Bibliothèque de l'école moderne N° 42 - 45 1966
Travail individualisé et programmation
C.Freinet |
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TABLE DES MATIÈRES
C. Freinet
Changer l'école
Du travail de soldat
Sens nouveau des mots individuel
et coopératif
Si on pouvait
Les outils et les techniques
de l'individualisation
Que sont les bandes enseignantes
?
Qu'est ce que l'enseignement programmé ?
Le travail individualisé selon la pédagogie Freinet
‑ nouvelle conception de l'architecture
scolaire
‑ l'ameublement
‑ l'outillage
Le travail nouveau
Plan de travail
Quand et comment l'enfant
doit-il faire le travail individualisé conformément
au plan ?
Le contrôle
‑ Différents contrôles
‑ L'exposition de fin de semaine
En conclusion
Le travail individualisé est valable à
tous les degrés
M. Berteloot
Conditions
auxquelles doit satisfaire l'emploi des bandes
enseignantes
‑ l'esprit des programmes
officiels
‑ conditions particulières
à l'acquisition d'un esprit scientifique entre 13 et l6 ans
‑ conditions d'ordre psychologique
Élaboration d'un « programme
» avec bandes enseignantes
‑ nécessité d'un ensemble cohérent
‑ conception d'une bande enseignante
‑ pratique de l'utilisation
Les résultats
‑ les résultats scolaires
‑ les résultats immédiats
‑ possibilités de relations
affectives nouvelles
« Changer la vie ! », dit Jean Guéhenno.
La première démarche pour aider les jeunes à changer leur vie, c'est de changer une École qui était peut‑être valable il y a vingt ou cinquante ans, mais qui est aujourd'hui dépassée par l'évolution accélérée, tant sociale que technique.
Cela ne veut pas dire que les éducateurs qui exercent dans cette école ne fassent pas leur travail consciencieusement mais qu'on use fort mal de leur intelligence et de leur bonne volonté par la pratique de processus qui ne sont pas adaptés au monde contemporain, alors que tout change autour de nous et que, notamment, l'auto, le téléphone, les techniques audiovisuelles imposent désormais une autre conception de la vie.
L'École doit‑elle changer selon le milieu ou, au contraire, comme le prétendent certains intellectuels, rester immuable et froide au service des «vérités éternelles » ? La question pouvait se poser naguère quand cette école ne s'adressait qu'à une « élite » qui se prétendait au‑dessus de la masse. C'est aujourd'hui cette masse qu'il faut éduquer pour la préparer à la vie.
Les vieilles méthodes sont‑elles valables pour cette préparation à la vie ? Il y a certes toujours eu ‑ et c'est ce qui fausse les données d'appréciation ‑ une petite proportion, disons 3 à 5 % d'élèves particulièrement doués qui réussissent dans leurs études quelle que soit la méthode pédagogique employée, comme il y a toujours eu des éducateurs polyvalents, capables de parer, par leur efficience et leur ingéniosité, à toutes les déficiences techniques.
Mais pour la masse des enfants et des éducateurs, l'enseignement est incontestablement dans une impasse : l'orthographe des élèves est défectueuse, la simple lecture difficile, le sens mathématique lent à acquérir ; la proportion des dyslexiques croît au rythme d'une épidémie contre laquelle on tente en vain de se prémunir ; nombreux sont les élèves qui ne veulent plus travailler, qui ne s'intéressent à rien et qu'on ne sait comment rattacher à une amorce de culture ; l'armée des recalés à l'entrée en 6e va enfler sans cesse les effectifs déjà pléthoriques des classes de transition ; et les problèmes de l'adolescence au niveau du second degré sont parfois véritablement dramatiques.
Dans une telle atmosphère au climat détérioré, où seules les sanctions apparaissent comme moyen valable de discipline, alors que le monde va vers la cogestion et la coopération, les instituteurs et les professeurs sont les victimes de conditions et de méthodes de travail qui ne peuvent absolument pas continuer à bloquer une des entreprises publiques les plus vitales pour le pays.
Un vent de réforme s'est d'ailleurs levé, fruit et récompense de nos efforts patients au long de presque un demi‑siècle. L'administration française, sensible à ce besoin de renouveau, recommande aujourd'hui une pédagogie moderne pour les classes de perfectionnement, les classes de transition et terminales, en attendant la généralisation à la masse des classes d'une pédagogie intégrée à la vie. Et les pays étrangers ‑ le Canada notamment ‑s'engagent avec méthode dans la voie que nous avons ouverte par notre longue expérience et nos réalisations.
Il faut changer la pédagogie. C'est aujourd'hui un voeu unanime. Mais comment y parvenir? Là est le véritable problème que nous avons à résoudre et auquel nous nous appliquons depuis quarante ans. Un travail méthodique de création et d'a daptation a été mené dans des milliers de classes ; mais ce n'est que ces dernières années, grâce surtout à la programmation, que nous avons pu mettre au point une méthode simple, pratique, efficiente, à la portée de la masse des écoles.
Son exposé, plus pratique que théorique, fait l'objet du présent livre.
***
Nous avons placé ce livre sous le signe de l'Individualisation de l'Enseignement, qui nous parait être la revendication majeure de toute la pédagogie moderne.
La pédagogie traditionnelle use exclusivement, en effet, de techniques collectives, reliquat de la pédagogie des Écoles Chrétiennes qui fonctionnaient avec des répétiteurs et des moniteurs, sur le plan exclusif de la parole, le maître étant le deus ex machina du mécanisme scolaire.
Que cette pédagogie ait un rendement insuffisant, seuls des éducateurs pourraient ne pas en être convaincus. Mais nous avons tous subi cette pédagogie et il nous est facile d'en résumer ici les tares qui la condamnent.
On fait une leçon, même excellente, à un groupe d'élèves, mais aucun de ces élèves ne ressemble à son voisin; il n'y en a pas deux qui en soient au même point sur l'échelle des connaissances, et leur façon de comprendre et d'assimiler les notions qu'on leur expose diffère fondamentalement. Nous travaillons alors sur une moyenne : quelques élèves profitent plus ou moins de cet enseignement collectif ; pour une fraction importante des autres, les paroles les plus persuasives passent par‑dessus leur tête, ou les obligent à piétiner.
Il en est de même des exercices qui accompagnent les leçons : pour les uns, ils sont trop difficiles et les élèves sont en permanence en situation d'échec ; pour d'autres, ils sont trop faciles et donc sans profit.
C'est le même reproche que nous faisons aux manuels scolaires qui synthétisent cette pédagogie, et sur lesquels tous les élèves doivent suivre page à page, toute individualisation étant, avec ce matériel, techniquement impossible.
Si on considère objectivement ce travail collectif imposé à toutes les classes de notre enseignement, on se rend compte que la technique en est mauvaise. Elle a sans doute été longtemps un pis‑aller ; elle l'est souvent encore. Mais il est urgent de la remplacer par une autre technique, plus dynamique et mieux adaptée aux usagers.
Autre tare des méthodes traditionnelles d'enseignement collectif : elles nous préparent au travail de soldat. Et pas du soldat de l'armée moderne où, avec la motorisation, se développe une spécialisation qui est à l'opposé du travail collectif ‑ mais du travail de soldat 1900, ou 1914, ou même encore 1939, tel que je l'ai moi‑même connu et subi: chacun doit obéir au même commandement ; vous êtes en faute si vous allez trop vite ; et on vous punit si vous ne pouvez suivre.
Je me permettrai de rappeler à ce propos un de mes Dits de Mathieu,
NE FAITES PAS DE L' INUTILE TRAVAIL DE SOLDAT
Vous connaissez l'histoire ‑ qui n'est pas une charge - de cette corvée de cinq hommes et un caporal qui avaient mission de transporter, à l'autre bout de la cour, un tas de gravier encombrant,
Il y faut la mise en train, bien sûr, et jamais accélérée car la besogne n'est évidemment pas emballante. Un quart d'heure après, l'équipe est à pied d'oeuvre, si l'on peut parler en l'occurence d'équipe et d'oeuvre : un soldat tient les mancherons de la brouette ; il s'assiéra dessus quand il sera fatigué. Un deuxième surveille la roue et s'assiéra dessus pour faire équilibre. Et les hommes munis de pelle ? Ils surveillent l'adjudant et, quand celui‑ci regarde hop ! une pelletée de gravier...
« Levez‑vous de là, ose un bleu malin. A moi tout seul, j'en fais plus que cinq équipes réunies...
- Il ne s'agit pas de cela, répondent les hommes d'expérience. Nous ne sommes pas dans le civil et tu n'es pas payé aux pièces, Tu vas déranger tout le monde : les copains qui n'ont pas envie de travailler, le caporal qui doit nous surveiller ici jusqu'à la soupe et l'adjudant qui te dira sérieusement, quand tu auras fini: « Recommencez … Ramenez le tas de gravier où il était ! » Quand tu seras chez toi, tu mettras les bouchées doubles. Ici, on fait du travail de soldat. Ça n'a ni but ni raison d'être, C'est fait pour embêter les militaires et faire croire aux contribuables qu'il faut à la caserne une maind'oeuvre abondante et spécialisée ».
Pourquoi faut‑il, hélas ! que la technique scolaire rappelle si souvent ce travail de soldat ? En avons‑nous déplacé inutilement de ces tas de gravier dont les manuels restent bourrés ? En avons‑nous fait de ces exercices qui n'ont pour fonction que de noircir des cahiers et de remplir, avec discipline, les heures désespérantes que rien n'anime ni ne nourrit ? L'avons‑nous entendue la formule fatidique : à refaire !
Les soldats et les chansonniers rient de bon coeur du transport du gravier, de la corvée de patates, du noeud de cravate ou de la position du calot. Il est vrai que les chefs pensent peut-être sérieusement que ce sont là des éléments déterminants de la préparation du soldat à sa fonction de combattant,
On n'a pas encore eu l'idée de chansonner les désespérants exercices de l'École, l'encre rouge dans les cahiers et ce rythme uniforme et lent qui fait qu'une classe marche au pas ‑ physiquement et intellectuellement ‑ dans l'ordre et la discipline, et que pour maintenir cet ordre et cette discipline, elle doit livrer bataille aux enfants trop rapides ou trop consciencieux, à ceux qui ont trop vite fini leur devoir qu'on ne peut décemment pas faire refaire, Il y a une loi du milieu scolastique, Qui essaie de la violer jette bas tout l'édifice.
Vous devez courir ce risque. Examinez loyalement chacune des activités que vous prévoyons‑ pour votre classe. Faites la chasse aux travaux de soldat, et si vous y êtes provisoirement contraint, sachez que ce ne sont que travaux de soldat, sans but ni résultat.
Galopez, galopez ! Enthousiasmez vos enfants pour qu'ils aillent toujours plus vite et toujours plus loin. Il vous suffira de prévoir suffisamment d'activités - et nous en sommes heureusement riches - pour nourrir le besoin de créer et de réaliser.
Le travail de soldat, voilà l'ennemi ! (1)
On parle de plus en plus aujourd'hui, dans tous les milieux, d'une formation qui exalte l'activité, le sens de la responsabilité, l'initiative et la productivité. Il faut qu'on se rende compte que la forme même du travail scolaire traditionnel s'oppose à ces exigences du, monde moderne.
Il faut changer la pédagogie.
(1) C. Freinet : Les dits de Mathieu, Delachaux et Niestlé p. 46.
Tant que l'École s'est contentée d'idées générales et d'un apprentissage verbal et écrit impersonnel, elle pouvait s'accommoder, apparemment du moins, de cet enseignement collectif, indépendant des individus, soucieux seulement de la matière à enseigner et d'une logique dont on a idéalisé la portée.
Mais l'École d'aujourd'hui doit, qu'on le veuille ou non, descendre des abstractions théoriques pour se colleter avec la vie qui a ses exigences individuelles et collectives.
« Qu'il s'agisse de la formation de la personne ou de la préparation d'une fonction sociale, le caractère mobile du monde à venir conduit à mettre l'accent sur les qualités de caractère, d'imagination, d'adaptabilité, de sociabilité, d'enthousiasme plutôt que sur l'étendue des connaissances dont on a pu faire autrefois un attribut essentiel de la "culture" » (1).
Pour faire face à une société dont la complexité va croissant, il nous faut un enseignement différencié, évoluant sur un mode tout à la fois individuel et coopératif.
Et là, nous devons d'abord nous expliquer pour éviter les malentendus. Il nous faut, si nous voulons orienter rationnellement notre pédagogie, reconsidérer ces mots d'individuel et de collectif qui s'opposent bien souvent au lieu de se conjuguer pour le bien public.
Pour si paradoxal que cela paraisse, on pourrait dire en effet que l'enseignement traditionnel est tout à la fois collectif et individuel puisqu'il est imposé à un groupe non structuré dont les individus sont astreints à une discipline strictement individuelle. Le maître s'adresse à l'ensemble de la classe, mais les élèves travaillent seuls, tout contact avec les voisins étant considéré comme un acte d'indiscipline ou une tricherie.
C'est ici la fonction travail qui est elle-même en cause. L'ouvrier qui, dans un immeuble en construction pose la portion de briques qui lui a été ordonnée, ou qui ferraille le ciment armé, n'a plus conscience de sa participation à la construction d'un ensemble. Il devient une machine, plus ou moins perfectionnée, mais pour le fonctionnement de laquelle on ne lui demande qu'une portion bien délimitée de son intelligence. Il y a là travail individuel techniquement dépendant de l'ensemble, mais humainement séparé et de ce fait, sans but ni portée humaine.
Que le même ouvrier participe avec une équipe responsable à la construction de la maison, il y a alors travail individualisé, élément de l'effort collectif, qui nécessite la mobilisation du maximum d'intelligence dont l'ouvrier est capable. Il y a alors vrai travail.
Nous n'essaierons donc pas de savoir si la pratique scolaire est individuelle ou collective ou les deux à la fois. Il nous faut d'abord lui redonner la dignité du vrai travail en rétablissant chez les personnalités la conscience d'une activité, individuelle certes, mais obligatoirement intégrée au complexe de la vie, et de ce fait animée d'une pensée, d'une raison d'être, d'un sentiment d'appartenance et d'un idéal qui lui donnent dignité et efficience.
Le travail individualisé n'a de sens que s'il est intégré à la vie sociale coopérative.
(1) Colloque 1961 du Centre International de Prospective, fondé par Gaston Berger,
***
Cette précision préliminaire va nous garantir des déviations qui nous menacent.
La mode des machines à enseigner nous expose à une première déviation : celle des éducateurs qui auraient tendance à réduire le rôle de l'École au groupement technique d'enfants travaillant seuls, avec des moyens matériels perfectionnés certes, mais qui les isolent du milieu, comme ces étudiants qui, dans leur laboratoire de langues ne sont reliés que par un fil avec le maître, ou avec le disque qui le représente.
Et il y a l'autre déviation extrême de ceux qui, par un sentiment coopératif exagéré, voudraient sacrifier la pensée de l'individu à la grande collectivité souveraine, plus ou moins anonyme.
Nous avons une autre conception, expérimentale, du travail coopératif.
Au début de la coopération scolaire, on avait choisi comme emblème de l'association un groupe d'enfants qui, en conjuguant leurs efforts, arrivaient à déplacer un gros rocher qu'aucun enfant seul n'aurait pu bouger. Et la légende disait : « Là où l'individu est impuissant, le groupe vaincra ».
Et cela est exact pour ce que nous pourrions appeler une coopération matérielle à laquelle nous n'avons que rarement recours. Il n'en est pas de même quand il s'agit d'une oeuvre plus subtile, artistique ou culturelle par exemple. En réunissant les gros sous, on pourra faire un achat coopératif ; mais il ne suffit pas de grouper les idées pour faire une oeuvre valable. Il serait faux de supposer que quatre à cinq enfants réussiront mieux un poème, ou une lettre, ou un texte collectif ou un dessin, qu'un seul enfant travaillant selon son inspiration et son génie propres.
