BTR 18-19
Dans les traces... ...du tâtonnement expérimental
Supplément au numéro 12 de l'Educateur |
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Quand on repose les problèmes,
lorsquon ne se contente pas demboîter
le pas, lorsquon critique et quon essaie
daméliorer : on est toujours sur la bonne voie ! Célestin Freinet
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Nous avons décidé de publier dans les dossiers de BTR deux écrits de C. Freinet, en réédition. En premier lieu la B.E.N. (Brochure dEducation Nouvelle Populaire) n° 36 parue en avril 1948 et intitulée lExpérience tâtonnée (abrégé). Ensuite le Document de lInstitut Freinet n°1 intitulé Le Tâtonnement expérimental écrit en août 1965 mais publié en février 1966 (hors commerce). POURQUOI CES REEDITIONS ET POURQUOI CELLES-LA ? Lorsque nous rencontrons des chercheurs, des universitaires, des auteurs de thèses et quil nous arrive alors dadresser des reproches dont nous sommes paraît-il, si généreux et si friands à cause du silence régulièrement observé par eux en face du Freinet auteur dune hypothèse ayant trait à la théorie de lapprentissage, il nous est répondu : « Mais
cet essai de C. Freinet, est-il toujours valable ? Est-ce que ce nest pas un
écrit dépassé, que vous-mêmes avez dépassé ? En quoi toute cette théorie
est-elle encore vivante ? Vous est-elle utile dans nos pratiques quotidiennes et
contemporaines ? Et quen pensez-vous en 1976 ? » * Lorsque nous abordons nos jeunes collègues et tous ceux qui, ayant vu naître leur intérêt pour une modernisation de leur pratique, se posent les questions de savoir COMMENT DEMARRER, alors se dresse le problème du processus Faut-il aiguiller vers un stage dinitiation, vers un stage dans la classe dun camarade chevronné ou sa fréquentation régulière, faut-il conseiller lachat « doutils fondamentaux » ? (mais lesquels ?) ou faut-il dire : « Commence par lire Freinet. » (mais lire quoi ?) ? Nous navons, il est vrai, jamais approfondi, en quelque moment et pas même face aux ravages et aux erreurs des recyclages officiels récents, notre « méthode ou nos processus dinitiation ni ceux de la « formation » ! Pourtant, en 1975, chacun aborde la pédagogie Freinet en cherchant, au préalable, les motivations, les buts et les données de cette action qui se veut révolutionnaire (Les buts, les motivations, et paradoxalement peut-être les soubassements, cest ce que Freinet appelait : « lesprit » ). Or, il apparaît que sans théorie pédagogique révolutionnaire il ne sautait y avoir de pratique pédagogique révolutionnaire. Ou bien pour satisfaire tous les chatouilleux que choque en premier terme le mot « théorie », disons comme cela : il apparaît que toute pratique pédagogique révolutionnaire fait naître une théorie révolutionnaire. Cest kif-kif, mais il faut le dire ! De toute manière, cette théorie pédagogique, la formulation de celle-ci doit bien apparaître quelque part ! Et il advient que jeunes et nouveaux de même que ceux qui, posant un moment loutil, se prennent à se demander pourquoi ils sacharnent tant à le manier réclament et demandent à en être informés et à la découvrir, cette théorie pédagogique, pour lapprécier et ladopter ou lamender et la moderniser. Eh oui ! Sans une théorie pédagogique mais aussi sociale, psychologique, philosophique, technologique, etc. notre pratique aboutira à une acrobatie dépourvue de buts sociaux, psychologiques, philosophiques, technologiques etc. livrée aux inspirations du moment, aux lubies farfelues voguant dun bord à lautre Il faut être méfiant et sceptique envers toutes les valeurs anciennes : et nous devons au sein de nos pratiques, au sein de ce que nous appelons la CLASSE FREINET, porter en nous sans cesse le désir de changement, de révision, de modification tout en analysant et en connaissant toutes les « raisons » de ce désir. Mais en lisant, avant parution, cette introduction, notre ami H. Vrillon nous demande dattirer aussi lattention sur « le besoin des anciens ». « A quoi tient ce besoin de retourner aux sources, même pour les anciens ? Parmi eux beaucoup se