai préféré donner la parole à des praticiens affirmés, en premier lieu à C. Freinet. Mais je crois utile aussi de présenter ce que des stagiaires ayant participé à des sessions de formation de l'I.C.E.M. ont entendu et écrit à ce sujet.

Célestin Freinet :

"Un texte libre, c'est, comme son nom l'indique, un texte que l'enfant écrit librement, quand il a envie de l'écrire et selon le thème qui l'inspire. II ne saurait donc être question d'imposer un sujet ni même de prévoir un plan destiné à ce qui ne serait en définitive qu'une rédaction à sujet libre. [...] Il ne suffit [...] pas de laisser l'enfant libre d'écrire, il faut lui donner l'envie le besoin de s'exprimer. Et c'est pourquoi

le vrai texte libre ne peut naître et éclore que dans le nouveau climat de libre activité de l'Ecole."

(C. FREINET 1964 : Les techniques Freinet de l'Ecole moderne. Paris, Armand Collin, Coll. Bourrelier CPP n° 326, 1975, 7e édition, pp. 51.)

Et Fernand Oury d'ajouter :

"Dans une classe Freinet, le texte libre est autre chose qu'une fantaisie à la mode : les enfant écrivent parce qu'ils ont à dire à un absent. Parce qu'il a été choisi ou accepté par tous, il devient objet de travail pour tous. Le travail de mise au point est accepté et voulu par tous parce qu'il correspond à une nécessité actuelle : [...]. Ici «embrayés sur la vie», on n'apprend pas aussi bien qu'ailleurs, on apprend mieux et les élèves le savent."

(F. OURY (s.d.) A partir des textes libres : apprendre à écrire correctement. Manuscript ronéotypé, Paris.)

Le texte libre nécessite un cadre rationnel qui permet le travail de l'individu et du groupe.

Organisation et phases de production du texte libre

"Textes libres

1 ° Conditions d'élaboration
- temps de travail individuel permettant l'écriture
- liberté du contenu pouvoir être aidé
- pouvoir être reçu et entendu (on ne se moque pas)
- être lu.

Choix de textes
- moment institué de lecture, par l'enfant
- échange possible sur le texte
- choix d'un texte pour le journal (veto possible du maître pour protéger le groupe, l'instituteur, ou l'auteur lui-même)
- mise au point collective en vue du tirage (toilettage du texte, amélioration du texte pour publication, le dernier mot restant à l'auteur)

Textes non choisis... jamais abandonnés mise au point individuelle
- recopiés proprement et utilisés pour le cahier personnel, les correspondants, l'album, les fichiers."

(Journal de l'atelier A 1, équipe 6. Stage national "Genèse de la coopérative", juillet 1985.) Les journaux de stages nous ont été communiqués par Patrick Geffard du groupe "Réseau T.F.P.I. - Pratique de la Coopérative".

La fonction communicative du texte libre, ses buts

"Réponses d'élèves : On écrit pour que le journal soit intéressant, et que les lecteurs se régalent de le lire. Certains parlent aussi des correspondants, nos semblables lointains, qui, comme nous, écrivent : nous lisons leurs écrits, ils lisent les nôtres. Par eux, l'écriture et la lecture, indissociable sont, orientées, elles ont un sens. A l'école normalement on lit la lecture (sur le manuel) et on écrit l'écriture (pendant la séance d'écriture). Nous, au contraire, nous lisons l'écriture (des autres) et nous écrivons la lecture (pour les autres).

Mais cet intérêt pour l'écrit communicatif ne s'est pas installé tout seul. J'avoue l'avoir favorisé en trouvant imprimerie et correspondants, en expliquant (peu), en rappelant à chacun c'est intéressant ce que tu viens de dire, tu devrais en faire un texte..., en évitant soigneusement de bloquer l'expression, sous prétexte que la forme est incorrecte. Il ne s'agit, pour le moment, ni de correction ni de morale.

D'autres enfants écrivent parce qu'il est agréable d'être choisi, célébré par le groupe [...]. Certains écrivent, semble-t-il, pour le plaisir d'écrire ou par besoin [...]."

(R. LAFITTE 1985: Une journée dans un classe coopérative. Le désir retrouvé. Paris, Syros, pp. 136 - 137.)

Et pour préciser davantage le cadre

"Pour qu'il y ait expression véritable, il faut mettre en place des sécurités:
- quant au lieu : la communication des textes libres doit toujours se passer au même endroit. La classe doit être un lieu fermé;
- quant aux limites dans le temps et garanties par des lois;
- quant aux lois : on ne redit pas à l'extérieur ce qui se dit ici, on écoute celui qui parle, on ne se moque pas."

(Journal de l'atelier A 1. Stage national "Genèse de la coopérative" juillet 1987.)

 "L'enfant n'est incité à écrire que quand il peut puiser dans les richesses de la vie de la classe : échanges oraux  (Quoi de neuf ?, Conseil), sorties-enquêtes, correspondance, journal... Des lieux et des moments pour écrire : l'enfant peut quitter certaines activités pour cela."

(Journal de l'atelier A 1. Stage national "Genèse de la coopérative" juillet 1984.)

Nous concluons avec les propos du Secteur français de l'I.C.E.M.

"C'est dans la mesure où le texte libre conjugue l'acquisition des connaissances, l'apprentissage des techniques et des pratiques et la maturation personnelle (au double plan de l'affectivité profonde et de la fonction critique) qu'il permet un apprentissage efficace et progressiste de l'expression écrite."

(Roycourt, D. / Crouzet, R. (1988) : "le texte libre", collection Pourquoi-Comment?, PEMF, Cannes.)

Comme les articles qui suivent vont le montrer, le texte libre se pratique de la même manière dans une classe de langue. Il reste donc à intégrer cette technique, et à élaborer un concept élargi d'apprentissage guidé de la seconde langue. Concept qui irait au-delà du modèle cognitiviste actuellement en vigueur, qui prendrait en compte la méthode naturelle d'apprentissage, le tâtonnement expérimental, la gestion mentale...

Pistes de lecture

Le texte libre

 CLANCHE, P. (1988) : L'enfant écrivain. Génétique et symbolique du texte libre, Le Centurion, Paris.

[II s'agit d'une recherche sur la production de textes libres à l'école primaire.]

 FREINET, C. (1960) : Le texte libre. C.E.L., Coll. Bibliothèque de l'Ecole moderne n° 3, Canne (Première édition : 1947, Coll. Brochures d'Education Nouvelle Populaire n° 25, Cannes.) [Le texte de base...]

 FREINET, C. (1975) :  Les techniques Freinet de l'école moderne, A. Colin, coll. Bourrelier, Paris, pp. 51 - 59.

 LAFITTE, R. (1985) : Une journée dans une classe coopérative. Le désir retrouvé, Syros, Paris, pp. 135 - 147.

[L'auteur présente sur les pages indiquées une séance de choix de textes.]

 OURY, F. (s.d.) :  A partir des textes libres : Apprendre à écrire correctement. Manuscrit ronéotypé.

[L'auteur traite le problème de la mise au point d'un texte libre.]

 OURY, F. / VASQUEZ, A. (1982) : Vers une pédagogie institutionnelle ? Ed. Maspéro, Paris, pp. 45 sq.

 ROYCOURT, D. / CROUZET, R. (1988) : "le texte libre", collection Pourquoi-Comment ?, PEMF, Cannes.)

[Il s'agit du travail le plus récent du mouvement Freinet sur le texte libre. Le dossier, réalisé par une équipe du Secteur français de l'I.C.E.M. est suivi d'une bibliographie touchant les domaines concernés par cette techniques : psycholinguistique, apprentissage de la grammaire, de la lecture.]

 VASQUEZ, A. / OURY, F. (1971) : De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle. Maspéro, Paris, (vol. 1), pp. 264 sq.