C'est certainement le contraire. Ou plutôt on peut affirmer que certains travaux gagnent à être faits collectivement, mais que les oeuvres délicates sont toujours d'expression personnelle. Allons-nous donc, en conséquence, abandonner pour ces oeuvres-ci, souvent les plus importantes et les plus déterminantes, l'orientation coopérative ? Ou bien aurons-nous plutôt recours à la formule coopérative la plus efficace : l'individu s'exprime, par le texte, par la musique, par le dessin, ou par l'oeuvre d'art, ou tout simplement par l'oeuvre artisanale constructive qui est déjà, par elle‑même une synthèse de tout le passé qui en a préparé la genèse, mais cette production individuelle, imprégnée déjà, spirituellement au moins, de l'ambiance collective, nous la versons délibérément, et ostensiblement, dans le creuset coopératif où elle mûrira par l'apport de tous(1).
C'est cela, la vraie coopération éducative, telle que nous l'avons préparée, telle que nous la pratiquons selon notre pédagogie individualisée dans l'esprit de la pédagogie Freinet.
(1) John Dewey écrivait déjà en 1915: « L'éducation traditionnelle, parce qu'elle habitue l'enfant à la docilité et à l'obéissance, à l'exécution consciencieuse de tâches imposées (parce qu'elles sont imposées mais sans qu'il en sache l'objet) convient à un état autocratique.
Dans une démocratie, chaque citoyen a sa part de responsabilité dans le gouvernement et la conduite de la société ; il s'ensuit que chacun doit recevoir une formation qui lui permette de faire face à cette responsabilité, lui donne une idée juste des besoins et des conditions de la collectivité et qui lui assure les qualités le préparant à prendre la part qui lui revient dans l'exercice du pouvoir ».
On a cru pendant longtemps - et la croyance en était d'ailleurs justifiée - que pour enseigner à un nombre important d'élèves, il fallait les avoir tous groupés dans la même salle, à portée de la voix... et de la main. Pour obtenir alors le minimum de discipline indispensable, on devait exiger que tous fassent la même chose, lisent les mêmes livres, récitent les mêmes leçons, écrivent les mêmes devoirs. La technique en est vieille de plusieurs siècles, mais on l'enseigne encore aujourd'hui même dans les Écoles Normales. Le poids de la tradition est tel que nos démonstrations les plus éclatantes ne parviendront qu'à grand-peine à persuader les usagers qu'on pourrait peut‑être procéder autrement.
Il ne fait plus de doute que :
-
si les enfants pouvaient lire individuellement ce qui les intéresse ;
- s'ils pouvaient écrire individuellement
ce qu'ils ont envie d'extérioriser en fonction du groupe ;
- s'ils pouvaient s'exprimer individuellement par le dessin et le chant, au
lieu d'être astreints à copier tous un même modèle
imposé ;
- s'ils pouvaient, individuellement ou en équipes, calculer à leur rythme,
pour l'acquisition la plus rapide possible des techniques opératoires dont ils
sentent la nécessité ;
- s'ils
pouvaient, individuellement ou en groupes, mener des expériences scientifiques,
des recherches historiques et géographiques ;
- s'ils
avaient l'occasion de confronter le résultat de leurs efforts individuels avec
ceux des autres camarades, dans un contexte scolaire social et coopératif harmonieux,
le rendement de l'École à tous les degrés serait sans nul doute plus rentable et plus humain.
La chose est-elle possible?
Nos récents travaux pour la réalisation de nos bandes programmées, complétant l'ensemble de nos productions pédagogiques, nous permettent de vous en apporter la totale assurance.
Les outils et les techniques de l'individualisation
Cette idée d'individualisation n'est d'ailleurs pas nouvelle pour nous. Nos Bandes programmées ont pris corps dans notre pédagogie parce que, tournant le dos aux vieilles pratiques scolastiques, nous nous sommes orientés depuis longtemps vers le travail individualisé, seul efficace.
Nous avons rompu une première fois le vieux rythme traditionnel : leçons, devoirs, manuels scolaires par la réalisation il y a quarante ans, de la pratique du texte libre, que l'enfant produit lorsqu'il a quelque chose à dire et non à l'heure prévue pour l'exercice classique de rédaction (1).
Nous avons poursuivi avec notre Fichier Documentaire (Fichier Scolaire Coopératif), et la classification décimale qui en rend l'usage pratique dans toutes les classes (2).
Nous entreprenions ensuite notre grande série de brochures Bibliothèque de Travail, programmées, qui est à ce jour une véritable encyclopédie pédagogique avec plus de 20000 pages illustrées permettant des formes nouvelles de travail (3).
Sur la même lancée, nous faisions un pas considérable avec nos Fichiers autocorrectifs de calcul et de français (4) qui, bien avant les expériences américaines, préfiguraient une programmation dont la mode actuelle consacre le succès. Nous faisions en même temps nos premiers essais d'individualisation du travail avec nos fiches‑guides d'histoire, de géographie et de sciences.
Avec ces techniques et ces outils nouveaux, nous pouvions réaliser partiellement notre vieux mot d'ordre : plus de manuels scolaires ! Et, effectivement, un fort noyau d'éducateurs de notre mouvement accédaient à cette forme originale d'école sans manuels scolaires, avec textes libres, comptes rendus et conférences, conformément au Plan de travail (5) qui tendait à devenir classique.
Mais ces diverses techniques ne nous donnaient pas encore une totale satisfaction, non plus qu'une suffisante sécurité. Elles exigeaient encore du maître trop d'initiatives délicates, trop de préparations minutieuses pour lesquelles nous manquions souvent d'éléments de base. L'exploitation pédagogique des complexes d'intérêt aurait nécessité des directives documentaires et méthodiques que nous ne pouvions pas insérer d'avance dans un manuel scolaire forcément trop rigide. Pour ce qui concerne l'histoire, la géographie et les sciences, nous ne disposions encore que de données embryonnaires qui, dans la pratique, s'avéraient insuffisantes pour un enseignement scolaire de ces disciplines.
Nous pouvions certes nous prévaloir d'essais intéressants et probants mais qui étaient l'oeuvre, dans la plupart des cas, de maîtres aux capacités et au dévouement exceptionnels.
En fait, notre méthode naissante apparaissait comme une réalisation pédagogique de valeur mais qui ne pouvait pas, telle quelle, prétendre à la pédagogie de masse que nous affrontons maintenant.
Et c'est parce que, avec nos Bandes qui complètent notre organisation, nous avons désormais l'équipement complet de nos Ateliers de Travail, que nous pouvons offrir à la masse des éducateurs une technique moderne bien au point, qui leur demandera un travail moins fastidieux que la pratique des manuels, mais qui leur vaudra efficience et intérêt, et donc meilleur rendement.
(1) BEM
n° 3 Le
texte libre par C. Freinet
(2) BEM n° 33‑34 Le
fichier documentaire, par R. Belperron, Pour tout classer, en
vente à CEL voir catalogue.
(3) Liste des numéros parus à CEL, BP 282, (06) Cannes.
(4) Voir catalogue CEL, BP, 282, (06) Cannes.
(5) BEM n° 15 Les
plans de travail, par C. Freinet.
Boîtes et bandes enseignantes
du Centre International de Programmation
de l'École Moderne
(Pédagogie Freinet)
ONT PARU :
Bandes enseignantes autocorrectives de calcul
120 bandes du cours préparatoire à la classe de 6e de transition
Bandes enseignantes : cours de français
60 bandes programmées :
20 cours préparatoire
20 cours élémentaire
20 cours moyen
Atelier de calcul
30 bandes
de travail programmé et de recherche
Initiation mathématique
pour les classes élémentaires
Histoire
Une
première série de 10 bandes de travail programmé « Le Moyen Age »
Livraison avec les brochures
BT ou sans
Géométrie
20 bandes programmées pour assimilation du cours de la classe de 5e
Sciences
10 bandes programmées de recherche et d'observation pour les classes élémentaires (CM)
EN PRÉPARATION
* 30 bandes de sciences (classes élémentaires)
* 20 bandes d'histoire (niveau CM)
* 20 bandes de français (classes de 6e)
* 20 bandes sciences et français pour le second degré (1° cycle)
Que sont les bandes
enseignantes ?
Qu'est‑ce que l'enseignement programmé ?
En 1964, nous sortions notre livre Bandes Enseignantes et Programmation(1) qui marquait le coup d'envoi d'une entreprise dont les conséquences pédagogiques nous apparaissent comme devant être considérables. L'idée de programmation était bien dans l'air ; elle constituait sans doute un progrès technique qui allait en imposer l'usage. Déjà, l'Amérique avait pris les devants ; et les éditeurs européens étaient à l'affût des créations nouvelles.
Il faut croire que la mécanique scolastique est dure et longue à ébranler. Au moment où, pour justifier notre souci d'individualisation, nous faisons le point rapide du problème des machines à enseigner et de la programmation, nous nous trouvons pratiquement encore devant le néant, du moins en Europe.
Des prototypes de machines à enseigner font bien leur apparition dans les expositions. Elles sont en général d'un prix qui n'en permet pas l'introduction effective dans les classes.
«Il nous est arrivé plusieurs fois, écrit le capitaine Gavini (2), lors de visites pédagogiques, de voir une belle machine à enseigner toute neuve, que tout le monde considérait avec admiration : personne n'avait malheureusement été capable de faire un programme qui puisse fonctionner sur la machine ».
Et dans un important article du Courrier (Unesco), Fred Morello cite l'opinion du professeur Robert Glaser, de l'Université de Pittsburgh, lui-même auteur de plusieurs manuels d'enseignement programmé :
« Le fait qu'il est difficile et ingrat d'élaborer un programme et de réunir les documents, alors qu'il est beaucoup plus facile de construire la carrosserie qu'on met autour, est amplement prouvé par la constatation que le nombre de machines dépasse aujourd'hui largement le nombre des programmes d'enseignement. Nous avons les coquilles, mais pas les escargots».
Lors d'une récente et importante exposition internationale de matériel didactique (Didacta, à Bâle - 1966), nous avons pu constater que la production des machines à enseigner est loin d'avoir démarré ; la réalisation de programmes proprement dits est à peu près nulle. Les bandes américaines qui commencent à nous parvenir sont d'un prix inabordable et se rapportent d'ordinaire à l'enseignement technique seulement. Tout au plus peut-on noter la production de quelques livres et brochures programmés ou brouillés, d'une valeur pédagogique aléatoire, et qui ne sont d'ailleurs intégrés à aucune technique scolaire.
Seules, qu'on nous permette de le dire, apportent du nouveau et du pratique nos Boîtes et Bandes enseignantes, éditées par la Coopérative de l'Enseignement Laïc, mais dont la diffusion est gênée par l'opposition - disons mieux : le boycottage - des personnalités et des organismes qui défendront jusqu'au bout les privilèges de la pédagogie traditionnelle.
Nous renvoyons donc le lecteur à notre livre de base : Bandes enseignantes et Programmation, dans lequel nous avons situé notre innovation dans le contexte de l'enseignement programmé de production ou d'inspiration américaine. Nous complétons ici par les informations qui font suite à notre expérience de deux ans avec notamment la mise au point et la production de plusieurs centaines de bandes dont nous donnerons le détail.
1°. La programmation actuelle, dont on parle beaucoup mais pour laquelle on ne fait que fort peu de choses, reste dans son ensemble inconditionnellement tributaire des principes qui ont été à la base des expériences américaines. Les critiques que nous avons faites de la théorie skinérienne d'apprentissage restent intégralement valables. Mais on préfère, dans les milieux intellectuels, ne point en débattre et attendre que, par nos innovations, nous ayons imposé la preuve qu'il y a une autre forme d'apprentissage, plus bénéfique, et mieux assise, théoriquement et pratiquement, qui peut soutenir et motiver une autre pédagogie.
2°. La programmation américaine n'est pas « intelligente ». Elle se construit exclusivement par Questions et Réponses, ce qui réduit considérablement le champ d'une méthode qui ne peut s'exercer que pour « l'acquisition mécanique des données de base par un processus exclusivement quantitatif ».
3°. Il en résulte que les programmes qu'on nous présente ne sont en définitive qu'un découpage en « items » et séquences des exercices les plus traditionnels dont nous avons tous été excédés! Pour qu'on ne croie pas que, pour les besoins de notre démonstration, nous caricaturons les méthodes employées, nous ajouterons à notre démonstration quelques exemples cueillis dans le livre si sérieux du Capitaine Gavini, du Centre d'études et d'instruction psychologiques de l'Armée de l'Air(3).
Premier exemple :
4. ‑ Quand vos plombs sautent, c'est parce que vous avez fait passer dans vos conducteurs une intensité trop forte. L'intensité s'exprime en am ...
R. :ampères.
5. - Avec la même analogie hydraulique, l'intensité pourrait se comparer au débit d'un fl ...
R :fleuve.
6. - En électricité élémentaire, l'intensité et la tension suffisent à caractériser un courant; connaissant l'intensité et la tension d'un courant on pourra trouver sa puissance par une opération simple : la ...
R : multiplication.
Deuxième exemple:
Sciences naturelles, les vertébrés.
‑ Le chat a un squelette osseux dont la partie la plus importante est la colonne…. Le chat appartient à l'embranchement des vertébrés.
‑ Remarque que le singe, le loup et le chameau sont des mammifères, tandis que la carpe, la grenouille et le moineau ... sont ... des mammifères. (ne sont pas ... )
‑ Le petit veau tête les ... (ou pis) de sa mère pour s'y nourrir de bon ...
4°. On n'en est encore qu'à L'ABC de la programmation.
L'Institut Pédagogique National a publié récemment, sur l'enseignement programmé, une étude documentaire réalisée par Y.M. Galli, diplômée de l'Institut National de Techniques de la Documentation. Nous y lisons cette constatation :
«Il faut souligner que, bien que le champ d'application paraisse très étendu, on ne sait pas encore très bien quelles matières ou quelles techniques se prêtent le mieux à la programmation. Les recherches actuelles se poursuivent en ce sens. « Cependant la programmation est encore un art, et nous n'avons aucune régi‑qui nous permette de rédiger un programme », Cette réflexion de M. Komoski, Directeur du Center for Programmed Instruction (New‑York), met en relief toute l'ampleur du problème ».
Il est donc logique que nous cherchions nous‑mêmes les solutions qui paraissent nous convenir, sans nous croire liés par des préalables dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont qu'un premier pas dans une voie où il y a tant à faire. Nous apportons simplement notre pierre à l'édifice.
Les promoteurs de l'enseignement programmé se targuent d'user d'une méthode active. Pour eux, il suffit, pour qu'il y ait activité, que l'enfant tourne les pages pour trouver une réponse ou qu'il manoeuvre les boutons d'une machine.
Cette forme mineure d'activité n'est certes pas toujours à négliger, comme n'est pas négligeable l'intérêt spontané des enfants pour toute mécanique qui imite et amplifie les gestes naturels. Mais, pédagogiquement parlant, il ne s'agit pas là de la véritable activité constructive qui suppose la participation organique des enfants aux divers travaux éducatifs. Elle peut être activité physique, mais elle est surtout, et avant tout, activité intellectuelle et psychique. Elle est le contraire de la passivité, Elle suppose recherche et création, et nous n'en trouvons pas trace dans les modèles de programmation qu'on nous offre à ce jour.
Il faut alors chercher dans d'autres voies.
5°. Nous devons dénoncer plus particulièrement la conception skinnérienne du « renforcement ».
Selon notre théorie du Tâtonnement expérimental dont la conception du «renforcement » n'est qu'un ersatz, l'acte réussi tend à se reproduire. Mais encore faut‑il que la réussite soit assez puissante pour laisser une trace où s'engageront les actes à venir. Or, la théorie américaine considère comme réussite le seul fait pour l'enfant de faire une opération juste ou de répondre le mot attendu à la question posée par l'item.
La trace ainsi creusée par cette réussite scolaire est insignifiante, si même elle n'est pas nulle. Ce « renforcement » artificiel s'apparente aux pseudo-centres d'intérêt scolastiques qui n'ont d'intérêt que sur le papier, sans aucun fondement sur la pensée et la vie des enfants. La programmation américaine ne se pose d'ailleurs pas le problème d'une conception pédagogique originale. Elle prend la pédagogie telle qu'elle est, sans prétendre en reconsidérer tant soit peu les principes. Elle s'efforce seulement, par le truchement des machines, d'accélérer les acquisitions, quantitativement du moins.
Pour nous, ce sont justement les processus d'enseignement qui doivent être reconsidérés, et nous utiliserons au maximum, pour cela, une programmation dont on devine aujourd'hui les bienfaits et les possibilités.