sont sentis, se sentent encore comme les enfants spirituels du maître. Pensez à ceux qui venaient téter leur goutte (Le Bohec dixit). Dautres ont subi et subissent encore cette influence à un degré moindre. Ils sentaient plus le tuteur que le père. Beaucoup de ceux-là forment les cadres actuels du mouvement. Freinet mort, ils ne veulent pas rester des orphelins abandonnés : ils retendent leurs ressorts. Peut-être animés par cette « volonté de puissance » brandie par Freinet, ils veulent être. Or pour être, il faut dabord faire comme il est dit ici dans cette introduction. Cest à Freinet que le mouvement doit son caractère, cest à lui que nous revenons pour retrouver le souffle vivifiant permettant dindividualiser, de conserver notre essence propre face à la marée de littérature pédagogique qui menace de nous submerger en nous empêchant dagir. Nous sommes dans la situation des Canadiens français qui conservèrent leur originalité grâce à leur foi et à leur langue du XVII° siècle maintenues jalousement face aux tentatives dabsorption. Ce nest quune comparaison pour montrer que si, pour eux, le réveil fut long, il faudrait que pou nous, il soit plus rapide ! » Nous assistons donc à une convergence. Jeunes, nouveaux, forces actives ou anciennes, tous veulent découvrir les bases toujours vives de notre action ; et où tout cela mène. Et ils désirent le faire grâce à des moyens simples, accessibles, populaires et efficaces. Quand chaque matin, dans nos classes, face aux enfants et aux adolescents, nous ressentons la souffrance dun nécessaire changement, il ne sagit pas seulement de recevoir une dose de paroles ou de conseils, une liste de deux ou trois livres « importants », à lire, ou davantage, et dune vingtaine de brochures et publications, toutes plus ou moins faciles à se procurer Nous avons donc pensé, non pas sacrifier à la mode des « digests » (encore quon nhésite pas à nous réclamer : « Nauriez-vous pas un résumé quelque part ? ») mais revenir à une source ; et lauteur lui-même, C. Freinet, à la fois par impatience et par désir de diffusion populaire, a pensé, avant même la publication de son livre Essai de psychologie sensible appliquée à lEducation qui eut lieu dans le courant de 1948, faire paraître une brochure contenant un abrégé de son hypothèse : mais aussi, et cest lobjet de la deuxième partie de la B.E.N.P. placer directement les lecteurs sur la voie de la recherche et du travail coopératifs sur la voie propre du tâtonnement expérimental. Car évidemment ! ce serait nier lobjet de létude ( le tâtonnement expérimental) que de rejeter le processus lui-même pour létude de lui-même Et lobjet du livre et de la B.E.N.P. dabord cest de déclencher lexpérience, les expériences. De tous. Coopérativement. Ici, une remarque. Lorsque ses amis obtinrent pour C. Freinet sa libération du camp de concentration français où durant plus de deux ans ses réflexions ont pu mûrir, il devient alors responsable du maquis du Briançonnais, mais il est condamné à linaction pédagogique (voir les pages 339 et suivantes de Naissance dune pédagogie populaire de E. Freinet, éd. Maspéro). Cest à cette époque donc (1942 à 1944) que C. Freinet rédige ses livres lEducation du travail et lEssai de psychologie sensible sans bibliothèque et sans références. Avec le fruit seul de son expérience. En ce temps-là, la CLASSE FREINET nexistait pas ; à peine (voir lhistoire des débuts de lécole Freinet dans le livre dE. Freinet lEcole Freinet, réserve denfants, éd. Maspéro). Existaient les Techniques Freinet ou plus précisément lImprimerie à lécole, le Journal scolaire, la correspondance interscolaire Cest en 1947 (plus tard, donc) par exemple, lors du Congrès de Dijon, que le lancement du travail autocorrectif et des fichiers de calcul et de grammaire intervint. Cest tout au long des années suivantes que la Bibliothèque de Travail grossit et devint de plus en plus importante au sein des techniques Freinet (en janvier 1948 nous faisions paraître le n°55 ; en juin 1976 paraît le n° 829). Cette remarque ne pourrait-elle pas être à la vase de fructueuses