Le texte libre et l'enseignement des langues

 BAILLET, D. (1986) : "Sur les traces de Freinet - L'utilisation de l'écrit en classe d'allemand" in Langues Modernes 1986 n° 6, pp. 35 - 46. BERTRAND, M. (1969) : Une méthode naturelle d'apprentissage de l'anglais en classe de 6e : Live English -  Dossiers pédagogiques n° 44 (Supplement de l'Educateur)

 [N'est plus en vente au P.E.M.F., disponible auprès de la rédaction de TRACER au prix de la photocopie]

 BERTRAND, M. (1975) : "Live English"  Dossiers pédagogiques n° 102 - 104 (Supplement de l'Educateur)

 [N'est plus en vente au P.E.M.F., disponible auprès de la rédaction de TRACER au prix de la photocopie]

SCHLEMMINGER, G. (1985) : "Der Freie Text. Konzeption eines lehrbuchunabhängigen Fremdsprachenunterichts" in : MÜLLER, B.-D. / NEUNER G. (1985, s. 1. dir.) Praxisprobleme im Sprachunterricht, Iudicium Verlag, Bamberg, pp. 105 - 147.


Michel Bertrand

TEXTE LIBRE ET EXPRESSION LIBRE

Je voudrais introduire mon propos par une double mise en garde.

A cause d'une simplification abusive, la pédagogie Freinet est assez souvent confondue avec le texte libre et ses prolongements. Or cette activité n'est qu'un des aspects de cette pédagogie qui repose pour une large part sur l'expression libre, notion qu'il importe de préciser ici d'autant que l'expression est une langue étrangère à l'enfant. Cette langue doit être envisagée comme un moyen de communication et d'expression et non comme une fin; il s'agit avant tout de créer un climat de confiance qui exclut la crainte et favorise les initiatives, et de proposer des techniques et des outils qui permettent la communication et l'expression en favorisant le tâtonnement. Le texte libre est l'une de ces techniques, indissociable des autres.

Bien souvent aussi les techniques de l'Ecole Moderne sont présentées comme n'étant possibles que si l'enfant fait ce qu'il veut. "Le mot liberté ne suffit pas. La liberté n'est pas seulement l'absence d'oppression; elle doit être surtout une réalité sociale, constructive et dynamique..." (C. Freinet, in : l'Educateur, janvier 1965). L'expression libre, cri où l'être prouve sa pleine vitalité, passe en effet par une organisation rationnelle et naturelle du travail de l'individu et du groupe.

Les classes de 4e et 3e (4 h / semaine) dont il s'agit ici, il y a quelques années déjà ! ont une trentaine d'élèves dans un Collège rural (400 élèves).

Chaque classe correspond avec une classe homologue d'une High School anglaise. La correspondance est collective et sonore, elle est doublée d'une correspondance individuelle écrite. Son exploitation, en classe, à partir de la bande magnétique reçue motive la réponse collective et les échanges individuels, l'expression libre, orale et écrite. Dans ce contexte le texte libre, s'il est au début un moyen de communication, devient vite un moyen d'expression.

L'élève écrit sur un cahier de brouillon, ce qu'il veut, quand il veut, où il peut ! Le professeur redresse les incorrections et donne au besoin de nouvelles structures qui précisent l'expression. Le texte est alors repris et corrigé ou retranscrit, au brouillon. Il est ensuite travaillé au magnétophone pour mettre au point sa lecture, car il sera présenté à la classe si l'enfant le souhaite. Une séance de lecture est organisée coopérativement lorsqu'il y a une dizaine de textes à lire. Chaque auteur lit son texte, s'expose à la critique du groupe, répond aux questions, présente et explique le vocabulaire ou les structures nouvelles. Un texte est alors choisi, qui sera dactylographié et affiché, puis classé dans le livre de vie de la classe. Tous les textes écrits et corrigés au brouillon, lus ou pas, élus ou non, sont recopiés dans le classeur personnel de l'élève, et revus par le professeur. Ils sont parfois affichés, échangés entre auteurs dans la classe, ou expédiés aux correspondants.

Un texte choisi peut être remanie ou enrichi collectivement. Il motive très souvent des recherches dans la littérature ;(qui va du magazine à l'oeuvre classique) à l'aide `du fichier thématiques (Au cours du travail ou des lectures de chacun, tout texte intéressant découvert dans les magazines, les manuels ou la correspondance, d'ordre littéraire ou documentaire, est répertorié dans un fichier qui s'étoffe au fil des jours.). Ces recherches ramènent d'ailleurs la plupart du temps à une nouvelle piste d'expression libre. On voit donc qu'il y a enrichissement personnel : rédaction, lecture, présentation, discussion, et enrichissement collectif : l'aide que le professeur a apportée à l'auteur profite à tous. Les thèmes abordés tournent souvent autour des animaux, des aventures personnelles, du voyage, des souvenirs, de l'école, de la famille, des jeunes, de l'argent, de l'amour, de la pollution, du progrès... Le contenu des textes et des poèmes est souvent très modeste, mais le travail de mise au point, d'exploitation et de présentation qui se fait autour est très riche.

Dans certaines classes, selon les élèves, leur état d'esprit, l'organisation... il y a une présentation par semaine, dans d'autres une par quinzaine. Il peut y avoir accélération ou ralentissement, on privilégie alors une autre technique : le compte-rendu d'enquête, l'exposé, le débat, la lecture ou des ateliers de travail personnalisé audio-oral, recherches, travail auto-correctif de grammaire...Le contrôle se fait par plans de travail bi-hebdomadaires et plannings muraux. Pas d'évaluation / sanction par notes chiffrées mais des appréciations développées du professeur et une auto-évaluation mettant en valeur l'évolution du travail plutôt que sa comparaison avec celui des autres.

Exemple 1

N° 18              .1.69

THE MATHS PROBLEM

Eight o'clock!
I'm sitting at my desk pondering on a maths problem.
A quarter past eight !
I'm still sitting at my desk, pondering on a maths problem.
Half past eight!
And still I'm sitting at my desk, pondering on a maths problem.
A quarter to nine
Always the same thing - I'm pondering on a maths problem.
Nine o'clock!
One hour has passed, and still no answer.
A quarter past nine !
I'm still looking at the same maths problem. .-
Half past nine !
The quarter hour passed too quickly -
A quarter to ten.
I am tired. I look at a problem but I can't find a solution.
Ten o'clock!
Two hours have passed and still nothing - I am sick of this.
I write some fines. I don't know what. But
I write anything.
Five past ten !            Bernard M

Exemple 2

 N° 31                                                    15.4.69

 THE WIND
Wind!Wind!
The wind blows
Blows the wind
on the window
oh wind ! oh wind !
Blowing, blowing
oh wind ! oh wind !
On the window !
On the window!
I am looking
Through the window
I am looking at
The wind blowing !
To the window.
Wind ! Wind !
The wind blows
Blows the wind
On the window!                      M.

   

Exemple 3

N° 47                                                                             7.9.69

THE SINGER'S SONG
When there is no rain                                                             
There are clouds
And when you take my arm
My pen doesn't sleep.
Around again                                                                                                
Always around
Time is waiting
For an answer.
Who will think?
Who will smell?
Rain and tears
Waiting for the sun.
When the sky is blue
There are no flowers
And when you love me
My dream is not real.
Around again
Always around
O my lovely song
My last hair. My last dream
Think of something real
And write for your pen.
Time is not answering
Then, I love and I think.               

Bernard M.

   

 

 

Le cahier d'expression de Bernard

Bernard fait partie d'une classe qui a fonctionné pendant deux ans (4e / 3e) en privilégiant la technique du texte libre, au rythme d'une présentation collective hebdomadaire. Il écrira, sur le même cahier de brouillon (22 x 16cm - 200 pages à anneaux) 41 textes et poèmes en 4e, 6 pendant les vacances d'été, 62 en 3e, 26 pendant les vacances d'été, et encore 50 poèmes jusqu'en novembre de sa Seconde au Lycée, en continuant à me transmettre le cahier pour correction.