6°. Comment concevoir le contrôle ?
De même que, dans l'ancienne école, les devoirs sont faits pour être contrôlés et notés, les possibilités d'autocontrôle par les machines à enseigner apparaissent comme l'élément essentiel de la programmation, la technique d'étude étant toute prévue en fonction de cet autocontrôle.
Nous ne partons pas sur ces mêmes données exclusives et nous nous en sommes longuement expliqués dans le livre précédent. L'autocontrôle est un élément de nos bandes ; il n'en est pas l'élément exclusif. Nous tendons au contraire à ne plus poser de questions d'une façon formelle, ce qui évite aux enfants le risque de se tromper dans la réponse en les préservant ainsi de l'inhibition et des contraintes nées des questions automatiques.
Nous précisons ce point important, car nous avons rencontré des éducateurs qui se plaignaient que les bandes leur demandaient un travail de correction exagéré. ils se croyaient tenus en effet de corriger chaque séquence comme on corrige en classe chaque devoir.
Il nous faudra distinguer un certain nombre de Bandes-tests qui peuvent nécessiter une correction minutieuse de la part du maître, et les Bandes de travail qui constituent la base de tout notre système de programmation et pour lesquelles il nous faut envisager une autre forme de contrôle plus large, plus intelligent, pratiqué d'ailleurs le plus souvent possible par le groupe, l'équipe ou la coopérative.
Si nous voulons réussir une programmation intelligente, il nous faut éliminer d'ailleurs au maximum cette notion de « faute », entraînant correction et punition, éliminer pour cela cette notion scolaire du « devoir ». Nos bandes ne doivent pas être des devoirs mais des travaux intéressants que les enfants exécutent non pour avoir une note, mais pour acquérir les connaissances et les pratiques souhaitées.
Par les Plans de Travail, par les comptes rendus et les conférences(4) nous parvenons à un autocontrôle permanent des individus et des groupes qui change totalement l'atmosphère de notre travail.
Nous allons voir comment nous pouvons parvenir à cette conquête de la vie sur la scolastique.
7°. Enfin, tous les auteurs qui étudient les possibilités de la programmation se croient obligés d'ajouter un chapitre spécial pour tranquilliser le corps enseignant : La programmation ne remplacera pas le maître. Elle sera seulement un adjuvant qui exécutera pour lui un certain nombre de besognes accessoires. Sous‑entendu : on conservera la même forme d'éducation avec ses leçons et ses devoirs, dont le maître gardera la totale responsabilité.
C'est comme si on imposait aux ingénieurs chargés de la modernisation de leurs usines le principe préalable d'employer le même nombre d'ouvriers aux mêmes qualifications, alors que la modernisation suppose justement une autre organisation, plus économique et plus rentable, du travail.
S'il est une entreprise où semblable question ne devrait pas se poser, c'est bien l'Éducation Nationale qui manque si ostensiblement de spécialistes. Mais on ne peut certainement pas assurer aux éducateurs d'une entreprise modernisée qu'ils feront demain ce qu'ils exécutent machinalement depuis dix ou vingt ans. Il y aura des services et des horaires à réorganiser, cela est certain. Une autre forme de travail suppose évidemment des changements fonctionnels dans l'action du maître.
Nous allons examiner, à même la nouvelle conduite de nos classes, les changements à intervenir.
(1)
Edition de l'Ecole Moderne, Cannes, Collection B.E.M.
(2) Gavini: Manuel de formation aux techniques d'enseignement programmé, Ed.
Hommes et Techniques.
(3) Op, cité.
(4) Voir dans la collection BEM: n° 15 Les
Plans de travail par C. Freinet.
Le travail individualisé selon la pédagogie Freinet
1° Nouvelle conception de l'architecture scolaire
Notre méthode permet la suppression progressive des leçons magistrales et des devoirs collectifs. Il en résulte que la salle de classe habituelle, avec ses bancs‑pupitres ou ses tables individuelles alignées devant l'estrade ou le bureau du maître est désormais sans objet.
Pour une autre forme de travail, il nous faut d'autres locaux ou, du moins, à défaut, une autre répartition des outils, des meubles et des étagères permettant le travail complexe que nous allons aborder.
Il faut nous orienter vers la formule : salle commune et, tout autour, ateliers de travail.
Si la salle de classe est suffisamment grande mais si les crédits manquent
momentanément pour sa transformation, vous pouvez opérer comme l'ont fait déjà
de nombreux éducateurs : sur deux faces de la classe vous disposerez avec tables,
étagères, et si possible rideaux :
- un atelier
imprimerie‑limographe
- un
atelier documentaire (fichier documentaire)
- un
atelier audiovisuel
- un
atelier histoire‑géographie
- un
atelier sciences
- un
atelier calcul
- un
atelier artistique
Si la chose est faisable, et en cas de construction notamment, vous installerez ces ateliers attenant aux deux faces, avec de larges portes donnant sur la classe de façon que les communications « internes » soient faciles, sans cependant que le bruit des ateliers incommode trop l'ensemble de la classe.
Et si la classe est trop petite pour permettre ces aménagements, nous diton, faudra-t-il alors renoncer à l'organisation du travail individualisé ?(1)
Hélas ! oui. Notre méthode ne s'accommode pas, comme la méthode scolastique, d'un beau verbiage qui remplacerait recherches et expérimentations. Pour une pratique normale du travail que nous préconisons, il faut de nouveaux outils, et donc, ce qui est élémentaire, la place pour les employer.
Il faut que nous ayons le courage de dire que nous ne nous accommodons pas de certaines tares actuelles de l'École et que les revendications matérielles sont parmi les premières que nous devions exprimer, justifier et faire aboutir.
2° L'ameublement
a) L'ameublement de la salle commune n'a plus l'importance primordiale que prenait l'installation de l'unique salle de classe puisqu'on ne s'y tiendra assis qu'une partie réduite de la journée.
Il y aura avantage à ce que cette salle de classe ait le moins possible l'aspect scolaire. Il sera souhaitable que tables ou pupitres soient suffisamment mobiles pour qu'on puisse modifier l'aspect de l'ensemble selon l'utilisation : travail en commun pour le texte libre, conférences d'élèves, réunion de la coopérative scolaire, etc... Le tableau noir lui-même perd de son importance dans la mesure où nous pourrons enrichir et rationaliser une installation audiovisuelle adéquate.
b) Pour ce qui concerne les ateliers eux-mêmes, il y aura, avantage à leur conserver l'allure d'atelier avec tables, établis, étagères, en insistant sur l'aspect fonctionnel plus que sur la présentation, pour qu'on puisse vraiment y faire du travail.
3° L'outillage
C'est un mot qu'on n'emploie pas, d'ordinaire, pour la classe traditionnelle où la liste des vrais outils est réduite, et pour laquelle on hésite même à employer le mot d'outil qui semble déshonorer la noble fonction d'éducateur.
On y emploie :
- le tableau noir et la
craie
- les
livres et les manuels
- les
cahiers et les ardoises
- le
porte-plume ou le stylo-bille.
Le tout pour un usage bien spécifique, très délimité, fort peu à la mesure des nécessités techniques et artistiques contemporaines.
Nous n'utilisons plus les manuels scolaires sous leur forme actuelle. Nous employons encore les cahiers - de préférence à pages mobiles - mais à des fins plus naturelles : expression libre, préparation de documents, comptes rendus, conférences etc. Nous faisons moins de travail spectaculaire, pour la forme, mais du vrai travail, pour lequel nous avons de vrais outils, qui vont permettre un élargissement de nos intérêts et une plus grande socialisation de nos réalisations.
Ces outils doivent appeler tous nos soins. Comme pour les adultes, ils sont la condition sine qua non des réussites attendues. Le commerce offrait autrefois aux enfants des jeux de caractères mobiles en caoutchouc, tout juste valables pour imprimer des étiquettes ou des avis, et sous une forme qui ne nous satisfaisait jamais ; des scies en tôle qui s'émoussaient au premier contact ; des marteaux qui se disloquaient au moindre choc. Essayez de faire un quelconque travail avec les « panoplies » qu'on vend encore dans les bazars !
Nous avons prévu, pour le travail sérieux qui doit se faire dans les ateliers un outillage absolument comparable, comme qualité, à l'outillage adulte :
- un matériel d'imprimerie, des presses vraiment à la portée des enfants,
un limographe spécial, des stencils et les outils pour gravure du lino (2).
- Pour
l'Atelier de documentation
le fichier documentaire (3);
avec le Dictionnaire Index pour la classification décimale la Bibliothèque
de Travail;
les Suppléments à la Bibliothèque de Travail.
- Pour l'Atelier artistique: du papier, des stylos‑bille
et des stylos feutre, de la peinture en poudre et des gouaches.
- Pour l'Atelier de Calcul, nos Bandes Atelier de Calcul vous
permettront de réunir, à peu de frais, avec la participation des enfants, le
matériel nécessaire
- pour l'Atelier audiovisuel, l'installation photos‑diapositives,
projecteur fixe, cinéma, électrophone, magnétophone, radio et télévision (au
choix naturellement)(4).
- Pour les sciences, l'histoire, la géographie, nos brochures et nos bandes
vous aideront à réunir, avec les enfants, les documents d'Ecole Moderne, dont
nous verrons l'utilisation.
***
Pourquoi Atelier d'Ecole Moderne et non « musée scolaire » tout court ?
Nous préférons là aussi parier tout simplement d'atelier de travail.
Qui dit musée dit recueil de documents rares qu'on conserve jalousement, si possible sous vitrine. Il est des écoles traditionnelles qui, selon la spécialité du maître, possèdent des musées originaux, parfois de grande valeur. Mais ces musées ne sont qu'accidentellement des outils de travail. Nous leur préférons les expositions de documents, recueillis au hasard des enquêtes, auxquelles tous les élèves participent, Ces documents, qui ne sont pas toujours déterminés et classés, sont utilisés pour des conférences, pour la correspondance interscolaire et dispersés parfois en fin d'année pour être reconstitués à nouveau mais différents l'année qui suit.
(1)
Certaines classes de village peuvent parfois disposer d'une salle désaffectée
qui fera l'office d'atelier accessoire, avec cependant, les inconvénients d'une
surveillance plus difficile.
(2) Dossier pédagogique
n° 8: L'Imprimerie à l'école et les techniques graphiques annexes, par C.
Freinet.
(3) BEM
n° 33‑34 :
Le Fichier Scolaire Coopératif, par R, Belperron.
(4) BEM
n° 15 : Les
techniques audiovisuelles, par C. Freinet.
Voilà le cadre nouveau de la classe, l'auditorium-scriptorium de naguère transformé en classe-atelier-laboratoire coopératif.
Voilà le matériel nouveau dont nous disposons et que nous avons mis au point en fonction de la pédagogie à promouvoir.
Comment allons-nous utiliser ce matériel ? Quelle sera la formule nouvelle de cette classe‑atelier? Comment nous y préparer et y préparer les élèves ? Quels seront les avantages de cette classe au travail individualisé dans le cadre coopératif nécessaire ?
Nous nous trouvons devant un problème quelque peu semblable à celui où se sont achoppés il y a vingt ans les promoteurs des Uniprix : le système de vente était bouleversé. Il n'y avait plus un patron derrière un comptoir qui servait et faisait payer, mais une large exposition de tous les articles en vente, avec indication, absolument fixe, des prix pratiqués. Le client choisissait librement, sans intervention du marchand qui se contentait d'empaqueter et d'encaisser.
Il fallait certes, pour cette technique de vente, une organisation commerciale adéquate, et un système de vente qui rompait totalement avec les habitudes du passé, et auxquels les employés devaient être nécessairement entraînés.
Il en est de même chez nous. C'est un changement de forme d'école que nous préconisons ; il a réussi dans des milliers d'écoles et il nous faut aujourd'hui le généraliser en y préparant les éducateurs.
Pour les raisons que nous avons indiquées, notre travail ne saurait être totalement individualisé. Il doit toujours déboucher sur un travail collectif coopératif.
Dans le déroulement de la journée tel que nous allons maintenant le présenter, nous placerons sur les 2/3 gauche de la page les textes se rapportant au travail collectif coopératif, sur les 2/3 droite les textes présentant le travail totalement individualisé, sur une zone médiane, les textes qui sont à cheval sur les deux pratiques.
1. La classe ouvre évidemment sur la vie coopérative : organisation des services et du travail, chant collectif, etc...
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2. |
Deux élèves viennent lire à leurs camarades un texte qu'ils ont soigneusement préparé. Pendant ce temps, les autres élèves dessinent librement.
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3. |
Séance quotidienne de travail libre, typique de cette activité nouvelle où travail individuel et vie coopérative sont intimement mêlés.
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Les élèves lisent leur texte libre.
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Le choix du texte se fait par vote (travail coopératif). La mise au point du texte est coopérative.
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Les élèves désignés composent leurs lignes à l'imprimerie (travail individuel).
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Le texte sera ensuite groupé et imprimé. 4. Exploitation du texte en vocabulaire et grammaire (travail collectif). Ce texte libre et les travaux qu'il suscite, ne sont pas une quelconque occupation scolaire. Ils peuvent devenir comme le pivot vivant de la classe parce qu'ils nous révèlent les désirs et les besoins des enfants, les pistes sur lesquelles nous pouvons nous aventurer avec eux. Nous découvrons ainsi, naturellement, par la vie et l'expression des enfants, les véritables centres d'intérêt que nous tâcherons d'exploiter pédagogiquement par le travail individuel. Encore faut‑il pouvoir mener à bien cette exploitation, ce qui est beaucoup plus délicat qu'on ne croit. La plupart des écoles, insuffisamment équipées, dirigées par des maîtres non entraînés à ce travail nouveau, se contentent, dans la pratique d'un texte libre plus ou moins régulier, complété ‑ et pas toujours ‑ par le journal scolaire et la correspondance. Il arrive qu'un texte libre donne matière à enquêtes dans le village ou dans le quartier, recherche dans les archives, calcul vivant qui s'avère comme étant la base des mathématiques modernes. Mais cette possibilité n'est qu'accidentelle. Dans la pratique, nous n'avons que rarement le loisir d'exploiter à fond un centre d'intérêt qui s'offre ainsi sans que nous y soyons préparés. Et seuls quelques éducateurs exceptionnels peuvent saisir avec à‑propos et subtilité les occasions qui se présentent au hasard de la vie. La chose est possible au CP où l'on est moins talonné par les programmes et les connaissances. Mais la plupart du temps vous vous contenterez de noter, avec vos élèves, les travaux à envisager, les recherches à entreprendre, les mesures et les calculs à développer. Vous ouvrez vraiment portes et fenêtres sur le vaste monde. 5. Il en sera de même pour le Calcul vivant.
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Il faudra entraîner vos élèves à prêter attention aux multiples problèmes que la vie leur pose tous les jours : ventes et achats, commissions, autos, essence, etc... Ils notent les calculs qu'ils se sont posés, qui constitueront le pendant du texte libre réalisé. Ce sera un départ.
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Le matin, les enfants liront à leurs camarades les calculs libres ainsi élaborés. On les examinera ensemble et on en choisira un qui donnera lieu à des calculs divers, que vous motiverez d'ailleurs puissamment en les envoyant aux correspondants.
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6. Le plan de travail. Ces travaux coopératifs nous prennent environ 1 heure 1/2 tous les matins. Bien sûr, ils réduisent d'autant le travail libre individualisé, mais cette base coopérative est une nécessité éducative. Nous verrons plus loin comment la journée se terminera par une synthèse coopérative.