réflexions ? Et entre autres, celle-ci, essentiellement. Dans son travail de recherche et dobservation, danimation et de construction de sa pédagogie, à même le mouvement quil a créé dans ce but, C. Freinet suivit donc une ligne directrice. Et chaque moment de doute, chaque difficulté nouvelle (financière, sociale, pédagogique, psychologique ) exigeaient davoir recours à une voie royale, à un sillage qui précise lindispensable élan, une ligne claire en qui la confiance est totale pour trouver la brèche et poursuivre Cette voie, cette ligne cétait à chaque fois cette hypothèse, cette théorie de lapprentissage quest le tâtonnement expérimental. Cest au pied du mur quon voit le maçon 0n juge louvrier à son uvre soit ! Alors voyez les résultats des classes Freinet et voyez de 1929 à 1938, de 1945 à nos jours, voyez lévolution, voyez le catalogue de la CEL, voyez nos publications et nos revues : voilà où réside la preuve de la valeur de cette théorie du tâtonnement expérimental. Les deux publications éditées ici se trouvent être, lune la B.E.N.P., la première édition relative à lexpérience tâtonnée (avril 1948), et lautre le Document de lInstitut Freinet n°1, la dernière édition parue du vivant de Freinet (février 1966). Entre ces deux dates et ces deux jalons, certains exégètes pourront chercher une évolution ! Entre temps, il a fallu en premier lieu construire la CEL, créer lICEM, organiser et distribuer le travail, rassembler les moyens financiers nécessaires, tout cela en vue de faire exister en premier lieu la pédagogie Freinet et les classes Freinet. Pour être, il faut dabord faire ! Si le Tâtonnement expérimental fut le n°1 des Documents de lInstitut Freinet, cest précisément pour faire naître véritablement cet Institut (qui ne fut jamais « créé ») et surtout pour relancer cet immense chantier de recherche et dobservation où collaboreraient tous les camarades du mouvement de lEcole Moderne (voir le message de C. Freinet au Congrès de Perpignan 1966). Car cest là quest ce « laboratoire » quon reprochait à Freinet de ne pas posséder ! Aujourdhui, après deux ans de vie de nos publications BTR, nous sommes exactement dans les traces et sur la même voie. La même piste est à déchiffrer et à préciser. La même tâche simpose à nous ! B.T.R. |
Ici ce situe le Fac-similé du numéro 36 de la Bibliothèque de l'école nouvelle populaire (BENP) |
Documents de l'Institut Freinet Le tâtonnement expérimental Février 1966 |
Voilà ce quécrivait Freinet. Et si nous avons
donné, comme titre, à cette B.T.R. « une trace », cest pour bien
montrer, en reprenant le langage du tâtonnement expérimental, quil sagit là
dune trace (et non des moindres) inscrite dans lhistoire collective du
phénomène vivant quest le Mouvement Freinet. Ces éléments, encore généraux, ont permis à plusieurs
générations de pratiquer différemment et efficacement le métier déducateur. Ce
simple fait est une preuve irréfutable de leur valeur, de leur pertinence. Notre pratique quotidienne et le contexte général de 1976
permettent de relativiser les choses et de ne pas voir cela comme une globalité à
laquelle il faut souscrire sans réserves. Des pans entiers sont encore dune actualité criante
(importance des premières années, acceptation des différences, de lunicité de
chaque individu, le jeu). Par contre, certaines affirmations, certains raccourcis peuvent
nous faire frémir, si on ne resitue cela dans le contexte de lépoque où cela a
été écrit, ou si on ne le comprend pas comme un effet dune insuffisance
déclaircissement (notion de dons
sous-jacente à certains passages, par exemple). Mais il est une chose certaine : nous devons assumer
lensemble, en découvrant les zones restées dans lombre, en affinant
certaines notions, en en intégrant de nouvelles. * ** Il ne sagit pas, pour nous, délaborer une
description universelle du comportement humain, mais bien dajuster une conception
nouvelle des apprentissages, une théorie pédagogique apte à fonder une Ecole,
cest-à-dire une pratique qui change radicalement le rapport de lindividu au