 On notera l'augmentation régulière du rythme de l'écriture. Il dira quelques années plus tard, lorsque je lui ai demandé de commenter ses 185 productions : "je rajoutais des pages car je sentais avoir beaucoup à dire avant de me taire définitivement à la fin du cahier. Je prolongeais le cahier, me mettant à l'abri de ma décision après la dernière page".

Il numérote et date ses textes et à partir du 63e, il indique l'heure à laquelle il écrit. On constate ainsi qu'il écrit à toute heure du jour et de la nuit, souvent entre 23h et lh, même pendant les vacances : "je m'étais réveillé dans la nuit et avais écrit ceci". Il écrit en tous lieux. Des poèmes sont écrits "dans le noir sur le rebord d'une fenêtre. Il m'était impossible de relire" - ou encore en 2nde "chanson écrite en cours de math". - "Poème écrit dans le train de Tours à Paris : deux vieilles dames discutaient politique et s'inquiétaient de ce que les Chinois possédaient la bombe atomique" - "Texte écrit un samedi après-midi où j'étais allé me réfugier au Collège parce trop de bruit à la maison".

Au début, il écrit d'après des textes écrits ou entendus en expression libre en français. Ses productions sont remplies des fautes les plus diverses. Je corrige les plus flagrantes, il y en a trop. Mais Bernard ne s'en plaint pas, bien au contraire : "les corrections apportées sont loin d'être un obstacle : elles n'enlèvent rien à la spontanéité et sont même parfois à l'origine d'un texte. Jamais les corrections ne m'ont découragé, au contraire elles m'incitaient à vaincre la médiocrité de mon expression en créant davantage". II parvient plus rapidement à un anglais correct dans les poèmes que dans les textes en prose qui demeurent des traductions très longtemps et qu'il abandonne très vite.

Arrivent ensuite des textes écrits directement en anglais (voir exemple n°1) à l'aide de formules simples répétées faisant réponse à des textes écrits en français. Et puis des textes et surtout des poèmes pensés en anglais (voir exemple n°2) "Texte écrit en anglais parce que cela sonnait mal en français. Refus de dire en français des choses vraiment ressenties. L'anglais devient donc un refuge. Ecrit pour soi avant tout".

Des poèmes sont provoqués par un mot qui a plu : "Pedestrians" "sweetheart" "Bedlam" "For heaven's sake"...Ils sont écrits pour la musique des mots et pour traduire un état d'âme. Ils se libèrent de la contrainte, de l'effort à penser dans la langue. Des phrases/textes jaillissent qui sont une musique pure "We run faster than the long snake running for life with the wind". Des poèmes immédiats, sans raison, aussi libres que ceux produits en français (voir exemple n°3).

Et puis naît le souci esthétique, apparaissent les jeux graphiques. La mise en page apporte du sens et le motive : "Plaisir d'écrire sur des papiers de couleurs différentes. Le papier est un prétexte au sens propre." Bernard écrit entre les morceaux d'un cercle éclaté : un fond de boîte à camembert découpé et collé sur la feuille, le texte est fonction de l'espace laissé libre (voir exemple n°4)... Il varie et multiplie les procédés techniques : collages, montages, dépliants, encres, peinture... et insensiblement mais inexorablement le cahier de brouillon et de la langue anglaise devient cahier d'expression libre polyvalente.

Je laisse Bernard conclure : "écrire ces textes m'a rendu un immense service, mieux cela était nécessaire, indispensable. Apprendre à diriger son énergie sur un point précis plutôt que de la laisser partir de tous sens, pour la santé de soi".


Sylvie Balzinger.

COMMENT SUSCITER L'EXPRESSION ECRITE PERSONNELLE DES ELEVES PAR LE BIAIS D'UN JOURNAL - RECUEIL DE TEXTES LIBRES ?

L'élaboration du recueil de textes libres est placée sous le signe du volontariat et les élèves de toutes mes classes (sixième à troisième, francophones ou de « la voie spécifique régionale » (La voie spécifique régionale : enseignement de l'allemand (L.V.1) qui s'adresse aux élèves d'expression dialectale en Alsace et en Lorraine.)", L.V. 1 ou L.V.2) sont invités dès les premières semaines de l'année scolaire à y contribuer et à rédiger des textes dont eux-mêmes choisissent le sujet. La notion de volontariat et celle de liberté de choix du thème me paraissent importantes: la rédaction d'un "article" doit être un plaisir, non une corvée, une possibilité pour l'élève de se montrer de quoi il est capable, de réaliser, d'écrire ce qu'il n'a peut-être pas eu le temps ou le courage de dire pendant l'heure de cours; c'est une aubaine pour les élèves bons, mais réservés. Par ailleurs, donner à chaque élève volontaire un sujet déterminé risque, me semble-t-il, de freiner, voire de bloquer toute spontanéité, tout esprit d'initiative des enfants. II arrive que des élèves lents à l'oral donnent, dans un texte libre, un autre élargissement ou une appréciation d'un texte qui diffère de ce qui a été dit en classe. Ces textes sont quelquefois corrigés à la fin de l'heure, en présence de l'élève (c'est surtout le cas en sixième), mais le plus souvent sont soigneusement annotés de conseils quant au choix du vocabulaire, des tournures stylistiques (suggestion de réemploi d'une expression idiomatique apprise récemment et qui conviendrait...); les corrections grammaticales sont illustrées d'exemples de rappel et proposent à l'élève des révisions personnelles. Toutes les erreurs sont corrigées, mais seules les plus grossières, c'est-à-dire celles que l'élève aurait pu éviter, lui sont réexpliquées. Ainsi quand un élève plutôt moyen de sixième écrit à la fin du premier trimestre : "Steffen fahr mit dem Rad in dent Wald', seule l'erreur portant sur la conjugaison du verbe fait l'objet d'une mise au point, le présent des verbes forts ayant déjà été abordé en classe; la seconde erreur sera corrigée sans commentaire pour le moment. A vouloir trop bien faire en annotant rigoureusement chaque faute, on risque, me semble-t-il, d'étouffer la bonne volonté des élèves, mais ce point de vue, qui tend à établir une hiérarchie des erreurs, prête sans doute à discussion.

Aucun texte n'est noté, mais on accorde un bonus à la moyenne trimestrielle de ceux qui ont fait l'effort d'un travail supplémentaire. Ce procédé semble convenir aux enfants qui s'estiment davantage stimulés par une remarque bienveillante, encourageante, que par une note. Le maître n'est plus celui qui comptabilise sèchement les fautes, mais celui qui conseille et qui suit chacun individuellement. Ainsi, il lui est possible d'introduire sur la copie d'un élève isolé, motivé, une concessive ou un subjonctif H, alors que ces points de grammaire ne figurent pas au programme. On constate souvent que, dans la rédaction des textes ultérieurs, l'enfant s'astreint à construire une phrase sur le même modèle : il est évidemment beaucoup plus réceptif à une explication individuelle.