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Entre temps, nous abordons une innovation rendue possible par nos techniques : le travail individuel ou par équipes. Débarrassons‑nous d'abord d'une erreur ou d'une illusion. D'aucuns - et le travail libre par groupes de Cousinet a souffert de cette
erreur - ont cru qu'il suffisait de dire aux enfants : La liberté, pas plus en éducation que dans la vie, n'est une notion abstraite : elle suppose la possibilité d'un choix. Si on n'offre pas aux enfants une gamme suffisante de possibilités de travail à leur mesure, il ne peut pas y avoir choix. Le système alors ne peut pas fonctionner. Tant que nous n'avions nous‑mêmes qu'un nombre réduit de possibilités de travail, notre choix était insuffisant. Si on vous dit : entrez librement dans ce magasin et prenez ce qui vous convient, vous pourrez d'abord sauter de joie. Mais vous ressortirez peut-être bientôt désabusé si vous n'avez rien trouvé à votre goût. A nous d'achalander notre magasin. Et si le magasin est bien achalandé, comment opérer le choix à faire ? Devons-nous laisser les enfants totalement libres dans ce choix ? Nous pensons qu'il est de notre devoir d'éducateurs de les y aider pour que le travail soit le plus intéressant et le plus productif possible. C'est le but de notre Plan de travail (voir BEM n° 15). Avec les méthodes scolastiques, un tel Plan de travail existe, mais l'enfant ‑ ni le maître d'ailleurs ‑ ne participent pas à son établissement. Il est fixé autoritairement par les règlements, les emplois du temps officiels et les manuels scolaires souverains. Or, nous voulons un plan qui organise tout un réseau d'activités voulues par les enfants eux-mêmes parce que répondant à leurs besoins. Mais attention, et nous y insistons : ce Plan de travail suppose - et c'est primordial - que nous ayons du travail effectif à faire. Nos Plans de travail ont été squelettiques et insuffisants tant que nous n'avions à proposer que des fiches autocorrectives et des fiches‑guides imparfaites ‑ dont l'emploi nécessitait souvent encore un recours paralysant aux manuels pour les exercices traditionnels. Mais à même les difficultés nous avons gagné la partie : notre système de Plans de travail peut aujourd'hui fonctionner à plein parce que, avec les Bandes enseignantes, nous avons la possibilité véritable de réaliser un enseignement individualisé, adapté à la classe et aux élèves - et même aux programmes.
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Voyons donc en détail l'établissement de notre Plan de travail (voir ci-dessus) pour la réalisation duquel les enfants disposeront de 3 h environ par jour (1 h 30 le matin, 1 h 30 l'après-midi).
1° calcul
a) Après avoir inscrit nom et date, l'élève note dans les cases Calcul, les numéros des bandes à faire(1).
Outre leur rédaction programmée qui en fait une nouveauté inégalée à ce jour, les bandes offrent l'avantage d'une individualisation très poussée. Au début de l'année, il faudra certes, par exercices et tests, situer chaque élève dans la progression des bandes. Il se peut, d'une part, qu'un élève Cours Préparatoire puisse être au niveau des bandes CE, et inversement. Il se peut aussi que en cours de route, certains élèves puissent avancer à un rythme accéléré. Il appartient au maître de veiller de très près à ce rythme de façon qu'aucun élève ne piétine sans risquer cependant de brûler inconsidérément les étapes (20 bandes pour l'année représentent une bande environ par semaine, ce qui est un minimum).
- Et les maîtres eux-mêmes, non habitués à ce genre de travail, ne savent souvent pas exploiter d'une façon éducative les occasions qui pourraient s'offrir.
Pour parer à ces insuffisances, nous avons créé un Atelier de calcul où l'élève peut collectionner, compter, multiplier, mesurer, opérer avec l'eau, la terre, les métaux, l'électricité. Il s'initie ainsi, non plus verbalement et abstraitement, mais par l'expérience, aux opérations diverses de calcul à même la vie.
Nous avons déjà 30 bandes Atelier de calcul prêtes, (2) mais ce nombre va s'accroître rapidement. Au dire des usagers, elles sont une totale réussite. Dans notre plan de travail, à côté de la bande de calcul, nous inscrirons une ou deux bandes de l'Atelier de calcul.
2° Français
De même que le sens mathématique s'acquiert par la vie, la véritable initiation à la langue se fait sur la base de notre texte libre, avec les travaux connexes qu'il peut entraîner.
Si l'aspect théorique de l'apprentissage de la langue n'était pas exagérément et prématurément mis en valeur ; si le maître pouvait tirer le maximum du texte libre sans être gêné par les exigences des programmes et des examens ; s'il était aussi, et c'est important, préparé à cette forme de travail, nous n'aurions pas besoin d'exercices complémentaires. Mais dans les conditions actuelles de l'École, l'éducateur ne peut pas négliger certaines connaissances grammaticales et syntaxiques qui complètent le texte libre.
Nous y avons pourvu avec un Cours de Français qui, en soixante bandes (2) sensibilise les enfants au sens de la langue. Nous éditerons sous peu une série de bandes plus techniques pour l'acquisition des connaissances grammaticales, que nous jugerions peut‑être inutiles mais qui n'en sont pas moins encore exigées pour les examens.
Nous inscrivons donc sur notre Plan de travail une ou deux bandes de Français.
3°Histoire – Géographie – Sciences
C’est pour ces trois disciplines que, par nos bandes enseignantes, nous apportons vraiment du nouveau en rendant possible l’enseignement individualisé qui permettra l’abandon total des manuels scolaires en usage.
Nous ne pensons pas exagérer en affirmant que pour l’histoire et les sciences notamment, cet enseignement est scandaleusement déficient. Il suffit, pour s’en rendre compte, de feuilleter quelques-uns des manuels en usage. Les citations ci-dessous, et que nous pourrions hélas multiplier sur de longues pages, disent assez les tares pédagogiques et humaines de ces outils.
Indiquez la valeur du verbe pronominal dans chacune des phrases suivantes : sens réfléchi ; sens réciproque ; sens passif ; essentiellement pronominal.
Faites entrer chaque interjection ou locution interjective suivante dans une courte phrase : ouf ! hue ! brr ! patatras ! courage ! zut ! ….
Exercice à trous où il faut employer des mots de la famille de poudre :
Après la toilette de bébé il faut le ….. (pulvériser)
Roland mourut à Roncevaux pour son roi et pour sa douce France, sa défaite est aussi belle qu’une victoire.
Pour calculer la taux pour cent d’une grandeur, relativement à une grandeur de même espèce, on divise la mesure de la 1° grandeur par la mesure de la 2° exprimée avec la même unité.
Chez un libraire une pile de 33 livres est composée de livres de géographie, de livres de lecture et de livres d’arithmétique. La pile a une hauteur de 1,03 m, mais si on retire les livres d’arithmétique, qui ont chacun une épaisseur de 3 cm, elle ne mesure plus que 76 cm.
1° Combien y a-t-il de livres d’arithmétique ?
2° Le nombre de livres de lecture est-il le double du nombre de livres de géographie. Combien y a-t-il de livres de chaque espèce ?
3° (Question sur P-V et B).
4° Les livres de géographie ont une épaisseur de 2,8 cm. Quelle est l’épaisseur d’un livre de lecture ?
On nous a souvent rétorqué, quand nous incriminions de tels documents, que le maître n'est pas obligé de suivre passivement ces manuels et que, dans la pratique, il les corrige et les enrichit par son intervention personnelle.
Oui, quelques maîtres peuvent le faire en effet. Mais la grande masse des éducateurs utilise le manuel dans le sens et l'esprit pour lesquels il a été créé. Il sert bel et bien de base à tout l'enseignement et on se plaint à bon droit qu'il cultive la passivité, la servilité à l'imprimé et le malfaisant dogmatisme.
Avec nos bandes enseignantes d'histoire, de géographie et de sciences, avec nos BT programmées, nos BT sonores, nos brochures de découpages et de confection de maquettes historiques et géographiques, nous accédons au véritable enseignement désiré aujourd'hui par tous ceux qui s'intéressent à la vraie fonction de l'École.
Nous habituons nos enfants à réfléchir, à chercher, à créer, à classer, à inventer, à confronter leurs réalisations avec les conquêtes du milieu. Pour les sciences surtout, nous dépassons l'inutile verbiage explicatif pour donner la priorité à l'expérience elle‑même, seule formative(3).
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Voici un spécimen de bande d'Histoire, de Géographie, de Sciences :
Expérimentation à l'atelier de calcul (Photo Gauthier) |
4° Conférences
Un dernier point à inscrire à notre Plan de travail : les Conférences (voir BEM n° 10 et 15).
Les recommandations qui précédent sont valables pour le choix des conférences : veillez notamment à ce qu'aucun élève n'inscrive un sujet de conférence qu'il ne serait pas en mesure de traiter et pour lequel il n'aurait pas à sa disposition les bandes et les documents nécessaires.
Nous avons heureusement aujourd'hui de multiples possibilités, depuis la conférence par laquelle l'enfant raconte sa vie ou ses vacances, et que vous l'aiderez à programmer, jusqu'à la BT programmée pour laquelle il aura tous les documents sous la main, et à la BT Sonore qui est une conférence toute faite, que l'élève n'aura plus qu'à compléter.
Nous n'abordons qu'indirectement ici la programmation par le maître des bandes dont il aura besoin dans sa classe. Il y faut là aussi une initiation pour laquelle nous donnerons tous conseils dans une publication à venir. Nous notons seulement pour l'instant les erreurs majeures constatées dans les essais qu'on nous a soumis :
- Il ne suffit pas de mettre sur bande 7 ou 8 séquences pour avoir programmé un sujet. Il faut que les difficultés soient vraiment suivies plage à plage, de façon que l'enfant puisse faire le travail souhaité sans avoir recours à vous.
- Ne mentionnez qu'une difficulté sur une plage. La bande ne doit pas être un concentré scolastique. Elle doit toujours être facile à faire.
- Il faut que la bande ne soit pas trop courte, car le travail entrepris sera insuffisant. Dans presque tous les cas, on peut l'allonger en la programmant mieux.
- La bande ne doit pas être trop longue car elle fatiguerait les enfants. La norme que nous avons choisie nous paraît convenir : 36 séquences, ou 18 demandes et 18 réponses.
- Modifiez et améliorez vos bandes avec la collaboration des enfants qui s'entraîneront eux‑mêmes à faire des bandes.
Le Plan de travail individuel est prêt. Il sera affiché sur un panneau spécial. Un certain nombre d'éducateurs laissent le Plan à la disposition exclusive des enfants. Nous pensons qu'il est salutaire que le travail d'un élève soit confronté sans cesse à celui des voisins et que le maître puisse suivre d'un coup d'oeil les efforts de chacun.
(1)
Liste des bandes parues sur demande à CEL, BP 282, 06 ‑ Cannes.
(2) Liste sur demande à CEL, BP 282, 06 ‑ Cannes.
(3) BEM: L'enseignement
des Sciences, par C. Freinet et un groupe d'éducateurs.
Quand et comment l'enfant doit‑il foire le travail individualisé conformément au plan
Les enfants doivent travailler librement à leur plan, aux heures, dans l'ordre et au rythme qui leur conviennent. C'est une condition essentielle. Tout au plus, en examinant les plans en cours de semaine peut-on faire remarquer qu'il y a retard pour telle ou telle branche. C'est même la plupart du temps une nécessité. Il est courant en effet -et il en est exactement de même pour les adultes - qu'on ne soit pas pressé en début de semaine et qu'on se paie le luxe de papillonner pour, comme le lièvre de la fable, partir trop tard le vendredi.
Mais si on veut que cette technique puisse fonctionner normalement il faut absolument réserver suffisamment de temps libre au cours de la journée.
Nous avons dit que, chaque jour, l'expression libre, le texte libre, sa mise au point et son exploitation, le calcul vivant enfin prennent 1 heure 30 environ. Reste donc pour le matin 1 h à 1 h 30 pour le travail libre.
Nous en aurons autant l'après‑midi durant les deux premières heures de la classe. Nous conseillons d'employer les heures du matin au travail plus scolaire, qui demande un plus gros effort de concentration, calcul et français notamment, les heures libres de l'après‑midi étant plutôt consacrées aux travaux qui nécessitent quelques allées et venues, et autorisant un certain bruit : découpages, maquettes, expériences, etc...
Une des premières conditions pour la réussite de cette forme de travail sera d'habituer les enfants à travailler seuls et silencieusement ‑ ce qui ne sera pas toujours facile au début. Dans tous les domaines, il nous faut essayer d'abandonner la scolastique pour en venir à la pratique qui réussit avec les adultes. Notre classe, dans ces moments de travail libre, doit ressembler à une bibliothèque de ville où les étudiants vont, non seulement pour s'approvisionner en livres, mais aussi pour consulter sur place documents et dictionnaires, pour prendre des notes et demander conseil le cas échéant.
Aucun bruit dans cette bibliothèque : c'est une condition indispensable. Si le plancher était caoutchouté pour amortir le bruit des pas, ce serait encore préférable.
Nul n'est autorisé à parler fort, pas même le maître. Si un élève vient vous demander conseil, si vous constatez insuffisances et erreurs, vous avez tendance à gronder fort, pour que la classe entière entende et en fasse son profit - espoir vain d'ailleurs car vos élèves n'écoutent pas vos observations et vos cris. Ils en sont seulement dérangés.
Vous aussi donc, les maîtres, vous parlerez à voix basse, pour le seul élève concerné. Vous réserverez vos observations générales pour plus tard. Et cela reposera votre gorge, ce qui sera le premier bienfait, et pas le moins appréciable.
Mais alors que fera le maître pendant ces heures de travail libre ? Devra‑t‑il seulement disparaître et s'occuper à tous travaux de son goût !
C'est le moment au contraire où la Part du maître(1) sera la plus efficace parce qu'elle s'exerce alors, non sur toute la classe ‑ et les individus ne se croient pas toujours concernés ‑ mais sur l'enfant, le travailleur qui sollicite et attend l'aide de l'éducateur.
Vous aurez certainement tendance à penser que ces heures de travail libre seront une bonne occasion pour vous d'effectuer les « corrections » que vous jugez indispensables.
Nous verrons, dans le chapitre suivant, comment nous envisageons les contrôles nécessaires. Selon notre pédagogie, la fonction du maître doit être moins de contrôler que d'aider. Il faut nous dépouiller des vieilles habitudes de l'ancienne école dans laquelle l'élève doit travailler absolument seul, le maître venant ensuite pour mesurer l'effort réalisé et noter les travaux.
Selon notre nouvelle théorie de l'apprentissage par tâtonnement expérimental, c'est au moment du travail que nous devons être disponibles à côté de l'enfant pour l'aider à réussir dans sa marche en avant, pour lui éviter les erreurs et les fautes qu'on se contente d'ordinaire de sanctionner.
Un enfant n'avance pas suffisamment le travail de calcul au lieu de le gronder, asseyez‑vous à côté de lui et montrez‑lui comment on active pour vite terminer. Vous l'aiderez alors à prendre goût au calcul.
Un autre élève vient de terminer un texte libre où un poème, Il ne servirait de rien de souligner les fautes au stylo rouge ou d'indiquer rageusement : « A refaire ». Aidez‑le au contraire à mieux exprimer sa pensée ou les observations qu'il n'a su qu'ébaucher par insuffisance technique. Ne substituez pas votre pensée à la sienne. Amenez‑le, à extérioriser sa pensée. Et c'est avec fierté alors que maître et élève apprécieront le chef d'oeuvre réalisé, qui sera lu le lendemain à la classe.
Inutile de lever la voix parmi l'équipe qui s'affaire au dessin et à la peinture. Silence ! Seulement, vous vous mettrez de temps en temps près de l'élève qui peine à donner forme, de son pinceau maladroit, à l'idée qui l'habite. Vous vous placerez à côté de lui et vous l'aiderez à réussir, en parlant bas avec lui.
Mais c'est surtout pour les travaux plus techniques d'histoire, géographie et sciences que vous aurez à intervenir, non pas en maître ‑ vous n'en serez pas toujours capable ‑ mais en ouvrier qui, avec les autres ouvriers, cherche à faire de son mieux le travail amorcé.
Les bandes alors vous seront précieuses, comme elles seront précieuses aux autres membres de l'équipe. Raison de plus pour vous appliquer, à l'usage, à en détecter les insuffisances et les erreurs, pour, éventuellement, les corriger.
C'est pendant ces heures de travail libre que l'éducateur s'intégrera totalement à l'équipe, pour une collaboration qui sera la forme nouvelle de l'éducation.
Ce n'est que lorsque, un jour prochain, ce travail libre individualisé par les bandes sera généralisé qu'on s'étonnera qu'aient pu se survivre des pratiques scolaires qui sont un anachronisme flagrant dans notre monde moderne.