savoir, à la culture, et finalement au pouvoir. Ceci est dailleurs largement
entamé depuis plus de cinquante ans de recherche et de militantisme pédagogique. Il
sagit de le perfectionner. Il sagit de montrer quil est possible
délaborer une théorie pratique qui nentrave pas le cours de la vie, qui
favorise les cours des forces en présence, qui accepte et assume les régressions, qui
facilite les synthèses. * ** Des pistes simposent ou soffrent à nous qui doivent
constituer notre champ dinvestigation. - Reprendre les concepts utilisés, afin de les ajuster à la
situation actuelle, sur le critère de leur aptitude à décrire et à transmettre la
pratique. En créer dautres, si le besoin sen fait sentir. Ainsi, les notions de recours-barrière, dacte réussi, de
brèche, de refoulement, de tendance, de perméabilité, de chaîne dexpérience, de
modèle (en rapport avec limitation et lidentification, de milieu riche et
aidant, de part du maître, etc.) découvrent chacune un champ de réflexion et
dexpérimentation capital. - Nous devons aussi parvenir à intégrer laffectivité
dans cet ensemble encore trop mécanisé. La psychologie et la psychanalyse, en
particulier, qui est sortie de la gangue pathologique dans laquelle elle était enfermée
encore il y a quelques dizaines dannées, peuvent nous permettre de resituer les
données de la sexualité et déclaircir aussi les jeux des relations qui se nouent
entre les individus constituant le groupe. - Le tâtonnement expérimental ne peut senfermer dans une
étude du comportement individuel. Il faut accéder à la dimension sociale. Le
tâtonnement expérimental dun groupe révèle une dimension propre à resituer nos
recherches entreprises depuis 1957 sur lévolution de la classe vers
lautogestion. Linfluence du milieu étant considérable, nous devons
replacer litinéraire de lindividu dans lensemble des relations passées
et présentes qui le déterminent comme un, unique et original, parmi les autres, par les
autres. Nous pourrons ainsi suivre lévolution dun ensemble
dindividus juxtaposés vers un groupe en tant quêtre vivant, original et
unique, lui, aussi, gérant lui-même sa propre vie. - Létude des stades de développement, menée entre autres
par Piaget et Wallon, donnent des réponses à certaines questions et permettent
dêtre affirmatifs là où Freinet était hésitant. Il nen reste pas moins
que nous avons une tâche de validation, de vérifications proprement expérimentales à
mener. - Enfin, la cybernétique et la biologie peuvent nous aider
dune façon décisive, dans notre propre démarche tâtonnante, grâce notamment aux
études des êtres vivants, autorégulés, à ne pas nous enfermer dans une description
vaine dun phénomène essentiellement complexe. * ** A ces pistes, dont la liste nest pas exhaustive,
sajouteront les questionnements directement issus de la pratique qui restera la clef
de voûte, le repère de la validité de nos efforts. Nous ne pourrons bâtir une Ecole à la mesure de nos exigences
que si la théorie qui sous-tend son fonctionnement est en rupture avec les conceptions
actuelles, relatives aux apprentissages et à léducation. Cette théorie sera le lien, le soubassement commun à tous les
praticiens et en perpétuelle confrontation avec la houle de la pratique quotidienne qui
la bousculera toujours, lobligeant à ne pas sendormie en ensemble fermé,
figé, stable au point den être pétrifié. Cest cette condition réalisée qui fait
quaujourdhui encore nous nous trouvons en position de polir le tâtonnement
expérimental parce que lefficience de notre pratique nous le commande. * ** Reste encore à recueillir vos impressions de lecture ;
restent à formuler en termes de travail et de recherche toutes les pistes ouvertes :
celles tracées par C. Freinet, celles, nouvelles, que notre époque et notre quotidien
nous imposent ; reste à dresser la liste mais aussi à rassembler les participations
de tous, à tous les niveaux, de tous les échos, toutes les réactions à la lecture de
ces publications. En vue dune nouvelles édition commune. Adressez votre courrier directement à : René Lafitte B.T.R. |
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