Il est évident que l'élève de sixième francophone rédigera d'abord des textes très proches des Nacherzählungen (compte rendu d'un sketch, d'un texte).traditionnelles rédigées en classe ou à la maison : il aime jouer avec les expressions nouvelles, mais se contente souvent de les juxtaposer afin de faire montre de tout son savoir, sans se préoccuper du sens général, sans se soucier d'une quelconque chronologie. Néanmoins, à ce niveau, toute production écrite, aussi modeste, aussi maladroite soit-elle, est systématiquement encouragée. Pourtant parallèlement à cette attitude bienveillante et très tolérante, on entraîne les enfants pendant le cours d'allemand à "l'intervention horizontale" : le dialogue ne doit-il pas être seulement un dialogue maître-élève, c'est-à-dire un dialogue "vertical", mais surtout un dialogue élève-élève, où le maître intervient au même titre qu'un élève ! En leur indiquant dès les premières heures de cours des "Ich kann noch etwas sagen" (je peux encore dire), "Ich möchte etwas hinzufügen" (je voudrais ajouter), "Ich verbessere" (je corrige...), "Bist du mir inverstanden ?" (es-tu d'accord ?), "Kannst du mir helfen?" (peux-tu m'aider ?), on peut très rapidement exiger des élèves d'être à même d'intervenir pour enrichir une phrase ou tout simplement un groupe nominal. Habituer les enfants d'emblée à ces interventions "horizontales" conduit à stimuler leur attention et à créer une émulation dans le groupe-classe, chacun essayant d'être plus précis que les autres. Un élève accoutumé très tôt à faire préciser par un camarade ou à préciser lui-même une idée en classe veille à étoffer son discours à l'oral, comme à l'écrit. La rédaction de textes libres offre donc à l'enseignant la possibilité de revenir de manière individuelle et ponctuelle sur les diverses façons d'enrichir un groupe nominal, une phrase et lui permet, de voir comment l'élève progresse et quelles sont ses difficultés. La correction du texte devrait donc aider l'élève à affiner progressivement son expression en l'aidant à prendre conscience du fonctionnement de la langue au moment où il exerce sa propre autonomie "sur le terrain". Cette tentative d'expression écrite continue autonome devrait aussi permettre à l'élève d'éviter la tentation d'une traduction mentale, tentation qui guette plus particulièrement le petit débutant. Il est certes difficile, dans le maniement d'une langue étrangère, de refouler toujours tous les systèmes de la langue maternelle; cependant, si on entraîne très tôt un enfant à rédiger dans la langue étrangère, on lui évitera peut être de prendre l'habitude d'un va-et-vient mental continuel entre sa langue et la langue dans laquelle il souhaite s'exprimer : il usera au départ de tournures idiomatiques ou de phrases toutes faites qu'il aura mémorisées, puis se servira d'amorces de phrases qu'il aura entendues maintes fois pendant le cours (ainsi rendons-nous service aux élèves en variant de temps à autre notre propre vocabulaire), ou d'expressions qu'il aura lues. Les meilleurs élèves arriveront peut-être à réfléchir dans la langue étrangère (?), mais la grande majorité - ne nous faisons pas d'illusions - cherchera toujours, à un moment ou à un autre la traduction d'un mot, d'une expression : cet entraînement à l'expression continue autonome réussit tout au plus à fixer certains faits de langue.

Quelquefois des enfants sollicitent l'autorisation de lire leur texte à leurs camarades. Cette "Lesung", née de la fierté de l'enfant, engendre l'émulation au sein du groupe. Lorsqu'un texte est particulièrement original, il est affiché dans la classe, ce qui est considéré comme l'honneur suprême... Les thèmes traditionnellement abordés en sixième sont les suivants : un anniversaire, une fête, une promenade en forêt, la famille, la ville, à l'école, au zoo, les saisons, les vacances, des contes, propositions de jeux (mots croisés, mots en vrac....).

On peut suggérer des thèmes de rédaction au moment d'une Erweiterung (élargissement) (la vie en ville et à la campagne, l'environnement, la conquête de l'espace, le tiers monde, le chômage, la musique moderne allemande... ). Ces thèmes peuvent être adaptés à la maturité d'un élève de treize quatorze ans, mais il convient, bien sûr, de lui fournir les moyens linguistiques nécessaires au préalable. De manière générale, on peut difficilement apprécier le niveau d'une classe d'après les textes produits, puisque seuls les enfants intéressés participent à la rédaction de ce journal, mais ils témoignent tout de même des difficultés, des points faibles, de ce qui est assimilé et de ce qui ne l'est pas encore et permettent à l' enseignant d'ajuster plus précisément ses cours aux besoins de ses élèves.

   

Toutes les productions (prose, vers, bande dessinée, mots croisés, jeux, etc.) sont réalisées en dehors des heures de cours et en plus du travail scolaire habituel. Il me semble qu'il convient de distinguer d'une part le "programme" avec sa panoplie de règles et d'exercices qu'on peut considérer comme un passage obligatoire pour acquérir, fixer, consolider les notions lexicales, stylistiques et grammaticales et, d'autre part, le côté récréatif, facultatif, qui permet de faire de l'allemand autrement, et pour le plaisir! D'ailleurs, la rédaction d'un texte libre se fait volontiers avec la complicité de la famille, mais qu'importe, du moment que l'enfant participe à son élaboration. Par contre, tout texte simplement recopié d'un livre ou d'une revue est systématiquement refusé, donc découragé. Quand le texte est rectifié, l'élève le recopie et l'illustre s'il le désire : chacun est responsable de son travail et des fautes qu'il négligerait de corriger. S'il est vrai que des erreurs subsistent (ou apparaissent !), il faut constater malgré tout, en général, un réel effort d'attention à l'orthographe, l'écriture et la présentation. Les photocopies des textes sont assurées par les parents d'élèves ce qui limite le prix de revient du "journal" tout en assurant une présentation correcte. Les textes sont réunis puis agrafés avant d'être distribués, vers le mois de juin, aux camarades, aux parents, aux professeurs. Quelques semaines auparavant, vers la fin du deuxième trimestre, la page de couverture ainsi que le titre à donner au recueil font l'objet d'un concours: un jury composé d'élèves de toutes les classes participantes se réunit et arrête son choix. On ne demande pas l'avis de l'enseignant : c'est le signe le plus tangible que c'est le journal des élèves, "leur" journal.

A noter cependant que les quatrième et troisième participent moins spontanément et moins intensivement à ce genre d'activité, peut-être pour des raisons inhérentes à la psychologie de cette tranche d'âge... Afin d'obtenir une expression continue écrite à ce niveau, on peut donner, dans le cadre de l'option "renforcement" par exemple, un canevas, un résumé d'une nouvelle : on aide les élèves, mais cette fois pendant l'horaire scolaire, chapitre par chapitre, à étoffer un texte. C'est un travail intéressant pour tous les élèves (qu'ils soient "forts" ou "faibles") : ils se sentent soutenus. Il conviendrait toutefois de veiller à établir un plan de travail n'excédant pas cinq mois : au-delà, la tâche pourrait paraître fastidieuse et ne permet pas aux élèves le recul par rapport à ce qu'ils ont rédigé. Ce recul, me semble-t-il, est l'une des conditions nécessaires de l'auto correction. Enfin, pour terminer, la rédaction d'un bref "Vorwort" (mot d'introduction, avant-propos) permet aux jeunes auteurs de porter un jugement critique sur le travail accompli; cette critique n'est jamais négative, les élèves sont unanimes pour reconnaître qu'une telle activité leur plaît, qu'elle est motivante; ils apprécient la liberté qui leur est accordée de rédiger le texte à leur gré et sont sensibles au soutien lexical qu'on leur propose. Ils soulignent fréquemment aussi une meilleure aisance à s'exprimer par écrit et ne cachent pas leur fierté d'avoir pu rédiger une nouvelle (un "roman", disent-ils !) en allemand.

Extraits de textes libres

...  Die Kinder gehen hinaus und fahren mit den Rädern ins Schwimmbad jetzt sind sie im Schwimmbad und sie gehen ins Wasser. Sie wollen um die Wette schwimmen. Achtung ! Fertig... los! Die Kinder springen ins Wasser und schwimmen sehr schnell .. Maria ist ganz rot im Gesicht. Der junge hat gemogelt...

Christine, sixième francophone, deuxième trimestre.