Non, le travail ne manquera pas au maître pendant ces heures de libre activité. Mais il se fera dans une atmosphère nouvelle de collaboration confiante, de silence et de paix qui sera en définitive la plus radicale conquête de la nouvelle pédagogie.
Les synthèses
Le mot est un peu prétentieux, du moins au premier degré. Il marque pourtant un souci de regroupement des travaux individuels que nous jugeons nécessaire, D'autant plus que nous ne travaillons plus comme autrefois, où tous les élèves de la classe traitaient le même sujet et faisaient en somme le même travail ‑ ce qui est la négation d'un travail efficient.
Nos élèves abordent les sujets rationnellement, chacun d'eux traitant une portion donnée ou faisant une expérience différente. Il est normal que l'auteur d'un travail en communique les résultats non seulement au maître, mais à ses camarades.
Cette synthèse se fait au cours de la dernière demi‑heure de classe. Elle ne sera pas forcément d'une valeur exemplaire, mais le maître profitera de ces exposés pour faire ce que nous avons appelé une leçon a posteriori. En partant de ce qu'ont fait ses élèves il expliquera en détail ce qu'ils ont peut‑être seulement entrevu.
Ces leçons a posteriori peuvent du moins rassurer les éducateurs et les parents inquiets pour les programmes et les examens. Elles auront surtout une grande importance au second degré où elles doivent bien vite devenir la norme, les élèves étant ainsi toujours plus ou moins sensibilisés aux leçons du maître et du professeur.
Les conférences
La dernière demi-heure de la journée sera consacrée régulièrement à une ou deux conférences d'élèves. Avec nos BT programmées, nos BT Sonores, notre documentation, nos vues, notre magnétophone, cette pratique est désormais à la portée de toutes les classes, au second degré tout spécialement (voir BEM n° 10 et 15).
La journée est terminée. Elle sera suffisante, du moins au premier degré, ce qui ne nous empêchera pas de faire appel à toutes les possibilités du milieu, nos bandes programmées orientant les travaux à faire en classe et hors de la classe, avec la collaboration des parents et de toutes personnes intéressées à ce nouveau travail.
Des circulaires récentes ont interdit les devoirs du soir pour le premier degré : et c'est une sage mesure, du moins quand il s'agit de devoirs. Mais comme nous avons supprimé le devoir dans tous les domaines, l'interdiction ne nous concerne pas.
Ceci dit, nous pensons qu'il nous faudrait dépasser la tendance actuelle à considérer qu'à l'école comme hors de l'école, le travail est une peine et une servitude dont on se délivre dès qu'on le peut par les loisirs et les jeux.
Le vrai travail ne fatigue pas. L'éducation du travail donnera sens et harmonie à la nouvelle vie de la classe (2)
(1) E. Freinet: voir BEM n° 24 et 40‑41.
(2) Voir C. Freinet L'Education du travail ‑ Ed. Delachaud et Niestlé.
Mais qu'est cette École, diront parents et inspecteurs, où les élèves font ce qui leur plaît et sans contrôle précis, où on ne note plus les devoirs, où on ne fait plus de classement.
Disons d'abord que le travail individualisé que nous présentons, notamment avec les bandes, est d'une extrême souplesse et peut s'accommoder de toutes autres pratiques, même traditionnelles, et donc s'enrichir de tous tests et examens couramment pratiqués.
Si, au lieu de faire faire à tous vos élèves le même exercice de calcul - et nous avons dit les inconvénients de cette pratique - vous avez, par les bandes, un moyen simple, pratique et moins coûteux de laisser chacun aller à son pas, que craignez‑vous puisque vous y gagnerez une plus grande tranquillité personnelle et que votre métier vous en sera plus agréable et plus humain ? Pourquoi même ne pas essayer tout de suite l'enseignement individualisé du calcul dans les classes homogènes des villes ? Les nombreuses expériences faites dans ces classes nous assurent et vous assurent du succès.
Vous essaierez de même, et pour les mêmes raisons, notre cours de français qui pourra remplacer graduellement le manuel de vocabulaire et de grammaire. Rien ne vous empêche même, si la conduite de votre classe l'exige, de faire ces bandes à heure fixe. La seule différence sera que, au lieu de voir tous les élèves faire le même travail chacun ira à son pas. Et ce sera déjà considérable.
Tant que votre classe ne sera pas totalement modernisée, vous pouvez d'ailleurs opérer le contrôle par notes. Nos techniques permettent seulement de faire mieux, et c'est ce que nous voulons souligner.
Différents contrôles
1°. Nous avons un premier contrôle plus mécanique qui se fait par nos plannings.
Sur un tableau spécial portant les numéros de bandes diverses, l'élève coche, au fur et à mesure du travail, la ou les bandes réalisées. Il voit lui-même s'il est en position normale, ou s'il est en retard et doit accélérer, ou si, au contraire son avance l'encourage à marcher et enrichir encore son plan de travail.
Comme vous pouvez le constater dans le planning ci-contre, ce premier contrôle est particulièrement parlant et donne au maître une sécurité que ne lui procure aucune autre méthode.
2°. Un certain nombre de nos bandes comportent des tests très utiles pour un contrôle que nous pourrons encore développer.
3°. Mais nous pratiquons en plus une sorte d'autocontrôle que nous préférons appeler auto‑évaluation selon l'expression de Bertrand Schwartz, directeur de l'École des Mines de Nancy.
- L'enfant qui est habitué à travailler humainement apprécie lui‑même l'oeuvre qu'il vient d'achever. L'expérience nous montre même qu'il a tendance à se juger très sévèrement. Il faut évidemment que vous ayez éliminé les punitions que le coupable essaierait d'éviter par une tricherie ou un mensonge.
- Toutes les fois que nous le pouvons, nous faisons apprécier le travail de l'enfant par ses camarades ou par la coopérative scolaire. Comme il ne s'agit plus d'un travail exclusivement scolaire, les enfants sont de bons juges, et d'une impartialité étonnante.
Dans tous les cas, nous avons avantage à faire participer l'auteur, le groupe et la coopérative à cette appréciation, même si elle s'exprime par une note. Le maître a évidemment les mêmes droits que les élèves.
Vous verrez comment cette participation des élèves à l'appréciation, au contrôle et à la notation transforme et humanise l'atmosphère de la classe.
L'exposition de fin de semaine
Cette auto‑évaluation est synthétisée par l'exposition du samedi, dont nous recommandons la pratique sans réserve. Il est souhaitable en effet que notre enseignement ne débouche pas seulement sur une note plus ou moins arbitraire, mais sur une sorte de socialisation et de confrontation des oeuvres obtenues.
Le samedi soir, dans la classe agréablement aménagée, on dispose sur les tables décorées à cet effet les réalisations de la semaine : peintures, maquettes et découpages, inventions, résultats d'expériences et d'observations, mais aussi belles pages de cahiers, albums, lettres des correspondants, etc...
Il faut éviter le plus possible que cette exposition apparaisse comme une occasion de contrôle avec sanction plus ou moins grave. L'appréciation muette ou enthousiaste suffit ; on voit d'emblée où sont les chefs‑d'oeuvre qui accusent par leur succès les vides ou les imperfections. Les enfants y sont extraordinairement sensibles.
Un camarade nous reprochait un jour de faire, par cette exposition du samedi, ce qu'il appelait, lui, du «tape à l'oeil ». Il n'en reste pas moins que cette manifestation hebdomadaire doit avoir quelque chose de solennel et d'impressionnant. Nous ne nous contenterons pas d'aligner une ou deux oeuvres de chaque élève prises au hasard. Nous devons mettre en valeur des réalisations qui nous ont beaucoup coûté et dont nous sommes, à bon droit, quelque peu fiers. Nous ne ménagerons ni la présentation, ni le brio, ni les fleurs, d'autant plus que cette exposition gagnera à être visitée et commentée par les parents d'élèves et les amis de l'École qui pourront ainsi juger sur pièce.
Le graphique hebdomadaire que vous voyez sur le Plan de travail (page 43) ajoute à l'ensemble un élément de contrôle et d'autocontrôle dont vous comprenez la portée.
***
Evidemment cette forme de travail, la façon même dont nous l'apprécions sont pour la plupart des lecteurs une grande nouveauté. Et, comme toujours ce qu'on explique apparaît compliqué : mettez‑vous au travail. Faites vos premiers essais. Vous serez bien vite conquis.
Voici ce que des éducateurs oeuvrant coopérativement ont pu réaliser dans le domaine du travail individuel et des bandes programmées, et les avantages qu'ils trouvent à cette formule nouvelle de la conduite d'une classe.
Vous trouverez peut‑être qu'un problème aussi grave, qu'un changement complet dans les méthodes d'enseignement et la pratique de l'École aux divers degrés demanderait une expérimentation méthodique avec mesures scientifiques et tests.
Nous n'avons pour l'instant à vous offrir comme preuve évidente de la valeur d'un enseignement individualisé qu'une infinité d'expériences menées dans des classes de tous ordres et de tous degrés, dirigées par des éducateurs qui ont pensé qu'avant de mesurer il fallait réaliser les conditions de travail mesurables. C'est ce que nous avons fait pendant quarante ans de recherche et de tâtonnement.
Mais ces travaux, nous les avons menés scientifiquement, en théoricienspraticiens, et c'est parce que nous avons confronté sans cesse nos réalisations avec les principes pédagogiques anciens et nouveaux qui les justifient que nous avons pu avancer avec sûreté dans une voie qui a subi maintenant l'épreuve de l'expérience. Quand nous aurons réussi et que l'individualisation gagnera peu à peu toutes les écoles françaises, il y aura toujours assez de théoriciens pour justifier notre grande oeuvre d'avant‑garde.
C'est à dessein, pour ne pas effrayer les éducateurs qui demain essaieront les outils nouveaux dont nous disons les vertus, que nous ne sommes pas entrés ici dans les détails complexes de leur emploi. Vous apprendrez plus tard comment rédiger vous‑mêmes des bandes, avec la collaboration de vos élèves, comment les enrichir par la correspondance, comment enfin en tirer le maximum pédagogiquement et humainement.
Car c'est sur cet aspect humain que nous terminerons cette étude qui est un appel à la collaboration constructive dont vous serez les premiers bénéficiaires.
La tare la plus grave de la méthode des leçons et des manuels à laquelle vous êtes encore condamnés, c'est qu'elle vous met en opposition permanente avec vos élèves qui se défendent par tous les moyens, licites ou non, contre les atteintes de l'École à leur liberté et à leur vie. Et on se rend compte maintenant qu'il ne peut pas y avoir d'éducation sans confiance, camaraderie et amitié.
Avec nos techniques, que les bandes viennent d'enrichir, vous serez désormais près de vos élèves, non pour les contraindre dogmatiquement mais pour participer avec eux à cette oeuvre noble entre toutes : la formation en l'enfant de l'homme de demain.
C. F.
LE TRAVAIL INDIVIDUALISÉ EST VALABLE À TOUS LES DEGRÉS
Notre expérience d'école moderne, née au premier degré, est largement en cours d'expérimentation au 2° degré, où elle montre également toute son efficience.
Dans nos diverses techniques, la programmation et les bandes sont parmi les nouveautés dont l'implantation au‑delà du primaire apparaît comme la plus facile et la plus profitable. Plus qu'au premier degré, les grands élèves de nos lycées, de nos CEG, des classes d'apprentissage et techniques sont excédés par les devoirs et les leçons dont ils sentent la vanité. Ils ont fait à nos bandes un accueil enthousiaste qui nous encourage à développer d'urgence les éditions nécessaires.
Mais la préparation et l'usage des bandes suppose aussi une technique dont la deuxième partie de cet ouvrage vous apporte les premiers éléments, Lisez l'expérience de notre ami Berteloot ; persuadez-vous ensuite de ses fondements psychologiques, pédagogiques et sociaux et joignez‑vous à nous pour une oeuvre d'avant‑garde dont vous serez les premiers bénéficiaires.
C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Venez à nous pour nous aider à préparer les outils de l'École Moderne à tous les degrés.
C.F
Le présent travail est le compte rendu d'une expérience d'emploi systématique de bandes enseignantes dans un contexte précis : classes de troisième de CES suivant les programmes officiels de iuin 1962.
Nous étudierons d'abord l'esprit de ces programmes, puis le problème particulier de l'enseignement scientifique s'adressant à des élèves de 13 à16 ans ; nous compléterons par quelques traits caractéristiques de la psychologie de ces préadolescents.
C'est alors que, connaissant les conditions que nous nous sommes imposées, nous pourrons étudier la conception d'un ensemble de bandes enseignantes, puis d'une de ces bandes, qui satisfasse à ces impératifs. Nous verrons ensuite le point de vue technique de l'emploi de telles bandes dans les classes où elles ont été conçues au fur et à mesure de leur emploi.
Les résultats obtenus convaincront le lecteur, du moins nous l'espérons, que les bandes enseignantes se révèlent actuellement comme l'un des meilleurs outils pédagogiques, capable d'être introduit facilement dans des classes traditionnelles, d'en révolutionner complètement l'atmosphère en y introduisant, par là‑même, indirectement, quelques grandes idées de l'École Moderne et de la Pédagogie Freinet.
M. Berteloot
1 –L’esprit des programmes officiels
C'est un usage traditionnel, qu'en exergue à toute littérature destinée aux professeurs, l'auteur cite des instructions officielles.
Pour nous, éducateurs de l'École Moderne, qui faisons souvent figure d'iconoclastes, c'est une nécessité : d'abord pour marquer notre accord, ensuite pour montrer que nous sommes de ceux qui les traduisent le mieux au travers des faits de notre humble travail de pédagogie quotidienne.
« L'enseignement scientifique, tout en conservant sa méthode expérimentale propre à élever et entretenir la curiosité intellectuelle, doit s'adapter aux besoins divers de ses élèves... A tous les cours, la méthode employée doit être fondée sur l'observation et l'expérience... Le livre ne doit jouer dans cet enseignement qu'un rôle secondaire ; le maître n'a pas à faire de cours, il doit faire observer et faire expérimenter ». (I.M. de 1923, reprises en grande partie par les suivantes).
« Si l'enseignement scientifique veut réaliser une culture véritable, il ne doit pas se borner à une acquisition utilitaire des connaissances, Il doit faire pénétrer et organiser dans l'esprit
des jeunes gens l'ensemble des notions issues de l'expérience, du contact avec les choses, préparant ainsi /es notions abstraites qui conduisent à la notion de loi ». Citation de Paul Langevin, reprise dans la circulaire du 8 septembre 1960, qui ajoute : « Conformément à ce qui a toujours été l'idéal de notre culture, l'accord sera mis sur les moyens de former l'esprit‑ la démarche à suivre doit être autant que possible celle d'une recherche librement menée avec l'aide du maître.
Il faut nous méfier de la tendance que nous aurions à corriger la sécheresse et l'objectivité des « méthodes scolastiques » (1) par un appel constant aux exigences de la vie. L'essentiel est que nous ne revenions pas aux mots et aux formules qui masquent les éléments de recherche et de connaissances scientifiques»
« Faire toute la place au long des exercices, et dans l'élaboration même du plan de travail et des moyens et méthodes de recherche, aux suggestions, observations et expérimentations faites par /es élèves eux‑mêmes, en acceptant erreurs et tâtonnements, mais en exigeant rigueur et précision dans la vérification des hypothèses ou des explications proposées »
Nous pourrions multiplier les citations : elles vont toutes dans le même sens.
Qui, au courant des réalités pédagogiques actuelles, ne constaterait le décalage existant entre l'esprit de ces instructions et l'application qui en est faite dans nos classes, décalage égal à celui existant entre la technique des bandes enseignantes, qui le respecte intégralement, et celle des cours « ex cathedra » ou même de la « méthode active » adoptée généralement, et qui le trahissent !
2 ‑ conditions particulières à I'acquisition d'un esprit scientifique entre 13 et 16 ans
L'esprit scientifique ne s'acquiert pas, comme on l'a cru trop souvent, par des explications théoriques plus ou moins éloquentes ou par des leçons de manuels qui ne sauraient se substituer à l'indispensable expérience tâtonnée des enfants.
Sans vouloir donner à nos distinctions une quelconque rigueur de système, nous pourrions dire que l'acquisition de cet esprit scientifique se fait au cours de trois stades progressifs.
A l'origine nous distinguerons le tâtonnement expérimental dans un milieu riche, favorisant l'accumulation et la répétition des observations.
Dans cette première étape, l'enfant accumule des observations, des expériences fragmentaires plus ou moins liées en systèmes cohérents. C'est l'âge des « mythes », que l'on hésite à qualifier d'embryons d'hypothèses scientifiques.
Suit une période de structuration de ces observations, par le même processus de tâtonnement expérimental qui, sans mener l'individu à l'essence même des choses, que nous appelons le réel, le conduit à comprendre peu à peu ce qu'il est en mesure de percevoir, c'est‑à‑dire le connu.
Sous l'influence d'expériences plus nombreuses, ces « mythes » se détruisent. Commence alors un stade de structuration logique qui résiste en se renforçant à l'épreuve d'expériences nouvelles qui le conduisent à des techniques de vie intégrées au comportement et qui mènent à la connaissance.
Au début de l'adolescence, qui nous intéresse ici, c'est l'acheminement vers la structuration.
Il ne faudrait pas croire que ces diverses étapes subsistent indépendamment les unes des autres en chaque individu et que tous atteignent totalement la dernière, celle de la connaissance. La plupart du temps ces stades cohabitent aux différents âges, avec prédominance passagère de l'un d'eux.
Pour résumer nos idées, et peut‑être les rendre plus claires en paraphrasant Bachelard, nous dirons que la connaissance du monde qui entoure un jeune enfant livré uniquement à lui-même serait une représentation personnelle ; pour ce même enfant subissant uniquement une société scolaire traditionnelle, cette connaissance devient convention, c'est‑à‑dire affirmation axiomatique. Quant à nous, qui voulons lier la pensée à l'expérience, la connaissance du monde qui entoure l'adolescent doit devenir vérification, pour évoluer finalement chez l'adulte en construction rationnelle. Il est donc important que celui qui enseigne se préoccupe de savoir comment on peut acheminer les préadolescents vers une structuration des acquisitions antérieures, ne serait‑ce que pour choisir la technique et l'outil les plus efficaces. Nous verrons que l'emploi des bandes enseignantes est actuellement J'une des techniques qui peuvent prétendre y aboutir.
***
Voyons maintenant, traduites dans des faits, quelques conditions pratiques auxquelles seront soumises les bandes enseignantes pour y parvenir.
Nous n'avons nullement la prétention de croire que la nouveauté réside dans ces idées, qui sont celles de toute méthode d'enseignement scientifique, mais elle est dans l'application systématique qui en est faite dans le contexte d'un travail scolaire renouvelé.
Nos bandes enseignantes devront donc aider à :
- faire découvrir (et ceux qui enseignent savent bien que c'est une découverte !) qu'une proposition n'est pas forcément vraie parce qu'on a pris l'habitude de l'admettre comme telle, qu'une affirmation, même répétée sous des formes différentes, ne constitue nullement une preuve ;
- retrouver l'ordre, la hiérarchie, donc le lien entre diverses observations, qu'elles soient passées ou présentes (voir la bande sur l'analyse de l'air par la combustion du phosphore où le phénomène principal n'est pas la flamme, mais la disparition de l'un des constituants de l'air); (voir p. 117 à 124).
- édifier le général à partir du particulier et pour cela, reconnaître ce qui est commun à plusieurs résultats expérimentaux, ce qui est nécessaire et suffisant ou insuffisant (voir en annexe la bande sur les équilibres des solides); (voir p. 125)
- utiliser ce général ainsi édifié à l'explication de cas particuliers nouveaux et ainsi se passer de l'expérience (voir cette même bande) ‑,
- retrouver la cohérence sous l'apparente contradiction (voir la bande sur l'analyse de l'eau par l'électrolyse. Elle fait observer, à la suite d'expériences précédentes, que l'eau utilisée ne contient aucun gaz et cependant l'expérience présentée en fait apparaître ; voir p. 129)
- faire un effort pour s'évader du concret et essayer de rejoindre le réel (états physiques des corps pour le concret, et état moléculaire comme approche du réel) ;
- discipliner l'intuition ‑ qui brûle les étapes pour arriver à une affirmation sans preuves ‑ mais tout en se servant d'elle, parvenir à sublimer l'expérience ;
- cette sublimation ne pourra cacher que la loi découverte est une « limite »jamais atteinte expérimentalement (sensibilité des appareils, incertitudes dans les mesures avec interprétation statistique des résultats. Voir la bande sur les ressorts ; p. 133)
- mais la sublimation conduira à l'intervention du rationnel, préparant la place prépondérante des mathématiques, instrument de la connaissance future, en retrouvant les mêmes structures mathématiques dans les lois de phénoménies différentes (proportionnalité, relation entre les éléments de plusieurs ensembles) ;
- et, à l'extrême, mais ceci semble trop ambitieux à faire sentir, que les lois scientifiques ne, sont que des «états de probabilités » (Ex. : relation entre l'état moléculaire d'un gaz et sa pression).
3 ‑ conditions d'ordre psychologique
Nous reprendrons tous ces aspects dans une technologie succincte de l'élaboration des bandes enseignantes, mais nous sommes convaincus que chez l'adolescent, plus encore que chez l'enfant, toute opération intellectuelle traverse le domaine affectif. Celui‑ci agit, vis‑à‑vis d'elle, comme un milieu matériel hétérogène vis‑à‑vis des rayons lumineux : il peut se laisser traverser sans changer leur direction ou bien les dévier, et même les arrêter en tout ou partie.
Il importe donc d'essayer de trouver des techniques éducatives qui rendent ce milieu affectif le plus limpide (2) possible aux opérations intellectuelles et pour cela, tenir compte des lois qui régissent ce milieu. C'est en les respectant que « l'instructeur » que pourrait demeurer le professeur se transformera en l'éducateur qu'il se doit de devenir. Cependant, quelques aspects essentiels seulement seront ici retenus.
Les possibilités nouvelles de l'adolescence :
Domaine affectif, domaine intellectuel : deux faces d'une même médaille. Ils évoluent parallèlement et l'adolescence se manifeste aussi par des efforts de structuration des expériences antérieures, A travers elles, l'adolescent commence à élaborer « sa philosophie » faite, on surface, d'affirmations tranchantes, de scepticisme désabusé, mais qui cachent mal un besoin profond d'absolu, d'idéal, de dévouement et d'amour.
Mais ce qui marque surtout l'adolescence, c'est la lutte incessante de l'individu avec lui‑même. Elle se traduit par un affermissement progressif d'une volonté essayant, sans toujours y parvenir, de dominer en le disciplinant, un état confus d'enfance repoussé avec mépris, de maturité non encore atteinte et secrètement souhaitée.
Nous nous limiterons volontairement à l'une des applications de cet affermissement de la volonté. L'adolescent deviendra capable de refouler son intérêt immédiat, pour le satisfaire à plus longue échéance. Dans le domaine qui nous occupe ici, il sera capable de ne pas abandonner l'étude d'une question qui l'intéresse s'il constate qu'il ne possède pas les connaissances suffisantes pour la comprendre. S'il est soutenu, il entreprendra des travaux « préparatoires » motivés par la nécessité des connaissances à acquérir.
Nous verrons que cette possibilité sera exploitée et développée par la conception d'un ensemble de bandes enseignantes telles que l'une d'elles nécessite l'étude de celles qui la précèdent, et suggère l'étude de celles qui suivent.
Les autres besoins de l'adolescence :
Nous évoquerons ici deux tendances contradictoires la recherche de la liberté d'action où la volonté peut s'affirmer pleinement, et, en même temps, l'angoisse qui naît quand les conditions de cette liberté d'action recherchée sont totalement remplies.
La recherche de l'autonomie vient à l'adolescent du désir naturel de ressembler à un adulte, du moins au modèle qu'il s'en fait. On nous permettra ici une courte parenthèse pour attirer l'attention sur l'importance de la présence de l'adulte dans tout système éducatif, de l'image qu'il donne de lui‑même et de sa nécessité, nous opposant peut‑être à ceux qui prétendent laisser l'élève seul, face à une machine à enseigner.
Cette autonomie qui, une fois conquise, fera de lui un homme, est le but même de notre éducation. Il faut donc favoriser au maximum toute démarche aidant à son acquisition.
L'angoisse qui apparaît chaque fois qu'un adolescent est mis en condition d'exercer pleinement sa liberté d'action vient sans doute de la perte de sécurité, besoin lointain de l'espèce qui demeure d'ailleurs en tout individu. Cette angoisse peut aller jusqu'à inhiber le désir d'action, même si celle‑ci est rendue possible. L'adolescent redoute autant l'abandon qui lui donnerait pourtant une liberté totale que l'autorité contraignante qui, pourtant, lui procurerait une sécurité absolue en lui ôtant toute responsabilité.
Ces deux tendances conditionnent donc l'attitude de l'adolescent devant tout système d'éducation. Les méconnaître, ou ne pas en tenir compte dans l'action pédagogique quotidienne, risquent de rendre stérile tout effort éducatif. Ces deux aspects se retrouvent d'ailleurs dans ses démarches intellectuelles, du moins dans celles où il engage de lui‑même toutes ses possibilités : la liberté totale de recherche lui faisant craindre l'échec, la contrainte dans ses démarches d'esprit le faisant certainement parvenir au but, mais lui enlevant à ses propres yeux tout mérite d'y être parvenu. Nous montrerons dans l'exposé sur la pratique de l'emploi des bandes enseignantes, qu'elles satisfont pleinement ces deux aspects essentiels de la psychologie de l'adolescent.
Pour terminer signalons un aspect complémentaire de la psychologie de l'adolescent : le besoin d'affection qui se traduit souvent par celui d'être compris, même sans être approuvé ; si puissant que son insatisfaction immédiate peut rendre tout effort intellectuel difficile. C'est ce qui rend si nécessaire l'entretien spontané matinal dans les classes primaires où le travail intellectuel est d'autant plus rentable que chaque enfant s'est libéré dans « ses histoires » du fardeau qui entravait son esprit.
Cela est‑il possible dans nos établissements du second degré où bien des adolescents sont encore à ce point de vue des enfants ?
Nous en verrons la possibilité, et c'est là un résultat bien inattendu de l'emploi des bandes enseignantes!
***
Nos lecteurs seront peut‑être tentés dé mettre dans la marge de tout ce texte « hors sujet ! » Mais pour nous, qui prétendons faire de l'emploi des bandes enseignantes une véritable technique éducative, et non une certaine recette pédagogique, il était indispensable de montrer que c'est en connaissance de cause que nous émettons une telle prétention.
Qu'il nous suffise d'ajouter que nos techniques favorisent l'autonomie de l'élève, s'appuyant sur un passé que nous devons connaître, orientent le présent que nous organisons et déterminent un avenir que nous devons prévoir.
(1) Le terme n'est pas de nous !
(2) Nous écrivons limpide parce que la transparence est impossible, une opération intellectuelle étant le plus souvent «colorée »par l'affectivité.
1 ‑ Nécessité d'un ensemble cohérent de bandes enseignantes
La bande que nous pourrons concevoir ne vaut que par l'ensemble dans lequel on l'inclura.
Il est évident que c'est cet ensemble pris globalement, et non chaque bande prise individuellement, qui répondra aux nécessités d'une structuration, et donnera à nos élèves les éléments d'un début de formation scientifique. Cela les amènera à la compréhension des idées générales et les préparera à appliquer ces dernières dans l'enseignement du second cycle.
Il nous faut donc considérer cet ensemble, qui ne sera guère différent des «programmes officiels ».
Mais, pour respecter l'esprit des instructions exposé plus haut, leur rédaction devra refléter une prise de position très nette. Ce n'est pas notre sujet que de discuter de cette rédaction ; mais, nous résumerons en disant qu'il est plus efficace, pour un élève, de faire un travail profond sur un problème scientifique qui l'intéresse, en le formant à des méthodes de recherche toujours valables pour lesquelles il met en jeu toutes ses ressources d'intelligence, plutôt que de survoler de trop nombreuses questions, en ne lui donnant que des connaissances superficielles d'« Homme du XX° siècle » à qui seule la mémoire suffirait.
Nous préférons beaucoup sur peu, à peu sur tout.
Les programmes de sciences s'adressant à des élèves de 13 à 16 ans devront donc limiter le nombre des questions mises à l'étude, donnant ainsi la primauté à la formation de l'esprit sur les connaissances encyclopédiques.
C'est cette considération qui nous a poussés à tenter l'expérience qui sera relatée plus loin, dans des classes dites « de troisième expérimentale » dont le programme scientifique s'inspire d'un tel esprit.
***
Avant la rédaction des bandes, il a fallu étudier avec attention les relations entre chaque élément de cet ensemble, et, nous rappelant les possibilités de l'adolescent énoncées plus haut, préférer actuellement un ordre établi en fonction de ces relations plutôt que le libre choix laissé à l'élève dans l'entrée du « programme ».
Une autre considération nous a encouragés dans l'adoption de cette voie. Il nous a paru nécessaire d'introduire des différences dans la conception de chaque bande, montrant au début à l'élève la nécessité d'un plan dans l'exploitation d'une expérience, le guidant ensuite (peut‑être trop étroitement), pour lui laisser, peu à peu dans les autres bandes, une initiative telle qu'il trouve et applique son propre plan.
Ainsi, à l'ordre des questions mises à l'étude se superpose un ordre dans les manières de les traiter.
Ceci ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'autres possibilités. Nous avions un moment pensé à laisser le choix dans l'étude des différentes parties du programme : les forces, l'électricité, etc... avec retour sur d'autres parties en cas de nécessité!
Exemple : entrée en électricité par l'étude d'un fer électrique à repasser, avec retour nécessaire à la mesure des quantités de chaleur et à l'intensité, et extension à la notion de résistance électrique.
Mais ceci suppose un ensemble de bandes entièrement rédigées, puis expérimentées et enfin modifiées en fonction de cette idée, ce que nous ne possédons pas encore. Il y a là une voie intéressante à exploiter.
2 ‑ Conception d'une bande enseignante
1. «Connaître le passé»:
Tout au long de la rédaction, il faut tenir compte de l'« École parallèle » que constitue la vie de l'élève hors de la classe. Celle-ci apporte actuellement une quantité impressionnante d'informations, qui, si elles demeurent superficielles, n'en existent pas moins. Ce souci se traduit par un recensement de ce que connaît (ou croit connaître) l'élève des problèmes traités. Ils le seront toujours, en relation avec sa vie. Nous y reviendrons.
2. Fixer clairement l'objectif que l'on se propose.
La rédaction de la bande prendra des aspects nettement différents suivant cet objectif. Un exemple fera mieux comprendre. Un élève se propose d'étudier la chaux. Si son intérêt provient de l'emploi de ce corps, les expériences proposées seront centrées sur la prise des mortiers, des ciments, etc... en partant de la production de la chaux. Mais, si son intérêt provient de l'étude d'une expérience à partir de la craie: alors, les expériences seront axées sur la décomposition de cette craie par la chaleur, la perte de masse, les corps obtenus lors de cette décomposition, les propriétés de ces corps, etc... Il est clair que ces deux conceptions de l'étude du même corps s'adressent à des populations d'élèves différentes et donc que le but à atteindre dépend des intérêts premiers de ces populations.
3. Donner la vue globale du problème.
Le reproche le plus souvent adressé au travail programmé est qu'il ne donne qu'une vue analytique du problème à résoudre, Cette objection, justifiée par ailleurs, tombe partiellement si les premières séquences des bandes enseignantes sont réservées à l'exposition globale de ce problème. En somme, on le présente comme il se présente dans le monde qui entoure l'élève, avec ses données complexes et présentées en désordre.
S'agit‑il de la construction d'u n moteur électrique en application des lois d'Ampère, (voir p. 138) la première séquence présentera une reproduction photographique du moteur terminé. Si, à la vue de cette photo, un élève se lance dans la construction ... et la réussit : tant mieux !
Pour les autres, les séquences suivantes indiqueront où l'élève peut retrouver l'un des aspects particuliers suscitant son intérêt immédiat ou pouvant être résolu grâce aux connaissances antérieures.