 Eines Abends, als ich zum Fenster hinausschaute, sah ich ein blaues Licht; ich ging hin, um nachzusehen, was es sein könnte. Da sah ich zwei komische Wesen. Sie brachten mich in ihr Raumschiff.. Dann erzählten sie mir, daß sie notlanden mußten, weil sie von anderen Wesen angegriffen würden, die aber nicht auf der Erde leben konnten...

Sylvie, cinquième, premier trimestre

 ... Das war es eben, was das arme Glühwürmchen so traurig stimmte: es war ohne bunte Farben, eben so wie Glühwürmchen sind grau und bedeutungslos. Es verstand überhaupt nicht, warum es auf der Welt war und fing an zu weinen. Da kam ein Schmetterling vorbei und fragte nach seinem Kummer... Die Spinne wollte gerade den kalter auffressen, da geschah das Wunder: Ein kleines Licht leuchtete auf, die Spinne erschrak und ließ ihr Opfer fallen ( Da erinnerte sich Glühwürmchen an das, was ihm der Insektenkönig gesagt hatte und wußte nun, worum es die anderen Insekten beneiden konnten.. .

Stéphane, troisième, deuxième trimestre

   

Gerald Schlemminger

Monographie : l'évolution des textes libres de Nadine

Le grand-père de B.

Nadine est en classe de seconde, elle suit le cours d'allemand première langues[1]. Mais elle a d'énormes difficultés à s'exprimer (à l'écrit et à l'oral) en langue étrangère. En début d'année scolaire, Nadine, suivant l'exemple d'un élève, souhaite décrire une ville. Elle choisit B., ville d'Allemagne du Nord. Elle apporte l'ébauche d'un récit historique qui dépasse de loin ses compétences linguistiques (et historiques). Son texte comporte trois phrases allemandes d'une structure complexe avec de nombreuses fautes de tous ordres. Je lui suggère donc un travail plus facile, par exemple présenter un conte de cette même région (ce qu'elle juge "enfantin") ou faire un reportage sur cette ville aujourd'hui.

Pendant le cours suivant, Nadine est découragée. "C'est trop difficile", me dit-elle en allemand. Pour dépasser son sentiment d'échec, je fais appel à ses souvenirs de cette ville. A travers ce jeu d'associations, je lui montre qu'elle est capable de raconter des éléments en rapport avec la ville qu'elle a choisie. En effet, elle se rappelle par exemple la célèbre fête foraine du mois d'octobre. Je lui conseille d'en faire un résumé en quelques petites phrases.

A l'heure suivante, la situation s'est aggravée: Nadine insiste sur son incapacité à écrire ce texte. Comme je ne veux pas l'enfermer dans ses propres exigences trop élevées, nous travaillons immédiatement et ensemble sur ses idées.

A nouveau, elle débute avec l'histoire de la ville, mais comme il lui manque des connaissances dans ce domaine, elle cesse aussitôt et déclare en allemand : "Je ne peux pas". Je poursuis le travail sur ses associations concernant cette ville. Enfin, elle commence à raconter, en allemand et de plus en plus longuement. Elle décrit l'aspect architectural de la ville : la place de l'hôtel de ville, la fameuse "cave de plomb", etc.[2]

Puis, Nadine entre dans des considérations plus personnelles en racontant, partiellement en français, un aspect de son histoire familiale. Son récit me semble, au premier abord, invraisemblable mais s'avère exact par la suite "J'ai un grand-père qui était le dernier maire à vie de la ville de B." dit-elle en allemand. Nadine termine le travail de son premier texte sur un terrain plus neutre : la vie heureuse de gens de B. et la fête d'octobre. A la fin de l'heure, je lui propose de mettre au propre les propos que nous avons pris en note, de taper son premier texte sur l'ordinateur et d'y ajouter une liste des mots difficiles.

Au début du cours suivant, Nadine annonce avoir préparé un autre texte, tiré d'un manuel, pour le travailler en cours. Comme nous avons mis en place depuis quelque temps l'institution du Conseil, je lui fais remarquer qu'elle devra attendre la réunion du Conseil pour que tous ensemble, nous décidions à quel moment nous travaillerons son texte en classe. Lors du Conseil, Nadine ne propose pas son texte pour le travail en classe. Toutefois, elle s'engage à être responsable des préparatifs d'un éventuel voyage en Allemagne.

A l'heure suivante, Nadine pose le texte sur B. sur mon bureau sans dire un mot. Pendant ce cours, nous parlons tous d'un éventuel voyage en Allemagne, Nadine s'engage beaucoup et essaie de discuter en allemand. A la fin de l'heure, elle me rappelle son texte en s'inquiétant de la bonne exécution de son travail. Le texte est recopié à la main, mais ne contient plus le passage qui fait mention du rôle qu'a joué son grand-père à B.

Die Stadt B.

 B. ist der zweite Hafen Deutschlands. Es gibt den Platz mit dem Bleikeller. Die Leute in B. sind glücklich. Im Herbst feiert man das Oktoberfest. Die Leute singen viele Matrosenlieder. Nadine L

La fuite et la confusion des sentiments

Avant même que le travail du premier texte soit terminé, Nadine propose l'étude d'un nouveau texte tiré de son manuel de classe de seconde, allemand première langue; il s'intitule "Die Flucht"[3]. Certes, elle a effectué des recherches de vocabulaire, et une traduction de ce texte littéraire montre qu'elle le comprend. Mais la lecture est saccadée, à peine compréhensible et elle ne sait ni répondre aux questions ni relater le contenu du texte. En effet, par rapport à ses capacités actuelles d'expression le texte est beaucoup trop difficile. Nadine n'exprime aucun désir de poursuivre l'étude du texte.

Lorsqu'elle propose, au Conseil suivant, de travailler un autre texte de son manuel, je mets mon veto en indiquant qu'elle n'a pas encore présenté "Die Flucht" à la classe. Elle évoque Robert qui ne veut pas, d'après elle, travailler ce texte. Je n'insiste pas et le texte ne sera plus jamais abordé. Néanmoins, pendant le même Conseil, elle exprime le souhait de travailler "Der Erkönig" [le roi des aulnes], un poème de J.W. Goethe, texte qu'elle a déjà étudié en classe de troisième. Sa proposition est acceptée par les autres. Comme elle n'est pas sûre de disposer du texte, je lui en fournis une photocopie et la traduction française. Nadine se met tout de suite à lire le poème à mi-voix.

Au cours suivant, Nadine propose encore un autre texte. Je lui signale qu'elle devait, comme convenu au Conseil, travailler à la réalisation de son dossier sur le poème de Goethe. Mais j'accepte sa proposition et elle me montre le texte "Die Pfannkucken" [les crêpes allemandes], tiré d'un manuel plus facile que celui dont elle a tiré "Die Flucht".

La lecture est meilleure que celle du dernier texte. Lorsque je demande à Nadine pourquoi elle a choisi cette histoire, elle ne sait pas quoi répondre; elle ne sait pas non plus expliquer ce qui lui a plu à la lecture de ce texte. Je me contente donc de faire avec elle un résumé. Je note ce qu'elle nous dit en y apportant les corrections linguistiques. Elle ne souhaite pas présenter ce texte à la classe.

Die Pfannkuchen

 Der Sohn heißt Charlie. Es gibt die Mutter und den Sohn und die Freundin Eike. Der Sohn wohnt in einer neuen Wohnung. Eike denkt, daß Charlie die Wohnung renovieren muß. Er kann von seiner Mutter Farbe nehmen. Charlie hat Geburtstag. Seine Mutter kocht für den Gurburtstag. Sie hat die Pfannkuchen

gemacht. Die Pfannkuchen brennen; sie sind verbrannt.

 In dem Wohnzimmer malt die Mutter auf der Leinwand. Sie begrüßt Eike.                    Nadine L.