Dans le cas du moteur électrique, un croquis ou, de préférence, un dessin technique indiquera mieux qu'une photo les parties réalisables sans le secours de la bande ; il donnera aussi les références pour celles qui demandent « une programmation ». Il n'y a donc aucun inconvénient à ce qu'un élève se passe de tout ou partie de la bande enseignante pourvu qu'elle lui donne les moyens de réaliser le travail demandé, suivant un plan personnel que n'aurait pas suivi l'auteur de la bande.
Il est essentiel de toujours avoir présent à l'esprit que la bande enseignante est un moyen dont l'emploi ne doit pas désapprendre à marcher seul. Elle doit aider à franchir les passages difficiles, l'élève l'abandonnant quand la route est facile, la reprenant quand les difficultés se présentent. Il faut alors la concevoir dans cet esprit, même s'il est rare que les élèves puissent se passer totalement de son secours.
4. Élaborer le tronc principal de la recherche proposée.
Nous définirons le tronc principal de la recherche comme la suite ordonnée des points d'arrivée des différentes étapes par lesquelles l'élève peut passer pour parvenir au but.
Nous avons montré comment on peut faciliter les démarches personnelles de l'élève ; il n'en reste pas moins vrai qu'un autre reproche adressé à l'enseignement programmé, même tel que nous le concevons, est d'obliger l'élève à emprunter une voie tracée par un autre.
Ce reproche serait justifié si le nombre de voies pour parvenir à une loi scientifique était infini et si le cerveau de chaque élève fonctionnait d'une façon radicalement différente de celle d'un autre de la même classe.
Or, du fait même que les opérations logiques élémentaires sont semblables pour la presque totalité de nos élèves, qu'ils n'ont pas à découvrir, mais seulement à s'approprier ce qui a été fait avant eux par d'autres, qu'ils baignent dans un milieu conditionné par les résultats de ces découvertes qui les imprègnent dès leur plus jeune âge et déterminent leur « tâtonnement expérimental », il n'est pas absurde de croire que, naturellement, leur esprit prendra ces voies déjà tracées.
D'ailleurs, l'examen critique de nombreuses « recherches libres » est là pour le prouver.
Pour chaque bande, nous avons donc essayé de retrouver l'une de ces voies privilégiées. Pour y parvenir, les enseignants possèdent l'expérience que leur donne une longue fréquentation des enfants, si ceux‑ci travaillent dans un climat de liberté, doublé d'une organisation coopérative de la classe.
Dans l'enseignement du second degré, nous ne pouvons pas encore y prétendre, mais nous travaillons depuis plusieurs années à l'aide de fiches-guides d'expérimentation individuelle, remaniées chaque année suivant les indications de nos élèves. C'est en partant de nos fiches‑guides ainsi modifiées que nous avons élaboré le « tronc principal » des bandes enseignantes.
Celles‑ci furent multipliées par notre organisation coopérative de l'ICEM, expérimentées dans chacune de nos classes, subissant, en cours d'essai, des modifications suivant les résultats obtenus avec les fiches‑guides précédentes,
Il nous faut bien reconnaître que les élèves capables de retrouver complètement seuls et de parcourir jusqu'au bout les voies indiquées plus haut sont, s'ils existent, l'exception. Ce n'est pas à eux que s'adresse notre travail, mais à tous les autres, à ceux qui ont besoin d'aide pour retrouver et parcourir ces voies en apprenant à se passer peu à peu des secours mis à leur disposition.
Ainsi conçu, le système que nous avons adopté s'inspire de la programmation linéaire de Skinner ‑ enchaînement de questions et de réponses élaborées par l'élève ‑ mais s'en éloigne quant à certains principes : « atomisation de l'information », « validation à 95 % » et surtout « non-intervention du professeur». Nous ne prétendons pas mettre au point une technique visant à supprimer le professeur, mais bien au contraire, à l'aider au maximum, pour l'amélioration du rendement de son travail d'éducateur.
5. Permettre le tâtonnement expérimental.
Le reproche le plus justifié que l'on adresse au système linéaire de programmation est la suppression du tâtonnement expérimental. Le système bifurqué de Crowder prétend rétablir intégralement ce tâtonnement nécessaire à l'acquisition d'un comportement, affirmation discutable d'ailleurs quand on considère l'application qui en est faite dans les machines à enseigner mises actuellement sur le marché.
Nous avons donc essayé de permettre le tâtonnement expérimental entre les points d'arrivée de chaque étape de la recherche proposée par d'autres moyens :
‑ d'abord le travail par équipe de deux élèves, Chaque réponse étant élaborée avant confrontation avec celle de la bande, c'est par discussion d'abord, par essai expérimental ensuite, par vérification enfin qu'elle est construite.
Nous avons enregistré, à l'insu des élèves, les discussions précédant l'élaboration d'une réponse. Chacun y joue le rôle d'une machine à enseigner électronique du type le plus perfectionné. A l'audition de ces bandes magnétiques, il semble que ce n'est qu'après l'exploration de nombreuses «bifurcations », qui toutes, sauf une, révèlent une impasse, que les réponses sont définitivement données, puis confrontées.
‑ ensuite les appels à l'édification d'hypothèses possibles, exposées oralement mais quelquefois accompagnées de croquis explicatifs.
C'est ici que le professeur est systématiquement et volontairement sollicité. C'est alors qu'il répond à des questions que les élèves se sont posées sans pouvoir les résoudre, ou que, par d'autres questions, il oriente la recherche dans une nouvelle voie, puis la ramène au «tronc principal ».
Cette technique présente un des aspects essentiels de notre système de programmation.
Tout d'abord, le professeur maintient un contact étroit entre les élèves et lui : échanges affectifs aussi bien qu'intellectuels (encouragements, félicitations, étonnement, admiration devant des solutions originales, rectification d'une erreur qui a pu se glisser à l'insu des élèves, etc...) Il apparaît ainsi, non comme celui qui contrôle et qui pose des questions, mais comme un collaborateur toujours disponible (mais n'aidant qu'à la demande). Son rôle, jamais contraignant, répond aux aspects psychologiques de l'adolescent décrits plus haut. Dans notre technique, ce sont les élèves qui posent les questions, c'est le professeur qui répond ; mais il ne répond qu'à des questions que les élèves se sont posées. La réponse peut alors être adaptée étroitement à l'élève qui l'assimilera d'autant mieux.
C'est au cours de ces entretiens que le professeur s'enrichit de la connaissance des voies particulières à chaque élève, qu'il peut confronter ces voies et s'apercevoir que beaucoup sont communes. Il peut déceler ainsi les adaptations possibles, les modifications nécessaires pour une amélioration continue des bandes enseignantes.
C'est à ce moment qu'il peut répondre à la demande d'un groupe ayant décidé de se passer de tout ou partie de la bande, sachant le maître prêt à intervenir pour aider ces « aventuriers » sur des chemins personnels souvent difficiles.
Notre technique tend à passer ainsi du travail individuel, c'est‑à‑dire du travail fait seul à un travail individualisé, c'est-à‑dire adapté à l'individu, accordant le droit à l'erreur, mais permettant immédiatement sa correction, réduisant la part de l'échec inhibiteur sans réduire celle de l'effort et augmentant celle du succès exaltant.
En somme, ce moyen humanise une technique qui pourrait devenir insoutenable aussi bien à l'élève qu'au professeur si le rôle de celui‑ci se réduisait à la seule surveillance. Tout au contraire, notre conception demande au maître une part active et une grande disponibilité.
Loin de nous donc la pensée d'éliminer le professeur qualifié, de le remplacer par un « surveillant » ou même d'augmenter le nombre des élèves d'une classe !
6. La vue synthétique du problème résolu.
Chacun sait qu'une analyse n'est complète que si elle rend possible une synthèse. Encore faut‑il que nos bandes la permettent. Dans ce but, nous avons mis, tout au long de la bande enseignante, des références très précises pour un travail écrit. Ce travail s'édifie avec titres des principales étapes, croquis d'expériences (passant du « dessin à vue » au croquis puis à la schématisation) résumant les observations menant à des conclusions partielles, pour aboutir à une synthèse générale qui prend la forme de lois scientifiques (voir bande sur les équilibres, p. 127).
Ce travail écrit facilite des retours souvent nécessaires aux étapes antérieures de la recherche, en plaçant constamment sous la vue de l'élève, la progression vers la solution.
Le travail achevé, l'élève « résume » l'essentiel par une sorte d'abstraction donnant l'accession aux concepts scientifiques reliant la recherche aux précédentes (voir cahier d'élève, P. 106).
De plus, l'ensemble des travaux constitue un « manuel » écrit par l'élève lui-même, mais contrôlé attentivement par le professeur. Il rend possible les révisions en vue d'un examen et un éventuel contrôle du travail scolaire en cas d'inspection.
Ainsi conçu, le cahier de l'élève présente, aux yeux d'un examinateur non averti, l'aspect de « résumés » demandés quelquefois après les leçons traditionnelles.
La différence n'est pas dans la forme mais dans la manière dont il a été rédigé et utilisé.
L'accent que nous mettons sur le travail écrit ne doit pas faire croire à une longueur qui lasserait nos élèves, intéressés surtout par les expériences et les manipulations qu'elles nécessitent. Le travail doit‑être très court. C'est la mise en forme précise d'une pensée devenue claire et concise, assimilée par l'élève et à son niveau.
7. L'intervention des mathématiques.
L'expérimentation fait d'abord intervenir les mesures. La précision de celles-ci dépend des qualités du matériel employé.
La bande doit conduire à l'interprétation des résultats accompagnés des incertitudes absolues, faute de quoi les relations entre les mesures n'apparaîtraient pas aux élèves (voir particulièrement cette partie dans la bande sur les ressorts p. 133).
Dans le programme qui nous intéresse ici, ce sont souvent des relations de proportionnalité traduites par l'égalité de rapports entre des mesures. Cette égalité, jamais trouvée exactement dans les résultats, apparaît comme une « limite » vers laquelle ils tendent. C'est alors que naît la « formule » ou l'énoncé de la loi.
La répétition même de ce travail d'interprétation demandé dans nos bandes, conduit nos élèves à utiliser une même théorie mathématique (ici, les proportions), à la traduction de phénomènes physiques différents.
De plus, l'intervention des mathématiques mène à la construction puis à la résolution « de problèmes vivants ». Les données de ces problèmes résultent directement de l'expérience et non d'énoncés artificiels, qui, dans les manuels, s'éloignent souvent des résultats expérimentaux.
8. De la vie au laboratoire, du laboratoire à la vie.
Nous avons vu que les premières séquences de nos bandes étaient réservées à la présentation globale des faits, tels qu'ils se présentent dans la vie. La suite d'expériences proposées tend à reproduire ces faits en laboratoire dans des conditions connues et déterminées par des mesures. Cependant, en cours de travail, des « questions » suggèrent, dès que possible, l'application des lois découvertes à l'explication d'autres phénomènes donnant à la loi scientifique son véritable sens d'« outil de découverte » et de « valeur prophétique ».
Ainsi, tout au long du travail pourront s'amorcer des « ouvertures » motivant l'étude en cours et posant de nouveau. problèmes.
En somme, une bande devrait poser autant de problème! qu'elle en résout.
9. Les répétitions.
Nous ne croyons pas que des notions scientifiques puis sent être «assimilées » après un seul travail, même programmé Chaque fois que la possibilité se présentera, il faudra prévoir des retours sur les notions étudiées antérieurement. Ainsi l'élève se rendra compte de ses progrès : la facilité avec laquelle il trouvera les réponses valorisera le travail passé et motivera le présent.
10. Répétitions du plan de certaines séquences.
Tous ceux qui enseignent les sciences reconnaissent qu'il est difficile d'obtenir le compte rendu écrit complet d'expériences faites devant les élèves. Ces difficultés se présentent aussi quand les élèves eux‑mêmes manipulent.
Nous avons donc adopté un plan unique de compte rendu. Au début il s'édifie par des questions rédigées, puis il est suggéré par de simples mots : description ‑ observations, etc...
Ce plan est bien connu :
‑ description par des croquis annotés (au début quelques croquis figurent dans les bandes) ;
‑ observation chronologique complète des phénomènes;
‑ interprétation de ces observations qui amène leur hiérarchisation ;
‑ puis conclusions partielles provisoires ou définitives qui, avec d'autres, seront reprises en lois scientifiques.
11. Choix des expériences programmées.
L'un des buts de l'enseignement scientifique s'adressant à des adolescents de 15 ans est de les familiariser avec l'emploi d'appareils expérimentaux. Il nous a paru préférable de concevoir l'ensemble de bandes en fonction de l'utilisation répétée d'expériences semblables, mais exploitées dans des buts différents.
L'emploi motivé des mêmes appareils, surtout ceux destinés aux mesures ‑ même si leur principe de fonctionnement est inconnu‑ s'érige ainsi en «technique de vie». Par exemple, lors de la recherche de la mesure d'une quantité de chaleur, nous pourrons programmer cette étude avec le même matériel qui sera utilisé plus tard pour l'étude de la loi de Joule en électricité. Le matériel qui servira en chimie à l'analyse de l'eau par électrolyse, servira également à comparer des quantités d'électricité.
Nous avons cru bon d'insister sur l'élaboration des bandes enseignantes. Notre conception paraîtra peut‑être compliquée à certains qui ne voient ici qu'une recette pédagogique parmi plusieurs, incomplète à d'autres qui seraient tentés d'y trouver réponse à tous leurs problèmes pédagogiques.
Telle quelle, cependant, nous avons pu constater qu'elle rend les bandes enseignantes capables de remplir les missions évoquées précédemment. Ces bandes peuvent devenir des instruments souples et efficaces, satisfaisant les besoins intellectuels et affectifs des adolescents. Nous éclaircirons encore ces dernières données en exposant le point de vue pratique d'utilisation et les résultats constatés.
3 ‑ Pratique de l’utilisation
1. La classe:
Notre expérience s'est adressée à trois classes de 3", l'une de 23 élèves, les deux autres de 34 élèves, partagées en deux sections chacune. C'est‑à-dire qu'à l'égard du nombre, les conditions étaient presque idéales.
L'emploi du temps imposait des séances d'une heure ou d'une heure et demie. Disons tout de suite que les séances les plus longues se sont révélées les plus profitables et qu'à notre avis, la durée pourrait être portée à deux heures sans qu'apparaissent des signes de fatigue, permettant ainsi d'achever complètement un problème entrepris, supprimant les «reprises» quelquefois difficiles.
Avec l'aide d'élèves volontaires, nous avons préparé huit « bancs d'expériences » groupant deux ou trois élèves, chacun étant possesseur d'une bande et de la boîte correspondante.
Le matériel expérimental que nous décrirons plus loin n'était pas toujours préparé sur les tables mais disposé « en réserve », pour deux raisons :
‑ soit que l'on demande de concevoir ce matériel, le but à atteindre étant précisé. Les élèves consultent alors le professeur avec lequel ils discutent leurs conceptions. Celui‑ci les oriente sur les appareils à utiliser ;
‑ soit que les vitesses de travail, différentes pour chacun des groupes, permettent l'utilisation successive du même matériel. Il est souvent arrivé que trois exemplaires du même appareil suffisent aux huit bancs d'expériences.
Ajoutons que ces déplacements d'élèves, comparables à ceux des ouvriers dans les ateliers artisanaux, n'ont gêné en rien le travail de la classe. Ils sont apparus comme une détente musculaire possible après une attitude contractée, un temps de repos après une attention soutenue.
2. Le matériel:
Les programmes officiels de juin 1962 recommandent l'expérimentation : nous la rendons individuelle. Notre technique permet donc de suivre ces recommandations mieux, sans doute, que toute autre.
Le coût du matériel nécessaire pourrait apparaître comme un obstacle. L'examen attentif de ces programmes montre que la plupart de ces appareils peuvent être construits par les élèves eux‑mêmes, en atelier, en travail manuel ou même chez eux. C'est là un aspect secondaire mais non négligeable. En se heurtant à la matière, l'enfant se pose de nouveaux problèmes d'aspect technologique cette fois. Il découvre qu'une expérience scientifique n'est jamais simple, qu'elle fait intervenir de nombreuses lois masquant celles que l'on désire mettre en évidence. Chaque fois que l'enfant crée il apprend ; il y aurait tout un chapitre à développer sur cet aspect de l'enseignement scientifique, mais ce n'est pas ici notre sujet. Signalons pourtant la conception de bandes enseignantes destinées à la construction du matériel ou des Suppléments à Bibliothèque de Travail (SBT no 132, sur les électrolyses et SBT no 201 : « Fiches guides et matériel pour expériences scientifiques »).