A notre surprise Nadine a préparé, pour le cours suivant, quelques phrases, en français, sur la vie de Goethe. Elle a pris l'initiative de consulter une encyclopédie et de résumer l'article sur la vie de Goethe. Puis elle l'a tapé sur ordinateur. Certes, le texte n'est pas toujours très compréhensible et la mise en page est très désordonnée. Je l'aide donc pour la mise en page et j'établis avec elle une traduction en allemand après rectification des erreurs de contenu.

Johann Wolfgang von Goethe

 Er ist ein deutscher Schriftsteller. Er ist 1749 in Frankfurt am Main geboren. Er ist der Freund von Karl-August, Herzog von Weimar. Goethe geht während der französischen Revolution mit ihm nach Frankreich. Später wird er Minister in Weimar. Er war mit seinem Roman "Die Leiden des jungen Werthers" (1774) einer der Anführer des Sturm und Drang. Er starb 1832.                                                                                                                                                                     Nadine L.

Après la présentation des dossiers d'autres élèves, les vacances de février, deux sorties et une absence de Nadine, trop de temps s'est écoulé depuis la première ébauche sur "Der Erlkönig". Je ne juge donc pas opportun d'insister auprès de Nadine pour qu'elle finisse son travail. Entre-temps elle s'est déjà intéressée à un texte qu'une autre élève a présenté en cours.

La solitude de la vieille dame

Une élève a choisi dans le recueil intitulé "Tafelgeschichten" (de l'auteur contemporain Kempowski) le texte "Die alte Frau" ["la vieille dame"]. Suite à une décision du Conseil, le texte a été programmé pour une étude commune. Une semaine après ce travail, Nadine demande de pouvoir relire le texte "Die alte Frau"[4].

Die alte Frau

 Im Krankenhaus liegt eine alte Frau, die ist schon 96. "Ich möcht' so gern sterben", sagt die alte Frau und zieht die Bettdecke hoch. Die Krankenschwester gibt ihr einen Schluck zu trinken; die ist gerade frisch verlobt.

 "Aber Oma", sagt die Schwester, "du kannst noch 10 Jahre leben", aber das glaubt sie nicht, und die Oma glaubt es auch nicht.

 Wenn die alte Frau eines Tages stirbt, kommt niemand zur Beerdigung. Den Kranz stiftet der Oberarzt.  W. KEMPOWSKI

Comme c'est un texte qui est assez facile, j'entame tout de suite une petite discussion avec Nadine. Avec cette aide, elle arrive à faire comprendre en allemand pourquoi ce texte a retenu son attention : elle trouve le texte "macabre" et elle aime bien les histoires qui évoquent la mort, les fantômes. Elle dit que "la vieille dame vit dans son monde à elle, qu'elle doit mourir. Si personne ne vient à l'enterrement, il fera froid." La vieille femme sera enterrée "bei Nacht und Nebel"[5]. Nous notons ses propos et ainsi son premier commentaire de texte voit le jour.

Kommentar

 Ich mag gern morbide Geschichten. Ich mag gern den Tod. Ich mag auch gern Geister. Die alte Frau lebt in ihrer Welt. Sie muß sterben. Wenn niemand zur Beerdigung kommt, ist es kalt. Wenn sie beerdigt wird, ist es vielleicht Nacht und Nebel.                                                            Nadine L.

Le chat, ami solitaire

Pendant le cours suivant, Nadine propose un autre petit texte s'intitulant "Die Katzen" ["Les chats"] qu'elle a choisi elle-même dans le recueil "Tafelgeschichten". Ma suggestion d'aller cette fois un peu plus loin et d'établir pour les autres un petit dossier avec une liste des mots inconnus ou difficiles ne lui convient pas. "Mais ce n'est pas nécessaire, je connais tous les mots." répond-elle. Je lui soumets l'idée de décrire pour le prochain cours un commentaire sur ce nouveau texte.

Katzen

 Wer hat noch nie Katzen gesehen? Da meldet sich wohl keiner. Jeder hat schon Katzen gesehen, wie sie in der Tür sitzen oder auf der Bank liegen im warmen Sonnenschein.

 Katzen heißen Muschi, sie trinken Milch und schmeicheln. Ab und zu fangen sie auch eine Maus.

Zu         kleinen          Mädchen        sagt        man: Schmeichelkatze. Warum wohl? Weil sie

Mäuse fangen?  W. KEMPOWSKI[6]

Puisque Nadine a rédigé son commentaire en français, nous nous apprêtons à traduire avec elle son texte en allemand.

Commentaire

 J'ai choisi ce texte pour la beauté d'un animal qu'on ne connaît pas vraiment. Le chat est un animal qui cache sa vraie nature. Dans le domaine affectif, il est comme une âme seule, jamais il ne peut être très dangereux pour le monde qui l'entoure. Il est solitaire, il ne veut l'aide de personne. Le chat est un animal sans coeur. C'est aussi un dieu si on se réfère à l'Egypte. Le chat a deux yeux étonnants qui peuvent l'aider à voir la nuit. Des gens disent que le chat est un animal qui vient de l'enfer. Nadine L.

Je note ce qu'elle dit. Mais comme elle essaye de traduire les phrases mot à mots, elle rencontre de grandes difficultés à trouver le vocabulaire et les structures correspondants en allemand. Je lui explique le non-sens d'une traduction mentale et je lui conseille de réduire d'abord ses idées complexes en phrases et expressions simples dans sa première langue. C'est seulement après cette opération qu'elle pourra retrouver quelques réflexes déjà acquis en allemand. Afin de lui démontrer qu'elle est capable d'une telle stratégie de transfert, je lui donne quelques exemples pris dans son texte. De plus, je lui rappelle certains réflexes idiomatiques dont elle dispose déjà et qui rendent bien l'idée qu'elle souhaite exprimer. Le travail avance plus facilement[7].

Kommentar

 Ich habe den Text genommen, weil man nicht das Tier kennt und weil der Text schön ist. Die Katze ist ein Tier ohne Herz. Die Katze hat zwei sehr gute Augen, weil sie in der Nacht sieht. Die Leute sagen, daß die Katze ein Tier ist, das aus der Hölle kommt.

 Nadine L.

A sa demande je lui fais relire le texte original "Die Katzen" ce qui lui pose de grandes difficultés au niveau de la prononciation. Je l'aide en marquant sur les mots les accents toniques et les pauses respiratoires. La lecture s'améliore. Le travail sur ce texte s'arrête là notre proposition de recopier les commentaires reste sans suite. Le texte "Die Katzen" et le commentaire ne seront pas présentés aux autres élèves.

"Lieber Fremde" (Cher étranger) 

Une élève présente un dossier avec ses propres poèmes et dessins. Nous discutons tous ensemble sur un poème en particulier dont le sujet est l'amour. Nadine ne participe pas activement à cette discussion. En deuxième heure, la classe est en Conseil. Nadine propose de présenter à toute la classe trois poèmes. La proposition est acceptée. Nous devons aussi changer de responsables pour les différents métiers. Nadine souhaite assumer une nouvelle responsabilité et en reçoit la charge.

J'apporte, au cours suivant, le courrier que la classe vient de recevoir : les premiers contacts se sont noués avec nos correspondants allemands. Je propose aux élèves d'écrire une réponse personnelle aux lettres individuelles. Nadine explique qu'elle entretient déjà une correspondance par ailleurs et ne voit donc pas l'utilité d'écrire un courrier personnel.

Au cours suivant, suite à une proposition de Nadine, la classe décide des différents sujets qui seront abordés (la présentation générale de la région, de la ville, de l'établissement, etc.) dans la réponse collective aux correspondants. Chaque élève prend en charge l'un de ses thèmes. Pendant la distribution des tâches, Nadine intervient en montrant une lettre qu'elle a déjà écrite pour les correspondants et où elle présente la région bordelaise. Elle me demande de la lui corriger. Je lui fais remarquer que nous sommes en train de discuter tous ensemble et que ce n'est pas le moment approprié pour m' isoler avec elle afin de corriger son travail. Toutefois, je lui promets de le corriger après le cours. Ensuite, elle le recopiera au propre et le transmettra au responsable du courrier qui l'enverra avec les autres lettres à nos correspondants.