De plus, nous avons souvent constaté l'intérêt du père pour la construction du matériel. Le prolongement dans la famille d'un tel enseignement, qui établit la collaboration entre le père et l'enfant, au lieu de l'opposition, fréquente à ce stade surtout au sujet du travail scolaire, apparaît peut‑être comme un « sous‑produit » de cette activité pédagogique, mais n'est pas négligeable pour autant.
Cependant, certains appareils échappent à la construction par les élèves, en particulier les appareils de mesure. De leur qualité dépendent les résultats quantitatifs. Une grande partie des dépenses engagées doit leur être consacrée.
3. Les cahiers:
Nous avons expliqué la nécessité de conserver des traces écrites du travail expérimentai. Mais il faut concilier cet impératif avec celui de la construction de la réponse par l'élève seul. Or, nous croyons, à tort ou à raison, que la réponse n'est clairement formulée que si elle est écrite.
Cependant, la précision des questions posées rend ces réponses rarement fausses, Mais elles peuvent être incomplètes ou mal formulées. Nous avons donc utilisé des cahiers « grand format » dont les pages sont divisées verticalement. D'un côté, la réponse construite par l'élève avant la consultation de celle de la bande, de l'autre, les corrections apportées aussitôt après.
Au début, les marges réservées aux corrections étaient plus importantes. Elles se réduisirent par la suite à des marges ordinaires.
1 ‑ Les résultats scolaires
Il serait présomptueux de généraliser les résultats d'une expérience de courte durée.
Cependant, une « première approximation » est possible en appliquant aux élèves ayant travaillé avec les bandes enseignantes, les contrôles traditionnels imposés aux autres : interrogations orales ou écrites, compositions, examens...
Nous n'avons constaté aucune différence sensible. Nous n'imposerons pas au lecteur, des tableaux comparatifs. Nous pensons que ce n'est pas par des notes chiffrées mises à des interrogations écrites que l'on peut juger l'efficacité d'un enseignement car, alors, « le bourrage de crâne » apparaîtrait comme une méthode supérieure ! Qu'il nous suffise de constater que les «moyennes » ne sont pas inférieures.
De même, dans l'optique actuelle de l'examen du BEPC qui demande au candidat la possession d'un amas de connaissances plutôt qu'une véritable formation, le « niveau » des élèves ayant été préparés à l'aide des bandes enseignantes n'est pas inférieur.
Cependant, des élèves ayant été préparés au début de J'année scolaire avec des bandes enseignantes et de façon traditionnelle à la fin, ont eu le choix entre deux sujets d'égale difficulté : ils choisirent presque tous celui qu'ils avaient travaillé avec une bande plutôt que l'autre qui, pourtant, avait été étudié quelques semaines avant les épreuves.
Ce qu'il faudrait déterminer, c'est ce qui restera «quand ils auront tout oublié ».
L'honnêteté nous commande d'écrire que nous n'en savons rien, mais nous connaissons « ce qui reste » de l'enseignement scientifique par d'autres méthodes et ceci ne peut que nous encourager à poursuivre dans la voie que nous nous sommes tracée.
2 ‑ Les résultats immédiats
Si la supériorité des bandes enseignantes sur les autres techniques que nous avons employées ne réside pas dans le succès aux examens tels qu'ils sont conçus actuellement, si nous ne connaissons pas encore «ce qu'il restera » d'un tel enseignement, on peut trouver cette supériorité immédiatement dans la modification de l'attitude des élèves face au travail scolaire, dans l'atmosphère qui se dégage d'une classe en activité, dans les relations nouvelles entre maître et élèves.
1. Modification de l'attitude des élèves.
Elle se manifeste d'abord par une prise de conscience du travail comparable à celle d'un ouvrier devant sa tâche, dans un atelier artisanal. Cette prise de conscience est due à ce que chacun sait qu'il doit effectuer un travail dont il est «personnellement responsable» et, comme pour l'artisan, si la tâche est imposée, il est maître de son rythme ; certaines initiatives sont permises et même encouragées.
Elle se traduit ensuite par une attitude active immédiate. Dans un cours traditionnel, les élèves entrent dans la classe, restent debout jusqu'à ce que le professeur permette de s'asseoir, préparent leurs affaires... et attendent : c'est l'attitude « entonnoir » !
Au contraire, dans une classe où les bandes enseignantes sont employées, où les bancs d'expériences sont minutieusement préparés, la plupart commencent par lire les premières séquences réservées à une vue globale du problème et se mettent au travail. Le professeur pourrait être absent qu'il se passerait sans doute la‑ même chose.
Cette activité est maintenue sans lassitude apparente. Ceci s'explique par la variété des actions : lire, comprendre le texte, manipuler, écrire, discuter, se déplacer, tout cela sans précipitation et dans un silence relatif de ruche au travail.
L'attitude générale est détendue, en opposition avec celle crispée qui caractérise quelquefois un cours traditionnel. Chacun se souvient sans doute de l'attente anxieuse du début des cours : y aura‑t‑il interrogation écrite aujourd'hui ? « Sur quelle victime tombera l'interrogation orale ? » Mais aussi, quelle délivrance quand elle tombe sur un autre, quelle indifférence à ce que « l'interrogé » peut réciter ! En somme, quelle perte de temps pour tous !
Quand le mauvais quart d'heure de l'interrogation s'achève, alors, chaque élève s'installe : enfin, le maître va parler et lui va « suivre » la leçon, c'est‑à-dire écouter suffisamment pour ne pas être pris en défaut lors d'un éventuel « contrôle de l'attention ». Bien sûr, c'est là une caricature d'une leçon magistrale, mais qui n'y reconnaîtrait pas une part de vérité ?
L'attitude détendue de nos élèves provient aussi de la sécurité que donne la bande enseignante : erreur permise sans aucune sanction ni jugement de valeur de la part du maître, mais certitude de la corriger immédiatement et de pouvoir terminer le travail entrepris.
Il semble donc que l'emploi des bandes enseignantes permette une activité réelle, non pas artificielle comme celle obtenue avec « la méthode active »du dialogue ‑ spectaculaire certes, mais dont l'efficacité est loin d'être démontrée ‑ mais une activité profonde de l'individu, qui, bien que solitaire et silencieux, entraîne toutes ses facultés à l'action.
2. Modification des relations « Maître ‑Classe » et « Maître ‑ Élèves ».
Pour comprendre le changement radical de ces relations, il est nécessaire d'en analyser quelques aspects.
Dans les méthodes habituelles, le maître a devant lui, une classe. Elle est composée d'élèves, mais elle est différente de chacun d'eux. Il est rare qu'à travers cette classe le professeur atteigne l'individu et, s'il essaye de le faire, il a l'impression de léser les autres. La classe, tantôt «fouIe» avec sa psychologie spéciale, quelquefois groupe, rarement société, demeure un écran cachant la personnalité de chacun, même celle du maître. Loin de nous cependant, l'idée de rejeter les bienfaits éducatifs d'une société scolaire organisée par l'élève et à son service! C'est ici l'un des problèmes les plus importants de l'éducation moderne: oscillation continue entre deux pôles complémentaires: individualisation et socialisation aussi nécessaires l'une que l'autre.
L'utilisation des bandes enseignantes tend à supprimer la classe en tant que réalité psychologique. Le professeur a devant lui des individus (si l'on veut bien considérer qu'un groupe de deux élèves laisse intacte la personnalité de chacun). Elle permet donc le contact direct du professeur avec l'élève.
Un autre aspect de ces relations, et non le moindre, est la représentation que se font les adolescents d'un professeur.
La société des adultes impose des programmes officiels. Aux yeux des élèves elle est l'image des obligations dont ils comprennent difficilement l'utilité.
Dans une classe traditionnelle, le professeur fait corps avec ces obligations: il est du côté de la société qu'il personnifie et les adolescents sont de l'autre.
Dans un enseignement programmé, on peut imaginer ces mêmes programmes officiels, mais cette fois, c'est la « machine enseignante » qui les impose: c'est elle qui se trouve du côté de la société. Le professeur est dissocié des obligations, ce n'est plus lui qui les personnifie.
Avec l'emploi des bandes enseignantes et le recours au maître, celui‑ci devient le collaborateur. Il est du côté des élèves, jamais sur une estrade et face à eux. Évidemment, son influence diminue. C'est peut‑être ce qui est le plus difficile à admettre de la part de ceux, et ils sont nombreux, qui croient que l'éducation consiste à marquer leurs élèves de leur empreinte, ou de « ceux qui s'intéressent plus à ce qu'ils enseignent qu'à ceux à qui ils enseignent ».
De plus, s'il intervient, c'est qu'il est sollicité; son aide est temporaire et ne marque pas un échec sanctionné.
Évidemment, son influence diminue. C’est peut-être ce qui est le plus difficile à admettre de la part de ceux, et ils sont nombreux, qui croient que l’éducation consiste à marquer leurs élèves de leur empreinte, ou de « ceux qui s’intéressent plus à ce qu’ils enseignent qu’à ceux à qui ils enseignent. »
Pour nous qui croyons que l'éducation consiste principalement dans l'acquisition d'une conduite autonome mais raisonnée, d'une liberté liée à une responsabilité, la recherche des techniques y aboutissant est essentielle : nous croyons en avoir trouvé une dans l'emploi des bandes enseignantes.
3. Possibilités de relations affectives nouvelles.
Imaginez une classe en pleine activité. Les élèves expérimentent, vérifient, discutent, écrivent, travaillent. L'un d'eux, cependant, ne « s'active » pas autant que les autres. Sa lenteur, son regard vague ne peuvent échapper à l'oeil du professeur : manifestement, « quelque chose ne marche pas ». Le professeur n'ayant rien d'autre à faire, pour l'instant, s'approche, s'assied à côté de notre adolescent. Par quelques questions, le maître a vite fait de découvrir qu'un problème personnel tourmente l'élève. Rien n'empêche de lui consacrer quelques minutes; l'atmosphère de confiance, l'attitude aidante que le professeur a toujours manifestée, font que l'élève se confie facilement. Combien de fois ne nous est‑il pas arrivé d'évoquer ainsi « les petites peines », désaccord passager avec les parents, punition infligée par un professeur précédent « avec signature du père », composition ratée, interrogations désastreuses et même des sujets plus intimes. « A confier ses peines, on les partage ». Et notre adolescent, compris, sans toujours être approuvé, se remet au travail.
Seule, une technique déchargeant, en partie, le professeur de l'instruction permet de résoudre, à tous moments, de tels problèmes qui influent pourtant sur l'activité intellectuelle, et qui, sans peut‑être passer inaperçus durant un cours traditionnel, ne peuvent y être évoqués.
Nous avons montré que l'emploi des bandes enseignantes dans l'enseignement scientifique s'adressant à des élèves de 14 à 16 ans, satisfaisait à l'esprit des instructions officielles. En étudiant rapidement l'évolution intellectuelle vers une structuration des expériences antérieures, sans oublier les caractères parallèles de l'évolution psychologique de l'adolescence, nous avons montré que leur emploi portait la pédagogie actuelle vers une solution mieux adaptée aux problèmes d'éducation. Est‑ce à dire que cette technique peut résoudre tous les problèmes, satisfaire toutes les tendances ? Nous ne ferons qu'aborder cette question par quelques observations fragmentaires.
A mesure que notre expérience progressait, un besoin se manifestait : celui de parler en commun. Qui a déjà entendu les ouvriers s'entretenir après leur journée de travail des problèmes de leur profession comprendra ce besoin. Ainsi, après la classe, des conversations particulières s'engageaient et souvent, j'étais invité à y participer, Chacun y faisait étalage de ses connaissances nouvelles en relation avec les faits d'actualité, de la façon originale dont il avait résolu certaines manipulations, des résultats anormaux de certaines expériences ou, au contraire, si conformes à la loi que j'avais accusé les manipulateurs de « truquage des nombres ».
Peu à peu, je m’aperçus que les élèves devenaient plus réceptifs à des exposés magistraux qu’ils réclamaient d’ailleurs : pesanteur et apesanteur, théorie atomique, qu’est-ce que l’électricité ? etc … En fait, ils réclamaient les grandes synthèses scientifiques relatives à leur programme et je sentais confusément que c’est collectivement qu’ils désiraient être informés.
Était-ce lassitude de l’emploi de notre technique ? Ou l’antidote nécessaire à un enseignement qui rompait trop délibérément avec les habitudes scolaires enracinées depuis longtemps ?
Nous ne le pensons pas, aucun symptôme dans ce sens n’apparaissant dans le travail avec les bandes.
Il nous a semblé cependant nécessaire de profiter de cette réceptivité nouvelle pour exposer ces théories scientifiques. Mais pour leur donner des bases expérimentales, il fallait que tous les élèves soient à un même moment parvenus au même point du « programme ».
Autrement dit, comment concilier ce besoin de « socialisation » et d’ »individualisation » ?
Nous y sommes parvenus tant bien que mal en ouvrant des cahiers de recherche en particulier l’histoire des sciences : Travaux de Lavoisier – Histoire des mesures – Mesure de la Terre – qui n’eurent pas, il faut l’avouer, l’effet escompté.
D’ailleurs, ce problème rejoint celui de l’emploi des bandes enseignantes en d’autres matières, pour une même classe, problème auquel nous n’apportons aucune solution pratique.
Et l’on se prend à rêver à une expérience plus complète où les classes en tant que telles seraient supprimées, mais transformées en ateliers spécialisés, les élèves réalisant leur plan de travail hebdomadaire, travaillant librement avec l’aide de professeurs responsables de chacun de ces ateliers, travail alternant séquences individuelles et collectives, fondant ainsi harmonieusement l’individualisation et la socialisation.
Telle quelle, notre expérience peut‑elle être généralisée ? Un tel ensemble de bandes enseignantes peut‑il être utilisé par d'autres élèves que ceux pour lesquels il a été conçu ? Et aussi, peut‑il être employé dans le même esprit par d'autres professeurs que celui qui l'a réalisé ?
Autrement dit, la technique des bandes enseignantes est‑elle l'un des outils de la Pédagogie Freinet pouvant la promouvoir pédagogie de masse ?
A première vue, aucune raison logique ne s'y oppose et l'essai que nous avons tenté au Congrès de l'École Moderne de Perpignan pourrait confirmer cette théorie, du moins en partie : les bandes enseignantes pourraient être utilisées par toute une « population » d'élèves, réformant ainsi l'enseignement scientifique en y introduisant les principes d'une Éducation Moderne.
Nos camarades organisateurs du Congrès réussirent à rassembler une vingtaine d'élèves de classe de 3' (CEG) suivant les programmes scientifiques de juin 1962.
Dans une salle de travaux pratiques du Lycée, une centaine d'instituteurs purent ainsi voir comment, sans avoir été préparés spécialement (sauf sur la disposition du travail écrit), les élèves se mirent immédiatement à utiliser les bandes enseignantes, menant seuls et complètement les expériences demandées.
Le lendemain, tous étaient à nouveau présents et, à la fin de la séance, nos camarades les soumirent au feu roulant des questions. Leurs réponses, comme il fallait s'y attendre, ne furent guère différentes de celles que nous avions obtenues de nos propres élèves au début de notre expérience : «Nous faisons nous‑mêmes les expériences ; nous pouvons suivre notre cadence, nous sommes certains d'arriver à un résultat malgré nos erreurs ».
Un tel essai serait concluant si nous avions pu montrer qu'un autre professeur pouvait nous remplacer. Il serait présomptueux de notre part de croire la chose impossible ou même difficile !
Que ceux qui le désirent se pénètrent des principes qui nous animent. Qu'ils rejoignent notre groupe École Moderne où, coopérativement, au sein de l'ICEM, ils pourront perfectionner les techniques que, dès maintenant, nous mettons à leur disposition.
Notre conclusion sera un appel à la collaboration de tous ceux qui veulent rénover leur enseignement car nous croyons que l'expérience des autres n'est guère transmissible et que seules s'érigent en «techniques de vie» les expériences que l'on a soi‑même tentées et réussies
M. B.