Lieber Fremde

 Ich vohnt in Bordeaux wenn ist sud ouest in Frankreich. (wir haben eine) Bordeaux ist die große stadt deine Wein. (Sie hat eine) es besucht alte Bordeaux und alte Theater. es gibt der Bassin von Arcachon and es gibt die see. der Summer es gibt viel leute  für summerferien Nadine L.

[retranscription littérale]

Le chemin parcouru par Nadine

En début d'année scolaire, comme nous l'avons vu, Nadine prend, pour le choix de son texte, exemple sur un élève très motivé et d'un niveau en allemand nettement supérieur au sien. Comme elle se décourage très vite et que l'accomplissement de son travail ne se fait que difficilement, je suis amené à assurer le passage à l'écrit. L'ouverture fait place à un découragement, le résultat final est amputé de tout aspect personnel. Le texte restera en dehors du circuit d'échange du groupe.

Après ce premier échec, Nadine se rétracte. Elle recourt au manuel, qui semble la rassurer davantage. Mais le texte choisi ("Die Flucht") s'avère encore trop difficile. Elle l'abandonne aussitôt. L'échec se répète. Ce n'est qu'avec le texte suivant qu'elle arrive à s'exprimer. L'étude s'arrête au résumé, mais qui se fait en allemand; je lui sers toujours de "secrétaire". Ce succès et le travail des autres élèves lui permettent de s'impliquer à nouveau dans le travail de la classe. Elle propose un poème assez difficile. Du fait de circonstances extérieures, ce projet se limite à une petite biographie de Goethe dont j'assure la traduction.

Au cours du deuxième trimestre Nadine commence à s'intégrer réellement à la vie de la classe. Pour la première fois, son choix d'étude s'appuie sur un texte émanant d'une décision collective ("Die alte Frau"). L'intégration croissante au niveau relationnel va de pair avec une meilleure appréhension de ses capacités linguistiques.

Par conséquent, nous n'avons même pas besoin de passer par cet exercice, souvent très scolastique, qu'est le résumé préalable du texte et qui sert à motiver une prise de parole. Nadine est relativement débloquée et parle tout de suite de ce qu'elle a ressenti à la lecture du texte. De plus, elle le fait en langue allemande. Ses paroles ne sont pas encore très assurées; elle hésite, essaye plusieurs versions pour une même idée, mais elle s'exprime.

Pendant cette étude de texte, je constate, de nouveau, l'emploi judicieux d'une expression idiomatique allemande. Pour décrire la situation lors de l'enterrement de la vielle dame, Nadine utilise la métaphore "bei Nacht und Nebel". Cette tournure évoque l'atmosphère lugubre et sinistre d'un cimetière lors d'une nuit de brouillard. Cela correspond tout à fait à cet enterrement insolite auquel personne n'assiste; mais cela reflète aussi son attirance pour les histoires morbides, les fantômes et la mort, tels qu'elle les évoque dans les trois premières phrases de son commentaire.

Ainsi naît son premier commentaire. Son élaboration s'effectue encore plus facilement que les travaux précédents. De plus, une durée du travail d'une heure sur un même objet paraît correspondre à ses possibilités de concentration. Certes, je fais toujours fonction de "secrétaire" et ce travail ne sera pas encore introduit dans le circuit d'échange du groupe. Nadine ne donne pas encore aux autres élèves la possibilité de profiter de son apport personnel.

Nadine choisit un deuxième texte ("Die Katzen") dans le même recueil que le premier. Elle se réfère donc à un livre qui a acquis une certaine valeur de référence dans la classe. En effet, il est apprécié par les élèves pour ses textes faciles et de son contenu intéressant. L'intégration croissante de Nadine dans le cours se confirme donc, mais n'est pour le moment qu'à sens unique : Nadine réalise l'existence du groupe, elle sait en tirer profit, mais elle n'est pas encore capable de donner quelque chose en retour. C'est ainsi que Nadine ne comprend pas l'utilité de la constitution d'un petit dossier avec une liste de vocabulaire pour le travail collectif en classe.

Au niveau du travail individuel, son investissement avance à grands pas. Elle a acquis assez de confiance dans ses propres capacités pour qu'elle écrive, elle-même, un petit commentaire. Certes, il est en langue française, mais il constitue, mis à part des exercices grammaticaux, le premier devoir écrit qu'elle a accompli à la maison.

Le commentaire reflète l'un des centres d'intérêt qu'elle affectionne. Nadine possède un chat auquel elle est très attachée. Comme elle l'a raconté, cet animal représente pour elle un partenaire auquel elle peut se confier en lui relatant ses préoccupations et ses peines. Jusqu'à un certain degré, elle s'identifie à ce chat. Mais l'original du texte n'est pour elle qu'un point de départ pour une réflexion plus générale sur cet animal et sur le rapport qu'il entretient avec son entourage. Elle s'émancipe donc du modèle enfantin du chat que le texte lui présente. Cependant, ce commentaire, traduit en allemand, subit le même sort que les précédents. Un prétexte "technique" l'empêche de le recopier pour la classe. Nadine ne semble pas encore être prête à s'investir dans une relation réciproque avec les autres membres du groupe.

C'est la correspondance avec une classe allemande qui fait émerger Nadine de sa retraite. Ce contact avec l'extérieur la fait s'intégrer au groupe. Elle participe à un travail collectif et écrit, seule, son premier texte en allemand, présentant sa région.

Possibilités et limites d'une intervention pédagogique

En conclusion, je peux donc dire qu'une action pédagogique appropriée, correspondant aux besoins spécifiques d'un élève en difficultés, doit se situer à trois niveaux :

+ Il s'agit d'abord de créer un espace d'apprentissage institutionnalisé qui permette l'expression la plus libre possible. Cette situation doit aider l'élève (et l'enseignant) à assumer le processus d'apprentissage et à reconnaître tant les difficultés dues à toute initiation à une langue étrangère que les déficits dus aux particularités de l'apprenant.

+ Dans l'étape suivante, l'enseignant analyse (de préférence avec l'élève) la localisation exacte des déficits dans les stratégies d'apprentissage mises en oeuvre.

+ Dans une troisième phase, il s'agit de développer avec l'élève des stratégies parallèles qui permettent de supplanter les stratégies défaillantes.

Cette démarche est un cheminement très général, dont mon expérience a confirmé la validité d'ensemble. Toutefois, en ce qui concerne Nadine, cette approche a rencontré bien des obstacles. En raison du rejet de la situation d'apprentissage par Nadine, il m' a fallu un certain temps pour réaliser exactement où se situaient les déficits dans les stratégies d'apprentissage.

Pour éviter toute barrière perceptivo-cognitive, j'ai dès le début, mis à la disposition de Nadine (comme de tous les autres élèves) un matériel linguistique et technique très varié[8] qu'elle pouvait assimiler par des modes opératoires et des approches perceptives différentes. Pour que Nadine et les élèves ne perçoivent pas l'acquisition d'une langue étrangère comme un processus insurmontable, je mets à leur disposition un dossier nommé "mes progrès en allemand". Il retrace la progression possible pendant une année scolaire et chacun peut cocher au fur à mesure de ces progrès ce qu'il a appris dans les quatre compétences linguistiques. Afin de responsabiliser les élèves et les rendre plus autonomes, chacun a une responsabilité, un "métier". Elle est en rapport avec les charges et les travaux qui se présentent dans la vie d'une classe[9]. Dans le même but, les élèves disposent d'un fichier d'exercices auto-correctifs. Nous avons, en plus, instauré le "Conseil". Cette institution gère collectivement la vie de classe. Ici sont prises les décisions concernant le travail; c'est l'endroit où les conflits et les problèmes émanant du travail coopératif sont traités. Dans notre cours de langue, il se passe, en grande partie, en langue étrangère[10].

Après avoir détecté les difficultés au niveau du transfert linguistique et de l'encodage à travers l'analyse des fautes, j'ai essayé de mettre Nadine dans une contexte qui lui facilite l'accès à la reconnaissance de ses difficultés. Nous avons institué une situation d'apprentissage où prime la communication proche d'un mode audio-oral de type imitatif : lors des études de textes, Nadine parlait en allemand ou en français; je l'écoutais, lui faisais remarquer l'erreur la plus flagrante. Souvent, elle parvenait à s'autocorriger. Puis, nous reprenions ensemble l'énoncé dans un allemand correct. Je notais ensuite le résultat et lui demandais de le recopier (en classe ou à la maison). Cette procédure oral-écrit l'aidait à retracer au ralenti et avec l'enseignant les différentes stratégies d'apprentissage défectueuses. Cette approche lui a permis d'accéder, par étapes, à davantage d'assurance dans ses capacités langagières. Son premier texte en allemand est le résultat de ce cheminement.



[1]  Elle a un léger handicap I.M.C. mais qui ne l'empêche pas de poursuivre ses études de second degré. En allemand, elle est intégrée au cours à effectif réduit que je dispense pour des élèves en difficultés scolaires, dans le cadre d'un établissement spécialisé. Pendant le travail individuel / en groupe, j'ai la possibilité de me consacrer plus particulièrement à un seul élève.
[2]  Elle fait les fautes linguistiques typiques de quelqu'un qui est en début d'apprentissage de l'allemand (deuxième / troisième année d'allemand) : l'article n'est pas décliné ou absent, etc. Par exemple : "Es gibt die Platz mit _ Rathaus."
[3]  Le mot allemand "die Flucht" se traduit généralement par "la fuite"; mais dans le cas précis, je préfère le terme de "fugue"; car l'auteur du texte parle d'un élève qui fugue de chez ses parents.
[4]  L'histoire se passe au sein d'un hôpital. L'auteur décrit la rencontre entre une vieille femme qui souhaite enfin pouvoir mourir et une jeune infirmière qui essaye de lui inspirer de l'optimisme. Ni l'une ni l'autre n'y croient vraiment. L'auteur conclut en constatant que lorsque la vieille femme meurt, personne n'assiste à son enterrement; seul le médecin-chef lui offre une couronne mortuaire.
[5]  Expression idiomatique, signifiant "dans une nuit de brouillard".
[6] "Qui  n'a jamais vu de chat ? Certainement personne. Chacun de nous en a vu lorsqu'ils sont assis sur le pas de la porte, allongés sur un banc et prenant un bain de soleil. - Ils s'appellent tous 'Minou' , boivent du lait et sont tendres. De temps à autre, ils attrapent une
 souris. - On dit aux petites filles : tu es câline comme un chat. Pourquoi le dit-on? Parce qu'elles attrapent, elles aussi, des souris ?"
[7]  Elle laisse de côté quelques phrases, notamment celles où elle décrit le chat comme un animal ambigu et solitaire. Son commentaire allemand ne contient pas les phrases françaises suivantes : "Le chat cache sa vraie nature. Dans le domaine affectif, il est comme une âme seule; jamais il ne peut être très dangereux pour le monde qui l'entoure. Il est solitaire, il ne veut l'aide de personne." - " C'est aussi un dieu si on se réfère à l'Égypte."
[8]  Dans le cadre d'une petite bibliothèque de classe, les élèves peuvent utiliser des livres en allemand, des manuels, des dossiers, des prospectus, des diapositives, du matériel audio-oral, et un ordinateur.
[9]  Les dits "métiers" ("Klassenaufgaben") sont par exemple : l'envoi du courrier aux correspondants, le rangement de la bibliothèque de la classe, l'organisation de l'enquête-excursion, la transcription des exercices grammaticaux sur ordinateur (pour la création d'un logiciel d'exercices auto-correctifs), etc.
[10]  Dans cette approche pédagogique, je m'inspire des techniques Freinet et de la Pédagogie Institutionnelle.

Endjy Guerchet

Témoignage : Mon expérience

Je fis mon entrée au lycée en 1991, j'allais par la même occasion entamer ma cinquième année d'Allemand.

Les méthodes qui, jusque-là avaient été mises à ma disposition n'avaient aucun caractère novateur dans le domaine de l'expression. C'est pourtant cette année-là que de nouvelles perspectives me furent proposées.

Mon nouveau professeur d'allemand imposa en effet que chaque élève réalise un plan de travail comportant, entre autres, au minimum deux textes écrits qui pouvaient être de natures diverses : correction d'un devoir, résumé de la leçon, texte personnel.

De plus la classe choisissait les meilleurs textes qui étaient publiés dans le journal de la classe.

L'on est en droit de se demander ce que le fait de s'exprimer dans une langue étrangère peut apporter, notamment lorsqu'il s'agit d'un texte personnel. C'est à cela que je tenterai de répondre dans les lignes qui vont suivre.

Pour ma part l'écrit tient toujours une place importante.

Or écrire dans le seul but d'exprimer sa pensée sans contrainte scolaire engendre un intérêt certain pour la langue qui n'est plus alors considérée comme une chose lointaine et sans attrait en dehors du cadre scolaire.

Cela fut au demeurant mon cas, et mon attention en cours redoubla car je compris qu'a fin que le texte soit correct, il fallait bien logiquement qu'on l'eût compris, et ce par le biais de structures qui ne pouvaient m'être fournies que par mon professeur.

Ainsi, plus j'écrivais en allemand, plus j'éprouvais le besoin d'apprendre encore et encore.

Cependant, le texte personnel, et il me semble important de le signaler, porte avec lui quelques pièges pernicieux; effectivement emporté par l'ivresse que constitue la valse des mots et de sa magie, j'oubliai quelque peu la grammaire, or c'est là un bien grossier aveuglement, la grammaire étant en quelque sorte le gardien de l'expression. Je commis l'erreur de passe outre cette grammaire et mes textes perdirent du même coup de leur sens.

J'eus donc à combler mes lacunes; le travail fut long et ne m'apporta guère que le goût amer des choses que l'on fait tardivement et sans réelle conviction. Mon rapport avec la grammaire allemande se résuma à un corps à corps où l'unique vainqueur devait être l'expression. Il en fut, je crois, ainsi.

Mais ce n'est que plus tard que je réalisai l'apport fait; je continuai d'écrire avec, maintenant, peut-être la satisfaction que représente la certitude d'être compris.

C'est avec la joie de l'enfant composant ses premiers mots que j'écrivais mes premières lignes, le plaisir augmenta comme l'émoi chez l'adolescent effleurant pour la première fois la main d'une jeune fille.

Ce plaisir fut à son paroxisme lorsque ma pensée et mes mots ne furent qu'un, c'est à dire lorsque les mots dans cette langue pourtant étrangère traduirent avec exactitude ma pensée.

Pour conclure, le texte personnel m'apporta autant qu'un voyage; l'authenticité car l'on ne triche pas avec la langue, la difficulté aussi parfois, et enfin la satisfaction de la transformation du travail en quelque chose de magnifique qui est la communication des sentiments qui forme la compréhension entre les peuples.

Les progrès que j'ai pu réaliser au delà des textes personnels ne sont pas le principal. C'est que les textes personnels m'ont appris à aimer la langue, ce qui constitue le plus grand progrès.

Avant tout, il faut écrire et s'exprimer, c'est à ce seul prix que la progression dans une langue peut se faire, telle est l'expérience que j'ai acquise.


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